B. METTRE DAVANTAGE L'ACCENT SUR LA PRÉVENTION ET LA RÉINSERTION
1. Développer une politique de prévention ambitieuse et adaptée aux réalités guyanaises
La politique de prévention constitue le « parent pauvre » de la lutte contre le phénomène des passeurs de stupéfiants en provenance de Guyane.
Son amélioration passe, tout d'abord, par une meilleure connaissance du contexte social dans lequel intervient le passage à l'acte , ainsi que du profil des personnes. Cette connaissance permet de calibrer les messages afin de sensibiliser au mieux les publics visés aux risques encourus (sanitaires, pénaux) et aux solutions alternatives (connaissance et accès aux dispositifs d'insertion, notamment).
La mission estime qu'il est également important que les publics visés participent à la conception des actions de prévention , puisqu' « en les impliquant dans cette phase de construction, les outils de prévention auront davantage de chance de toucher effectivement les jeunes et de voir leur objectif atteint. Pour concevoir des actions de prévention du phénomène des mules adaptées, il est ainsi indispensable de prendre au sérieux l'expérience des jeunes, depuis la conception de l'action jusqu'à sa mise en oeuvre effective » 40 ( * ) . À cet égard, divers interlocuteurs de la mission d'information ont proposé l'intervention de « mules » repenties.
Afin d'améliorer le ciblage de ces actions, il conviendrait de les étendre à la famille et à l'entourage, potentiels recruteurs ou référents en cas de problèmes financiers.
De même, le phénomène prenant ses racines dès l'enfance , la mission estime que des actions doivent être menées avant le lycée (les actions actuelles sont principalement destinées aux plus de quinze ans), auprès de jeunes enfants, avant qu'ils ne soient approchés par d'éventuels recruteurs. Le recours à des actions en dehors du cadre scolaire a également pour avantage de toucher les jeunes déscolarisés 41 ( * ) . Par ailleurs, il semble également important d'adapter le contenu des actions aux publics visés, avec des actions en langues régionales, notamment bushinenguées.
Au-delà de ces pistes d'amélioration, la mission rejoint la préoccupation de l'Agence Phare, visant à promouvoir l' « horizontalité » lors des actions de prévention menées . À cet égard, Mme Hélène Commerly, directrice des services de l'AKATIJ, estime que la présence de la douane, des forces de l'ordre et des représentants des SPIP constitue une plus-value, même si l'uniforme peut accroître la distance avec l'auditoire.
L'étude menée par l'Agence Phare et divers acteurs associatifs auditionnés par la mission mentionnent un manque majeur de dispositifs de protection des personnes impliquées dans le trafic de cocaïne en tant que mule (ou sollicitées pour y participer). « Il n'existe aucune instance (ou lieu ressource) pour des personnes qui sont entrées dans le processus mais souhaiteraient en ressortir, pour des personnes dont des proches sont impliqués et souhaiteraient leur venir en aide, pour des personnes impliquées qui souhaiteraient sortir du trafic, ou encore pour des personnes sollicitées à plusieurs reprises pour faire le voyage et qui se trouveraient en situation d'envisager cette solution au regard de leur situation économique et sociale 42 ( * ) » La mission d'information estime donc également primordial de mettre en place ce type de structure, dans l'Ouest guyanais notamment, afin de ne pas proposer qu'une réponse répressive ou judiciaire à des personnes qui demandent de l'aide pour s'extraire de ce phénomène.
La mission a pu constater que la plupart des acteurs associatifs faisaient de leur mieux pour prendre en compte ces divers points. Ils souffrent toutefois d'un manque de soutien, qui se manifeste notamment par l'insuffisance des financements et surtout d'une réelle politique de coordination.
À cet égard , les 90 000 euros annuellement destinés au financement des actions de lutte contre les stupéfiants en Guyane apparaissent insuffisants , comme le démontre l'exemple des projets portés par l'association Trop Violans n'ayant pas pu être menés à bien. Au regard des enjeux locaux mais également de la part importante que représente le trafic en provenance de Guyane au niveau national, les rapporteurs considèrent qu'une augmentation substantielle des crédits alloués à la prévention en Guyane pourrait être envisagée.
La coordination des différents acteurs de la prévention apparaît comme quasi-inexistante, alors qu'elle est souhaitée par ces derniers . Comme l'a indiqué à la mission d'information Mme Emilie Grand-Bois, présidente d'APAMEG, « il conviendrait de mettre en place une plateforme, qui piloterait tous les axes mis en place, évitant ainsi de disperser les actions et les financements [...] En l'état, on brasse de l'air et on n'a pas une démarche collective suffisamment constructive ». Le rôle de référent départemental de la MILDECA tenu par le directeur de cabinet du préfet apparaît en effet trop tourné vers la gestion opérationnelle des financements, via les comités techniques et les comités de pilotage, et n'assume pas la fonction de coordination et d'impulsion en matière de prévention aujourd'hui clairement déficitaire en Guyane. À cet égard, la mission d'information plaide pour qu'une mission de coordination de la politique de prévention du phénomène des mules soit clairement confiée au préfet, avec l'appui de la collectivité territoriale de Guyane, par le Gouvernement.
2. Encourager la formation et l'insertion professionnelle des jeunes guyanais
La mission d'information estime également que le développement d'alternatives au trafic de stupéfiants constitue un prérequis indispensable à l'endiguement du phénomène. Le développement, de manière générale, de l'offre de formation (collèges, lycées, CFA) dans les communes enclavées de l'intérieur et à l'Ouest du département doit donc constituer une priorité majeure du territoire.
Les dispositifs d'aide à l'insertion, qui sont aujourd'hui largement insuffisants, doivent être encouragés. Comme dans chaque département, la Mission locale y propose divers dispositifs directement destinés à la jeunesse, susceptibles de constituer des alternatives aux éventuels candidats au « voyage » (accueil, information, orientation et aide des jeunes en démarche d'insertion professionnelle et sociale). La Mission locale de Guyane met également en oeuvre des dispositifs spécifiquement axés sur la prévention du phénomène des passeurs de stupéfiants.
La contribution de la Mission locale de Guyane à la politique de prévention La mission locale fait de la prévention sur le phénomène des mules auprès des jeunes à travers de différents projets: • Action concours sur une campagne de communication de prévention qui a donné lieu à une diffusion d'un message de prévention créé par les jeunes ; • Diffusion d'un court métrage « le goût du calou » sur le parking de la mission locale et dans les quartiers QPV de Cayenne/Macouria/Rémire/St Laurent • Ateliers Santés sur le sujet des stupéfiants en général ; • Le directeur de la mission locale participe à un comité de pilotage de prévention de transport de stupéfiants animé par le rectorat- échanges de pratiques - présentation d'outils- mutualisation de ressources pour faire de la prévention. • Lorsque les jeunes confient aux conseillers qu'ils font ou envisagent de faire du transport de stupéfiants, la Mission locale engage tous les moyens pour accélérer leur entrée dans un dispositif de prévention afin de lui proposer une alternative au trafic. Source : Mission locale de Guyane |
M. Jean-Raymond Passard, directeur de la mission locale de Guyane estime toutefois que « les moyens ne sont pas suffisants aux regards des besoins. Nos réponses ne sont pas à la hauteur de l'enjeu de la jeunesse en Guyane : décrochage - formation - accompagnement à l'emploi. Nous devons multiplier notre capacité à accueillir un plus grand nombre de jeunes en proximité des bassins de vie. Il nous faut aussi plus de ressources humaines en conseillers pour faire face à ces multiples besoins et des ressources complémentaires pour lever les freins sociaux des bénéficiaires. Un plan d'investissement pluriannuel doit être engagé pour multiplier les structures physiques d'accueil. ». Le nombre de jeunes accompagnés, de 3 600 par an 43 ( * ) , dont 2 750 nouveaux chaque année est élevé, mais est à rapprocher des 24 200 jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation que compte le territoire.
Le service militaire adapté (SMA), dont le taux d'insertion dans l'emploi de 76 % démontre l'efficacité 44 ( * ) , constitue également un levier important d'insertion socioprofessionnelle pour la jeunesse guyanaise . Il met également en oeuvre des actions de prévention « sous l'angle de la dissuasion, en partenariat avec la gendarmerie nationale », ainsi que « sous l'angle de la conviction » en faisant par exemple intervenir M. Marvin Yamb, réalisateur du court-métrage « Le goût du Calou ».
Le rôle et le fonctionnement du régiment du Service militaire adapté de Guyane Le RSMA de la Guyane (RSMA-Guyane) a pour mission de faciliter l'insertion socioprofessionnelle des jeunes Français de 18 à 25 ans résidents en Guyane parmi les plus éloignés du marché de l'emploi, sous réserve qu'ils soient volontaires et aptes médicalement à leur parcours de formation en milieu militaire. A cet effet, il met en oeuvre deux modes d'action distincts : - un appui à l'insertion par une formation sociale et professionnelle pour les volontaires stagiaires (VS) ; - un appui direct à l'emploi par une expérience professionnelle, formatrice et éducatrice, pour les volontaires techniciens (VT). En renfort des forces armées, en qualité d'unité militaire, le RSMA-Guyane peut également prendre part à l'exécution des plans d'urgence et de secours au profit des populations. A ce titre, il est intervenu à St-Martin en 2017 suite au passage du cyclone Irma. Depuis mars 2020, dans le cadre de la crise sanitaire en cours liée à la COVID-19, il est pleinement engagé sur le volet logistique de l'opération « Résilience ». Source : RSMA de Guyane |
Il accueille pour sa part un nombre de bénéficiaires légèrement supérieur à 700 volontaires, ce qui ne constitue que 14 % d'une classe d'âge chaque année, ce qui reste inférieur à la plupart des autres territoires ultramarins 45 ( * ) , lesquels connaissent, à l'exception de Mayotte, un dynamisme démographique moindre.
La mission d'information plaide donc pour un renforcement des dispositifs d'insertion socioprofessionnelle en Guyane, Mission locale et SMA 46 ( * ) , qui apparaissent sous-dotés au regard de la démographie et des difficultés du territoire, ainsi que des organismes de formation classiques. Cette recommandation, qui dépasse très largement le seul cadre de la politique de prévention du phénomène des passeurs de stupéfiants, vise à limiter les déséquilibres structurels qui l'alimentent. Ces dispositifs constituent en outre d'excellents vecteurs des messages de prévention.
3. Favoriser une politique pénale tournée vers la réinsertion socio-professionnelle
Si elle considère que les peines prononcées à l'encontre des passeurs doivent rester exemplaires et dissuasives, la mission estime que la politique pénale doit impérativement être tournée vers la réinsertion des personnes condamnées 47 ( * ) .
De manière générale, la mission plaide pour une plus grande individualisation des peines , qui doit être décorrélée de la quantité de marchandise transportée et davantage adaptée au profil des individus (primo-délinquance, place dans le réseau, etc.). Certains représentants de l'autorité judiciaire ont ainsi indiqué que des peines suivant schématiquement le modèle « un an d'emprisonnement par kilogramme transporté » avaient été prononcées, ce qui constitue, aux yeux de la mission, une politique pénale inadaptée au phénomène.
Lorsque des peines en milieu fermé, qui ne doivent pas être systématiques, sont prononcées, le recours à des peines mixtes tournées vers la réinsertion doit être privilégié. Comme l'ont relevé divers représentants associatifs et magistrats, les sorties « sèches » constituent la pire option , et mènent « soit au réseau, soit à d'autres activités illicites, comme la prostitution » (association Aurore). Pour les éviter, Mme Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces a rappelé que « la nouvelle loi de programmation et de réforme pour la justice 48 ( * ) permet aux juges de prononcer de nouvelles catégories de peines dans ce souci de réinsertion, qui apparaissent particulièrement adaptés au profil des mules, qui se caractérise par une multitude de problématiques et facteurs de risques de récidive (éducation, contexte socioéconomique, absence de lien relationnel), pointés par l'étude de Mme Guéda Gadio, dont nous avons eu connaissance ». À cet égard, le nouvel article 132-41-1 du code pénal créé un sursis probatoire renforcé , applicable « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un crime ou délit puni d'une peine d'emprisonnement et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ». Dans un tel cas, particulièrement adapté aux passeurs, « la juridiction peut décider que le sursis probatoire consistera en un suivi renforcé, pluridisciplinaire et évolutif , faisant l'objet d'évaluations régulières par le SPIP, afin de prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion de la personne au sein de la société. » La peine de détention à domicile sous surveillance électronique (article 131-4-1 du code pénal), enrichie d'un accompagnement sanitaire ou social, ainsi que le recours à l'article 723-15 du code de procédure pénale permettant une continuité de l'accompagnement par le SPIP en milieu fermé et en milieu ouvert constituent également des dispositifs adaptés.
Ces dispositifs devront donc faire l'objet d'une pleine appropriation par les juridictions. Le principal obstacle reste lié au manque de ressources disponibles pour les faire exécuter, et à la force du tissu associatif et des SPIP.
Afin d'optimiser leur temps de détention, ces détenus doivent être prioritaires dans l'orientation et l'intégration vers les dispositifs internes à la détention (travail, scolaire, formation professionnelle...), et également vers l'ensemble des partenaires du SPIP. Le SPIP du Val-de-Marne indique ne pas être suffisamment outillé pour mettre en place un suivi individualisé pleinement adapté à ce public. À cet égard, la mission estime nécessaire la mise en place d'une formation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sur le contexte culturel, géographique, sociologique des mules et des réseaux opérant en Guyane, qui leur permettrait de mieux appréhender l'ensemble des spécificités liées à cette population et à son territoire. La création d'un poste de référent Mission locale et Pôle emploi au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, dont le champ de compétences serait la prise en charge personnalisée de ce public, apparaît également souhaitable. En Guyane, il est impératif qu'une réponse à l'absence de financement de la formation professionnelle en prison soit trouvée à brève échéance.
Les liens entre les associations franciliennes et celles implantées en Guyane menant des actions de réinsertion, comme l'AKATIJ, sont inexistants . De ce point de vue, la future structure de coordination devra impérativement intégrer un volet réinsertion incluant les associations prenant en charge des passeurs de cocaïne dans l'Hexagone désireux de se réinsérer en Guyane.
Comme la politique de prévention, la politique de réinsertion ne fait l'objet d'aucune coordination . Si la structure de coordination évoquée supra devra prendre en compte la prévention de la récidive, un rôle de maître d'oeuvre devrait être pleinement dévolu au SPIP de Guyane, avec un renforcement des moyens humains et financiers permettant la concrétisation de dispositifs adaptés aux spécificités de ce public.
De manière plus générale , la mission estime que le lieu d'incarcération devrait être déterminé en fonction du projet de réinsertion, et non du lieu d'interpellation comme c'est aujourd'hui le cas. Le transfèrement des détenus incarcérés à Fresnes et ayant un projet de réinsertion crédible en Guyane devrait à cet égard être rendu possible. De même, l'ouverture d'un centre pénitentiaire à Saint-Laurent du Maroni, dont la livraison est prévue en 2025, pourrait constituer un élément favorable à la réinsertion des publics souhaitant rester dans l'Ouest guyanais.
Enfin, la mission d'information estime qu'une réflexion doit être menée sur la pertinence des amendes douanières . Ces amendes étant calculées en fonction de la quantité et de la valeur des produits stupéfiants transportés, elles ne laissent aucune place à une individualisation de la peine prononcée. Leur paiement peut, en outre, constituer un mobile de récidive.
* 40 Agence Phare, La prévention du phénomène des mules en Guyane, avril 2019.
* 41 Ibid.
* 42 Ibid.
* 43 Environ 750 bénéficient du dispositif « Garantie jeunes ».
* 44 RSMA de Guyane
* 45 Le service militaire adapté : un dispositif indispensable au développement des outre-mer, rapport d'information n° 329 (2018-2019) de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, fait au nom de la commission des finances du Sénat - 20 février 2019.
* 46 Le taux de sélectivité du RSMA de Guyane est aujourd'hui faible (1,23 candidat par place en 2019), ce qui a mené son commandement à relativiser la pertinence d'une montée en puissance des effectifs. L'évolution démographique devrait toutefois entrainer un élargissement du vivier à partir des années 2021-2025. Par ailleurs, une plus grande communication à l'attention des publics éloignés de l'emploi pourrait augmenter le nombre de candidatures.
* 47 Le volet répressif et dissuasif devant notamment s'appuyer sur la saisine de la marchandise.
* 48 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.