G. AUDITION DE MM. JEAN-FRANÇOIS CARENCO, PRÉSIDENT, ET CHRISTOPHE LEININGER, DIRECTEUR DES MARCHÉS ET DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, ET DE MME OLIVIA FRITZINGER, CHARGÉE DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE (CRE) (22 MAI 2019)
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je remercie Jean-François Carenco de participer à cette audition et vous propose pour commencer quelques éléments de contexte. La mission d'information, dont je suis la rapporteure, porte un intérêt tout particulier au défi de la transition énergétique auquel fait face la filière sidérurgique.
D'abord, la question du coût de l'énergie revêt une importance stratégique pour la compétitivité de nombreux secteurs, notamment la sidérurgie. Le directeur général de l'énergie et du climat, que nous avons auditionné, nous a rappelé que le coût complet de l'électricité pour les industriels intègre non seulement le prix de marché, mais aussi les coûts d'acheminement via le réseau de transport et les taxes appliquées aux prix de l'électricité.
Comment a évolué le prix de l'électricité ces dernières années et quelles sont les perspectives pour l'avenir ?
Le secteur de la sidérurgie constitue l'un des secteurs industriels bénéficiant du statut d'électro-intensif, qui ouvre l'accès à plusieurs dispositifs intégrés dans une « boîte à outils » - réduction de tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE), dispositif d'interruptibilité, « compensation carbone ». Certains de ces dispositifs pourraient être remis en cause par la Commission européenne au titre des règles sur les aides d'État. Qu'en est-il ?
Il nous semble que les entreprises doivent pouvoir disposer d'une visibilité à moyen terme sur l'évolution des coûts d'approvisionnement en électricité. Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvez-vous nous présenter le consortium d'achat à long terme d'électricité « Exeltium » mis en place en 2008 ?
Nous avons également appris que le groupe ArcelorMittal disposait d'un agrément de fournisseur afin de gérer l'approvisionnement de ses sites. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Enfin, les efforts des entreprises de la filière pour réduire leur consommation d'énergie vous semblent-ils à la hauteur ? Quelles pistes devraient être poursuivies en matière d'efficacité énergétique ?
M. Jean-François Carenco , président de la Commission de régulation de l'énergie . - Je vous remercie de nous recevoir. Je suis accompagné d'Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles de la CRE et de Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique. Nous sommes une commission indépendante, à la disposition du Gouvernement et du Parlement. En introduction, il est important de rappeler à quel point le monde de l'énergie évolue à une vitesse importante. Le nombre de lieux de production augmente, nous allons vers plusieurs millions de lieux de production d'énergie en France. Ensuite, le système énergétique lui-même évolue : auparavant, l'énergie était fossile, nucléaire, hydraulique ; nous allons désormais vers un système qui inclura l'hydrogène, même s'il n'est pas encore rentable économiquement aujourd'hui, le photovoltaïque, l'hydrolien, l'éolien terrestre, flottant, posé, le gaz, le biogaz et la méthanisation.
Je rappelle également que ceux qui prétendent qu'il faut déployer les énergies renouvelables en France pour limiter les émissions de CO 2 se trompent. Nous n'avons pas besoin de lutter contre les émissions de CO 2 de notre production d'électricité. Si l'on développe les énergies renouvelables, c'est pour d'autres raisons.
Notre mission est de protéger les consommateurs. Il y a trois niveaux d'analyse : qui sont les consommateurs ? Il y a les consommateurs domestiques et les consommateurs industriels. Parmi les industriels, il y a notamment les électro-intensifs et les hyper électro- intensif (HEI). Lorsque l'on veut protéger les consommateurs, c'est à court, moyen et long termes. Enfin, la protection du consommateur passe par le prix, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Le consommateur que nous protégeons s'inscrit dans cette matrice à trois entrées.
Ensuite, nous sommes dans un système énergétique européen. La CRE est nécessairement pro-européenne : nous exportons 15 % de notre énergie. Je rappelle également que la France contribue largement à la baisse des émissions de CO 2 dans le secteur énergétique. La réponse à cette mutation du monde énergétique considérable que j'ai évoquée sera l'investissement massif et la flexibilité (interruptibilité, effacement, interconnexion, stockage, réserve de capacité). Si nous n'avions pas l'Europe de l'énergie, nous devrions investir encore plus. Or, nous ne savons plus ni localiser ni financer aujourd'hui ces investissements en raison de leurs coûts. La CRE est extrêmement présente dans les discussions européennes : elle consacre environ 20 ETP à ces sujets.
J'en viens à l'industrie, élément essentiel : il n'y a pas de pays tenu sans création de valeur, et pas de création de valeur sans un système énergétique permettant à ses industries électro- intensives de ne pas être pénalisées par des décisions de prix qui nuiraient à leur compétitivité. La CRE accompagne les industriels, voici un exemple récent : nous avons été aux côtés de l'APE, de la Société Le Nickel, du gouvernement calédonien central, du gouvernement de la province nord pour refaire le système électrique en Nouvelle-Calédonie et faire en sorte que les usines de nickel - celle d'Eramet, qui est partiellement propriété de l'État- puissent exister. Nous avons d'ailleurs envoyé une mission sur place. Notre souci industriel est fort car c'est la source de la prospérité.
J'en arrive à vos questions. Vous nous avez interrogés sur la place qu'occupe le secteur sidérurgique dans la phase III du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE) et sur les faiblesses de ce marché.
Nous n'avons pas d'éléments sur la participation directe de la sidérurgie au SEQE. Néanmoins, ce système a un impact indirect sur le prix de l'électricité. Compte tenu de la structure du parc de production européen d'électricité, le prix du CO 2 a évidemment un impact important sur le prix de marché de gros de l'électricité européen. Le prix de ce dernier reflète le coût marginal de production des moyens de production thermiques fossiles. Ces moyens sont soumis au SEQE, ainsi leur coût marginal inclut le coût du CO 2 .
À titre d'illustration, la Commission européenne estime à 0,76 tonne par mégawattheure les émissions de CO 2 de l'électricité produite dans la zone de marché comprenant la France (Centre-Ouest européen).
Ainsi, une hausse de 10 euros par tonne de CO 2 a un impact de 7,6 euros par mégawattheure sur le prix du marché de gros de l'électricité.
M. Christophe Leininger, directeur des marchés et de la transition énergétique . - Ce qui est important dans la compréhension des prix pour les consommateurs en France, c'est que, certes, nous avons un mix électrique français structuré autour d'une part de nucléaire et d'hydraulique très importante - et de moyens renouvelables et thermiques. Le prix du marché, celui auquel s'approvisionnent les électro-intensifs et les aciéries en particulier est le prix européen. Ce prix européen repose sur un mix électrique européen essentiellement dominé par les moyens thermiques : ce que paie aujourd'hui le consommateur industriel est le reflet des prix européens orientés vers le thermique et pas le prix du nucléaire ni le prix de l'hydraulique, ou seulement en partie.
J'ajouterais deux précisions : d'abord, un mécanisme a été mis en place en France, l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH), qui permet de préserver le consommateur industriel d'une augmentation des prix pour une partie de sa consommation. Il paie 42 euros le mégawattheure pour une partie de sa consommation, le reste étant acheté sur le marché. Ensuite, malgré des politiques énergétiques ambitieuses en France mais aussi dans les pays voisins pour développer les énergies renouvelables, pour les 10 prochaines années, le thermique continuera à déterminer le prix de l'électricité en Europe. Même si la France a peu d'énergies thermiques dans sa production, ce sont elles qui déterminent les prix, car ses moyens sont appelés pour répondre à la demande ultime.
Ainsi, l'approvisionnement des consommateurs industriels est directement lié au prix des combustibles, et donc aux tensions internationales et aux problématiques de fluctuations de marché. L'État français a décidé de protéger les consommateurs résidentiels mais aussi les consommateurs industriels de ces effets-prix en introduisant une régulation nucléaire pour faire bénéficier à ces industriels de la compétitivité du parc historique nucléaire d'EDF.
M. Jean-François Carenco . - Vous nous interrogez sur la consommation moyenne d'électricité des entreprises sidérurgiques en kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Nous ne disposons pas de ces éléments.
S'agissant des critères de définition de l'électro-intensivité, le caractère d'électro-intensivité d'une entreprise, ou d'un site, dépend du poids de la facture d'électricité dans la valeur ajoutée de l'entreprise, de son degré d'exposition à la concurrence internationale et de son profil de consommation. Dans le cadre des réductions de taxes ou de tarif de transport mises en place en France, un site est dit électro-intensif si sa consommation d'électricité est supérieure à 2,5 kilowattheure par euro de valeur ajoutée. Au-delà de 6 kilowattheure par euro de valeur ajoutée, ce site est dit hyper électro-intensif. Il est considéré que les entreprises hyper électro-intensives sont plutôt soumises à la concurrence mondiale alors que les électro-intensives sont plutôt soumises à une concurrence intra-européenne. Les entreprises sidérurgiques entrent dans la catégorie des électro-intensifs.
Une autre question que vous m'avez adressée est la suivante : les électro-intensifs bénéficient-ils d'offres particulières ou se fournissent-ils aux offres du marché ? Avant l'ouverture du marché de l'électricité, beaucoup d'industriels bénéficiaient de contrats historiques avec EDF à prix bas. Depuis l'ouverture du marché, ils ont la possibilité de s'approvisionner auprès des fournisseurs en offres de marché. La majorité des électro-intensifs ont aujourd'hui des offres de marché.
Néanmoins leurs caractéristiques de consommation leur permettent parfois de négocier des conditions particulières d'approvisionnement. Le consortium d'industriels électro-intensifs « Exeltium » a signé un contrat de long terme avec EDF assurant une stabilité des prix d'une partie de leur approvisionnement en électricité sur 25 ans. Les industriels sont en effet en attente de visibilité quant à la durée des contrats. Dans un autre cadre, l'hyper électro-intensif Trimet, à Saint-Jean-de-Maurienne, a pu négocier avec EDF un contrat d'approvisionnement sur 10 ans.
M. Jean-Pierre Vial . - Nous nous souvenons de la venue d'Emmanuel Macron à Saint-Jean-de-Maurienne, lorsqu'il était ministre de l'Économie.
M. Jean-François Carenco . - Tout ceci a fait l'objet d'une approbation par la Commission européenne, avec laquelle nous travaillons souvent.
M. Christophe Leininger . - « Exelitum » a vu le jour avant l'ARENH. Plus que de prix bas, les industriels sont en demande de visibilité. « Exeltium » visait précisément à mettre en place un prix bas d'approvisionnement sur la durée. Ce contrat s'est trouvé relativement cher - avant d'être renégocié récemment - car la Commission européenne a demandé à ce que les industriels puissent sortir du contrat pendant la durée de celui-ci, pour des raisons concurrentielles et pour ramener le prix du contrat à un prix de marché.
Concrètement, cela signifie qu'avec un contrat de 25 ans, les parties prenantes peuvent sortir du contrat tous les 5 ans. Il s'agit de ne pas enfermer le consommateur dans un contrat de 25 ans et de lui permettre de pouvoir en sortir. Mais les banques ont exigé des taux de remboursement calés non pas sur la durée du contrat mais sur les durées anniversaires de sortie, avec pour conséquence de renchérir ce contrat et donc son prix de vente.
La mise en place de contrats à long terme en France et en Europe est aujourd'hui cruciale pour les électro-intensifs. Nous n'avons pas encore parlé de la « boîte à outils » et de ses effets importants à court et moyen termes, mais leur existence n'est pas forcément pérenne dans la durée. En revanche, les contrats de long terme sont pérennes : nous travaillons donc pour essayer de les mettre en oeuvre. Comme l'a expliqué le Président, un contrat de long terme de 10 ou 15 ans est proposé en Nouvelle-Calédonie, avec un partage des risques entre le producteur d'électricité locale et le consommateur acheteur. Le prix de l'électricité est indexé sur le cours du nickel : quand le cours du nickel est élevé, le profit peut être rendu en partie aux producteurs et quand le cours du nickel est bas, c'est le producteur d'électricité qui fait un effort financier. De tels contrats « gagnant-gagnant » existaient en métropole, mais nettement moins aujourd'hui. Ces sujets peuvent être défendus vis-à-vis de la Commission européenne : l'absence de contrats de long terme n'est pas une fatalité ! Il faut les défendre car ils sont appréciés par les consommateurs.
M. Jean-François Carenco . - J'en viens aux dispositifs de la « boîte à outils », qui démontrent que les électro-intensifs et les hyper-électro-intensifs sont bien traités en France. Pourvu que cela dure ! Le premier dispositif est l'abattement du tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE). La loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 18 août 2015 prévoit que les entreprises électro-intensives puissent bénéficier d'une réduction sur le tarif d'utilisation du réseau public de l'électricité (TURPE) à compter du 1er janvier 2016. En contrepartie, ces entreprises doivent mettre en oeuvre une politique de performance énergétique. En fonction de la quantité annuelle d'électricité consommée rapportée à la valeur ajoutée, les entreprises concernées peuvent bénéficier d'un abattement pouvant aller jusqu'à 60 % du tarif pour les électro-intensifs et jusqu'à 90 % pour les hyper électro-intensifs. L'abattement concerne les entreprises qui remplissent une des trois conditions suivantes : (i) une durée d'utilisation supérieure ou égale à 7 000 heures et une énergie soutirée sur le réseau excédant 10 gigawattheure ; (ii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 44 % et une énergie soutirée sur le réseau excédant 20 gigawattheure ; (iii) un taux d'utilisation en heures creuses supérieur à 40 % et une énergie consommée excédant 500 gigawattheure. Donc, suivant ce que consomme l'entreprise et suivant le réseau sur lequel elle se situe, elle bénéficie d'un abattement plus ou moins important. Il s'agit d'un élément fondamental du soutien aux industries. Il nous faut absolument défendre cette aide à Bruxelles.
M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne fait mieux que nous !
M. Jean-François Carenco . - Ils sont meilleurs que nous à Bruxelles !
M. Christophe Leininger . - L'Allemagne a été contestée dans son approche de l'exonération des tarifs de réseaux par la Commission européenne, qui est venue enquêter sur ces pratiques. Elle a dû revenir sur le dimensionnement de son soutien.
M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne était allée jusqu'à 100 % d'abattement ! La Commission a validé leur souhait de descendre l'abattement à 90 % ; la France, vexée, a donc remonté son niveau d'abattement.
M. Christophe Leininger . - En France, jusqu'à une certaine période, aucun dispositif d'abattement n'était prévu s'agissant du TURPE pour diverses raisons - notamment parce que l'on n'appliquait pas les mêmes règles de tarification que pouvait appliquer l'Allemagne. La CRE a décidé d'appliquer un abattement avant même la validation de la Commission, abattement qui a ensuite été confirmé par des textes réglementaires.
C'est pour ces raisons qu'existent des critères qui déterminent l'éligibilité des consommateurs au dispositif. Il faut être vigilant lorsque l'on négocie sur ces sujets : la tentation a pu exister d'opposer les consommateurs allemands et les consommateurs français, mais la vision de la Commission européenne consiste à tenir compte des consommateurs européens. Désormais, la France et l'Allemagne parviennent à mettre en place des dispositifs similaires : c'est le cas de l'abattement de TURPE, de l'interruptibilité et de la « compensation carbone ».
M. Jean-François Carenco . - L'interruptibilité est un dispositif qui permet à RTE d'interrompre instantanément, en moins de 5 ou 30 secondes, la consommation de sites engagés lorsque le fonctionnement normal du réseau public de transport est menacé de manière grave et immédiate.
On pourrait analyser ce dispositif comme étant une contrainte pour les industriels : il n'en est rien, dès lors qu'ils sont volontaires. Les industriels éligibles s'engagent en participant à un appel d'offres annuel. De plus, ils sont rémunérés pour ce faire. Ce dispositif a été activé en vraie grandeur pour la première fois en janvier 2019 et a bien fonctionné. Cela coûte à RTE 90 millions d'euros par an, versés aux entreprises.
M. Jean-Pierre Vial . - C'est une subvention !
M. Jean-François Carenco . - Les subventions sont interdites. Je dirais plutôt que c'est une participation au service de l'intérêt général.
M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne est allée jusqu'à 100 % d'abattement de TURPE, puis est descendue à 90 % ; la rémunération de l'interruptibilité pour l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne coûte entre 200 millions et 400 millions d'euros, concédés aux entreprises.
M. Jean-François Carenco . - Peut-on monter à 200 millions d'euros ? En tant que responsable de l'équilibre financier de RTE, je me dois de rappeler que cela aurait des répercussions sur les prix, que personne ne veut voir augmenter. Il faut trouver donc trouver le bon équilibre. Félicitons-nous que ce système fonctionne.
M. Jean-Pierre Vial . - L'Allemagne dit clairement qu'elle mène une politique qui ne doit pas être contraire aux enjeux de son industrie, qu'elle entend soutenir.
M. Jean-François Carenco . - La « compensation carbone » constitue la troisième modalité d'aide à l'industrie, La mesure dite de « compensation des coûts indirects » a été introduite par la directive 2009/29/CE. Cette mesure est destinée aux secteurs ou sous-secteurs considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone en raison des coûts des quotas liés aux émissions de gaz à effet de serre imputables au SEQE répercutés sur les prix de l'électricité. Mis en place en France pour les années 2015 à 2020, ce dispositif permet de compenser en partie aux industriels éligibles le coût du SEQE incorporé dans le prix de l'électricité. Ce dispositif a été validé par la Commission européenne. Sa pérennité après 2020 nous semble aujourd'hui acquise jusqu'en 2030. Néanmoins les paramètres de définition de son niveau sont actuellement en cours de discussion au niveau de la Commission.
Enfin, le dernier outil est la réduction de « Contribution au service public de l'énergie » (CSPE). Depuis 2016, la TICFE, renommée « Contribution au Service Public de l'Énergie » ou CSPE, a été étendue à l'ensemble des consommations d'électricité, les électro-intensifs bénéficiant toutefois de taux réduits, voire d'exemption. Elle est fixée à 22,5 euros le mégawattheure. C'est désormais un impôt qui constitue une recette du budget général de l'État. Mais sont notamment exonérés : (i) les usages de l'électricité relatifs à des procédés métallurgiques, de réduction chimique, d'électrolyse ; (ii) les entreprises pour lesquelles l'électricité représente plus de la moitié du coût d'un produit ; (iii) la fabrication de produits minéraux non métalliques.
L'ensemble des entreprises électro-intensives bénéficient, par ailleurs, de réductions pouvant ramener le montant de la TICFE/CSPE à 1 euro le mégawattheure voire moins en fonction de l'exposition au risque de fuite de carbone et de montant de la facture d'électricité par rapport à la valeur ajoutée.
Cette quasi-exonération de CSPE est un élément fixe du paysage : il faut veiller à le conserver.
M. Christophe Leininger . - Un jugement récent a constaté que l'ancienne TICFE n'était pas compatible avec les textes européens sur les accises. Cela a conduit à condamner l'État français à rembourser un certain nombre de consommateurs dans le contentieux CSPE. Cette taxe, incompatible avec le droit européen, y compris dans ses modalités d'exonérations, a été révisée et les exonérations prévues par la réforme de 2015 ont été négociées en amont avec la Commission : ce qui a été obtenu est certain et pérenne.
M. Jean-François Carenco . - Nous ne disposons pas des coûts associés à chacun de ces dispositifs. Vous nous demandez si certains de ces dispositifs sont remis en cause par les autorités européennes. L'important reste de discuter avec l'Europe avant, car l'Europe, c'est nous !
M. Christophe Leininger . - Un certain nombre de contrats historiques avec EDF existaient auparavant avec des électro-intensifs au moment de l'ouverture du marché en 2000, voire même un peu avant. Ces contrats à prix compétitifs ont fait l'objet d'enquêtes par la Commission européenne, qui a validé ces contrats. Il n'y a pas de raison que la Commission s'oppose à ce type de contrat de nouveau aujourd'hui.
Les contrats long terme proposés par EDF sur le marché ont été revus non pas parce que la Commission n'aime pas les contrats long terme, mais parce qu'elle considérait qu'ils étaient tous proposés par un seul opérateur, EDF, ce qui fermait le marché. Aujourd'hui, EDF a rempli les objectifs de remise en concurrence. Ce sujet est donc derrière nous, et nous pouvons reprendre nos discussions avec la Commission pour justifier un certain nombre de contrats, dès lors que le consommateur concerné est bien soumis à la concurrence internationale.
M. Jean-Pierre Vial . - Sur le sujet des contrats à long terme, c'était en fait EDF qui était dans le viseur de la Commission ! Aujourd'hui, elle n'a donc plus de suspicions à l'égard d'EDF ?
M. Jean-François Carenco . - C'est EDF qui a des suspicions à l'égard des contrats à long terme !
M. Christophe Leininger . - La Commission n'a jamais eu d'objections sur les contrats de long terme, elle souhaitait qu'EDF rende un certain nombre de clients au marché. Ce type de contrat recouvre deux enjeux : il faut qu'il soit long et qu'il propose un prix intéressant aux consommateurs.
Un contrat de long terme peut voir le jour, mais la question est de savoir si le prix proposé par EDF ou par les fournisseurs alternatifs correspond aux besoins de l'industriel. Tel est l'enjeu.
M. Jean-François Carenco . - Le dispositif de compensation des coûts indirects du carbone est encadré au niveau européen et donc validé par définition.
Les dispositifs français d'interruptibilité et d'abattement du TURPE sont actuellement en cours de discussion avec la Commission. Nous n'avons pas de crainte sur leur remise en question, leur existence et leur principe.
Vous souhaitez savoir si d'autres pays dans l'Union européenne ont des aménagements tarifaires plus conséquents qu'en France en matière de prix de l'électricité, de tarifs d'accès au réseau et de taxes sur l'électricité pour les industries sidérurgiques. Jean-Pierre Vial a susurré la réponse. Des dispositifs similaires existent dans plusieurs pays européens. Les Pays-Bas ou l'Allemagne ont, par exemple, mis en place des abattements du tarif de transport et des dispositifs d'interruptibilité existent en Allemagne, en Espagne ou encore en Italie.
Des contrats de long terme à des horizons très lointains ont été conclus au Canada à des prix avoisinant les 20 euros le mégawattheure.
Il convient de rappeler qu'en France, les industriels en offres de marché bénéficient, pour une part de leur consommation, de l'ARENH comme protection lorsque les prix de marché sont élevés. À ce titre, j'estime que tout éventuel dispositif de régulation de la production nucléaire devra tenir compte de la problématique industrielle. Il appartient aux parlementaires de pousser cette idée-là !
M. Christophe Leininger . - S'agissant de l'ARENH, il y a une combinaison prix-volume.
M. Jean-François Carenco . - Le volume étant fixé par la voie législative et le prix par la voie réglementaire.
M. Christophe Leininger . - Le prix n'a pas évolué : il a été proposé dans un décret par le Gouvernement qui a été retiré puisque la Commission européenne a estimé que la méthodologie proposée pour le calcul du prix ne convenait pas. Le prix est donc resté à 42 euros du mégawattheure. EDF a mis à la disposition de ses concurrents un quart de sa production. Les volumes ont été souscrits et le plafond a été atteint : certains fournisseurs ayant fait une demande d'ARENH n'ont pas obtenu les volumes dont ils avaient besoin et ont, pour l'énergie manquante nécessaire à l'alimentation de leurs clients, acheté l'électricité sur les marchés. Or, ce prix s'élevait à presque 60 euros du mégawattheure.
S'agissant du tarif réglementé, il a été sauvé « in-extremis » par le Conseil d'État.
M. Jean-François Carenco . - Certains d'entre nous se sont battus pour le défendre.
M. Christophe Leininger . - Il doit respecter deux principes : le tarif réglementé doit être stable et il y a un certain nombre de dispositions que nous utilisons dans notre mode de construction qui garantissent cette stabilité ; il doit être contestable : il faut qu'il puisse être concurrencé par des fournisseurs alternatifs.
M. Jean-François Carenco . - Cette jurisprudence du Conseil d'État est constante. Si le tarif ne respecte pas ces deux principes, il sera annulé. La négociation a été compliquée sur le paquet « énergie-climat », laquelle aurait pu aboutir sur une interdiction des tarifs réglementés de vente (TRV). La France a résisté, moyennant quelques concessions, et a obtenu leur maintien. Cela a été un combat gagnant.
M. Martial Bourquin . - Cela a un prix !
M. Jean-François Carenco . - Ce n'est pas le TRV qui a un prix, c'est la manière dont on l'applique !
M. Martial Bourquin . - Les coûts de production seraient responsables d'une hausse de 2,9 % et le reste de l'augmentation serait dû aux marges. La concurrence que nous impose la Commission aurait dû faire baisser les prix, or on s'aperçoit qu'ils augmentent sensiblement. La volonté de libéraliser le secteur de l'énergie a amené un renchérissement des coûts de l'énergie ! Vous comprendrez bien qu'avec la situation actuelle, cela exaspère nos concitoyens : pour un ménage se chauffant à l'électricité, l'augmentation peut aller jusqu'à 150 euros par an !
M. Jean-François Carenco . - C'est l'équivalent d'un paquet de cigarettes par mois !
M. Jean-Claude Tissot . - Certains ne fument pas.
M. Martial Bourquin . - Le niveau de taxation est aussi très important...
M. Jean-François Carenco . - Toute l'Europe est contre nos TRV, mais je l'ai dit, nous avons obtenu leur maintien. Ma mission est d'assurer, par les décisions du collège de la CRE, la durabilité de notre système. J'applique les lois et les jurisprudences du Conseil d'État. Lorsqu'on ne le fait pas, nos décisions sont annulées.
La concurrence fait-elle baisser les prix ? De quelle concurrence parle-t-on ? Du marché de production, du marché de distribution ? Il n'y a presque aucune concurrence sur le marché de production, la concurrence se situe sur le marché de distribution.
Les 2/3 du prix ne sont pas ouverts à la concurrence : 2/3 sont fixés par la CRE sur le TURPE pour le transport et la distribution, le 1/3 restant relève de taxes, fixées par les parlementaires.
La concurrence joue donc sur le tiers restant du prix. Le fournisseur proposant une ristourne de 10 % sur la facture soit vend à perte soit ne vendra pas longtemps, car celle-ci se fera sur les coûts de production, qu'il achète à son concurrent EDF ! Cette idée de faire de la concurrence pour faire baisser les prix est la volonté de Bruxelles. Cela les fait un peu baisser, ne les fait pas monter, mais donne plus d'agilité.
Sans fournisseurs alternatifs, EDF ne se serait pas engagé dans la production massive d'énergies renouvelables. EDF a pris une décision fondamentale en matière de production énergétique : un engagement massif pour produire de l'énergie renouvelable en France. Il faut l'applaudir !
Une révolution se prépare - les compteurs intelligents, en gaz et en électricité, la domotique, les données, etc. Je reste persuadé que ce sont les alternatifs qui font bouger le système. La construction ne se fait pas avec un seul acteur.
M. Fabien Gay . - Et sur le gaz ?
M. Jean-François Carenco . - Vous allez être surpris par la baisse du prix du gaz. Revenons sur la décision de la CRE s'agissant des TRV. Les prix de gros sur le marché ont augmenté. Les alternatifs se sont fournis au prix de l'ARENH - 42 euros le mégawattheure. Le Parlement a limité le volume ARENH à 100 térawattheure. Au-delà, les industriels se fournissent au prix du marché. C'est ce qui est arrivé cette année pour la première fois depuis que l'ARENH existe.
Nous avions donc deux solutions pour les fournitures hors ARENH : soit ces entreprises achetaient ce qui leur manquait sur le marché spot , soit l'on prenait la moyenne des prix du marché des deux dernières années. Or, il y avait un besoin immédiat de couverture de l'ensemble des fournisseurs, nous avons donc opté pour le prix du marché spot .
Qui est gagnant ? EDF, mais pas les fournisseurs alternatifs. EDF vend dans ce cas au prix du marché ce qu'il produit au prix de l'ARENH. On aurait pu m'accuser de faire un cadeau à EDF, mais pas aux fournisseurs alternatifs.
Est-ce juste l'effet de la concurrence ? Je pense que c'est une analyse erronée, mais je peux me tromper. Nous attendrons la décision du Conseil d'État si cette décision devait être contestée devant lui.
Est-ce que le système de l'ARENH est pertinent pour l'avenir ? Compte tenu d'un certain nombre d'éléments - de la crise en Iran, de la crise dans le Golfe -, le prix du marché devrait monter. La réponse est donc non. Le Ministre de la transition écologique et solidaire a indiqué qu'il fallait refonder le système de l'ARENH, et que la CRE travaillait pour l'y aider.
La moyenne des prix en Europe est de 200 euros le mégawattheure ce jour, en France elle est de 70 et en Allemagne de 300.
M. Fabien Gay . - M. le président, je suis en désaccord avec vous. Vous défendez une vision politique, qui est contestable. Je ne souscris pas à des mots que vous avez employés, notamment quand vous comparez l'augmentation du prix de l'électricité au coût d'un paquet de cigarettes. Pour beaucoup de nos concitoyens, dix euros par mois sont considérables. Vous le savez, 12 millions de Français sont en précarité énergétique. Un certain nombre de nos concitoyens arrête le chauffage car ils n'ont plus les moyens de payer leur facture.
Depuis vingt ans, nous entendons que l'ouverture à la concurrence, la libéralisation, puis les privatisations d'entreprises publiques feront baisser les prix du marché. En réalité, dans le secteur de l'énergie comme dans d'autres, la facture augmente. Le prix du gaz a augmenté de 70 % ces dix dernières années ! Dans le même temps, Engie, une ex-entreprise publique, verse 27 milliards d'euros de dividendes à ses actionnaires.
Nous avions une entreprise publique, aux missions de service public, dont les profits bénéficiaient à la société. Ces bénéfices servent désormais des intérêts privés. Or, l'énergie est un bien commun de l'humanité, tout le monde devrait y avoir accès.
M. Jean-François Carenco . - Certains de nos concitoyens sont en précarité énergétique, et il existe une question de pouvoir d'achat. Je souhaite faire trois remarques : une grande part de vos inquiétudes relève du pouvoir politique, pas de la CRE. Mon analyse est que cela ne profite pas aux entreprises privées. Sur le secteur énergétique, ces entreprises ne gagnent pas d'argent. Ce sont plutôt l'État et les entreprises publiques qui sont gagnants. Enfin, lorsqu'une problématique se pose, la réponse est toujours de proposer une baisse des taxes. Je n'y souscris pas, mais cela ne relève pas de la CRE.
M. Martial Bourquin . - Plus le prix augmente, plus les taxes augmentent !
M. Jean-François Carenco . - Sur le même principe que la TVA !
Mme Angèle Préville . - J'ai travaillé sur le stockage électricité dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : vous avez dit que la concurrence nous permet d'être plus agiles. Je comprends que faire entrer la production d'énergies renouvelables dans notre mix énergétique est en réalité facilité par l'interconnexion que nous avons au sein du système européen. C `est donc l'ouverture au marché qui a permis cette flexibilité ?
M. Christophe Leininger . - Vous avez fait un bon diagnostic de la situation. Ce sont les opérateurs plus récents sur le marché - ils sont 70 aujourd'hui - qui apportent de nouveaux moyens de flexibilité. Dans un contexte concurrentiel, dès lors qu'ils ne peuvent pas se démarquer sur le prix, ils tentent de se démarquer sur le service.
M. Jean-Pierre Vial . - Nous allons visiter Trimet avec Mme la rapporteure la semaine prochaine, au cours d'un déplacement qui sera consacré aux questions d'efficacité et de flexibilité.
Vous avez pris vos fonctions à la CRE quand celle-ci allait commencer à déterminer les règles des appels d'offres. La définition de ces règles a ensuite été transférée au niveau du ministère.
La redevance capacitaire rapporte plus d'un milliard d'euros : les industriels électro-intensifs payent la redevance capacitaire !
M. Christophe Leininger . - Mais ils ont l'interruptibilité.
M. Jean-Pierre Vial . - L'interruptibilité ne concerne qu'une petite dizaine d'entre eux ! Les électro-intensifs dont je parle ne bénéficient pas de l'interruptibilité, alors qu'ils souhaitent participer à la flexibilité.
À la sortie de l'hiver 2016-2017, le ministre de l'Industrie est venu remercier les industriels qui se sont effacés durant l'hiver. Mme Brune Poirson était en Savoie au début de l'année 2017 : elle se trouve devant les industriels qui ont « effacé » leur consommation la veille. Ce même jour, la France active les centrales au charbon et les industriels qui ne demanderaient qu'à pouvoir effacer leur consommation n'y sont pas autorisés !
Nous n'avons cessé de régresser depuis 5 ans sur ce sujet, nous réduisons les volumes d'effacement alors que les industriels ne demandent qu'à pouvoir faire de l'effacement.
M. Jean-François Carenco . - Je crois beaucoup à l'effacement. RTE vient de relancer l'appel d'offres, il faut que les industriels s'en servent davantage car cela fait partie globalement des moyens d'équilibre du système et des flexibilités.
M. Jean-Pierre Vial . - Mais il faut rémunérer les industriels !
M. Christophe Leininger . - Le Gouvernement a aussi à l'esprit qu'une partie de ces effacements n'en sont pas vraiment : les diésel démarrent à l'automne ...
M. Jean-Pierre Vial . - C'est un discours pour tuer l'effacement des industriels !
M. Christophe Leininger . - Ce n'est pas un discours, c'est un fait. Mais pourquoi pas ... Auparavant, les entreprises n'arrêtaient pas leur process, mais démarraient un groupe électrogène. C'était une autre source d'alimentation qu'ils avaient payée eux-mêmes.
La puissance publique considère qu'aujourd'hui, le développement des effacements ne saurait consister à remplacer un effacement par l'énergie d'un moteur diésel. C'est la raison pour laquelle l'effacement ne prospère pas.
M. Franck Menonville , président. - Nous devons conclure.
Mme Valérie Létard . - Nous vous remercions pour la qualité de vos explications. Quelles préconisations feriez-vous pour accompagner et consolider l'avenir des acteurs sidérurgiques et les inciter à rester en France et en Europe ?
M. Jean-François Carenco . - Il est « minuit moins le quart » pour sauver notre industrie. D'abord un pays qui ne crée pas de valeur est un pays mort. Je pense qu'il pourrait être utile d'avoir une TVA spécifique sur les électro- intensifs : cela relève d'une décision européenne, mais peut partir d'une initiative parlementaire.
Deuxièmement, je pense qu'il faut engager une discussion avec EDF sur les contrats à long terme. EDF doit être un acteur majeur du contrat à long terme pour un certain nombre d'industriels qui créent de la valeur.