ANNEXE : LA DIASPORA INDIENNE, RELAIS D'INFLUENCE DE LA POLITIQUE INTERNATIONALE INDIENNE
Bien que les estimations varient, l'Inde identifie 28 millions de personnes indiennes , équivalent à environ 2 % de la population indienne, comme faisant partie de sa diaspora. Selon l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), rattachée à l'ONU, en 2019, la diaspora indienne est numériquement la plus importante, devant la diaspora mexicaine et chinoise . La diaspora indienne est divisée en deux catégories par les autorités indiennes, distinguant : - d'une part, les Indiens résidant à l'étranger mais ne détenant pas (encore) la nationalité du pays d'accueil ; ce sont les « Indiens Non-Résidents » ayant un passeport indien et résidant en dehors de l'Inde pour une période indéfinie, - et, d'autre part, les « Personnes d'Origine Indienne » qui ont acquis une autre nationalité (la double nationalité étant impossible en droit indien) ou sont descendants d'Indiens mais n'ont jamais vécu en Inde. Il s'agit donc de toute personne ayant possédé un passeport indien auparavant ; toute personne dont les parents, un des grands-parents ou un des arrière-grands-parents sont nés, ou ont eu une résidence permanente en Inde et du conjoint d'un citoyen indien ou d'une personne d'origine indienne. Cette importante diaspora est identifiée comme pouvant être un relais économique et un acteur de soft power par le pouvoir indien. Elle peut ainsi constituer un relais d'influence pour les autorités indiennes dans les domaines politiques, géostratégiques, diplomatiques, économiques et culturels. Les Indiens de la diaspora sont à l'origine de 9 % des investissements directs étrangers en Inde. Les 26 milliards de dollars qu'ils reversent, chaque année, à leurs proches ou à leurs familles, représentent près de 3 % du produit national brut du pays. La diaspora indienne aux États-Unis compte plus de 2,2 millions de personnes. Elle est très structurée et très active et elle obtient la prise en compte des intérêts indiens. Ainsi, en janvier 2007, le Premier ministre indien a remercié « la diaspora indienne et ses leaders, qui ont joué un rôle particulièrement significatif » dans la signature puis la ratification par le Congrès américain, en décembre 2006, de l' « US-India Peaceful Atomic Energy Cooperation Act » permettant d'initier une coopération avec l'Inde dans le domaine de l'énergie nucléaire civile. La diaspora indienne en France compterait 65 000 personnes en métropole, 275 200 personnes à la Réunion et 145 000 en Guadeloupe et en Martinique. En métropole, elle est quatre fois moins importante que la diaspora chinoise. |
• Une diaspora plurielle issue de vagues successives de migration
Trois grandes vagues migratoires peuvent être distinguées concernant les populations d'origine indienne ayant quitté leur terre natale ; chacune ayant ses caractéristiques socio-économiques propres.
La première phase historique concerne les migrations précoloniales en Asie et dans l'Océan Pacifique, soit des régions voisines de l'Inde. Ces mouvements de populations, peu importants, se composent de petits groupes constitués essentiellement de militaires, commerçants et missionnaires. Ils s'expliquent par la position géographique de l'Inde, carrefour entre la Chine, le monde musulman, l'Asie du Sud-Est et la côte orientale de l'Afrique, et qui a rapidement vu l'établissement de routes commerciales, terrestres ou maritimes.
La seconde période est celle qui s'inscrit dans le cadre colonial à partir du XIX e siècle. Les migrations prennent une ampleur mondiale. Il s'agit tout d'abord de migrations de travailleurs peu qualifiés engagés pour des contrats pluriannuels, connus sous le nom de « coolies ». Ils servent de main-d'oeuvre dans les pays miniers et de plantations des empires coloniaux suite à l'abolition de l'esclavage (1833-34 dans l'Empire britannique et 1848 dans l'Empire français). Au total, entre 1834 et 1912, l'administration coloniale britannique envoie plus de 1,5 million d'Indiens dans ses colonies pour servir de main-d'oeuvre. Les mouvements sont dirigés en partie vers l'Asie du Sud-Est 151 ( * ) , mais également vers des destinations plus éloignées telles que l'île Maurice 152 ( * ) (450 000 Indiens), les Caraïbes (200 000), la Guyane britannique (239 000), le Suriname (34 300), l'Afrique orientale (32 000) et australe (52 000 au Natal), ainsi que les îles Fidji (61 000). Les Hollandais et les Français ont également eu recours aux ouvriers indiens, constituant ainsi peu à peu une présence indienne à la Réunion, dans les Antilles françaises, et en Indochine française.
Entre la fin du XIX e et le début du XX e siècle, se développe également une phase de migration libre en Afrique australe et orientale, en Birmanie, en Malaisie et aux Fidji. Il s'agit alors d'Indiens travaillant pour l'empire britannique, soit des banquiers, commerçants ou employés et d'une petite élite intellectuelle.
Enfin, les migrations postcoloniales, qui ont lieu après l'indépendance indienne de 1947, concernent essentiellement l'Amérique du Nord, l'Europe et le Moyen-Orient. Entre 1950 et 1970, une émigration importante à lieu en direction du Royaume-Uni, l'ancienne puissance coloniale, du fait de la demande en main-d'oeuvre liée à la croissance économique de cette période. Les États-Unis, le Canada et l'Australie, constituent également des destinations pour l'émigration indienne à partir de la fin des années 1960. Cette émigration est majoritairement originaire de milieux socio-professionnels élevés. Ce n'est pas le cas de l'émigration qui démarre dans les années 1970 en direction des pays du Golfe, où l'essor pétrolier a entraîné une croissance consommatrice en travailleurs peu qualifiés. Contrairement aux mouvements vers les pays occidentaux, les migrations dans la péninsule arabique sont temporaires. N'ayant accès ni à un droit de résidence permanent ni à la nationalité, les migrants retournent généralement en Inde à la fin de leur contrat.
Le résultat de ces différents mouvements migratoires est la constitution de foyers de populations d'origines indiennes, dont les principaux se situent aujourd'hui en Asie du Sud-Est, en Océan Indien (île Maurice où les communautés indiennes représentent plus de la moitié de la population et île de la Réunion), en Amérique du Nord, en Australie, aux Fidji, dans le Golfe persique, en Europe et en Afrique du Sud et de l'Est 153 ( * ) .
• Une diaspora plurielle
Les populations d'origine indienne réparties sur le globe réunissent les trois critères définissant une diaspora selon Man Mung, soit une multipolarité (dispersion), une interpolarité (interrelations entre les groupes) et la conscience d'une origine commune. Néanmoins, l'unité de cette diaspora, l'une des plus diversifiée au monde, peut être interrogée. À l'image de la population indienne qui se caractérise par une grande diversité ethnolinguistique, religieuse, culturelle, de castes et de classes, les Indiens émigrés ne peuvent être considérés comme un groupe uniforme. Il serait donc pertinent de parler de diasporas indiennes au pluriel, tant les diasporas hindoue, sikhe, tamoule, gujaratie, etc, présentent parfois d'intérêts divergents.
Dans les conclusions de son rapport de janvier 2002, la Haute Commission pour la diaspora indienne (voir ci-après), instaurée en 2000 par le gouvernement BJP, note la faiblesse de la diaspora indienne résultant de ses divisions. Elle estime que seule l'unité lui permettrait de défendre ses intérêts dans les pays d'accueil et de soutenir son pays d'origine. Ce rapport constitue les prémisses de la mise en place d'une politique du BJP à destination de la diaspora indienne.
• Une diaspora désormais vue comme relais économique et actrice du soft power indien
L'attitude des élites politiques indiennes envers leur diaspora a radicalement évolué à partir des années 1970. Jusqu'àlors, et suite à l'indépendance de l'Inde, les autorités (et notamment le Premier ministre Nehru) avaient insisté sur une distanciation vis-à-vis des communautés émigrées et sur leur intégration et naturalisation dans le pays d'accueil. Cela s'expliquait notamment par l'idée que l'identité indienne ne pourrait émerger que dans le cadre territorial de l'État-nation. Les Indiens émigrés et installés hors d'Inde étaient alors désignés par le terme d'« Indiens d'Outre-mer ».
À partir des années 1970 154 ( * ) , le gouvernement prend conscience du potentiel économique que représentent les Indiens d'Outre-mer et commence à mettre en place des dispositifs les incitant à envoyer des fonds et à investir au pays. C'est ainsi qu'en 1973, l'Inde crée la catégorie fiscale des « Indiens Non-résidents ». Dans les années 1980, l'indifférence à l'égard de cette diaspora se réduit davantage et dans les années 1990 les autorités prennent réellement conscience du potentiel de celle-ci. Un changement de paradigme politique s'opère : les Indiens de l'étranger sont désormais perçus comme des relais économiques et de soft power.
Ceci est renforcé avec l'arrivée au pouvoir de la droite nationaliste hindoue, le BJP, en 1998, qui développe une « vision clairement centrée sur l'idéologie nationaliste hindoue » 155 ( * ) , en rupture avec la conception territorialisée de la citoyenneté promue par Nehru et le parti du Congrès.
En 2000, l'expression « diaspora indienne » entre dans le langage officiel et remplace le terme « Indiens d'Outre-mer ». L'Inde distingue les « Non-Resident Indians/Indiens non-résidents », qui travaillent temporairement à l'étranger ou n'ont pas encore acquis la nationalité du pays d'accueil (11 millions de personnes en 2015), des « Persons of Indian Origin /Personnes d'origine indienne » (PIO) (17 millions de personnes en 2015) ne sont plus de nationalité indienne. Le statut spécifique de PIO, créé en 1999, distingue les membres de la diaspora des autres étrangers, en facilitant l'obtention d'un visa, le droit de travailler et d'investir en Inde, afin de recréer ou de renforcer leurs liens avec l'Inde. Initiant une réelle politique à l'égard de ses expatriés, l'Inde crée, en 2000, une Haute Commission de la Diaspora Indienne chargée d'estimer leur nombre, de faire un bilan sur leurs situations et d'évaluer le rôle qu'ils pourraient jouer dans le développement de l'économie nationale. Il s'agit de rétablir officiellement le lien entre la diaspora et les plus hautes autorités de l'État.
En 2003, est instaurée une journée annuelle dédiée aux Indiens de l'étranger 156 ( * ) , un rassemblement très médiatisé qui est l'occasion d'annonces de la part du gouvernement en faveur de la diaspora. En 2006, une carte de citoyenneté d'outre-mer (carte « Overseas Citizenship of India » 157 ( * ) ) est créée à destination des PIO. Elle entraîne de nouvelles stratégies migratoires des Indiens hautement qualifiés, en leur permettant d'acquérir une autre citoyenneté lors de leur migration à l'étranger (en particulier dans les pays du Nord) puis d'aller et venir facilement entre l'Inde et le nouveau pays dont ils sont devenus citoyens. Ainsi l'émigration ne constitue plus une rupture avec le pays d'origine.
• Un potentiel protéiforme
Bien que les 28 millions de personnes qui constituent la diaspora indienne ne représentent que 2 % rapportés à la population indienne, celles-ci peuvent contribuer au développement de l'Inde. Les Indiens de la diaspora sont à l'origine de 9 % des investissements directs étrangers en Inde. Les 26 milliards de dollars qu'ils reversent, chaque année, à leurs proches ou à leurs familles, représentent près de 3 % du produit national brut du pays.
En 2015, selon le ministère des affaires étrangères indien, cette diaspora joue un rôle politique ou économique non négligeable dans au moins une vingtaine de pays sur les plus de cent trente pays dans lesquels elle est présente. Les Indiens de l'étranger représentent ainsi non seulement un objet de connaissance géographique, mais aussi un enjeu politique, économique et culturel pour l'État indien comme pour les pays d'accueil de cette diaspora. Les Indiens de l'étranger promeuvent les intérêts politiques et économiques de l'Inde par des stratégies de lobbying ou en privilégiant eux-mêmes des choix favorables à leur pays d'origine. Ils constituent un relais non négligeable de l'action diplomatique de l'Inde. Ainsi, New Delhi a pu solliciter le soutien actif de nombreuses associations de la diaspora ou de chefs d'État d'origine indienne en faveur de la candidature de l'Inde à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. La diffusion du soft power indien 158 ( * ) par cette importante diaspora renforce l'image d'une Inde puissance mondiale.
• La diaspora indienne aux États-Unis
Aux États-Unis, l'Inde représente le deuxième pays d'origine des immigrants, derrière le Mexique, avec plus de 2,2 millions de personnes. Cette importante diaspora s'est organisée et a constitué des groupes d'intérêts et de pression. Ceci s'expliquerait notamment par la propension anglo-saxonne de l'État à s'adresser plus facilement aux représentants communautaires, ainsi qu'à la politique multiculturaliste pour laquelle l'appartenance ethnique ou religieuse est considérée comme un marqueur identitaire primordial. Du fait de ce fonctionnement social, les Etats-Unis, le Canada ou encore le Royaume-Uni ont vu l'émergence d'organisations à dimension ethnique. La diaspora indienne installée aux Etats-Unis est celle qui intéresse le plus les autorités indiennes, bien qu'elle compte moins d'élus qu'au Canada par exemple.
La communauté indienne aux États-Unis est présentée comme une « minorité modèle », diplômée, réussissant économiquement et permet un rayonnement positif de leur pays d'origine auprès de leur pays de résidence, et inversement. Les indiens immigrés aux Etats-Unis jouissent aujourd'hui de ressources financières et intellectuelles qui leur permettent de s'impliquer activement au sein de diverses associations. Le lobby indien aux Etats-Unis commence à se structurer à partir des années 1990. L'« India Caucus », groupe d'amitié parlementaire, au Congrès ainsi que l' « Indian American Center for Political Awareness » (IACPA) ont marqué un tournant dans l'activisme politique des Indiens aux Etats-Unis. Créée en 2002, l'« US-India Political Action committee » (USINPAC) est devenue l'organisation de référence des « Indian Americans /Américains d'origine indienne » en raison de sa taille, de son influence auprès des membres du Congrès et de son accès global aux décideurs de Washington. Financée par la diaspora, elle ne reçoit pas de fonds gouvernementaux indiens, et peut donc légalement contribuer financièrement aux campagnes électorales américaines. Ces différents groupes utilisent le poids de la communauté indienne pour acquérir une place dans l'espace politique national américain.
Sont notamment mis à l'actif de la diaspora indienne, en 1999, la signature du Washington Agreement , favorable à New Delhi, qui met fin au conflit indo-pakistanais de Kargil, et l'allègement des sanctions économiques prises par les Etats-Unis suite aux essais nucléaires indiens de 1998. En janvier 2007, le Premier ministre indien remercie lui-même « la diaspora indienne et ses leaders, qui ont joué un rôle particulièrement significatif » dans la signature puis la ratification par le Congrès américain, en décembre 2006, de l'« US-India Peaceful Atomic Energy Cooperation Act » permettant d'initier une coopération avec l'Inde dans le domaine de l'énergie nucléaire civile.
L'influence de la diaspora indienne est également perceptible dans le domaine économique. Les groupes d'affaires, comme l'« US-India Business Council » et les nombreux PDG et cadres supérieurs d'origine indienne présents dans les conseils d'administration de nombreuses entreprises américaines, permettraient de favoriser l'attribution de contrats à des sous-traitants indiens ou la conclusion d'accords ou partenariats commerciaux, dans le milieu de l'industrie de défense 159 ( * ) notamment. Ils contribuent également à développer une image positive de l'Inde aux États-Unis.
* 151 La diaspora indienne représente ainsi aujourd'hui 2,5 millions d'habitants en Birmanie et 2 millions en Malaisie.
* 152 À Maurice, la minorité tamoule (qui représente 6 % de la population nationale) se distingue de la communauté bhojpuri (40 % de la population). Le Premier ministre mauricien appartient à la communauté bhojpuri depuis l'indépendance de l'île en 1968.
* 153 Neuf pays comptent plus d'un million d'Indiens (soit, dans l'ordre décroissant : les États-Unis, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Malaisie, la Birmanie, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni, le Sri Lanka et le Canada) et vingt pays en comptent plus de 100 000.
* 154 Ceci s'explique notamment par la reprise de l'émigration à destination des pays développés à partir de 1965, lorsqu'est adoptée aux États-Unis la loi Hart-Celler qui abolit les quotas instaurés en 1924 et basés sur la nationalité. L'ampleur des mouvements d'émigration indienne est telle qu'elle contribue à faire évoluer l'attitude des gouvernements à l'égard de leur diaspora.
* 155 « L'essor des nationalismes religieux : le cas de l'Inde » par Olivier Da Lage, publié par la Revue internationale et stratégique, n° 1 de 2020.
* 156 Cette journée est appelée Pravasi Bharathyia Diwas, soit la « Journée des non-résidents Indiens ». Il s'agit du 9 janvier.
* 157 Leur carte OCI leur permet de vivre et travailler indéfiniment en Inde mais ne leur donne ni accès à l'exercice de droits civiques (pas de droit de vote) ni à l'acquisition de propriété agricole.
* 158 La Haute Commission pour la diaspora indienne note dans son rapport de 2007 que la communauté d'Indiens vivant au Royaume-Uni a influencé les modes de consommation des Britanniques. Ils ont popularisé le riz basmati, la mangue alphonso, ou encore les films de Bollywood.
* 159 En juin 2005, un accord de coopération décennal a été conclu, prévoyant la production conjointe d'équipements militaires, une collaboration poussée en matière de défense balistique et des interventions extérieures communes pour le maintien de la paix dans des zones en proie à l'instabilité.