C. LE RISQUE D'UNE DÉSAFFECTION
Contraintes financières pesantes, responsabilité juridique plus lourde, technicité croissante, rejet plus fort des administrés, entière disponibilité exigée au quotidien, difficultés de reconversion après un mandat, réformes parfois plus subies qu'acceptées par certaines catégories d'élus, telle la recomposition de la carte intercommunale début 2017, etc. Les raisons du malaise des élus locaux ne manquent pas, la désaffection menace et la crise des vocations d'élu point.
À trois ans de la fin de leur mandat, l'Association des maires de France (AMF) avait souhaité sonder le moral des maires. À mi-mandat (2014-2017), un bilan très mitigé a ainsi été dressé. Toujours motivés, parfois en colère, ceux-ci font le point sur leurs projets et témoignent de leurs difficultés au quotidien.
Si 61 % des Français se déclaraient satisfaits de leur maire en 2017, le pourcentage n'en est pas moins en recul, car il était de 72 % au terme du mandat 2001-2008. Illustration de cette évolution inquiétante : « seule une personne interrogée sur deux souhaite que son maire soit réélu en 2020 ». De plus, « trois jeunes sur quatre sont incapables de citer le nom de leur maire », tout comme « un sondé sur deux » sauf dans les petites communes rurales, où la proximité atténue cette distanciation.
Du côté des élus municipaux, le malaise tient à « la baisse des capacités de financement », qui s'explique par « les restrictions budgétaires » issues de la baisse des dotations. Une situation d'autant plus mal vécue que les besoins locaux explosent, que ce soit en matière de voirie, d'éducation, de présence médicale ou de sécurité. Les maires sont donc conduits à opérer des arbitrages budgétaires de plus en plus délicats. Ils regrettent « des marges de manoeuvres très étroites » qui les « incitent à la prudence dans leur gestion quotidienne des priorités » et à « renoncer à certains projets ». Ils estiment « devoir toujours faire mieux avec moins », une formule qui a ses limites, estiment-ils. Avec un paradoxe : « l'abstention aux élections municipales grandit, mais quand nos concitoyens ont un problème, la première porte qu'ils poussent c'est celle de la mairie ».
L'enquête conduite par l'AMF va au-delà. Elle révèle que l'état d'esprit des maires « n'est pas toujours apaisé ». Beaucoup d'entre eux déclarent être « attaqués ou insultés » et regrettent « le manque de reconnaissance par les administrés de leur fonction républicaine ». Malgré leur détermination, l'exercice d'un mandat local est devenu plus ardu sur le terrain et exige une disponibilité totale. Certains témoignages sont particulièrement éloquents, tel celui de la maire d'une petite commune rurale qui confie : « Dans nos villages, les gens appellent à 4 heures du matin pour nous dire que des vaches divaguent au milieu de la route. Idem s'il y a une fuite d'eau quelque part. Chez nous, tout le monde a notre numéro de portable. Depuis mon élection en 2008, pour le bien-être de mes concitoyens, j'ai mis ma vie familiale et personnelle entre parenthèses. Mon interrogation est la suivante : en 2020, y aura-t-il encore des gens pour continuer à se sacrifier et représenter les villages ? » . Elle-même indique qu'elle ne se représentera pas.
Les réponses apportées à la consultation lancée par votre délégation confirment aussi l'existence d'un malaise diffus parmi les élus locaux, qui se traduit par une crise des vocations pour l'exercice des mandats locaux. Au cours de plusieurs des tables rondes organisées par votre délégation, des participants ont évoqué la difficulté, observée lors des municipales de 2014, de constituer des listes complètes. Le député Philippe Gosselin notait : « Le renouvellement de 2014 a fait apparaître des difficultés de recrutement, surtout dans les villes rurales, mais pas tellement dans les villes importantes où la compétition politique est très marquée » . De même, notre collègue Christian Manable indiquait : « lors des élections municipales de 2014, 64 communes n'ont eu aucun candidat, ce qui n'était jamais arrivé dans notre pays. Les candidatures se raréfient. Par ailleurs, je constate dans mon département une multiplication de zizanies aux conseils municipaux, une frénésie de démissions en cours de mandat et une augmentation d'élections partielles ».
Ce constat de lassitude des élus est une réalité avérée, qui résulte de paramètres multiples renvoyant, de près ou de loin, aux conditions actuelles d'exercice des mandats locaux.
Les cinq difficultés les plus importantes citées dans les réponses à la consultation des élus organisée par votre délégation sont : la difficile conciliation du mandat avec la vie professionnelle (13,64 %), le degré d'exigence des citoyens (13,38 %), le risque juridique et pénal (12,65 %), la lourdeur des responsabilités (12,60 %) et enfin la difficile conciliation du mandat avec la vie personnelle (12,29 %).
Ce tableau doit naturellement être nuancé, puisque seuls 43,11 % des répondants ont déclaré avoir rencontré des difficultés pour constituer leurs listes de candidats (contre 31,71 % d'opinions contraires). Selon eux, les trois profils les plus difficiles à mobiliser sont : les moins de 35 ans (31,06 %), les femmes (22,67 %) et les salariés du secteur privé (21,28 %).
De surcroît, la « crise des vocations » semble être assez largement corroborée par le fait que 45,04 % des répondants envisagent de quitter la politique à l'issue de leur mandat (contre 54,96 % d'avis divergents). Les principaux motifs de cette décision sont d'abord de nature objective : il s'agit du temps accordé à la politique au détriment de la famille ou du travail (27,10 % des répondants), ou de l'âge atteint par l'élu (22,10 %). D'autres motifs sont plus subjectifs, comme la conviction d'avoir accompli son devoir civique (22,07 % des répondants) ou, à l'inverse, un sentiment de déception (14,67 %).
Enfin, même si les chiffres doivent être interprétés avec précaution, le nombre de démissions d'élus locaux interpelle. Lors du dernier Congrès des maires, plusieurs associations ont avancé un chiffre : au moins 2 000 élus (maires, adjoints, conseillers municipaux) auraient démissionné depuis leur élection en 2014. Le ministère de l'Intérieur n'a pas confirmé cette donnée, ainsi que l'a rappelé Jacqueline Gourault. Toutefois, ce chiffre paraît plausible dans la mesure où, dans le seul département du Gard, entre 700 et 900 élus municipaux ont démissionné depuis 2014, selon l'Association départementale des maires du Gard. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, plus de 500 élus avaient déjà rendu leur écharpe moins d'un an après leur élection.