C. LES PRÉCONISATIONS DE VOS RAPPORTEURS

1. Affirmer le nécessaire pilotage politique des mobilités
a) Réaffirmer le rôle premier des collectivités territoriales

Les collectivités territoriales sont déjà des acteurs majeurs des politiques de mobilité : elles fixent les règles en matière d'utilisation de la voirie, organisent les transports collectifs et les financent en large partie.

Les élus territoriaux restent les mieux placés pour connaître les besoins locaux, et le bon fonctionnement des mobilités est un critère essentiel de jugement des citoyens sur la qualité de vie dans un territoire.

L'échelon local est aussi celui le plus pertinent pour une planification fine et combinée du développement urbain et des mobilités, tant l'un ne va pas sans l'autre. C'est à l'échelon local que se recomposent les politiques urbanistiques, qui désormais visent à rapprocher voire imbriquer les espaces dédiés à l'activité économique et les espaces résidentiels. C'est aussi à l'échelon local que doivent être traitées les questions de logistique urbaine, tant la problématique de livraisons et d'approvisionnement des villes pèsent sur les stratégies de mobilité.

Mais les collectivités ne sont pas toujours armées pour faire face à l'ensemble de ces enjeux, et certaines, de taille réduite, ne se saisissent que peu de la question des mobilités.

Vos rapporteurs estiment nécessaire de réaffirmer le rôle majeur de stratège de l'organisation des mobilités locales des collectivités territoriales autour de quelques axes :

- Créer des autorités organisatrices des mobilités sur l'ensemble du territoire , de manière à ne laisser aucune « zone blanche de mobilité », à l'échelle des agglomérations élargies si nécessaire à tout le département.

- Renforcer les moyens d'ingénierie publique des mobilités , s'il le faut à travers des structures mutualisées à l'échelle régionale : des politiques locales de mobilité ne peuvent être conçues et mises en oeuvre que si les collectivités territoriales disposent de techniciens compétents, qui manquent souvent dans les petites intercommunalités.

- Assouplir si nécessaire les cadres législatifs et réglementaires de régulation des mobilités locales pour permettre aux collectivités d'organiser plus librement ces mobilités sur leur territoire en utilisant toute la palette d'outils à leur service : vitesses de circulation, stationnement, mise en place d'équipements et de services partagés, restrictions de circulation sélectives selon les modes utilisés.

- Faciliter le débat public local sur les mobilités en associant davantage les citoyens, qui sera finalement l'utilisateur final des services de mobilité et dont les attentes doivent être recueillies en amont des projets.

b) Un État stratège des mobilités interurbaines et garant de l'équilibre du territoire.

Renforcer le rôle des collectivités territoriales dans leur périmètre ne conduit pas pour autant à marginaliser l'État dans la conduite des politiques de mobilité.

L'intervention de l'État reste la condition indispensable à la réalisation de grandes infrastructures de transport interurbain : routes à grand gabarit, voies fluviales pour le fret, lignes ferroviaires à grande vitesse. Il intervient dans le financement de ces infrastructures à travers son bras armé, l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) 72 ( * ) .

Or, les nouvelles mobilités numériques et les nouvelles formes urbaines de déplacements ne rendent pas obsolètes les infrastructures traditionnelles de transport : routes, rail, voies dédiées de tramway ou de transport collectif en site propre (TCSP). Interrogées par vos rapporteurs, la plupart des personnes auditionnées dans le cadre du présent rapport ont estimé que le « mass transit », c'est-à-dire la capacité à faire circuler vite un grand nombre de personnes ou d'objets, reposera encore demain sur de grandes voies dorsales de circulation. Le RER A transporte chaque jour 1,2 millions de passagers sur une centaine de kilomètres entre l'Est et l'Ouest de la région parisienne, on imagine mal que de tels flux soient assurés par du covoiturage, des trottinettes électriques ou des autoroutes à vélo.

En réalité, on attend que l'État modernise les infrastructures existantes et complète le réseau interurbain pour en améliorer le fonctionnement là où c'est nécessaire. Des besoins forts de modernisation de « mise à niveau » ont été identifiés sur le réseau routier et ferroviaire. Au-delà de cette mise à niveau, les nouvelles mobilités nécessitent pour se déployer des investissements nouveaux : aires de covoiturage, pistes dédiées aux circulations douces, routes intelligentes et routes connectées 73 ( * ) , capteurs et bornes le long des rails ou des routes. Si le rôle de l'État n'est pas forcément de financer l'ensemble de ces investissements nouveaux, il devra être le chef d'orchestre de la montée en gamme des infrastructures, en incitant à agir les collectivités territoriales compétentes ou les opérateurs (comme la SNCF pour la modernisation des gares).

Enfin, l'État doit jouer un rôle de péréquation entre collectivités territoriales, toutes ne disposant pas des mêmes facilités de développement des nouvelles mobilités. Il y a là un enjeu de cohésion des territoires et de solidarité nationale.

Vos rapporteurs avancent donc les préconisations suivantes :

- Préserver une capacité nationale d'investissement dans les infrastructures de transport assise sur des ressources pérennes et au moins égale à celle dont nous disposons aujourd'hui à travers l'AFITF.

- Mettre en place (sous une forme encore à déterminer) des mécanismes de soutien aux actions locales en faveur des nouvelles mobilités , pour les territoires défavorisés, mal desservis et disposant de peu de ressources propres pour corriger des situations d'enclavement.

2. Mettre l'intermodalité au coeur des futures mobilités
a) Réduire la place de l'autosolisme urbain n'est pas faire la guerre aux automobilistes

L'automobile individuelle reste encore aujourd'hui le mode dominant de déplacement, y compris dans de grandes agglomérations où il existe pourtant des alternatives : transports collectifs, circulations douces.

Cette situation n'est pas satisfaisante du point de vue environnemental, économique et sociétal, entraînant congestion urbaine et dégradation de la qualité de vie des automobilistes, mais aussi de tous les usagers de la route. Mais elle s'explique selon l'expert Jean Coldefy par le fait que les alternatives à l'usage de la voiture sont d'autant plus faibles que l'on s'éloigne du centre des agglomérations. Par ailleurs, les grandes agglomérations peuvent être des zones de transit pour les déplacements motorisés, du fait de l'architecture des réseaux autoroutiers et routiers, quand de grands contournements n'ont pas été aménagés. Enfin, une partie du trafic automobile répond à l'impératif de transporter du matériels pour les artisans, ou des colis ou des marchandises pour approvisionner les habitants ou les magasins.

La réduction de la part de l'automobile en ville est une politique menée dans la plupart des agglomérations en France et dans le monde. Ce n'est donc pas un effet de mode mais une tendance profonde. Mais la justification environnementale pourrait disparaître avec le développement des véhicules électriques.

En réalité, l'optimisation des déplacements urbains, au-delà de l'objectif de réduction de la pollution atmosphérique, vise à réduire l'occupation de l'espace par le véhicule individuel, souvent sous-occupé et qui réclame des voies de circulation larges et des espaces de stationnement suffisamment dimensionnés. L'avènement du véhicule électrique ne changera rien de ce point de vue.

Vos rapporteurs soulignent que le basculement vers d'autres modes de transports ne peut pas être brutal, mais doit faire l'objet de mesures d'accompagnement, afin qu'il soit acceptable aussi par les habitants des zones périphériques des coeurs de ville et ne soit pas vécu comme une guerre injuste menée contre les automobilistes. Ils proposent les axes suivants :

- Renforcer les alternatives à la voiture au-delà des seuls coeurs d'agglomération , en veillant à assurer une desserte de qualité en rapidité et en fréquence autour des zones denses et sur des plages horaires élargies et créer des pôles multimodaux permettant le rabattement des usagers pendulaires, notamment à travers des parking-relais.

- Ne mettre en place de mesures restrictives comme des interdictions de circuler et des fermetures de voies, qu'à la condition que les alternatives aient été préalablement mises en oeuvre , et à condition que cela réponde à de vrais problèmes posés par la voiture en ville 74 ( * ) .

- Inciter à la réduction de l'autosolisme , en facturant le vrai coût de l'utilisation de la voirie par les véhicules en circulation ou en stationnement 75 ( * ) .

b) Répondre aux besoins de mobilités flexibles par une intermodalité étendue

L'utilisation successive de plusieurs modes de déplacement paraît constituer la bonne solution pour optimiser les coûts de mobilité, gérer efficacement les flux, et faire correspondre les usages au « domaine de pertinence » de chaque mode.

L'intermodalité offre une flexibilité aux utilisateurs de services de transport, mais leur impose une complexité dans l'organisation de leurs déplacements, qui constitue un réel frein au quotidien. Ce ne sont pas seulement des solutions intermodales qui sont nécessaires mais des solutions intermodales sans couture, sans barrières et totalement intégrées qui doivent être proposées.

Il convient aussi de retenir une définition large de l'intermodalité, en l'étendant aux usages partagés : le covoiturage, par exemple, peut constituer une solution alternative à des bus pour des transports sur des « petites lignes », longues mais peu fréquentées. Il convient également de veiller à ce que l'intermodalité ne crée pas de ruptures empêchant certains d'utiliser l'ensemble des solutions proposées, du fait d'un handicap ou de difficultés d'utilisation de l'outil numérique.

Le numérique est un outil puissant d'accompagnement du déploiement de solutions intermodales, en contribuant à lever les appréhensions sur les risques liés à chaque correspondance entre deux modes différents.

Ces constats conduisent vos rapporteurs à formuler plusieurs préconisations :

- Construire des services d'information voyageur de très haut niveau , fournissant une information en temps réel sur tous les modes disponibles, leur localisation, les coûts des déplacements envisagés et les durées prévisionnelles des trajets et apporter une garantie publique de qualité des données fournies.

- Encourager les pratiques de mutualisation à petite échelle : (covoiturage de proximité, autopartage local) y compris dans les zones peu denses, où la mise en place de transports collectifs lourds est coûteux et peu efficace et mettre en place partout des plans de développement des usages partagés.

- M ettre l'accessibilité au coeur de l'ensemble des solutions de mobilité , pour ne pas en exclure les populations fragiles, peu à l'aise avec les technologies numériques ou en situation de handicap.

3. Accompagner l'innovation
a) Favoriser un modèle d'innovation ouverte

Le secteur des mobilités connaît un réel foisonnement d'innovations, qui peut s'appuyer sur des start-up françaises et qui mobilise aussi l'énergie des grands groupes : constructeurs automobiles et équipementiers comme Renault, PSA, Valeo, transporteurs de voyageurs comme la SNCF, la RATP, Keolis, Transdev, comme des experts et chercheurs, notamment ceux de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR).

Les innovations peuvent être très variées : techniques, organisationnelles, passer par des nouveaux engins de mobilité ou simplement par des applications informatiques qui génèrent de nouveaux usages. Le paysage est très mouvant et marqué par des débats incessants, sur fond de grande confiance dans la capacité des technologies à progresser rapidement.

Cette période est très intéressante mais n'est pas sans risques : risque de voir certains opérateurs, américains et chinois, imposer leurs technologies au reste du monde ou encore risque de rater la marche des innovations de rupture.

Dans ce contexte, les données de mobilité sont un peu l'or gris des entreprises et leur maîtrise constitue l'enjeu majeur permettant de capter la clientèle. L'ouverture des données numériques de mobilité constitue une opportunité pour les start-up, mais la manière dont cette ouverture est pratiquée pourrait aussi faire le jeu des géants américains de l'Internet, au détriment des acteurs économiques traditionnels européens.

Vos rapporteurs insistent donc pour que le marché des nouvelles mobilités connectées ne fasse pas l'objet d'une captation de valeur au détriment des opérateurs français et européens. Ils préconisent ainsi :

- De favoriser le maintien en France des start-up de la mobilité numérique et de mettre en place une véritable politique industrielle autour des nouvelles mobilités .

- De créer des dispositifs d'encouragement à l'expérimentation de technologies nouvelles « in vivo », comme les engins autonomes de transports de passager sur route.

- De capter les fonds européens de soutien à l'innovation , notamment ceux dispensés dans le cadre du programme Horizon 2020, au profit des projets portant sur les nouvelles mobilités.

b) Adapter l'action publique aux pratiques innovantes de mobilité.

Au-delà d'une politique économique de soutien aux innovations dans le domaine des mobilités, l'environnement favorable qu'il convient d'apporter aux nouvelles mobilités numériques passe par un assouplissement des cadres à travers lesquels intervient la puissance publique.

Les innovations doivent en effet pouvoir faire l'objet de phases de test, pour vérifier si les nouvelles offres correspondent bien au besoin. Ainsi, une logique d'expérimentation permanente supplante bientôt la logique de services aux contenus prédéfinis, qui brident la créativité. L'expérimentation des nouveaux usages (voiture partagée, nouveaux engins de déplacement personnel) sert de révélateur des besoins réels des citoyens.

Aussi, vos rapporteurs considèrent qu'il convient que les collectivités territoriales elles-mêmes adaptent leurs modalités d'action pour permettre le déploiement de mobilités innovantes, et proposent à cet égard deux pistes :

- Permettre aux particuliers de participer aux services publics de transport de personnes , afin de créer une offre qui n'existe pas : une telle suggestion pourrait intéresser en premier lieu les communes rurales, où il n'y a que peu de bus, pas de taxis et où une proportion non négligeable de la population est assignée à résidence car non véhiculée.

- Assouplir le cadre applicable aux délégations de service public (DSP) des services de transports, afin que les opérateurs puissent être plus réactifs et innovants et disposent de la liberté de proposer des alternatives aux services classiques négociés et prévus à l'avance dans les DSP.


* 72 L'AFITF a voté en mai 2018 un budget d'investissement pour 2018 de près de 2,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) et de 2,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE).

* 73 Voir l'expérimentation de dalles solaires Wattway de la société Colas, produisant de l'électricité.

* 74 Lors d'une audition, il a été indiqué aux rapporteurs que Clermont-Ferrand ne connaissait pas de réel problème de congestion automobile : mettre en place un péage urbain et lutter contre la voiture dans un tel contexte n'aurait ainsi aucun sens.

* 75 La réduction des flux de véhicules en circulation dans les zones urbaines denses peut notamment prendre la forme de péages urbains, qui existent notamment à Londres ou Stockholm. Critiqué pour instaurer une frontière entre centre et périphérie, le dispositif de péage urbain est jugé cependant positivement par un récent rapport de notre collègue Fabienne Keller, au nom de la commission des finances du Sénat (https://www.senat.fr/rap/r18-056/r18-056.html).

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