B. DES SURTRANSPOSITIONS GÉNÉRALEMENT ASSUMÉES MAIS PAS TOUJOURS JUSTIFIÉES
La justification des situations décrites par les réponses à la consultation ont fait l'objet d'analyses attentives, à partir des différentes sources disponibles : travaux parlementaires, études d'impacts, rapports de présentation des ordonnances, contacts avec les administrations concernées.
On peut conclure de cet exercice que la plupart des surtranspositions sont assumées, c'est-à-dire que le Parlement ou le Gouvernement, selon le cas, reconnaît sa volonté d'aller plus loin que les exigences minimales européennes ; mais on peut se demander si toutes ces surtranspositions sont pleinement justifiées, l'appréciation de leur impact économique semblant souvent insuffisante.
1. Des surtranspositions répondant à des objectifs multiples
La plupart des surtranspositions présentées dans la consultation ont été effectuées dans le souci d'assurer le plus haut niveau de protection sanitaire et environnementale dans notre pays. Cet objectif est défendu par la France dans les négociations européennes, mais il est fréquent que la majorité des États membres au Conseil s'entendent sur des mesures moins ambitieuses que celles demandées par elle. La difficulté pour trouver des compromis se traduit souvent par l'ouverture d'options ou de dérogations dans les actes législatifs européens, que la France utilise pour rendre applicable au plan national le standard qu'elle n'a pu imposer au niveau européen. Les surtranspositions qui en découlent desservent souvent nos entreprises ainsi assujetties à des règles plus exigeantes que leurs concurrentes de pays voisins, sans pourtant toujours mieux protéger les Français dès lors que les marchandises provenant du reste de l'Union européenne circulent librement sur notre territoire.
L'ambition française de garantir la meilleure protection sanitaire et environnementale possible a trouvé sa consécration constitutionnelle dans la Charte de l'environnement de 2004 7 ( * ) , qui reconnaît l'atteinte que certains modes de consommation ou de production ainsi que l'exploitation excessive des ressources peuvent porter à la diversité biologique, à l'épanouissement de la personne et au progrès des sociétés.
La philosophie de son article 5 oriente l'action des pouvoirs législatif et réglementaire, notamment au moment de la transposition des actes européens. Il dispose en effet : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Pouvoir évaluer les risques et parer à la réalisation d'un dommage incertain sont deux motivations fréquentes des surtranspositions que la consultation lancée par la délégation aux entreprises et la commission des affaires européennes a permis d'identifier, que ce soit en termes de santé au travail, de préservation de l'environnement ou de protection de la biodiversité.
a) Santé et sécurité au travail
La justification première des surtranspositions constatées en matière de Valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP), destinées à limiter l'inhalation néfaste d'agents chimiques par les salariés est la protection de la santé et de la sécurité au travail. L'Agence nationale de sécurité sanitaire environnementale (ANSES) a la responsabilité de l'organisation de l'expertise relative aux VLEP. Les avis rendus par le comité d'experts indépendants de l'ANSES sont ensuite présentés au Comité d'orientation des conditions de travail (COCT) puis les services de l'État élaborent le texte réglementaire adapté (décret en Conseil d'État si la VLEP a un caractère contraignant, simple arrêté si elle est indicative).
À ce jour, le ministère reprend systématiquement les valeurs limites recommandées par les experts scientifiques. Interrogée sur ce point par votre rapporteur, la Direction générale du travail indique qu'il ressort d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, réaffirmée dans un arrêt du 31 mars 2017 8 ( * ) , qu'il appartient à l'administration de réviser les valeurs limites de référence conformément à l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles.
La Direction générale du travail (DGT) ajoute que « le respect des VLEP doit toujours être considéré comme un objectif minimal de prévention de la santé des travailleurs : il convient donc de réduire l'exposition à un niveau aussi bas qu'il est techniquement possible ». Concernant les poussières de bois susceptibles de provoquer des atteintes respiratoires, la réglementation française, calée sur les conclusions d'un rapport de l'INSERM de 2001, va donc au-delà de la réglementation européenne, en retenant une VLEP cinq fois plus basse que la VLEP européenne et en visant l'ensemble des poussières de bois (durs et tendres) et non pas seulement les poussières de bois durs. S'agissant du chrome hexavalent , qui fait courir un risque de cancer du poumon, l'ANSES a recommandé de fixer la VLEP à la valeur la plus basse actuellement mesurable 9 ( * ) . Dans les réponses de la DGT à votre rapporteur, il est précisé que « cependant, avec cette VLEP cinq fois inférieure à celle du Danemark et des États-Unis, un excès de risque non négligeable subsiste (1 cancer sur 100 exposés). En conséquence, l'agence estime que cette valeur doit constituer une étape dans l'attente de méthodes d'analyse permettant la mesure de niveaux d'exposition plus faibles ».
Le styrène , pour sa part, n'est pas un cancérogène avéré mais il est identifié comme cancérogène possible, la majorité des effets décrits affectant la discrimination des couleurs. Aucune VLEP au styrène n'a été adoptée à l'échelon européen mais, suivant la recommandation de l'ANSES dans son avis de 2010, le Gouvernement a décidé de rendre contraignante la VLEP au styrène à compter du 1 er janvier 2019 par un décret du 23 mars 2016 10 ( * ) et a retenu la VLEP préconisée par l'ANSES, qui est deux fois moindre que celle recommandée par le comité des risques sanitaires et environnementaux placé auprès de la Commission européenne dans son rapport de 2008. La DGT explique que ce facteur de sécurité 2, recommandé par les experts de l'ANSES, est appliqué « pour prendre en compte une possible différence de susceptibilité entre individus ».
Parmi les cas soumis au Sénat et relevant de la protection des travailleurs, on peut également citer les règles en matière de sécurité des machines : si l'annexe I de l'article R. 4312-1 du code du travail reprend fidèlement les termes de la directive 2006/42/CE qui fixe les exigences essentielles en matière de sécurité que tout fabricant de machines doit respecter, il a été rapporté dans le cadre de la consultation que certaines de ces dispositions donnent lieu à des interprétations maximalistes, notamment de la notion de « mauvais usage raisonnablement prévisible ». Certaines entités agissant pour le compte de l'État considèreraient en effet que tout incident ou accident serait dû à l'absence de prise en compte de cette notion par le concepteur de la machine. Cela peut confiner à l'absurde : un fabricant devant prévoir tout « mauvais usage raisonnablement prévisible » de la machine, il aurait par exemple dû « prévoir qu'un utilisateur puisse percer un trou, pour une raison inconnue, dans la carte de contrôle d'un équipement de travail, dégradant ainsi la protection de l'opérateur ». L'application spontanée et large du principe de précaution par les concepteurs de machines, consistant à prévenir la réalisation d'un dommage incertain, est donc ici présumée par l'administration.
b) Préservation de l'environnement et de la santé
La préservation de l'environnement et de la santé motive plusieurs cas de surtransposition, tels que la déclaration annuelle des nanomatériaux, y compris dans le domaine alimentaire ou la publicité de la demande d'autorisation des auxiliaires de fabrication.
Ainsi, la création du registre R-nano résulte-t-elle de l'article 185 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II », portant engagement national pour l'environnement. Il s'agit de la traduction d'une initiative issue du Grenelle de l'environnement (engagement n° 159) et donc d'un choix assumé par le législateur, attentif aux attentes sociétales en matière d'alimentation. L'objectif poursuivi est triple : assurer la traçabilité de ces substances à l'état nanoparticulaire et de leurs utilisations, garantir l'information du public et fournir des données aux organismes scientifiques en charge de l'évaluation des risques. La direction générale de la prévention des risques du ministère de la transition écologique et solidaire, interrogée par votre rapporteur, relève que dans les autres États membres qui n'ont pas créé un tel registre, les organismes scientifiques éprouvent des difficultés à travailler sur l'évaluation des risques en ce domaine et que les entreprises en aval de la chaîne de déclaration (utilisateur, distributeur) ont pu obtenir de leurs fournisseurs des informations sur ces substances dont elles ne disposaient pas auparavant. La France, avec l'appui de la Belgique et du Danemark qui sont les seuls pays à avoir pris cette initiative isolée, continue de défendre l'instauration d'un registre européen.
C'est également au titre de la préservation de l'environnement et de la santé que la France requiert une demande (publique) d'autorisation pour certains auxiliaires technologiques alimentaires , produits qui interviennent dans le processus de fabrication mais ne se retrouvent que sous forme de trace dans le produit fini. Pourtant, les produits fabriqués ailleurs en Europe en utilisant de tels auxiliaires entrent en toute liberté en France sans être soumis à cette procédure d'autorisation.
On peut aussi supposer que l'interprétation restrictive que la France a retenue pour la notion d'« article » pour l'application du règlement REACH est motivée par le souci de permettre l'évaluation des risques et de parer à tout dommage à l'environnement : cela doit en effet permettre un suivi des substances chimiques qui sont présentes dans chaque article constituant des objets complexes et dont la concentration dépasse 0,1 % de la masse de cet article.
On peut enfin citer le cas emblématique de l'ambition française en matière de qualité des eaux avant 2015 comme l'illustration de la priorité donnée par notre pays à la préservation de l'environnement par l'élimination des émissions de substances dangereuses. Dans le cadre de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement (Grenelle I), le législateur a ainsi fixé comme objectif à l'État de ne pas recourir aux reports autorisés par la directive (par rapport aux échéances fixées pour la qualité des eaux) pour plus d'un tiers des masses d'eau, ce qui correspondait à un objectif de 66 % des eaux de surface et des eaux souterraines en bon état en 2015.
c) Protection de la biodiversité
L'objectif de protection de la biodiversité est au fondement de la réglementation spécifique dont la France s'est dotée pour l'accès aux ressources génétiques. Ce choix français est justifié par l'étude d'impact accompagnant le projet de loi par le fait que notre pays est à la fois utilisateur et fournisseur de ressources génétiques, quand ses voisins ne sont qu'utilisateurs (hormis l'Espagne qui, comme la France, compte des territoires ultra-marins et, comme elle, a adopté des mesures spécifiques pour réglementer l'accès aux ressources génétiques) : le partage des avantages, prévu par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, répond à une logique de rémunération pour les efforts de préservation de la biodiversité.
d) Protection des consommateurs
Le choix de la protection du consommateur motive également certaines surtranspositions. Ainsi, le maintien en droit national du régime de responsabilité de plein droit des agences de voyage ou des tours opérateurs, lors de la récente transposition de la directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait qui autorise ce maintien, crée une distorsion de concurrence défavorable aux opérateurs français mais assure une meilleure protection des consommateurs français, ce qu'a privilégié sciemment le Gouvernement dans l'ordonnance transposant la directive.
Ce même souci est à l'origine des dispositions de droit national maintenues ou ajoutées en matière de publicité et d'information précontractuelle des souscripteurs potentiels d'assurances hors assurance-vie ou de crédits immobiliers ou à la consommation . L'harmonisation européenne s'est fortement enrichie dans ces matières mais la tradition française de protection des épargnants et des personnes physiques pour prévenir la souscription d'engagements dont les intéressés n'auraient pas pleinement mesuré les conséquences financières est une préoccupation particulièrement forte qui justifie généralement le maintien, voire l'ajout, d'obligations d'informations plus étendues que ne le prévoient les textes européens.
L'accumulation des supports d'information ou des mentions qui doivent obligatoirement figurer dans toute publicité en la matière peut toutefois conduire à l'effet inverse de celui qui est recherché. Découragés à la vue de la quantité de documents qui doivent leur être remis et devant le caractère redondant des informations figurant dans les différents supports, ils peuvent être fortement tentés de ne pas en prendre connaissance. Tel pourrait être l'effet du maintien, par la récente ordonnance de transposition de la directive 2016/97 sur la distribution d'assurances, des deux documents prévus par l'article L. 112-2 du code des assurances auxquels s'ajoute dorénavant le document synthétique prévu par la directive.
Outre le fait qu'elles sont susceptibles de nuire à l'intelligibilité des messages publicitaires et des offres présentées, les mentions supplémentaires dont le code de la consommation impose la reprise dans les publicités pour les crédits à la consommation peuvent susciter le même type de réactions.
Dans certains cas toutefois l'information prévue par le texte européen n'est pas adaptée aux conditions habituellement pratiquées en France, par exemple en matière de modalités de remboursement ou de durée des prêts ce qui justifie des dispositions nationales particulières de présentation d'exemples chiffrés pertinents.
e) Transparence de l'action publique
Dès lors qu'il s'agit de la gestion d'un service public, le droit français considère que la même transparence doit s'appliquer quel que soit le mode de gestion du service. Cette approche explique que les conditions d'appels d'offres soient particulièrement encadrées par l'ordonnance de transposition n° 2015-899 du 23 juillet 2015 dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux , au-delà de ce qu'impose la directive 2014/25 du 26 février 2014. Tel est le cas des règles applicables en matière de vérification des compétences des personnes chargées de l'exécution de certains marchés, d'élimination des offres anormalement basses ou encore d'utilisation du critère unique du prix (article 62-II du décret n°2016-360 du 25 mars 2016).
L' allotissement , destiné à permettre aux PME de candidater sur leur segment de compétences, est assorti d'une interdiction des offres groupées, que n'impose pas la directive, et qui peut conduire, dans certains cas, à des difficultés opérationnelles de gestion ultérieures en raison de la multiplicité des lots et se traduire par un prix global plus élevé de l'ensemble du marché. Le Sénat a toutefois estimé, sur proposition de sa commission des lois 11 ( * ) , lors de la ratification de l'ordonnance, que « les marchés allotis doivent rester le principe car ils constituent les contrats auxquels toutes les entreprises peuvent accéder, y compris les PME ». En conséquence, il a supprimé le dispositif des offres variables retenu par l'ordonnance qui aurait permis à de grands groupes de proposer des « prix de gros » et d'obtenir un avantage concurrentiel disproportionné. Il a en outre renforcé les obligations de motivation applicables aux acheteurs publics décidant de ne pas allotir un marché.
Le souci de transparence de l'action publique a par ailleurs conduit l'ordonnance de 2015 à imposer la publicité de l'offre retenue pour les marchés publics dont le montant excède 25 000 euros, tandis que l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 a prévu la mise à disposition des informations essentielles sous un format ouvert pour les contrats de concession conclus à partir du 1 er octobre 2018. Ces obligations, qui ne sont pas prévues par les directives de 2014, portent en particulier sur le montant et les principales conditions financières du marché.
2. L'insuffisante pondération de l'impact économique
De nombreuses surtranspositions apparaissent légitimes au regard des risques pour la santé, l'environnement, la biodiversité ou les consommateurs qui découleraient d'une application stricte des seules exigences européennes. Toutefois, la dénonciation, par les entreprises, du préjudice en résultant pour elles amène à se demander si, dans la balance des risques, les conséquences économiques s'attachant à de telles surtranspositions ont toujours été bien pesées.
Une telle approche serait d'ailleurs pleinement conforme à la charte de l'environnement qui dispose que « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » et dont l'article 6 précise que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. » Le développement économique participe donc du développement durable qui est ici consacré comme objectif des politiques publiques. Le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, avait d'ailleurs déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi constitutionnelle, que le Sénat a adoptée le 28 mai 2014, afin d'affirmer plus nettement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation, puisque sa bonne application repose, en fait, sur le développement des connaissances scientifiques et de l'innovation, et afin de préciser que les mesures de précaution doivent être prises à un coût économiquement acceptable .
Or, certains éléments d'information recueillis éveillent des doutes sur la place accordée au développement économique dans les arbitrages rendus en faveur des surtranspositions, aussi bien par le Gouvernement que par le Parlement. Ainsi, l'évaluation de l'impact économique de la mise en place de la réglementation française spécifique pour l'accès aux ressources génétiques a-t-elle été suffisamment poussée ? Dans l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, le Gouvernement faisait valoir que cette réglementation apporterait au secteur pharmaceutique une sécurité accrue et aurait un impact positif sur son image. Aucune estimation sérieuse des surcoûts et du risque de délocalisation de la R&D induits par la réglementation française n'a été apportée au débat lors de l'examen du projet de loi de ratification de l'ordonnance par le Sénat en juillet 2015.
De même, la Direction générale du travail (DGT), à qui votre rapporteur a demandé si l'impact économique, en termes de coûts d'investissement et de risques de délocalisation, de la sévérité de la VLEP aux poussières de bois avait été étudié, lui a répondu qu'elle « ne possède pas de données sur l'impact économique 12 ( * ) ». Votre rapporteur estime qu'il n'est pas normal que le décideur n'ait aucune notion de l'impact économique des décisions qu'il envisage de prendre. La décision politique ne peut en effet se limiter à reprendre, telles quelles, les recommandations des experts scientifiques, sans égard à leurs conséquences pour l'emploi ni souci de leur applicabilité réelle donc de leur efficacité. Alors que le Gouvernement a décidé de réduire en 2005 la VLEP aux poussières de bois, une campagne de contrôle en 2008 a révélé que moins d'un tiers des entreprises concernées évaluaient le risque d'exposition aux poussières de bois et que la VLEP était très souvent dépassée.
L'applicabilité de la règle ne semble pas non plus avoir été suffisamment évaluée par l'administration française quand elle a fait prévaloir une approche très exigeante de la notion d'article pour l'application du règlement REACH, approche qu'il semble difficile de voir appliquer dans des secteurs comme l'automobile ou l'aéronautique, pour chacune des multiples pièces entrant dans la composition de leurs produits.
Ces questions de coût d'application, voire même d'applicabilité de la règle, semblent occultées dans le processus décisionnel. Comme le souligne la DGT, même avec une VLEP au chrome VI cinq fois plus faible en France qu'aux États-Unis, « un excès de risque non négligeable subsiste (1 cancer sur 100 exposés). En conséquence, elle estime que cette valeur constitue une étape dans l'attente de méthodes d'analyse permettant la mesure de niveaux d'exposition plus faibles ». L'approche exclusivement scientifique plaide en effet pour minimiser le risque pour la santé des travailleurs, à tout prix semble-t-il. Jusqu'où aller pour éradiquer le risque, alors même que le risque zéro n'existe pas ? Si la santé des travailleurs est une priorité que nul ne saurait discuter, la pérennité de leur travail, susceptible d'être fragilisée par des normes appelées à être toujours plus strictes, ne devrait-elle pas aussi être une source de préoccupation 13 ( * ) qui entre en ligne de compte dans la prise de décision?
Se disant conscient des difficultés, pour les entreprises, de respecter les VLEP, le Gouvernement fait valoir qu'il leur laisse en général plusieurs années pour anticiper la sévérité accrue de la réglementation et adapter leur processus industriel. Il n'est pas sûr que cette temporisation suffise à éteindre le procès en légitimité de certaines décisions politiques aux conséquences économiques non mesurées.
Cette pratique française peut être utilement comparée à la situation qui prévaut en Allemagne comme au Royaume-Uni, où toute surtransposition est interdite, sauf si elle est favorable aux entreprises nationales et dûment justifiée 14 ( * ) . Le rapport remis au ministre de l'économie en mars 2016 sur les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables 15 ( * ) recommandait précisément, en cas de marge de manoeuvre offerte par le texte européen, de se caler systématiquement sur le niveau le plus favorable à la compétitivité de notre économie.
* 7 Cette charte résulte de l'article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005.
* 8 « Considérant qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier soumis au Conseil d'État que les autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels auraient pu être informées, avant le 8 juin 2015, de ce que l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles nécessiterait de réviser les valeurs limites de référence fixées à l'article R. 4222-10 du code du travail pour les poussières alvéolaires ; que si une telle information établit ainsi qu'à la date du refus attaqué l'administration était dans l'obligation d'engager la révision de ces valeurs, il n'est pas établi en revanche, compte tenu notamment de la technicité de la matière qu'elle était dès cette date également en mesure de fixer de nouvelles valeurs limites de référence ; que par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse née le 6 juillet 2015 par laquelle, sans refuser d'engager la révision des dispositions de l'article R. 4222-10 du code du travail, le ministre a seulement refusé, à cette date, l'abrogation de ces dispositions pour leur remplacement par de nouvelles dispositions, n'est pas entachée d'illégalité ».
* 9 VLEP 8 heures fixée à 1ug/m 3 par le décret n° 2012-746 du 9 mai 2012.
* 10 Décret n° 2016-344.
* 11 Rapport n° 477 (2015-2016) fait par M. André Reichardt au nom de la commission des lois sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
* 12 De même, lors de l'examen par le COCT du projet de décret fixant une VLEP contraignante pour le styrène, le 2 février 2005, dont le compte rendu a été transmis à votre rapporteur, les représentants des entreprises posent la question de la faisabilité économique et technique de cette nouvelle réglementation, mais n'obtiennent pas d'élément précis de réponse.
* 13 Selon les enquêtes SUMER 2003 et 2010, 108 000 travailleurs sont exposés au chrome VI, en particulier dans la métallurgie, et 370 000 aux poussières de bois, notamment dans le BTP.
* 14 Cf. p. 122 du rapport d'information n° 2268 (2014-2015) de l'Assemblée nationale présenté par Mme Laure de La Raudière, présidente, et M. Régis Juanico, rapporteur, au nom de la mission d'information sur la simplification législative, octobre 2014.
* 15 Inspection générale des finances, Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, Rapport sur les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables , établi par MM. Julien Dubertret, Philippe Schil, et Serge Catoire, mars 2016.