D. LA PRESSION EXERCÉE PAR LES RÉFORMES DU SECTEUR ET PAR L'ÉVOLUTION DES TAUX D'INTÉRÊT
1. L'instauration de la RLS et les autres réformes issues de la loi de finances pour 2018 instaurent une pression durable sur la marge d'autofinancement des bailleurs sociaux.
Comme on l'a vu, les loyers futurs conditionnent la capacité d'endettement du bailleur et donc, compte tenu des coûts de production et d'achat du foncier, le besoin de subventions ou de fonds propres nécessaire pour financer le projet.
Le niveau des loyers futurs est nécessairement pourvu d'une certaine incertitude sur la durée de quarante années nécessaire pour équilibrer une opération de construction de logements sociaux : l'évolution du taux de vacance, lié à la demande locale, ainsi que celui des impayés ne peut être entièrement déterminé à l'avance.
Or l'introduction de la RLS montre que les loyers peuvent également être atteints par un fort aléa réglementaire , dans la mesure où l'État a pris l'initiative de diminuer de manière brutale, par la voie législative et réglementaire, le niveau des loyers perçus par le bailleur.
La RLS réduit le niveau des loyers perçu par les bailleurs et contraint donc sur le long terme leurs plans de financement .
La réduction de loyer de solidarité Mise en place par l'article 126 de la loi de finances pour 2018 et définie à l'article L. 442-2-1 du code de la construction et de l'habitation, la réduction de loyer de solidarité (RLS) correspond à une diminution de loyer modulée en fonction de la composition du ménage et de la zone géographique, qui s'applique aux ménages dont les ressources sont inférieures à un plafond. Les aides au logement sont diminuées pour les ménages qui bénéficient de la RLS, ce qui signifie que la réduction du budget de l'État consacré à l'aide au logement est supportée par les bailleurs sociaux. La loi a fixé des montants maximaux de RLS et des plafonds maximaux de ressources qui n'ont été que partiellement réalisés lors de la prise des mesures réglementaires d'application, occasionnant un rendement total pour l'État de 800 millions d'euros en 2018. Le Gouvernement prévoyait alors, dans son projet initial, de fixer des paramètres de la RLS en 2020 afin d'atteindre un rendement de 1,5 milliard d'euros, objectif réduit à 1,3 milliard d'euros suite à l'accord intervenu avec le secteur le 25 avril 2019. Source : commission des finances du Sénat |
Le plan de financement d'un logement neuf sera donc affecté par un niveau de loyers futurs amoindri , mais aussi une capacité d'apport de fonds propres réduite par la diminution des revenus perçus sur le parc de logements du bailleur déjà amorti.
Or dans le même temps, les bailleurs sociaux ont fait face à d'autres mesures tendant à comprimer leurs ressources, telles que la hausse de la contribution des bailleurs à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) 56 ( * ) , le gel des loyers dans le parc social en 2018 57 ( * ) et le relèvement de 5,5 % à 10 % du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux opérations immobilières dans le secteur du logement social 58 ( * ) .
La Caisse des dépôts a ainsi constaté, dans son étude périodique « Perspectives » publiée à l'automne 2018, que la RLS aurait pour effet de comprimer les charges au point que le ratio d'autofinancement deviendrait nul à l'horizon 2040 . Encore ces analyses se fondent-elles sur certaines hypothèses fortes, telles que l'augmentation importante du niveau des ventes de logements sociaux, d'un niveau actuel de 8 000 ventes par an à un niveau de 17 000 ventes par an d'ici à 2022.
La fédération des offices publics d'HLM a également indiqué à votre rapporteur spécial que la RLS aurait pour effet de diminuer le ratio entre autofinancement et loyers d'un niveau de 9,8 % en 2017 à un niveau de 1,4 % sur la période 2023-2027.
2. La « clause de revoyure » permettra de limiter la montée en charge de cette pression, qui demeurera toutefois importante.
Après avoir longtemps sous-estimé, voire nié la réalité des difficultés rencontrées par le secteur suite à la mise en place des réformes de la fin de 2017, le Gouvernement a finalement entendu les signaux d'alertes et engagé au début de 2019 une concertation, dite « clause de revoyure », avec les représentants des bailleurs sociaux. Un accord a été signé le 25 avril 2019 avec l'Union sociale de l'habitat, auquel s'ajoutait le « plan d'investissement volontaire » prévu par Action Logement (voir supra ).
L'accord du 25 avril, dit « pacte constructif », prévoit en particulier des mesures tendant à limiter à 950 millions d'euros - et non 1,5 milliard d'euros comme le prévoyait le projet du Gouvernement en 2017 - l'impact des dispositions prises en loi de finances :
- la fixation du rendement final de la RLS serait de 1,3 milliard d'euros, alors que le Gouvernement prévoyait précédemment d'en modifier les paramètres afin de porter ce rendement à 1,5 milliard d'euros en 2020 ;
- la cotisation des bailleurs sociaux au fond national des aides à la pierre (FNAP) diminuerait de 300 millions d'euros 59 ( * ) , compensée par une augmentation équivalente de la contribution d'Action Logement ;
- des remises commerciales, à hauteur de 50 millions d'euros, seraient accordées par la Caisse des dépôts et consignations.
Le montant des économies réalisées par l'État sur le secteur du logement social ne serait donc pas de 1,5 milliard d'euros, comme le prévoyait le projet du Gouvernement en 2017, mais de 900 millions d'euros environ.
L'accord prévoit également des mesures tendant à soutenir l'investissement. En particulier, le taux de TVA serait rétabli à 5,5 %, dans le cadre de la loi de finances pour 2020, pour les logements les plus sociaux financés en PLA-I, ainsi que pour les acquisitions-améliorations des logements PLUS . Il sera en revanche maintenu à 10 % pour la production des autres catégories de logements (PLUS et PLS). Action Logement et la Caisse des dépôts mettraient également en oeuvre des mesures importantes de soutien.
Votre rapporteur spécial sera très attentif à la mise en oeuvre de cet accord dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 et des mesures ultérieures.
3. La persistance de taux bas met également en tension l'équilibre du système.
Le phénomène du niveau historiquement bas des taux d'intérêt paraît également susceptible de remettre en cause à long terme l'équilibre du système de financement du logement social .
Alors qu'on a pu croire, à l'automne 2014, que l'apparition de taux négatifs était transitoire et que la courbe des taux repasserait nécessairement en territoire positif dans un délai plus ou moins bref, le phénomène s'est installé dans le paysage financier d'une manière qui apparaît chaque mois plus durable.
Les taux de l'EONIA est ainsi négatif depuis l'automne 2014 et fluctue entre - 0,30 et - 0,38 % depuis le mois de mars 2016. L'État français émet une dette à taux négatifs à des échéances de plus en plus lointaines : c'est le cas d'une émission d'OAT d'une durée de 15 ans à un taux de - 0,03 % le 5 septembre 2019. Enfin le taux des obligations d'État à 30 ans est de 0,52 %, soit 23 points de base de moins que le taux du livret A, alors même que celui-ci constitue pour l'épargnant un placement liquide, défiscalisé et sans risque.
Votre rapporteur spécial ne se risquera pas à faire des prévisions sur l'évolution des taux à long terme, mais doit faire observer qu'une telle déconnexion entre le taux du livret A et les taux de marché ne manquera pas de lancer des réflexions sur le coût de la ressource pour les bailleurs sociaux, comparé à celui qui serait accessible sur les marchés.
Les bailleurs sociaux font ainsi face d'une part à une diminution autoritaire de leurs ressources locatives, d'autre part à un aléa croissant sur le coût à long terme de leurs ressources, qui est lié au taux du livret A, comparé au niveau très bas des taux d'intérêt.
Quant à la Caisse des dépôts, la baisse des taux d'intérêt a entraîné une diminution par deux entre 2007 et 2015 du résultat des placements réalisés à partir d'une fraction des ressources collectées, qui participent au modèle économique du fonds d'épargne 60 ( * ) . Ces dernières années, le taux du livret A a été maintenu à plusieurs reprises par décision de l'État à un niveau supérieur à son niveau théorique. Le fonds doit donc faire face à la concurrence des prêts proposés par d'autres banques , ainsi qu'au risque de remboursement anticipé des prêts, même si le taux des prêts a été limité par l'abaissement progressif de la rémunération des réseaux bancaires collecteurs 61 ( * ) .
Les banques traditionnelles, qui conservent la partie de l'épargne réglementée qui n'est pas centralisée auprès de la Caisse des dépôts 62 ( * ) , rencontrent également des difficultés à employer une ressource devenue chère, comme cela a été indiqué à votre rapporteur spécial.
En effet, les bailleurs explorent aujourd'hui - et c'est bien légitime - toutes les pistes de financement permettant de maintenir un haut niveau de production et de répondre à la demande toujours aussi importante de construction et de rénovation de logements sociaux.
* 56 La loi de finances pour 2018 a introduit un mécanisme de modulation de la cotisation principale des bailleurs à la CGLLS entre 2 % et 5 % afin de lisser l'impact de la RLS, alors que le taux ne pouvait auparavant excéder 2,5 %. Le produit global de cette cotisation est ainsi estimé le document « Voies et moyens » annexé au présent projet de loi de finances à 390 millions d'euros en 2018, contre 241 millions d'euros en 2017.
* 57 C du III de l'article 126 précité de la loi de finances pour 2018.
* 58 Article 12 de la loi de finances pour 2018.
* 59 La cotisation des bailleurs sociaux au FNAP est en 2018 et 2019 de 375 millions d'euros.
* 60 Voir le référé de la Cour des comptes n° S2016-3834 du 12 décembre 2016 sur le fonds d'épargne.
* 61 Alors que la rémunération versée par le fonds d'épargne aux réseaux bancaires collecteurs de l'épargne réglementée était supérieure à 1% au début des années 2000, elle a été abaissée jusqu'à un niveau de 0,3 % en 2016.
* 62 L'article L. 221-5 du code monétaire et financier prévoit que les sommes collectées au titre du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) sont centralisées auprès du fonds d'épargne à hauteur de 125 % des sommes consacrées par la Caisse des dépôts aux prêts au bénéfice du logement social de la politique de la ville. Les sommes restantes doivent être utilisées par les banques pour le financement des petites et moyennes entreprises, de projets environnementaux ou relevant de l'économie sociale et solidaire.