III. AXE 3 - RENFORCER LA COMPÉTITIVITÉ DE L'ÉLECTRICITÉ DÉCARBONÉE : SOCLE DE NOTRE SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE ET DE NOTRE POLITIQUE CLIMATIQUE
Avec une baisse de 15 à 20 % de la consommation et de 50 % des prix, tous les acteurs du marché de l'électricité sont confrontés à des difficultés.
EDF doit faire face une chute inédite et brutale de la production d'énergie nucléaire.
Le groupe anticipe ainsi une production de 300 térawattheures (TWh) en 2020 33 ( * ) , contre 379 TWh en 2019 34 ( * ) ; plus grave, cette production ne retrouvera pas rapidement son niveau initial, puisque les prévisions sont de 330 à 360 TWh en 2021 et 2022.
Dans ce contexte, le groupe a retiré ces objectifs financiers pour 2020 et 2021, dont l'estimation de 17,5 milliards d'euros d'EBITDA. Au premier trimestre 2020, son chiffre d'affaires est cependant resté stable (20,7 milliards d'euros).
Pour autant, le groupe a annoncé une nécessaire remise à plat de son programme d' « arrêts de tranche » , c'est-à-dire des opérations de maintenance du parc existant, ainsi que des retards dans les projets de construction , dont les chantiers des réacteurs pressurisés européens (EPR) de Flamanville 3 et d'Hinkley Point C.
De leurs côtés, les fournisseurs alternatifs 35 ( * ) ont demandé l'activation de la clause de « force majeure » prévue dans l'accord-cadre de l'accès régulé au nucléaire historique (ARENH), afin de cesser de s'approvisionner par ce mécanisme - par lequel EDF leur livre 100 TWh à un prix de 42 euros par MWh - pour recourir directement au marché de gros de l'électricité - dont le prix est de 21 euros par MWh fin mai.
Dans une délibération du 26 mars 2020 36 ( * ) , la Commission de régulation de l'énergie (CRE) s'est opposée à la transmission de cette demande à Réseau de transport d'électricité (RTE) 37 ( * ) ; cette décision a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État, le référé ayant été rejeté le 17 avril 2020 38 ( * ) mais le contentieux se poursuivant devant le tribunal de commerce de Paris 39 ( * ) .
Outre les fournisseurs, les gestionnaires des réseaux de transport (RTE) et de distribution (Enedis et les entreprises locales de distribution) sont potentiellement concernés par une baisse de recettes, dans la mesure où celles tirées des tarifs d'accès aux réseaux publics d'électricité varient selon le volume d'électricité acheminé.
Quant aux entreprises électro-intensives , qui englobent 205 sites en France en 2019 40 ( * ) , elles sont également affectées au premier chef : elles doivent ainsi continuer d'acquitter des tarifs d'accès inchangés malgré une activité très souvent en berne.
Au total, le marché de l'électricité est entré en crise avec :
- une baisse prévisible des recettes des fournisseurs et gestionnaires des réseaux ;
- une fragilisation manifeste du mécanisme de régulation de l'ARENH ;
- un décalage attendu des grands investissements dans le parc nucléaire.
Les effets de cette crise sur l'approvisionnement en électricité pourraient être ressentis dès l'hiver prochain : RTE anticipe ainsi une « situation de vigilance particulière », contre laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé, le 11 juin dernier, des mesures nécessaires mais limitées et surtout tardives ( voir encadré ).
Comment garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité ?
Les premiers éléments de prospective
Le 11 juin dernier, le président de RTE et la ministre de la transition écologique et solidaire ont fait part de leur analyse sur les répercussions de la crise sanitaire sur l'approvisionnement en électricité l'hiver prochain.
RTE a indiqué anticiper, en cas de confirmation par EDF des arrêts pour maintenance de ses réacteurs, une « situation de vigilance particulière » avec une « disponibilité du parc nucléaire historiquement faible à partir de cet été et jusqu'à l'hiver prochain au moins » .
S'il exclut tout « risque de ” blackout ? » , RTE estime possible l'activation « des moyens post marché (gestes citoyens, interruptibilité de grands consommateurs industriels sélectionnés à cet effet ou baisse de la tension sur les réseaux de distribution), et en dernier recours des coupures ciblées (délestage) ».
Dans ce contexte, la ministre a annoncé la modification par EDF de son calendrier d'arrêt des réacteurs, un renforcement des dispositifs de soutien à l'effacement électrique, l'institution d'un « coup de pouce thermostat » ainsi que l'identification d'ici début juillet des gisements d'effacement et de réduction de la consommation à la pointe.
Parce qu'il essentiel de garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité, les sénateurs jugent ces mesures nécessaires, tout en regrettant leur caractère limité et tardif.
Concernant les effacements électriques, ils rappellent que la commission des affaires économiques du Sénat a consacré l'objectif de 6,5 GW de capacités installées en 2028, dans le cadre du vote de la loi « Énergie-Climat » (11° de l'article L. 100-4 du code de l'énergie), et s'est émue du faible niveau atteint dans ce domaine (2,95 GW), à l'occasion de l'examen de la dernière loi de finances initiale pour 2020.
Pour ce qui est du « coup de pouce thermostat » , les sénateurs regrettent qu'il ait fallu attendre le mois de juin pour instituer - ou plutôt restaurer - un dispositif de soutien : en effet, le Gouvernement a exclu les appareils de régulation de chauffage du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) à l'automne dernier... refusant le maintien d'une prise en charge proposé par la commission des affaires économiques du Sénat.
Or, la production d'énergie nucléaire, qui représente les trois quarts de notre mix énergétique et émet 4 grammes de CO 2 par kilowattheure (KWh) 41 ( * ) , est un atout considérable pour garantir notre indépendance énergétique et réduire notre empreinte carbone : la loi « Énergie-Climat » prévoyant que la moitié de notre mix énergétique continuera d'en être issu en 2035, il est impératif de lui consacrer l'effort nécessaire en matière d'investissement, de compétences et de recherche.
C'est une condition sine qua none pour permettre le démantèlement prévu des 14 réacteurs nucléaires, garantir la sûreté de ceux subsistant et innover dans ceux du futur (chantiers des EPR et projet de réacteur à neutrons rapides - RNR - ASTRID).
Dans cette période de fortes turbulences, les sénateurs jugent essentiel que le Parlement soit pleinement associé aux travaux stratégiques de l'exécutif , alors que se profilent plusieurs réformes majeures (nouvelle régulation économique du nucléaire existant, programme d'évaluation du coût du nucléaire, projet « Hercule » au sein du groupe EDF).
Dans l'immédiat, deux évolutions apparaissent utiles.
Pour répondre à la crise, les sénateurs estiment nécessaire de prendre en compte les spécificités de l'année 2020 dans le calcul du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) applicable aux entreprises électro-intensives.
Pour imaginer l'après-crise, les sénateurs jugent crucial de développer les capacités de stockage de l'électricité (batteries, stations de transfert par pompage, électrolyseurs), dans le but notamment d'apporter au système électrique la flexibilité nécessaire à l'essor des EnR.
Pour ce faire, ces capacités de stockage pourraient être exonérées de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE).
11. Associer le Parlement aux travaux stratégiques de l'Exécutif quant aux éventuelles réformes du marché de l'électricité (nouvelle régulation économique du nucléaire existant, programme d'évaluation du coût du nucléaire, projet « Hercule » au sein du groupe EDF). 12. Prendre en compte les spécificités de l'année 2020 dans le calcul du TURPE applicable aux entreprises électro-intensives. 13. Envisager l'institution d'une exonération de TICFE sur les capacités de stockage de l'électricité (batteries, STEP, électrolyseurs...). |
* 33 Électricité de France (EDF).
* 34 Réseau de transport d'électricité (RTE).
* 35 Réunis au sein de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) et de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG).
* 36 Délibération n° 2020-071 du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel.
* 37 La CRE a indiqué en l'espèce que « les conséquences d'une suspension totale des contrats ARENH en raison de l'activation des clauses de force majeure seraient disproportionnées » , tout en précisant que « la force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH ».
* 38 Ordonnance n°439949 du 17 avril 2020.
* 39 À titre d'exemple, le Tribunal de commerce de Paris a estimé, dans des ordonnances de référés des 20, 26 et 27 mai derniers, que la clause de « force majeure » pouvait être invoquée par Alpiq, Gazel et Total Direct Énergie, EDF ayant fait appel de ces ordonnances devant la Cour d'appel de Paris. Par ailleurs, EDF a annoncé la résiliation des contrats ARENH le liant à ces fournisseurs le 2 juin dernier.
* 40 Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).
* 41 Électricité de France (EDF).