IV. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Le groupe de travail « Enseignement supérieur » de la commission de la culture animé par Stéphane Piednoir (Maine-et-Loire, LR) est composé de Mireille Jouve (Bouches-du-Rhône, RDSE), Guy-Dominique Kennel (Bas-Rhin, LR), Laurent Lafon (Val-de-Marne, UC), Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine, CRCE), Olivier Paccaud (Oise, LR), Sylvie Robert (Ille-et-Vilaine, socialiste et républicain).
Le groupe de travail « enseignement supérieur » a été mis en place à l'initiative du bureau de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat le mardi 14 avril 2020, dans l'objectif de suivre la gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 pour le secteur de l'enseignement supérieur.
Ce groupe de travail a auditionné la Conférence des présidents d'université (CPU), la Conférence des doyens des facultés de médecine, la Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI), la cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche responsable du comité de pilotage chargé de réorganiser le calendrier des concours post-classes préparatoires, la présidente du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous). Trois grands thèmes ont constitué le fil conducteur de ces auditions : la continuité pédagogique, l'organisation des examens et des concours, l'accompagnement sanitaire et social des étudiants. Ce sont principalement sur ces sujets que le groupe de travail s'est attaché à dresser un constat et formuler des recommandations. Le groupe de travail a également tenu à mettre en exergue des problématiques complémentaires qui devront impérativement être traitées dans le cadre de la crise actuelle.
A. UNE GESTION DE LA CRISE GLOBALEMENT RÉACTIVE ET CONCERTÉE
La gestion de la crise sanitaire dans les établissements d'enseignement supérieur, tous fermés depuis le 16 mars dernier, s'est concentrée, dans les premières semaines, sur trois grandes priorités : la continuité pédagogique, la réorganisation des examens et des concours, le suivi sanitaire et social des étudiants.
De ses auditions, le groupe de travail dresse le constat d'une réponse globalement réactive et concertée de la part du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), doublée d' une implication très forte des acteurs du secteur sur le terrain .
1. Un enseignement à distance mis en place dans l'urgence et appelé à durer
À l'annonce de la fermeture des établissements et de la mise en oeuvre du confinement, la continuité pédagogique est apparue comme une priorité absolue . Les établissements s'y sont attelés dans l'urgence, souvent sans y avoir été préparés. Ils ont dû, en un temps très compté, basculer d'un enseignement reposant sur le face-à-face pédagogique à un enseignement à distance requérant la maîtrise, par les enseignants et les étudiants, d'outils numériques jusqu'alors utilisés qu'en complément des méthodes d'enseignement et d'apprentissage traditionnelles. À ce sujet, le groupe de travail salue l'incroyable mobilisation et la capacité d'adaptation des équipes tant pédagogiques qu'administratives pour accompagner les étudiants dans ce passage au « tout virtuel ».
Afin d'aider les établissements dans leurs démarches, la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) a élaboré et mis à leur disposition un ensemble de fiches pratiques, régulièrement actualisées, sur l'environnement et les ressources d'enseignement à distance. Ce recueil, disponible sur le site de la direction générale 2 ( * ) , est un précieux outil d'accompagnement qu'il conviendra d'enrichir et de pérenniser.
Le groupe de travail estime que le basculement du présentiel vers le distanciel s'est relativement bien passé dans la mesure où il s'est opéré dans une situation contrainte . Les établissements ont fait preuve de réactivité, d'engagement et d'initiative pour assurer leur mission dans un contexte inédit. Il s'agit bien sûr là d' un constat général qui ne doit masquer ni la diversité des situations selon les structures, ni les difficultés rencontrées (cf. infra) .
La décision prise par l'exécutif de la non-reprise des cours en présentiel dans les établissements d'enseignement supérieur d'ici l'été, implique de facto une poursuite et une consolidation des nouvelles pratiques pédagogiques mises en oeuvre. Pour le groupe de travail, il y aura assurément un avant et un après crise du Covid-19 dans l'appropriation, par le supérieur, de l'enseignement à distance . La crise pourrait être un accélérateur d'évolution, certes subi, mais bénéfique pour l'avenir .
2. Une réorganisation nécessaire mais délicate des examens et des concours
Le maintien des épreuves de fin d'année , qu'il s'agisse d'examens ou de concours, constitue la garantie de la qualité des formations . À ce titre, toute neutralisation ou validation automatique de l'ensemble des enseignements est exclue. Mais les circonstances exceptionnelles actuelles obligent à adapter les modalités d'évaluation des connaissances. Tel est le sens de l'ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 sur les modalités de déroulement des examens et concours, prise en application de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et sur laquelle le groupe de travail, comme l'ensemble de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a exercé sa mission de contrôle.
a) Les examens à l'Université
Traditionnellement, les mois d'avril et de mai sont synonymes, dans le monde universitaire, de périodes consacrées aux évaluations des étudiants, souvent sous forme d'examens sur table. Cette année, distanciation sociale oblige, les procédures sont à revoir.
La première préoccupation du Mesri, comme celle de nombre d'établissements, a été de maintenir le calendrier de l'année académique en cours , et de ne pas empiéter sur celui de la rentrée prochaine. De ce fait, les universités ont dû travailler rapidement à une réorganisation des épreuves, ce qui a représenté un travail colossal, mené formation par formation.
L'ordonnance du 27 mars leur permet , dans ce contexte d'urgence, et conformément au principe d'autonomie, de modifier et d'adapter leurs modalités de contrôle des connaissances , à condition d'en informer les étudiants au moins quinze jours avant l'examen. Dans un courrier en date du 20 avril 2020 adressé aux chefs d'établissements, la ministre les invite à procéder à de telles adaptations autant que nécessaire, dans le cadre de trois orientations : la réduction du recours aux épreuves en présentiel au profit d'évaluations à distance en utilisant le contrôle continu et/ou en mobilisant des travaux à domicile ; en cas de maintien d'épreuves en présentiel , d'une part, la nécessité de les organiser entre le 20 juin et le 7 août afin de limiter les perturbations sur l'année universitaire 2020-2021 et de prendre en compte les contraintes matérielles qui pèsent sur les étudiants, d'autre part, le respect de règles très strictes d'organisation pour assurer la sécurité sanitaire des étudiants et des personnels mobilisés.
Le groupe de travail approuve ces orientations de bon sens , justifiées par le caractère exceptionnel de la situation. Elles ont également le mérite de poser un cadre général et national, indispensable à une nécessaire harmonisation des pratiques, dans le respect de l'autonomie des universités .
b) Les concours post-baccalauréat et post-classes préparatoires
Alors que certaines écoles post-baccalauréat devaient organiser, dès le mois de mars, des épreuves écrites et/ou orales pour sélectionner leurs futurs étudiants, les ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale ont annoncé, le 15 mars, que les concours post-baccalauréat étaient annulés et remplacés par des examens des dossiers . Les formations concernées sont nombreuses et diverses ; il s'agit de quelques écoles de commerce et d'ingénieurs, de certains brevets de technicien supérieur (BTS), de licences sélectives (double diplôme par exemple), de formations du paramédical (orthophoniste, orthoptiste...), de filières de l'art et du design. Avec cette décision, la sélection ne se fera qu'à partir du dossier de candidature enregistré sur Parcoursup. Le groupe de travail considère qu'il s'agit là de la moins mauvaise des solutions , compte tenu des incertitudes sur la possibilité de tenir, avant la fin du mois de juin, des concours réunissant parfois plusieurs centaines de candidats sur une durée conséquente.
La réorganisation des concours post-classes préparatoires , quant à elle, a été confiée à un comité de pilotage , dirigé par Caroline Pascale, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. Sa mission était de parvenir à une vision concertée et convergente des concours. L'absence de coordination aurait en effet présenté le risque de voir chaque école adopter sa propre stratégie, ce qui aurait nuit à la cohérence d'ensemble du système et, in fine , porté préjudice aux candidats.
Lors de son audition par le groupe de travail, Caroline Pascale a détaillé la méthode et la feuille de route du comité . La première a consisté en une concertation avec les écoles pour connaître leurs besoins et recueillir leurs propositions, puis en l'élaboration de différents scenarii soumis à l'arbitrage des ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale. La seconde était guidée par quatre impératifs : une incidence minimale voire nulle sur la rentrée 2020, la préservation de l'ordre initial de passation des épreuves selon les écoles, la prise en compte des disparités dans les conditions de confinement des candidats, le maintien de la pause estivale tant pour les étudiants que pour les personnels mobilisés dans l'organisation des concours. À partir des échanges entre les écoles, deux scenarii ont émergé, l'un privilégiant un calendrier très étendu (du 8 juin au 20 août), l'autre, un calendrier plus ramassé (du 20 juin à fin juillet). C'est finalement sur ce deuxième scénario que s'est porté le choix des ministres. Le 17 avril, ces derniers ont annoncé que les concours auraient lieu du 20 juin au 7 août , la mobilisation de la première semaine d'août permettant aux équipes administratives et pédagogiques de finaliser leurs procédures de sélection.
Ce nouveau calendrier, concentré sur un peu plus d'un mois, emportait nécessairement d'arbitrer sur le maintien ou non des épreuves orales . Alors que certaines écoles, en particulier de commerce, avait déjà collectivement décidé de tirer un trait sur celles-ci, il est apparu que leur organisation en présentiel n'était pas compatible avec le calendrier choisi. Le passage au distanciel aurait, de son côté, représenté une opération beaucoup trop lourde. Pour ces raisons, la très grande majorité des écoles a décidé de renoncer aux épreuves orales et d'admettre leurs futurs étudiants sur la base des seules épreuves écrites.
Pour le groupe de travail, le comité de pilotage est une réussite car il a su faire émerger un consensus loin d'être acquis au départ . La logique collective a prévalu sur les comportements de « cavalier seul ». Il salue, à ce titre, le travail d'écoute et de synthèse remarquable effectué par Caroline Pascal et le sens des responsabilités des dirigeants des écoles.
Le groupe de travail considère que la suppression des épreuves orales était une décision difficile à prendre au regard de la plus-value qu'elles apportent dans le processus de sélection des candidats, mais qu'elle était rendue nécessaire par l'exceptionnalité de la situation . Il estime toutefois que cette décision ne doit en aucun cas être préfiguratrice d'une remise en cause des oraux à l'avenir. Il tient par ailleurs à alerter sur les probables conséquences de la suppression des épreuves orales , en particulier les entretiens de personnalité et de motivation, sur la composition de la cohorte 2020 des écoles, qui pourrait être moins en adéquation avec les profils recherchés . Les années de formation en école devraient cependant permettre de rectifier cette situation, d'autant que les étudiants recrutés après une classe préparatoire sont encore très jeunes.
S'agissant des concours externes de recrutement de l'éducation nationale , dont les épreuves écrites d'admissibilité n'ont pas pu avoir lieu du fait du confinement, et pour lesquels les épreuves orales d'admission ont été supprimées et remplacées par un oral de titularisation à l'issue de l'année de stage , le groupe de travail s'interroge sur la pertinence d'une telle mesure pour des personnes qui s'apprêtent à enseigner dès la rentrée prochaine . La suppression des oraux paraît, qui plus est, totalement incohérente pour certaines spécialités comme celle des langues vivantes.
3. Un accompagnement sanitaire et social des étudiants réactif et coordonné
a) Les premières mesures d'urgence
Les étudiants, au premier rang desquels les plus précaires, sont tout particulièrement affectés par les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19. Dès l'annonce du confinement, nombre de ceux logés en résidence étudiante ont souhaité légitimement rejoindre leurs familles de manière précitée. Ils y ont été encouragés par la décision du ministère d'autoriser le Cnous à prendre des mesures dérogatoires aux règles de gestion locative applicables aux résidences comme la levée du préavis de départ contractuel d'un mois et la suspension du loyer pour le mois d'avril, voire les mois suivants en cas de non-retour dans les logements.
D'autres étudiants ont décidé de rester dans leur résidence, par choix ou par absence de solution alternative. La première urgence a donc été de s'assurer de leur présence - certains ne s'étant pas signalés - et de s'enquérir de leur état de santé . Une campagne générale de recensement a été organisée au moyen d'envoi de messages téléphoniques et électroniques, d'opérations d'appels, d'actions de porte à porte. La présidente du Cnous a indiqué au groupe de travail que sur les 175 000 logements des Crous, environ 50 000 étudiants y avaient été confinés, leur pourcentage variant de 20 % à 50 % selon les structures. Ce recensement s'est accompagné de deux mesures corollaires : le renforcement du soutien psychologique via la possibilité de consultations à distance avec les assistantes sociales du réseau et la mise en place d'actions pour maintenir le lien avec les étudiants (distributions de colis alimentaires et de matériels, animations en ligne...) à l'initiative des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), mais aussi des associations étudiantes et des collectivités territoriales. Aucune résidence étudiante n'a été fermée et les services de première nécessité ont été maintenus (nettoyage des locaux, surveillance des lieux, distribution de repas).
Sur le plan sanitaire, la mobilisation , par décret ministériel 3 ( * ) , des services de santé universitaires (SSU) a été décisive pour assurer , en collaboration avec les Crous, les établissements d'enseignement supérieur, les agences régionales de santé (ARS) et les centres de santé de proximité, le suivi sanitaire des étudiants isolés et ceux confinés en résidences . La présidente du Cnous a indiqué au groupe de travail que, fin avril, le nombre d'étudiants malades du Covid-19 se chiffrait à une dizaine par académie et qu'aucun foyer épidémique n'était à déplorer dans les résidences étudiantes. Elle a toutefois noté la difficulté qu'il y avait parfois à faire respecter les gestes barrières par les étudiants.
Le groupe de travail salue la très forte mobilisation des personnels des Cnous, des Crous, des SSU, ainsi que des bénévoles associatifs, qui, en distanciel ou en présentiel, ont continué à assurer leurs missions dans un contexte très anxiogène. Il souligne également que ces circonstances exceptionnelles ont favorisé un travail collaboratif particulièrement précieux entre les différents acteurs du secteur, qu'il conviendra d'entretenir.
b) Les mesures de soutien financier aux étudiants
Sur le plan social, quatre leviers ont été activés pour venir en aide aux étudiants, qu'ils aient ou non été confinés en résidences étudiantes :
• les aides spécifiques d'urgence des Crous ont été abondées de 10 millions d'euros supplémentaires par le ministère. Les dossiers de demande ont été simplifiés et le montant maximum des aides augmenté, passant de 200 à 500 euros. Selon les informations communiquées par la présidente du Cnous lors de son audition, le nombre d'aides versées a été multiplié par deux en quelques semaines. S'il est encore trop tôt pour disposer d'une typologie exhaustive de l'usage de ces aides, 30 % d'entre elles étaient, dans les premières semaines, destinées à participer au paiement des loyers (des Crous ou du parc privé). La présidente du Cnous a également expliqué que les assistantes sociales des Crous travaillaient à partir de dossiers d'instruction simplifiés et sur le périmètre le plus large possible afin de couvrir le maximum d'étudiants dans des délais accélérés ;
• dans les universités, les ressources issues de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) ont été mobilisées à hauteur de 80 millions d'euros pour soutenir les étudiants en difficulté, boursiers ou non, par le biais de nombreuses actions comme des épiceries solidaires, des chèques alimentaires ou des bons d'achat de matériel informatique pour le suivi des cours à distance ;
• s'agissant des bourses , la présidente du Cnous a indiqué au groupe de travail qu'elles avaient été versées dans les temps aux mois de mars et d'avril grâce à la continuité du service assuré par les personnels placés en télétravail. Se pose désormais la question d'un éventuel maintien du droit à bourse en juillet pour les étudiants qui seraient mobilisés par des examens ou des concours ; ce sujet est en cours d'étude au ministère. Les demandes de bourses pour la rentrée prochaine sont, quant à elles, en phase d'instruction ;
• enfin, le 4 avril dernier, le Premier ministre a annoncé au Sénat l'octroi d' une aide exceptionnelle aux jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes . Cette aide de 200 euros, qui sera versée en juin, concernera 800 000 jeunes, dont 400 000 étudiants boursiers ou non. Sont ciblés ceux ayant perdu leur travail ou leur stage gratifié en raison du confinement, les étudiants ultramarins boursiers ou non boursiers qui n'ont pas pu rentrer chez eux, ainsi que les jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes qui touchent l'aide personnalisée au logement (APL). Cette mesure ne sera pas cumulable avec d'autres dispositifs mis en place par le Gouvernement comme le chômage partiel ou l'aide aux autoentrepreneurs, et viendra en complément des bourses et des aides d'urgence. Sur ces non-possibilités de cumul, le groupe de travail demande à ce qu'une information très précise soit délivrée aux jeunes .
L'ensemble de ces aides constitue un premier filet de sécurité indispensable pour faire face aux répercussions économiques et sociales de la crise sur les étudiants. Le groupe de travail s'interroge cependant sur leur financement qui, à ce stade, demeure encore très flou ( cf. infra ).
* 2 https://services.dgesip.fr/fichiers/PlanContinuitePedagogiqueDGESIP_150420.pdf
* 3 Décret n° 2020-273 du 18 mars 2020 relatif aux missions des services de santé universitaires dans le cadre de la lutte contre le virus Covid-19.