C. DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES TOUJOURS DIFFICILES ET EN DÉFLATION
Si le consommateur a ressenti la hausse des prix en grande surface, se retrouve-t-elle pour autant dans le revenu des agriculteurs en bout de chaîne ?
Si les prix de vente au consommateur importent, l'objectif est bien d'observer l'évolution des prix d'achat aux fournisseurs par la grande distribution et, dans un second temps, les prix d'achat des fournisseurs aux producteurs agricoles.
Or, alors que l'application de l'encadrement des promotions et du relèvement du SRP était connue depuis le début des négociations commerciales annuelles entre les industriels et les distributeurs, a été constatée la poursuite d'une déflation générale des prix d'achat aux fournisseurs en 2019 de - 0,4 % selon l'observatoire des négociations commerciales.
La secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et les services de la DGCCRF font état d'une déflation de - 0,27 % avec une revalorisation des produits commercialisés par les PME (+ 0,7 %) ainsi que des produits frais (+ 0,9 %) sur la base de 300 contrôles qui ont été menés sur l'ensemble du territoire et qui ont visé 150 PME, 115 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et plus d'une vingtaine de très grandes entreprises - ayant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires - et ce dans toutes les régions de métropole 11 ( * ) .
Ce chiffre diffère selon les filières. Les produits frais laitiers et les oeufs semblent avoir tiré leur épingle du jeu avec des tarifs passés en inflation pour environ + 1,4 %. Il en va de même pour les produits surgelés (+ 0,2 %), surtout dans le surgelé salé. Le reste des filières connaît la déflation : - 0,8 % pour l'épicerie salée, - 0,9 % pour l'épicerie sucrée, - 0,7 % sur les produits frais non laitiers comme la viande, la charcuterie et la saucisserie. Le rayon boissons a été touché par des tarifs accordés entre - 0,3 % et - 1,2 % par rapport à l'année précédente.
Quelques contrats emblématiques ont été signés entre les industriels laitiers et quelques grands distributeurs prévoyant une hausse des tarifs, qui ne couvrent toutefois pas encore le coût de production calculé au niveau interprofessionnel.
La logique de construction du prix semble d'ailleurs, dans cette filière, ne pas correspondre à la lettre à l'esprit des EGA, les industriels tentant d'obtenir de meilleurs tarifs auprès des distributeurs afin, dans la mesure de ce qu'ils ont obtenu, de les répercuter ensuite aux producteurs. Les prix ne semblent donc pas encore construits en totale référence avec des coûts de production. Il faut également signaler que des organisations de producteurs regrettent le manque de transparence des industriels quant à la signature de leurs contrats avec les distributeurs.
Toutefois, ces contrats laitiers ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt.
D'une part, ils ne concernent qu'une part minoritaire du lait produit en France comme le rappelle Dominique Chargé, président de Coop de France : « pour le secteur laitier, la part du lait valorisé dans les réseaux de la grande distribution représente environ 50 % du lait produit, dont un tiers dans les produits à marques. 12 ( * ) »
D'autre part, l'inflation constatée sur les prix d'achat aux fournisseurs de produits laitiers correspond, également, à une hausse plus globale des cours du lait constatés sur les marchés mondiaux compte tenu de cours plus favorables sur la poudre de lait et malgré des tensions à la baisse sur le cours du beurre.
Il semblerait d'après certains observateurs qu'une moitié de la hausse des tarifs accordés aux producteurs s'expliquait par l'augmentation des cours sur le marché et que l'autre moitié provenait d'un « effet EGA » de redistribution des hausses de tarifs accordés par les distributeurs aux industriels.
Il est intéressant d'ajouter qu'une hausse particulièrement dynamique des charges a été constatée par les producteurs laitiers sur le premier semestre 2019, notamment au regard de l'évolution du coût de l'énergie et de l'alimentation pour environ + 3,5 % 13 ( * ) . La hausse des tarifs a ainsi pu traduire, de manière indirecte, la hausse des coûts de production.
En complément de l'effet médiatique attendu à la suite de l'adoption de la loi Egalim, les fondamentaux économiques peuvent donc aussi pleinement justifier la hausse des tarifs accordés aux industriels laitiers français par la grande distribution.
Il n'est donc nullement établi, y compris pour les quelques contrats laitiers emblématiques signés entre certains industriels et des distributeurs, que ces évolutions proviennent exclusivement de l'adoption de la loi Egalim, mettant fin brutalement à la déflation. Si ces contrats demeurent l'exemple à suivre, ils ne doivent pas donner un biais dans l'analyse globale des effets de la loi Egalim. Il en va de même de la revalorisation des achats dans la filière porcine, alors que le cours a gagné + 45 % depuis le début d'année compte tenu de la peste porcine africaine en Chine.
En parallèle, certaines dynamiques sont inquiétantes. Certaines enseignes ont par exemple proposé des bouteilles de lait bio sous marque de distributeur à 0,87 € le litre, soit un prix presque identique aux bouteilles de lait conventionnel. La guerre des prix pourrait simplement avoir été transférée sur ces produits plus qualitatifs sans toutefois qu'elle n'ait été ressentie, pour l'instant, dans le revenu de ces agriculteurs. Le Synabio a indiqué, lors de son audition, qu'il craignait un décalage de la guerre des prix sur ses adhérents, groupes industriels spécialisés dans les produits bio. Plusieurs indicateurs le font craindre. Ainsi, plus de 40 % de ses adhérents ne sont pas parvenus à passer des hausses de matières premières en 2019. Au total, 2/3 des produits bios interrogés par le Synabio ont subi, lors des dernières négociations commerciales, une déflation de leur tarif d'achat comprise entre - 1 et - 2 % 14 ( * ) . En outre, les distributeurs ayant leurs propres stratégies d'essor en bio par le biais de leurs produits MDD, la pression pourrait être beaucoup plus forte sur les prix dans les années à venir.
* 11 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat le 4 avril 2019
* 12 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat le 5 juin 2019.
* 13 Selon la variation de l'indice IPAMPA, calculé par l'Institut de l'élevage (variation sur 12 mois).
* 14 Audition devant le groupe de suivi.