II. UN PROBLEME PARTIELLEMENT PRIS EN COMPTE

A. UNE RÉPONSE DE L'ÉTAT PRINCIPALEMENT AXÉE SUR LE RENFORCEMENT DU VOLET RÉPRESSIF

1. Un renforcement des structures et des moyens

Alors que le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane commençait à saturer les forces de sécurité, il a été décidé en janvier 2017 de créer un détachement de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) à Cayenne 24 ( * ) . L'ouverture de cette antenne a permis de rapprocher les services d'enquête et les services de constatation et d'augmenter significativement le nombre d'interpellations prises en charge par l'antenne de police judiciaire de Cayenne, qui est passé de 356 en 2017 à 574 en 2018 (476 en 2019).

Ce détachement, devenu détachement de l'Office antistupéfiants (OFAST) avec la transformation de l'OCRTIS en OFAST en janvier 2020, est composé à ce jour de 9 policiers et de 3 gendarmes - l'affectation d'un quatrième gendarme étant prévue au 1 er septembre 2020.

La même année au printemps, une crise sociale aigue a éclatée en Guyane. La hausse du sentiment d'insécurité ainsi que la détérioration du contexte économique ont conduit de nombreux Guyanais dans la rue entre le 20 mars et le 21 avril 2017. Pour répondre aux revendications de la population, les accords de Guyane ont été signés le 21 avril 2017 . Ceux-ci contenaient plusieurs mesures relatives au trafic de stupéfiants . L'État s'était ainsi engagé, en réponse aux demandes guyanaises, à augmenter les effectifs des forces de sécurité intérieure sur le territoire de la collectivité, à mettre en place des barrages mobiles sur les principales routes de Guyane, et à installer un échographe à l'aéroport de Félix Éboué destiné à détecter la cocaïne ingérée par les passeurs.

Ces différentes mesures ont été déployées et renforcées par la mise en oeuvre du protocole interministériel (cf infra ). Celui-ci a en effet conduit au renforcement de la brigade de gendarmerie de Saint-Laurent-du-Maroni et à la création d'une antenne de l'OFAST à l'aéroport d'Orly .

La création d'une structure de l'OFAST à Orly

Créée en 2006, la brigade des plateformes aéroportuaires (BPA) de l'OFAST gère les saisies douanières des deux principaux aéroports d'Ile-de-France - Orly et Roissy Charles de Gaulle - situés respectivement sur les ressorts des tribunaux judiciaires de Créteil et de Bobigny.

vec l'explosion des filières guyanaises, la BPA a vu son activité doubler entre 2017 et 2018, passant de 146 à 290 interventions à l'aéroport d'Orly. En 2019, plus de 300 passeurs en provenance de Guyane ont été interpellés.

Il a donc été décidé de créer un groupe de la BPA à l'aéroport d'Orly au 1 er septembre 2019, doté de 8 agents. Cette structure s'est avérée indispensable pour éviter les trop nombreux trajets depuis Roissy, mais également pour préserver les capacités d'action sur Roissy.

Le groupe d'Orly gère aujourd'hui 40 % des interpellations de passeurs de cocaïne dans l'Hexagone.

2. Un renforcement de la coordination interministérielle

Face à l'augmentation du trafic de cocaïne en provenance de Guyane, un renforcement de la coordination interministérielle s'est avéré indispensable.

Issu tant des travaux du groupe de travail interministériel mené par la MILDECA entre 2016 et 2018 que des propositions du préfet et du procureur de Guyane, un protocole de mise en oeuvre du plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane a vu le jour le 27 mars 2019 . Ce protocole a pour ambition de renforcer et mieux coordonner les efforts des différents acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane , en instituant une démarche coordonnée depuis la frontière avec le Suriname jusqu'au territoire hexagonal.

Le plan d'action prévoit un renforcement des contrôles dès la frontière avec le Suriname, une augmentation des effectifs des forces de sécurité intérieure, une intensification des ciblages et des contrôles douaniers en aéroports, tant en provenance de Guyane qu'au retour sur l'ensemble du territoire, l' ouverture de nouvelles chambres carcérales au centre hospitalier de Cayenne , et la mise en oeuvre d'une politique pénale de fermeté .

Ainsi, des dispositifs de contrôle mobiles ont été mis en place en complément du point de contrôle routier d'Iracoubo, où les douanes ont également installé un système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI) permettant d'identifier les véhicules des trafiquants.

Ce plan d'action, initialement prévu pour six mois, a été reconduit à deux reprises et intégré au Plan national de renforcement de la lutte contre les stupéfiants, présenté en septembre 2019 et piloté par l'OFAST. En février 2020, la prolongation du plan a été demandée avec la mise en oeuvre d'opérations de contrôle renforcé au deuxième semestre, ainsi que la fixation d'objectifs de dissuasion et d'interception pour 2020 réévalués par rapport à 2019.

La mise en place de ce plan d'action a permis de redynamiser l'action des services de lutte contre le trafic de stupéfiants , en institutionnalisant la coopération entre les différents acteurs, mais également entre la Guyane et l'Hexagone.

En Guyane, les capacités des services étant moins importantes qu'à Paris, la situation nécessite une coordination accrue des autorités judiciaires et administratives. L'importance du phénomène a donc justifié la mise en place d'une instance ad hoc au niveau local en mars 2019. Il s'agit du groupe local de traitement de la délinquance , dédié au pilotage de la réponse locale de l'État au phénomène et co-présidé par le préfet et le procureur de Guyane.

L'articulation de l'action de la douane avec les autres acteurs de la lutte
contre le trafic de stupéfiants à l'aéroport de Félix Éboué

J-3 à J0 : la douane cible les passeurs potentiels sur la base des données passagers. Le ciblage est partagé :

- localement avec la police aux frontières et l'OFAST dans le cadre de la politique de dissuasion mise en place par la préfecture de Guyane ;

- au sein des services douaniers dans le cadre de la lutte douanière longitudinale ou axiale.

J0 : la douane procède à des fouilles :

- des personnes et de leurs bagages dans l'aérogare, avant et lors de la phase enregistrement ;

- des bagages lors de leur transfert vers la soute de l'avion, notamment au moyen d'équipes cynophiles ;

- des personnes et de leurs bagages lors de l'embarquement, après les contrôles de sûreté et de police.

En cas de découverte, la cocaïne est saisie et remise avec la personne à l'OPJ désigné par le parquet en vue d'engager la procédure judiciaire.

Au sein de la douane, la direction des opérations douanières, dépendant du service de renseignement des douanes, peut décider en cas de soupçon de trafic international plus important et en vue de démanteler les réseaux correspondants, d'effectuer des livraisons surveillées sur le territoire hexagonal, à la suite de constatations réalisées dans le fret express ou postal ou de surveiller un passeur de cocaïne au-delà de l'aéroport afin d'identifier ses complices.

Source : direction régionale des douanes de Guyane

3. De nouveaux moyens juridiques

Parallèlement au renforcement des contrôles à la suite des évènements de Guyane du printemps 2017 et au plan d'action interministérielle de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane, de nouveaux moyens d'action et de dissuasion ont été mis en oeuvre .

Des moyens procéduraux, tout d'abord. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a institué la possibilité pour un agent des douanes de convoquer en justice un prévenu sur instruction du procureur de la République . Cette convocation, qui vaut citation en justice, permet de passer directement de la procédure douanière à la phase de jugement sans qu'il ne soit nécessaire de faire intervenir un officier de police judiciaire 25 ( * ) . Il s'agit de permettre l'allégement des procédures, dans un souci d'efficacité.

Des interdictions réglementaires de vols , ensuite. En complément des mesures d'interdiction de vol déjà mises en place par l'autorité judiciaire, le préfet de Guyane a mis en oeuvre une procédure administrative de refoulement. Sur la base d'une audition diligentée par la police aux frontières, en cas d'indices concordant allant d'une méconnaissance de la finalité du trajet à des réponses évasives sur l'objet du voyage et les points de chute locaux en passant par les modalités d'achat du billet, le passager suspecté peut faire l'objet d'une interdiction de vol prononcée par arrêté préfectora l, fondée sur des risques réels et sérieux qu'il participe à un trafic de stupéfiants.

Ce dispositif, mis en oeuvre pour la première fois en février 2019, se basait initialement sur un simple ciblage, sans audition de la personne. Le tribunal administratif de Cayenne a annulé, le 28 mai 2019, deux arrêtés préfectoraux pris sur ce fondement, au motif que ces mesures ne pouvaient être considérées comme « adaptées, nécessaires et proportionnées ». À la suite de cette annulation par la justice administrative, la préfecture a repensé le dispositif afin de mieux assurer la personnalisation de la sanction ainsi que le respect des droits de la défense, en introduisant une audition menée par la police aux frontières. Le tribunal administratif, saisi d'un de ces nouveaux arrêtés, a considéré qu'en raison des nombreuses et sérieuses contre-vérités indiquées par le passager au cours de son audition, le préfet de la Guyane avait correctement considéré qu'il existait une forte probabilité que cette personne participe au trafic de cocaïne à destination de l'Hexagone. Dès lors, le préfet avait légalement pu interdire au requérant, pendant une durée de trois jours, l'accès aux avions en partance de l'aéroport Félix Éboué.

814 arrêtés d'interdiction de vol ont été pris au cours de l'année 2019 et 4 521 personnes ne se sont pas présentées à l'embarquement - on parle de « no show ». Cela représente 2 500 personnes supplémentaires par rapport au nombre de no show habituel, que l'on ne peut qu'imputer au caractère dissuasif des arrêtés préfectoraux et des dispositifs de contrôle aux abords et dans l'aéroport.

Sur les six premiers mois de 2020 , et malgré la période de confinement, le bilan quantitatif du dispositif reste conséquent : 138 arrêtés ont été pris, et 3 253 no show ont été décomptés .

Cette stratégie du « bouclier » permet donc des résultats conséquents : sur la base d'une quantité moyenne de 2,1 kg (3,2 kg en 2019) par personne interpellée, 814 arrêtés et 2 500 no shows supplémentaires représente potentiellement 7 tonnes de cocaïne retirée du marché . Ce chiffre doit être comparé aux 2,2 tonnes de cocaïne saisies aux aéroports de Félix Eboué et d'Orly en 2019.

Cette stratégie, si elle est efficace, présente toutefois deux inconvénients : une certaine fragilité juridique, et l'absence de saisie de la cocaïne, le produit restant aux mains des trafiquants.

4. L'installation des scanners à ondes millimétriques

L'installation d'un appareil de type « scanner corporel » à l'aéroport Félix Eboué est une revendication de longue date des collectifs de lutte contre l'insécurité en Guyane . Leur objectif serait que tous les passagers soient contrôlés de façon systématique, afin de détecter l'ensemble des passeurs de cocaïne.

A leur demande, l'installation d'un échographe à l'aéroport de Félix Éboué , permettant de voir la drogue ingérée ou insérée, a été prévue par les accords de Guyane signés en 2017. Acheté par l'État en août 2017, cet appareil a été installé mais n'a jamais été utilisé , du fait de l'absence de locaux adéquats, du manque de praticiens hospitaliers pour le mettre en oeuvre et du coût dissuasif, de l'ordre de 500 euros de l'heure, des prestations médicales associées. Par ailleurs, l'utilisation du dispositif aurait conduit à privilégier le contrôle des passeurs de stupéfiants transportant la drogue in corpore , favorisant ainsi le passage de plus grandes quantités dans les bagages et à corps. Le traitement des mules in corpore est par ailleurs plus contraignant pour les acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants, pour des quantités transportées moindres.

L'installation d'un scanner corporel à ondes millimétriques permettant de détecter la cocaïne transportée à corps était donc revendiquée. Cette proposition avait d'ailleurs été reprise par la commission des lois du Sénat dans son rapport sur la Guyane de février 2020 26 ( * ) eu égard au caractère dissuasif d'un tel dispositif, un appareil du même type étant utilisé dans certains aéroports américains ou plus récemment au Suriname.

Deux scanners à ondes millimétriques ont été commandés - cofinancés par l'État et la Collectivité territoriale de Guyane - et installés à l'aéroport Félix Eboué le 17 juin 2020 . Ils sont utilisés pour confirmer la présence de cocaïne dès lors que le portique métallique a identifié des masses suspectes. Ils permettent de détecter les produits stupéfiants fixés sur le corps de la personne, notamment lorsque des subterfuges sont utilisés pour augmenter artificiellement la masse corporelle. Ces deux mesures - arrêtés d'interdiction de vol et scanners à ondes millimétriques - sont considérés par l'ensemble des interlocuteurs entendus comme des moyens de dissuasion efficaces du passage de cocaïne .

Elles sont complémentaires des techniques de ciblage utilisées par la douane et des contrôles plus traditionnels mis en oeuvre par les forces de sécurité .


* 24 La Guyane dépendait antérieurement de l'antenne OCRTIS de Fort-de-France.

* 25 Article 365-1 du code des douanes.

* 26 Proposition n° 16 du rapport d'information n° 337 (2019-2020), Pour une grande loi Guyane : 52 propositions , de MM. Philippe BAS, Mathieu DARNAUD, Jean-Luc FICHET, Mme Sophie JOISSAINS et M. Thani MOHAMED SOILIHI, fait au nom de la commission des lois, publié le 19 février 2020. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-337-notice.html .

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