B. UN DIALOGUE EXIGEANT AVEC LA FRANCE

La relation entre la France et l'Italie a pu apparaître, ces derniers mois, fragilisée par plusieurs dossiers, qu'il s'agisse de la question migratoire, de celle de l'avenir de la Libye ou des rapprochements entre des entreprises des deux pays. L'opposition affichée du vice-président du Conseil, Matteo Salvini, à l'égard du Président de la République, vient symboliser un dialogue complexe entre les autorités françaises et italiennes sans pour autant qu'il soit possible de conclure à une rupture.

La volonté affichée par le nouveau gouvernement italien d'ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire du pays passe notamment par une réévaluation des partenariats mis en place ces dernières années, au premier rang desquels figure celui noué avec la France. La coalition estime que la relation a pu apparaître par le passé déséquilibrée au détriment de l'Italie, et cherche en premier lieu à la rééquilibrer, sans la condamner. Derrière le discours et le recours au sentiment national se cache une approche beaucoup plus pragmatique, notamment visible dans les dossiers migratoires et libyens.

1. Les dossiers économiques

Plusieurs dossiers économiques sont aujourd'hui cités par la coalition au pouvoir comme l'exemple d'une relation déséquilibrée, la France ayant bénéficié des difficultés économiques traversées par le pays depuis 2008. Le rachat par Lactalis du groupe agroalimentaire Parmalat en 2011 avait déjà suscité la désapprobation de la Ligue du Nord, parti dont est issue la Lega . D'autres rapprochements franco-italiens suscitent désormais l'attention du gouvernement italien, qu'il s'agisse du pacte d'actionnaires signé en 2017 par l'entreprise italienne Fincantieri à l'occasion du rachat du chantier naval de Saint-Nazaire détenu par STX , de la fusion Essilor-Luxottica en octobre dernier, ou du départ du groupe Bolloré du capital de la banque Mediobanca , le groupe ayant par ailleurs tenté de prendre le contrôle de l'opérateur téléphonique TIM en 2016 et de la Mediaset plus récemment.

Cette prise de participation française dans l'industrie italienne est loin d'être symbolique. Assimilée par certains acteurs de la vie politique italienne à une logique de prédation, elle est, au-delà des cas cités plus haut, attestée par les chiffres : le montant des acquisitions françaises en Italie s'élève à 52,3 milliards d'euros sur la période 2006-2016 contre 7,6 milliards d'euros dans le sens inverse.

Reste que cette réalité industrielle ne saurait occulter la force des échanges commerciaux entre nos deux pays. La France est, derrière l'Allemagne, le deuxième client de l'Italie (10,2 % des échanges commerciaux), le solde commercial s'élevant à 6,4 milliards d'euros au bénéfice de l'Italie (32,7 milliards d'euros d'exportations françaises en Italie contre 37,2 milliards d'importations italiennes en France). Si la France est bien le premier investisseur en Italie, 1 200 filiales italiennes se sont installées dans le même temps en France, employant 88 000 salariés. La présence d'Italiens à la direction d'entreprises françaises est également une donnée à ne pas négliger. Francesco Milleri a ainsi été nommé à la direction générale d' Essilor-Luxottica suite à la fusion. La présidence du comité exécutif du groupe LVMH, très présent en Italie ( Fendi , Pucci , Loro Piana ) est, de son côté, exercée par Antonio Belloni, la branche Christian Dior couture étant présidée par Pietro Beccari.

Les autorités italiennes n'ont, par ailleurs, pas remis en cause le pacte d'actionnaires signé lors du sommet franco-italien de Lyon le 27 septembre 2017 par le précédent gouvernement. Au-delà de la question de Saint-Nazaire, l'accord trouvé à l'occasion de cette rencontre prévoit la constitution d'une alliance entre Fincantieri et Naval Group , dont le capital est majoritairement détenu par la France. Le sommet avait par ailleurs été l'occasion d'annoncer une relance du projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, la fin des travaux étant prévue à l'horizon 2030. Ce dossier doit faire l'objet d'une réévaluation par le nouveau gouvernement italien, compte-tenu notamment de ses contraintes budgétaires, l'Italie devant supporter 35 % des coûts (cf infra ). La coalition apparaît divisée sur ce dossier, la Lega étant favorable aux travaux, à l'inverse du M5S qui relaie sur ce sujet les interrogations de ses électeurs en matière d'environnement.

2. La frontière franco-italienne

Le 12 octobre dernier, des gendarmes français ont franchi la frontière franco-italienne sans autorisation des autorités italiennes, afin de reconduire à Clavière des migrants sans titre de séjour. Cet incident a été immédiatement utilisé par le vice-président du Conseil et ministre de l'Intérieur italien pour dénoncer une forme de cynisme français : « Je ne veux pas croire que la France de Macron utilise sa propre police pour déposer secrètement les migrants en Italie. Mais si quelqu'un pense vraiment nous utiliser comme le camp de réfugiés de l'Europe en violant la loi, les frontières et les accords, il a tort ».

Si la préfecture des Hautes-Alpes a reconnu une « erreur » de gendarmes inexpérimentés ne connaissant pas les lieux, celle-ci ne saurait occulter la réalité d'une coopération efficace entre les deux pays en la matière. Une procédure de non-admission à la frontière a été agréée entre la police française et la police italienne, en conformité avec le droit européen. Les personnes arrêtées en provenance directe d'Italie et démunies de documents de voyage se voient notifier des refus d'entrée sur le territoire français. Conformément à la procédure, le commissariat italien est informé immédiatement et les migrants conduits à la frontière où les attendent, en principe, les autorités italiennes. Si la police italienne n'est pas en capacité de prendre en charge les personnes non-admises, les forces de sécurité françaises reconduisent ces personnes jusqu'à un point de dépose sécurisé, à proximité immédiate de la ligne frontière franco-italienne. Les policiers français veillent alors systématiquement à ce que les non-admis empruntent bien le passage protégé les menant vers la localité située côté italien. Au total, depuis janvier 2018, plus de 45 000 refoulements de ce type ont eu lieu d'après le ministère français de l'Intérieur. Aucun accord bilatéral n'a cependant été signé entre les deux pays.

L'incident de Clavière dépassé et au-delà de l'annonce par Matteo Salvini de l'envoi de patrouilles à la frontière, celui-ci a invité son homologue français à une rencontre à Rome dans les prochaines semaines afin de créer les conditions d'une véritable coopération dans ce domaine.

3. La question libyenne

La guerre civile en Libye et ses conséquences en matière de migration constituent également un sujet de crispation avec la France. Le nouveau gouvernement italien, par la voix du ministre de l'Intérieur ou celle de la ministre de la défense, Elisabetta Trenta, issue du M5S, pointe régulièrement la responsabilité supposée de la France dans ce conflit, l'Italie s'étant, de son côté, opposée aux bombardements de l'OTAN en 2011.

La sortie de crise fait aujourd'hui l'objet d'appréciations divergentes. La France a, à l'occasion du sommet de Paris du 29 mai dernier, souhaité l'organisation rapide d'élections, traitant à la fois avec le gouvernement d'union nationale installé à Tripoli, dirigé par Fayez al-Sarraj et soutenu par les Nations unies, et l'armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l'Est du pays (Cyrénaïque). La date du 10 décembre 2018 a même été avancée. Les autorités italiennes, qui ne discutent qu'avec le gouvernement d'union nationale mais ne disposent pas - pour des raisons de sécurité - d'un ambassadeur sur place, sont plus réservées sur la tenue d'un scrutin dans ces délais, estimant que toute volonté d'accélérer le calendrier relevait de l'ingérence et ne contribuerait pas à renforcer la stabilité du pays.

Au-delà de la question politique, les autorités italiennes relaient la crainte d'un renforcement de l'implication économique française dans le pays, au détriment des positions italiennes, en particulier dans le secteur pétrolier.

Dans ce contexte, l'organisation par l'Italie d'une conférence internationale les 12 et 13 novembre derniers à Palerme (Sicile) avait valeur de symbole. Les difficultés qui l'ont émaillée - retrait de la délégation turque écartée de certaines discussions, divergences d'appréciation entre le ministre italien de l'Intérieur et son collègue des affaires étrangères, absence de l'Égypte, tensions entre les parties libyennes - ont néanmoins contribué à affaiblir sa portée. La question migratoire et celle de la reprise de la production du pétrole en Libye n'ont, par ailleurs, pas été abordées. Seul le calendrier électoral a été précisé, le scrutin devant finalement se dérouler au printemps 2019.

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