B. L'ANCRAGE TERRITORIAL DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE DÉPEND ÉGALEMENT DE LA FORCE D'AUTRES MAILLONS
La délégation a bien conscience que la sécurité dépend désormais d'une pluralité d'acteurs, pas forcément dans le giron de l'État (polices municipales, acteurs de la sécurité privée). Sans déléguer « le monopole de la violence physique légitime » pour reprendre la formule de Max Weber, ces forces non régaliennes se sont imposées comme complémentaires des forces traditionnelles (police, gendarmerie) donnant corps à la notion de coproduction de sécurité. Toutefois, cette « pluralisation des forces » traditionnelles ne doit pas les conduire, « au prétexte d'un recentrage sur leur coeur de métier (intervention réactive, arrestation, enquête ) » à « se décharger des tâches dites indues » ni « se désengager de la présence préventive et régulatrice sur la voie publique qui constitue l'essence même du travail de policier 78 ( * ) ».
À l'autre bout de la chaîne de la sécurité, le maillon judiciaire a également toute son importance. Sans justice pénale, la police, aussi performante soit-elle, peut se retrouver réduite à l'inefficacité. Le ministre de l'Intérieur l'a admis avec justesse devant la délégation : « Ce n'est pas de la place Beauvau que l'on peut décider de tout. Le continuum de sécurité pose aussi la question de l'articulation entre la prévention et la sanction, qui relève du ministère de la Justice. Le ministère de l'Intérieur est un pivot, mais, seul, il ne peut rien faire ».
1. L'importance d'une coordination avec d'autres politiques publiques et d'autres acteurs de la sécurité
a) L'ancrage territorial de la sécurité intérieure repose aussi sur d'autres politiques publiques et des acteurs non étatiques
La délégation sait combien le concept de sécurité repose sur un chaînage qui implique des maillons dont la nature n'est ni policière ni judiciaire. Travailleurs sociaux, médiateurs, personnels de l'éducation nationale, administration de la jeunesse et des sports, de nombreux ministères et administrations participent, déjà, en réalité à la production de la sécurité de nos concitoyens. De nombreuses politiques publiques impactent donc directement la survenance des crimes, des délits ou encore des infractions. Les conseils départementaux, acteurs publics mais non étatiques par exemple, participent pleinement, dans le cadre de leurs compétences sociales, à la prévention de la délinquance, de même que les régions s'agissant d'espaces sous leurs responsabilités comme les lycées.
La sécurisation des espaces collectifs n'est plus l'apanage non plus des seules forces de sécurité étatiques au sens strict. L'exemple de la sécurisation de la RATP dévolue au « Groupement de protection et de sécurisation réseaux » (GPSR) en témoigne, tout comme les 3 000 agents du « Service de sureté ferroviaire » (dit « Suge ») de la SNCF habilités à verbaliser les infractions à la police des transports. Dans les deux cas, leur champ d'action s'est considérablement renforcé avec la loi du 22 mars 2016 visant à renforcer la prévention et la lutte contre les actes terroristes, la délinquance, la fraude et les incivilités dans les transports collectifs 79 ( * ) . On assiste ainsi sur le terrain à un véritable mouvement de « délégation en chaîne et des glissements de missions [...] . Ces glissements transparaissent assez banalement, au gré des vacations, quand les agents de police municipale, ceux de la Suge, du GPSR ou du GPIS, voire les agents de sécurité privée lambda, se trouvent en première ligne confrontés à des situations qui relèvent parfois plus du maintien de l'ordre que de la surveillance préventive 80 ( * ) ».
La crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 a été l'occasion de mesurer la complémentarité de toutes ces forces de sécurité sur le territoire, notamment s'agissant des agents de sécurité des opérateurs de transport. Le ministre de l'Intérieur reconnait : « Pour la période de déconfinement, nous avons encore étendu les capacités à verbaliser les infractions à l'état d'urgence sanitaire, en autorisant notamment les agents de sécurité assermentés des opérateurs de transport et les policiers municipaux à verbaliser le non-port du masque ».
Au-delà des acteurs, certaines politiques publiques peuvent aussi, indirectement, impacter la sécurité de nos concitoyens, à l'image, par exemple, des politiques d'urbanisme.
Dans les plus grandes communes, la relation consubstantielle entre l'aménagement urbain et la sécurité s'illustre notamment par les études de sûreté et de sécurité publique. Ainsi, l'article L. 114-1 du code de l'urbanisme prévoit que « Les projets d'aménagement et la réalisation des équipements collectifs et des programmes de construction qui, par leur importance, leur localisation ou leurs caractéristiques propres peuvent avoir des incidences sur la protection des personnes et des biens contre les menaces et les agressions, font l'objet d'une étude préalable de sécurité publique permettant d'en apprécier les conséquences. » Les services de police et de gendarmerie sont pleinement associés à l'établissement de cette étude par l'intermédiaire de « Référents sûreté » nommés au sein des Directions départementales de la sécurité publique (DSSP). L'étude doit notamment comprendre des mesures visant à « faciliter les missions des services de police, de gendarmerie et de secours », conformément aux dispositions de l'article R. 114-2 du code de l'urbanisme. Elle s'appuie sur un diagnostic de l'insécurité qui dépasse les seules statistiques policières et vise à saisir le contexte social et urbain. Cette démarche est donc totalement plurielle et les recommandations formulées dans cette étude portent à la fois sur le domaine architectural et urbain mais aussi sur les aspects techniques de sécurité, comme le contrôle d'accès ou la vidéosurveillance.
Au-delà de la question des études, caractéristiques des grandes villes, la notion de « prévention situationnelle » est désormais pleinement intégrée par l'ensemble des collectivités territoriales. Un rapport sénatorial soulignait dès 2006 : « S'il peut paraître excessif de parler d'urbanisme criminogène en soi, on ne peut toutefois contester que l'insécurité résulte de la conjonction de différents facteurs, dont font partie intégrante le paysage urbain et la qualité esthétique de l'habitat. En effet, l'organisation et l'agencement de l'espace public peuvent faciliter la commission d'actes de malveillance en créant les conditions favorables du passage à l'acte. » 81 ( * ) La question même de la présence territoriale des forces de sécurité intérieure varie selon le degré d'urbanisation, Christian Rodriguez indiquant justement à la délégation que « pour affiner notre connaissance du besoin en effectifs, nous avons créé l'outil Ratio, qui prend en compte la population, le nombre d'interventions et le niveau d'urbanisation. »
Il faut à cet égard reconnaître que la construction des immeubles, dans les années 1960 et 1970, en particulier dans les « grands ensembles » situés en périphérie des villes, n'a pas tenu compte des risques induit par certaines architectures qui ont pu encourager la délinquance et la criminalité. En l'espèce il s'agit pour l'essentiel des constructions qui ont eu pour effet de renforcer l'enclavement territorial et d'empêcher les forces de police de circuler. Les politiques de rénovation urbaine, menée depuis « le plan Borloo », et consistant à « casser » les grands ensembles vont dans le bon sens. L'implication des bailleurs sociaux et, plus généralement, des professionnels de la construction dans le champ de la tranquillité résidentielle doit être encouragée.
Cette co-dépendance entre les besoins en sécurité intérieure et les politiques d'urbanisme engendre toutefois un écueil majeur : l'oubli parfois des territoires les moins urbanisés. Éric Morvan indique à ce propos : « La gendarmerie est confrontée à un problème de ressources humaines et réfléchit à sa réorganisation territoriale, les personnels se projetant difficilement dans les campagnes. Elle s'imagine de plus en plus basée dans la péri urbanité, en devenant une force de projection là où elle était ancrée dans les territoires. »
b) Les acteurs de la sécurité privée : un maillon à renforcer et à perfectionner
Alors que la France va continuer à accueillir de grandes manifestations sportives dans les prochaines années 82 ( * ) , la sécurisation des dispositifs ne pourra être effective que si une démarche active de coproduction mobilisant les forces de l'État, celles des collectivités, et les agents de sécurité privés, est engagée. Le recours accru à des personnels de sécurité issus d'autres forces que celles de l'État est devenu incontournable. L'enjeu est donc d'assurer leur bonne articulation, sur des champs de compétences bien identifiés, et dans une recherche d'efficacité globale. Cet enjeu dépasse, bien sûr, largement le cadre des grands évènements sportifs, et touche désormais l'ensemble des activités sur notre territoire.
Le secteur des entreprises de sécurité privée, qui a connu depuis plusieurs années d'importantes mutations, peut en effet constituer un maillon complémentaire de la chaîne de la sécurité. Il est vrai que les violences urbaines répétées, la menace terroriste omniprésente, les mouvements sociaux investis par des casseurs, ou encore le développement des cyberattaques, ont contribué à l'émergence d'un véritable « marché » de la sécurité (+ 4,2 % de croissance globale en 2016 et + 2,9 % en 2017) destiné à répondre à l'augmentation de la demande exprimée notamment par les particuliers, les commerçants, ou encore les entreprises principalement depuis 2015 83 ( * ) .
Sur un total de près de 450 000 personnes issues des forces nationales (acteurs étatiques) et des entreprises de la sécurité privée qui composent aujourd'hui le « continuum de sécurité », les acteurs employés par des sociétés de sécurité privée représentent environ 175 000 salariés. Ce secteur assure aujourd'hui des services variés liés à la prévention et à la dissuasion 84 ( * ) . Il rassemble de nombreux acteurs mobilisés dans des sphères très diverses (sociale, politique ou encore économique) de sorte que les forces de sécurité privées sont présentes dans de nombreux lieux où la police ne se trouve pas au quotidien (centres commerciaux, stades, sièges d'entreprises). L'État joue même parfois un rôle important de donneur d'ordre, en tant que « client », puisque les commandes publiques représentent un tiers de la demande du secteur.
Depuis les attentats de 2015, l'État délègue en effet, davantage de missions de sécurité à des entreprises privées. Le ministère de l'Intérieur estime à cet égard que le « partenariat entre les forces de sécurité publiques et privées, pour faire face aux menaces, est indispensable », et même « une condition de survie des outils de protection des Français ». L'État a par exemple délégué à la sécurité privée 85 ( * ) la protection de l'entrée de lieux publics ou de bâtiments officiels comme des musées, des ministères, des ambassades ou encore des établissements scolaires. C'est une entreprise privée 86 ( * ) qui est chargée de protéger l'État-Major des Armées sur le site de Balard, au niveau de l'accueil et du filtrage (passage des portiques de sécurité et contrôle des sacs). Dans certains quartiers, ce sont encore des agents 87 ( * ) de sécurité privée qui travaillent en collaboration avec les polices municipales pour patrouiller et faire de la surveillance en rondes.
Ces entreprises protègent également de nombreux évènements, leur actions étant centrées sur la protection des « cibles molles » (cibles presque impossibles à protéger entièrement), et donc liées au risque d'attaques de masse. Une centaine de PME ont ainsi été mobilisées pour l'Euro 2016 avec quelque 15 000 agents, soit presque 15 % du total des agents, présents sur ce seul évènement. La sûreté des transports est un autre domaine-clé dans lequel les entreprises privées de sécurité sont particulièrement sollicitées, notamment s'agissant des aéroports. À l'aéroport de Roissy, par exemple, pas moins de quatre sociétés 88 ( * ) sont chargées de la sécurité.
Si la tendance actuelle se poursuit, les effectifs du secteur de la sécurité privée continueront à progresser. Leur nombre a déjà progressé de 3,5 % depuis 2016. L'émergence de nouveaux métiers innovants liés à la sécurité du futur devrait sans doute contribuer à augmenter la masse salariale dans les années à venir. Le ministère de l'Intérieur poursuit actuellement, auprès des entreprises et des professionnels de sécurité privée, le souhait de mieux coordonner les actions dans le sens d'une sécurité globale. En témoigne la signature en 2019 d'une convention de partenariat 89 ( * ) visant à développer et faciliter l'échange d'informations opérationnelles entre les forces de sécurité de l'État et les entreprises de surveillance et de gardiennage. Cette convention met en place dans 66 départements un réseau de référents identifiés localement au sein des forces de sécurité de l'État et des entreprises privées de sécurité. Elle vise à établir des liens réguliers, sous l'autorité des préfets, entre ces acteurs de la sécurité, développer la connaissance et la confiance mutuelles, et partager des informations opérationnelles.
Ce travail partenarial a été poursuivi par le ministère de l'Intérieur, qui a signé, la même année, avec les principales organisations professionnelles représentant les grandes surfaces commerciales, une convention de partenariat 90 ( * ) . Son objectif est d'apporter de nouvelles réponses aux problématiques de sûreté des quelques 800 grandes surfaces qui accueillent quotidiennement environ 8 millions de clients. Cet accord partenarial entre les forces de sécurité de l'État et le monde du commerce intervient bien sûr dans un contexte d'émergence de nouvelles menaces comme le terrorisme, et recommande aux gestionnaires des espaces commerciaux de mettre en place un plan de sûreté et de désigner un coordonnateur de gestion de crise. Ce type de coopération peut créer du lien, instaurer la confiance auprès des acteurs et impulser une nouvelle dynamique d'échanges et de partage d'information. Par ailleurs, d'autres conventions du même type ont été signées avec les bijoutiers-horlogers en 2018, ou encore avec les bailleurs sociaux et les buralistes en 2019 91 ( * ) .
Toutefois si ces coopérations méritent d'être encouragées, la loi limite heureusement encore le champ d'action des agents des entreprises privées de sécurité. Ceux-ci ne doivent exercer leurs fonctions « qu'à l'intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde », alors que les membres de la force publique sont investis par la loi de prérogatives qui ont vocation à s'exercer en tous lieux, pourvu qu'ils agissent dans les limites de leur compétence territoriale et dans le respect de l'inviolabilité du domicile et de l'intimité de la vie privée. Malgré certaines dérogations, les forces de sécurité de l'État ont donc, sur la voie publique, un monopole qui exclut en principe toute intervention des agents privés. La plus haute juridiction administrative a d'ailleurs eu l'occasion de le rappeler 92 ( * ) en annulant un contrat chargeant une société de gardiennage et de surveillance de faire des rondes dans une ville, au motif « qu'un tel contrat avait pour effet de lui faire assurer une mission de surveillance des voies publiques de l'ensemble de la commune ». Selon les juges, ces dispositions étaient contraires à la Constitution notamment parce qu'elles investissaient « des personnes privées de missions de surveillance générale de la voie publique ».
De la même façon, hormis pour les convoyeurs de fonds, le principe du non-armement caractérise les agents relevant de la sécurité privée. Mais les législations successives 93 ( * ) ont largement assoupli ce principe, notamment sous l'effet de la pression de la lutte contre le terrorisme. De plus en plus d'activités privées sont autorisées à être exercées avec le port d'une arme 94 ( * ) , « au point de rompre avec la doctrine ancestrale de l'État français de prohibition du pouvoir de coercition par la sécurité privée 95 ( * ) ».
Malgré les volontés qui peuvent s'exprimer de poursuivre le renforcement des partenariats et la coopération, le monde de la sécurité privée doit encore relever certains défis. Éclaté, il présente encore des fragilités. Par exemple, les prestations assurées par les agents privés de sécurité sont très hétérogènes. De même, toutes les sociétés privées de sécurité n'affichent pas des garanties de fiabilité et de professionnalisme identiques 96 ( * ) . Le recrutement et les cycles de formation des agents privés de sécurité doivent faire preuve d'une plus grande sélectivité et d'une plus grande exigence. Sur le terrain, les délais d'attente en préfecture, parfois excessifs, conduisent certaines entreprises à se passer de l'extrait n° 2 du casier judiciaire, pourtant obligatoire, des candidats qu'elles recrutent. Dans un contexte global de défiance vis-à-vis de l'autorité, il apparaît pourtant indispensable d'attendre des comportements exemplaires tant de la part des publics qui souhaiteraient intégrer cette profession que de la part des acteurs de la formation.
Les acteurs privés méritent également d'être mieux contrôlés et encadrés, car ils ne relèvent pas du régalien. Le secteur a gagné en maturité et en professionnalisme certes, grâce à la régulation assurée désormais par le Conseil national des activités privées de sécurité 97 ( * ) (CNAPS) mais d'autres pistes pourraient être envisagées comme un encadrement intermédiaire plus solide, ou encore un encadrement strict des règles de sous-traitance avec par exemple l'introduction d'un régime de responsabilité solidaire pour les donneurs d'ordre. Les pratiques en matière de marché public mériteraient, elles aussi, d'être repensées afin de passer d'une logique du « moins-disant » à celle du « mieux-disant » . La démarche de certification des professionnels et des sociétés, garantie essentielle qui conditionne les droits et les devoirs, doit aussi être poursuivie.
D'autres obstacles sont pointés par les professionnels du secteur eux-mêmes. La majorité des entreprises qui interviennent sont souvent peu rentables 98 ( * ) . Cette faiblesse se conjugue au manque de financement chronique, les banques étant frileuses pour financer le développement des sociétés de sécurité. Celles-ci redoutent un taux de rotation du personnel élevé dans ce secteur, et un niveau de qualification des salariés assez faible, ne lui permettant pas de se développer et de gagner en maturité. Le marché souffre d'ailleurs d'un manque de centralisation, notamment pour les questions de droit du travail. Le système d'enregistrement des agents de sécurité, aujourd'hui régionalisé, permet ainsi à un individu de travailler dans plusieurs entreprises simultanément, dans des départements différents. Ce phénomène des pluri-embauches conduit certains travailleurs à accepter des salaires faibles de chacune des entreprises dans lesquelles ils interviennent. S'ajoute à cela un taux de fraude élevé, comme l'a révélé 99 ( * ) la Caisse nationale du réseau des Urssaf en 2014.
En définitive, la délégation estime qu'il n'y a pas de fatalisme et que le partenariat entre les forces de sécurité de l'État et les professionnels de sécurité privée, plébiscité par le ministère de l'Intérieur comme les élus locaux, pourra se poursuivre de façon pérenne et confiante, à condition toutefois de renforcer sa régulation. La Cour des Comptes avait d'ailleurs souhaité un « pilotage renforcé de l'État ». Une meilleure structuration autoriserait par exemple la participation à des missions telles que la garde statique, ce qui allégerait les charges pesant nos forces régaliennes. Plusieurs activités sont d'ailleurs déjà exercées par des sociétés et des agents privés, dans des conditions qui ne suscitent pas d'inquiétude majeure 100 ( * ) .
Le Livre Blanc sur la sécurité intérieure 101 ( * ) devrait faire des propositions en ce sens. Après sa publication, il devrait aboutir, dans les prochains mois, à une loi de programmation de la sécurité intérieure. La délégation sera donc attentive à la question du développement des liens entre les forces de sécurité intérieure et les entreprises de sécurité privées, afin que le dispositif global ait toujours pour préoccupation de répondre de manière efficace aux enjeux locaux.
2. Le maillon judiciaire : l'indispensable action de la justice pour garantir l'efficacité de l'ancrage territorial de la police
a) De nombreuses situations conduisent déjà les collectivités territoriales à un dialogue avec l'institution judiciaire
L'ancrage territorial de la sécurité implique aussi et surtout un ancrage territorial de la justice. Le rôle des magistrats, qui interviennent dans le chaînage de la répression de toutes les formes de délinquance, est indispensable. La « chaîne de la sécurité » sera d'autant plus forte que le maillon « Justice » sera robuste. Cela signifie que la question des moyens de la police, qui est certes pertinente, devient complétement inutile si l'institution judiciaire ne réprime pas les auteurs d'actes délictueux. Le rapport définitif sera l'occasion de faire des recommandations opérationnelles en la matière mais, à ce stade, la délégation juge a minima nécessaire de se soucier de l'articulation des élus locaux avec l'institution judiciaire en matière pénale.
Les maires sont par exemple de plus en plus nombreux à souhaiter que se développent, sur la base de relations de confiance, des partenariats entre les divers acteurs locaux (élus, corps préfectoral, responsables d'administrations territoriales ou d'État, représentants de professions ou secteurs économiques, etc.) et l'institution judiciaire, allant de la simple information sur le fonctionnement de la justice à l'élaboration conjointe de la politique pénale locale. Ces relations sont évidemment indispensables à la bonne insertion de la justice dans son environnement institutionnel, économique et social, et pour se prémunir contre le risque pour le magistrat de se couper des réalités. Intervenant sur la prévention de la délinquance, la justice des mineurs, l'accès au droit, l'aide aux victimes ou la médiation, les juges sont eux aussi sur le terrain.
Les maires entretiennent d'ailleurs une relation privilégiée avec le Parquet, reposant essentiellement sur le partage d'information 102 ( * ) sur les suites judiciaires données aux infractions constatées sur le territoire de leur commune. Plus largement, les collectivités territoriales participent, dans le cadre de conventions avec la justice, au financement d'associations intervenant dans le champ de l'accès au droit, de l'aide aux victimes ou de la médiation. Les chefs de juridiction comme les magistrats délégués à la politique associative sont, à cet égard, les interlocuteurs privilégiés des élus locaux et des représentants des administrations territoriales, notamment pour déterminer les financements dont les associations devront bénéficier au regard des objectifs qui leur sont assignés.
Autre exemple, la construction ou la restructuration de sites de justice ou la création et l'animation de maisons de justice et du droit ou de points d'accès au droit, qui nécessitent aussi une concertation approfondie avec les élus des collectivités territoriales concernées. Il en est de même lorsqu'une collectivité territoriale comprend, en tout ou partie, plusieurs ressorts de tribunaux judiciaires ou de cours d'appel, ou que les découpages administratifs ne recoupent pas ceux de la carte judiciaire. Il appartient alors aux chefs de juridiction concernés de se concerter et de s'organiser afin d'assurer une représentation effective et cohérente de l'institution judiciaire auprès des acteurs locaux.
Les magistrats du Siège doivent bien sûr être prudents dans les relations qu'ils développement avec les acteurs locaux afin de ne pas s'exposer à un engagement de la juridiction à laquelle ils appartiennent. Mais leur participation à la définition des politiques publiques locales mérite d'être considérée. Afin de mieux connaître les situations locales, ils pourraient par exemple être associés, en tant qu'observateurs, aux CLSPD. D'ailleurs certains magistrats du Siège comme les juges des enfants ou les juges de l'application des peines profitent déjà, dans leurs fonction, d'une ouverture sur l'extérieur auprès de partenaires locaux 103 ( * ) : ils se déplacent sur le terrain, travaillent en équipe et visitent régulièrement les établissements et les services avec lesquels ils opèrent.
Du coté des magistrats du Parquet, leur participation à l'animation de diverses politiques publiques locales est déjà une réalité dans plusieurs situations. Depuis 1983 par exemple, le Parquet a la charge d'impulser et de coordonner des politiques publiques partenariales en relation étroite avec les élus et les représentants de l'État afin de prévenir la délinquance et de favoriser la réinsertion. Cette démarche s'est concrétisée par la mise en place de nombreux outils dont le Parquet est devenu un acteur essentiel. La mise en oeuvre des contrats locaux de sécurité (CLS), créés par voie de circulaire en octobre 1997, a constitué une des pierres angulaires de cette évolution. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), instances chargées de la coordination locale des CLS ou des stratégies territoriales de sécurité et de prévention de la délinquance, réunissent, à ce titre, l'ensemble des acteurs prenant part à l'application des politiques de sécurité et de prévention et contribuent à la mise en place de partenariats concrets entre la Justice et les élus locaux, entre les autorités régaliennes de l'État et les acteurs de la démocratie locale.
Si le préfet représente, dans son département, l'État au sens large, le procureur de la République incarne, lui, l'institution judiciaire en particulier et agit en son nom dans le ressort du tribunal. Dans sa mission de veiller à l'application de la loi au nom du respect des intérêts fondamentaux de la société il participe aux politiques publiques locales en matière de sécurité et de prévention de la délinquance. Ainsi, l'article 39-1 du code de procédure pénale confie au procureur de la République la responsabilité d'animer et de coordonner la politique de prévention de la délinquance dans sa composante judiciaire. L'article 55 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique donne au président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département la présidence du conseil départemental de l'accès au droit, et au procureur de la République la vice-présidence. Cette vocation récente des magistrats du Parquet est bien acceptée, les parquetiers ayant bien intégré cette évolution et étant très sollicités à cet égard.
Par ailleurs, l'article 9 du décret du 26 avril 2016 relatif à l'organisation judiciaire prévoit la création, dans chaque tribunal judiciaire et dans chaque cour d'appel, d'un conseil de juridiction composé notamment des représentants locaux de l'État, des représentants des collectivités territoriales et des parlementaires élus du ressort. Ce conseil de juridiction constitue, selon les termes du décret, « un lieu d'échanges et de communication entre la juridiction et la cité ». L'article 8 dispose que « le projet de juridiction élaboré à l'initiative des chefs de juridiction, en concertation avec l'ensemble des personnels de la juridiction, est présenté en tout ou partie, au sein du conseil de juridiction, aux personnes, organismes et autorités avec lesquels la juridiction est en relation ».
Si leur participation aux politiques publiques permet aux magistrats du Parquet de recevoir des informations et d'en donner, des difficultés à assumer ce rôle peuvent toutefois apparaître en raison d'un manque de moyens. La délégation plaide à ce stade pour un développement des outils partenariaux.
b) La nécessité de renforcer les outils partenariaux avec les collectivités territoriales
L'utilisation plus systématique, par exemple, du « Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes » (FIJAIT), consultable par les maires avant recrutement via la préfecture doit être encouragée. Ce fichier ne concerne toutefois que des condamnés, ou exceptionnellement, certains mis en examen, et n'inclut pas certains délits comme celui d'apologie du terrorisme.
Au-delà du FIJAIT, et notamment pour répondre à la demande de prévenir le recrutement d'individus non encore condamnés mais seulement suspects, la constitution d'un fichier spécialisé et spécifique, bien distinct du fichier S, destiné à permettre aux présidents d'exécutifs locaux de disposer des informations nominatives nécessaires à l'exercice de leurs fonctions, mériterait d'être envisagée. Cette réflexion pourrait aussi porter sur l'éventuelle transposition aux principales procédures de ressources humaines des collectivités territoriales de la faculté pour un employeur, créée récemment par la loi dans plusieurs domaines, de demander soit un avis de l'autorité administrative rendu à la suite d'une enquête administrative, soit, directement, une enquête administrative. Dans les deux cas, l'enquête pourrait donner lieu à la consultation de certains fichiers.
La délégation observe que les dernières évolutions en matière d'échanges entre les élus locaux et l'institution judiciaire découlent d'une circulaire du 25 février 2020. Dans le cadre des élections municipales de 2020, le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a en effet souhaité que les maires aient, dès leur élection, un entretien avec le procureur de la République et le préfet. Dès leur prise de fonctions les maires, dont la loi prévoit qu'ils exercent, dans leur commune et au nom de l'État, les fonctions d'officiers de police judiciaire (OPJ) et d'officiers de l'état civil, se verront donc présenter, dans les prochaines semaines, au cours d'une réunion animée par le préfet de département ou de région et le procureur de la République de leur commune l'ensemble des services de l'État et l'ensemble des thématiques et des politiques publiques intéressant leur commune dans le cadre de leurs responsabilités.
La délégation prend bonne note de cette circulaire qui s'inscrit dans une logique d'accompagnement à leur prise de fonction mais aussi dans la volonté plus générale de développer le dialogue entre les maires, les services de l'État et l'institution judiciaire. Au-delà d'être une présentation de leurs attributions, cette première réunion post-élection doit être, selon les mots même de la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, « l'occasion de présenter l'ensemble des services de l'État aux maires nouvellement élus [...] dans une logique plus générale d'accompagnement de leur prise de fonction, et l'ensemble des thématiques et des politiques publiques intéressant les communes ». « Les seuls maires ou leurs représentants » seront donc conviés à cette « journée d'accueil » à l'issue de laquelle les maires et les adjoints recevront une carte d'identité tricolore. Néanmoins, rien n'interdit aux préfets d'organiser ensuite « un temps plus largement ouvert ». Dans les deux cas, le ministère tient à ce que cette journée fasse « l'objet d'une médiatisation auprès, notamment, de la presse quotidienne régionale ». D'autres réunions entre les préfets et les maires sont censées suivre, conformément au souhait de la ministre, « soit à travers des rencontres thématiques, soit à destination plus spécifique des maires pour la première fois élus à cette fonction, soit encore, ultérieurement, à destination des présidents d'intercommunalités ».
Enfin, dans l'efficacité du chaînage Police-Justice, la question des moyens alloués à cette dernière ne doit pas être occultée. La Justice française est l'une des plus « chargées » d'Europe. Le temps dont disposent les magistrats pour travailler sur les procédures et les dossiers se trouve limité par la nécessité de consacrer du temps à ces activités non juridictionnelles.
Déjà en 2002, notre ancien collègue Christian Cointat soulignait que « l'engagement du Parquet dans les politiques publiques a également modifié leur positionnement au sein de l'institution judiciaire. Ainsi, ils sont devenus l'interface entre les magistrats du siège et les décideurs extérieurs (autorité préfectorale, élus locaux) ». Il notait que « sans remettre en cause leur participation à cette mission nouvelle, tous les interlocuteurs du Parquet [...] ont fait état des difficultés à assumer ce rôle en raison d'un manque de moyens. M. André Ride a en effet indiqué que ``lorsque vous êtes procureur de la République avec un seul substitut et que vous êtes engagé dans toutes les actions de la politique de la ville, vous avez dans le même temps à assurer votre tâche première, c'est-à-dire faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix doivent être faits. Ce choix est malheureusement vite fait lorsque vous n'avez pas les moyens d'assumer vos deux missions'' ».
Le rapport préconisait donc de renforcer les moyens du Parquet, jugeant une situation « choquante » dans laquelle « les procureurs ne disposent ni d'une équipe, ni d'un secrétaire général (dans les juridictions les plus importantes) pour leur apporter un soutien. Actuellement, les magistrats du Parquet participent seuls aux réunions et établissent leurs statistiques et leurs rapports sans aucune aide particulière et souvent sans moyens matériels conséquents ». Consciente de la nécessité d'associer l'autorité judiciaire à la conduite des politiques publiques, elle juge indispensable de renforcer les moyens du Parquet pour lui permettre d'exercer correctement cette mission ». Dix-huit ans plus tard ces difficultés n'ont toujours pas disparu dans certaines juridictions.
La mission d'information conduite par notre ancien collègue suggérait la création de nouvelles fonctions d'assistants du Parquet « qui pourraient être exercées soit par des assistants de justice, soit par des greffiers, afin de lui permettre de participer aux politiques publiques ». La délégation réévaluera cette option, au stade des recommandations qu'elle sera amenée à formuler dans le rapport définitif. Il conviendra à cette occasion de déterminer si une politique de recrutement plus volontariste du ministère de la Justice permettrait d'affecter davantage de magistrats du Parquet aux relations et aux échanges avec les partenaires de l'institution judiciaire et avec les acteurs locaux.
* 78 Virginie Malochet et Frédéric Ocqueteau, « Gouverner la sécurité publique », Cairn info, 2020.
* 79 La loi leur donne ainsi la possibilité de travailler en civil et armés, les autorise à procéder à l'inspection visuelle des bagages, à leur fouille avec le consentement du propriétaire, et à des palpations de sécurité lorsque les circonstances le justifient.
* 80 Virginie Malochet et Frédéric Ocqueteau.
* 81 Avis du 30 juin 2006 au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance par M. Nicolas About.
* 82 Notamment la Coupe du monde de rugby en 2023, avec 2,5 millions de personnes dans les stades, ou bien sûr les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, avec jusqu'à 20 millions de personnes susceptibles d'assister aux épreuves.
* 83 Source : ministère de l'Intérieur.
* 84 Gardiennage, surveillance et vidéosurveillance (à hauteur de 70 % du secteur), agents cynophiles, sûreté aéroportuaire (6 %), cyber sécurité, transport de fonds, prévention des incendies (12 %) protection physique de personnes, agents de recherches privées.
* 85 La société DS Sécurité.
* 86 La société Seris.
* 87 Comme la société MIGSS.
* 88 Dont la société Securitas, la société Brinks et la société ICTS.
* 89 Convention signée le 11 février 2019 par Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, avec Claude Tarlet, président de l'Union des entreprises de sécurité privée (USP), Pascal Pech, président du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (SNES), et Stéphane Volant, président du Club des directeurs de sécurité et de sûreté (CDSE), en présence du Préfet de police de Paris, des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales et du délégué aux coopérations de sécurité.
* 90 Convention signée le 19 février 2019 entre le secrétaire d'État et le conseil national des centres commerciaux (CNCC), PERIFEM et l'Alliance du commerce.
* 91 Partenariat entre forces de sécurité de l'État et professionnels de sécurité privée, communiqué de presse de Laurent Nuñez du 21 février 2019.
* 92 Conseil d'État, arrêt Commune d'Ostricourt du 29 décembre 1997.
* 93 Loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d'une mission de service public ; décret du 21 décembre 2011 sur les conditions d'armement des personnes chargées du gardiennage et de la surveillance de certains immeubles collectifs d'habitation, loi relative à la sécurité publique du 28 février 2017 ; décret du 29 décembre 2017.
* 94 Matraques et bâtons de défense de type tonfa, bombes lacrymogènes ou incapacitantes, armes à feu de catégories B.
* 95 Virginie Malochet et Frédéric Ocqueteau.
* 96 À la différence de la France, la mission parlementaire des députés Alice Tourot et Jean-Michel Fauvergue identifie l'Espagne comme un contre modèle où le secteur de la sécurité privée est considéré comme un « partenaire beaucoup plus fiable » pour les forces publiques, avec qui elles travaillent de façon plus étroite et efficace.
* 97 Celui-ci procède en effet à la délivrance des agréments et à des missions de conseil et de formation en collaboration avec l'État.
* 98 La rentabilité moyenne nette d'une société de gardiennage est très faible (1 % en moyenne) et le moindre évènement (réforme, augmentation des charges) peut avoir des conséquences lourdes.
* 99 Avec un taux national de fraude détectée de 29 % des entreprises, ce secteur présente un taux de procès-verbaux et de redressement très élevés.
* 100 C'est le cas par exemple des inspections-filtrages dans les aéroports ou du transport de fonds.
* 101 Confié par le ministre de l'Intérieur à Laurent Nuñez. Il aurait dû être publié au début de l'année 2020 mais la publication a dû être reportée en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19.
* 102 Renseignements sur les infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire de leur commune, classements sans suite, mesures alternatives aux poursuites, poursuites engagées, jugements devenus définitifs, appels interjetés lorsque ces décisions concernent ces mêmes infractions, ou encore suites aux infractions constatées par les agents de police municipale.
* 103 Administration pénitentiaire, services pénitentiaires d'insertion et de probation, aide sociale à l'enfance, protection judiciaire de la jeunesse, associations d'aide aux victimes, associations diverses, conseils départementaux, etc.