C. UNE COMPLÉMENTARITÉ RECONNUE ENTRE MESURES ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES

1. Un principe de subsidiarité des mesures de police administrative dans l'ensemble respecté

Lors de l'examen du projet de loi déposé par le Gouvernement, le Sénat avait fait état de ses préoccupations quant à l'émergence d'un véritable droit administratif de la lutte contre le terrorisme, concurrent d'un arsenal pénal déjà fortement renforcé au cours des dernières années.

Sans s'opposer, par principe, à l'octroi de nouveaux pouvoirs à l'autorité administrative, il avait insisté sur la nécessité d'« assurer une coordination sans faille entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative et de rappeler la primauté de l'intervention judiciaire sur la police administrative » 10 ( * ) .

Cette crainte avait conduit le législateur à prévoir dans la loi, pour les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance 11 ( * ) ainsi que pour les visites domiciliaires 12 ( * ) , une information systématique ou, selon les cas, un avis préalable du parquet de Paris (et désormais du parquet national antiterroriste) afin, d'une part, d'éviter une interférence avec une enquête ou une information judiciaire en cours et, d'autre part, de permettre à l'autorité judiciaire, si elle estime que les éléments sont réunis, d'engager des poursuites judiciaires.

En pratique, la loi « SILT » ne s'est pas traduite par un empiétement de l'administratif sur le judiciaire . Les personnes auditionnées par la mission ont apporté, à cet égard, des assurances sur la bonne articulation entre autorités administratives et judiciaires dans la mise en oeuvre des mesures.

Ainsi, lorsque cela était possible, des judiciarisations ont été préférées à la mise en place d'une mesure d'entrave administrative, même si les cas demeurent peu nombreux. À ce jour, le parquet national antiterroriste a ainsi évoqué 18 projets de visites domiciliaires ayant été abandonnés au profit de perquisitions judiciaires.

Dans les autres cas, les acteurs administratifs comme judiciaires s'accordent pour dire que les mesures introduites par la loi « SILT » offrent des mesures d'entrave complémentaires et intermédiaires , permettant soit de faciliter la surveillance par les services spécialisés et de collecter du renseignement, soit d'assurer une surveillance renforcée pour des personnes encore insusceptibles de judiciarisation, faute d'éléments suffisants.

2. Une information des autorités judiciaires sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) qui mériterait d'être renforcée

Dans un petit nombre de cas cependant, les mesures de police administrative n'ont pas été mises en oeuvre de manière subsidiaire à une mesure judiciaire, mais s'y sont ajoutées .

Ce constat concerne essentiellement les MICAS, dont certaines ont été prononcées parallèlement à des mesures de contrôle judiciaire. Selon les informations collectées par la mission à partir de l'analyse des arrêtés ministériels qui lui ont été communiqués, 13 individus avaient été concernés par un tel cumul au 31 décembre 2019 .

Rien ne fait obstacle, en droit, au cumul de mesures de nature administrative et d'obligations judiciaires. Dans le cadre de l'état d'urgence, le juge administratif avait ainsi admis la possibilité d'assigner à résidence une personne faisant parallèlement l'objet d'un contrôle judiciaire, dès lors que ce cumul ne présentait pas de caractère disproportionné, notamment au regard de la vie privée, familiale et professionnelle 13 ( * ) .

La mission s'est toutefois interrogée sur la pertinence de cette pratique s'agissant des MICAS, dès lors que la mesure de contrôle judiciaire offre, contrairement à l'assignation à résidence, des obligations de surveillance de même nature. L'article 138 du code de procédure pénale autorise en effet le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention à interdire à une personne placée sous contrôle judiciaire de sortir des limites territoriales qu'il détermine, de se rendre dans certains lieux et d'entrer en contact avec certaines personnes, de même que de l'obliger à déclarer ses déplacements ou à se présenter périodiquement à une autorité désignée, autant de mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'une MICAS .

Au demeurant, il convient de rappeler qu'il n'était pas, en 2017, dans l'esprit du législateur de créer une mesure applicable à des individus d'ores et déjà poursuivis pour des faits de terrorisme . Comme le relevait Michel Mercier, rapporteur du projet de loi pour le Sénat, « le dispositif proposé [...] ne peut se justifier que dans les strictes hypothèses où les éléments sont insuffisants pour justifier une judiciarisation ».

Interrogées par le rapporteur de la mission, les autorités administratives comme judiciaires ont estimé que ce cumul était utile dès lors que les mesures n'étaient pas redondantes en pratique et qu'il permettait de soumettre un individu à des obligations complémentaires à celles prévues dans le cadre judiciaire . De fait, il apparaît que l'autorité administrative s'attache bien à concilier les obligations qu'elles prononcent avec celles prévues par un contrôle judiciaire, abrogeant même, si nécessaire, les mesures administratives qui paraissent redondantes.

L'on peut admettre, à ces conditions, un tel cumul, en particulier lorsque les faits justifiant le placement sous contrôle judiciaire sont décorrélés de la radicalisation de l'individu et ne permettent dès lors pas à l'autorité judiciaire de prononcer des mesures de surveillance aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme.

Ceci étant, le rapporteur a estimé qu'il existait des marges d'amélioration afin de favoriser, lorsqu'une personne est mise en examen pour des faits de nature terroriste, le prononcé de mesures de surveillance dans un cadre judiciaire plutôt que dans un cadre administratif.

Le recours à la voie judiciaire présente en effet deux avantages majeurs en l'espèce : il permet, en premier lieu, de sanctionner de manière plus immédiate le non-respect par la personne des obligations auxquelles elle est astreinte, par le placement en détention provisoire ; en second lieu, il permet de conserver la possibilité pour l'autorité administrative de prononcer, à l'avenir, une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, dont la durée cumulée ne peut excéder, pour un même individu, douze mois.

Au vu de ces éléments, le rapporteur suggère que l'information du parquet national antiterroriste (PNAT) sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance soit renforcée à deux niveaux .

Actuellement, le PNAT n'est en effet avisé que de l'état civil de la personne visée par l'autorité administrative et de la liste des obligations auxquelles il est envisagé de la soumettre. Il serait souhaitable d' étendre le champ de cette information , en prévoyant la transmission des motifs justifiant le prononcé de la mesure administrative. Une telle précision ne relevant a priori pas du domaine de la loi, le rapporteur recommande au ministère de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires pour procéder au renforcement de cette information.

Par ailleurs, s'il est consulté en amont du prononcé d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, le PNAT - comme les parquets territorialement compétents - n'est pas destinataire, en aval, de l'arrêté ministériel adopté. Cet état de fait nuit, de l'avis de la mission, à l'information de l'autorité judiciaire sur les obligations de nature administrative mises en oeuvre et, par conséquent, sur les risques de conflit en cas de mise en oeuvre, a posteriori , d'une mesure de nature judiciaire. Elle suggère de compléter les articles L. 228-2 à L. 228-5 du code de la sécurité intérieure afin de pallier ce manque.

Recommandation n° 1 :

Garantir le caractère subsidiaire des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance par rapport aux actions judiciaires :

- en étendant l'information du parquet national antiterroriste sur les projets de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, afin de favoriser, lorsque des poursuites pénales sont engagées, une surveillance judiciaire plutôt qu'administrative ;

- en modifiant le code de la sécurité intérieure afin de prévoir une transmission obligatoire au parquet national antiterroriste et aux parquets territorialement compétents des arrêtés ministériels de prononcé ou de renouvellement des mesures.


* 10 Rapport n° 629 (2016-2017) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (déposé le 12 juillet 2017).

Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l16-629/l16-6291.pdf .

* 11 Art. L. 228-2, L. 228-3, L. 228-4 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure.

* 12 Art. L. 229-1 du code de la sécurité intérieure.

* 13 Conseil d'État, Juge des référés, 12 septembre 2016, 403256.

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