L. AUDITION DE M. XAVIER BERTRAND, PRÉSIDENT DE LA RÉGION HAUTS-DE-FRANCE (5 JUIN 2019)
M. Franck Menonville , président . - Mes chers collègues, nous recevons le président de la Région des Hauts-de-France. Vous le connaissez et je ne vous le présente pas.
Vos mandats et fonctions successifs, parlementaire de 2002 à 2016, maire de 2010 à 2016, ministre de 2005 à 2012, président de la communauté d'agglomération du Saint-Quentinois depuis 2014 et du conseil régional des Hauts-de-France depuis 2016, vous ont apporté une expérience du fonctionnement des acteurs publics locaux et nationaux confrontés à un enjeu politique majeur.
C'est le coeur de notre mission d'information : l'avenir de la sidérurgie comme filière stratégique, la conduite d'une politique industrielle qui lui est dédiée, les défis auxquels les entreprises sidérurgiques sont confrontées.
Je pense bien entendu à Ascoval ; dossier dans lequel vous êtes très fortement impliqué. À partir de ce cas particulier, et singulier, nous nous intéressons à l'ensemble de la sidérurgie qui est pour nous une filière stratégique et porteuse d'avenir y compris dans le cadre de la transition énergétique que ce soit pour la construction d'éoliennes, de véhicules électriques ou pour son apport à l'économie circulaire avec le recyclage de la ferraille.
La mission d'information s'est déplacée dans votre belle région les 14 et 15 mars derniers sur les sites de Dunkerque et Valencienne. Nous y avons appréhendé le poids de cette filière en matière d'emplois directs et indirects, ainsi que du point de vue de la modernité de ses outils. Filière située en haut de la chaine de valeur et qui alimente un écosystème industriel particulièrement dynamique, que ce soit dans le secteur automobile, la construction, le ferroviaire ou encore l'éolien.
Nous sommes heureux et honorés que vous ayez accepté cette invitation. Vous êtes à la tête d'une des régions industrielles les plus importantes de France : première région pour la construction ferroviaire, seconde pour la construction automobile, et troisième pour les investissements internationaux. Territoire en pleine mutation que vous accompagnez avec beaucoup d'implication, de volontarisme et de détermination. Une filière métallurgique au coeur des enjeux climatiques, européens, énergétiques et des enjeux de recherche et d'innovation. Votre vision de la stratégie industrielle de la France et les ambitions de votre région nous intéresse. Ces présentations étant faites, je passe la parole à Mme la rapporteure.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je suis heureuse en tant que rapporteure de partager l'expertise, la connaissance et la pratique du président de région qu'est Xavier Bertrand. Une telle expérience nous permet de comprendre le rôle des régions dans l'accompagnement des entreprises durant cette mutation industrielle impliquant des restructurations. Xavier Bertrand a toujours fait des sujets industriels et économiques sa priorité. À ce titre, nous sommes très heureux de pouvoir l'entendre nous exprimer son sentiment.
Mes chers collègues, comme le président Menonville l'a indiqué, la Région Hauts-de-France est au départ de cette mission d'information avec le cas emblématique d'Ascoval, dont la situation n'est toujours pas stabilisée après deux déboires successifs.
En tant que président de Région, vous vous êtes particulièrement impliqué dans ce dossier auprès des salariés et de la direction, qui font corps, pour sauver ce site. Il s'agit d'une belle aventure industrielle et vous ne ménagez pas vos efforts pour trouver un repreneur. Je peux en témoigner.
Les sénateurs de la mission d'information, que nous sommes, se sont rendus sur le terrain ; nous avons rencontré ses dirigeants et ses salariés, procédé depuis quatre mois à de nombreuses auditions.
Nous avons entendu hier le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, M. Jean-Pierre Floris, qui a tenu à démentir vigoureusement les propos qu'il aurait tenu. Celui-ci n'aurait jamais demandé à Altifort de retirer son offre en octobre 2018 mais nous a indiqué qu'il aurait dit au ministre ne pas avoir eu confiance dans ce potentiel repreneur. Il a également démenti toute menace de contrôle fiscal, procédure qu'il ne pouvait au demeurant - et en aucun cas - mettre en action.
En revanche, il semble bien qu'il y ait eu au Gouvernement sur ce dossier de fortes divergences d'appréciation. Et, après le renoncement d'Altifort, l'administration aurait eu comme consigne de « faire le deal à tout prix » avec British Steel, propriété du fonds Greybull Capital. Le groupe vient d'être déclaré en faillite en Angleterre, quelques jours après avoir été choisi par le tribunal de Strasbourg pour la reprise de l'aciérie de Saint-Saulve. Les entreprises françaises de ce groupe ne seraient pas touchées, mais la pérennité de l'approvisionnement de la France en acier pour le rail est, pour sa part, interrogée.
Outre ses dimensions économique et politique, ce dossier industriel pourrait acquérir une dimension judiciaire, avec les procédures que la CGT souhaite engager à l'encontre de Vallourec, qui a vendu 60 % de ses parts à Ascométal en 2014. Il pourrait être intéressant que vous nous donniez votre sentiment sur l'attitude de Vallourec dans ce dossier.
Mais ce dossier local pose aussi la question plus globale de l'articulation entre les rôles respectifs et les politiques publiques des régions et de l'État, dont nous avons entendu hier les principaux acteurs des opérations de restructuration, d'une part, et de préparation des territoires d'avenir, d'autre part.
Sur toutes ces questions, nous vous avons adressé un questionnaire, de même qu'à votre homologue de la Région Grand Est, que nous entendons demain. Vous avez la parole.
M. Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France . - Votre mission est passionnante, tant par son thème que ses enjeux. Puissent le Législatif ensuite s'emparer de son sujet et l'Exécutif en tenir compte !
Au-delà de cette mission, je m'interroge sur la nécessité d'avoir, à l'avenir, de l'acier. La réponse est évidemment positive. Où le produira-t-on ? On pourrait rétorquer qu'il n'y a plus de marché européen et que la production d'acier mondial est vouée, à terme, à n'être localisée qu'en Asie. Sauf qu'on produit de l'acier pour moins cher en Asie depuis un certain temps déjà, sans avoir arrêté d'en produire en France et en Europe ! On ne saurait bien évidemment concurrencer toutes les formes d'acier, mais certains d'entre eux requièrent des savoir-faire spécifiques. Pourquoi continuerait-on à produire de l'acier en Allemagne et non plus en France ? C'est une question de volonté politique qui concerne l'industrie dans son ensemble. Il faut arrêter les beaux discours et prendre les mesures qui s'imposent pour non seulement sauvegarder, mais aussi renforcer notre tissu industriel. C'est possible grâce à un certain nombre d'actions claires qui bénéficieront, en retour, à l'ensemble de notre industrie nationale.
Une véritable stratégie industrielle existe-t-elle en France ? Encore faut-il clarifier au préalable les rôles de l'État, de l'Europe et des régions, que la Loi NOTRe a investies d'une fonction économique. J'ai d'ailleurs demandé au Ministre de l'Économie si le rôle de l'État était celui de stratège ou de pompier. Qui, au quotidien, règle les problèmes ? Les régions doivent aujourd'hui être investies de davantage de pouvoirs, de compétences et de moyens pour intervenir efficacement. La définition des filières stratégiques en lien avec l'Europe doit relever des États, à l'instar de ce qui est actuellement en cours avec le projet de batterie de futur. Si demain, la Région Hauts-de-France a des collaborations avec la Région Grand Est, rien ne remplacera la création d'un écosystème favorable à l'échelle gouvernementale et propice à la décision de créer une filière stratégique. Aujourd'hui, je souhaite que cette clarification se produise, dans le cadre de la prochaine étape de la décentralisation, à travers la différenciation et la définition incontournable d'une nouvelle stratégie économique impliquant de doter les régions de nouvelles compétences.
Il faudra aller très vite sur d'autres sujets. Si l'on baisse singulièrement les impôts de production, il faudra également que les collectivités territoriales fassent des efforts. Je suis prêt à renoncer, dans des implantations dans de nouveaux secteurs géographiques, à une part des recettes fiscales liées aux impôts de production, si tant est que je conforte ou maintienne l'emploi. Je reprendrai à cet égard un exemple concret que j'ai évoqué devant le Président de la République : je souhaite pouvoir bénéficier d'une fraction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aujourd'hui dévolue à l'État, en contrepartie de compétences que j'assumerai, et passerai un contrat avec l'État par lequel je m'engage à ne pas accroître la fraction qui me sera transférée. En revanche, si je décide, avec l'aval des conseillers régionaux, de développer l'industrie localement, je veux avoir la possibilité d'exonérer fiscalement sur cette CVAE sur cinq ou sept ans ; seule m'intéresse ici la création de valeur ou d'emplois. Dès lors, si les recettes fiscales seront obtenues à l'issue de la septième ou huitième année, les emplois seront, quant à eux, créés immédiatement ! Une telle démarche permet, en retour, de conduire une politique d'aménagement du territoire. Installer une industrie de services au coeur de Lille permet de bénéficier des avantages de cette métropole, à l'inverse d'un projet d'installation dans le Thiérache qui ne bénéficie d'aucun avantage ! Dans de nombreux dossiers, nous avons pu constater que la fiscalité de production pesait beaucoup trop lourd. Il ne s'agit pas de dumping fiscal, loin s'en faut, mais il est nécessaire d'orienter des investissements productifs.
En outre, une grande région et un grand pays ne peuvent réussir que si les services et la technologie fonctionnent conjointement avec l'industrie. La Bavière ne serait pas restée une grande région si elle avait fait une croix sur son industrie ; elle a certes développé l'économie numérique de manière importante tout en renforçant ses cols bleus. En ce sens, la fiscalité de production est essentielle.
Ne nous tirons pas une balle dans le pied en raison du coût de l'énergie ! L'énergie décarbonée permet aux particuliers et aux usines, qui en sont de grandes consommatrices, d'obtenir l'énergie pour un coût moindre et il importe de bien prendre en considération les industries qualifiées d'électro-intensives, parmi lesquelles se trouve l'industrie sidérurgique ! C'est là un sujet à la fois franco-français et européen : d'une part, le groupe EDF ne doit plus considérer les industriels de cette branche comme des clients captifs et, d'autre part, la politique européenne, pas si contraignante que cela, peut néanmoins induire des coûts de production trop disparates selon les zones géographiques d'implantation. L'industrie du futur ne peut avoir de sens qu'en conciliant le numérique et l'industrie ! Il serait temps de réfléchir à l'installation d'une filière de production de robotique numérisé, qui manque actuellement à notre pays. Nous obtiendrions alors des gains de productivité et de compétitivité qui généreraient des emplois à terme ! Un nouvel écosystème national est tout à fait possible. Je n'oublierai pas le nouveau système de formation partagé entre l'État, les régions et les milieux professionnels. Au-delà de la seule question de l'apprentissage, il est important d'orienter davantage les jeunes vers l'industrie où les conditions de rémunération y sont supérieures à la moyenne des autres secteurs.
Les régions, notamment dans les schémas régionaux de développement économique, disposent d'outils de différente nature, selon qu'on se place dans une perspective de financement ou d'accompagnement. Elles sont ainsi prêtes à accompagner les entreprises dans leur projet. Pour la deuxième année consécutive, la Région Hauts-de-France est classée par le cabinet Ernst &Young comme la première région de France pour l'accueil des investissements étrangers. Qu'il s'agisse d'avances remboursables ou de subventions, voire de financements avec l'Europe sur la recherche et l'innovation, nous n'hésitons pas à intervenir. Dès lors, nous sommes devenus attractifs. Ce sont les industriels qui créent de l'emploi. Néanmoins, l'accompagnement de la Région permet de contrebalancer un cadre peu attractif. Il n'y a strictement aucune fatalité, comme en témoigne le rang de la France en matière d'attractivité, par rapport à l'Allemagne. Nous accompagnons les chefs d'entreprises dans leur réflexion stratégique de filière et soutenons les entreprises industrielles avec un régime d'aides directes et d'outils financiers avec les fonds régionaux, comme Hauts-de-France-Financement. La Région soutient également les plans de formation mis en oeuvre dans l'industrie automobile, pour adapter les compétences des salariés aux mutations technologiques et aux évolutions du marché. Enfin, nous accompagnons les entreprises pour bénéficier des fonds européens FEDER.
Nous avons repris de nos prédécesseurs Daniel Percheron, ancien sénateur, et de Philippe Vasseur, qui en avait été l'instigateur, l'idée de cette Troisième révolution industrielle. Nous pensons en effet qu'il faut aller très clairement vers le bas-carbone, la numérisation et la robotisation. Il s'agit de projeter la Région vers l'avenir, afin de conforter son leadership dans des secteurs comme l'industrie automobile où un besoin de main d'oeuvre sera toujours présent. Très clairement, il y a là un enjeu.
Depuis ces trois dernières années, 220 entreprises industrielles ont été aidées par la seule Région ; 25 000 emplois ont été renforcés et 2 300 créés, pour un investissement de 74 millions d'euros. Il s'agit là d'un bon investissement. Telle est ma conception de l'articulation du rôle de l'État, qui doit être davantage stratège, et de celui des régions.
Enfin, au niveau européen, les règles du jeu doivent être claires et harmonisées. En France, le montant des aides industrielles aux implantations est plafonnée à 10 % tandis qu'il l'est de 25 % en Pologne. Il faut harmoniser un tel taux afin de permettre le développement de projets industriels de grande envergure sur le territoire national. Il faut que la France fasse entendre sa voix au moment de la renégociation de ces plafonds qui vont prévaloir pour les sept prochaines années. La Pologne d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier et la même règle doit prévaloir dans toute l'Europe. Il me paraît nécessaire, pour l'Européen convaincu que je suis, de plaider cela !
Le dossier Ascoval représente un formidable gâchis et c'est toute la stratégie industrielle de Vallourec doit être questionnée. Ce dossier a connu plusieurs rebondissements : la reprise d'Ascometal, annoncée comme la solution idoine, puis celle d'Altiflor qui n'a duré que trop peu de temps et enfin celle du groupe Olympus, qui connaît les retombées de la mise en liquidation, selon le droit britannique, de British Steel. Vallourec n'a pas su se diversifier, ni investir suffisamment. La rapporteure, Valérie Létard m'a fait entrer dans ce dossier il y a quelques temps déjà. Au fil des années, la baisse du prix de la tonne d'acier a permis de rendre cette entreprise viable qui est passée d'un portefeuille de deux à une dizaine de clients, en raison de la qualité de l'acier proposée et de son rendement énergétique.
Néanmoins, le marché de l'acier fluctue énormément, notamment suite au Brexit, et a besoin de plus de visibilité. Les groupes Schmolz & Bickenbach ou Ascométal avaient été identifiés par le tribunal de commerce pour la reprise de l'usine de Saint-Saulve. Je le dis très clairement : le Gouvernement a commis une erreur en ne soutenant pas l'offre de reprise du groupe Liberty Steel. Cela nous aurait permis d'avoir une visibilité sur cette usine. Il a également pensé que Schmolz & Bickenbach ne demandait rien ; choix funeste qui s'est avéré beaucoup plus onéreux ! Même le ministre de l'Économie et des finances ne disposait sans doute pas de l'ensemble des éléments pour évaluer les tenants et aboutissants des deux projets de reprise concurrents. Manifestement, Bercy n'avait ni vision stratégique, ni conscience de l'importance du partenariat de la Région à hauteur 14 millions d'euros, dont 2 millions d'euros d'avances. D'ailleurs, le groupe Schmolz & Bickenbach était-il d'abord intéressé par le développement industriel ou par le carnet de commandes et les conditions d'homologation pour pouvoir produire, par la suite, davantage d'acier en Allemagne ? J'assume totalement mes propos. Il s'agit bel et bien d'une erreur stratégique. Le groupe Liberty souhaitait également reprendre une autre entité dans le Dunkerquois et avait alors la possibilité de créer un groupe industriel. À l'époque, le dirigeant indien de Liberty Steel nous avait indiqué qu'il nourrissait un nouveau projet d'usine pour les aciers spéciaux. La fin de non-recevoir qui lui a été donnée a mis également fin à cet autre projet. Ce groupe agissait pourtant en connaissance de cause et n'a pas été retenu.
S'agissant d'Ascoval, je ne souhaite nullement porter querelle, mais le titre de M. Jean-Pierre Floris devrait être, selon moi, plutôt « Commissaire à la liquidation » qu'à la restructuration industrielle. J'ai pu le constater dans plusieurs dossiers et j'assume absolument ce que je dis ; tous les représentants économiques qui ont été en contact avec lui vous le confirmeront. J'ai été témoin d'une scène, sur le dossier industriel de la société TIM, dans le Dunkerquois. Ce jour-là, j'ai vu M. Floris se comporter avec le gérant de cette société avec une rare condescendance et lui proposer une forme de restructuration industrielle ne répondant nullement à notre cahier des charges. Tous nos efforts ont failli être ruinés par une telle attitude ! Les délégués syndicaux des entreprises industrielles de ma région sont ressortis découragés d'un rendez-vous avec lui ! Lorsqu'une entreprise n'est pas viable, il faut dire la vérité aux ouvriers et proposer une autre activité ou des voies de reclassement. À l'inverse, les activités viables - à l'instar des cabines de chantier produites par TIM ou des aciers spéciaux -, légitiment la mobilisation de moyens pour une reconversion. Je suis également prêt à préciser dans quelle conférence téléphonique j'ai constaté l'existence d'un réel cynisme d'État sur ce dossier Ascoval que l'on est prêt à laisser mourir.
J'ai pourtant remué ciel et terre pour que le Gouvernement et le chef de l'État, qui disposaient d'informations manifestement erronées, changent de position. Malgré cela, nous ne sommes pas pour autant tirés d'affaire. Dans tous les dossiers industriels, et même lorsqu'il existe une réelle stratégie industrielle, du volontarisme et des investissements, tout se passe à hauteur d'hommes et de femmes. Or, l'ensemble de ces salariés ont été ballotés par la succession de plusieurs facteurs : le cynisme de Vallourec, l'incompétence d'un certain nombre de dirigeants d'Ascométal, le manque de solidité des dirigeants d'Artiflor - que les responsables de l'État, dont M. Jean-Pierre Floris, ont contribué à fragiliser -, ainsi que les vicissitudes du Brexit qui ont fragilisé British Steel. Or, le repreneur actuel a besoin de cette société pour constituer un groupe européen. En outre, en l'absence de filière sidérurgique, comment la SNCF s'approvisionnerait-elle en rails ?
La confiance des salariés représente un réel enjeu. Je veux saluer l'implication de Mme Valérie Létard en tant qu'élue nationale et du Valenciennois. Même si les compétences économiques ont été attribuées, dans le cadre de la décentralisation, aux collectivités territoriales, seul un travail en commun avec l'État permettrait de trouver des solutions. Malheureusement, en matière industrielle, les régions sont devenues les supplétifs de l'État, notamment pour l'accès à l'information et au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Certes, de bonnes relations avec les préfets permettent d'obtenir des informations financières au niveau régional, tandis qu'au niveau national, les régions sont bien souvent simplement sollicitées pour faire un chèque, sans être associées aux négociations préalables. Cette situation est honteuse. L'accès aux informations du CIRI, quitte à instaurer un délit de divulgation d'informations, doit être garanti aux élus qui ont conscience de leurs actes. On ne peut plus continuer à travailler ainsi ! Pour preuve, dans le dossier ARC où la Région est intervenue, nous n'en avons été, au final, que le financeur. Ce n'est pas une attitude respectueuse vis-à-vis des élus locaux qui sont également dépositaires d'une part de souveraineté démocratique.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Les derniers propos que vous venez de tenir me font penser à l'initiative « Territoires d'Industrie. » Comment y concevez-vous l'articulation entre l'État, les régions et les territoires ?
M. Xavier Bertrand . - Nous allons jouer le jeu à fond et soutenir cette initiative qui devrait permettre de renforcer notre présence industrielle. Toutefois, l'État n'y met pas un euro d'argent frais ! C'est une opération de communication et de recyclage des dispositifs actuels qui ne me dérange guère, à vrai dire. En effet, nous lancerons début juillet cette opération « Territoires d'Industrie » dans notre région. Néanmoins, j'ai quelque peu retardé l'échéance, car il importait de clarifier les ambitions de cette initiative qui ne saurait se limiter à l'association des élus et des industriels pour la réalisation de fiches-projets. Outre l'affichage politique, il faut en faire un facteur de rebond. Puisque l'État n'apporte pas de nouveaux financements, il nous a fallu revoir les modalités de notre politique industrielle, afin d'identifier des crédits - au-delà des 76 millions d'euros déjà mobilisés - tant par la région que par les autres fonds régionaux -, de jeter les bases d'un pacte pour la formation et l'industrie du futur, et de financer des audits. L'opération « Territoires d'Industrie » doit apporter des solutions claires aux industriels. J'ai d'ailleurs proposé qu'un chef d'entreprise - dans notre région, M. Laurent Bataille identifié par le monde industriel - participe également au pilotage de cette opération qui devait initialement être assuré par le binôme préfet-président de Région, afin de croiser les regards économique, politique et administratif.
Nous allons être capables de présenter des fiches et des moyens opérationnels et pas seulement écouter des discours. En parallèle, je présenterai au Gouvernement des propositions relatives notamment à la différenciation, pour la nouvelle étape de la décentralisation, pour que les régions se voient attribuées davantage de moyens et de compétences. Je ne demande pas d'argent, car je sais pertinemment qu'il ne coule plus à flots. En revanche, je sollicite davantage de maîtrise économique et budgétaire pour pouvoir être plus efficace.
M. Franck Menonville , président . - Merci Monsieur le Président. Je vous avais entendu il y a quelque temps sur Europe 1 lorsque vous évoquiez l'éventuel rôle des régions dans l'instruction des politiques de l'État. Une telle perspective s'inscrit dans l'évolution du paysage économique où, comme en témoignait l'un de nos intervenants hier, le temps économique a été divisé par quatre tandis que le temps administratif a été allongé dans les mêmes proportions. Les régions ont bel et bien toute leur place pour rationaliser, simplifier et surtout gagner du temps et de l'efficacité dans la politique économique.
M. Xavier Bertrand . - On peut en effet gagner du temps, si les régions se voient reconnues la possibilité d'instruire ou de superviser les procédures d'installation ou d'extension. Je suis persuadé que prendre la main sur les procédures nous permettra de gagner un temps certain. Je prendrai un exemple : avec un projet à 150 millions d'euros, tout le monde se met en ligne. On a réussi à mettre en place un contrat d'implantation dans la Région, en tentant de raccourcir et de circonvenir l'empilement des procédures traditionnelles. Dans la Région Hauts-de-France voisine de la Belgique, nous avons un problème : en Belgique, l'implantation d'une entreprise prend deux fois moins de temps, du fait de la complexité vétilleuse qui est la nôtre. Je souhaite que nos contrats spécifiques d'implantation, qui ont motivé l'implantation de groupes étrangers, deviennent l'ordinaire. Suite au Brexit, les procédures ordinaires de l'État, comme les fouilles archéologiques, ont été singulièrement réduites. Comme quoi, lorsqu'on veut, on peut ! Au quotidien, une implantation d'entreprise ou une extension d'activités représente un parcours du combattant. Y remédier ne coûte rien !
M. Franck Menonville , président . - Au contraire, même !
M. François Calvet . - Nous avons fait ensemble, Monsieur le Président, un hôpital franco-espagnol qui fonctionne à merveille depuis ces quatre dernières années ! Vous avez évoqué le besoin d'acier pour l'avenir au début de votre propos. Parmi les utilisateurs de l'acier, je pense en particulier à l'industrie automobile. À ce sujet, rappelant le titre d'un quotidien économique, la fusion entre les groupes Renault et Fiat vous paraît-elle une bêtise ou un coup de génie ?
M. Marc Laménie . - Outre la question financière, l'enjeu humain est fondamental et concerne le recrutement qui pose souvent problème aux chefs d'entreprise. Que faire pour soutenir, au niveau régional, le recrutement dans cette filière de la sidérurgie en crise depuis de nombreuses années ? Dans un contexte budgétaire difficile, qui est à la fois celui de l'État et de la sécurité sociale, comment faire pour amoindrir le poids des charges pour nos entreprises de la sidérurgie qui doivent faire face, comme nos autres filières industrielles, à la concurrence étrangère ?
M. Dany Wattebled . - En fait, Monsieur le Président, vous avez répondu à tout ! Nous n'avons plus rien à dire ! Le cas d'Ascoval est emblématique. Nos grandes régions françaises ne disposent que de budgets ridicules par rapport à celui des Länder allemands. Paris ne connaît pas le terrain et prend des décisions sans consulter le niveau local. La crise française part de là ; les grandes régions n'ont pas de réel pouvoir. Si les experts locaux avaient été consultés, ceux-ci, forts de leurs connaissances des acteurs locaux, auraient pu permettre de définir une stratégie à long terme. Il est toujours possible de sauver une entreprise. Que faire avec cette technostructure ? Il faut prendre des acteurs de proximité et distribuer le budget consacré par l'État à l'industrie aux régions, pour répondre au mieux aux besoins locaux. Inspirons-nous de la politique des Länder, qui savent prendre des décisions au plus près du terrain ! Avec 50 milliards d'euros de budget, la Bavière peut agir efficacement et soutenir son tissu industriel. Chaque région a certes ses problèmes mais tant que les cartes n'auront pas été redistribuées et que l'avis des experts parisiens sera le seul pris en considération, le débat pourra s'éterniser, mais n'aboutira à rien ! C'est un problème institutionnel et non financier !
Mme Martine Filleul . - Vous avez évoqué la formation qui contribue au développement de ressources humaines dans l'industrie. Depuis de nombreuses années, certains chefs d'entreprise ne peuvent embaucher, faute de candidats ; les filières industrielles ne suscitant, faute d'une sensibilisation et d'une orientation des élèves performantes, guère de vocations. Il faut mobiliser les branches professionnelles et trouver des moyens nouveaux pour répondre à ce problème sur l'ensemble du territoire national.
M. Jean-Claude Tissot . - Hier, je suis intervenu au sujet du CIRI et des Territoires d'industrie durant les auditions qui y étaient consacrées. Je suis issu de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Le binôme de l'initiative Territoires d'Industrie rassemble l'État et les régions. Or, nous sommes des Sénateurs élus des départements. À ce titre, nous n'avons aucun accès direct aux dossiers, sauf en cas de relations particulières avec le préfet du département. Ces territoires d'industrie ne sont-ils, au final, que des « coups de com » ? Une fois la feuille de route rendue publique, on en reste là, puisque les financeurs devraient encore être les agglomérations ou les métropoles. Quel rôle les parlementaires auraient à jouer dans cette opération ?
M. Fabien Gay . - Je voulais remercier votre discours articulé sur une réelle vision industrielle. Je ne crois pas ni l'actuel Gouvernement, ni ses prédécesseurs n'en ont eu, à l'exception de ceux formés sous la Présidence de Nicolas Sarkozy qui avait - je dois bien le reconnaître - une vision stratégique. Nous n'avons plus de ministre de l'Industrie ! C'est là un sujet ! J'ai accompagné des syndicalistes des Pages Jaunes auprès de M. Jean-Pierre Floris qui n'a eu de cesse de les démotiver et de les décourager, en clamant d'emblée son impuissance. Je partage entièrement votre point de vue sur l'absence de vision industrielle et sur l'origine de la prise de décision. Cependant, je suis en désaccord avec vous sur la question de la différenciation qui me paraît accroître les différences entre les régions, dotées d'un réel potentiel de développement économique, et les autres.
M. Xavier Bertrand . - Les Hauts-de-France sont la dernière région en termes d'emplois ! Qui nous a aidés ? La différenciation résulte de notre prise de conscience que la péréquation ne nous aidera nullement à obtenir des financements pour l'industrie. Je ne vais pas installer une usine à Laon, dans le sud de ma région, qui viendrait faire concurrence à une autre entité implantée dans la Marne ! Il faut, à l'inverse, tirer parti des complémentarités. En revanche, dans des territoires comme l'Avesnois, si je ne mets pas en place des outils spécifiques, qui va venir m'aider ? Loin de conduire à un dumping entre régions, la différenciation permet de réaliser un aménagement du territoire, surtout en milieu rural ou semi-rural, si des voies de désenclavement voient le jour. Pour preuve, les usines en Suisse et en Allemagne sont situées dans les vallées et non dans le coeur de métropoles ! L'industrie et l'aménagement du territoire vont de pair !
M. Fabien Gay . - On peut avoir un vrai débat sur le troisième axe de décentralisation, pourquoi pas ? Cependant, je pense que la différenciation ne va pas manquer d'induire de réels problèmes !
M. Xavier Bertrand . - Il faut prendre en compte le cadre républicain dans lequel l'État a pour fonction d'assurer cette péréquation.
M. Fabien Gay . - La question de l'égalité républicaine se pose. Comme vous le savez, je suis élu de Seine-Saint-Denis. Désormais, l'État ne garantit rien sur nos territoires ! J'en viens à ma première question qui porte sur la formation. Dans le cadre des activités de la Délégation aux entreprises, nous rencontrons des chefs d'entreprise qui connaissent un manque de main d'oeuvre qualifiée. Aussi, que pensez-vous de l'actuel démantèlement de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui répondait mieux aux besoins que les formations privées ? En outre, votre discours de politique industrielle globale occulte le rôle des banques. À quels taux doivent-elles prêter et comment peuvent-elles aider les territoires pour l'emploi ?
Mme Angèle Préville . - Dans le projet de loi pour une école de la confiance, j'ai fait adopter un amendement, qui modifie le code de l'éducation, afin de favoriser l'éducation manuelle. En tant qu'enseignante, j'avais pu constater les difficultés éprouvées par les élèves de troisième pour s'orienter, faute d'avoir, dans leur scolarité, pu découvrir leurs aptitudes et leurs goûts pour les disciplines manuelles. J'espère que cette modification permettra de réintroduire de l'éducation manuelle en collège et de favoriser, en retour, de nouvelles vocations vers ces métiers. Ce que vous nous avez raconté sur Ascoval m'éclaire beaucoup ! La décentralisation me semble un levier d'énorme progrès potentiel. Il nous faudra cependant réfléchir sur le droit à la différenciation. Le Gouvernement semble rétif pour accorder ce type de disposition qui me semble soutenir notre compétitivité, vis-à-vis notamment de notre voisin allemand. Il nous incombe ainsi de réfléchir, en tant que parlementaires, au contenu de ce prochain volet de la décentralisation.
M. Dany Wattebled . - En France, nous appliquons la réglementation européenne dans le domaine de l'environnement avec une sévérité accrue, qui nous évince de certains marchés et favorise nos concurrents européens. Il s'agit là de distorsion de la concurrence. Pour preuve, le traitement des alluvions dans nos canaux : nos voisins belges parviennent à atteindre un prix de revient quatre fois moins cher que le nôtre ! Dès lors, la totalité des dragages effectués sur les canaux français sont effectués par des entreprises belges ou hollandaises, dans le cadre d'appels d'offres publics ! Notre technostructure gouvernementale impose à nos entreprises des conditions plus draconiennes, fussent-elles minimes, qui contribuent à les évincer, de fait, des marchés publics.
M. Cyril Pellevat . - La Haute-Savoie connaît également des enjeux industriels, dans des domaines comme le décolletage et la transition vers les véhicules électriques, et des difficultés de recrutement, en raison de sa proximité avec la Suisse où les conditions d'engagement sont plus aisées et les salaires plus élevés. La transmission d'entreprises, notamment familiales, pose problème ; les PME performantes - et avec elles, des compétences nécessaires au tissu industriel local - disparaissant le plus souvent, suite à leur rachat par de grands groupes. S'agissant du financement des banques, votre Région Haut-de-France bénéficie-t-elle du plan d'investissement pour l'Europe « InvestEU » ?
M. Xavier Bertrand . - Il nous manque un ministère dédié à l'Industrie. M. Bruno Le Maire mouille réellement la chemise. Mais si l'industrie est une priorité, alors ce ministère doit relever d'un poste à plein temps. Au moment de la crise de 2008, nous avions une cellule d'intervention le plus en amont possible et qui jouait un rôle d'alerte. Dans ce même esprit, comme président de Région, je reçois chaque semaine un récapitulatif des difficultés rencontrées par les entreprises des Hauts-de-France. Il importe d'intervenir le plus en amont possible : ce rôle est avant tout celui d'un architecte et non d'un pompier. Il ne faut pas non plus dire blanc la veille et noir au lendemain des élections, comme j'ai pu le constater sur de nombreux sujets, quelles que soient les mandatures !
Allons jusqu'au bout de ce raisonnement : il faut une administration dédiée dans un ministère spécifique si l'on estime que l'industrie est une priorité. Conduire un travail de veille permet également d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard.
Je n'ai pas souligné le rôle des banques. Sans vouloir généraliser, aller voir certaines d'entre elles uniquement si vous n'avez pas besoin d'elles. J'ai des exemples en tête dans ma région. Puisque j'avais fait campagne sur la thématique du travail, je n'ai pas délégué la compétence industrielle et économique que j'assume dès lors totalement. Je vois les dossiers en direct. Seules les banques qui disposent d'une implantation régionale, à l'inverse de plus grands groupes nationaux, dont la part de marché susciterait sans doute l'étonnement, répondent présent. BpiFrance est certes présente, mais elle ne va pas sur certains risques et, bien qu'actionnaire de Vallourec, elle ne s'est pas impliquée dans le dossier Ascoval. Certaines banques demeurent aux abonnés absents ! Encore une fois, si la Région ne croyait pas à ce dossier, elle n'aurait pas décaissé 12 millions d'euros d'avances sur le solde de l'opération ! De la même manière, elle n'aurait pas engagé 3,5 millions d'euros d'avances remboursables sur le dossier TIM. Est-ce son travail ? Non ! Mais que dire à nos concitoyens si personne n'agit ?
En matière de transmission et succession d'entreprises, la question est celle de la taille critique. Les Allemands et les Italiens du Nord parviennent à transformer leurs PME en ETI, après avoir franchi un certain nombre de paliers qui ne se limitent pas aux seuls seuils sociaux ! La fiscalité de la succession doit être revue si la finalité économique est prouvée ; une telle démarche bénéficiant alors à l'ensemble des secteurs d'activité. Du reste, en politique, on s'est longtemps passionné pour la seule création, alors que cette étape n'est nullement la plus compliquée, à l'inverse de la gestion des difficultés, de la croissance ou de la transmission des entreprises. Bercy raisonne uniquement en termes comptables et financiers, en ne concevant pas les recettes générées par le maintien de l'activité et de l'emploi sur notre territoire national. Or, investir dans une politique favorable à la transmission des entreprises représente un bon investissement. Cet outil manque aujourd'hui et il importe d'adapter notre fiscalité.
J'attends que les discours clamant la confiance envers les collectivités locales soient suivis d'effets. Je ne demande pas la différenciation pour la seule Région Hauts-de-France ! Toutes les régions pourront en bénéficier et ce sera à chacune de fixer ses priorités. La loi sera la même sur l'ensemble du territoire de la République. Il est certes plus facile aux régions qui ont déjà une tradition industrielle d'avoir un avenir industriel ! Si je privilégie une implantation dans ma Région, c'est en raison du taux de chômage qui y sévit ! Personne ne viendra s'en occuper à notre place.
La Loi NOTRe a précisé les prérogatives des régions, reconnues chef de file en matière économique, et des intercommunalités. Notre Région essaie d'associer l'ensemble des élus locaux et des parlementaires sur les dossiers économiques, même si ceux-ci ne sont généralement pas impliqués dans l'initiative Territoires d'Industrie ou dans les projets industriels.
Nous attendons le discours de politique générale que le Premier ministre prononcera la semaine prochaine et qui devrait comporter l'annonce d'une grande loi sur la décentralisation. Je ne demande pas d'argent, mais seulement la liberté de prendre des initiatives dans un cadre où le préfet de Région pourra conduire un contrôle de légalité. On peut gagner du temps, et ainsi de l'argent, pour un certain nombre d'acteurs économiques.
Je n'ai pas abordé la question de la formation pour deux raisons : d'une part, le questionnaire qui m'a été adressé, dans le cadre de la préparation de cette audition, ne l'abordait pas ; d'autre part, les régions, qui n'interviennent pas dans les collèges, n'ont pas d'accès au contenu de l'enseignement des lycées. Alors que les régions étaient auparavant les pilotes de l'apprentissage, elles n'en sont plus que les passagers ! Nous sommes cependant la seule Région à avoir donné quitus à la réforme de l'apprentissage, en espérant qu'elle réponde aux besoins des entreprises. D'ailleurs, la progression de l'apprentissage, bien que de 8 à 10 % par an, ne permet pas de résoudre le problème du chômage des jeunes ! Je suis donc prêt à jouer le jeu, à la condition que Bercy, sans coup férir et l'air de rien, ne réduise pas d'un milliard d'euros nos crédits.
En outre, ceux-ci portent principalement sur la formation des demandeurs d'emplois. Aujourd'hui, nous devrions obtenir l'intégralité des fonds destinés à cette formation et même si Pole Emploi doit en rester l'opérateur, veillons à en demeurer le prescripteur ! Le fléchage de ces fonds sur les réels besoins des entreprises, notamment industrielles, n'en serait que plus assuré. La Région a testé, depuis ces quinze derniers jours, une nouvelle politique d'orientation des jeunes sur les métiers qui donne des résultats, via notamment la mission « proche-emploi », qui a permis de sortir du chômage 13 200 personnes, via des emplois pérennes pour 88 % d'entre eux. Pour 2 euros par jour, la Région prête une voiture aux personnes qui retrouvent un emploi pour se rendre sur leur lieu d'activité. Sur la formation, grâce à nos passations de marché qui confèrent un droit de tirage, des programmes peuvent être mis en oeuvre en deux semaines par les plateformes locales sans qu'elles n'aient besoin de remonter auprès du vice-président en charge de la formation. Cette rapidité permet de répondre aux besoins des entreprises.
En outre, des Pass Emplois et des Pass Formations permettent de répondre au mieux aux besoins de l'industrie, notamment automobile. Cette politique, abondée à hauteur de plusieurs millions d'euros, permet d'adapter les compétences aux évolutions technologiques. Avec la réforme de la formation, on nous vante la création d'une application numérique ! Au passage, je soupçonne l'État, et surtout Bercy, de vouloir récupérer, à terme, un milliard d'euros grâce à cette nouvelle agence nationale qui recentralisera les moyens. D'ailleurs, les opérateurs de compétences (OPCO), forts de leurs nouvelles prérogatives, ont déjà commencé à réduire leurs financements. Sous couvert de modernisation et de simplification, nous disposerons, à l'avenir, de moins d'argent qu'aujourd'hui.
L'industrie, qui permet enfin d'améliorer la qualification et la rémunération, représente encore un outil d'ascenseur social et de transmission. Le tutorat est essentiel à la formation et des crédits doivent lui être consacrés. Nous avons un rôle à jouer dans la formation de manière très décentralisée, c'est-à-dire des bassins d'emplois. Notre travail sur les contrats de branche, que nous avons conduit avec l'UIMM et présenté lors de sa convention nationale, nous a permis de recenser les besoins par secteurs et bassins d'emplois pour les cinq prochaines années. Adaptons les formations aux besoins de l'entreprise, mais aussi aux envies et aux désirs de progression sociale dans l'industrie !
Au-delà de la question de la technostructure, il faut savoir qui décide. Le problème n'est pas franco-français ! Le ministre britannique des entreprises a exprimé son dépit de n'avoir pu soutenir British Steel, contraint qu'il était de suivre l'avis des comptables et des juristes de son cabinet. Encore une fois, qui décide ? Autant s'en remettre à des experts, voire à des algorithmes ! Tel est le fond du problème. Certes, l'expertise représente certes un coût : la Région est passée par un cabinet d'avocats pour bien sécuriser son avance versée à Ascoval.
Les compétences de l'État et des collectivités locales doivent être clarifiées. À partir du moment où les régions se voient confier la compétence économique, que l'on aille jusqu'au bout du raisonnement. Je ne demande pas un nouvel acte de décentralisation !
Le point soulevé par M. François Calvet sur le dossier du rapprochement Renault-Fiat est malheureusement passé sous silence. Je fais d'ailleurs partir un courrier au Président de la République avant la tenue du conseil d'administration de Renault de ce soir. En effet, je ne comprends pas une telle précipitation dans la conclusion d'un accord entre Fiat-Chrysler et Renault, où l'État est actionnaire à hauteur de 15 % avec un droit de vote double. Toutes les évaluations préalables doivent être conduites afin de vérifier si nos intérêts automobiles, industriels et stratégiques seront réellement préservés. Y-aura-t-il réellement complémentarité et qui y gagne réellement ? L'éventuel partenaire de Renault ne dispose pas de la même avance technologique dans le véhicule électrique. Leur situation financière diffère également. M. Bruno Le Maire a évoqué ce matin la nécessité d'un centre opérationnel, sans préciser son échelle régionale ou mondiale, et l'existence de garanties pendant les quatre prochaines années. Une telle durée est ridicule ! Le conseil d'administration de Renault doit nous donner tous les éclaircissements requis ! Ce soir se joue l'obtention d'un Memorandum of Understanding (MoU) engageant Renault sur les aspects financiers de la fusion et les pouvoirs donnés, avant que l'assemblée générale n'en entérine la décision. Si ce MoU est obtenu ce soir, alors la négociation sur l'essentiel est bel et bien terminée ! Tandis que l'existence de ce projet ne nous a été communiquée qu'à la fin du mois dernier, il y aurait urgence à s'engager dans une voie unique, sans aucune possibilité de retour en arrière ! Pourquoi une telle précipitation ? L'étude des éventuelles synergies, qui réclame du temps, a-t-elle été réellement conduite ? Le Groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA) a laissé à Renault un délai de quinze jours pour examiner sa proposition. Mais, considérant le poids du constructeur automobile dans notre économie et le rôle de l'État en son sein, je ne vois pourquoi on cède à cette pression. S'agit-il d'une alliance ou d'une fusion avec le Groupe Fiat et qu'adviendra-t-il de l'alliance Renault-Nissan au-delà de ses tourments récents ? En somme, la précipitation n'a pas sa place dans un tel accord. Il nous faut du temps pour valider les synergies, clarifier le futur centre opérationnel avec Nissan et définir la gestion de la propriété intellectuelle, des effectifs, - notamment dans l'ingénierie -, et d'envisager, en cas de retournement financier de la bourse américaine, les modalités du paiement des retraites que le fonds de pension de Chrysler devra assurer. L'ensemble des élus, des salariés et des dirigeants doivent être informés de toutes ces questions. Toute précipitation est à bannir ; Renault n'est pas une entreprise comme les autres et l'ensemble des questions soulevées par cette opération ne saurait trouver de réponses en seulement quelques jours. J'en appelle à la fois au Président de la République et aux dirigeants de Renault afin d'éviter le sentiment d'un passage en force ; un tel délai de quinze jours étant notoirement insuffisant.
Mme Valérie Létard , rapporteure . - Je souhaitais remercier M. le Président Bertrand. Ses derniers propos sur la situation de Renault ne font que conforter l'interrogation quant au manque d'un ministère de l'Industrie et de vision stratégique d'anticipation des mutations industrielles.
On court derrière l'urgence avec les territoires et les régions ! L'État, dont la volonté doit être à la hauteur des enjeux, n'est pas dans son rôle d'accompagnement vers la transition industrielle. Il n'est pas de grand pays sans industrie !
La Région Hauts-de-France comprend un grand nombre de demandeurs d'emplois avec un faible niveau de qualifications. Sans industrie, on ne peut créer de services susceptibles de leur donner un emploi. Afin de pouvoir trouver des solutions dans tous les territoires et auprès de tous les publics, il faut avoir une industrie forte ! Votre témoignage, à l'instar de celui des autres personnes auditionnées, nous fortifie dans notre avis qu'on ne peut faire l'impasse sur l'industrie et que nos voisins européens ont montré que c'était possible. Nous espérons enfin être les relais, dans les préconisations de notre rapport, de votre témoignage. Merci, enfin, pour la clarté extrême de votre propos.
M. Franck Menonville , président . - Merci, Monsieur le Président. Vous nous avez confortés quant à l'intérêt des travaux que nous conduisons. Dans mon propos introductif, j'avais, à juste titre, évoqué votre volontarisme et votre détermination. Nous avons également, les uns et les autres, apprécié votre pragmatisme et votre réalisme face aux enjeux industriels qui sont les nôtres et dans lesquels nos régions, fortes de leur connaissance du terrain, ont un rôle à jouer.