D. LE RECOURS À DES FINANCEMENTS DE MARCHÉ PEUT APPORTER UN COMPLÉMENT TOUT EN PRÉSERVANT LE RÔLE STABILISANT DES PRÊTS RÉGLEMENTÉS

1. Le recours à des prêts de marché paraît devoir profiter, mais de manière limitée, du niveau historiquement bas des taux d'intérêt.

Aujourd'hui, il apparaît que les bailleurs ont recours à des prêts de banques autres que la Caisse des dépôts principalement pour des projets de rénovation . Ces prêts ont en effet une durée moins longue, typiquement inférieure à trente ans, ce qui reste à la portée d'une banque dont les fonds proviennent de dépôts à vue. En outre, ces prêts offrent pour le bailleur une flexibilité plus grande que les prêts réglementés.

Un nombre croissant de bailleurs sont tentés de recourir à des financements à des taux de marché plus bas que ceux issus du fonds d'épargne, de manière à assurer la rentabilité d'opérations dont l'équilibre est menacé par la RLS.

Il s'agit également pour eux de profiter sur le très long terme du niveau très bas des taux d'intérêt en souscrivant à un emprunt à taux fixe, de manière à se prémunir du risque de variation des taux qui existe sur les prêts réglementés : ceux-ci sont en effet souscrits à un taux révisable, dont le niveau dépend de celui du livret A. Une remontée des taux de marché dans les années à venir aurait pour effet une augmentation du taux du livret A et donc des annuités d'emprunt remboursées par les bailleurs.

Le groupe BPCE a ainsi mis en place en 2018 un produit de prêt sur 40 ans à taux fixe , souscrit par Partenord Habitat, office public d'habitat du département du Nord. Le directeur général de l'office expliquait le recours à ce prêt par une baisse attendue des recettes locatives de 8 % du fait de la RLS, ce qui rend nécessaire le recours à d'autres ressources en complément des prêts indexés sur le livret A 87 ( * ) .

La BPCE a toutefois réalisé le montage en lien avec sa filiale Natixis, mobilisant des ressources auprès d'investisseurs institutionnels internationaux . Les représentants du groupe ont expliqué à votre rapporteur spécial que ces investisseurs, constatant le niveau de rémunération très faible, voire négatif, des obligations d'État, sont attirés par une rémunération certes faible, mais qui demeure positive, ainsi que par le niveau de sécurité du secteur du logement social français jugé très élevé. Cette sécurité s'explique par l'encadrement réglementaire strict, par la multiplicité des niveaux de contrôle et par la garantie apportée par les collectivités territoriales, qui les amènent à considérer que le risque est comparable à celui de l'État français.

Dans la mesure où le taux des prêts aidés est plus faible pour les projets les plus sociaux, le niveau des taux de marché est principalement intéressant pour les projets de type PLS , voire PLUS, ainsi que pour les logements intermédiaires.

Cette ressource est bienvenue puisqu'elle tire parti d'une situation de marché favorable et réduit la nécessité d'aides publique. Toutefois l'intervention des banques est soumise à plusieurs limites et aléas.

Une banque traditionnelle peut difficilement consentir un prêt sur une durée de 40 ans et plus  à partir de la ressource issue de ses dépôts ; elle doit donc être en mesure de trouver des partenaires qui peuvent refinancer une dette sur une telle durée.

En outre, le secteur bancaire traditionnel n'est actuellement pas en mesure d'apporter des prêts de longue durée avec des volumes aussi importants que la Caisse des dépôts . Une remontée des taux risquerait de faire perdre aux banques leur avantage concurrentiel et de remettre en cause leur stratégie dans le secteur du logement social.

Enfin, le recours aux prêts de marché introduit une différenciation entre les bailleurs selon des critères classiques de qualité des emprunteurs , contrairement aux prêts de la Caisse des dépôts dont le taux dépend seulement du caractère plus ou moins social du projet.

On constate ainsi que, malgré le niveau historiquement bas des taux d'intérêt de marché, les prêts non réglementés ne se généralisent pas encore : d'après les données transmises à votre rapporteur spécial, ces prêts représentaient 4,5 % des plans de financement moyens constatés des opérations de production de logement social en 2017, soit 690 millions d'euros, contre 5 % en 2015 et le même pourcentage en 2013.

Par ailleurs, les banques reçues par votre rapporteur spécial ont fait part des difficultés causée par les règles relatives au taux d'usure , qui conduisent à interdire à une banque d'accorder un prêt à un taux effectif global (TEG) supérieur de plus d'un tiers au taux effectif moyen pratiqué pour des opérations de risque comparable 88 ( * ) . Or cette règle, qui s'applique aussi dans le cas du logement social, conduit à écarter, en raison du niveau actuel très bas des taux , des emprunteurs d'une manière qui n'est pas forcément justifiée .

Au total, votre rapporteur spécial constate que les prêts de long terme accordés par des banques traditionnelles sont aujourd'hui une réalité . Toutefois les prêts de la CDC devraient conserver leur rôle prédominant , indépendamment de l'obligation pour les bailleurs de financer au moins la moitié de leur projet par les prêts aidés et les subventions. Les volumes actuels de prêts accordés par les banques tierces sont sans commune mesure avec le niveau d'environ 14 milliards d'euros par an que la Caisse des dépôts est en mesure de mettre à disposition du secteur du logement social chaque année.

La Caisse des dépôts veille elle-même à protéger le niveau de ses encours contre des arbitrages de taux que souhaiteraient réaliser les emprunteurs . Des indemnités sont prévues pour le remboursement anticipé d'un prêt ; d'après les éléments apportés à votre rapporteur spécial, le niveau de ces indemnités est lié au niveau des taux et peut actuellement représenter 10 % à 20 % du crédit. En outre, lorsque l'emprunteur a souscrit un prêt de haut de bilan bonifié (PHBB), il doit rembourser celui-ci avant de rembourser le prêt principal, le PHBB ayant vocation à être un complément et non un substitut au prêt principal.

2. L'hypothèse de l'intervention en capital de nouveaux acteurs doit être envisagée avec prudence

Parmi les sources de financement du logement social, une forme non encore explorée en France est la participation en capital d'investisseurs institutionnels, tels que les fonds de pension internationaux. Votre rapporteur spécial fait part de sa prudence à l'égard d'une telle éventualité.

Les investisseurs internationaux sont d'ores et déjà présents, comme on l'a vu supra , dans d'autres pays européens tels que l'Angleterre et l'Allemagne, pays où ils ont pu acquérir des stocks massifs de logements sociaux.

Comme l'ont indiqué certaines personnes auditionnées par votre rapporteur spécial, ces investisseurs pourraient être intéressés par les garanties de sécurité apportées par la forte régulation du secteur social en France. Ils interviennent d'ailleurs déjà via les prêts de marché accordés à des bailleurs sociaux.

L'engagement d'investisseurs institutionnels dans le logement social commence à faire l'objet de débats en France. Il a d'ailleurs suscité une mission demandée par le Gouvernement à l'Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). L'Assemblée nationale a adopté pour sa part, en juin 2018, un amendement qui aurait certainement facilité l'entrée d'investisseurs privés dans le logement social 89 ( * ) : cet amendement donnait aux organismes HLM la possibilité de vendre des logements à leurs occupants en conservant l'usufruit ; à la fin de la convention d'usufruit, le logement pouvait être déconventionné et le logement aurait pu être vendu sur le marché libre, avec une plus-value importante. Cette disposition, qui avait suscité des protestations au motif qu'elle ouvrait la voie à une privatisation partielle du parc social sur le modèle allemand, a été supprimée lors de l'examen devant la Haute Assemblée, sur la proposition de plusieurs sénateurs dont votre rapporteur spécial.

Votre rapporteur spécial ne cache pas sa réticence à voir des investisseurs internationaux intervenir en capital dans le logement social français : l'une des forces du logement social français est la stabilité des organismes propriétaires du parc, assurée par leur statut.

3. L'émission de titres sur les marchés financiers devrait rester limitée à certains acteurs

L'émission de titres sur les marchés financiers n'est pas envisageable pour la plupart des bailleurs sociaux en raison de la complexité que représentent ces opérations pour des organismes de taille modérée.

L'accès aux marchés nécessite ainsi d'être noté par une grande agence de notation, ce qui est le cas d'un tout petit nombre de bailleurs.

La direction du Trésor fait valoir que, pour les bailleurs qui peuvent y avoir accès, l'attractivité des émissions peut être limitée par le faible niveau de rémunération qui sera apporté, en raison du faible niveau des taux d'intérêt ou, pour des émissions d'actions, de leur rendement limité 90 ( * ) . Elle a indiqué toutefois à votre rapporteur spécial que certains bailleurs procèdent d'ores et déjà à des émissions : cela a été le cas par exemple d'un bailleur qui a levé 60 millions d'euros sur les marchés obligataires à la fin de l `année 2018.

À cet égard, un test de marché de grande ampleur sera apporté par l'émission, prévue à l'automne 2019, d'une première tranche obligataire par le groupe Action Logement, dans le cadre d'un programme d'émission de 6 à 7 milliards d'euros au total afin de financer la réalisation du « plan d'investissement volontaire ».

Au total, votre rapporteur spécial considère que ces financements complémentaires semblent devoir conserver une place limitée et ne pas conduire à déstabiliser le système du fonds d'épargne .


* 87 AEF Info, Après avoir accordé un prêt à taux fixe sur 40 ans à Partenord, le groupe BPCE étudie plusieurs opérations analogues , dépêche n o 600896, 25 février 2019.

* 88 Article L. 314-6 du code de la consommation.

* 89 Voir l' amendement n° 1854 de Mme Christelle Dubos, rapporteure, et trois amendements identiques, lors de l'examen en première lecture du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).

* 90 L'article L. 423-4 du code de la construction et de l'habitation limite l'augmentation annuelle de la valeur des actions d'une société anonyme de HLM à la valeur du taux du livret A augmenté de 1,5 % et diminué des dividendes versés.

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