II. UN MULTILATÉRALISME ONUSIEN QUI RÉSISTE CEPENDANT
Il ne faut cependant pas dresser un tableau complètement négatif de l'état du multilatéralisme. Dans bien des domaines, il continue à fonctionner et à démontrer son utilité.
A. UN CADRE DE COOPÉRATION ET DE DIALOGUE QUI RESTE INDISPENSABLE
Si le Conseil de sécurité est entravé sur certains dossiers comme la Syrie (14 vetos russes en sept ans), il reste efficace sur de nombreux sujets . Ainsi, le soutien du Conseil de sécurité à l'envoyé spécial des Nations Unies au Yémen, M. Martin Griffiths, a débouché en décembre 2018 sur l'accord de Stockholm par lequel le gouvernement yéménite et les rebelles houthistes sont convenus de cesser les combats après quatre ans de conflit, même si l'on enconnaît les difficultés de mise en oeuvre.
Un relatif consensus existe aussi sur le traitement des crises africaines , qui représentent environ la moitié de l'activité du Conseil de sécurité. Ainsi, le renouvellement des opérations de maintien de la paix en Afrique s'est fait récemment sans grande difficulté (alors que des tensions avaient marqué l'année dernière le renouvellement de la MINUSCA, avec une abstention de la Russie et de la Chine).
On relève, à cet égard, une évolution positive du maintien de la paix en 2018 et 2019 grâce à la diminution du nombre de décès violents et à la mise en oeuvre du programme « Action pour le maintien de la paix » du Secrétaire général, malgré les difficultés persistantes liées au contexte politique et social (inertie des processus politiques de résolution des conflits, environnement sécuritaire dégradé).
Un autre exemple de domaine dans lequel les membres du P5 s'accordent relativement bien est la lutte contre le terrorisme . En mars 2019, sous présidence française, le Conseil de sécurité a par exemple adopté une résolution visant à encourager les Etats membres de l'ONU à prévoir dans leur ordre juridique interne des dispositions visant à empêcher le financement du terrorisme. C'est également au Conseil de sécurité que sont dressées et tenues à jour les listes d'entités ou de personnes liées à Al-Qaida et Daech faisant l'objet de mesures restrictives universelles (gel des avoirs bancaires, interdiction de voyager).
Enfin, il faut souligner les succès obtenus pour désamorcer les crises naissantes et prévenir les conflits . Tout récemment, l'envoi d'un représentant spécial du Secrétaire général en Bolivie - le diplomate français Jean Arnault - a permis d'apaiser les tensions provoquées par les irrégularités constatées lors de la réélection d'Evo Morales et de relancer un processus électoral dans des conditions maîtrisées. Une telle mesure, il faut le souligner, n'est possible que si le pays le demande, ce qui fut le cas de la Bolivie.
L'entretien de la délégation avec M. Adama Dieng, conseiller spécial pour la prévention du génocide, a permis de mesurer tout le travail de veille et d'alerte conduit par les équipes entourant le Secrétaire général et les initiatives variées sur lesquelles ce travail est susceptible de déboucher (c'est ainsi, par exemple, qu'a été obtenue l'inclusion d'une référence aux droits de l'homme dans le projet de résolution sur le Yémen), même si ce n'est pas toujours possible (blocage sur la question des Rohinghas du fait du refus de la Chine).
Les agences telles que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), le Programme des Nations Unis pour le développement (PNUD) et le Fonds International des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) sont en première ligne dans les grandes crises humanitaires et mènent une action efficace et indispensable sur le terrain.
Sur le plan des droits de l'homme, la surveillance exercée par les organes spécialisés de l'ONU permet de faire pression sur les Etats concernés , particulièrement lorsqu'aucune action n'est possible au niveau du Conseil de sécurité. Ainsi, l'évocation de la question des Ouïghours au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a le mérite d'obliger la Chine à se justifier (même si c'est en invoquant la lutte contre le terrorisme et la déradicalisation).
La promotion et la protection des droits de l'Homme dans le cadre des Nations Unies Elles relèvent principalement des enceintes et institutions suivantes : ? Le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme (HCDH) : Créé par une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies du 20 décembre 1993 et placé au sein du Secrétariat général, le HCDH a comme mandat : « prévenir les violations des droits de l'Homme, garantir le respect de tous les droits de l'Homme, promouvoir la coopération internationale en vue de protéger ces droits, et diffuser les droits de l'Homme au sein du système des Nations Unies ». Il assure également le secrétariat du Conseil des droits de l'Homme et de ses organes et mécanismes subsidiaires (comités consultatifs, groupes de travail, rapporteurs spéciaux, examen périodique universel) et celui des comités conventionnels. ? Le Conseil des droits de l'Homme (CDH ): Créé en 2006 pour remplacer la Commission des droits de l'Homme, c'est le principal organe intergouvernemental des Nations Unies, en charge de la promotion et de la protection des droits de l'Homme. Il est composé de 47 pays élus pour une durée de trois ans (renouvellement par roulement annuel) et se réunit à Genève lors de trois sessions annuelles, ainsi que d'éventuelles sessions spéciales. La France y poursuit une politique d'engagement actif et continue de peser sur ses travaux en tant que pays observateur, après deux mandats successifs. Elle est candidate pour un nouveau mandat (2021-2023), dont les élections auront lieu en octobre 2020 à New York. La France y porte, seule ou avec des pays partenaires, de nombreuses résolutions « pays » sur les situations les plus critiques (Syrie, Birmanie, Yémen) et des résolutions sur des thématiques prioritaires (protection des journalistes, liberté de religion, etc.). Elle a soutenu la création de l'examen périodique universel (EPU) qui permet l'examen systématique et régulier de la situation des droits de l'Homme de chaque État membre des Nations unies par les pairs. Le CDH a la possibilité de créer des mandats d'experts indépendants ou de rapporteurs spéciaux permettant le suivi des droits de l'Homme sur des thèmes ou pays déterminés (il existe aujourd'hui 54 mandats de rapporteur spécial). La France, comme tous les pays de l'UE, a adressé en 2001 une invitation permanente à l'ensemble des rapporteurs spéciaux. ? La 3 e Commission de l'Assemblée générale des Nations unies : en charge « des affaires sociales, humanitaires et culturelles », elle consacre une partie importante de son travail à l'examen des questions relatives aux droits de l'Homme. Elle se tient chaque année à New York entre septembre et décembre, et s'occupe notamment de questions relatives au développement social telles que la promotion de la femme, la protection des enfants, les populations autochtones, le traitement des réfugiés, la protection des libertés fondamentales par l'élimination de la discrimination raciale, le droit à l'autodétermination, etc. La France y co-parraine quatre résolutions « pays » annuelles sur les droits de l'Homme en Iran, Syrie, Corée du Nord et Birmanie, ainsi que de nombreuses résolutions « thématiques » (sur la protection des journalistes, élimination de toutes les formes de violence à l'égard des femmes, liberté de religion et de conviction par exemple, peine de mort, droits de l'Homme et extrême pauvreté etc.). ? Les comités conventionnels ou organes des traités : Le système conventionnel des Nations Unies est composé de neuf organes chargés de veiller à l'application des pactes et conventions spécifiques dans le domaine des droits de l'Homme (Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants...) dont ils découlent. Ces comités ou organes ont vocation à examiner les rapports présentés par les Etats-parties sur les conventions dont ils dépendent ainsi qu'à recevoir, pour les Etats l'ayant accepté, les plaintes individuelles émanant de personnes estimant que leurs droits ont été violés. Ils sont composés d'experts indépendants élus. Source : ministère de l'Europe et des Affaires étrangères |
Les Nations Unies demeurent un cadre indépassable pour la régulation des sujets d'intérêt mondial , qu'ils soient traditionnels comme la politique de non-prolifération et le désarmement, ou nouveaux (environnement, migrations, cybersécurité, intelligence artificielle...). Depuis les années 1960, elles jouent un rôle moteur dans l'élaboration d'un consensus international en faveur du développement économique et social.
Enfin, les Nations unies constituent toujours un forum mondial , où tous les pays se rencontrent, se parlent et s'expriment, en particulier à l'Assemblée générale, véritable « Parlement du monde » où chaque Etat a un poids égal à celui de n'importe quel autre. La fonction tribunicienne de l'Assemblée générale est particulièrement perceptible lors de la « Semaine de haut niveau » qui marque l'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée générale.