B. LES SOLUTIONS D' « ACCOMPAGNEMENT » NE RÉSOLVENT PAS LE PROBLÈME DE FOND DU FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL

À l'occasion de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) fin 2017, puis dans le cadre du « pacte constructif » du 25 avril 2019, plusieurs mesures d' « accompagnement » ont été mises en place afin d'atténuer le choc pour les bailleurs sociaux.

Le Gouvernement actuel a également placé la vente de logements sociaux comme un objectif important qui permettrait d'apporter aux bailleurs les financements qui leur manquent, fixant une cible de 40 000 ventes de logements sociaux par an. Cet objectif n'est toutefois pas nouveau : un accord signé entre l'État et les fédérations HLM le 18 décembre 2007 prévoyait déjà la cession annuelle de 1 % du parc, soit 40 000 logements par an. Il est d'ailleurs fortement inspiré d'exemples étrangers, alors même que votre rapporteur spécial a pu constater en Angleterre que la vente, pas plus que le reversement de bénéfices provenant d'activités annexes, n'est la solution universelle au financement du logement social.

Votre rapporteur spécial est forcé de constater qu'il s'agit de palliatifs certes bienvenus, mais qui ne constituent pas des solutions de long terme pour le financement du logement social .

1. Les prêts de haut de bilan allongent la durée de la dette

La Caisse des dépôts avait mis en place dès 2016 des « prêts de haut de bilan » (PHBB), ainsi dénommés parce qu'ils fournissent des ressources très stables qui les rapprochent des fonds propres. Il s'agit de prêts d'une durée de 30 à 40 ans qui ne font l'objet d'aucun amortissement du capital pendant les 20 premières années ; pendant les 10 années (réhabilitation) ou 20 années (construction) suivantes, le taux du prêt est celui du livret A + 0,60 %. Cette première génération de prêts de haut de bilan a été consacrée à la production neuve pour 25 % de l'enveloppe et à la rénovation thermique du patrimoine existant pour 75 %.

La Caisse des dépôts a lancé en 2018 une seconde offre de prêts de hauts de bilan , dits « 2.0 », représentant une enveloppe de 2 milliards d'euros entre 2018 et 2020. Cette enveloppe est destinée à soutenir prioritairement la construction neuve, à hauteur de 80 % (et même à 100 % pour la tranche lancée en 2018), et dans une moindre mesure la réhabilitation à hauteur de 20 %.

Il est difficile de dresser un bilan concret de ces mesures sur l'équilibre financier des bailleurs sociaux dans la mesure où leur mise en oeuvre s'étale jusqu'en 2020 et où leur effet se produit sur le très long terme.

En outre, l'existence de droits de réservation au bénéfice d'Action Logement constitue un frein à l'acceptation dans certaines agglomérations et l'attribution à un grand nombre d'organismes produit un effet de « saupoudrage » qui limiterait l'effet déclencheur de ces prêts sur le lancement des opérations.

Il n'en reste pas moins que l'appel à projets de 2018 a rencontré le succès espéré, puisque 384 bailleurs sociaux, soit la moitié d'entre eux environ, ont souscrit à l'offre et que la demande a excédé le niveau de l'enveloppe prévue de 700 millions d'euros 71 ( * ) , même si la nécessité de négocier les droits de réservation avec Action Logement pourra entraîner un niveau de prêts effectifs inférieur à ce montant.

Votre rapporteur spécial souligne que le soutien de l'État ainsi apporté aux organismes par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts ne consiste guère qu'à repousser la dette, qui est allongée mais pas allégée. En outre cet apport est un « fusil à un coup » alors que l'effet de la RLS se fait désormais ressentir chaque année, pour un montant de près d'un milliard d'euros.

En outre la souscription d'un PHBB rend plus délicate la renégociation du prêt principal par le bailleur qui souhaite profiter d'une offre avantageuse de la part d'une banque traditionnelle, car le PHBB - que l'emprunteur n'a pas intérêt à rembourser puisqu'il a un taux de 0 % pendant vingt ans - doit être remboursé avant le prêt principal.

Une autre mesure favorisant la capacité d'investissement des organismes de logement social a été annoncée par la Caisse des dépôts à l'occasion de l'accord intervenu entre le Gouvernement et les acteurs du logement social le 25 avril 2019, à savoir la souscription , pour un montant de 800 millions d'euros sur trois ans, de titres participatifs émis par les organismes de logement social et prioritairement par les offices publics HLM.

Les titres participatifs et la loi ELAN

Un titre participatif est un titre remboursable uniquement en cas de liquidation de la société ou, à son initiative, à l'expiration d'un délai qui ne peut pas être inférieur à sept ans 72 ( * ) . Sa rémunération comporte une partie fixe et une partie variable calculée par référence à des éléments relatifs à l'activité ou aux résultats de la société et assise sur le nominal du titre. Les titres participatifs sont négociables.

Alors que les titres participatifs pouvaient auparavant être émis par des sociétés par actions appartenant au secteur public, des sociétés anonymes coopératives, des banques mutualistes ou coopératives et des établissements publics de l'État à caractère industriel et commercial, la loi ELAN a étendu cette faculté aux sociétés de coordination créées par la même loi, aux offices publics de l'habitat et aux entreprises sociales de l'habitat 73 ( * ) .

Source : commission des finances du Sénat

2. Les ventes de logements sociaux ne peuvent apporter qu'une aide limitée
a) Une possibilité encadrée par le code de la construction et de l'habitation

Un bailleur social peut - mais, contrairement à la politique suivie en Angleterre, n'y est pas obligé - vendre les logements qu'il possède à ses occupants. Le logement doit avoir été construit ou acquis depuis au moins dix ans et répondre à des critères d'habitabilité et de performance énergétique minimaux.

Les modalités de la vente sont encadrées par le code de la construction et de l'habitation, qui prévoit notamment que la vente « ne doit pas avoir pour effet de réduire de manière excessive le parc de logements sociaux locatifs existant sur le territoire de la commune ou de l'agglomération concernée » 74 ( * ) .

En particulier, le maire de la commune qui a garanti le prêt ou qui a accordé un financement pour la construction du logement peut s'opposer à la vente si elle empêche la commune d'atteindre le taux de logements sociaux fixé par la loi SRU, sauf si la vente s'exerce dans le cadre prévu par une convention d'utilité sociale.

La procédure contient donc des garde-fous pour éviter qu'elle ne se fasse au détriment de la production de logements sociaux.

b) Des perspectives de développement des ventes éloignées des objectifs du Gouvernement

D'après les données de l'Union sociale pour l'habitat, le nombre de ventes de logements locatifs à leurs locataires ou à d'autres personnes physiques était de 7 700 en 2017 et de 8 700 en 2018 75 ( * ) . Seule une faible part des logements commercialisés sont effectivement vendus, puisque près de 100 000 logements étaient en cours de commercialisation à la fin de 2018.

La cible retenue par la Caisse des dépôts dans ses études est d'ailleurs de 17 000 ventes par an pour l'ensemble du secteur d'ici à 2022 76 ( * ) . La fédération des offices publics HLM a également indiqué à votre rapporteur spécial que son objectif était de doubler le volume des ventes actuel. S'agissant des entreprises sociales de l'habitat (ESH), les ventes se sont développées entre 2009 et 2011, passant de 2 961 à 5 293 ventes en rythme annuel, mais stagnent depuis à un niveau compris entre 4 800 et 5 800 ventes par an 77 ( * ) .

Votre rapporteur spécial ne s'oppose pas à la vente de logements HLM , mais celle-ci dépend des besoins et des ressources des locataires et doit répondre à une stratégie économique pour l'organisme . Si elle était réalisée sous la pression par un organisme en difficulté, elle conduirait à céder le patrimoine le plus facilement valorisable au détriment d'une gestion économique de long terme du parc social. En outre, les ventes ne pourraient concerner que les territoires dans lesquels le marché est porteur et risqueraient de renforcer l'inégalité entre les territoires du point de vue du développement du logement social.

Il est d'ailleurs paradoxal que le Gouvernement encourage la vente de logements sociaux alors qu'il a supprimé un dispositif qui facilitait leur achat . La loi de finances pour 2018 a en effet supprimé l'APL « accession » alors même qu'il s'agit d'une aide essentielle pour aider les locataires à revenus modestes à acquérir le logement qu'ils occupent. Plusieurs organismes auditionnés ont souligné l'effet déclencheur de cette aide sur l'achat de logements. Votre rapporteur spécial est donc favorable au rétablissement de l'APL « accession » .

En particulier, l'implication des maires est indispensable, en raison de l'obligation faite par la loi SRU à la commune d'atteindre ou de maintenir un taux de logements sociaux.

3. Certaines activités annexes peuvent être développées pour contribuer au financement de la mission de base des organismes

La diversification des activités réalisées par les organismes de logement social peut aussi contribuer à financer leur activité principale. Votre rapporteur spécial met toutefois en garde contre l'idée qu'il pourrait s'agit à court terme d'un moyen de financement majeur de la construction de logements sociaux.

Des organismes de logement social peuvent ainsi développer une compétence dans des métiers plus ou moins proches de leur activité principale : réalisation d'opérations de construction ou d'aménagement pour le compte de la collectivité de rattachement, production de logements en accession à la propriété, réalisation d'études d'ingénierie urbaine...

La loi ELAN a facilité l'exercice par les organismes de compétences annexes, le cas échéant par la création de filiales 78 ( * ) . Toutefois, la possibilité d'exercer ces activités est fortement lié au contexte local : un organisme disposant de réserves foncières peut ainsi développer des opérations d'accession à la propriété, ce qui sera certainement plus difficile dans une zone dense où l'accès au foncier est plus limité.

a) Des bénéfices incertains à l'heure actuelle

La DHUP ne dispose pas actuellement de données précises sur les bénéfices issus de ces activités annexes, mais estime que l'accession sociale à la propriété est la plus répandue, tandis que les sociétés d'économie mixte procèdent à des activités d'aménagement. Elle a indiqué, selon les études liées à la santé financière des bailleurs sociaux, en particulier lors de demandes d'agrément, que les activités annexes semblent souvent déficitaires ou peu bénéficiaires . Les regroupements d'organismes qui auront lieu dans les deux prochaines années, en application de la loi ELAN, pourraient selon elle faire évoluer la situation en fonction des synergies dégagées.

En outre, les comptes 2018 des organismes, qui seront disponibles à la fin de 2019, devraient préciser pour la première fois, au sein du compte de résultat, les activités relevant ou non du service d'intérêt économique général (SIEG) 79 ( * ) . Ces données devraient permettre d'évaluer les bénéfices ou les pertes issus des activités annexes réalisées par les organismes de logement social. Cette information sera d'ailleurs plus précise à partir de 2021, car la comptabilité interne des organismes devra alors 80 ( * ) enregistrer les résultats de l'activité de SIEG sur un compte ne pouvant être utilisé qu'au financement de cette activité, ce qui permettra de déterminer avec précision si le résultat des activités annexes est utilisé au financement d'opérations agréées.

La fédération des OPH a communiqué à votre rapporteur spécial des estimations des produits d'exploitation liés à un éventail d'activités annexes (montants en 2017) :

- accession à la propriété : 40 % des offices réalisent des opérations d'accession à la propriété, avec une marge globale de 46 millions d'euros. Il convient de noter que ce montant ne représente que 0,5 % de l'ensemble des loyers. Le développement des organismes de foncier solidaire peut constituer une piste pour accroître cette source de financement ;

- maîtrise d'ouvrage et conduite d'opérations : marge de 71 millions d'euros ;

- vente de certificats d'économie d'énergie : marge de 58 millions d'euros ;

- locations de toit : marge de 36 millions d'euros.

Les organismes perçoivent également des produits d'exploitation au titre de la commercialisation, de la gestion d'immeubles appartenant à des tiers, de la vente d'électricité, etc.

D'autres activités sont susceptibles de générer des marges : les organismes peuvent produire et gérer des équipements locaux d'intérêt général à destination des commerces ou des professionnels, réaliser des études d'ingénierie urbaine, construire ou aménager pour le compte des collectivités auxquelles ils sont rattachés.

Certaines activités annexes , en revanche, occasionnent plutôt des dépenses en faveur des locataires : services de conciergerie solidaire, gestion innovante de déchets, accompagnement de populations fragiles spécifiques, participation à des actions de développement social, insertion professionnelle et sociale.

b) Le modèle spécifique des EPL

Les entreprises publiques locales (EPL) regroupent des sociétés anonymes à capitaux publics. Certaines sont actives dans le logement social, telles que les sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux agréées par le ministère du logement 81 ( * ) .

Les EPL géraient ou possédaient un parc de plus de 561 155 logements à la fin de 2016 82 ( * ) . Le patrimoine immobilier des Epl est situé à plus de 50 % en Île-de-France (272 651 logements) et en outre-mer (121 951 logements). Au sein de ce patrimoine, 399 725 logements étaient conventionnés, ce qui représente une hausse de plus de 81 000 logements, soit 20,4 %, par rapport à 2007.

Le statut des EPL leur permet de réaliser des opérations variées, sous le contrôle des collectivités locales. Le représentant de la fédération des EPL a souligné que certaines de ces opérations permettent à la fois d'investir dans des commerces et de rénover des logements, même si la réalisation d'activités complémentaires dépend de la volonté politique locale.

Il ressort des données rassemblées par l'Observatoire des EPL immobilières que les activités autres que la gestion locative représentaient 8,8 % de l'ensemble des revenus des EPL immobilières en 2016, avec les activités suivantes :

- prestations de service : 31 millions d'euros, soit 1 % ;

- promotion immobilière pour un tiers des EPL, notamment en faveur de l'accession à la propriété : 31 millions d'euros, soit 1 % ;

- activité d'aménagement pour un quart des EPL, pour un revenu total de 16,6 millions d'euros, soit 0,5 %. Cette activité reste au service de la construction ou de la réhabilitation du parc ;

- autres produits : 197 millions d'euros, soit 6,7 %.

Votre rapporteur spécial considère que, bien utilisé, l'outil des EPL peut, sous l'impulsion des collectivités locales, appuyer la construction ou la rénovation de logements sociaux sur le développement d'activités annexes .


* 71 Logement social : succès du dispositif PHB 2.0 avec 700M€ engagés en 2018 pour construire près de 107 000 logements , communiqué de presse commun d'Action Logement et de la Banque des territoires, 26 septembre 2018.

* 72 Article L. 228-36 du code de commerce.

* 73 Article L. 213-32 du code monétaire et financier, modifié par l'article 86 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).

* 74 Article L. 443-7 du code de la construction et de l'habitation.

* 75 Union sociale de l'habitat, Chiffres-clés du logement social , éditions 2017 et 2018.

* 76 Banque des territoires, Étude Perspectives , édition 2018.

* 77 Fédération des ESH, La vente HLM , publiée en avril 2018 (données de 2008 à 2017).

* 78 Article 88 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 79 Avant-dernier alinéa de l' article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation , introduit par l'article 136 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 80 Dernier alinéa du même article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation, introduit par l'article 88 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi ELAN).

* 81 Article L. 481-1 du code de la construction et de l'habitation.

* 82 Fédération des EPL, Observatoire des EPL immobilières , édition 2018.

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