D. MODALITÉS DE CONTRÔLE DES OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS

M. Patrick Chaize . - L'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques fonde les pouvoirs de l'Arcep. La loi ELAN a encore renforcé ses possibilités de sanction. Sébastien Soriano, quel bilan tirez-vous de ces réformes ?

M. Sébastien Soriano . - Le pouvoir de sanctions de l'Arcep en sort si renforcé qu'il fait peur. Cependant, nous préférons toujours l'amélioration du futur à la sanction du passé. La régulation des télécoms en France n'a jamais eu une culture de la sanction, et nous n'avons pas vocation à faire du chiffre à tout prix en infligeant des amendes. Pour autant, le marché a besoin d'une certaine discipline. Les engagements ne peuvent pas être de simples déclarations de principes.

Nous avons ainsi connu un épisode compliqué avec Orange, qui nous a permis à tous de progresser. En tant que régulateur, la contestation par Orange de notre pouvoir de sanctions par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) nous a permis de prendre conscience de l'importance des efforts qu'il avait consentis. Orange a perçu une contradiction entre l'importance des efforts qu'il réalisait et la mise en demeure que nous lui avions adressée.

Dans notre manière de présenter les choses, nous allons ainsi être plus attentifs vis-à-vis de tous les opérateurs. Ça a été pour nous l'occasion de rendre hommage au travail qui est fait par les agents sur le terrain. Orange a par ailleurs pu comprendre l'ampleur de l'exigence des élus locaux, en dépit des investissements réalisés. Des promesses ont été faites, et le cadre juridique des engagements est désormais juridiquement contraignant. Il s'agit là d'un véritable changement de paradigme. Il apparaît donc nécessaire que les opérateurs acceptent ce changement de la nature du contrôle.

Cet épisode pose également la question de la robustesse du pouvoir de sanctions de l'Arcep, malgré le retrait de son recours par Orange. En l'état de la jurisprudence, il me semble néanmoins tout à fait solide. Pour autant, nous sommes en éveil sur ce sujet et prêts à un dialogue avec le Sénat pour examiner, si nécessaire, cette question. Cet épisode ne remet cependant nullement en cause la vigilance du régulateur.

E. QUESTIONS DE LA SALLE

M. Richard Toper, président de l'entreprise Setics ainsi que du Cercle de Réflexion et d'Étude pour le Développement de l'Optique (Credo) . - Cette table ronde a souligné que le rythme d'installation actuel de quatre millions de prises permettrait d'atteindre les objectifs, alors que jusqu'à présent, j'entendais plutôt les acteurs appeler à une accélération des déploiements.

Je m'interroge néanmoins sur la pérennité de ces réseaux. Les investissements consentis aujourd'hui nous engagent sur une quinzaine d'années. Par conséquent, il ne s'agit pas uniquement d'aller vite, mais de bâtir les autoroutes numériques qui garantiront les services économiques de demain.

M. Etienne Dugas . - Cette question nous préoccupe tous. L'installation de 4 millions de lignes par an peut poser des problèmes de qualité. Tous les acteurs ont signé des contrats qui les engagent, et dont le non-respect entraînera des sanctions. Il existe donc des moyens juridiques pour s'assurer de la qualité des réseaux. Par ailleurs, leur contrôle est également encadré par ces contrats. Force est néanmoins de constater qu'un risque existe. De plus, les modalités d'exploitations sont complexes. Lors du TRIP de l'Avicca, nous évoquions ainsi le mode stock , qui en matière d'exploitation s'avère une totale hérésie.

M. Gilles Quinquenel . - La fibre optique est le réseau du XXI e siècle, il convient donc de nous mobiliser pour assurer sa pérennité. Cela passe par un suivi, et des opérations de maintenance. Ainsi, dans les réseaux d'initiative publique, il a parfois été nécessaire de tout repenser. Nous avons dépensé de l'argent public pour des réseaux qui n'étaient pas interopérables. Nous ne pouvons plus nous permettre de légèreté sur ces sujets, et les déploiements réalisés aujourd'hui prennent désormais davantage en compte le futur.

M. Paul Blanc, ancien sénateur des Pyrénées-Orientales . - Nous n'évoquons pour l'heure que la fibre optique. Le rapport de la Cour des comptes de 2016 indique cependant que celle-ci coûtera plus de 15 milliards d'euros, et qu'il conviendrait par conséquent d'envisager des solutions alternatives.

En tant qu'ancien élu de ces zones qui feront partie des derniers 20 % à être couvertes, en l'occurrence les Pyrénées-Orientales, je me pose de nombreuses questions. En effet, ces zones sont en très grande difficulté, et un fort développement de la télémédecine y est envisagé. Comment cela sera-t-il possible sans très haut débit ? Ainsi, dans ma commune, je dispose de 50 mégas par voie hertzienne.

Nous entendons également parler du très haut débit par radio, et j'ai pu moi-même constater son efficacité. Il me semble néanmoins que cette solution est insuffisamment envisagée. Elle exige notamment, pour fonctionner, les pylônes de télévision. Ainsi, alors que la mort de la TNT est annoncée, je suis étonné d'apprendre que TDF a noué un contrat avec Orange pour la cession de pylônes de télévision. Ne serait-il donc pas possible pour les 20 % des territoires qui ne disposeront pas immédiatement de la fibre optique de s'orienter vers ces technologies alternatives, d'autant plus en territoires de montagne où la loi Montagne permet des expérimentations ?

M. Patrick Molinoz . - Nous considérons que le très haut débit par radio est une technologie intermédiaire, dans l'attente de la fibre optique. Il ne peut s'agir d'une solution très pérenne. Il restera sans doute des zones particulièrement isolées, notamment en montagne, où la fibre optique ne pourra pas être installée, et où des technologies alternatives, comme les solutions satellitaires, pourront être mises en place. Cependant la fibre optique doit être installée dans le plus grand nombre de territoires possible. Ces solutions alternatives, comme le très haut débit radio, ont selon moi vocation à être déployées soit sur des phases de transition, soit sur des zones particulièrement isolées.

M. Jean-Pierre Bonicel, Objectif Fibre . - Vous avez parlé de l ' approvisionnement en câble optique, avec une rupture d ' approvisionnement qui a constitué un épiphénomène, qu ' on ne sait pas trop expliquer. Aujourd ' hui, les commandes sont 20 % à 30 % inférieures aux engagements qui nous ont été initialement demandés. Ceci conduit à la mise en chômage technique de certaines usines de production de câble, alors même que nous continuons à en importer d ' Asie.

Nous devons par ailleurs nous montrer très vigilants quant à leur qualité. À l'époque des câbles en cuivre, un strict contrôle était exercé, tant des matières premières que de la réalisation. Aujourd'hui en France, un seul opérateur est chargé de la qualification des matières premières. Or je constate régulièrement des non-conformités flagrantes en matière de fibre sur le terrain, alors même que ces réseaux sont mis en place pour trente ou cinquante ans.

Enfin se pose la question du raccordement des abonnés, tâche qui nécessitera la main d'oeuvre la plus conséquente. Le passage de cinq millions à trente millions d'abonnés exigera ainsi un travail considérable. Objectif Fibre rédigera du reste un guide afin de s'assurer de l'harmonisation des pratiques en la matière. La réalisation de la fibre optique jusqu'au point de branchement ne constitue qu'une première étape, loin de l'objectif final.

M. François Lacombe, Open Street Map . - Cette table ronde a évoqué les questions de la complétude du déploiement, de la qualité, de la complexité et de la pérennité des réseaux. Or nous ne savons pas aujourd'hui où se situent nos infrastructures. Ces informations ne sont en effet pas partagées. Les demandes de Gilles Quinquenel et Patrick Molinoz portant sur les données ouvertes sont également valables pour les infrastructures. Je m'étonne que les réseaux publics ne connaissent pas l'emplacement des installations déployées. Ce savoir pourrait notamment permettre la mutualisation des travaux. En effet, les dispositifs réglementaires mis en place par le législateur ne sont aujourd'hui pas utilisés. Malgré les 4 millions de lignes installées cette année, nous ne sommes pas en mesure de réutiliser nos actifs acquis. Il est notamment possible de déployer de la fibre optique à travers les réseaux d'eau, en particulier dans les zones rurales et montagneuses. Pourquoi ces dispositifs de mutualisation ne sont-ils pas utilisés à plus grande échelle ?

M. Patrick Chaize . - Il y a sans doute un problème de complexité. Ces options sont cependant envisagées, peut-être pas suffisamment cependant.

M. Etienne Dugas . - Je regrette comme vous que beaucoup d'infrastructures construites ces 100 dernières années n'aient pas été recensées. Néanmoins, toutes celles construites aujourd'hui le sont désormais. Nous mutualisons autant que possible, principalement avec le réseau d'Orange, mais également avec celui d'Enedis et de l'ensemble des syndicats d'énergie. Cependant, je partage votre avis concernant la possibilité d'utiliser les réseaux d'eau, bien que leur utilisation pose un certain nombre de problèmes sanitaires.

Je souhaite également rebondir sur le propos de Gilles Quinquenel concernant les agences de l'eau. Ce dispositif pourrait en effet être reproduit pour le numérique, car il fonctionne remarquablement bien.

M. Gilles Quinquenel . - La question de la connaissance des réseaux me semble essentielle. Le réseau numérique est en effet le seul à être mal connu. Un système d'information partagé doit être mis en place, ainsi qu'une coordination et une mutualisation sur ces sujets. Il existe en effet aujourd'hui des systèmes d'information géographique pour les syndicats d'énergie, pour les intercommunalités... Je pense qu'il existe des solutions pratiques. Nous sommes à l'ère de l' open data . Il ne s'agit pas d'un problème financier, mais d'un problème de responsabilité et de connaissance du territoire. Que les réseaux soient déployés par l'initiative privée ou publique, ils le sont sur des voiries, en aérien ou en souterrain, qui sont la propriété des communes, des départements ou des intercommunalités. À partir de la connaissance des voiries, il sera possible de connaître l'ensemble des réseaux, publics ou privés, qu'ils soient de communication ou d'eaux.

M. Hérault Nzonza, Groupe Orange . - Ma question s'adresse à Sébastien Soriano. Le secteur du numérique exige des investissements considérables. Des entreprises telles qu'Orange sont handicapées par le cadre réglementaire. En effet, nous constatons en Europe que des régulateurs tels que l'Arcep s'accrochent au dogme destructeur de l'hyper-concurrence. Ni les États-Unis ni la Chine ne souffrent d'un tel handicap, et leurs géants numériques viennent nous concurrencer de ce fait. Je souhaite donc savoir à qui profite cette régulation.

M. Sébastien Soriano . - Les États-Unis et la Chine ne sont effectivement pas des modèles pour nous, ni pour l'Arcep, ni pour l'Europe. Nous avons réussi à combiner en Europe le libre choix offert aux utilisateurs par la concurrence, et l'efficacité de l'investissement par le partage des infrastructures. Ce partage prend de nombreuses formes, à commencer par le dégroupage du réseau d'Orange, qui a permis de ne pas avoir à construire un second réseau parallèle. Les États-Unis n'ayant pas fait ce choix se sont ainsi retrouvés avec un duopole, avec deux infrastructures, et donc, in fine, avec une concurrence moindre. La ligne de crête à tenir entre liberté de la concurrence et efficacité de l'investissement est un équilibre difficile à trouver, mais je crois que nous y avons réussi en France. Le déploiement de la fibre optique est ainsi largement mutualisé entre les opérateurs. La redondance des investissements est dès lors très limitée, en particulier dans les zones rurales. Dans le domaine du mobile, les opérateurs arrivent ensemble à couvrir les zones dites « blanches ». Je ne crois donc ni au modèle libéral américain d'une concurrence sans mutualisation, ni au modèle chinois d'un marché uniquement géré par l'État.

M. Serge Deslandes, président de Manche numérique . - Un élément n'a pas été abordé aujourd'hui, qui conditionne la viabilité du modèle économique. Il s'agit des taux de commercialisation, ainsi que du positionnement des grands opérateurs. Par exemple, pour le département de la Manche, quand nous lançons une opération de commercialisation avec des opérateurs alternatifs, notre opérateur historique nous promet son arrivée sur le réseau. Cette promesse demeure néanmoins sans lendemain. Ce type de pratiques bloque la commercialisation. Or les recettes d'aujourd'hui nous permettront demain d'achever le déploiement.

M. Sébastien Soriano . - Cette question de la commercialisation de la fibre est essentielle, tant pour les acteurs privés que publics. En effet, la mise en place de réseaux où n'arriveraient pas in fine des clients apparaît dangereuse. Sur ce plan, il nous faut être rassurant. Le taux de pénétration de la fibre optique en France est aujourd'hui de 37 %, ce qui apparaît très satisfaisant pour un réseau actuellement en construction. En effet, chaque jour, de nouvelles prises sont installées, qui par définition sont encore vides. Elles font donc mécaniquement baisser la moyenne. À ce titre, certains acteurs des zones d'initiative publique nous indiquent que dans les zones rurales où le taux de débit du cuivre est très faible, les taux de pénétration peuvent néanmoins s'avérer très importants.

La venue des grands opérateurs privés sur les réseaux publics demeure néanmoins une question en suspens. Nous avons pu craindre que seuls de petits opérateurs ne s'y rendent, alors que les utilisateurs souhaitent pouvoir disposer de la même offre de service que dans les zones urbaines. Nous avons cependant largement progressé sur ce sujet. Certains acteurs chargés de la construction des réseaux ont ainsi mis en place des modèles en accord avec les grands opérateurs, dans lesquels ceux-ci viennent désormais presque automatiquement. A l'inverse, certains réseaux d'initiative publique déployés par de grands opérateurs n'accueillent pas suffisamment d'opérateurs alternatifs. L'Arcep sera donc particulièrement vigilante sur cette question.

M. Patrick Chaize . - Je ferai observer sur cette question que les opérateurs viennent quand ils perdent des clients. Je suis donc assez confiant quant à leur arrivée sur ces réseaux, en raison non seulement de leur discours, mais également de cet effet mécanique.

Je remercie l'ensemble des participants à cette table ronde. Je retiendrai de leurs interventions la nécessité d'une confiance mutuelle, d'une transparence, ainsi que d'une continuité du PFTHD pour réussir la construction d'un réseau de très haut débit en France.

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