CONCLUSION
La relation entre l'Union européenne, d'un côté, et Israël et les Territoires palestiniens, de l'autre, constituent un cas d'école pour la politique de voisinage révisée. La nouvelle approche, plus pragmatique et insistant sur le principe de différenciation, doit permettre d'abandonner une vision conditionnant les avancées avec les deux acteurs aux progrès accomplis dans le processus de paix. Cette logique a pu apparaître vertueuse en son temps. Elle semble aujourd'hui inadaptée aux réalités du terrain et ne permet pas à l'Union européenne d'apparaître comme un acteur crédible dans la région.
La qualité des échanges économiques et scientifiques avec Israël ne doit pas être aujourd'hui totalement tributaire d'une relation politique forcément complexe, mais qui peut s'avérer être plus exigeante qu'à l'endroit d'autres États. Si elle veut s'avérer utile au processus de paix, l'Union européenne doit proposer un message moins incantatoire, capable de fédérer derrière elle tous les États membres, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. En ce qui concerne les Territoires palestiniens, il s'agit désormais d'opérer un saut qualitatif destiné à donner du sens à un investissement financier colossal. Plus largement, l'Union européenne doit faire jouer à plein la dimension régionale en resserrant ses partenariats avec les organisations et les pays voisins de façon à faciliter la relance du dialogue et répondre concrètement aux défis posés.
Cette approche doit permettre à l'Union européenne de renouer un lien distendu avec Israël et les Territoires palestiniens et favoriser la diffusion de son message. Elle a su opérer un tel changement de paradigme avec l'Égypte ou l'Algérie. Rien n'interdit donc de penser qu'une évolution du même type est envisageable à l'heure où est lancée une revue des engagements européens sur le conflit israélo-palestinien.
EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 12 juillet 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean-Yves Leconte . - Vous avez bien illustré l'évolution des relations d'Israël avec les pays du groupe de Viegrad. Voir le Premier ministre israélien parrainer une campagne contre George Soros qui fait appel à tous les ressorts de l'antisémitisme de l'entre-deux-guerres illustre un décalage de plus en plus grand, à l'heure du 70 e anniversaire de ce pays, avec ses valeurs d'origine. Les difficultés internes que connaît l'Union européenne se retrouvent dans notre relation collective avec Israël : nous ne sommes pas en mesure de tenir une position collective sur le sujet.
La liberté de circulation des produits ne s'accompagne pas de la liberté de circulation des hommes, et ce dans les deux sens : un citoyen israélien n'a pas le droit d'aller à Ramallah. Un conseiller consulaire de la représentation française, rabbin, en a fait l'expérience en prenant l'initiative de se rendre en Palestine : il y a découvert une réalité que les Israéliens ne soupçonnent pas. Des populations sont confrontées, opposées, sans avoir la possibilité d'échanger sur leur situation réciproque. Tout aussi inquiétante est la situation à Gaza qui pèse sur la sécurité d'Israël, mais aussi sur les mentalités.
Quant aux positions européennes sur les colonies, sont-elles l'alpha et l'oméga de toute solution pour le règlement du conflit ?
M. Simon Sutour , rapporteur . - Les colonies sont une réalité.
M. Jean-Yves Leconte . - Ce ne sont pas les plus riches qui vont dans les colonies, mais les plus pauvres qui n'ont pas les moyens de se loger ailleurs.
M. Simon Sutour , rapporteur . - Le taux de chômage en Israël est de 4 %.
M. Jean-Yves Leconte . - Le faible taux de chômage n'exclut pas l'existence d'une question sociale aiguë. La domination actuelle du Premier ministre repose sur la peur, mais aussi sur l'exploitation de la situation difficile d'une bonne partie des Israéliens.
Le fait que ce rapport soit particulièrement consacré aux relations entre Israël et l'Union européenne illustre bien le caractère particulier de ces relations, qui sont sans équivalent dans la région. Cependant, en termes géopolitiques - je songe notamment à l'accord avec l'Iran - les intérêts de l'Union européenne s'entrechoquent avec ceux d'Israël.
M. Simon Sutour , rapporteur . - On peut en dire autant de l'Égypte...
M. Jean-Yves Leconte . - C'est différent. Très dépendante financièrement de l'Arabie saoudite, l'Égypte a rejoint l'axe que celle-ci forme avec Israël contre l'Iran, mais elle n'en est pas le fer de lance. C'est dramatique, car toute stabilisation dans la région est impossible sans équilibre entre les puissances.
M. Simon Sutour , rapporteur . - Il est assez naturel qu'Israël prenne position contre un pays qui veut le détruire, et le déclare publiquement.
M. Jean-Yves Leconte . - Le veut-il vraiment ? Nos intérêts devraient nous dicter des positions différentes.
M. Jean Bizet , président . - Il est incontestable qu'en dépit de son engagement économique, et dans la recherche-développement, l'Union européenne est absente politiquement, au profit des États-Unis. Je regrette notre absence de cohésion en politique étrangère, et tout particulièrement l'absence de politique énergétique commune dans cette partie du monde, même si le bouquet énergétique reste à la main de chaque État membre. La posture de repli des États-Unis devrait conduire l'Union européenne à se repositionner ; malheureusement, les autorités israéliennes ont un tropisme américain.
Mme Gisèle Jourda . - Ce rapport m'a beaucoup appris, notamment sur l'étiquetage de l'origine des produits. Il nous incite à dépasser les présupposés. La question israélo-palestinienne est un frein à l'octroi d'un partenariat avancé. Je ne vous cache pas que je ne m'en plaindrai pas, tant l'évolution de la situation en Israël, l'escalade même, est inquiétante. L'Europe doit être en phase avec elle-même.
La création d'Israël est issue, comme celle de l'Union européenne, de la Seconde guerre mondiale. C'était une nécessité historique. Mais la colonisation galopante illustre la tournure inquiétante que prend ce pays ; en aucun cas elle ne peut être justifiée, quels que soient les motifs qui l'inspirent.
M. Jean-Yves Leconte . - Ce n'était pas le sens de mes propos. Comprendre n'est pas excuser.
Mme Gisèle Jourda . - Partout des coins sont enfoncés dans le rêve d'une paix à l'européenne. Soyons vigilants face à la montée des populismes et, comme Salomon, gardons les yeux ouverts sur les politiques menées par Israël sans tomber dans la condamnation systématique. Les résolutions des Nations Unies ne suffisent pas. Ce pays est sur une pente inédite. Des populations entières sont emprisonnées, sans accès aux soins, des maisons sont détruites. Ce rapport nous apporte un éclairage précieux.
M. Jean Bizet , président . - Nous avons en effet beaucoup appris.
M. Simon Sutour , rapporteur . - Le plus douloureux, lors de la préparation de ce rapport, a été de constater que l'Union européenne ne pesait pas dans cette affaire. Elle s'est montrée pragmatique en signant un nouvel accord sur la politique de voisinage avec l'Égypte. Avec Israël, l'approche me semble plus épidermique.
Malgré cela, l'accord d'association avec Israël est tout à fait florissant. Les choses évoluent aussi en Europe au-delà du groupe de Viegrad, puisque la Roumanie s'apprête, elle aussi, à déplacer son ambassade à Jérusalem.
Il faut distinguer les colonies religieuses de celles, comme le grand Jérusalem, où l'on va habiter pour des raisons économiques, et qui sont en continuité territoriale avec Israël. Le consulat général de France à Jérusalem fait office d'ambassade pour les territoires palestiniens ; mais il traite aussi des affaires des Français habitant les colonies. 12 000 y vivent. La situation est complexe.
Monsieur le président, ce sont les États-Unis qui préfèrent Israël, et non le contraire. Je terminerai sur une note optimiste : les éléments d'une évolution positive sont réunis. La Cisjordanie est en train de s'intégrer économiquement à Israël et bénéficie de sa croissance économique. N'oublions pas les deux millions d'Arabes israéliens, qui vivent très bien dans ce pays et ont des députés à la Knesset.
Mme Gisèle Jourda . - C'est quand même leur pays d'origine !
M. Simon Sutour . - De gigantesques champs gaziers entre Chypre, le Liban, Israël, la Palestine et l'Égypte ont été découverts. Israël a commencé l'exploitation de celui de Leviathan. Chypre devrait suivre dans deux ans. L'Égypte pourrait, grâce à cette ressource, atteindre l'indépendance énergétique. Certes, les relations avec l'Union européenne sont difficiles, mais certains États membres sont engagés dans des partenariats : un projet de pipeline porté par la Grèce, Chypre et Israël amènera le gaz de ce champ en Italie. Citons aussi les manifestations culturelles comme la saison croisée France-Israël de 2018, et le 70 e anniversaire de l'État d'Israël auquel ont participé une cinquantaine de parlementaires français.
Le développement de Gaza serait encouragé par une zone de libre-échange en commun avec l'Égypte.
M. Jean Bizet , président . - Nous publierons un communiqué à l'occasion de la parution de ce rapport. Il est illusoire de penser que l'Union européenne récupèrera rapidement le poids politique qu'elle a perdu ; en revanche, elle doit structurer son poids économique, en mettant l'accent sur l'énergie.
M. Simon Sutour , rapporteur . - Je suggère que ce rapport soit communiqué au Président de la République et au Président de la Commission européenne.
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À l'issue du débat, la commission des affaires européennes autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.