II. LE SPORT, SOURCE DE VISIBILITÉ ET DE RAYONNEMENT
A. LE SPORT, UN ENJEU D'AFFIRMATION POLITIQUE DES TERRITOIRES
1. Le sport, vecteur d'existence politique
Les compétitions sportives sont autant de lieux possibles de valorisation des cultures territoriales, mais aussi parfois de symboles politiques ou identitaires.
La participation des territoires ultramarins à des instances organisatrices de jeux régionaux participe d'une forte visibilité politique pour ces collectivités, qui existent au même rang que des États indépendants . C'est le cas dans l'océan Indien où La Réunion est membre fondateur des Jeux des îles aux côtés de l'île Maurice ou dans le Pacifique avec les territoires français sur le même plan que des États indépendants comme Fidji ou les îles Salomon.
La zone Caraïbe est également un exemple : l'intégration des départements antillais au sein d'organisations comme la Central American and Caribbean Sports Organization (CACSO), ou leur participation aux Carifta Games emporte aussi une reconnaissance politique de ces territoires, alors que la Carifta, ou Caribbean Free Trade Association , est une organisation économique de libre-échange et non une instance initialement à vocation sportive.
Surtout, ces compétitions sportives sont des occasions d'utilisation d'emblèmes, signes ou symboles territoriaux, hymnes et drapeaux notamment. Les pratiques sont à ce titre très diverses. Ainsi, dans le cas de la participation des ligues de volleyball antillaises aux compétitions de la North, Central America and Caribbean Volleyball Confederation et de la Caribbean Zonal Volleyball Association (NORCECA et CAZOVA) par exemple, les sélections évoluent sous leurs couleurs et avec leur drapeau, mais l'hymne est la Marseillaise.
Christian Lechervy, ambassadeur chargé de la coopération dans le bassin Pacifique, expliquait 91 ( * ) ainsi que lors des Jeux du Pacifique, « si les délégations néocalédoniennes défilent avec le drapeau français, l'hymne joué est " Soyons unis, devenons frères ". De même, la Polynésie française dispose de son drapeau et de son hymne propre, " Ia ora 'o Tahiti Nui " ».
2. Une possibilité offerte par le code du sport d'une intégration à l'environnement fédéral régional pour les territoires ultramarins
L'affiliation des comités territoriaux , départementaux, régionaux, ou clubs ultramarins à des instances sportives regroupant plusieurs pays d'une même zone géographique et organisant des compétitions entre ces territoires est prévue dans le code du sport . Cependant, le code du sport n'évoque pas le cas de l'affiliation des ligues territoriales, qu'elles soient ou non ultramarines, aux fédérations sportives internationales.
Code du sport, annexe I-5 art R131-1 et
R131-11
« Les organismes régionaux, départementaux ou locaux constitués par la fédération dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Mayotte peuvent en outre, le cas échéant, conduire des actions de coopération avec les organisations sportives des États de la zone géographique dans laquelle ils sont situés et, avec l'accord de la fédération, organiser des compétitions ou manifestations sportives internationales à caractère régional ou constituer des équipes en vue de participer à de telles compétitions ou manifestations. » |
Les collectivités des Antilles régies par l'article 74 que sont Saint-Barthélemy et Saint-Martin, où le code du sport est applicable, ne sont pas cependant mentionnées dans ce texte réglementaire. Il conviendrait de faire figurer les Îles du Nord au même titre que Saint-Pierre-et-Miquelon afin de leur permettre de procéder à une telle insertion sportive régionale dans les disciplines où se sont constituées des organisations propres à chacun des deux territoires, et non partie intégrante des structures guadeloupéennes.
D'autres partenariats peuvent s'établir également au-delà des rattachements ou affiliations d'organisations sportives. Ainsi, comme signalé précédemment, le ministère des sports mène une campagne de conventionnement auprès des pays frontaliers des territoires ultramarins pour soutenir les échanges, entraînements et confrontations des jeunes dans leur environnement régional.
L'intégration régionale des fédérations, ligues et comités territoriaux est tout à fait possible à droit constant. Les problèmes parfois identifiés ou signalés sont essentiellement d'ordre politique ou issus de situations résultant d'une dualité de rattachement.
3. Le rattachement des fédérations : une pluralité de pratiques et de possibilités pour un enjeu politique, économique et sportif
a) Dans les bassins Atlantique et Indien, des affiliations et rattachements limités
Le droit commun applicable dans les bassins Atlantique et Indien indique un rattachement des ligues et comités aux fédérations nationales des différentes disciplines. Si différentes affiliations peuvent se faire à des organisations régionales ou internationales, elles se font selon des pratiques plus ou moins affirmées mais cependant coordonnées avec les organisations nationales. Il faut ainsi bien distinguer affiliation à des instances sportives régionales regroupant plusieurs pays et affiliation à une fédération internationale .
Si à Saint-Pierre-et-Miquelon, les associations sportives sont regroupées au sein d'une ligue régionale qui dépend de la fédération française délégataire et que le rattachement aux structures nationales est la règle dans les départements de l'océan Indien, les départements de la Caraïbe montrent des organisations parfois plus autonomes pour leurs fédérations.
(1) Des cas de rattachements à des organisations régionales permettant des compétitions internationales
Dans la Caraïbe, les ligues de football de la Martinique et de la Guadeloupe sont membres à part entière de la Confédération Nord Centre Amérique de la Caraïbe de football (CONCACAF) depuis avril 2013. Depuis février 2018, elles sont devenues membres associés de la FIFA . Dans le cas du football, l'enjeu économique est indéniable, le rattachement à la FIFA ouvrant une éligibilité à des transferts financiers vers les fédérations membres.
Les ligues antillaises de volleyball, affiliées à la NORCECA et à la CAZOVA , permettent ainsi à la Martinique et la Guadeloupe de participer régulièrement aux compétitions organisées par la CAZOVA (13 pays) dans la catégorie sénior avec ses équipes féminine et masculine, et en cas de qualification, aux compétitions de la NORCECA (30 pays). Tous les quatre ans, les sélections territoriales participent aux phases qualificatives pour les championnats du monde . Ces ligues ne sont cependant pas autorisées à participer aux Jeux olympiques en volleyball, mais le peuvent en beach-volley .
(2) Une presque autonomie de certaines organisations, encadrée et conventionnée avec les structures nationales
Dans le cas des ligues antillaises de taekwondo, ces structures sont membres associés de la WTF , fédération affiliée au CIO 92 ( * ) . Ce statut les autorise à participer à toutes les compétitions officielles organisées par la WTF, y compris les championnats continentaux et mondiaux dont celui de 2013 à Puebla au Mexique. Cette possibilité est ouverte sur la base d'une convention signée entre les ligues de Taekwondo et la Fédération française de taekwondo et disciplines associées (FFTDA), afin de régir les relations et les prérogatives entre les deux entités.
Depuis 2010, ce mouvement est suivi par les comités olympiques et sportifs des deux départements qui disposent d'une autorisation formalisée du CNOSF pour intégrer l'association caribéenne des comités nationaux olympiques (CANOC) , forte de 28 membres, et participer aux compétitions qui sont organisées sous son égide. Le cadre est parfaitement défini et toute participation doit se faire dans le cadre d'une délégation française sous l'égide et avec l'accord du CNOSF . Ce cas montre bien la reconnaissance politique que le sport apporte aux territoires, dont les comités olympiques et sportifs ont ici vocation à être au rang des comités nationaux de la région.
Les CROS de Guadeloupe et de Martinique ont également pu en 2015 intégrer la CASCO, organisation sportive de l'Amérique centrale et de la Caraïbe, elle-même affiliée à la Pan American Sports Organisation (PASO).
b) Dans le Pacifique, une autonomie variable
Dans le Pacifique, différentes situations cohabitent, le degré d'autonomie des fédérations territoriales ne reflétant pas nécessairement l'autonomie des territoires. Ainsi, à Wallis-et-Futuna, les fédérations wallisiennes ne sont pas affiliées aux fédérations internationales. En Nouvelle-Calédonie, certaines fédérations sont rattachées aux fédérations nationales quand d'autres se rattachent directement à des fédérations internationales : à titre d'exemple, la Fédération calédonienne de football est affiliée à la FIFA, la convention d'affiliation avec la FFF réglant notamment les questions de sélection des joueurs pour les compétitions internationales.
En Polynésie française, l'autonomie est la règle et les fédérations polynésiennes se rattachent en général aux fédérations internationales . C'est le cas par exemple de la fédération tahitienne de surf, ou encore de la fédération de va'a. Cependant, s'il n'existe pas dans la délibération polynésienne régissant le droit local en matière de sport de disposition particulière sur les relations entre les fédérations tahitiennes et les fédérations françaises ; des conventions peuvent exister entre elles, c'est le cas pour le football.
Le cas du football et du rattachement direct des fédérations à la FIFA Dans le domaine du football, les ligues régionales du bassin Atlantique ont souhaité une affiliation directe à la FIFA avec un statut particulier. Toutefois, les fédérations internationales telles que la FIFA ont vocation à fédérer les associations qui assurent le développement et l'organisation de la discipline concernée à l'échelle d'un pays. Au regard du code du sport, les ligues régionales de football ne peuvent donc être affiliées à la FIFA , deux associations ne pouvant être affiliées à une fédération internationale pour un même pays. On notera qu'un accord d'accompagnement a été signé en mars 2018 entre la FIFA, la CONCACAF, la FFF et les ligues régionales de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Saint-Martin. Cet accord prévoit de faciliter l'accès aux formations de la FIFA et un soutien financier via le programme Forward , étape importante des relations entre les ligues, la fédération française et la FIFA. Lors de son audition devant la délégation, Kenny Jean-Marie, directeur de cabinet du président de la Fédération française de football et directeur des relations institutionnelles et internationales, appelait à distinguer trois types de territoires : - ceux qui disposent d'une large autonomie vis-à-vis de l'hexagone, comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française : les deux territoires ont acquis le statut de fédérations à part entière membres de la FIFA . Des liens subsistent entre ces deux fédérations et la fédération française, y compris du point de vue financier et humain car la FFF continue de les accompagner. Kenny Jean-Marie considérait ainsi que, « sous cet angle, la France devient un pays fédéral » ; - la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin, avec des ligues à la fois adhérentes de la fédération française et de la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF). Elles disposent d'un statut aménagé : elles sont membres à part entière de la FFF mais elles ont la possibilité de participer à des compétitions régionales ; - ceux qui ont un statut que l'on pourrait assimiler au statut classique d'une ligue hexagonale : il s'agit des ligues de La Réunion, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon. |
Source : Réponses du ministère des outre-mer au questionnaire des rapporteures et audition du mouvement sportif national en date du mercredi 23 mai 2018
c) Des difficultés réglementaires et symboliques, un enjeu de carrière pour les sportifs
Le ministère des sports souligne que le rattachement de fédérations territoriales à des fédérations internationales pose deux difficultés que rappelait la ministre Laura Flessel 93 ( * ) :
- le risque que l'équipe de France soit amenée à affronter une sélection ultramarine française dans une compétition mondiale ;
- le risque que les équipes de France soient privées de certains des talents ultramarins qui devraient choisir entre équipe territoriale et équipe de France et pourraient préférer participer aux compétitions mondiales au sein de leur sélection régionale plutôt qu'avec l'équipe nationale.
Au regard des règles de participation à certaines compétitions, certains sportifs ne peuvent concourir pour une équipe territoriale et pour l'équipe nationale dans des compétitions internationales. Le cas s'est présenté notamment dans le football où la ligue guyanaise a été sanctionnée, comme le rappelait Antoine Karam 94 ( * ) « pour avoir aligné un ex-international français lors de sa confrontation face au Honduras ».
Les participations aux compétitions sont réglementées par des critères propres aux fédérations.
Dans le cas du taekwondo et des affiliations antillaises à la WTF, tout combattant n'ayant fait l'objet d' aucune sélection nationale pendant trois années peut se porter candidat pour y participer sous les couleurs de la Martinique ou de la Guadeloupe .
Pour les équipes de volleyball des deux territoires antillais là encore, la participation aux compétitions internationales mentionnées plus tôt est subordonnée à plusieurs conditions. Les joueurs ne doivent pas avoir été sélectionnés en équipe de France depuis deux ans et doivent pouvoir remplir une des conditions suivantes : être né en Martinique ou en Guadeloupe, être résident en Martinique ou en Guadeloupe depuis cinq ans ou être licencié à la ligue de Martinique ou à la ligue de Guadeloupe. Cependant, dans ce cas, cette organisation ne semble, selon la DJSCS de Guadeloupe, ne reposer sur aucune convention formalisée avec la FFVB mais relèverait d'usages en vigueur depuis de nombreuses années validés par tous, ligue, fédération, organisations internationales.
Il convient de valoriser la participation des sportifs de haut niveau tant pour défendre les couleurs de leur territoire que pour porter les couleurs de la France . À ce titre, les rapporteures appellent à engager des discussions avec le mouvement sportif national pour permettre aux champions ultramarins à la fois de concourir dans des compétitions d'envergure régionale sous bannière territoriale et de participer aux équipes de France dans les compétitions internationales dépassant une échelle régionale .
Recommandation n° 26 : Engager des discussions avec les territoires et les comités et fédérations pour proposer un modèle mixte permettant aux sportifs de concourir pleinement sous bannière territoriale dans des compétitions internationales d'envergure régionale mais aussi de représenter la France dans les compétitions internationales à vocation mondiale. |
* 91 Audition sur la diplomatie du sport et le rayonnement des territoires du jeudi 24 mai.
* 92 Sur le plan administratif, la Martinique siège aux AG de la WTF mais sans droit de vote.
* 93 Audition de Madame Laura Flessel, ministre des sports, du mercredi 24 janvier 2018.
* 94 Question orale n° 0043S de M. Antoine Karam (Guyane - La République En Marche)
publiée dans le JO Sénat du 03/08/2017 - page 2469