E. ÉCHANGES AVEC LA SALLE
René-Paul Savary . - Cette table ronde dessine les prémices de la transformation. Comme l'indique le COR dans ses rapports, le passage vers un régime à points ou un régime à comptes notionnels est envisageable techniquement et juridiquement. Cependant, les expériences italienne, allemande et suédoise montrent qu'une réforme techniquement valable n'est pas pour autant politiquement acceptable.
Sylvie Durand, administratrice Agirc-Arrco et Acoss . - Les inégalités de genre sont un sujet traité souvent trop rapidement. Il est utile à appréhender dans la perspective de la réforme, car notre système de retraite, en dépit des solidarités développées, amplifie les inégalités constatées pendant la carrière au moment de la retraite.
D'après les chiffres du COR en 2015, l'écart de salaire à temps complet mensuel atteint 19 %, quand l'écart de pension pour une carrière complète est porté à 34 % dans le secteur privé. Dans le secteur public, les écarts de rémunération et de pension atteignent 12 %. La question des mécanismes qui amplifient les inégalités entre les femmes et les hommes se pose donc avec acuité.
Enfin, j'aimerais savoir quelle est la part maximale du PIB qui peut être consacrée au financement des retraites.
René-Paul Savary . - Les recettes représentent 13,8 % du PIB et les pensions versées 14 %, soit 330 milliards d'euros. Dans les pays voisins, ce taux est légèrement inférieur, à raison de 10 % du PIB en Allemagne et en Italie, en sachant que les autres pays ont souvent développé un système supplémentaire par capitalisation. Pierre-Louis Bras, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les objectifs à atteindre d'après le COR ?
Pierre-Louis Bras . - J'apporterai une précision technique. Les retraites représentent actuellement 14 % du PIB. Notre système de retraite est très dépendant de la croissance. Dans l'hypothèse la plus défavorable, à savoir une augmentation de la productivité de 1 % par an, ce taux passerait à 14,5 % à l'horizon 2070. Un dérapage majeur de la part des dépenses de retraite dans le PIB est donc exclu. Dans l'hypothèse la plus favorable, à savoir un taux de croissance de 1,8 %, les dépenses de retraite représenteraient 11,7 % du PIB en 2070.
Pour autant, le fait que les dépenses de retraites ne dérapent pas ne signifie pas que leur niveau actuel ne pose pas question. Un taux de 14 % n'est pas nécessairement souhaitable.
La croissance économique et l'incitation au travail sont deux éléments de réflexion. Consacrer 14 % du PIB aux retraites implique des prélèvements sur les actifs. Or si ces derniers sont excessifs, ils pèsent sur l'incitation au travail ou à investir. C'est aussi une question de justice, d'équité et de vision du monde. Le niveau de vie des retraités est actuellement légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population.
On peut vouloir maintenir cette quasi parité ou considérer que ramener le niveau de vie des retraités à 85 % de celui de l'ensemble de la population, comme en Allemagne actuellement, est acceptable. Ces deux visions du rapport de notre société aux personnes âgées sont légitimes. Elles doivent faire l'objet d'un débat collectif. De même, l'âge de départ en retraite est plus précoce d'environ deux ans en France par rapport à ses voisins. On peut souhaiter vouloir réduire cet écart ou le maintenir. Après avoir posé les termes des débats, le technocrate que je suis doit se mettre en retrait pour laisser le soin aux politiques et partenaires sociaux de faire valoir leur vision.
Jean-Luc Clément, CFTC . - Quel est le taux de remplacement du dernier revenu envisagé ? La dernière réforme des retraites prévoit 42 années de cotisations, avec un système de décote qui revient à supprimer trois trimestres pour un trimestre manquant, ce qui pénalise les femmes à la carrière incomplète, les seniors arrivés en fin de droit qui ne cotisent plus, et des personnes ayant suivi des études supérieures. Nous ne sommes plus dans une société de plein emploi. Le système de décote étant injuste, la CFTC souhaite son abandon, avec des retraites proportionnelles aux cotisations. Enfin, il convient de s'intéresser à l'espérance de vie en bonne santé : celle-ci régresse.
Pierre-Louis Bras . - Dans le projet de réforme, le nouveau système intègre les surcotes et les décotes. Un départ à 65 ans est moins coûteux pour la collectivité -le système de retraite- qu'un départ à 60 ans.
Un dispositif avec décote et surcote laisse une marge de choix sachant que le choix de tel ou tel est neutre pour la collectivité du moins pour le système de retraites. Il est vrai que l'exercice de cette liberté de choix dépend de la capacité à la mobiliser, capacité différente selon la situation des personnes. Par exemple, le cadre supérieur en tire plus facilement parti qu'une personne invalide ou un senior au chômage.
Yannick Moreau . - Sur le taux de remplacement, les débats font émerger plusieurs idées. Pour les syndicats, le sujet est très important ; pour les organisations patronales, il doit être fixé en fonction du taux de cotisation. En la matière, la loi de 2003 a fixé un objectif, que les lois successives n'ont pas repris. C'est effectivement une question importante. S'il est possible d'adopter des taux de remplacement, des pays comme l'Allemagne raisonnent en objectif de taux de cotisation, ce qui n'exclut pas des dépenses budgétaires. Il convient de tenir compte de l'ensemble des dépenses, en étant conscient que taux de cotisation n'égale pas taux de dépenses. La loi de 2014 a mentionné un taux de remplacement suffisant en citant une référence valable pour l'avenir. Cette préférence est fixée par décret, en fonction des carrières types dans le secteur privé. Nous ne pouvons avoir un seul objectif. Il me paraît souhaitable d'adopter plusieurs indicateurs, car un régime de retraite répond à des objectifs pour les assurés, mais aussi les cotisants. Politiquement, fixer le taux de remplacement au moment du départ en retraite est une question qui a du sens. Elle devra être abordée.
Monique Durand, présidente de la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) et de la Caisse d'assurance vieillesse des professions libérales (CnavPL) . - Yannick Moreau, vous évoquez les particularismes. J'entends le reproche qui peut être exprimé à ce sujet, mais comment les professions libérales pourraient-elles cotiser de manière similaire aux salariés sans avoir le soutien des cotisations d'un employeur ? Rappelons qu'elles assument l'intégralité des cotisations.
Yannick Moreau . - J'ai évoqué les particularismes en abordant les sujets d'universalisme et du rapprochement des droits. On ne peut pour autant ignorer la diversité des situations et des histoires. L'enjeu de la réforme est d'articuler les deux.
Pierre-Louis Bras . - Dans le projet de réforme, il est écrit qu'un euro cotisé donne les mêmes droits, sans qu'il soit affirmé que tous cotisent au même niveau en fonction de leur rémunération. A ce stade, cette question n'est pas tranchée. Le projet laisse ouverte la possibilité de taux de cotisations différents. La règle d'un euro cotisé donnant les mêmes droits implique qu'une cotisation inférieure donne des droits inférieurs. Le sujet du taux de remplacement est donc difficilement abordable sans traiter la question des taux de cotisations.
François-Xavier Selleret . - La promesse du Président de la République, à savoir la convergence des rendements, n'est pas exclusive du maintien de taux de remplacement différents. Dans un régime contributif, le mode d'acquisition des droits individuels est le même, mais la retraite servie reflète les cotisations effectivement versées tout au long de la vie professionnelle. Le rendement individuel est identique, mais le montant de la retraite diffère en fonction de la somme des cotisations versées.
René-Paul Savary . - Nous pouvons tendre vers un régime plus universel sans nécessairement bouleverser l'ensemble. Il existe là aussi des marges de manoeuvre. Un régime universel n'est pas assimilable à un régime unique : la démographie, les avantages, acquis, les différences de prestation, la prise en compte de l'existant induiront nécessairement des différences. Techniquement, un tel régime est envisageable.
Antoine Durrleman . - Parmi les particularités intéressantes du régime des professions libérales, citons la réforme de 2004 qui marque le passage d'un régime en annuités à un régime en points. Elle témoigne d'une volonté de transformation systémique de notre système de retraite. Cet effort, isolé, est prometteur pour d'autres transformations.
Philippe Steck, ancien membre du conseil d'administration de la Cnaf . - Pour l'assurance vieillesse des parents au foyer, les cotisations versées par la Cnaf à la Cnav, d'environ 4 milliards d'euros, ont longtemps été très inférieures aux dépenses pour la Cnav. Des prévisions annoncent une inversion de cette tendance. Des modifications sont-elles envisagées, en sachant que la branche famille est désormais équilibrée, voire excédentaire ?
René-Paul Savary . - La Cnaf contribue au financement du système de retraite et soulève la question de la politique familiale, puisqu'un plus grand nombre d'enfants contribue à l'équilibre d'un système par répartition. L'Allemagne, par exemple, est confrontée à un problème de renouvellement des générations et de soutenabilité du système en raison de son faible taux de natalité. Quelle sera la participation de la branche famille à la branche vieillesse correspondant à des actions de solidarité, différentes d'un régime à l'autre ?
Yannick Moreau . - Les rapprochements entre les différents systèmes constituent un atout de faisabilité pour la réforme envisagée. Dans le cas évoqué, ils n'ont pas été réalisés pour les avantages familiaux et les pensions de réversion, deux sujets sensibles. Malgré de nombreuses réformes, les politiques n'ont pas trouvé le moyen d'intégrer ce sujet dans l'agenda. Il faudra construire des objectifs de politique familiale. Des signes tendent à montrer l'ambition de la France en matière de renouvellement des générations. C'est un élément à concilier avec la politique des retraites. Chez les partenaires sociaux, je ne ressens pas d'hostilité a priori vers une convergence. En revanche, il existe une difficulté à déterminer des objectifs de politique familiale et de convergence des pensions de réversion.
René-Paul Savary . - Dans un système de solidarité par point, nous devrons définir si le point de solidarité est équivalent au point de cotisation.
Yves Chevalier, membre du directoire du Fonds de réserve pour les retraites . - Le futur régime des retraites devra être équilibré. Des récessions, voire des dépressions économiques n'étant pas exclues, nous devrons prévoir des outils pour assurer sa soutenabilité et prévenir la reconstitution d'une dette. Dans l'exemple de l'Agirc-Arrco, je retiens deux points importants, d'une part, la gouvernance stratégique et tactique, d'autre part, les réserves. Pourriez-vous rappeler le rôle de ces dernières par le passé pour gérer les périodes difficiles et diminuer l'effort demandé aux cotisants et retraités ?
François-Xavier Selleret . - Les réserves Agirc-Arrco ont été principalement constituées entre 1998 et 2008, au moment où la situation économique de la France était relativement bonne. A partir de 2009, elles ont été sollicitées dans un contexte de crise économique. Les régimes sont entrés en déficit pour des raisons conjoncturelles et non démographiques. Les réserves ont en partie été reconstituées par les mesures bilancielles décidées par les partenaires sociaux et par une gestion performante et de bon père de famille. Ces dernières années, le rendement de nos réserves, investies à 70 % en obligations et 30 % en actions, a produit un rendement de 5 % par an. En conciliant notre aversion au risque et notre objectif de performance, nous sommes parvenus à dégager des plus-values par la gestion d'actifs. Ces réserves présentent un enjeu économique, stratégique et politique. Pour les nouvelles générations, leur montant et l'exemplarité de leur gestion sont un gage de confiance et de soutenabilité dans le système de retraite par répartition. Les réserves nous permettent de faire face aux crises conjoncturelles et nous les reconstituons en période de croissance.
Pierre-Louis Bras . - L'Agirc-Arrco est effectivement un bon père de famille et même un bon grand-père de famille. Si dans le scénario d'une croissance faible (1 % de croissance annuelle des salaires réels), ses réserves seraient mobilisées et s'épuiseraient en 2050 ; dans tous les autres scénarios, les réserves ne sont pas utilisées et augmentent au rythme du rendement des capitaux placés jusqu'en 2070, elles serviront peut-être aux générations qui vivront leur retraite après 2070. A ce titre, la qualité de sa gestion est à saluer si tant est que le critère de qualité pour apprécier la gestion d'un dispositif de retraite par répartition soit sa capacité à accumuler des réserves.
René-Paul Savary . - Dans les pays européens qui ont mené des réformes, les réserves jouent un rôle essentiel. Elles facilitent la prise de dispositions en cas de crise. En France, elles s'élèvent dans l'ensemble à plus de 100 milliards d'euros avec des disparités selon les régimes. Tous ces problèmes seront à examiner le moment venu.
Une personne du public . - Afin d'avoir une plus grande équité entre les députés et les sénateurs, le régime de retraite de ces derniers sera-t-il aligné avec celui de la fonction publique, comme l'est devenu celui des députés depuis le 1 er janvier 2018 ?
René-Paul Savary . - Le régime de retraite des sénateurs sera étudié à l'instar de l'ensemble des régimes de retraite particuliers. L'enjeu n'est pas de les opposer ou de mettre en exergue les différences au détriment des rapprochements, mais d'accroître l'équité. Aucun régime en France n'a à rougir de l'action déjà menée, qu'il soit parlementaire, des professions libérales ou agricoles.
Philippe Berthelot, vice-président de la CNVP . - Dans le cadre de la réforme du régime universel, quelle peuvent être la place des régimes complémentaires et leur articulation avec un régime de base ?
René-Paul Savary . - La place des partenaires sociaux est prépondérante dans les régimes de retraite et diffère selon l'approche des pays. Certains choisissent une capitalisation gérée par les partenaires sociaux en complément d'un système de retraite par points. Il appartient aux politiques d'en définir les principes. La gestion peut être partenariale. Pour assurer l'acceptabilité politique de la réforme, chacun doit pouvoir y trouver son intérêt.