EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné la communication des rapporteurs spéciaux Yvon Collin et Jean-Claude Requier rendant compte de leur déplacement à Washington et à New-York dans le cadre du contrôle budgétaire sur le système multilatéral de l'aide publique au développement.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial . - Nous complétons la présentation des crédits budgétaires pour 2019 par un compte rendu de notre déplacement de juin dernier à New York et à Washington, dans le cadre de notre contrôle sur le système multilatéral de l'aide publique au développement. La destination de ce déplacement peut surprendre, s'agissant d'aide publique au développement, mais elle nous semblait pertinente pour appréhender l'aide multilatérale française et pour comprendre les grandes évolutions de la politique d'aide publique au développement.

En effet, nous voyons souvent l'aide publique au développement au travers de sa composante bilatérale, notamment celle des concours financiers accordés par l'AFD à des pays en développement. N'oublions pas cependant que l'aide transitant par des organisations multilatérales représente plus de 40 % de notre APD totale. En excluant l'aide transitant par l'Union européenne, 80 % de cette aide multilatérale transite par des organisations sises à New York ou à Washington.

Par ailleurs, ces organisations mènent des réflexions sur l'avenir de la politique d'aide publique au développement (APD) qui dépassent le cadre de l'aide multilatérale et qui peuvent inspirer notre politique bilatérale.

Enfin, nous avons profité de notre présence dans la capitale des États-Unis pour nous intéresser également aux évolutions de l'aide américaine, un an et demi après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial . - Je commencerai par dresser un tableau succinct de l'aide multilatérale, sans trop entrer dans le détail des chiffres, qui figurent dans le rapport d'information ayant vocation à être publié. L'aide multilatérale représente, globalement, plus d'un quart de l'APD totale et bénéficie à plus de deux cents agences multilatérales. Plus précisément, cette aide passe, pour l'essentiel, par l'Organisation des Nations unies et ses différents fonds et comités, par l'Union européenne, au travers de son budget propre et du Fonds européen de développement, et enfin par le groupe Banque mondiale et les différentes banques régionales de développement.

La part de l'aide multilatérale dans l'aide de chaque pays est très variable. Elle ne dépasse pas 20 % aux États-Unis, en Allemagne et au Japon. Au Royaume-Uni et en France, cette part est comprise entre un tiers et 40 %. Ces chiffres illustrent un rapport différent aux institutions multilatérales. L'un des grands avantages des institutions multilatérales est que leur aide est particulièrement concentrée sur les pays les moins avancés (PMA), où il est plus difficile d'intervenir. Ainsi, en 2013, ces pays bénéficiaient de 45 % de l'aide multilatérale ; en comparaison, cette part n'est que de 29 % pour l'aide totale de la France - si l'on examinait uniquement notre aide bilatérale, cette part serait bien entendu encore plus faible.

Enfin, l'aide multilatérale française s'élevait en 2017 à 4,8 milliards de dollars ; elle est constituée pour plus de la moitié par l'aide communautaire. Le groupe Banque mondiale et les banques régionales de développement représentent 20 % de cette aide et les contributions au système onusien environ 15 %.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial . - L'aide multilatérale est traditionnellement à la fois moins connue et plus critiquée que l'aide bilatérale, y compris par les parlementaires. En effet, elle offre, sur le terrain, moins de visibilité à la France et, si nous participons à la prise de décision, nous ne la maîtrisons pas totalement, si bien que les financements accordés peuvent ne pas correspondre à nos priorités. Toutefois, nous sommes revenus convaincus de l'importance de cet outil, qu'il ne faudra pas négliger dans le mouvement actuel d'augmentation de notre aide.

Le hasard du calendrier nous a menés aux États-Unis au moment où avait lieu le G7 au Canada, que certains ont qualifié de « G6 + 1 » tant l'unilatéralisme américain s'y est illustré. Cette crise du multilatéralisme a été omniprésente dans nos entretiens. Les institutions multilatérales mises en place après la Seconde Guerre mondiale sont de plus en plus contestées, tant par des États qui l'ont toujours fait - la Russie, la Chine - que, désormais, par les États-Unis, qui les ont pourtant largement mises en place.

Les Américains se placent en retrait : ils ont ainsi déjà supprimé plusieurs contributions importantes, par exemple au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Parfois, ils s'opposent même directement à nos valeurs où à nos intérêts. Il est ainsi devenu extrêmement difficile de parler d'environnement ou de commerce international avec eux. Dans ce contexte, on observe également que la Chine essaie d'occuper le vide laissé par les Américains, en particulier sur les financements relatifs au climat. Il en résulte une attente particulière à l'égard de la France : nous pouvons devenir les champions du multilatéralisme.

Cela dit, il est difficile de répondre à cette attente sans moyens financiers. Notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, notre expertise en matière de maintien de la paix, la francophonie et le succès de la COP 21 sont autant d'atouts pour la France, mais le niveau de nos contributions volontaires est parfois ridiculement bas.

Nous sommes ainsi le trente-sixième contributeur au PNUD, pour ce qui concerne les contributions volontaires. De façon générale, nous sommes souvent classés entre la dixième et la vingtième place, quand nos voisins Britanniques se situent autour de la cinquième place. De même, à la Banque mondiale, nous sommes largement distancés par le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon ou encore les pays nordiques en matière de contributions volontaires.

Une stratégie efficace consiste à investir massivement sur quelques fonds. C'est par exemple le cas sur le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la France est le deuxième contributeur après les États-Unis. Néanmoins, si nous voulons être les champions du multilatéralisme, il nous faut accroître ces moyens, et sachez que la hausse annoncée de notre APD est très attendue à New York et à Washington.

J'ajoute qu'il ne faut pas sous-estimer notre capacité à défendre nos intérêts dans le système multilatéral et en particulier à promouvoir nos priorités sectorielles. Par exemple, avant la COP 21, la France a obtenu que 30 % des financements de la Banque mondiale soient consacrés à des sujets climatiques, ce qui a facilité la négociation du volet financier des accords de Paris.

De même, les institutions multilatérales peuvent venir renforcer notre aide bilatérale : par exemple, le Fonds vert pour le climat a annoncé, voilà quelques jours, qu'il contribuerait à hauteur de 280 millions de dollars à un programme de l'AFD.

En définitive, nous considérons que l'état actuel du monde nous donne encore plus de responsabilités dans la défense du système multilatéral dans son ensemble, et donc également dans la défense des institutions de développement. Cette responsabilité implique un effort financier, qui pourra être mis en oeuvre dans les années qui viennent. Le projet de loi de finances pour 2019 met l'accent sur la hausse de l'aide bilatérale, mais il ne faudra pas oublier cette deuxième jambe de notre politique de solidarité.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial . - Quelques mots également sur la mise en oeuvre du programme d'Addis-Abeba, souvent abordé au cours de nos entretiens. Ce programme constitue un nouveau cadre conceptuel pour le financement du développement. Il invite notamment à prendre en compte l'ensemble des flux financiers, et non pas seulement l'aide publique au développement. L'enjeu financier est en effet trop important - plusieurs milliers de milliards de dollars - pour que l'APD suffise.

Il faut donc mobiliser les investissements privés et étudier la façon dont l'aide publique peut les faciliter. De même, il est nécessaire d'aider les pays en développement à mobiliser leurs ressources internes et notamment à utiliser le levier fiscal. Cette philosophie se retrouve par exemple dans le recours aux mécanismes innovants - obligations vertes, obligations vaccinations, ou encore taxes dédiées au développement. De même, la combinaison entre aide publique et investissements privés, et l'association de prêts et de dons vont dans ce sens. La Banque mondiale a par exemple mis en place des obligations « ODD », pour objectifs de développement durable, qui ont permis de lever 165 millions d'euros auprès d'investisseurs privés.

Enfin, nous vous présentons quelques éléments sur l'aide américaine. Les États-Unis sont le premier pays donneur en valeur absolue, mais ils sont seulement au vingt-deuxième rang en pourcentage du revenu national brut. Cette aide passe notamment par l'agence US-AID, qui travaille sous la supervision du président, du département d'État et du Conseil de sécurité nationale.

Un point nous a particulièrement intéressés : le Congrès exerce un rôle central dans le contrôle et la définition de la politique américaine d'aide publique au développement. Ainsi, le président Donald Trump annonçait pour le budget 2018 une diminution de 30 % des crédits du département d'État et les ressources de l'agence US-AID auraient diminué de 13 milliards de dollars. Ces projets de coupes budgétaires ont été sensiblement modifiés par le Congrès, grâce au consensus bipartisan qui existe depuis trente ans sur ce sujet : l'aide publique au développement est vue comme un élément clef du soft power américain.

Malgré tout, nos interlocuteurs ont pointé le fait que les États-Unis voulaient parvenir à une relation « plus équilibrée » avec les organisations internationales ; en d'autres termes, ils ne veulent plus être les principaux bailleurs des différents fonds internationaux, et souhaitent que d'autres pays jouent un rôle accru, c'est-à-dire paient davantage. Cela nous ramène à notre premier point sur la crise du multilatéralisme.

Néanmoins, pour conclure cette intervention sur une note positive, nous soulignons le fait que les États-Unis ont accepté l'augmentation de capital de la Banque mondiale : cela constitue le principal geste du président Trump envers le système multilatéral.

La commission donne acte à MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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