B. UN CONTEXTE QUI BRIDE LES CAPACITÉS DE CONFRONTATION ET DONC D'ÉMULATION
Lors de l'ensemble des auditions et déplacements, il a été systématiquement rappelé que les confrontations étaient un préalable incontournable au développement de la performance. Les réalités ultramarines brident cependant ces étapes nécessaires des parcours des sportifs.
1. Des possibilités de confrontation limitées
a) En raison de l'isolement et de la taille réduite des territoires
De la même façon que les schémas d'équipements sportifs se heurtent à la question de la configuration géographique et démographique des territoires, les capacités de confrontation se trouvent limitées en raison du même critère de « masse critique ».
En effet, la démographie de certains territoires ou régions infra-territoriales - atolls, îles de territoires multi-insulaires - conduit à un nombre de clubs souvent réduit et, par conséquent, à un nombre de partenaires-adversaires réduit.
b) En raison des inégalités de développement et de capacité de respect des normes dans les bassins
L'environnement régional et océanique des collectivités ultramarines les place souvent en position de territoires les plus développés de leurs bassins respectifs. Aussi, le développement du sport dans les territoires environnants et l'existence de politiques sportives de développement du haut niveau et d'infrastructures liées sont souvent tributaires du niveau de développement des États. Enfin, les normes applicables aux équipements ne sont pas toujours respectées ou identiques et, partant, ne peuvent permettre aux sportifs ultramarins d'être reconnus sur des bases comparables.
2. Des freins à la mobilité
a) Une mobilité infra-territoriale souvent compromise
Alors que les installations de qualité sont rares et peu nombreuses, leur accessibilité n'est pas garantie. Il en va ainsi de même des possibilités de rencontres sportives. La mobilité n'est pas garantie outre-mer, même à une échelle infra-territoriale.
Le cas de la Guadeloupe est ici très représentatif des réalités ultramarines. Ainsi, l'état des routes sur la Grande-Terre et la Basse-Terre ainsi que les transports en commun limités ne permettent pas des accès rapides et simples pour de nombreux habitants de la Guadeloupe « continentale ». En outre, les îles de la Guadeloupe sont reliées par des liaisons maritimes contraintes et parfois empêchées par des phénomènes naturels, comme récemment les sargasses à la Désirade. Pour participer à des compétitions sur la Basse-Terre en matinée, les jeunes de Marie-Galante doivent, par exemple, quitter leur île très tôt le matin pour emprunter un ferry puis des transports routiers : un trajet coûteux et long, qui bride les capacités de rencontre des jeunes. Il en va de même pour de nombreux territoires : le cas identique se retrouve en Nouvelle-Calédonie pour les liaisons avec les îles Loyauté, à Wallis-et-Futuna et a fortiori en Polynésie française.
b) Une mobilité onéreuse, à l'échelle des bassins comme vers l'hexagone
La question de la mobilité se pose surtout pour les compétitions d'envergures régionale ou nationale et, ainsi, au niveau des bassins océaniques et vers l'hexagone. Elle est à ce titre souvent nécessairement aérienne. Deux obstacles sont alors vécus par les sportifs : l'un lié à la distance, avec le temps de parcours - parfois plus d'une journée pour les liaisons avec le Pacifique - et le décalage horaire , et l'autre lié au coût des billets d'avion.
Un trajet en avion représente pour les sportifs ou leurs clubs des frais conséquents, qui sont autant de limites au nombre de déplacements, d'une part, et aux investissements dans les équipements, d'autre part. Il faut souligner ici que les frais sont d'autant plus importants quand il s'agit de faire voyager une équipe entière et que, dans certaines disciplines, le transport de matériel doit également être pris en charge.
c) Des barrières administratives
(1) Des démarches parfois longues et difficiles pour les jeunes du Pacifique
Le parcours administratif est souvent une épreuve supplémentaire pour les sportifs ultramarins. Cela est particulièrement vrai pour les sportifs issus des territoires autonomes du Pacifique . En effet, l'autonomie des régimes de sécurité sociale notamment rend leur affiliation parfois très complexe. Le délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer s'est particulièrement intéressé à cette question.
L'immatriculation de sécurité
sociale :
Dès sa nomination en mars 2016, le délégué a été saisi du problème qui dure depuis des années des difficultés d'immatriculation à la sécurité sociale pour les étudiants venant de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna. Ceux-ci mettent parfois plusieurs années à obtenir une carte vitale et donc l'accès aux soins, mais sont également bloqué pour effectuer un grand nombre de démarches administratives car ils n'ont pas de numéro de sécurité sociale. À leur arrivée dans l'hexagone, ils sont considérés comme « étrangers » et leurs démarches sont compliquées ce qui est inacceptable. Cette situation complique grandement leur installation en métropole et donc leurs études. Il a été constaté que l'INSEE n'attribue pas de numéro d'immatriculation dans ces collectivités, numéro qui sert ensuite d'identifiant pour la sécurité sociale, contrairement à l'obligation réglementaire. Le DIECFOM a ainsi échangé avec l'institut et avec les délégations de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna à Paris. Aussi, l'INSEE s'engage à immatriculer tout étudiant venant dans l'hexagone, ou toute autre personne amenée à venir en métropole notamment pour des soins, dès lors que celle-ci s'identifie auprès des délégations de Polynésie française, de Wallis-et-Futuna ou de la Maison de la Nouvelle-Calédonie et qu'elle fournit la pièce nécessaire (extrait d'acte de naissance). Concrètement, chaque jeune, s'il anticipe sa venue, reçoit son NIR, et donc son numéro de sécurité sociale, dès son arrivée dans l'hexagone. L'INSEE s'est mis en conformité avec ses obligations réglementaires et immatricule désormais automatiquement chaque résident en Polynésie française. Le système mis en place avec le concours de la délégation interministérielle demeure pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna où des considérations locales et politiques, d'une part, et administratives, d'autre part, empêchent pour l'instant l'immatriculation automatique comme en Polynésie française. |
Source : réponse du DIECFOM au questionnaire transmis
L'accompagnement des structures d'accueil dans les démarches administratives est déterminant.
(2) Un environnement sportif international complexe
Les pays voisins des collectivités ultramarines constituent parfois un environnement d'épanouissement limité des sportifs, pour des raisons politiques ou réglementaires. La question des visas a particulièrement été abordée par différents intervenants.
En effet, l'accueil de sportifs étrangers des pays voisins des territoires ultramarins requiert souvent des visas ; la Guyane est ainsi par exemple le seul territoire français pour lequel un Brésilien doit détenir un visa. Or, Philippe Vinogradoff 76 ( * ) , ambassadeur délégué pour le sport, mettait en avant les difficultés à répondre aux demandes de visas dans certains pays, du fait de la fermeture de certains postes diplomatiques et consulaires. L'ambassadeur évoquait la solution des valises de recueil de données biométriques pour pallier ces difficultés. Guillaume Lagrée 77 ( * ) , chef de mission du droit européen et international au ministère des outre-mer, expliquait ainsi que « la Jamaïque - grande puissance sportive des Caraïbes, pays d'Usain Bolt - n'a plus de consulat. Les sportifs voulant se rendre en Guadeloupe doivent demander un visa à Panama... (...) Le même problème existe dans le Pacifique avec les îles Fidji, nation essentielle du Top 14 de rugby et dont certains ressortissants, naturalisés français, jouent dans le XV de France. Le service consulaire le plus proche est à Vanuatu or, pour un contrat professionnel, il faut un visa de long séjour ».
Aussi, si les territoires ultramarins ne sont pas dans l'espace Schengen, il est en outre nécessaire d'obtenir « des visas spécifiques pour les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, pour la Nouvelle-Calédonie, pour Wallis-et-Futuna et pour la Polynésie française » soulignait Guillaume Lagrée, indiquant également que la Jamaïque, grand pays de la zone Caraïbe, n'était par exemple pas considérée comme un État « fiable » pour la zone Schengen.
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Afin de pallier le difficile accès des sportifs ultramarins aux compétitions de haut niveau , il est souhaitable que certaines disciplines sportives mettent en place des dérogations offrant aux sportifs se formant et évoluant outre-mer un accès facilité aux premiers stades des compétitions nationales . Le cas se présente dans le football, avec l'accès des équipes ultramarines au 7 e tour : il semble pertinent d'adapter ce type de pratiques à d'autres sports, particulièrement les sports collectifs.
Recommandation n° 21 : Afin d'améliorer l'accès aux compétitions nationales des sportifs ultramarins en dépit des freins à leur mobilité, engager des discussions avec les comités et fédérations nationaux et territoriaux pour permettre des dérogations à certaines exigences de compétitions nationales sur le modèle du 7 e tour dans le football. |
* 76 Audition sur la diplomatie du sport et le rayonnement des territoires du jeudi 24 mai 2018.
* 77 Ibid.