II. LA NÉCESSITÉ D'ORGANISER LES MOBILITÉS POUR ÉVITER LES SCÉNARIOS CATASTROPHE POUR LES TERRITOIRES

A. QUELS SERONT LES DÉTERMINANTS DES FUTURES MOBILITÉS ?

Imaginer les futures mobilités nécessite d'identifier les critères clefs qui détermineront les comportements de déplacement des individus et des marchandises, mais aussi les technologies disponibles et les instruments de régulation des mobilités qui paraîtront acceptables à la société.

Prévoir ce que seront les modes de déplacement n'est pas un exercice facile, mais peut être abordé avec méthode en observant les variables qui joueront un rôle essentiel. Vos rapporteurs ont identifié trois variables majeures :

- Les dynamiques territoriales des activités économiques et de l'habitat : va-t-on vers une polarisation accrue sur le territoire, notamment autour des métropoles, ou vers un modèle de répartition des activités et de l'habitat beaucoup plus distribué, comme le laisse penser l'inversion récente de la dynamique démographique de certains espaces à dominante rurale ?

- Le coût et plus largement l'accessibilité des nouvelles technologies de mobilité : alors que les cinquante dernières années ont été marquées par une réduction spectaculaire du coût de déplacement des personnes et des biens, en particulier sur longue distance, et ce malgré le choc pétrolier, s'oriente-t-on vers une hausse du coût des mobilités sous l'effet notamment d'une hausse du coût de l'énergie ? Si à l'inverse, les nouvelles technologies conduisaient à une baisse spectaculaire du coût du kilomètre, les mobilités pourraient en être transformées ?

- Enfin, quel degré d'implication de la puissance publique peut-on envisager dans le domaine des mobilités ? Si les choix de déplacement relèvent des individus, ceux-ci ne sont possibles que dans un cadre institutionnel et économique marqué aujourd'hui par l'intervention massive des collectivités publiques, pour construire des infrastructures de transport, pour les gérer ou les faire gérer par des opérateurs devant répondre à des cahiers des charges précis, ou encore pour réguler l'utilisation de l'espace public et des voiries. On imagine mal la puissance publique abandonner cet interventionnisme, mais les contraintes qui pèsent sur les finances publiques pourraient conduire à revoir en profondeur les politiques publiques de transport.

1. Quelles dynamiques territoriales à l'horizon 2030 ?
a) Le renforcement du poids des métropoles : un mouvement irrésistible ?

Les dix dernières années ont été marquées en France par un dynamisme important des métropoles , ce phénomène n'étant d'ailleurs pas spécifiquement français : un peu partout dans le monde, la croissance économique et de l'emploi se sont concentrés dans ces espaces, qui bénéficient à plein « d'effets d'agglomération », atouts majeurs dans l'économie de la connaissance. Ces métropoles constituent des pôles d'attractivité pour les populations les plus qualifiées, offrent un large panel de services éducatifs, culturels ou de santé et permettent un mode de vie « hyperurbain » facilité par des aménagements des collectivités territoriales favorisant les mobilités douces et l'utilisation de transports collectifs.

Ce mouvement de métropolisation est accompagné par la création de 13 grandes régions métropolitaines en 2015 60 ( * ) , résultant de la fusion des 22 anciennes régions, afin de disposer de collectivités régionales disposant de la taille critique pour exercer leurs compétences, et notamment pour favoriser le développement économique, la formation et l'emploi.

Dans le même temps, la crise économique particulièrement violente des dix dernières années a conduit au décrochage de certains territoires marqués par la désindustrialisation : Hauts-de-France, Bourgogne-France-Comté, Grand-Est, Centre-Val-de-Loire. Dans ces territoires, le risque est fort de voir les métropoles régionales se développer, tandis que les anciens bassins industriels dépérissent et perdent en population.

Une note de France stratégie de juillet 2016 61 ( * ) estimait que la métropolisation devrait se poursuivre durant la prochaine décennie, citant le rapport « world urbanization prospects » de 2015 qui estimait que la population urbaine de la France devrait passer de 80 % aujourd'hui à 83 % en 2030. La même note estimait que les villes moyennes (aires urbaines de moins de 100 000 habitants) et les zones rurales devraient être marquées par un relatif déclin, combinant déclin démographique et vieillissement de la population.

Le rapport du commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) sur la cohésion des territoires publié en juillet 2018 62 ( * ) paraît corroborer ces constatations sur la force du phénomène métropolitain et sur la relative faiblesse des villes petites et moyennes, ainsi que sur les déséquilibres croissants entre un grand arc nord-est fragilisé et un arc occidental et méridional dynamique.

Mais ce constat sur le renforcement du phénomène métropolitain face aux autres territoires semble devoir être nuancé : d'abord, toutes les métropoles ne connaissent pas la même dynamique de croissance et d'emploi : ainsi, selon une autre note d'analyse de France stratégie consacrée à la dynamique de l'emploi dans les métropoles et les territoires avoisinants, publiée fin 2017 63 ( * ) , certaines métropoles (Rouen, Nice) ont connu une progression de l'emploi inférieure à la moyenne nationale et les effets d'entraînement sur les territoires avoisinants sont très variables : forts dans le couloir rhodanien (Lyon, Aix-Marseille) et dans l'ouest (Rennes, Nantes, Bordeaux), il s'avèrent faibles ailleurs (Lille, Toulouse, Montpellier) et parfois même ce sont les territoires périphériques aux métropoles qui sont plus dynamiques (Strasbourg, Grenoble).

Certains experts contestent aussi l'idée que les métropoles constitueront les seuls espaces de dynamique économique et démographique : ainsi, Olivier Bouba-Olga, professeur en aménagement de l'espace et urbanisme, auteur du livre paru en 2017 « Dynamiques territoriales, éloge de la diversité » et pourfendeur avec le sociologue Michel Grossetti de la mythologie de la CAME (compétitivité attractivité, métropolisation, excellence) 64 ( * ) indiquait à vos rapporteurs que certaines petites villes connaissent un réel dynamisme propre (Vitré, Issoire, Figeac), et que certains territoires non métropolitains et peu reliés aux grandes villes, comme le bocage vendéen connaissent aussi un rapide développement.

Ils insistent sur le fait que les métropoles présentent aussi des problèmes d'attractivité : congestion, pollution, montée des prix du foncier constituent des handicaps. Une enquête Cadremploi d'août 2018 révélait que 84 % des cadres franciliens souhaitaient quitter la région parisienne pour trouver un meilleur cadre de vie et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, près de la moitié étant prêts à se reconvertir pour cela 65 ( * ) . Selon une enquête de l'IFOP pour le mouvement Familles rurales dévoilée en octobre 2018 66 ( * ) , pour 81 % des français, vivre à la campagne représente la vie idéale, contre 19 % qui n'aspirent qu'à une vie familiale et professionnelle purement urbaine. Seulement 5 % des ruraux souhaitent d'ailleurs aujourd'hui quitter la campagne.

Le renforcement du poids des métropoles n'apparaît donc pas comme un mouvement irrésistible à long terme. Lors de son audition par vos rapporteurs, le géographe Gérard-François Dumont indiquait ainsi que la logique de métropolisation que l'on a connu ces dernières décennies était en train de se terminer, car les ménages recherchent des aménités positives qui n'existent pas dans les zones trop denses, et parce que disposer des connexions internationales pour les entreprises est ainsi moins important aujourd'hui que de disposer de capacité à innover : Michelin a conservé son siège social à Clermont-Ferrand et Bénéteau en Vendée, car ce n'est plus vraiment handicapant de ne plus installer ses activités au coeur des métropoles mondialisées.

b) L'étalement urbain et la spécialisation des espaces en question

Depuis la fin des années 1960, la croissance démographique des aires urbaines s'est combinée à l'extension de leur espace géographique à travers le développement des zones périurbaines.

La périurbanisation contribue d'ailleurs à obscurcir les frontières entre urbain et rural et rend quelque peu obsolètes les classifications : ainsi, selon l'INSEE, la population des aires urbaines (définies comme des ensembles en bâti continu regroupant plus de 2 000 habitants, sans coupure de plus de 200 mètres entre les constructions) regroupe les trois quart des habitants en France, mais une modification de ces critères pourrait réduire le chiffre de population résidant dans les aires urbaines. Il existe en effet une vaste zone-tampon qui n'est ni ville ni campagne.

Le phénomène d'étalement urbain a conduit à construire en proximité des zones déjà urbanisées , pour offrir davantage de logements à une population de plus en plus nombreuse mais aussi pour implanter des activités économiques : zones d'activité, centres commerciaux.

Ce phénomène ne répondait pas seulement à une logique de pression démographique mais aussi à une demande des entreprises et des ménages : préférence des familles pour l'habitat individuel, recherche de logements à des coûts plus abordables donc éloignés des coeurs de ville, ou encore souhait des grandes enseignes commerciales de disposer de vastes espaces de vente, indisponibles dans les bourgs ou au centre des grandes villes.

Cet étalement urbain s'est combiné à une spécialisation des espaces avec une séparation nette des espaces d'habitat et des espaces d'activités économiques, générant des besoins de mobilités plus importants entre ces deux catégories d'espaces.

La lutte contre l'étalement urbain commence à s'inscrire dans les politiques publiques d'aménagement et d'urbanisme : ainsi, la loi ALUR de 2014 a encore renforcé l'objectif de lutte contre l'artificialisation des sols dans les documents d'urbanisme des collectivités territoriales. L'article L. 122-1-5 du code de l'urbanisme précise que les schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent arrêter des « objectifs chiffrés de consommation économe de l'espace et de lutte contre l'étalement urbain ».

Car ce phénomène présente de nombreux inconvénients : réduction des surfaces utilisées par l'agriculture de l'ordre de 100 000 hectares par an durant les années 2000, même si ce rythme semble s'être ralenti depuis 2011 à environ 20 000 hectares par an 67 ( * ) , imperméabilisation des sols, augmentation de l'utilisation de la voiture individuelle, facteur de pollution, inadaptation des réseaux de transport collectif et embouteillages sur les voies routières dans les zones en forte expansion.

Or si l'étalement urbain a été freiné ces dernières années, il se poursuit toutefois dans les zones en forte tension démographique. L'impact de cette périurbanisation est majeur sur les systèmes de transport car l'étalement urbain nécessite de nombreux investissements en routes, échangeurs routiers, mais aussi en transports en commun dont le taux de remplissage n'atteint pas ceux des villes denses, ce qui renchérit les coûts de fonctionnement des services rendus à la population en la matière.

Lorsque l'aménagement métropolitain a conduit à séparer les zones d'habitat et les zones d'activité économique, les collectivités publiques doivent investir dans des infrastructures dimensionnées pour faire face à des pics asymétriques de déplacements, ce qui est là encore coûteux.

Les futures mobilités devront donc probablement faire face à des besoins en infrastructures et en services sur des distances de plus en plus longues, dans des métropoles de plus en plus étendues , d'autant plus que la relativement faible mobilité résidentielle des français empêche d'envisager un retournement rapide de tendance.

L'absence de régulation du prix du foncier, une réflexion à faire progresser

Votre rapporteur Olivier Jacquin tient à souligner que les mobilités et les questions foncières sont étroitement liées.

Le processus d'urbanisation et de métropolisation qui génère un fort étalement urbain est un phénomène international. Cet étalement a un corollaire manifeste : il stratifie peu ou prou les populations en fonction de leurs revenus, de manière centrifuge. Les centres urbains se « gentrifient », et plus on s'éloigne, plus les revenus décroissent. Il est à noter que certaines périphéries peuvent connaître des niveaux de revenus supérieurs aux centres. Pour trouver des logements ou des terrains abordables, les habitants sacrifient leurs temps de déplacements. Ce ratio prix/temps est bien connu des professionnels de l'immobilier.

Le prix du foncier est le moteur de ce système. Les prix ne cessent de croître dans les grands centres urbains sans que l'on n'aperçoive la fin de cette hausse ; car la France, pays peu dense, n'est pas un des pays développés où le foncier est le plus cher (loin de Londres ou New York) même si certains prix deviennent astronomiques, dépassant largement les 10 000 € du m² à l'achat. Pour trouver une location dans le 6 ème arrondissement de Paris, un des endroits les plus chers de France avec 43€/m², il convient de disposer d'un revenu de plus de 3 000 €...

Outre les questions de mobilités qui nous intéressent, ce phénomène a pour effet d'attenter à la mixité sociale en opérant une véritable ségrégation socio-spatiale qui questionne fortement la cohésion de notre pays (voir l'essai « No society » de Christophe Guilluy : si certains universitaires critique ses conclusions, le diagnostic décrit ci-dessus est quant à lui partagé).

Ainsi, la loi de l'offre et de la demande appliquée au foncier et la hausse des prix constatée est sans aucun doute la politique la plus forte qui soit d'aménagement du territoire. D'aucuns diront, de « déménagement » du territoire. S'agissant de mobilités et de prospective, il est rationnel de se demander si ce phénomène est durable ou non.

La régulation de cette pression foncière n'est pas véritablement et fondamentalement questionnée. Les politiques mises en oeuvre dans notre pays visent à gérer la question sociale par l'habitat social et les politiques sociales qui y sont liées (notamment les allocations logement). Des tentatives visant à modérer les hausses de loyer ont bien régulièrement été effectuées comme les possibilités, inscrites dans la loi ALUR, pour les communes où le marché locatif est en tension d'instaurer un encadrement des loyers afin de limiter leur augmentation à la relocation. Les récents et importants débats de la loi ELAN ont clairement démontré qu'il n'y avait pas de volonté affirmée, et encore moins de majorité, pour tenter de réguler le prix du foncier, alors même que, et c'est un paradoxe, nous disposons de très nombreux outils pour intervenir sur le foncier :

- Outils d'aménagement du territoire et d'urbanisme : droit de préemption urbain, remembrement rural, schéma de cohésion et d'organisation territoriale (SCoT) et plans locaux d'urbanisme communal et intercommunal (PLU et PLUi) sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), établissements publics fonciers (EPF), les opérations d'intérêts national (OIN) et zonages divers et variés ;

- Outils fiscaux : taxes sur le foncier bâti et non bâti, droits de mutation à titre onéreux, participation pour voirie et réseaux, taxe d'aménagement...

Cependant, l'ensemble de ces dispositifs vise davantage à organiser et aménager l'espace, à préserver le patrimoine, bâti ou naturel, qu'à réguler réellement les prix du foncier.

Nous sommes face à une question profonde et particulièrement sensible qui est celle du droit de propriété. Il a été un des moteurs de la Révolution de 1789, et un de ses acquis essentiels, qui a permis à tous de devenir propriétaire ; d'ailleurs, sous le Directoire, la devise nationale avait été modifiée, le mot « fraternité » avait été remplacé par « propriété ».

Il n'est donc pas surprenant que toute démarche, même pragmatique et dépourvue d'idéologie, ait bien du mal à aboutir, tant pour créer ou adapter les outils existants que les utiliser.

Par exemple, lors des débats sur l'indispensable Grand Paris Express, aucune solution n'a véritablement été trouvée pour répondre à la problématique de son financement via la taxation d'une partie des plus-values foncières à venir autour des gares. Elle aurait permis de cofinancer l'infrastructure de transport qui génère ces plus-values. Aucune solution n'a été trouvée pour les plus-values de l'immobilier d'habitation. Seule une taxe sur les parkings et les bureaux a vu le jour après d'âpres débats, alors même que des dispositifs efficaces existent dans de nombreux pays et sont très pertinents pour financer les infrastructures de transports.

Par contre, on peut noter que depuis deux décennies une forte volonté politique, issue d'un très large consensus, vise à restreindre l'étalement urbain et surtout la consommation foncière, elle n'a pas pour autant permis de faire diminuer la pression foncière, et peut-être même au contraire !

Si la puissance publique ne se donne pas les moyens d'intervenir réellement et efficacement sur l'envolée des prix du foncier, c'est de facto qu'elle y consent. Cette question mériterait un rapport.

2. Le problème du coût des nouvelles mobilités
a) Le coût des déplacements, variable parmi d'autres des choix modaux

La mobilité des personnes et des biens s'inscrit dans un univers économique où les utilisateurs réalisent des arbitrages en fonction de leurs besoins : rapidité, disponibilité, confort et sécurité, coût du service.

Ce dernier paramètre explique beaucoup des évolutions récentes des habitudes de mobilité des biens et des personnes : le secteur des transports aériens en fournit une illustration, les compagnies low-cost représentant désormais 50 % du trafic court et moyen courrier 68 ( * ) et 32 % du trafic aérien total en France (en prenant en compte le long courrier).

Une partie des coûts des mobilités n'est cependant pas connu avec précision par les utilisateurs : ainsi les acquisitions de véhicules automobiles par les particuliers ne résultent pas toujours d'un calcul du coût au kilomètre, alors que le prix d'achat du véhicule ne représente plus qu'environ 25 % du coût réel de détention d'un véhicule, soit moins que le carburant (30 %) et à peine plus que l'entretien (20 %).

Pour autant, les ménages disposent à la fois d'un budget-temps et de ressources financières qui les conduisent à réaliser des arbitrages dans leurs choix de modes de déplacement, en fonction des autres paramètres importants à leurs yeux.

Chaque mode dispose d'un domaine de pertinence mais les évolutions techniques peuvent en déplacer les frontières . Dans ce cas, la question du coût devient fondamentale sur le même domaine de pertinence : ainsi, l'ouverture de lignes de train à grande vitesse entre Paris et Marseille et plus récemment entre Paris et Bordeaux met le train en concurrence avec l'avion sur ces destinations et contribue à basculer massivement les flux sur le train, moins coûteux.

Ces exemples montrent que si le coût des mobilités n'est pas la seule variable des choix des individus, ce paramètre joue tout de même un rôle prépondérant.

b) Quel modèle économique pour les nouveaux acteurs des mobilités ?

Tesla, Uber, Flixbus, Lime, Waze : tous ces nouveaux acteurs des mobilités portent des innovations techniques ou organisationnelles qui contribuent à faire bouger les grands équilibres dans le secteur.

Le paysage est en effet particulièrement mouvant et des start-up déploient des services nouveaux dont s'emparent les utilisateurs , qu'il s'agisse de nouvelles mobilités de réservation de véhicules avec chauffeur, de trottinettes électriques en libre-service, d'automobiles connectées.

Pour autant, les modèles économiques sur lesquels sont basés les acteurs innovants interrogent. Peu de ces nouveaux opérateurs sont rentables. Blablacar a annoncé en septembre 2018 être pour la première fois rentable depuis sa création en 2006. Uber a enregistré des pertes de 4,5 milliards de dollars en 2017 et est encore très loin de l'équilibre économique, ce qui n'empêche pas la diversification (plus ou moins réussie) de ses activités. Tesla a réalisé en 2017 près de 10 milliards de dollars de chiffre d'affaires mais accumule dans le même temps 2,3 milliards de pertes.

Le paysage économique des nouveaux acteurs des mobilités ressemble fort à une économie de casino , où les opérateurs tentent de prendre des positions dominantes pour imposer leurs technologies et leurs produits : ainsi Uber tente de devenir la solution de référence pour l'intermédiation entre clients et fournisseurs de services de mobilité, comme Google est devenu le fournisseur de référence pour les recherches sur Internet. L'exemple des vélos ou trottinettes en free-floating est particulièrement frappant : les fournisseurs inondent le marché de leurs équipements pour attirer le maximum de clients, qui ensuite auront pris l'habitude d'utiliser leurs services, cherchant ainsi à étouffer la concurrence.

Le véritable coût des nouvelles mobilités peut donc être biaisé par les stratégies de conquête de marché des nouveaux opérateurs et fausse les comparaisons modales. Cependant, une stabilisation des marchés peut intervenir assez rapidement et rétablir un certain équilibre des prix : ainsi l'irruption d'Uber a d'abord fait chuter les prix du transport individuel en voiture dans les grandes villes, au détriment des taxis, puis les taxis ont modernisé leurs services, mis en place des applications de réservation à distance, adopté des grilles tarifaires plus compétitives, alors que dans le même temps, la réglementation des VTC s'est durcie.

En réalité, la piste la plus prometteuse pour réduire le coût des mobilités semble être celle du partage de véhicules et de la mutualisation, pour passer d'une mobilité individuelle coûteuse à une mobilité multimodale partagée relativement peu onéreuse.

Il est aujourd'hui difficile de dire si les innovations en matière de mobilité permettront réellement de modifier le coût des déplacements au kilomètre. Les innovations apportent plutôt des gains qualitatifs, avec davantage de flexibilité et une meilleure information des utilisateurs. Le prix réel des mobilités résulte plutôt de facteurs externes aux acteurs économiques du secteur : prix de l'énergie, tarification de l'usage des espaces publics (péages, parkings).

c) Des coûts et des services différenciés selon les territoires ?

Le déploiement des nouveaux services de mobilité est loin de concerner l'ensemble du territoire national. En réalité, les start-up privilégient les espaces urbains denses qui fournissent une masse critique de clients solvables. L'exemple de la société Cityscoot, dont les responsables ont été auditionnés par vos rapporteurs, est particulièrement éclairant sr ce point. Proposant à la location des scooters électriques en libre-service, la société ne déploie son offre que sur Paris et quelques communes limitrophes de l'Ouest parisien ainsi que sur Nice.

Certains services de mobilité ne paraissent pouvoir être proposés dans les petites villes ou dans les espaces qui n'offrent pas une densité suffisante qu'avec des subventions massives qui couvrent une large part des coûts.

De ce point de vue, les nouvelles mobilités ne se distinguent pas fondamentalement du modèle économique des transports collectifs, qui reposent en partie sur une tarification pesant sur les usagers, et pour une autre sur des ressources publiques, ainsi que sur des infrastructures et équipements largement financés par les collectivités.

Vos rapporteurs notent que le numérique pourrait aussi permettre de mieux optimiser le coût des services de mobilité offerts dans les zones peu denses, en adaptant les modes offerts aux besoins réels et évitant le gaspillage.

3. Le degré d'intervention des collectivités publiques
a) L'impératif de régulation des mobilités

Le visage futur des mobilités dépendra fortement du degré d'implication des pouvoirs publics , qui interviennent aujourd'hui sur de multiples aspects : réalisation d'infrastructures de transport, réglementation de l'utilisation de la voirie, du stationnement, fourniture ou délégation à un prestataire de la fourniture de services de transports collectifs.

Le paysage institutionnel est marqué par une multiplicité des intervenants :

- L'État gère et finance les infrastructures nationales, apporte son soutien aux collectivités territoriales, et définit le cadre normatif des mobilités, en laissant le soin aux collectivités territoriales d'utiliser ou pas la boîte à outils créée par le législateur. Il a un rôle de pilote mais avec la décentralisation, son rôle est plus celui d'un animateur des politiques locales de mobilité.

- La région est le chef de file de l'intermodalité, définit les grandes lignes des politiques de mobilité au sein des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) et organise et finance les services ferroviaires régionaux de voyageurs (TER) ainsi que depuis 2017 les transports scolaires interurbains.

- Le département construit et entretient le réseau des routes départementales et organise les dispositifs les transports pour les personnes en situation de handicap.

- C'est au niveau des intercommunalités , métropoles, communautés urbaines et communautés d'agglomération, que sont constituées les autorités organisatrices des transports (AOT) 69 ( * ) qui organisent les transports publics de passagers sur leur périmètre, adoptent un plan de déplacement urbain (PDU), obligatoire pour les AOM de plus de 100 000 habitants, organisent le développement des modes doux et du partage de véhicule et organisent les services d'information aux usagers.

- Enfin, les communes assurent la gestion de la voirie communale et des stationnements.

Ces interventions nombreuses des autorités publiques montrent l'importance de la question des mobilités pour la vie collective, et sont la preuve que l'organisation des déplacements dépend largement de l'utilisation de ressources publiques, comme la voirie routière. Si la mobilité est un marché, c'est un marché très réglementé, très organisé, et où les logiques de marché s'effacent souvent derrière des objectifs d'intérêt général.

Or, les nouvelles mobilités viennent perturber les repères et modes d'intervention de la puissance publique , en utilisant parfois les vides juridiques : le free-floating qui s'affranchit de la réglementation de l'espace public, le covoiturage avec partage de frais, qui peut en réalité devenir un marché parallèle de la mobilité. Ces dernières années, les lois ont couru après de nouvelles pratiques, apparues très rapidement, et la future loi d'orientation des mobilités ne fera pas exception concernant par exemple les trottinettes électriques, dont la circulation pourrait être régulée pour empêcher l'utilisation anarchique des trottoirs.

L'impératif de régulation des mobilités emble devoir demeurer demain , d'autant plus qu'aux objectifs de sécurité et de fluidité des circulations, s'ajoute un objectif environnemental de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de polluants. Ainsi, le sort des voitures à moteur thermique semble réglé à l'horizon 2040. Dans l'intervalle, la limitation de leur présence dans les coeurs d'agglomération peut prendre de multiples formes : interdiction générale ou ciblée, selon les heures ou les catégories de véhicules ou encore tarification à travers des péages urbains.

b) Quel financement public des mobilités ?

Au-delà de leur intervention comme régulateur, édictant des réglementations et s'attachant à les faire respecter, le rôle des pouvoirs publics est majeur dans le financement des mobilités, mais les tensions sur les finances publiques interrogent sur la capacité de l'État et des collectivités territoriales à faire face aux besoins.

La réalisation de nouvelles infrastructures routières et ferroviaires nécessite des moyens considérables, parfois au détriment de l'entretien courant des infrastructures existantes.

Le fonctionnement des systèmes de transport collectif coûte également cher, et ce coût doit en permanence être mis en regard de leur utilisation réelle par les usagers.

Ces efforts budgétaires pourront-ils être encore consentis à l'avenir ? Et si oui, avec quel cadre de financement ? Une mutualisation doit être imposée pour que les zones denses où les transports collectifs sont plutôt plus rentables, paient pour que le service soit assuré aussi dans les zones moins denses ?

Quelle clef de répartition retenir pour répartir la charge entre l'usager et le contribuable ? Doit-on aller vers la gratuité des transports publics, ce qui conduit à un financement à 100 % par le contribuable, comme l'a décidé récemment la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), ou doit-on laisser une part à la charge de l'usager ?

Les scénarios des futures mobilités dépendent fortement de la capacité des autorités publiques, au-delà de leur rôle de réglementation, à financer des infrastructures et des services de mobilité , ce qui posera aussi la question des ressources à mobiliser dans ce but : asseoir le financement des mobilités sur la taxation des modes polluants risque fort de ne pas suffire, dans la mesure où ces modes sont appelés à être remplacés progressivement par d'autres, plus vertueux, entraînant une baisse tendancielle de ces revenus.


* 60 Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015.

* 61 http://www.strategie.gouv.fr/publications/20172027-dynamiques-inegalites-territoriales

* 62 http://www.cget.gouv.fr/dossiers/rapport-cohesion-territoires

* 63 http://www.strategie.gouv.fr/publications/dynamique-de-lemploi-metropoles-territoires-avoisinants

* 64 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01724699

* 65 https://www.cadremploi.fr/editorial/actualites/actu-emploi/detail/article/84-des-cadres-revent-de-quitter-paris-quelles-sont-les-raisons-qui-motivent-les-souhaits-de-depart-d.html

* 66 https://www.famillesrurales.org/etude-FamillesRurales-IFOP-Territoires-ruraux

* 67 Source : observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers (OENAF).

* 68 Source : étude DGAC 2017.

* 69 Loi MAPTAM du 27 janvier 2014.

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