II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 21 MARS 2019 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 7 FÉVRIER 2019
Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Longuet, retenu dans une autre réunion, et de M. Villani, qui va nous rejoindre. Une audition publique s'est tenue, le 7 février dernier, pour tirer le bilan, dix ans après, des recommandations d'un rapport présenté au nom de l'Office en 2007 par M. Roland Courteau sur la prévention et l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises. Notre collègue nous a suggéré une audition de suivi de ces mesures. Je rappelle que lorsqu'il a été produit, ce rapport avait un caractère novateur, car on doutait à l'époque de ce que les côtes françaises, hormis aux Antilles, puissent être menacées par des phénomènes tels que ceux qui sévissaient en Asie. Monsieur le rapporteur, vous pourrez nous faire part des progrès accomplis sur le sujet depuis 2007 et des difficultés qui persistent ?
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . - L'Office a organisé une audition publique le 7 février 2019 pour dresser le bilan des recommandations des deux rapports que j'ai présentés en 2007 et en 2009 au nom de l'OPECST. En 2006, au lendemain du tsunami de Sumatra, qui avait causé plus de 250 000 morts, l'OPECST m'avait posé la question de savoir si la France, qui compte des millions de kilomètres carrés d'espace maritime, était à l'abri d'une catastrophe. Nous nous sommes employés à examiner la question partout dans le monde et à étudier les risques de tsunami en Méditerranée, dans l'Atlantique Nord-Est, mais aussi aux Antilles et dans l'Océan indien. L'une de nos recommandations essentielles a porté sur la mise en place d'un centre d'alerte au tsunami, pour la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est, recommandation suivie d'effet.
Le tsunami a toujours une origine géologique, qu'il s'agisse d'un séisme, d'un glissement de terrain sous-marin, ou de l'effondrement d'un volcan. Il peut aussi provenir d'une météorite qui tombe en mer. Il prend la forme d'une colonne d'eau qui part de la mer, éventuellement haute de plusieurs dizaines de mètres, et allant à la vitesse d'un avion. Si un tsunami se déclenchait au nord de l'Algérie, il ne mettrait qu'une heure pour atteindre les côtes françaises, comme cela s'est produit en 2004.
Les récents tsunamis qui ont touché la Grèce et la Turquie en 2017 étaient de faible ampleur. En 1908, à la suite d'un séisme à Messine, un tsunami a fait 10 000 morts. En 1887, la Côte d'Azur a été touchée, avec une centaine de morts ; nous en aurions des milliers si la catastrophe survenait aujourd'hui. En 1755, un tsunami parti de Lisbonne a traversé l'Atlantique et fait des ravages aux Antilles. Rien n'empêche que le phénomène se produise en sens inverse. En Indonésie, on sait que le volcan Krakatau, en éruption, peut générer un tsunami à tout moment. Or, en Méditerranée, le volcan Stromboli est entré en éruption depuis les années 2000.
L'OPECST a obtenu la mise en place d'un centre d'alerte au tsunami qui couvre la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, avec six ou sept ingénieurs qui se relaient nuit et jour. Les stations sismiques sont réparties entre les Açores et la Sicile. Des marégraphes fonctionnent en temps réel. Le Centre national d'alerte aux tsunamis (Cenalt), basé à Bruyères-le-Châtel, couvre particulièrement bien l'alerte montante. Il suffit de 8 à 15 minutes après le déclenchement d'un tsunami pour que l'alerte soit donnée au centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic), à l'articulation de l'alerte montante et de l'alerte descendante.
Cependant, des faiblesses subsistent tant dans le fonctionnement du Cogic que dans le manque de sensibilisation des populations exposées au risque de tsunami. Lors du dernier tsunami au Japon, 150 000 personnes ont été exposées en front de mer. On a déploré 30 000 morts, ce qui signifie que 120 000 personnes ont réussi à sauver leur vie parce qu'elles savaient ce qu'il fallait faire.
Si un tsunami se déclenchait au nord de l'Algérie, à la suite d'un séisme, il serait sur nos côtes, 60 à 70 minutes plus tard, ce qui nous laisse le temps de réagir. Le centre d'alerte pourra fonctionner de manière efficace. En revanche, si un tsunami se déclenchait à la suite d'un glissement de terrain en mer Ligure, il serait sur nos côtes 10 minutes plus tard, de sorte qu'il serait difficile de réagir. D'où l'importance de sensibiliser les populations. Hormis dans la ville de Cannes et dans les Bouches-du-Rhône, c'est l'impréparation qui prévaut.
Autre problème, nous devons pouvoir avertir la population au plus vite. Le représentant du ministère de l'Intérieur m'a assuré que 5 000 sirènes pourraient être déployées en deux vagues, s'il n'y avait pas des problèmes budgétaires. Les sommes ne sont pourtant pas exorbitantes.
Les Antilles, Mayotte et la Réunion ne disposent d'aucune couverture, ni d'aucun dispositif d'alerte. Je tremble à l'idée qu'un tsunami s'y déclenche, un jour, car ce serait un carnage. La Polynésie française est le seul territoire à disposer d'un véritable centre d'alerte, depuis une vingtaine d'années.
Le risque zéro n'existe pas. L'implantation de sirènes, la sensibilisation de la population et la mise en oeuvre d'exercices d'évacuation pourraient réduire le nombre des victimes. À Cannes, lors d'un récent exercice, il a fallu 55 minutes pour transmettre l'alerte et lancer le dispositif d'évacuation. C'est trop long. Il faut absolument améliorer l'articulation entre alerte montante et alerte descendante. Le Cogic manque d'effectifs.
L'État peut disposer de 5 000 sirènes pour couvrir les plages du Languedoc-Roussillon et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Qu'attend-on pour les rendre opérationnelles ? Le Cenalt n'a besoin que de quelques milliers d'euros pour couvrir la zone des Antilles, de Mayotte et de la Réunion. Je suis prêt à suivre ce dossier avec votre accord et à saisir le ministère de l'Intérieur pour améliorer les systèmes d'alerte à la population et la couverture de ces zones.
Le tsunami est un phénomène rare, de sorte que le Gouvernement peut parier sur cette rareté. Cependant, il y en a eu 91 en Méditerranée, au cours du XX e siècle. Là où un tsunami s'est déclaré dans le passé, il y a un risque pour l'avenir.
J'ai présenté un premier rapport au ministère de l'Intérieur où l'on m'a répondu que la mise en place d'un centre d'alerte coûtait cher. Dans cette logique, à combien évalue-t-on une vie humaine ?
Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vous remercie. Ne pourrait-on pas inscrire ce point dans le cadre de notre mission de contrôle du Gouvernement ? Des plans de prévention existent. Ce problème d'alerte devrait être pris en compte dans les communes. Quant aux sirènes, il faudrait aller plus loin. Les 2 000 sirènes qui sont opérationnelles étaient, il me semble, sous la responsabilité de l'armée de l'air. Historiquement, elles fonctionnaient pour les alertes aériennes pendant la seconde guerre mondiale. Elles sonnent à 11 h 30 dans le nord de la France et à 12h15 dans le sud de la France.
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . - Le représentant du ministère de l'intérieur nous a dit que les sirènes déployées dans les zones côtières sont dédiées à l'alerte tsunami.
Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Il pourrait y en avoir dans toutes les communes.
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . -La ville de Cannes a fait un travail remarquable - et, à ma connaissance, unique sur notre littoral méditerranéen - en installant des panneaux lumineux et des hauts parleurs et en tenant des réunions de sensibilisation. Il est vrai qu'ils ont du monde sur les plages, été comme hiver.
M. Jérôme Bignon , sénateur . - Je trouve rassurant qu'un parlementaire suive ces questions sur le long terme - ce qui illustre l'intérêt du cumul des mandats ! Le phénomène des tsunamis ne va pas s'arrêter, et les facteurs de risque s'accroissent, notamment avec la montée des eaux et l'héliotropisme. Des tsunamis vont survenir de nouveau, et nous avons le devoir de nous y préparer.
À cet égard, je m'étonne qu'avec les progrès technologiques que nous connaissons, qui accélèrent toujours davantage la circulation de l'information, il y ait toujours deux systèmes, l'un pour l'alerte montante, l'autre pour l'alerte descendante. Pourquoi ne pas les coordonner automatiquement ? Pourquoi conserver deux centres distincts ? Cela rend le système faillible, et occasionne des pertes de temps. Ne pourrait-on l'automatiser entièrement ?
Les risques de montée des eaux donnent lieu à des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) sur nos zones littorales. Pourquoi ne pas y intégrer la menace tsunami ? Le Sud de la Bretagne, par exemple, peut être menacé par un tsunami qui viendrait des Antilles ; le Nord est relativement à l'abri - sauf à assimiler le Brexit à un séisme !
M. Bruno Sido , sénateur . - Il est avéré que, pour le site de Fukushima, les anciens avaient borné le terrain - et l'autorité de sûreté nucléaire japonaise avait demandé l'édification d'un mur de quatorze mètres de hauteur. Une autre centrale, construite à une centaine de kilomètres, a édifié un tel mur, et il ne lui est rien arrivé. À Fukushima, on s'est contenté d'un mur de six ou sept mètres. Conclusion : on aura beau faire tous les PPRI du monde, si les hommes ne sont pas raisonnables, il y aura toujours des drames.
Mme Florence Lassarade , sénatrice . - Un tsunami se diffuse-t-il de manière concentrique ? Est-ce lié aux marées ?
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . - Non, aucun rapport, ni avec la météorologie d'ailleurs. Les tsunamis ont des causes géologiques - séisme, glissement de terrain sous-marin, effondrement d'un volcan - ou sont consécutifs à la chute d'une météorite.
Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Ce qui n'est pas si exceptionnel : un météore est tombé sur la Russie il y a quelques années, et j'ai entendu à la radio qu'un astéroïde devait tomber prochainement quelque part en mer. Si c'est au coeur du Pacifique, cela peut sembler moins risqué - encore que les îles que je connais bien par le groupe d'amitié que je préside ont parfois leur sol à quelques dizaines de centimètres seulement au-dessus du niveau de la mer...
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . - Le tsunami de Sumatra s'est diffusé en cercles concentriques. Après quatre ou cinq heures, il a touché l'Inde, puis la Réunion. Dans ce type de cas, on a le temps de s'organiser. De même, le tsunami qui a détruit Lisbonne en 1755 a touché les Antilles et l'Irlande.
M. Sido a raison : les hommes doivent se montrer raisonnables, et responsables. Même sur notre littoral méditerranéen, certaines maisons sont construites les pieds dans l'eau : en cas de coup de mer, ou de tsunami, il y aura des problèmes. Et une vague de tsunami véhicule beaucoup plus d'énergie qu'une vague de tempête. Au large, elle ne fait que quelques dizaines de centimètres, et un bateau la sent à peine passer, d'autant qu'elle voyage à 800 kilomètres par heure. Mais la pente de la côte la freine, et son énergie cinétique se convertit en énergie potentielle, ce qui peut aboutir à une vague haute de 80 mètres - comme celle qui a détruit la civilisation minoenne à la suite de l'effondrement de Santorin.
M. Stéphane Piednoir , sénateur . - Le changement climatique n'est-il pas de nature à multiplier les glissements de terrain, que vous avez cités parmi les causes des tsunamis ? Existe-t-il une carte mondiale des niveaux de risque ?
Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Lors du premier déplacement du groupe d'amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique, nous avions rencontré des vulcanologues et des sismologues. On nous avait interdit de nous rendre dans une région dont on sait qu'elle va complètement s'effondrer, dans six mois, six ans, ou peut-être mille ans... Les autorités ont posé des balises, mais celles-ci sont régulièrement volées. Et la population reconstruit des maisons là même où elles ont été détruites par le précédent tsunami... Du côté californien, on sait aussi qu'une catastrophe va se produire. On ne sait simplement pas dire quand.
M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur . - M. Bignon souhaite une automatisation des alertes montantes et descendantes. Le problème relève moins de la technologie que de l'humain - et des effectifs. En tous cas, les responsables réfléchissent aux pistes d'amélioration. Il demande aussi l'intégration du risque tsunami aux PPRI. Dans les communes déjà sensibilisées, comme Cannes, c'est déjà fait. Ailleurs, cela n'aurait guère d'intérêt.
Les glissements de terrain dont j'ai parlé n'ont rien à voir avec le changement climatique, puisqu'ils sont sous-marins. À Nice, en 1979, ce sont les travaux sur le site de l'aéroport qui ont déclenché un premier glissement de terrain, qui en a provoqué un second, lequel a généré un tsunami qui a fait onze morts. Heureusement que cela s'est produit en octobre, et non en juillet ou en août...
Les États-Unis sont très en avance dans ce domaine, et leur centre d'Hawaï couvre une grande partie du Pacifique - y compris, désormais, l'Indonésie. Lors du premier séisme, ils ne la couvraient pas, mais ils ont alerté les autorités pour le second ; malheureusement celles-ci n'ont pas été capables de prévenir leur population, et on a déploré 500 morts.
Faut-il une carte mondiale des risques ? Pour moi, partout où il y a un peu d'eau, il y a un risque... C'est l'Unesco qui a ordonné que les mers et les océans qui n'étaient pas couverts le soient avant 2010. Nous nous sommes mis aux normes en 2012.
L'Office autorise la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l'audition publique sur la prévention et l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises.