AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, la commission des affaires sociales du Sénat a demandé à la Cour des comptes, le 11 décembre 2018, de réaliser une enquête sur la politique de prévention et de prise en charge du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) .
Cette enquête vient actualiser les constats, analyses et recommandations formulés par la Cour des comptes dans une communication de 2009 1 ( * ) . Dix ans plus tard, la dynamique de l'épidémie n'a toujours pas fléchi en France : Santé publique France recense 6 424 nouvelles découvertes de séropositivité en 2017 2 ( * ) , soit un taux de nouvelles découvertes de 7,8 pour 100 000 habitants, supérieur de 2,3 points à la moyenne de l'Union européenne et même de 3,6 points au taux enregistré en Allemagne (4,2). Dans un contexte de relâchement de la prévention chez les jeunes , chez lesquels le recours au préservatif semble de moins en moins systématique alors qu'ils sont parmi les plus exposés aux infections sexuellement transmissibles (IST), cette enquête s'imposait.
Ses résultats ont été présentés à la commission le 3 juillet 2019 par M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes. Les travaux de la Cour mettent en lumière les limites de la politique actuelle de prévention qui, en l'état, ne permettra pas à la France d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés dans le cadre de la stratégie nationale de santé sexuelle afin d'en finir avec l'épidémie du sida d'ici 2030 3 ( * ) , à savoir réaliser la « cascade » suivante dès 2020 : 95 % des personnes séropositives doivent connaître leur statut, parmi lesquelles 95 % doivent être prises en charge et sous traitement, parmi lesquelles 95 % doivent avoir une charge virale indétectable et être donc non contaminantes.
En définitive, l'objectif est donc de parvenir, en France en 2020, à une suppression de la charge virale chez au moins 86 % 4 ( * ) de l'ensemble des personnes vivant avec le VIH . Or, selon les données de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) 5 ( * ) , les résultats de la « cascade » n'ont abouti, en 2016, qu'à une proportion de 73 % de personnes vivant avec le VIH et présentant une charge virale indétectable.
En effet, avec 24 000 personnes ignorant leur séropositivité et 7 425 personnes diagnostiquées mais ne faisant pas l'objet d'une prise en charge en 2016, une « épidémie cachée » persiste en France et serait responsable de plus de 60 % des nouvelles contaminations. Par comparaison, le nombre de personnes ignorant leur séropositivité au Royaume-Uni était évalué à 13 000 en 2016 par l'agence de santé publique britannique 6 ( * ) , soit un nombre 46 % inférieur à celui des personnes séropositives non diagnostiquées en France.
Votre rapporteure partage la très grande majorité des constats et recommandations formulées par la Cour des comptes ; elle estime indispensable d'en tirer toutes les conséquences et d'aller plus loin dans le déploiement d'une politique de prévention résolument décomplexée, en levant les obstacles juridiques et financiers qui restreignent l'accès aux outils de dépistage et aux traitements préventifs. Elle appelle, par ailleurs, à intensifier les efforts des pouvoirs publics et de la recherche pour une prise en charge gratuite et efficace, articulée autour de schémas thérapeutiques aisément observables, en faveur des patients les plus exposés, en particulier des personnes rencontrant le plus de difficultés dans l'accès aux soins. Ses propositions s'inscrivent, à cet égard, dans le prolongement et en complémentarité avec les recommandations formulées par la Cour des comptes.
I. POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE L'ÉPIDÉMIE
L'objectivation de l'épidémie de VIH reste un exercice difficile en France, en dépit de l'institution en 2003 de la déclaration obligatoire des patients atteints par le VIH par les biologistes médicaux et les cliniciens. Les données de cette déclaration obligatoire coexistent avec les données médicalisées collectées par l'Inserm auprès des hôpitaux, sans véritable articulation. Dans ses recommandations, la Cour des comptes invite ainsi à renforcer le caractère exhaustif de la déclaration obligatoire, en relevant un taux d'exhaustivité médiocre de 70 % pour les biologistes et 49 % pour les médecins en 2015, et en déplorant que « vingt ans après la mise en place d'une déclaration obligatoire à tous les stades de la maladie, la France reste toujours dans l'attente d'un dispositif fiable de recueil, malgré le progrès que constitue le passage à [la déclaration par voie électronique] e-DO [en juillet 2016] . »
À cet égard, votre rapporteure plaide pour la mise en place d'un portail centralisé de déclaration des cas diagnostiqués de VIH et de Sida qui serait géré conjointement par Santé publique France et la caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Sur le modèle britannique du « HIV and AIDS Reporting System » (HARS), ce portail unique de saisie des cas anonymisés doit impérativement, selon elle, être interopérable avec les systèmes d'information hospitaliers, de l'assurance maladie, des cliniciens et des laboratoires de biologie médicale. En garantissant une meilleure articulation des systèmes d'information, il faciliterait grandement le travail des professionnels de santé et préviendrait les doublons dans les analyses épidémiologiques.
Proposition n° 1 : Mettre en place un portail unique de déclaration des cas diagnostiqués de VIH et de Sida géré conjointement par Santé publique France et la caisse nationale d'assurance maladie. |
* 1 Cour des comptes, La politique de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et le syndrome d'immunodéficience acquise (Sida) en France , communication à la commission des affaires sociales du Sénat, 31 juillet 2009.
* 2 Santé publique France, « Surveillance de l'infection à VIH (dépistage et déclaration obligatoire), 2010-2017 », Bulletin de santé publique, 28 mars 2019.
* 3 Ministère des affaires sociales et de la santé, Stratégie nationale de santé sexuelle , agenda 2017-2030.
* 4 86 % est le résultat de 95 % de 95 % de 95 %.
* 5 « Cascade » Inserm, données 2016 selon la nouvelle méthode (p. 36 de l'enquête de la Cour des comptes).
* 6 Kirwan PD, Chau C, Brown AE, Gill ON, Delpech VC et al., HIV in the UK - 2016 report , rapport de Public Health England, décembre 2016.