C. DES RENDEMENTS CONTRASTÉS

1. Comprendre la notion de taux de retour énergétique (TRE)

Il existe plusieurs manières d'étudier et comparer les énergies entre elles, leurs caractéristiques étant diverses. En effet, il est possible de comparer les énergies sous l'angle de leur efficacité énergétique, de leur rendement, de leurs coûts de production, des revenus qu'elles génèrent, de leur impact environnemental comme nous venons de le voir, ou encore des avantages et inconvénients qu'elles offrent. Le rendement est défini d'un point de vue scientifique 144 ( * ) comme une grandeur sans dimension qui caractérise l'efficacité d'une transformation, physique ou chimique, le plus souvent la conversion d'une forme d'énergie en une autre. Il s'agit donc d'un rapport entre l'efficacité énergétique d'un système et son efficacité théorique maximale (on parle alors de « rendement comparatif »). De manière plus limitée, le rendement mesure le rapport entre l'énergie recueillie en sortie et l'énergie fournie en entrée (on parle alors de « rendement de conversion »), ce qui conduit à ne plus distinguer l'efficacité thermodynamique du rendement thermodynamique. En pratique, il faut de plus distinguer le rendement effectif (ou « industriel »), effectivement mesuré, du rendement thermodynamique issu de la théorie et du calcul 145 ( * ) .

Ces différentes définitions du rendement rendent son évaluation concrète plus délicate mais il est intéressant d'étudier les énergies en fonction de leurs rendements, voire de leurs rentabilités économiques, car ces deux facteurs sont généralement liés.

Il existe donc plusieurs manières de calculer les rendements énergétiques . Selon Total, le rendement énergétique d'une machine correspond au « rapport entre la valeur énergétique d'une masse de matière produite et la valeur énergétique ingérée pour produire cette masse ». En d'autres termes, le rendement énergétique reflète la capacité d'une machine ou d'un matériau à fournir de l'énergie et mesure ainsi son efficacité énergétique. Pour calculer le rendement énergétique, il faut donc diviser la quantité d''énergie obtenue (énergie utile) par une machine, un appareil ou un matériau par la quantité d'énergie de départ consommée (énergie absorbée). »

Ainsi un rendement énergétique est nécessairement compris entre 0 et 1. Un rendement de 100 % serait le fait d'un système idéal qui n'a pas encore été observé à ce jour, conformément à la première loi de la thermodynamique citée en ouverture du présent rapport.

C'est pourquoi il est déconseillé d'utiliser le terme de rendement énergétique pour des machines qui permettent de recevoir et d'utiliser plus d'énergie qu'elles n'en utilisent, comme les pompes à chaleur par exemple. On parle alors d'efficacité énergétique (ou de coefficient de performance, COP). L'amalgame entre rendement thermodynamique et efficacité énergétique est cependant si courant qu'il est accepté comme le montre la définition précédente de Total.

La notion de rendement énergétique s'applique à une chaîne énergétique déterminée . Par exemple, en faisant circuler un courant électrique dans une ampoule, on peut déterminer la part de l'énergie produite sous forme de lumière et la part perdue sous forme de chaleur. Il suffit de diviser l'énergie produite sous forme de chaleur par l'énergie consommée en électricité pour obtenir le rendement de l'ampoule.

De la même manière, on peut déterminer pour une éolienne ou pour un panneau photovoltaïque la capacité de la technologie à transformer l'énergie qu'elle reçoit sous forme de vent ou de rayonnement solaire en énergie électrique.

Cependant, la notion de rendement énergétique reste liée à une technologie donnée et limite le calcul à l'énergie captée et l'énergie produite , sans prendre en considération l'énergie consommée pour construire la machine et les réseaux de transport d'électricité ensuite : elle n'incorpore pas dans son calcul l'énergie utilisée pour produire l'énergie utilisable. Ainsi, le rendement s'intéresse à la capacité de l'éolienne à produire de l'énergie électrique à partir du vent mais ne prend pas en compte la consommation d'énergie nécessaire à la fabrication et à l'installation de l'éolienne, à son entretien et aux pertes liées à la distribution de l'énergie depuis l'éolienne jusqu'au consommateur final. Il faudrait au final pouvoir être en mesure de fournir des analyses de cycle de vie (ACV) du rendement énergétique .

Pour s'inscrire dans une vision plus large de la consommation et de la production d'énergie du captage de l'énergie primaire jusqu'à son utilisation finale, l'emploi du taux de retour énergétique (TRE) , qui correspond à l'acronyme anglais EROEI ( Energy Returned on Energy Invested ) semble plus approprié. Il s'agit d'un concept fréquemment utilisé, aux implications complexes, mais qui présente un intérêt plus grand pour le présent rapport et utilise une approche moins éloignée de celle des ACV, sans en utiliser l'étendue et toute la rigueur.

La formule du taux de retour énergétique est la suivante :

L'énergie utilisable est définie comme la somme de l'énergie nette et de l'énergie dépensée, ce qui donne :

Soit :

1

Le TRE est logiquement supérieur ou égal à 1. Pour un processus ayant un TRE de 10, cela signifie que l'emploi d'une quantité d'énergie donnée d'énergie permet la production nette de 9 fois cette quantité. Un TRE élevé garantit un profit économique important : il est plus avantageux économiquement d'extraire la quantité d'énergie en investissant le moins d'énergie possible.

Si ce rapport est inférieur à 1, cela signifie que la quantité d'énergie produite utilisable est inférieure à l'énergie dépensée pour la produire. Une telle solution ne serait donc pas viable énergétiquement car elle consomme plus qu'elle ne produit 146 ( * ) .

La comparaison des différentes énergies avec le TRE n'est pas aisée, cette formule ne précisant pas jusqu'où il faut remonter dans la chaîne d'opérations intervenant dans l'exploitation d'une source d'énergie. Cela engendre des différences importantes entre les TRE d'une même énergie selon l'étude réalisée .

Dans son ouvrage Transition énergétique , paru en 2018, Bertrand Cassoret explique qu'on « constate ainsi de grosses différences entre les études concernant le nucléaire, le charbon et le gaz. Pour le nucléaire, les chiffres vont de 5 à 100 selon les ouvrages ». De même, Charles Hall, un scientifique américain, et Pedro Prieto, un ingénieur espagnol spécialisé dans le photovoltaïque, l'illustrent dans un livre publié en 2012 et intitulé Spain's Photovoltaic Revolution, The Energy Return on Investment .

Si l'on ne tient compte, comme investissement énergétique, que des panneaux et de leur installation technique (hors main d'oeuvre), le rendement énergétique de panneaux photovoltaïques est à 8 pour 1 . En revanche si l'on prend en compte toute la chaîne comprenant le transport des matériels, les fondations, les liaisons au réseau, l'entretien et la maintenance, la main d'oeuvre et la compensation des variations de production (nuit, mauvais temps, etc...) par des centrales à gaz déjà existantes, ce rendement baisse à 2 pour 1 . Cela ne prend pas en compte le fait que si les capacités installées augmentaient massivement, il faudrait mettre en place des capacités de stockage ou de compensation supplémentaires pour gérer les variations de la production.

Afin de comparer de manière optimale les énergies entre elles, il est nécessaire de respecter les mêmes règles de calcul : il ne serait par exemple pas judicieux de comparer le TRE du photovoltaïque en s'intéressant seulement à l'installation des panneaux comme énergie dépensée, avec l'éolien en prenant en compte toute l'énergie dépensée dans la construction de l'éolienne (liaison au réseau, transport des matériels, etc.).

Le TRE ne permet en effet une comparaison efficace des différentes sources d'énergie entre elles qu'à condition de respecter les mêmes critères de calcul, sachant que ces critères ne font pas consensus dans le monde scientifique et dans le monde économique . La réponse à la question des éléments consommateurs d'énergie que l'on prend en compte dans le calcul du TRE n'est toujours pas tranchée. Il faudrait dans l'idéal savoir déterminer avec précisions jusqu'où remonter la chaîne d'opération permettant la production de chaque énergie.

La complexité du calcul des taux de retour énergétique

Source : ActiVE d'après un graphique en anglais issu du site http://www.theoildrum.com.

À l'échelle microéconomique , le calcul du TRE a un impact important sur le modèle économique de tout producteur d'énergie et en premier lieu des entreprises du secteur énergétique. En effet, plus le TRE est élevé pour un processus, plus l'exploitation de ce processus annonce un profit économique important. Ainsi, si l'on peut, avec un baril de pétrole, extraire 100 barils de pétrole, cela est plus avantageux que de pouvoir en extraire 20. C'est l'évolution que les compagnies pétrolières ont connue entre le 19 e siècle et aujourd'hui.

À l'échelle macroéconomique , de nombreux économistes et scientifiques expliquent en partie le développement économique des sociétés par le TRE. Victor Court, chercheur de la Science Policy Research Unit de l'Université du Sussex, avance ainsi que « c'est parce qu'ils généraient des surplus suffisants d'énergie avec une bonne efficacité (c'est-à-dire en peu de temps) que nos ancêtres pouvaient allouer leur temps restant à la construction d'abris, l'amélioration de l'organisation du camp, la protection des semblables, la socialisation, l'éducation, ou encore l'apport de soins aux enfants et la narration orale ». De même, Bertrand Cassoret indique dans son ouvrage précité Transition énergétique que « pour un accès correct à l'alimentation, il faudrait un EROEI de 5 ; pour le logement, il faudrait 7 ; pour un système éducatif, il faudrait 10 ; pour un système de santé, il faudrait 12, et pour l'accès à la culture et aux loisirs 14 (...). Les économistes Victor Court et Florian Fizaine ont démontré qu'un EROEI minimum de 11 était requis pour un taux de croissance économique positif ». Selon Thomas Homer-Dixon dans The Upside of Down; Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilisation , paru en 2007, que les chutes de Rome, de la civilisation Maya et de l'Empire Khmer d'Angkor sont liées à la baisse des TRE. Et pour Joseph Tainter dans L'Effondrement des sociétés complexes , publié en 2013, la contraction du TRE est une des causes principales de l'effondrement de sociétés complexes.

2. Les difficultés à déterminer les écarts de TRE par source d'énergie

Les données suivantes sont issues de trois études scientifiques différentes et font apparaître des écarts considérables de TRE pour une même source d'énergie et nous alertent sur la vigilance dont il faut faire preuve quant à la comparaison des TRE entre plusieurs sources d'énergie, surtout si les valeurs comparées ne sont elles-mêmes pas issues de la même étude .

Les taux de retour énergétique par source d'énergie

Sources d'énergie

TRE 1

Étude Cutler J. Cleveland 147 ( * )

TRE 2

Étude David Elliott 148 ( * )

TRE 3

Étude Ian
Hore-Lacy 149 ( * )

Pétrole
- Jusqu'à 1940
- Jusqu'à 1970
- Aujourd'hui


> 100
23
8

50 - 100

Ø

Charbon
- Jusqu'à 1950
- Jusqu'à 1970


80
30

2 - 7

7 - 17

Gaz naturel

1 - 5

Ø

5 - 6

Schistes bitumineux

0,7 - 13,3

Ø

Ø

Uranium 235

5 - 100

5 - 100

10 - 60

Biomasse

Ø

3 - 5

5 - 27

Énergie hydroélectrique

11,2

50 - 250

50 - 200

Énergie éolienne

Ø

5 - 80

20

Géothermie

1,9 - 13

Ø

Ø

Énergie solaire

- Énergie solaire thermique

- Énergie solaire photovoltaïque


4,2
1,7 - 10

3 - 9

4 - 9

Éthanol, dont :

- canne à sucre

- maïs

- résidus de maïs

0,8 - 1,7
1,3
0,7 - 1,8

Ø

Ø

Méthanol (de bois)

2,6

Ø

Ø

Source : OPECST.

3. Comparaison des taux de retour énergétique des énergies renouvelables issues du monde agricole à la lumière de leurs coûts relatifs

En dépit de ces difficultés et de ces écarts considérables, il semble pertinent de comparer les TRE des énergies renouvelables issues du monde agricole à la lumière de leurs coûts relatifs .

Le coût de production prend en compte les coûts d'investissement, mais aussi les coûts d'exploitation, comprenant le fonctionnement ou la maintenance, et les coûts de raccordement au réseau.

Toutefois, le coût de production ne tient pas compte des coûts engendrés par la recherche publique ou des externalités négatives que sont par exemple les émissions de gaz à effet de serre (GES) lors de la construction des matériels d'équipement. De la même manière, les externalités positives telles que les GES évités ne sont pas valorisées et les analyses ACV ne sont pas encore généralisées.

D'autres coûts, tels que ceux liés à la variabilité des énergies renouvelables pour le système électrique, ne sont pas pris en compte, et incombent donc aux consommateurs.

Le coût de production est calculé sur une durée de fonctionnement en pleine puissance hors appoint (électrique par exemple quand il s'agit des pompes à chaleur). Cette durée de fonctionnement pleine puissance de l'équipement EnR dépend de la qualité de la ressource renouvelable au site de production. Le coût ainsi calculé varie en fonction de la durée de vie économique des installations et du taux d'actualisation choisi.

Ces coûts de production doivent également être rapprochés des tarifs d'achat pour pouvoir comparer utilement les énergies et leurs TRE . En effet, en France, EDF et les entreprises locales de distribution ont l'obligation de racheter la production d'électricité d'origine renouvelable à un montant fixé par arrêté tarifaire. Selon l'article L. 341-1 du code de l'énergie, tous les moyens de production renouvelable d'électricité (hydraulique, énergies marines, éolien, photovoltaïque, etc.) et les installations valorisant les déchets ménagers peuvent bénéficier de ce système d'obligation d'achat, dans la limite de la production maximale d'un certain wattage.

Dans l'idéal, d'un point de vue scientifique, il serait plus pertinent d'évaluer le coût d'une énergie par la quantité d'énergie à utiliser pour la produire que par son strict coût .

Le tableau synthétique suivant permet de comparer plusieurs énergies renouvelables issues du monde agricole, avec des sources croisées, selon leur TRE, leurs coûts de production et leurs tarifs d'achat.

Comparaison des énergies renouvelables selon leur TRE, leur
coût de production, leur tarif d'achat et leurs émissions de CO
2

Énergie

TRE 150 ( * )

Coûts de production 151 ( * )

(en €/MWh)

Tarifs d'achat du kWh

Émission de CO 2 152 ( * )

(en g/kWh)

Éolien terrestre

18:1

De 50 à 71 €/MWh

8,2 c€/kWh 153 ( * )

7

Photovoltaïque

De 4:1 à 10:1

De 61 €/MWh à

104 €/MWh

28,52 c€/kWh 154 ( * )

55

Biocarburants

Ethanol (canne à sucre)

Ethanol (maïs)

Diesel

De 0,8:1 à 10:1

De 0,8:1 à 1,6:1

1,3:1

Ø

Ø

Ø

Biomasse chaleur

Ø

De 47 €/MWh à

108 €/MWh

4,34 c€/kWh + prime de 7,71 à 12,53 c€/kWh 155 ( * )

Ø

Méthanisation

Ø

De 96 €/MWh à

130 €/MWh

De 11,19 à 13,37 c€/kWh + prime de 4 et 2,6 c€/kWh 156 ( * )

Ø

Solaire thermique

Ø

De 156 €/MWh à

451 €/MWh

Ø

Ø

Géothermie

De 2:1 à 13:1

De 38 €/MWh à

62 €/MWh

20 c€/kWh + prime jusqu'à 8 c€/kWh 157 ( * )

45

Hydroélectricité

De 11:1 à 267:1

De 33 €/MWh à

49 €/MWh

6,07 c€/kWh + prime de 0,5 à 25 c€/kWh 158 ( * )

6

Source : OPECST.

Plusieurs observations peuvent être formulées à la lecture de ce tableau. Tout d'abord, la comparaison des TRE est fragile et très complexe . Les chiffres qui apparaissent sont issus d'une étude de Richard Heinberg. Toutefois, d'autres études portées par David Elliott, Ian Hore-Lacy, ou encore Cutler Cleveland concluent sur des valeurs différentes même si les ordres de grandeur sont souvent comparables, à l'exception de l'énergie hydroélectrique.

En matière de TRE, il peut également être souligné que l'hydroélectricité et l'éolien ont des taux de rendement énergétique élevés alors que la géothermie a un taux de rendement énergétique assez faible en comparaison des autres énergies.

S'agissant des coûts de production, l'hydroélectricité a le coût le plus élevé (en son sein, la petite l'hydroélectricité a une longue durée de vie et est en général largement amortie), tandis que la géothermie a le coût de production le plus faible . Il faudrait aussi tenir compte de la durée de vie des installations, par exemple démanteler les éoliennes, qui ont une durée de vie assez courtes par usure et obsolescence, est coûteux.

Enfin, pour ce qui concerne leurs tarifs d'achat, reflets des choix de politiques publiques sachant qu'il ne s'agit pas des seules incitations existantes, les tarifs d'achat du photovoltaïque et de la géothermie sont les plus élevés, tandis que l'éolien et la biomasse chaleur ont les tarifs d'achat les plus faibles, la méthanisation se situant dans une position intermédiaire .


* 144 Cf. José Philippe Pérez et Anne-Marie Romulus, Thermodynamique : fondements et applications avec exercices et problèmes résolus, 1993.

* 145 Cf. Élie Lévy, Dictionnaire de physique, 1988.

* 146 Cf. Ian Hore-Lacy, Renewable energy and Nuclear power, 2003, http://www.feasta.org/documents/wells/contents.html?one/horelacy.html

* 147 Cf. l'étude de Cutler J. Cleveland : https://www.esf.edu/EFB/hall/pdfs/energy_US_economy.pdf

* 148 Cf. l'étude de David Elliott : http://www.feasta.org/documents/wells/contents.html?two/wellselliott.html

* 149 Cf. l'étude de Ian Hore-Lacy : http://www.feasta.org/documents/wells/contents.html?one/horelacy.html

* 150 Richard Heinberg, « Searching for a Miracle : “Net Energy” Limits and the Fate of Industriel Society », Post Carbon Institute Report, 2009.

* 151 Ademe, Coût des énergies renouvelables et récupération, 2019.

* 152 Ademe, Base carbone, 2014.

* 153 Arrêté du 17 novembre 2008.

* 154 Arrêté du 4 mars 2011 modifié le 7 janvier 2013.

* 155 Arrêté du 27 janvier 2011.

* 156 Arrêté du 19 mai 2011.

* 157 Arrêté du 23 juillet 2010.

* 158 Arrêté du 1 er mars 2007.

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