C. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 14 JUIN 2018, SUITE AU DÉPLACEMENT DANS LA CREUSE LE 25 MAI 2018

M. Éric Jeansannetas . - Je remercie la délégation aux entreprises d'être venue en Creuse découvrir la variété des entreprises de ce département. Je remercie particulièrement la présidente ainsi que nos collègues qui nous ont accompagnés : Guillaume Arnell, Michel Canevet, Sébastien Meurant, et Nelly Tocqueville, ainsi que Jean-Marc Gabouty et Claude Nougein, qui nous ont rejoints en voisins.

Nous avions un programme ambitieux pour cette journée : trois visites d'entreprises - Microplan, Atulam et TIGR - et une table ronde à Guéret. Nous avons suivi ce programme au pas de course, les grèves de train ayant sensiblement retardé notre arrivée sur place. Nous avons d'abord été accueillis chez Microplan France à La Forêt-du-Temple qui compte 150 habitants. Profitant d'une mine en granit située sur la ligne de chemin de fer Guéret-La Châtre, la société, qui s'appelait alors Ateliers Maître, est créée en 1924 pour fabriquer des pavés de rue. Elle évolue pour se spécialiser dès les années 1970 dans la métrologie, c'est-à-dire la science de la mesure. Depuis plus de 40 ans, cette entreprise fabrique des supports en granits de grandes dimensions parfaitement plans, pour les appareils de mesure ou de production de très grande précision. Elle a été rachetée en 1991 par le groupe italien Microplan, société spécialisée dans les réalisations en granit de grandes dimensions, avec un savoir-faire technologique élevé, ce qui a permis à l'entreprise de monter en puissance dans son secteur, tout en diversifiant ses activités : éléments métrologiques en granit mais aussi usinage de matériaux, structures en granit reconstitué, systèmes de micro-positionnement, éléments métrologiques en céramique... À la pointe de l'innovation, Microplan France travaille en effet aujourd'hui à la céramique, matériau deux fois plus stable que l'acier et cinq fois plus rigide que le granit.

L'outil industriel que nous avons pu découvrir permet le sciage au fil diamanté des blocs de granit brut, leur débitage, fraisage, rectification, polissage, perçage et enfin rodage et polissage à la main. Les installations sont impressionnantes (l'usine occupe une surface de 8 000 m²) : les blocs de granit ainsi travaillés ont des dimensions supérieures à 4m x 2m.

Les produits de Microplan France sont critiques car indispensables pour le contrôle des instruments de mesure de haute précision, essentiels dans la recherche et les industries de haute technologie. L'entreprise compte ainsi parmi ses clients des grands noms comme Nikon, Apple, EADS ou Safran et des grands centres de recherche comme le CERN ou le CEA de Saclay. Microplan France est donc l'un des leaders mondiaux dans cette industrie de pointe, en particulier pour la fabrication de pièces de grandes dimensions, et la seule entreprise en France sur ce secteur. Elle emploie 46 personnes pour un chiffre d'affaires de 5,4 millions d'euros, dont 60 % réalisé à l'export.

Dépassant les difficultés liées aux réseaux routiers et de communications dans cette zone très rurale, Microplan France doit donc sa réussite à sa capacité d'innovation, mais également à son positionnement de niche, une caractéristique partagée avec la deuxième entreprise que nous avons visité, la société Atulam, située à Jarnages.

Atulam est une entreprise spécialisée dans la fabrication de menuiseries en bois sur mesure et la restauration de portes et fenêtres en bois. Cette entreprise, qui a plus de 50 ans, emploie 130 salariés pour un chiffre d'affaires de 16 millions d'euros en 2017.

L'entreprise s'est positionnée dans les années 2000 sur la fenêtre bois haut de gamme. Elle a innové en proposant des fenêtres déjà peintes : la peinture du bois qu'elle applique, et qu'elle achète à un fournisseur allemand, est garantie 12 ans, et serait capable de durer 25 ans selon le directeur, mettant à mal les idées reçues sur le défaut de durabilité ou la lourdeur d'entretien du bois. L'immense atelier de 10 000 m² que nous avons visité permet la création de fenêtres en bois sur mesure, depuis la conception et la réalisation jusqu'à l'application de divers traitements et protections, puis de peinture au robot, avant séchage final.

Ce savoir-faire unique, qui allie la qualité d'un travail artisanal à la puissance d'un outil industriel, a permis à Atulam de se démarquer sur le marché de la rénovation haut de gamme : Atulam a ainsi réalisé des chantiers de prestige comme l'École des Ponts-et-Chaussées ou le siège du groupe Dassault. L'entreprise affichait en 2015 une croissance d'activité de l'ordre de + 8 % et a réalisé 5 millions d'euros d'investissement dans son outil industriel entre 2014 et 2016.

Après ces belles découvertes, nous avons pu échanger avec des entreprises du bassin Creusois lors d'une table ronde à Guéret. Les entrepreneurs ont déploré leurs difficultés de recrutement dans un territoire qui souffre d'un défaut d'attractivité. La carence de main d'oeuvre est particulièrement sensible sur des postes techniques, attestant de manquements significatifs dans la formation professionnelle et l'apprentissage, sujets familiers de la Délégation, mais aussi sur des postes d'encadrement (RH, achats...). Les prestataires commerciaux font aussi défaut : trop peu d'agences d'entretien, de maintenance ou de vidéo surveillance en Creuse. Ces difficultés freinent la montée en puissance des entreprises.

Les entrepreneurs ont aussi déploré le manque d'infrastructures en Creuse (routes, réseaux de téléphonie mobile et internet) et l'éloignement, à l'origine des surcoûts, alors que les taxes dont ils s'acquittent sont identiques voire supérieures à celles des zones d'activités urbaines ultra-connectées. Certains transporteurs refusent de se rendre dans le sud de la Creuse car la faible densité d'entreprises dans cette zone en rend la desserte non rentable pour eux.

La question des délais de paiement a encore une fois été évoquée, les entreprises ayant trop souvent le sentiment de jouer le rôle de banquier. La paperasserie administrative a de nouveau été déplorée, les mêmes contraintes s'imposant à toutes les entreprises sans égard à leur taille, et plusieurs ont souligné la complexité des procédures, notamment en matière de TVA différenciée selon les produits ; les nouvelles contraintes ont été dénoncées, notamment celles qu'imposent la protection des données et, bientôt, le prélèvement à la source. Nouveauté : nous avons entendu un des entrepreneurs évoquer la question de l'objet social de l'entreprise avec anxiété. Le projet de loi PACTE devrait nous conduire à revenir sur cette question.

Une particularité creusoise a été soulignée : la fréquence des contrôles que les entreprises subissent de la part de l'administration. La population d'entreprises étant réduite dans mon département, l'administration a en effet le loisir de les contrôler très régulièrement... En tout cas, nous avons pu entendre que la Creuse se distinguait par l'existence d'un guichet unique pour les entreprises : la maison de l'économie et de la formation, qui semble fonctionner de manière satisfaisante depuis sa création il y a trois ans, et qui regroupe acteurs publics et privés (Pôle Emploi, Mission locale, chambres consulaires, banques...).

La question de l'attractivité était bien entendu au coeur des débats. Certains entrepreneurs ont appelé au lancement d'un grand projet avec le soutien de l'État, comme le Laser mégajoule récemment installé près de Bordeaux. Le représentant du préfet, en charge du projet pilote de revitalisation du bassin d'emplois de la Creuse, mis en place après la fermeture de GM&S, a estimé pour sa part qu'un grand projet ne résoudrait pas tout, ni même une gare TGV ou une autoroute : il travaille à accompagner une dynamique qui vienne du territoire, en favorisant l'éclosion de plein de petits projets. Mais il se confronte également aux difficultés de recrutement, même pour Pôle Emploi, et c'est un comble ! Il a observé que l'inadéquation entre offre et demande d'emplois est une problématique locale mais aussi nationale, qui doit conduire à mieux impliquer les branches professionnelles dans la formation. Surtout, il explique qu'attirer des emplois en Creuse demande aussi de répondre à la demande d'emploi des conjoints, à la nécessité d'un accès Internet, aux besoins en éducation, santé, loisirs...

Après ces riches échanges, nous sommes partis vers La Souterraine pour découvrir l'entreprise TIGR, spécialisée dans la fourniture de solutions de chauffage, de réfrigération ou de climatisation industriels. Cette entreprise compte 45 salariés sur ses deux sites, dont 35 sur le site de Saint-Maurice que nous avons visité.

Si l'entreprise conçoit et fabrique des chaufferies préfabriquées depuis 1999, c'est son rachat par deux salariés en 2009 qui marque la montée en puissance de la société, dont les installations sont passées de 2000 à plus de 3000m² en six ans et dont le chiffre d'affaires atteint presque 8 millions d'euros. Cette évolution correspond à celle du marché de l'énergie qui pousse l'entreprise à diversifier ses compétences. Ainsi, aux chaufferies au gaz et au fioul des origines, s'ajoutent aujourd'hui des chaudières mixtes gaz/solaires, des chaudières thermiques au biogaz ou aux granulés de bois. L'entreprise s'est par ailleurs spécialisée dans les réseaux de chauffage urbains sur lesquels elle est leader, comme dans les chantiers sur mesure de haute précision : elle a ainsi fourni la solution de climatisation de la chapelle Sixtine ou des usines Rolex. TIGR s'engage en outre dans une démarche de haute qualité environnementale dans le suivi et la réparation des modules préfabriqués qu'elle loue et vend.

J'ai été très heureux de présenter ces belles réussites à mes collègues. J'espère qu'ils auront apprécié la journée et découvert avec plaisir tout le potentiel de mon département, dont les entrepreneurs volontaires et soudés sont très attachés à leur territoire et se battent malgré les difficultés.

Mme Élisabeth Lamure . - Effectivement, nous avons pu ressentir l'affirmation d'une forte identité. Ils se battent autant pour leur lieu de vie que pour leur entreprise.

M. Michel Canevet . - Merci beaucoup pour la qualité de l'accueil qui nous a été réservé. Nous avons vu de belles entreprises, positionnées sur des niches, très exportatrices, avec un niveau d'automatisation élevé qui m'a surpris, je le reconnais. Le très haut débit et le désenclavement sont effectivement vitaux : l'aménagement du territoire se fait à ce prix.

Mme Martine Berthet . - À l'écoute du compte-rendu, je regrette d'autant plus de ne pas avoir eu la possibilité de me joindre à ce déplacement. J'entends que la Creuse souffre de difficultés de recrutement, mais quel est son taux de chômage ?

M. Éric Jeansannetas . - Le taux de chômage y est du niveau national. Le salariat s'y distingue par sa loyauté et sa fidélité si bien que les effectifs sont souvent stables. Mais la Creuse exporte aussi ses talents !

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page