C. LE RÔLE DE L'ÉTAT N'EST PLUS PROPORTIONNÉ AUX MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS LIMITÉS QU'IL APPORTE
1. Une tendance longue au désengagement de l'État, malgré un discours volontariste
Il convient de rappeler qu'en 2002, la subvention budgétaire de l'État était de 5 756 euros pour les logements PLUS et de 15 582 euros pour un logement PLAI 58 ( * ) .
En 2018, le FNAP n'attribue plus d'aide à la pierre directement pour les PLUS et le montant moyen de subvention pour les PLAI varie de 6 000 euros à moins de 10 000 euros par logement, sauf dans les régions Corse (17 324 euros) et Île-de-France (20 944 euros). Cette subvention provient essentiellement de la péréquation entre les bailleurs sociaux, la contribution de l'État ne comptant que pour 8 % des ressources du fonds.
Il s'agit donc d'un véritable retrait de l'État du financement de la construction de logements sociaux par les aides à la pierre.
Cela ne signifie pas pour autant que le coût du logement social sur les finances publiques est réduit : ce coût ne passe plus par des subventions directes mais par les prêts aidés et, hors zones traitées par le FNAP, des subventions à l'Anru, ainsi que par les aides personnelles au logement qui facilitent l'accès au logement.
Lors de la création du FNAP, la loi de finances pour 2016 avait prévu un financement à quasi-parité entre les crédits budgétaires de l'État , soit 250 millions d'euros en crédits de paiement. On peut rappeler que, à cette occasion, le montant prévu en loi de finances initiale, de 100 millions d'euros, a été abondé à hauteur de 150 millions d'euros par amendement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, afin de répondre à l'engagement du Président de la République d'une contribution substantielle de l'État à la constitution du Fonds national des aides à la pierre. Les contributions des bailleurs étaient d'un niveau comparable de 270 millions d'euros.
Or dès l'année suivante , en 2017, les crédits de l'État étaient programmés en loi de finances à seulement 200 millions d'euros, pour ensuite être annulés pour plus de la moitié d'entre eux par le décret du 20 juillet, tandis que la contribution des bailleurs demeurait à 270 millions d'euros.
En 2018, le financement de l'État diminue à 38,8 millions d'euros et celui des bailleurs sociaux augmente à 375 millions d'euros, auquel il faut ajouter une contribution d'Action logement de 50 millions d'euros.
Évolution des crédits budgétaires de l'État consacrés aux aides à la pierre
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
La création du FNAP a ainsi accompagné, et non stoppé, le désengagement de l'État.
2. Un État qui continue à fixer des règles au niveau national
L'État joue en France un rôle qui, malgré le principe de libre administration des collectivités territoriales, demeure interventionniste.
En dépit du caractère local de la plupart des enjeux du logement, l'État fixe des règles très strictes , renforcées au cours des années, telles que l'emblématique « article 55 de la loi SRU » qui a progressivement crû en contrainte mais aussi en complexité.
Il pose également des objectifs nationaux chiffrés (cession de 40 000 logements sociaux par an, financement de 40 000 PLAI par an, création en cinq ans de 10 000 places en pensions de famille et une fois encore de 40 000 places dans le parc privé par des dispositifs d'intermédiation locative 59 ( * ) ...) qui, même s'ils peuvent résulter de l'agrégation de besoins locaux, prennent l'apparence de cibles qu'il conviendrait d'atteindre quelle que soit la localisation des logements construits. Or ces objectifs ne prennent un sens que dans l'adéquation entre besoin et offre au niveau d'une commune ou d'un bassin de vie.
Les désaccords entre acteurs : l'exemple des typologies En 2015, les données du système national d'enregistrement (SNE) ont mis en évidence l'existence, dans toutes les régions, d'un manque de logements sociaux de petite taille. Ce déséquilibre concernait aussi bien le parc disponible que l'offre nouvelle financée. En conséquence, un bonus a été accordé aux logements de type T1 et T2 dans le cadre de la programmation 2016 des aides à la pierre, prélevé sur l'enveloppe des aides à la pierre. Si ce bonus n'a pas été reconduit l'année suivante, le ministère du logement et de l'habitat durable a insisté auprès des préfets de région sur l'insuffisance de l'offre en logements de taille strictement inférieure au T3 60 ( * ) . Votre rapporteur a pourtant constaté que certains acteurs de terrain remettaient en cause cette analyse en constatant une difficulté à commercialiser le surcroît de logements résultant de l'instauration du bonus. Il faut aussi noter que le choix des types de logement n'est pas neutre pour les collectivités : les logements de petite taille, dont le taux de rotation est plus élevé, n'ont pas le même effet sur le développement local que les logements familiaux. Sur un tel enjeu, étroitement lié à la demande locale et à l'offre disponible au niveau d'un bassin de vie, des directives au niveau national sont certainement moins efficaces qu'une action locale en fonction d'un diagnostic partagé, même s'il est important de fournir des logements à toutes les catégories de la population. |
Or la diminution des financements de l'État , ainsi que la perte progressive de moyens des administrations déconcentrées, incite à redéfinir le rôle de l'État .
La montée en puissance d'intercommunalités ayant compétence pour l'élaboration des plans locaux de l'habitat leur donne désormais vocation à reprendre, dans bien des cas, les responsabilités auparavant assumées par les services de l'État .
Il convient d'ailleurs de rappeler que, comme l'indique l'article 17 de la LOLF, « l'emploi des fonds [de concours] doit être conforme à l'intention de la partie versante ». Si le montant versé par l'État devient résiduel par rapport à celui versé par les organismes du secteur, il devient difficile de justifier le rôle prépondérant de l'État dans la fixation de leurs modalités d'utilisation.
Si la communication de l'administration présente le « dialogue de gestion » comme un mouvement « bottom-up », qui passe par le recensement des besoins sur les différents territoires de gestion, force est de constater que le pilote demeure l'État, à travers le rôle central qu'il joue au sein du FNAP, et à travers l'administration déconcentrée dans les territoires.
De nombreuses personnes auditionnées par votre rapporteur spécial ont ainsi fait état du rôle limité joué par le comité régional de l'habitat et de l'hébergement (CRHH). La phase de l'avis donné par le CRHH, vers la fin du mois de février ou le début du mois de mars, au projet de répartition des aides élaboré par le DREAL et soumis par le préfet, présente l'avantage d'apporter une information sur l'état du logement locatif social. Toutefois elle paraît constituer une étape formelle plus qu'une véritable possibilité pour les acteurs locaux d'impulsion et d'orientation dans la gestion et la répartition des aides infra-régionales.
Votre rapporteur souligne que l'État ne construit pas : les maîtres d'ouvrage sont les bailleurs sociaux, et bien souvent l'impulsion vient du maire et d'un porteur de projet local .
Le groupe de travail de la commission des finances sur le financement et la fiscalité du logement, déjà cité, avait fait valoir en octobre 2015, au sujet du pilotage de la politique du logement par les objectifs, que « c'est l'idée même qu'il est possible de fixer un objectif unique au niveau national qui doit certainement être remise en cause ». On peut se demander en effet s'il est nécessaire de fixer des objectifs nationaux sur des éléments tels que la typologie des logements, dont le besoin dépend surtout des conditions du marché local de l'habitat.
* 58 Voir l'avis n° 111 (2011-2012) de MM. Claude Dilain et Thierry Repentin, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 17 novembre 2011.
* 59 Stratégie logement du Gouvernement, présentée le 20 septembre 2017.
* 60 Lettre de notification relative à la programmation 2017 des aides à la pierre pour le logement locatif social, adressée aux préfets de région, 16 décembre 2016.