B. UN RECOURS MODÉRÉ AUX DISPOSITIFS CRÉÉS ET CONFORME À L'ESPRIT DE LA LOI
1. Un pilotage étroit de l'application de la loi
Dès l'entrée en vigueur de la loi du 30 octobre 2017, le ministère de l'intérieur a instauré un dispositif de pilotage étroit , destiné à garantir une application équilibrée et homogène des nouvelles mesures de police administrative créées.
Outre la publication d'une circulaire d'application de la loi 4 ( * ) et la diffusion de modèles d'actes administratifs aux préfectures, une cellule spécifique a été créée au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère, chargée, d'une part, de centraliser les décisions préfectorales relatives aux périmètres de protection et aux visites domiciliaires et de s'assurer de leur solidité juridique , d'autre part, de préparer les décisions relevant du niveau ministériel (fermetures de lieux de culte et mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance).
Joignable sept jours sur sept et sur une amplitude horaire large, cette cellule assure un pilotage juridique renforcé des dispositifs de la loi « SILT » , en apportant un conseil juridique aux préfectures, en s'assurant de la pertinence juridique des requêtes, ainsi qu'en produisant et diffusant une doctrine d'emploi et des instructions pour garantir une mise en oeuvre conforme au cadre légal.
La mission s'est félicitée de cette centralisation qui, outre le fait de constituer une garantie importante d'application mesurée de la loi, a également pour objectif d'assurer l'articulation entre la mise en oeuvre des mesures issues de la loi « SILT » et d'autres dispositifs de police administrative , qu'il s'agisse des interdictions de sortie du territoire, des mesures de gel des fonds et ressources économiques ou encore des dissolutions d'associations.
A la lumière des quelques difficultés encore observées, un tel pilotage mériterait néanmoins d'être conforté à l'avenir , pour maintenir un contrôle effectif sur les conditions d'application des différentes mesures administratives.
2. Une application équilibrée des nouvelles mesures
A la lumière de l'application de l'état d'urgence, de nombreuses craintes avaient été exprimées, à l'occasion des débats parlementaires, à l'égard d'un risque d'usage disproportionné des mesures de police administrative, pour des motifs étrangers à la lutte contre le terrorisme.
Force est de constater qu'au cours des deux premières années d'application de la loi, les quatre mesures objet de l'évaluation du groupe de travail de la commission des lois ont été utilisées avec modération par les services de l'État, en partie grâce au pilotage renforcé du ministère de l'intérieur.
En témoignent tout d'abord les statistiques communiquées chaque semaine à la mission. Ainsi, entre le 1 er novembre 2017, date de son entrée en vigueur, et le 31 décembre 2019 5 ( * ) :
- 504 périmètres de protection ont été instaurés sur l'ensemble du territoire national ;
- 7 lieux de culte ont fait l'objet d'une fermeture administrative d'une durée de six mois ;
- 229 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été prononcées à l'encontre de 205 personnes présentant des signes de radicalisation 6 ( * ) ;
- 149 visites domiciliaires ont été autorisées par le juge des libertés et de la détention et réalisées.
D'un point de vue qualitatif, l'analyse des actes administratifs transmis de manière hebdomadaire à la commission permet d'affirmer qu'à de rares exceptions, les quatre mesures ont été mises en oeuvre dans le respect de la volonté du législateur , qui avait souhaité limiter leur application, contrairement aux dispositifs de l'état d'urgence, « aux seules fins de prévention du terrorisme » .
Seuls quelques cas de recours aux périmètres de protection pour des motifs étrangers à la prévention du terroriste ont été constatés (voir infra ), sans que cela ne remette en cause le constat général d'une application globalement mesurée de ces dispositifs susceptibles de porter une atteinte aux libertés individuelles.
3. Un contentieux limité
Les mesures de la loi « SILT » ont fait l'objet d'un contentieux relativement restreint depuis l'entrée en vigueur de la loi, à l'exception des fermetures de lieux de culte, pour lesquelles les arrêtés ministériels ont quasiment tous été portés devant le juge administratif 7 ( * ) .
Surtout, le juge administratif, qu'il ait été amené à se prononcer dans le cadre de procédures de référés-libertés ou de recours pour excès de pouvoir, a prononcé peu de suspensions ou d'abrogations de décisions administratives , ce qui confirme le constat d'une application équilibrée et proportionnée des dispositions de la loi.
Ainsi, au 31 décembre 2019, le nombre de recours et d'abrogations de mesures s'établissait comme suit :
- 1 recours formé à l'encontre d'un arrêté préfectoral instaurant un périmètre de protection, ayant donné lieu à une suspension d'exécution au motif qu'il n'était pas tenu compte des obligations professionnelles de certaines catégories d'individus 8 ( * ) ;
- 7 recours formés à l'encontre des arrêtés de fermeture de lieux de culte, tous rejetés par le juge ;
- 87 recours formés contre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dont 5 seulement ont débouché sur une suspension ou une annulation (3 suspensions, 1 annulation et 1 annulation partielle portant seulement sur l'une des modalités retenues) ;
- 1 recours indemnitaire visant à voir la responsabilité de l'État engagée à raison de l'exécution d'une visite domiciliaire.
À l'occasion de ces recours, le juge administratif a eu l'occasion de préciser, outre les contours des différentes mesures, la nature et les conditions de son contrôle.
Conformément aux principes dégagés au cours de l'état d'urgence, le Conseil d'État a notamment confirmé qu'aucune disposition législative ne s'opposait à ce que le juge administratif prenne en considération les « notes blanches » produites par les autorités administratives. Il a néanmoins confirmé la possibilité pour un requérant d'en contester la valeur probante, et, dans certains cas, a suspendu des mesures administratives au motif que les preuves apportées par l'administration étaient insuffisantes pour caractériser les critères fixés par la loi 9 ( * ) .
* 4 Circulaire du 31 octobre 2017 du ministre de l'intérieur relative à la mise en oeuvre des articles 1 er à 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° INTK1720270J).
* 5 Les données chiffrées contenues dans le présent rapport sont arrêtées au 31 décembre 2019.
* 6 L'écart entre le nombre de mesures individuelles prononcées et le nombre de personnes concernées s'explique par le fait que certaines personnes, dont la première mesure avait été abrogée (par exemple en raison d'une incarcération) ou n'avait pas été renouvelée (faute d'éléments nouveaux ou complémentaires) ont par la suite fait l'objet d'une deuxième mesure.
* 7 Seul l'arrêté portant fermeture d'une salle de prière à Gigean n'a pas fait l'objet de recours.
* 8 En l'espèce, l'arrêté visé instaurait un périmètre de protection, pendant la durée du sommet G7 à Biarritz, autour du tribunal de grande instance et du commissariat de Bayonne. Il a été suspendu au motif qu'il ne prévoyait pas d'exonérer les avocats ayant justifié de leur qualité de se soumettre aux mesures de contrôle (Tribunal administratif de Pau, ordonnance du 23 août 2019, Binet, n° 1901885).
* 9 À titre d'exemple, dans une ordonnance du 16 juillet 2018 (n° 421791), le Conseil d'État a suspendu une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance « faute de caractériser l'actualité du soutien, de la diffusion ou de l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ou, alternativement, une relation habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ».