Rapport d'information n° 551 (2017-2018) de M. Martial BOURQUIN , fait au nom de la mission commune d'information sur Alstom, déposé le 6 juin 2018

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N° 551

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juin 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays (1) relatif à la stratégie industrielle du pays ,

Par M. Martial BOURQUIN,

Sénateur

(1) Cette mission d'information est composée de : M. Alain Chatillon , président ; M. Martial Bourquin, rapporteur ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Fabien Gay, Claude Kern, Franck Menonville, Didier Rambaud, Dany Wattebled , vice-présidents ; Mme Viviane Artigalas, MM. Jean-Pierre Corbisez, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Alain Joyandet, Mme Fabienne Keller, MM. Guy-Dominique Kennel, Daniel Laurent, Mme Valérie Létard, MM. Jean-François Longeot, Frédéric Marchand, Franck Montaugé, Cyril Pellevat, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, M. Cédric Perrin, Mme Sophie Primas, M. Michel Savin, Mme Michèle Vullien.

Mesdames, Messieurs,

Dans le premier volet de ses travaux, la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays avait souhaité examiner un cas concret et emblématique de l'évolution d'une entreprise industrielle française : Alstom.

Il s'agissait d'analyser l'action des pouvoirs publics tant face au démantèlement d'un groupe industriel jadis puissant car congloméral - la Compagnie générale d'électricité - qu'au regard de la prise de contrôle annoncée d'un fleuron de l'industrie ferroviaire française par un acteur étranger. Les travaux menés à partir de décembre 2017 ont permis à votre mission de mieux percevoir le rôle joué par l'État , en raison tant de ses orientations stratégiques que de ses interventions opérationnelles, et de proposer des mesures destinées à accompagner le rapprochement d'Alstom et de Siemens dans un sens plus profitable aux intérêts industriels nationaux. 1 ( * )

Néanmoins, dès le départ, l'ambition de la mission d'information a été, conformément à la demande du groupe socialiste et républicain qui en avait sollicité la création, 2 ( * ) de prendre en considération la situation de l'ensemble de l'industrie française et des entreprises - grandes entreprises, entreprises de taille intermédiaire ou petites et moyennes entreprises - qui lui donnent vie . C'est dans cette perspective qu'ont été menés ses travaux jusqu'à mai 2018.

En six mois, la mission - par le biais de travaux en formation plénière ou en format plus restreint 3 ( * ) - a ainsi pu s'entretenir avec 150 personnes rencontrées au cours de 49 auditions au Sénat ou à l'occasion de déplacements en France , en Allemagne et en Belgique . 4 ( * ) Ces échanges avec des acteurs de l'industrie ou du monde de la finance, des représentants des salariés et des pouvoirs publics, ainsi que des juristes et des économistes ont permis aux membres de la mission de mieux cerner l'état de l'industrie française et les défis auxquels elle est confrontée, pour formuler, dans un second temps, des recommandations de nature à en restaurer la vitalité et la puissance.

À cet égard, la mission doit souligner que bon nombre des constats et des orientations, formulés dès 2011 par la mission d'information de notre assemblée sur la désindustrialisation des territoires, demeurent d'actualité 5 ( * ) . Si l'on peut noter une amélioration de la situation de l'industrie en France depuis 2011, celle-ci reste en effet pour l'essentiel de nature conjoncturelle, malgré quelques facteurs d'amélioration structurels. Surtout, les défis de la mondialisation et des nouvelles technologies sont encore plus prégnants en 2018 qu'alors, rendant indispensable la définition d'une nouvelle stratégie industrielle des pouvoirs publics .

Au cours des vingt dernières années, en effet, notre industrie a connu une mutation profonde : des groupes qui constituaient le socle de sa puissance ont été démantelés et vendus à la découpe, tandis que plusieurs de nos fleurons nationaux sont devenus des entreprises contrôlées par des capitaux étrangers. Cette évolution , qui s'est renforcée récemment 6 ( * ) , n'est sans doute pas étrangère au manque de compétitivité de notre industrie, à raison tant des choix de politiques publiques discutables opérés en France que d'une exacerbation de la concurrence internationale.

*

Au terme de ses travaux, la mission tient à affirmer solennellement que la France doit croire en son industrie et que l'avenir de son industrie se situe sur le territoire français .

Si l'on ne peut que constater la forte désindustrialisation de la France - que l'on raisonne en termes de valeur ajoutée ou d'emplois - la mission est convaincue que celle-ci n'a rien d'irrémédiable . La rupture technologique liée à l'irruption de la digitalisation et de la numérisation dans les processus de production et dans les produits eux-mêmes, associée à la mondialisation des marchés , créent en effet une occasion sans précédent pour l'industrie française de revenir au rang qu'elle a perdu au cours des trente dernières années .

En outre, ce renouveau industriel français peut avoir lieu sur le territoire français. Il n'y a plus guère aujourd'hui de personnes disposées à défendre l'idée en France d'une « industrie sans usine », et votre mission ne peut que s'en réjouir, tant les effets de cette utopie ont été dévastateurs pour notre tissu industriel. Pour autant, certains doutent encore de la capacité de notre pays à conserver ses centres de production, et plus encore d'en créer de nouveaux. En effet, l'avenir de l'industrie en France n'est pas seulement celui de l'implantation de ses centres de décision sur notre territoire. Il est aussi celui du maintien d'unités de production transformées par les nouvelles technologies - robotisation, fabrication additive, numérisation - voire de la relocalisation de certaines productions que l'usage de ces technologies rendra plus compétitives qu'aujourd'hui et que la proximité d'approvisionnement pourra rendre stratégique.

Pour y parvenir, des obstacles doivent néanmoins être levés .

Le premier d'entre eux est d'ordre culturel et psychologique : les Français doivent aimer à nouveau leur industrie.

La mauvaise image de l'industrie en France n'est sans doute pas étrangère aux difficultés que rencontre cette dernière. Lorsque l'on parle de l'industrie, seules les images - terribles - de la fin du XIX e ou de la première moitié du XX e siècle demeurent dans les esprits. Pourtant, l'industrie a fortement évolué depuis cette période, tant dans les tâches qui sont demandées aux salariés qu'elle emploie dans ses sites de production que dans leurs conditions quotidiennes de travail. Les métiers dans l'industrie sont aujourd'hui plus qualifiés et mieux rémunérés qu'alors.

Malgré cela, l'industrie rebute encore. Nos meilleures écoles continuent de former des ingénieurs qui, pour l'essentiel, se tourneront vers d'autres secteurs pour exercer leur vie professionnelle. Quant aux voies d'enseignement susceptibles de former l'essentiel de la main-d'oeuvre des sites de production, elles restent durablement affectées d'une image dévalorisée - du reste sans doute plus chez les parents que chez leurs enfants. Il en résulte que, parmi les métiers en tension en France aujourd'hui, nombreux sont ceux qui relèvent du secteur industriel.

En outre, l'industrie reste encore marquée par l'histoire du capitalisme qui, en France comme à l'étranger, s'est longtemps confondue avec celle de groupes industriels de nature conglomérale, en filiation avec les « maîtres de forges » du XIX e siècle. C'est cependant oublier que l'industrie en France ne se limite pas aux grandes entreprises et que c'est au contraire grâce à un tissu renforcé de PME et d'entreprises de taille intermédiaire que notre pays retrouvera ses pleines capacités de production locale . Définir une politique industrielle en France en 2018, c'est donc moins aider les grands groupes que renforcer les « pépites » qui pourront par la suite se hisser au rang des grandes entreprises industrielles françaises.

Enfin, le visage de l'industrie a à ce point changé que la notion même d'industrie manufacturière et la distinction traditionnellement opérée avec les services sont de plus en plus contestées. L'industrie ne produit plus seulement des biens, elle y associe désormais toute une gamme de services , traduisant une évolution globale de l'économie vers une économie de l'usage , dans laquelle les business models fondés sur la propriété d'un bien s'estompent au profit de ceux fondés sur sa seule utilisation ponctuelle. Or, ce passage à une « conception servicielle de l'industrie », selon l'expression utilisée par Pierre Veltz, chercheur en économie et sociologie, ancien directeur de l'École des Ponts-et-Chaussées, au cours de son audition par la mission, est encore largement ignoré des Français, alors même qu'il accroît considérablement le champ de l'activité industrielle et les fonctions que les salariés de l'industrie peuvent exercer.

Votre mission appelle donc à un changement des mentalités vis-à-vis de son industrie, qui seul pourra enclencher une dynamique vertueuse de recréation de l'emploi industriel en France.

Les autres obstacles sont liés à l'orientation et à l'application de nos politiques publiques . La France a certes une politique industrielle et Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, a insisté devant votre mission sur le fait que l'État disposait d'une réelle stratégie en la matière. De fait, dans un environnement concurrentiel exacerbé au niveau mondial, les États doivent rester des acteurs de premier plan pour favoriser la réussite de leurs entreprises, en formalisant notamment un cadre juridique favorable à leur activité mais également en exerçant des actions d'accompagnement et de soutien .

Néanmoins, comme l'a mis en exergue la mission dans le premier volet de ses travaux 7 ( * ) , en France, l'État a fait le choix dans les années 1990 d'abandonner les politiques industrielles « verticales » qui lui avaient permis de constituer des champions français dans plusieurs secteurs, pour ne conserver que des politiques « horizontales », dont l'objectif est d'offrir un cadre économique et normatif propice à la compétitivité des firmes et à l'attractivité du territoire, et de faire confiance aux entreprises pour investir sur les bons marchés et dans les bonnes technologies.

La mission n'entend évidemment pas suggérer de revenir à un interventionnisme économique tel que la France en a connu au cours des Trente glorieuses, et souhaite laisser les entreprises industrielles maîtresses de leurs stratégies de développement . Mais il ressort des travaux qu'elle a conduits que l'action de l'État - et plus largement des pouvoirs publics - doit également comporter une dimension microéconomique plus affirmée afin d'accompagner le tissu industriel national, sans renoncer à mettre en place des mécanismes d'incitation ciblés dans certains domaines jugés plus stratégiques du point de vue de la Nation .

Cette stratégie renouvelée ne peut intervenir que dans un cadre collaboratif plus affirmé avec les différentes parties prenantes de l'industrie et porter sur des leviers de natures différentes mais nécessairement complémentaires .

C'est au regard de cet objectif que votre mission, à l'initiative de son président et de votre rapporteur, a adopté 45 propositions qui s'ordonnent autour de quatre priorités :

- renouveler la vision stratégique des pouvoirs publics en faveur de l'industrie ;

- mettre en place des outils de financement favorables au développement de l'industrie ;

- revaloriser l'image de l'industrie et développer les formations aux métiers de l'industrie ;

- encourager les logiques coopératives et mieux inscrire les politiques industrielles dans les territoires.

*

Votre mission veut croire que ces mesures, qui tendent à créer un écosystème complet favorable à la croissance de notre industrie , permettront de faire gagner la France dans la nouvelle révolution industrielle.

Elle souhaite en conséquence que les propositions de nature législative qu'elle formule puissent être reprises dans les prochains textes relatifs au droit des entreprises. Elle invite par ailleurs le Gouvernement à mettre en oeuvre au plus vite les actions qui relèvent de sa compétence pour que l'industrie française reprenne toute sa place dans le concert des nations industrielles.

LES 45 PROPOSITIONS DE LA MISSION

I. Renouveler la vision stratégique de l'État et des pouvoirs publics en faveur de l'industrie

1) S'appuyer sur des axes de développement favorables à notre industrie

- Retenir comme axes de développement de l'industrie française des domaines transversaux , notamment les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités, ainsi que les secteurs déjà porteurs de notre économie , notamment l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé ( Proposition n° 4 ).

- Favoriser l'utilisation de la normalisation volontaire française comme un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux ( Proposition n° 3 ).

- Accélérer le déploiement de l'industrie du futur notamment :

- en renforçant les moyens financiers et humains de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner 10 000 à 15 000 PMI et ETI dans leur mutation technologique ;

- en favorisant le développement, dans les territoires, de « démonstrateurs » d'usine du futur au moyen de financements mixtes, afin de diffuser les solutions « 4.0 » dans l'ensemble du tissu industriel ( Proposition n° 17 ).

2) Dynamiser l'outil actionnarial de l'État

- Associer directement le Parlement à la définition et à la mise en oeuvre de la stratégie de l'État actionnaire , en informant et consultant périodiquement les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale de la stratégie de cession ou d'acquisition d'actifs qu'elle entend mener ( Proposition n° 30 ).

- Redéfinir le niveau des participations de l'État dans certaines entreprises, pour mieux investir directement les sommes résultant de la vente de ces actifs dans des activités stratégiques pour l'industrie , sans les reverser nécessairement au fonds pour l'innovation de rupture annoncé par le Gouvernement dont le rendement pourrait s'avérer moindre que celui des participations actuelles ( Proposition n° 31 ).

- En cas de désengagement partiel de l'État d'entreprises stratégiques, mettre en place des mécanismes préservant les prérogatives de l'État actionnaire en matière d'information, de contrôle et de décision ( Proposition n° 32 ).

- En cas de désengagement complet de l'État, rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France ( Proposition n° 33 ).

- Mieux formaliser les interventions respectives de l'APE et de Bpifrance et favoriser l'action de cette dernière dans sa stratégie d'accompagnement et d'envol des entreprises engagées dans une sortie progressive de l'État actionnaire ( Proposition n° 34 ).

3) Protéger l'industrie des comportements étrangers prédateurs

- Élargir la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers aux domaines en lien avec la révolution technologique, notamment le stockage et la sécurité des données, l'intelligence artificielle, les semi-conducteurs, ainsi qu'au domaine spatial, et assurer sa révision périodique , au vu de l'évolution des technologies et des secteurs économiques ( Proposition n° 35 ).

- Établir une cartographie précise des entreprises qui présentent en France un caractère stratégique, y compris les PME et les ETI, en s'appuyant notamment sur la connaissance du tissu industriel local par les services déconcentrés de l'État ( Proposition n° 36 ).

- Ne pas hésiter à imposer des mesures de gouvernance dans les entreprises particulièrement stratégiques faisant l'objet d'un investissement étranger , notamment l'exclusion de l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions ou la mise en place d'un « superviseur » indépendant au sein de l'entreprise ( Proposition n° 37 ).

- Favoriser la présence d'administrateurs salariés, sur le modèle allemand ( Proposition n° 38 ).

4) Utiliser la commande publique pour conforter l'industrie française

- Tirer profit des règles des marchés publics , dans le respect du droit de l'Union européenne, afin qu'ils bénéficient pleinement aux entreprises industrielles implantées en France, et tout particulièrement aux PME ( Proposition n° 40 ) .

- Édicter au plus vite les mesures réglementaires d'application de l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics ou, à défaut, engager immédiatement une réflexion pour définir un mécanisme de réciprocité susceptible d'être effectivement mis en oeuvre ( Proposition n 41 ) .

5) Développer une stratégie européenne forte en faveur de l'industrie

- À l'heure où certains États ont décidé de rompre avec la logique du multilatéralisme, appeler les États membres à unir leurs efforts et soutenir pleinement les initiatives de l'Union européenne visant à faire respecter par les États tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping ( Proposition n° 1 ).

- Inviter la Commission européenne à une plus grande prise en considération, dans l'application de la réglementation relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte mondialisé où les entreprises doivent avoir une taille critique pour rivaliser avec les géants industriels implantés hors de l'Union européenne ( Proposition n° 2 ).

- Soutenir une initiative européenne forte et rapide afin de favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne, et d'envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale ( Proposition n° 39 ) .

II. Mettre en place des outils de financement favorables au développement de l'industrie

1) Donner à l'industrie un environnement fiscal porteur

- Prévoir des diminutions de cotisations patronales qui pourraient aller jusqu'à 3,5 SMIC pour certains emplois particulièrement exposés à la concurrence internationale ( Proposition n° 5 ) .

- Étudier des modifications d'assiette des impôts de production pour améliorer la compétitivité de l'industrie française, sous réserve de ne pas engendrer de pertes de recettes pour les collectivités territoriales ( Proposition n° 6 ) .

- Assouplir le « Pacte Dutreil », notamment :

- en alignant les seuils minimums de détention du capital à 20 %, afin de faciliter la transmission familiale des entreprises ;

- en assouplissant les règles de détention de participations par les holdings familiales instaurées dans le cadre de ce pacte, afin d'en faire des instruments de gestion plus dynamiques ouverts à d'autres entreprises ( Proposition n° 7 ).

- Sanctuariser le crédit d'impôt recherche dans son périmètre actuel, tout en conditionnant son bénéfice à un maintien d'activité sur le territoire national pendant au moins cinq ans afin de mettre un terme à des comportements de pure optimisation fiscale menés par certains groupes, notamment étrangers ( Proposition n° 8 ).

- Rétablir dans les meilleurs délais un dispositif fiscal de suramortissement ciblé sur les PME industrielles pour accélérer leur équipement en solutions technologiques propres à l'industrie du futur ( Proposition n° 9 ).

2) Mobiliser l'épargne en faveur de l'industrie

- Mettre en place un « livret d'épargne industrie » défiscalisé ( Proposition n° 10 ).

- Orienter davantage le PEA vers l'industrie , le cas échéant en le fusionnant avec le PEA-PME, tout en renforçant son attractivité en appliquant un abattement sur les droits de mutation à titre gratuit en cas de décès et en ouvrant la possibilité d'y investir après 70 ans ( Proposition n° 11 ).

- Pour développer la participation et l'intéressement dans un objectif de meilleure répartition des profits des entreprises, simplifier les dispositifs applicables dans les TPE et PME, et assouplir le plafond de 10 % du capital social applicable en cas d'attribution gratuite d'actions ( Proposition n° 12 ) .

- Afin de rendre plus incitative la détention d'actions par les salariés :

- mener à bien la suppression du forfait social pour la participation et l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés et pour l'intéressement dans les entreprises comprises entre 50 et 250 salariés ;

- exonérer d'impôt sur le revenu au-delà de 8 ans de détention les gains de cession des actions gratuites détenues par les salariés ( Proposition n° 13 ).

3) Assurer la cohérence et un niveau de financement suffisant aux entreprises industrielles

- Maintenir un effort budgétaire soutenu pour permettre à Bpifrance d'assurer un niveau élevé de financement courant de l'innovation et de son activité de garantie des prêts bancaires ( Proposition n° 15 ).

- En cas de création d'un « fonds pour l'innovation de rupture », assurer la cohérence de sa gouvernance avec celle des autres dispositifs de soutien à l'innovation et la complémentarité de son action avec ces derniers ( Proposition n° 14 ).

- Pour favoriser le recours aux actions de préférence dans le cadre de l'ouverture du capital des sociétés, prévoir que leur rachat puisse intervenir à l'initiative de l'émetteur ou du détenteur de ces actions ( Proposition n° 16 ).

III. Revaloriser l'image de l'industrie et développer les formations aux métiers de l'industrie

- Favoriser la mise en place d'une cartographie plus fine des besoins de l'industrie en matière d'évolution des compétences au niveau des territoires et des bassins d'emploi, en s'appuyant notamment sur les pôles de compétitivité ( Proposition n° 20 ).

- Simplifier et rendre plus flexible le système d'apprentissage, en renforçant l'implication des entreprises industrielles et des pôles de compétitivité dans le contenu des formations ( Proposition n° 18 ).

- Développer les outils pédagogiques rapprochant les jeunes de métiers d l'industrie, notamment :

- en favorisant l'essor des campus des métiers et des qualifications et en créant des « classes d'excellence » ;

- en prenant appui sur les écoles d'entreprises pour développer l'offre de formation au niveau de la filière, là où ces établissements existent déjà, et favoriser la création de ce type d'établissements dans les filières qui en sont à ce jour dépourvues ( Proposition n° 19 ).

- Faire des métiers de l'industrie un axe prioritaire du Plan d'investissement dans les compétences ( Proposition n° 21 ).

IV. Encourager les logiques coopératives et mieux inscrire les politiques industrielles dans les territoires

1) Prendre appui sur les dynamiques collectives des acteurs

- Veiller à mieux intégrer les PME ainsi que les pôles de compétitivité aux travaux du CNI et des comités stratégiques de filières afin de prendre en considération l'ensemble des acteurs des filières, en amont comme en aval ( Proposition n° 24 ).

- Veiller à éviter le fonctionnement « cloisonné » des filières et évaluer régulièrement les impacts de la politique des filières sur le développement industriel ( Proposition n° 25 ).

- Réaffirmer le rôle majeur des pôles de compétitivité pour la mise en oeuvre des actions de l'État en faveur de l'industrie, notamment dans le cadre des stratégies de filières ( Proposition n° 26 ).

- Conserver un maillage fin du territoire en favorisant la mise en « réseau » des pôles de compétitivité , qui doivent être incités à mutualiser leurs compétences thématiques ( Proposition n° 27 ).

- Mettre un terme au désengagement financier de l'État en faveur des pôles de compétitivité tout en favorisant davantage, dans le cadre d'une logique pluriannuelle, le financement de projets présentant une dimension de « service industriel » et visant la mise sur le marché des produits issus de l'innovation ( Proposition n° 28 ).

- Développer, au sein des pôles de compétitivité, des « hôtels à projets » afin de favoriser l'innovation technologique en vue d'une mise sur le marché ( Proposition n° 29 ).

2) Développer les politiques publiques territoriales en faveur de l'industrie

- Recentrer l'action des services déconcentrés sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, en concentrant leurs moyens sur certaines actions « clés » destinée à favoriser sa politique d'équilibre des territoires ( Proposition n° 42 ).

- Renforcer les synergies et complémentarités entre les réseaux consulaires et les opérateurs Bpifrance et Business France afin d'offrir aux entreprises industrielles une gamme de services complémentaires et non concurrentiels, déclinés selon leur spécificité d'action ( Proposition n° 43 ).

- Conforter la mise en oeuvre des politiques industrielles des régions par le maintien de relais locaux, le cas échéant en coordination avec les opérateurs de l'État et les chambres consulaires, ainsi que par le développement de synergies interrégionales ( Proposition n° 44 ).

- Intégrer pleinement dans les schémas de cohérence territoriale une stratégie concernant l'immobilier industriel ( Proposition n° 45 ).

3) Renforcer l'accompagnement public à l'export

- Soutenir la réorganisation du service public de l'export qui devrait accroître son efficacité opérationnelle au profit des entreprises ( Proposition n° 21 ).

- Renforcer encore les synergies entre Business France et Bpifrance, notamment en créant à Bpifrance une direction de l'international unique en miroir de la cellule pilotage du département « CAI » au sein de Business France et en conjuguant les outils respectifs des deux opérateurs. ( Proposition n° 22 )

I. L'INDUSTRIE FRANÇAISE CONFRONTÉE À DE LOURDS DÉFIS

A. LE DÉFI DU RETOUR DE L'INDUSTRIE À LA CROISSANCE

1. Trente ans de désindustrialisation en France
a) La part de l'industrie dans la richesse nationale n'a cessé de reculer depuis 1980 et le phénomène s'est aggravé depuis 2000

L'industrie manufacturière représentait 10,2 % du produit intérieur brut (PIB) français en 2016 . En englobant également les industries extractives, l'énergie, l'eau, la gestion des déchets et la dépollution pour parvenir à la catégorie globale de l'industrie telle que l'entend l'Insee 8 ( * ) , l'industrie française représentait 12,6 % de la valeur ajoutée française en 2016 .

Ces deux chiffres sont en net recul par rapport à ceux de l'an 2000 , puisque l'industrie manufacturière représentait cette année-là 14,1 % du PIB français et l'industrie dans son ensemble 16,5 % de la valeur ajoutée nationale . L'évolution est encore plus nette si l'on prend davantage de recul, puisque l'industrie représentait encore 24 % du PIB français en 1980 .

On parle de « désindustrialisation » pour désigner ce phénomène de baisse de la part de l'industrie manufacturière dans le produit intérieur brut (PIB) national et la diminution du nombre d'emplois industriels dans l'emploi total . Et, en l'occurrence, c'est bien ce qu'a connu notre pays.

Ce recul en termes relatifs ne correspond pas à une diminution en termes absolus de la valeur de la production industrielle produite : de 1970 à 2007, le volume de la production industrielle française a doublé. Mais comme, dans le même temps, la valeur ajoutée totale produite en France a augmenté de 160 %, celle de l'industrie s'est considérablement réduite en proportion. Le « déclin » de l'industrie manufacturière est donc avant tout le reflet de la hausse nettement plus rapide de la valeur ajoutée dans les services .

Toutefois, le phénomène de désindustrialisation s'est aggravé ces quinze dernières années puisque, selon la direction générale des entreprises, l'indice de la production manufacturière française a diminué de -14 % entre 2000 et 2016 , période durant laquelle elle a été fortement affectée par la crise économique et financière de 2008-2009, puis par celle de la zone euro à partir de 2010.

PRODUCTION ET VALEUR AJOUTÉE DE L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE EN FRANCE

Indice base 100 en 2010, en volume

Source : Insee, comptes nationaux trimestriels (valeur ajoutée) et indice de la production industrielle.

Dans le même temps, si la production industrielle a également diminué en Italie (-8 % entre 2000 et 2014), elle a en revanche fortement progressé en Allemagne (+ 25 % entre 2000 et 2015).

b) Les raisons de la baisse de la part de l'industrie dans le PIB

Trois phénomènes simultanés sont à l'oeuvre pour expliquer ce phénomène de désindustrialisation qui touche à des degrés divers l'ensemble des pays développés, mais qui est particulièrement marqué en France.

Le premier est l'externalisation d'une partie des activités des entreprises manufacturières vers les services : des prestations qui étaient réalisées par les salariés de l'entreprise industrielle ont été transférées à des entreprises de services spécialisées. De multiples activités sont concernées : marketing, communication, comptabilité, nettoyage, etc.

Le deuxième est la déformation de la demande des consommateurs au profit des services . La productivité augmente plus rapidement dans l'industrie que dans les services et les consommateurs allouent une part croissante de leurs dépenses aux services à mesure que leur niveau de vie s'élève.

Enfin, l'affirmation de la puissance industrielle des pays émergents, en premier de la Chine, ainsi que l'intensification de la concurrence internationale ont été source de pertes de parts de marché à l'international et sur le marché domestique pour l'industrie française , ce qui a accéléré la diminution de la part de l'industrie dans la production nationale .

Pour autant, la concurrence internationale n'est pas la seule cause déterminante de la désindustrialisation. Certes, les économies développées ont un avantage comparatif dans les tâches telles que le design des produits , la R&D , le marketing, alors que les économies en voie de développement ou émergente présentent des avantages comparatifs dans la fabrication industrielle ou l'assemblage de certains produits. Cependant, ce sont bien les éléments immatériels , non pris en compte par les statistiques, qui font la valeur ajoutée de produits industriels tels que des baskets ou un smartphone .

Le phénomène de « désindustrialisation » est commun aux autres grands pays européens , à l'exception de l'Allemagne , dont l'industrie représente en 2016 22,6 % du PIB, soit un chiffre seulement légèrement inférieur à celui de l'an 2000 (23,2 % du PIB). Comme le montre le graphique ci-dessous, la part de l'industrie dans le produit intérieur brut est passée de 19,6 % à 17,3 % pour la moyenne de l'Union européenne, de 17,8 % à 16,3 % pour l'Espagne, de 19,1 % à 16,7 % pour l'Italie et de 17,7 % à 11,8 % pour le Royaume-Uni.

ÉVOLUTION DE LA PART DE L'INDUSTRIE DANS LE PRODUIT INTÉRIEUR BRUT EN EUROPE

Source : direction générale des entreprises.

Ce graphique illustre clairement le fait que la France est aujourd'hui l'un des grands pays européens dont l'industrie a le plus régressé en termes relatifs dans l'économie nationale , seul le Royaume-Uni ayant connu une désindustrialisation plus profonde.

c) La baisse de l'emploi industriel, une réalité indéniable et préoccupante

Si la baisse de la part de l'industrie dans le PIB ne signifie pas nécessairement une diminution en valeur absolue de la production industrielle, elle s'est en revanche systématiquement accompagnée d'une chute très significative de l'emploi industriel au cours des dernières décennies , sous l'effet de gains de productivité du travail plus élevés que dans le reste de l'économie. S'élevant à 2,9 % par an en moyenne entre 2000 et 2015 (contre 0,9 % dans l'ensemble de l'économie), ces gains de productivité très élevés ont été constatés dans la plupart des branches manufacturières et ne s'expliquent pas par l'évolution de la structure sectorielle de l'industrie française.

Conséquence de ces gains, l'emploi industriel a diminué de 25 % depuis l'an 2000 , comme le montre le graphique ci-dessous. Là encore, ce phénomène est commun à tous les pays développés : l'emploi salarié manufacturier direct s'est contracté dans l'ensemble de l'Union européenne (-16 % depuis 2000) et a légèrement reculé en Allemagne (-4 %).

Cette baisse structurelle est en partie compensée par la création de nombreux emplois dans le secteur des services (ingénierie, R&D, logistique, etc.) correspondant à des activités auparavant réalisées en interne par l'industrie et qui ont été externalisées. Au total, selon la direction générale des entreprises (DGE), près d'un million d'emplois dans les services seraient ainsi aujourd'hui dus à l'activité industrielle , ce qui représente une augmentation de 73 % depuis 1978 .

ÉVOLUTION DE L'EMPLOI SALARIÉ DANS L'INDUSTRIE DE 2000 À 2015

Sur plus longue période, l'économiste Lilas Demmou, dans son étude « La désindustrialisation en France », estimait en 2010 que l'industrie avait perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007 , soit 1,9 million d'emplois , ce qui correspond à 71 000 destructions d'emplois par an , dont 17 000 en raison de l'externalisation vers le secteur des services et 21 000 en raison de gains de productivité .

À partir de 2000, pour des pertes à peine inférieures , la contribution de la productivité devient dominante (42 000 emplois par an), l'externalisation ne jouant plus qu'un rôle mineur (3 000 emplois par an). La contribution de la concurrence internationale sur l'ensemble de la période serait quant à elle de 9 000 emplois perdus par an (dont la moitié pour le seul secteur de l'automobile), et le double sur la sous-période 2000-2007.

Le graphique ci-dessous permet de constater que, depuis 2001, le secteur industriel a très rarement créé des emplois salariés nets , alors même qu'il a toujours connu une croissance de la valeur ajoutée produite, même faible, à l'exception de la brutale récession de la période 2007-2010.

ÉVOLUTIONS TRIMESTRIELLES DE L'EMPLOI ET DE LA VALEUR AJOUTÉE DANS L'INDUSTRIE DE 2001 À 2017

Source : Insee.

L'emploi salarié direct résiste toutefois dans certains secteurs forts de l'industrie manufacturière française comme les matériels de transport autres que l'automobile (+ 12 %) et l'industrie pharmaceutique (-1 %).

Depuis 2013, le recul de l'emploi direct est également partiellement compensé par un recours accru à l'intérim , qui représente désormais 9 % de l'emploi total . Cette progression, particulièrement marquée dans l'industrie automobile, reflète les incertitudes quant à l'évolution des besoins en métiers ou compétences industriels ainsi qu'à la pérennité de la reprise dans certaines branches.

d) La part de marché mondiale à l'exportation de l'industrie française a fortement diminué, pour atteindre 3,4 % en 2015

La mondialisation s'est traduite par une accélération des exportations françaises de biens manufacturés , qui ont augmenté de 24 % en volume depuis 2000 9 ( * ) malgré la baisse de la production industrielle enregistrée sur la même période. L'industrie manufacturière française a toutefois faiblement profité de la mondialisation des échanges de biens et de services . Située à 5,3 % en 2000 , sa part de marché mondiale à l'exportation n'a cessé de reculer à partir de 2003 , pour atteindre 3,4 % en 2015 .

Cette dégradation a concerné à la fois les marchés de la zone euro et ceux hors zone euro. Toutefois, si les parts de marché à l'exportation de la plupart des autres pays européens, comme l'Italie et le Royaume-Uni, ont diminué depuis 2000, celle de l'Allemagne s'est stabilisée autour de 10 % , grâce à des exportations beaucoup plus dynamiques qu'en France , alors qu'elles évoluaient au même rythme dans les années 1990.

La mondialisation des échanges s'est accompagnée d'une forte dégradation du solde manufacturier français , qui est passé d'un excédent de 13 Md€ en 2002 à un lourd déficit de 45 Md€ en 2016. Il s'agit désormais d'un déficit structurel , à comparer avec les excédents allemand (+ 319 Md€) et italien (+ 89 Md€).

Une majorité de produits a contribué à la dégradation du solde manufacturier, en particulier ceux ont connu un fort recul de leur production et de leurs exportations : parmi d'autres exemples, on peut citer les véhicules automobiles, les équipements de communication, les ordinateurs ou bien encore les produits électroniques grand public.

L'industrie manufacturière française enregistre un déficit très élevé avec la Chine (-30 Md€ en 2016) et l'ensemble de l'Union européenne (-26 Md€, dont -14 Md€ avec l'Allemagne). Son solde n'est toutefois que légèrement déficitaire vis-à-vis des États-Unis (-3 Md€) et reste fortement excédentaire avec le Royaume-Uni (+12 Md€), l'Afrique (+12 Md€) et les pays du Proche et Moyen-Orient (+10 Md€).

2. Une situation qui reste préoccupante malgré l'amélioration récente de la situation conjoncturelle de l'industrie française et les performances réalisées par certains secteurs phares
a) Une embellie des principaux indicateurs de l'activité industrielle

La valeur ajoutée de l'industrie française représente 274 Md€ (soit 12,6 % du PIB ), dont 219 Md€ pour l'industrie manufacturière (soit 10 % du PIB ). Les principaux secteurs sont les industries agroalimentaires (19,8 % de la valeur ajoutée de l'industrie manufacturière), les biens d'équipement (13,9 %) et le secteur de la réparation, de l'installation et des produits manufacturés divers (13,8 %).

Les 260 000 entreprises industrielles françaises , dont 90 % de PME et de TPE , emploient 3 115 000 personnes (emplois directs) et contribuent au maintien de 4 500 000 emplois indirects dans le reste de l'économie française. À elle seule, l'industrie manufacturière emploie 2,8 millions de salariés , ce qui représente 11,1 % de l'emploi total .

Avec 25 Md€ d'investissement dans la recherche et développement (R&D) - dont 23,5 Md€ pour la seule industrie manufacturière-, l'industrie contribue à hauteur de 80 % aux efforts la R&D en France . Elle est également de loin le secteur économique qui exporte le plus, puisque 74 % des exportations françaises sont effectuées par des entreprises industrielles .

(1) Une production manufacturière en hausse depuis trois ans, mais à un rythme moins rapide que celui des autres économies de l'Union européenne et de la zone euro

L'industrie française, et en son sein, l'industrie manufacturière, a beaucoup souffert de la crise économique de 2008-2009 : le niveau de la production manufacturière française était toujours inférieur en 2016 de 12,8 % au niveau de 2007 et de 14 % à celui de 2000 . On assiste toutefois actuellement à une embellie , puisque la production industrielle a augmenté de 1,8 % en 2015 et de 0,4 % en 2016 et devrait connaître un rebond très significatif de 4 % en 2017 .

Une telle situation n'avait été enregistrée qu'à deux reprises depuis 2001, avec le haut de cycle de 2006-2007 juste avant la crise financière puis le rebond de 2010-2011. De fait, compte tenu de sa baisse structurelle, une progression plusieurs années de suite de la production industrielle constitue désormais un phénomène exceptionnel.

Le taux d'utilisation des capacités de production, qui a atteint 84,3 % au troisième trimestre 2017 , soit un niveau nettement supérieur à sa moyenne de long terme - 82,9 % - témoigne de cette relative amélioration de la situation conjoncturelle de l'industrie manufacturière française .

Autre signe mis en avant par les représentants de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) lors de leur audition par la mission : pour la première fois en 10 ans, le nombre de créations d'usines a été supérieur au nombre de fermetures en 2017 , avec 125 usines créées contre 110 fermées .

ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA PRODUCTION MANUFACTURIÈRE FRANÇAISE

Volume, en %, CVS-CJO

Source : Insee, indice de la production industrielle

Il convient toutefois de relativiser l'amélioration de la situation de l'industrie française , puisque la production manufacturière de notre pays a progressé en 2016 beaucoup moins rapidement que les taux moyens enregistrés par l'Union européenne (+1,7 %) et par la zone euro (+1,6 %). La production a ainsi accéléré en Allemagne (+1,3 %) et en Italie (+2,1 %), a continué de croître à un rythme soutenu en Espagne (+2,7 %), et a rebondi au Royaume-Uni (+0,7 %).

En outre, contrairement à l'Allemagne et à l'ensemble de l'Union européenne et de la zone euro, la production manufacturière française n'a pas encore retrouvé son niveau du premier trimestre 2011 , qui ponctuait la phase de rebond qui avait suivi la crise de 2008-2009.

(2) Une compétitivité-coût qui s'améliore enfin

La mise en place à partir de 2012 de mesures visant à réduire le coût du travail, telles que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité et de solidarité, mais également des efforts de modération salariale consentis par les salariés dans un contexte de faible inflation, ont permis de ralentir très significativement la hausse annuelle du coût du travail dans l'industrie française , qui avait crû très rapidement pendant les années 2000 : elle s'est élevée à 0,5 euro/heure par an depuis 2012 .

De ce fait, le coût horaire du travail dans l'industrie manufacturière française est de nouveau inférieur au coût horaire allemand , à 37,60 euros/heure en 2016 , contre 39,00 euros/heure. Il demeure toutefois l'un des plus élevés de la zone euro , où le coût du travail atteint en moyenne 32,40 euros/heure.

(3) L'emploi salarié dans l'industrie manufacturière ne diminue presque plus

Depuis 2000, 58 600 emplois industriels ont disparu tous les ans en moyenne en France , principalement sous l'effet des gains de productivités élevés enregistrés dans l'industrie.

On observe toutefois depuis 2011 une nette décélération du rythme des destructions d'emplois dans l'industrie manufacturière puisque celui-ci est passé à -1,1 % emplois industriels par an en moyenne, contre -2,1 % entre 2001 et 2008 et -4,2 % en 2009-2010. Ce ralentissement s'est accentué en 2016, puisque le nombre d'emplois salariés directs (c'est-à-dire hors intérim) dans l'industrie manufacturière n'a reculé que de -0,8 % en 2016 , ce qui représente 23 000 suppressions d'emplois en moyenne annuelle , contre -1,3 % en 2015, soit une baisse de 37 100 emplois .

Cette amélioration, observée sur l'ensemble de l'année 2016, s'est renforcée lors du deuxième semestre 2016 et lors du premier semestre 2017.

ÉVOLUTION ANNUELLE DE L'EMPLOI SALARIÉ (EN NOMBRE DE PERSONNES) DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE

Source : Insee (emploi salarié direct) et Dares (emploi intérimaire)

Comme le montre le graphique ci-dessous, les industries agroalimentaires demeurent le premier employeur du secteur industriel avec quelque 570 000 emplois, loin devant les 192 000 emplois du secteur automobile ou les 155 000 emplois des autres matériels de transport, notamment l'aéronautique.

RÉPARTITION DES SALARIÉS DE L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE PAR SECTEURS

Source : estimations trimestrielles Acoss-Urssaf, Dares, Insee, deuxième trimestre 2017

La répartition des emplois sur le territoire français demeure très hétérogène et les dynamiques territoriales également .

EMPLOI SALARIÉ DIRECT DE L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE DANS LES RÉGIONS

Source : Acoss

(4) Des marges en nette hausse, grâce au CICE et à l'amélioration de la conjoncture

Si le CICE a entraîné une réduction du coût du travail, il a également permis aux entreprises industrielles françaises d'améliorer significativement leur taux de marge . Celui-ci a augmenté de 4,6 points entre 2012 et 2016 , dont +3,3 points en 2015 , le CICE contribuant à son augmentation à hauteur de 1,2 point entre 2013 et 2015.

Le rebond du taux de marge s'explique également par l'amélioration de la conjoncture internationale , notamment la baisse du prix du pétrole (-49 % en euros entre juillet 2014 et juillet 2017) et la dépréciation de l'euro par rapport au dollar (-24 % entre mars 2014 et son point bas de décembre 2016), qui a conduit à celle du taux de change effectif nominal de la France (-4 % entre mars 2014 et décembre 2016).

Le taux de marge des entreprises industrielles s'est ainsi stabilisé en 2016 à 36,9 % , ce qui lui a permis de retrouver son niveau de 2001 , après avoir fortement baissé tout au long des années 2000 (-5,8 points entre 2000 et 2010).

(5) Un taux d'investissement en hausse continue

La restauration des marges des entreprises industrielles leur a enfin permis d'investir davantage ces dernières années .

ÉVOLUTION DE L'INVESTISSEMENT DE L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE EN FRANCE

Source : Insee, comptes nationaux et comptes de patrimoine non financiers, calculs réalisés par la Direction générale des entreprises (DGE)

Leur niveau d'investissements a en effet progressé en moyenne de 2,2 % par an en volume entre 2013 et 2016 , après avoir été atone durant une grande partie des années 2000 puis entre 2011 et 2013. À noter tout particulièrement la hausse de 4,8 % en 2015 puis de 3,4 % en 2016 des investissements des entreprises en biens d'équipement. Cette croissance a également été permise par l'amélioration des conditions de financement, la reprise de l'activité et la mesure de « suramortissement » des investissements instaurée en avril 2015 10 ( * ) .

Le taux d'investissement (ratio des dépenses d'investissement et de la valeur ajoutée) a ainsi retrouvé son niveau d'avant-crise dès 2014, à plus de 26 %.

LA STRUCTURE DE L'INVESTISSEMENT DE L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE FRANÇAISE

La structure de l'investissement de l'industrie manufacturière par type d'actif est très différenciée selon les principaux pays de la zone euro, ainsi que le montrent les études réalisées par la direction générale des entreprises.

L'industrie manufacturière française se distingue par un poids important des investissements en R&D, logiciel et bases de données, là où l'investissement manufacturier allemand est équitablement réparti entre ce type de dépenses et les acquisitions de machines et équipements, l'industrie italienne se concentrant pour sa part sur ce dernier type de dépenses.

La relative stabilité de l'investissement manufacturier français en volume sur longue période (entre 2000 et 2016) masque un déficit d'investissement en machines et équipements et une progression soutenue des volumes d'investissement en R&D . Les investissements en machines et équipements ont en effet diminué de 30 % en volume entre 2000 et 2015 (contre - 1 % en Allemagne) et ont reculé dans toutes les branches, sauf l'industrie chimique et la cokéfaction-raffinage. À l'inverse, l'investissement en R&D a augmenté de 49 % en volume entre 2000 et 2015, soit bien plus qu'en Allemagne.

Source : direction générale des entreprises (DGE).

(6) La compétitivité hors-prix de l'industrie française demeure toujours insuffisante

La compétitivité hors prix de l'industrie française s'est dégradée depuis 2008 sous l'effet de la compression des marges et du faible dynamisme de l'investissement dans les années 2000 . Résultat : son faible niveau ne la protège pas assez de la concurrence internationale et accroît sa sensibilité à l'évolution des facteurs de compétitivité prix , que sont notamment le coût du travail, celui des consommations intermédiaires ou le taux de change de l'euro pour les exportations hors zone euro.

À l'inverse, l'appréciation de l'euro dans les années 2000 n'a pas empêché l'industrie allemande d'augmenter ses marges (+1,7 point par an en moyenne entre 2002 et 2007), ce qui montre bien qu'une forte compétitivité hors-prix permet , dans une large mesure, de compenser une compétitivité-prix peu favorable .

LA COMPÉTITIVITÉ HORS-PRIX

La compétitivité hors prix traduit la capacité à vendre des entreprises indépendamment du niveau des prix pratiqués et du dynamisme de la demande étrangère.

Son niveau dépend des caractéristiques des produits (contenu en innovation, gamme, design, fiabilité) et de celle des producteurs et des vendeurs (image de marque, réputation, service après-vente). Une amélioration de la compétitivité hors prix peut donc permettre aux entreprises manufacturières de réduire leur sensibilité à l'évolution parfois exogène des facteurs de compétitivité-prix.

Plus particulièrement, la montée en gamme protège de la concurrence des pays émergents ou en voie de développement reposant sur des prix de facteurs de production peu élevés. En outre, le positionnement sur des marchés de niche permet de cibler des segments de marché où la faiblesse de l'intensité concurrentielle et de la volatilité de la demande assurent une rentabilité élevée.

Les secteurs disposant de la meilleure compétitivité hors prix correspondent globalement aux points forts de l'économie française (aéronautique, maroquinerie, vin).

Source : direction générale du Trésor.

La restauration des marges des entreprises industrielles et le rebond de leurs investissements en faveur de la modernisation de l'appareil de production pourraient enfin favoriser le redressement tant attendu de la compétitivité hors prix de l'industrie française grâce à un véritable effort de montée en gamme .

À n'en pas douter, il faudra beaucoup de persévérance pour enregistrer de véritables changements dans ce domaine, car l'amélioration de l'image de marque ou de la réputation d'une entreprise et de ses produits est nécessairement un phénomène très lent .

(7) Les PME industrielles peinent toujours à grandir pour devenir des ETI, sur le modèle du Mittelstand allemand

La France dispose d'un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) industrielles présentes sur l'ensemble du territoire national. Elles sont à l'origine de la création de la majorité des emplois industriels dans notre pays .

Selon la direction générale des entreprises (DGE), la France compte ainsi 1 549 entreprises industrielles de taille intermédiaire (ETI) , 23 303 PME et 182 241 microentreprises industrielles . Si cette répartition des entreprises françaises ressemble à celle de la plupart des autres pays européens, elle se révèle en revanche très différente de celle de l'Allemagne , qui, pour sa part, se distingue par une part beaucoup plus importante d'ETI .

Le nombre d'entreprises de 250 salariés ou plus (très majoritairement des ETI) est en effet plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu'en France , de même que le nombre de grandes PME (entre 50 et 249 salariés). Ce ratio n'est que de 1,8 pour les entreprises de 20 à 49 salariés .

Ces puissantes ETI et PME allemandes constituent le fameux Mittelstand , qui joue un rôle fondamental dans la puissance industrielle de l'Allemagne et dans sa capacité à exporter massivement sa production . Ainsi, lors de son entretien avec la délégation de la mission à Munich, Bertram Brossardt, directeur général de la Fédération pour l'économie bavaroise (VBW), a souligné que la puissance industrielle de la Bavière résidait dans un mix exceptionnel d'entreprises de différentes tailles, mais dont la force principale était constituée d'ETI et PME, souvent d'actionnariat familial.

Or, notre pays, qui parvient à créer régulièrement de nouvelles entreprises dans le secteur industriel, éprouve en revanche des difficultés à les faire grandir et à les faire accéder au statut d'ETI capables de se projeter à l'international et d'exporter .

b) La situation favorable de certains secteurs de l'industrie ne doit pas occulter les graves difficultés rencontrées par la plupart des autres filières industrielles françaises

Depuis l'an 2000, la construction aéronautique , l'industrie pharmaceutique et le secteur du luxe se sont progressivement affirmés comme les principaux points forts de l'industrie française, dans un contexte où la mondialisation conduisait les différentes économies industrialisées à se concentrer sur leurs principaux avantages comparatifs .

Dans le même temps, de nombreuses branches de basse et moyenne-basse technologie fortement exposées à la concurrence des pays émergents et en voie de développement ont connu un important recul , voire une quasi-disparition .

Cette situation toujours plus polarisée entre quelques rares secteurs qui profitent à plein de la mondialisation et d'autres secteurs qui ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu a conduit l'économiste en chef de la banque Natixis, Patrick Artus, à évoquer « une situation affreuse pour l'industrie française hors aéronautique, luxe et pharmacie : énorme déficit extérieur, stagnation des exportations et poids très faible dans l'économie » 11 ( * ) .

Selon la direction générale des entreprises, entendue par la mission, l'autre trait saillant du tissu industriel français, notamment par rapport à l'Allemagne, est le poids élevé des industries agroalimentaires et de certaines branches de moyenne-basse technologie (métallurgie et produits métalliques, réparation, installation et produits manufacturés divers). Néanmoins, l a situation de l'industrie française est pour le moins contrastée suivant les secteurs .

(1) Les industries aéronautique, pharmaceutique et du luxe ont su profiter de la mondialisation pour se développer très fortement depuis l'an 2000

La mondialisation a conduit à la spécialisation de l'industrie française dans les branches de haute technologie , qui ont fortement bénéficié de l'ouverture et du développement de marchés à l'étranger. Patrick Artus les qualifie à raison, dans sa note précitée, de secteurs « haut de gamme, exportateurs et prospères ».

• Le secteur aéronautique est devenu le principal atout industriel de la France.

La production dans le secteur des matériels de transport autres que l'automobile a connu une croissance spectaculaire de + 87 % entre 2000 et 2015 , soit environ +5,4 % par an , en grande partie due au dynamisme de la construction aéronautique et spatiale : la croissance très forte de l'aéronautique française entre 2004 et 2013 s'est traduite par un doublement de sa part de marché mondiale à l'exportation .

La production des entreprises de ce secteur se situe désormais 22,6 % au-dessus de son niveau de 2010 . S'il s'agit d'une performance exceptionnelle dans le contexte français, elle doit toutefois être relativisée : la hausse constatée est en effet de +44 % en Allemagne et de +24,2 % au Royaume-Uni .

Après de légères difficultés enregistrées en 2014 et en 2015, avec une production en recul de -0,6 % puis de -1,8 %, les entreprises de ce secteur ont bénéficié d'un important rebond de +3,5 % en 2016 . Cette hausse s'explique surtout par la reprise de l'activité dans la construction aéronautique et spatiale (+3,7 % après -0,6 % en 2014 puis -2,7 % en 2015). Point fort structurel de l'industrie française, cette branche avait été confrontée à des difficultés d'approvisionnement et à des contraintes de capacités de production les années précédentes.

Elle a réalisé en 2016 le principal excédent commercial manufacturier français avec 17,4 Md€ . Ses perspectives sont très bonnes : ses carnets de commandes correspondent actuellement à cinq années de production , ce qui constitue un record historique .

En 2016, la croissance de la production a également été soutenue dans la construction navale (+6,0 % après +9,6 % en 2015) mais recule dans la construction ferroviaire (-0,9 %), qui est en baisse de 9,6 % depuis 2010 . À elles deux, ces industries ont dégagé un excédent commercial de 400 M€ .

• La production de l'industrie pharmaceutique a augmenté de 72 % depuis l'an 2000

La production a également beaucoup augmenté, de +72 % entre 2000 et 2016, dans l'industrie pharmaceutique , qui a bénéficié d'une forte accélération des demandes intérieure et extérieure dans les années 2000.

Si cette industrie a connu un recul de -2,4 % en 2016 , aussi bien dans la fabrication de préparations pharmaceutiques de base (- 12,9 %) que celle de préparations pharmaceutiques à fort contenu en R & D (- 1,3 %), celui-ci doit être relativisé. Il correspond en effet au contrecoup de la progression spectaculaire de +17,0 % enregistrée en 2015, qui avait mis un terme à neuf années de stagnation. Il n'en contraste pas moins avec la vigueur de la production observée dans l'ensemble de l'Union européenne (+ 3,2 %), et notamment en Espagne (+ 5,4 %), au Royaume-Uni (+ 4,0 %), en Allemagne (+ 2,5 %) et en Italie (+ 2,3 %).

Sa croissance reste toutefois supérieure à celle de ses concurrentes européennes sur ces deux dernières années. Du reste, elle a, en dépit de son léger trou d'air, réalisé un excédent commercial de 4 Md€ en 2016 .

• L'industrie chimique bénéfice du dynamisme du secteur du luxe

Couvrant des produits variés, le secteur du luxe est également un point fort de l'industrie française .

Ainsi, le dynamisme de la fabrication de savons, parfums et cosmétiques a permis de limiter la baisse de la production dans l'industrie chimique (-3 % entre 2000 et 2016). En 2016, l'activité a ainsi progressé de +2,4 % dans l'industrie chimique, après + 2,9 % en 2015. En hausse pour la quatrième année consécutive, sa production a de nouveau été portée par la fabrication de parfums et cosmétiques (+ 2,5 %) et celle « d'autres produits chimiques » (+ 6,5 %).

Deuxième branche française la plus performante depuis 2010 avec une croissance de +17,3 % , l'industrie chimique française est aussi sensiblement plus dynamique que ses concurrentes britannique (+ 10,1 % depuis 2010), espagnole (+ 3,3 %), allemande (- 3,2 %) et italienne (- 6,8 %).

Elle a réalisé un excédent de 11,1 Md€ en 2016, soit le deuxième meilleur résultat à l'export de l'industrie française derrière le secteur aéronautique.

(2) Le secteur de l'automobile et les industries agroalimentaires, piliers traditionnels de l'industrie française, bénéficient à nouveau d'une situation favorable

• Après avoir cédé beaucoup de terrain de 2000 à 2013, le secteur automobile connaît une forte croissance depuis 4 ans

Longtemps l'un des principaux points forts de l'industrie manufacturière française, l'industrie automobile a connu une très forte chute de sa production sur le sol français à compter de 2005, enregistrant une baisse de -28 % entre 2000 et 2015 alors que, dans le même temps, l'industrie allemande connaissait une croissance de +57 % sur la même période. Plusieurs facteurs expliquent cette spectaculaire contre-performance.

Les constructeurs français ont tout d'abord dû faire face à une concurrence accrue sur le marché domestique et sur les autres marchés européens . Or, ils étaient beaucoup moins bien armés que les constructeurs allemands pour y faire face en raison de leur positionnement en milieu de gamme , les industriels allemands ayant pour leur part depuis longtemps acquis des positions très solides dans l'automobile haut de gamme. En outre, les industriels français, bien plus que leurs concurrents allemands, ont fait le choix de délocaliser une partie importante de leur production afin de réduire leurs coûts de production et de conquérir de nouveaux marchés à l'exportation.

L'industrie automobile française enregistre toutefois un rebond significatif depuis quatre ans : sa production croît à un rythme soutenu depuis le dernier point bas atteint au premier trimestre 2013, puisqu'elle a augmenté de 28,3 % depuis cette date .

La production de l'industrie automobile a ainsi connu une croissance de +7,8 % en 2015 et de + 4,6 % en 2016 , bénéficiant des efforts de montée en gamme des constructeurs français et de la reprise du marché français (les modèles des constructeurs français représentent une vente sur deux en France) et du marché européen .

• Le dynamisme du secteur des vins et spiritueux ne doit pas dissimuler la relative stagnation des autres industries agroalimentaires

Les industries agroalimentaires représentent en 2016 19,8 % de la valeur ajoutée manufacturière française .

Globalement peu sensibles aux variations conjoncturelles, les industries agroalimentaires françaises stagnent depuis dix ans , tout comme en Allemagne et dans l'ensemble de l'Union européenne, en dépit du dynamisme de la branche des vins et autres boissons . En 2016, la production s'est contractée de -1,2 % , après deux années de légère hausse (+ 0,4 % en 2014, puis + 0,8 % en 2015).

(3) Plusieurs secteurs industriels jadis puissants apparaissent aujourd'hui sinistrés

La production recule depuis le début des années 2000 dans de nombreuses branches à faible valeur ajoutée , qui pâtissent de la concurrence des pays émergents et sont confrontées à de lourdes difficultés , au point de voir leur pérennité en France menacée. Les quatre exemples cités ci-dessous en sont autant d'illustrations, même si des success-stories restent possibles et doivent être encouragées, comme celle du Slip Français dans l'habillement.

• La cokéfaction-raffinage, une activité dont la production a diminué d'un tiers depuis 2008

La branche cokéfaction-raffinage a vu sa production diminuer de -34 % entre 2000 et 2016 . Si elle a connu un rebond de +5,2 % en 2015 dans un contexte favorable de baisse du prix du pétrole brut et d'augmentation de la demande de carburants routiers, la filière a de nouveau reculé de -2,5 % en 2016.

Le raffinage pâtit en effet de la concurrence des États-Unis et des pays du Moyen-Orient et souffre de difficultés structurelles liées à des surcapacités de production en France et dans l'Union européenne , où la production s'est stabilisée en 2016. Ces surcapacités ont entraîné d'importants efforts de restructuration sur le territoire français, où seulement neuf raffineries demeurent en activité.

• La branche « métallurgie et produits métalliques » a vu sa production baisser de -10 % depuis l'an 2000

Entre 2000 et 2016, la production a également diminué de -10 % dans la branche « métallurgie et produits métalliques » , qui a été affectée par l'apparition de surcapacités de production en Chine .

Si, en dépit d'un nouveau repli dans la fabrication de biens intermédiaires métallurgiques (- 4,1 %), tels que les produits sidérurgiques, le niveau de production des entreprises du secteur a légèrement augmenté de +0,2 % en 2016, cette amélioration est loin de compenser une tendance baissière devenue structurelle , avec un recul de la production de -3,2 % par an entre 2011 et 2014 en moyenne .

• La branche « bois, papier et imprimerie » a reculé de -34,1 % depuis 2000 et celle de la production d'équipements électriques a diminué de -20 % sur la même période

En baisse de -14,4 % depuis 2010 et de -34,1 % depuis 2000 , la branche « bois, papier et imprimerie » a chuté pour la douzième année consécutive en 2016, même si elle a enregistré sa plus faible contraction depuis 2004, à - 0,5 %.

Si la production d'équipements électriques a augmenté de +0,8 % en 2016 après quatre années consécutives de baisse, cette légère embellie ne saurait remettre en question le repli structurel de cette industrie dans notre pays , en chute de -20 % entre 2000 et 2016 , alors que la production a stagné en Italie et progressé en Allemagne.

• La branche « textile, habillement, cuir et chaussures » a vu sa production baisser de -51 % entre 2000 et 2016

Dernier exemple de filière qui se bat pour sa survie, la production de la branche « textile, habillement, cuir et chaussures » a vu sa production baisser très fortement de -51 % entre 2000 et 2016. Elle a poursuivi son recul en 2015 et en 2016 en diminuant respectivement de -2,5 % puis de -2,0 % .

Cette diminution de la production s'explique par la première baisse enregistrée depuis 2011 dans la fabrication de biens intermédiaires textiles (- 4,1 %), ainsi que par le nouveau recul de l'industrie du cuir et de la chaussure (- 2,4 %), alors que le secteur de l'habillement a connu une légère croissance (+ 0,9 %).

De nouveaux acteurs laissent néanmoins espérer un réveil de l'industrie textile française. De « jeunes pousses », quoique aujourd'hui souvent confinées dans des segments réduits du marché , permettent d'envisager un renouveau de l'industrie textile française. Tel est le cas, en particulier, d'entreprises comme le Slip français, résolue à faire grossir le marché du sous-vêtement produit en France. Comme l'a souligné lors de son audition Bertrand Escoffier, son directeur général, si cette entreprise ne détient pas elle-même de sites de production, elle constitue un nouveau donneur d'ordres à l'égard d'une cinquantaine de partenaires industriels répartis à travers la France, essentiellement des PME de 30 à 100 salariés.

B. LE DÉFI DE LA MUTATION DE L'INDUSTRIE

1. La frontière entre industrie et services s'est largement estompée et doit conduire à envisager de nouvelles catégories sur lesquelles fonder la stratégie industrielle

L a frontière entre industrie et services , s'est considérablement brouillée , voire estompée .

Ce phénomène s'explique tout d'abord par les mutations des entreprises industrielles classiques . Désormais, le consommateur, lorsqu'il se procure un bien manufacturé, achète en même temps les services qui lui sont liés . Comme l'a fait remarquer lors de son audition par la mission Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à Paris MinTech, « ce qui est vendu aujourd'hui, c'est toujours l'association entre un objet et un service. Michelin ne vend plus seulement des pneus mais également leur montage ». Cet état de fait traduit une évolution globale de l'économie vers une économie de l'usage , dans laquelle les business models fondés sur la propriété d'un bien s'estompent au profit de ceux fondés sur sa seule utilisation ponctuelle.

Ainsi, dans ce passage à une « conception servicielle de l'industrie », selon l'expression utilisée par Pierre Veltz, chercheur en économie et sociologie, ancien directeur de l'École des Ponts-et-Chaussées, au cours de son audition, les entreprises industrielles sont de plus à plus amenées à devenir des fournisseurs de services qui entretiennent un rapport direct avec les biens qu'elles produisent . De fait, entendu par votre mission, Antoine Frérot, président de l'Institut de l'entreprise, a souligné que l'industrie sera tendanciellement de moins en moins performante, son avenir dépendant de l'adossement d'une gamme de services complète autour des produits qu'elle fabrique .

Dans le même temps, les entreprises industrielles procèdent de façon croissante à l'externalisation de toutes les fonctions de services qui s'éloignent de leur coeur de métier , un processus que la mondialisation a encore amplifié en permettant une fragmentation internationale des chaînes de valeur ajoutée .

Ainsi que le soulignent Lionel Fontagné, Pierre Mohnen et Guntram Wolff dans leur note du Conseil d'analyse économique 12 ( * ) , « avec le commerce de tâches, certaines des entreprises industrielles les plus performantes se sont focalisées sur leur avantage compétitif dans la conception des produits, le marketing, l'organisation de la chaîne logistique, la création de « systèmes » homogènes combinant biens et services, et abandonnant au passage toute production physique . On parle alors de Factoryless Goods Producers (FGPs) , ou producteurs de biens sans usines . Les exemples les plus fréquemment cités sont Apple, Dyson et des entreprises du secteur des semi-conducteurs ou de l'habillement. »

Enfin, les consommations intermédiaires contribuent également à l'imbrication croissante de l'industrie et des services : la variété et le coût des services auxquels les producteurs de biens peuvent accéder constituent pour eux des facteurs-clés de compétitivité .

Dans le même temps, le secteur des services connaît également d'importantes mutations, dans un sens inverse, caractérisées notamment par un renforcement des infrastructures liées à l'exercice de leurs prestations. Les centres de données, les moteurs de recherche et le cloud informatique en sont des exemples symptomatiques, dès lors qu'à l'instar des sites industriels classiques, ils consomment beaucoup d'énergie et nécessitent de très lourdes installations physiques (fermes de serveurs, systèmes de refroidissement, sites sécurisés).

Selon les auteurs précités, il pourrait être nécessaire de remplacer le critère de la propriété des matières premières (critère traditionnel) par celui de la propriété intellectuelle pour définir précisément les activités d'une entreprise au carrefour de l'industrie et des services aujourd'hui.

Compte tenu de cette évolution, distinguer strictement les secteurs de l'industrie et des services paraît de moins en moins pertinent sur le fond et, ce qui est plus problématique, moins efficace en termes de conception des politiques publiques . Selon le professeur Giraud, désormais « ce qu'il convient de distinguer, sur un territoire donné, ce sont les emplois et activités nomades , d'une part, et les emplois et activités sédentaires , d'autre part ».

Les activités nomades « sont en compétition avec ces mêmes activités dans d'autres territoires, et leur localisation dépend des choix des firmes ». Elles peuvent à la fois impliquer des emplois industriels et des emplois de service. Dans ces activités, les entreprises fractionnent la chaîne de valeur pour améliorer leur compétitivité, à la fois prix et hors-prix, et pour se rapprocher de leurs marchés : « un opérateur global peut choisir de localiser sa recherche-développement en Californie, le financement et le marketing à Londres, les composants de haute technologie en Corée ou en Allemagne, l'assemblage final en Chine, avant l'étape finale de la distribution ».

Les emplois sédentaires , pour leur part, sont protégés de la concurrence internationale : « les activités sédentaires contiennent elles aussi de l'industrie , comme la fourniture d'eau, d'électricité ou les processus industrialisés comme le bâtiment et les travaux publics, mais aussi des services à la personne, des services administratifs, du commerce de détail, etc. ».

En utilisant cette clef de lecture, « on trouve, en France, 27 % d'emplois nomades , en diminution de 15 % sur trois ans , et 73 % d'emplois sédentaires . Parmi ces emplois nomades, la moitié sont d'ores et déjà des emplois de services : services aux entreprises, services financiers, call centers , et tourisme - car le tourisme est un service nomade, puisqu'un touriste peut choisir sa destination ». 13 ( * )

Activités nomades et sédentaires sont naturellement étroitement liées , puisque les activités sédentaires fournissent en biens et services les activités nomades . Bien que protégées d'une compétition extérieure trop frontale, il importe donc qu'elles soient également compétitives.

Selon Pierre-Noël Giraud, « on est donc dans une dynamique complexe, où l'on voit se dessiner ce que pourraient être les orientations d'une politique publique qui viserait à accroître le nombre des nomades et à « dynamiser » le secteur sédentaire pour qu'il accroisse la qualité des biens et services qu'il fournit aux nomades. Raisonner en termes de front arrière et d'articulation entre les deux est tout autre chose que se fonder sur la distinction entre industrie et services ». Une politique industrielle efficace et moderne devrait donc être une politique de soutien actif aux activités nomades , accompagnée d'une mise sous tension des activités sédentaires et non plus une politique obsédée par une distinction devenue obsolète entre industrie et services.

2. La digitalisation et l'automatisation bouleversent l'emploi et les modèles de production industriels

La nouvelle révolution industrielle en cours , qui repose principalement sur l'automatisation et la numérisation des chaînes de production ainsi que sur l'exploitation et le partage des données , a des effets considérables tant sur l'organisation des modèles de production que sur l'emploi industriel , en France comme partout ailleurs dans le monde.

a) Un bouleversement des modèles de production industriels

Si la numérisation des activités a permis d'améliorer la compétitivité des entreprises, en facilitant l'activité de production, la conjonction de nouvelles technologies novatrices dans les domaines de l'intelligence artificielle, de la robotique, l'Internet des objets, les véhicules autonomes, l'impression 3D, la nanotechnologie, la biotechnologie, la science des matériaux, le stockage de l'énergie, l'informatique quantique, ainsi que le perfectionnement des logiciels de machine learning, associée par ailleurs au développement de plateformes technologiques , entraîne un bouleversement complet des schémas productifs jusqu'alors en place dans l'industrie.

LA MULTIPLICATION DES TECHNOLOGIES AU SERVICE DE L'INDUSTRIE

- Big data et analytics. La présence de capteurs sur les machines et les produits permet de collecter d'importantes sommes de données. Avec les bons outils de traitement et d'analyse, ces données permettent d'optimiser la chaîne de production en identifiant de manière très fine les problèmes qui surviennent. Elles permettent également d'accroître la connaissance sur les habitudes et préférences des consommateurs.

- Robotisation . On sait aujourd'hui créer des robots travaillant de façon plus autonome, plus flexible, et en plus grande coopération avec les opérateurs.

- Simulation . La simulation 3D de produits, matériaux ou procédés s'étend à l'ensemble de la chaîne de production ; l'acquisition de données réelles permet d'affiner les modèles.

- Systèmes d'information horizontaux et verticaux . Les systèmes d'information doivent faciliter l'intégration et la communication intra- et inter-entreprises. Ils aident à l'automatisation des chaînes d'approvisionnement, de production et de distribution, mais également à la création de liens plus étroits entre les différents départements des entreprises, afin de répondre au mieux à la demande.

- L'internet industriel des objets . Grâce aux capteurs sur les machines et les objets en cours de fabrication, les machines peuvent connaître l'historique de production de l'objet, la demande finale correspondante afin d'y répondre de manière automatisée ou via un poste de contrôle central. On peut aussi, grâce à l'internet des objets, collecter des données pendant l'utilisation du produit afin d'apprendre quelles fonctionnalités sont utilisées et de découvrir les modes de défaillance.

- Cybersécurité . La diffusion du numérique et l'augmentation des communications qui l'accompagne font de la cybersécurité un enjeu majeur pour les entreprises industrielles. De nombreux fournisseurs de matériel « 4.0 ready » se sont ainsi rapprochés de spécialistes de la cybersécurité afin de proposer des offres intégrant cet aspect.

- Cloud . Le cloud est déjà très répandu pour la gestion de logiciels et de données. La plus grande interconnexion des sites de production et des départements au sein de l'entreprise requiert un partage de grandes quantités de données, rendue plus facile grâce au cloud.

- Fabrication additive . Cette technologie suscite de nombreux espoirs. Au-delà de la production de prototypes, la fabrication additive permet déjà la production en petites séries de pièces complexes, de pièces de rechange et même d'outils personnalisés. La vitesse et la précision de l'impression devraient augmenter et permettre la production à plus grande échelle.

- Réalité augmentée . Une utilisation possible vise à fournir à l'opérateur de maintenance des informations sur les techniques de réparation d'une pièce, par exemple via le port de lunettes de réalité augmentée. Cette technologie peut également être utilisée pour faire de la formation, ou rendre des étapes de conception moins abstraites afin d'y associer plus de parties prenantes.

Source : La Fabrique de l'Industrie, d'après The Boston Consulting Group (2015).

Leur diffusion à toutes les étapes des processus industriels devrait générer des gains de productivité considérables , probablement analogues à ceux de l'électricité lors de la deuxième révolution industrielle, dans la mesure où ces outils pourront intervenir à tous les stades de la chaîne de valeur .

Ce que Klaus Schwab, fondateur et président du World Economic Forum de Genève, qualifie de « quatrième révolution industrielle » affecte ainsi, selon lui, les entreprises sur quatre plans : les attentes des clients, l'amélioration des produits, l'innovation collaborative et les formes d'organisation. Elle conduit donc, inexorablement, à une redéfinition des stratégies d'entreprises , à commencer par celles des entreprises industrielles.

À cet égard, au cours des auditions, nombre des interlocuteurs de la mission ont mis en exergue l'incidence considérable de deux éléments : les plateformes technologiques, qui permettent un partage de la donnée, ainsi que la fabrication additive dans le processus de production industrielle, qui rend possible l'usage de nouveaux matériaux, tout en accroissant les cadences de production et en limitant le recours à une activité d'assemblage de biens produits par divers sous-traitants ou fournisseurs.

b) Un phénomène de « destruction créatrice » qui va toucher de plein fouet l'emploi industriel

Cette mutation rapide vers « l'industrie du futur » ou « industrie 4.0 » génère de nombreuses craintes et fait ressurgir le spectre de « la fin du travail » , déjà évoqué à de multiples reprises lors des grandes mutations industrielles précédentes.

S'il est très difficile d'évaluer l'ampleur des bouleversements à venir et de déterminer si leur bilan sera globalement positif ou négatif , il ne fait aucun doute qu'ils seront très significatifs et devront faire l'objet d'un puissant accompagnement de la puissance publique afin que leurs effets soient une source de progrès pour la société .

(1) Automatisation et numérisation pourraient provoquer la disparition de 10 % des postes de travail et changer significativement le contenu de 50 % d'entre eux

L'utilisation de plus en plus massive par les entreprises industrielles des robots et des technologies de l'information et de la communication (TIC) vont inéluctablement provoquer, dans les années à venir, l'automatisation de nombreuses tâches qui étaient jusqu'ici réalisées par des travailleurs manuels et qui le seront désormais par des machines.

Mais, à la différence des révolutions industrielles précédentes, l'industrie du futur verra également se multiplier l'automatisation de tâches intellectuelles , qui avaient jusque-là été épargnées par le progrès technologique. Du reste, de très nombreux secteurs autres que l'industrie seront désormais concernés par ces destructions d'emplois : transport, logistique, banques, assurances, domaine juridique, etc. Dans tous les cas, ces nouvelles technologies provoqueront donc la suppression de nombreuses tâches qui étaient jusqu'ici réalisées par des salariés .

Plusieurs études récentes ont suscité de fortes inquiétudes .

En particulier, des travaux réalisés par les économistes Frey et Osborne en 2013 estimaient que 47 % des emplois américains seraient susceptibles d'être automatisées dans les 20 prochaines années , une étude du cabinet de conseil Roland Berger de 2014 considérant pour sa part que 3 millions d'emplois pourraient disparaître en France d'ici 2025 en raison de la diffusion des TIC .

En se basant sur une revue de la littérature existante et sur ses propres analyses, le Conseil d'orientation pour l'emploi se montre cependant moins pessimiste dans son rapport de janvier 2017 « Automatisation, numérisation et emploi ». Selon lui, moins de 10 % des emplois existants devraient disparaître dans les quinze années à venir sous l'effet des changements technologiques en cours . En revanche, il anticipe que plus de la moitié des emplois existants verront leur contenu profondément transformé , estimant que les métiers peu ou pas qualifiés seront les plus touchés , notamment dans l'industrie : ouvriers non qualifiés des industries de process , de la manutention, du second oeuvre du bâtiment, etc.

(2) Des emplois nouveaux naîtront de la nouvelle révolution industrielle, mais leur quantification reste difficile

Si automatisation et numérisation feront disparaître des emplois, elles provoqueront simultanément l'apparition d'emplois nouveaux , conformément au processus de « destruction créatrice » mis en lumière par l'économiste autrichien Joseph Schumpeter.

Des femmes et des hommes seront en effet plus que jamais nécessaires pour concevoir , réparer , diriger les robots et faire fonctionner les multiples applications à l'industrie des nouvelles technologies de l'information et de la communication .

De fait, s'il est exact que les entreprises industrielles achèteront des robots et des solutions numériques pour automatiser leur production, ce qui pourrait induire des pertes d'emplois à niveau de production constant, ce ne sera pas nécessairement le cas si l'automatisation permet d'augmenter le niveau de production grâce aux gains de productivité obtenus. Du reste, empiriquement, on constate que les robots ne sont nullement les ennemis de l'emploi , dans la mesure où, ces dernières années, l'industrie française a perdu beaucoup plus d'emplois que l'industrie allemande, alors même que l'industrie allemande possédait 282 robots pour 10 000 salariés en 2013 contre seulement 125 pour 10 000 salariés en France .

En outre, les secteurs qui sont directement liés à la robotisation et à la numérisation de l'industrie vont connaître un essor très significatif .

La France devra d'ailleurs fournir un effort considérable si elle veut en bénéficier pleinement, compte tenu de sa faiblesse actuelle dans les secteurs des machines-outils et, dans une moindre mesure, du numérique. Le Conseil d'orientation pour l'emploi prévoit que 80 000 emplois devraient être vacants en 2020 dans les secteurs des technologies de l'information et de la communication (TIC) et de l'électronique .

Enfin, à une échelle macroéconomique, les gains de productivité des entreprises industrielles contribuent à la croissance française et sont facteurs de création d'emplois , car l'industrie a un effet d'entraînement sur les autres secteurs de l'économie . Certains économistes estiment même que l'essor de l'industrie du futur pourrait contribuer à la réindustrialisation de la France en réduisant la part du coût du travail dans la valeur ajoutée , qui pèse encore sur la compétitivité de notre pays en dépit des efforts consentis ces dernières années.

c) Une transformation des postes de travail et des compétences nouvelles à mobiliser...

S'il paraît acquis qu'automatisation et numérisation devraient induire une diminution du nombre d'emplois industriels directement liés à la production, ils devraient surtout provoquer une profonde évolution des postes de travail et des tâches confiées aux salariés .

Dans bien des cas, les ouvriers et les techniciens resteront en effet complémentaires des robots et ne seront pas remplacés par eux .

Dans certaines situations, hommes et robots seront directement associés pour réaliser certaines tâches : on parle alors de « cobotique », c'est-à-dire de robotique collaborative. En outre, si les robots seront mobilisés pour réaliser des tâches dangereuses, pénibles ou répétitives, les hommes resteront indispensables pour effectuer celles qui impliquent de faire preuve d'inventivité ou nécessitent du recul et de l'expérience . Enfin, ils joueront un rôle clef pour assurer la surveillance , le contrôle et la maintenance de ces machines de plus en plus sophistiquées.

Le contenu des emplois industriels va donc évoluer vers une plus grande technicité et exigera de ceux qui les occuperont une aptitude beaucoup plus grande à gérer la complexité et à utiliser des connaissances pour faire face à des cas de figure imprévus , les situations les plus habituelles étant a priori prises en charge par des machines.

Le fait que le travail en usine devienne moins pénible et fasse davantage appel à l'intelligence de l'homme, à son autonomie, le fait qu'il permette aux ouvriers de se livrer à des tâches plus stimulantes et variées, constitue en principe une très bonne nouvelle. Encore faut-il que les stratégies des entreprises s'appuient pleinement sur les compétences de leurs salariés , qui peuvent constituer pour elles une formidable source de compétitivité hors coût, et que lesdites compétences soient développées par un système de formation initiale et continue performant . 14 ( * )

Le développement de l'industrie du futur implique également la mise en place de nouvelles formes d'organisation du travail beaucoup moins pyramidales et hiérarchisée . Car la différence, jusque-là très nette, entre tâches de conception et tâches de conception, tend désormais à se brouiller. Les entreprises industrielles doivent ainsi repenser en partie leurs méthodes de management pour rendre leurs structures plus flexibles , agiles et collaboratives et tirer parti des nouvelles possibilités offertes par l'automatisation et la numérisation des chaînes de production . Peuvent ainsi être mis en place dans les usines des « îlots de production » dont les managers jouent un rôle d'animation et de supervision de collaborateurs autonomes au lieu d'intervenir eux-mêmes techniquement.

d) ... alors que les entreprises industrielles peinent d'ores et déjà à recruter les travailleurs qualifiés dont elles ont besoin

Selon la Banque de France, le manque de personnel qualifié constitue le premier frein à l'augmentation des capacités de production pour près de deux tiers des entreprises . Selon l'enquête annuelle de Pôle emploi et du Credoc sur les besoins de main d'oeuvre (BMO) pour 2018, le besoin de recrutement en ingénieurs et cadres d'études, R&D en informatique ou chef de projet informatique atteint 42 000 emplois.

Selon une étude réalisée par le cabinet de conseil en stratégie McKinsey en 2012, l'inadéquation des compétences pourrait empêcher la création de 2,3 millions de postes qualifiés et provoquer la disparition de 2,2 millions de postes qualifiés en France à l'horizon 2020 . La situation de la France est donc paradoxale, puisqu'elle fait coexister chômage de masse et déficit de main-d'oeuvre , un phénomène qui touche tout particulièrement l'industrie.

Ce déficit de compétences ne concerne pas que les ingénieurs ou les profils de cadres très qualifiés . Tous les niveaux de qualifications sont concernés par ce problème.

À titre d'exemple, les entreprises métallurgiques ont aujourd'hui de plus en plus de difficultés à recruter des usineurs , en raison de la suppression des formations initiales qui y étaient consacrées. Cette disparition a provoqué une perte de culture technique (connaissance des matériaux, des machines, etc.). De même, au cours de son audition, le représentant de l'Association nationale des entreprises alimentaires (ANIA), a indiqué que 17 000 emplois, souvent peu qualifiés, n'avaient pas été pourvus dans la filière de l'industrie alimentaire, sur un total de 427 000 emplois directs. Bertrand Escoffier, directeur général du Slip français, a évoqué en audition une situation semblable dans l'industrie textile.

C. UNE CONCURRENCE EXACERBÉE ENTRE ÉTATS, OÙ CHACUN ENTEND FAVORISER SON INDUSTRIE NATIONALE

Si la mondialisation de l'économie a favorisé l'émergence de grands groupes industriels qui peuvent avoir une action et une stratégie qui ne leur sont pas dictées par les pouvoirs publics, les États, à travers le globe, n'ont pas renoncé, loin s'en faut, à agir pour favoriser l'essor des activités industrielles sur leur territoire et la compétitivité de leurs « champions ».

Ainsi, les États ont tendance à conforter la spécialisation de leur industrie dans certains secteurs en pointe ou, à l'inverse, contribuent à favoriser des secteurs perçus comme à fort impact potentiel , quand ils n'ont pas tout bonnement mis en place un système de planification, à l'instar de la Chine. Dans tous les cas, les pouvoirs publics des plus grandes nations industrielles ont adopté des stratégies pour faire face aux mutations actuelles.

L'industrie reste donc bien une affaire d'États , alors qu'en Europe, l'Union européenne peine à dégager une stratégie véritable. La stratégie française doit donc prendre place dans ce contexte international .

1. Des stratégies nationales en faveur de l'industrie parfois très dirigistes
a) Des stratégies d'orientation, de promotion et d'accompagnement
(1) L'Allemagne

Selon le service économique régional de Berlin, avec lequel s'est entretenue la mission lors de son déplacement à Munich, le succès industriel de l'Allemagne est peu lié à une véritable politique industrielle d'investissement et de subventionnement sectorialisée . Il est néanmoins patent, avec un secteur industriel qui représente 22,9 % de la valeur ajoutée brute totale du pays et emploie 17,3 % des actifs.

De manière générale, les machines-outils 15 ( * ) permettent à l'Allemagne de pouvoir se positionner efficacement sur les chaînes de valeur, en particulier en ce qui concerne les biens à haute valeur ajoutée. La force industrielle sur ce secteur est donc un point clé de la localisation des industries en Allemagne, car il permet l'émergence d'un véritable écosystème industriel, capable de servir les besoins de l'innovation industrielle en local. Sur le plan de l'innovation, l'industrie allemande est d'ailleurs à elle seule à l'origine de 85 % des dépenses de recherche et développement en Allemagne. En termes de branches, l'industrie automobile (10,2 Md€ de dépenses) est leader, devant l'électronique (9,9 Md€), la chimie/pharmacie (7,8 Md€) ainsi que les machines et équipements (5,6 Md€).

Néanmoins, les pouvoirs publics allemands sont présents pour orienter les acteurs industriels et les soutenir pleinement dans l'appropriation de certaines filières . Tel est le cas, en particulier, des domaines de l'aéronautique et de l'aérospatial , pour lesquels une « coordinatrice du Gouvernement fédéral allemand » a suggéré une stratégie spécifique en matière spatiale et d'aéronautique civile, visant clairement à renforcer les capacités et compétences de l'industrie allemande pour « assumer un rôle directeur » dans le programme court et moyen-courrier successeur de l'A 320 d'Airbus, ou de prendre la direction et la responsabilité d'un autre programme de développement d'hélicoptère civil d'Airbus Helicopters en Allemagne, grâce à un « élargissement judicieux du portefeuille de produits civils existants » 16 ( * ) .

De plus, l'Allemagne a, la première, développé en 2011 un plan de digitalisation de son industrie, « Industrie 4.0 ». Comme l'ont relevé les représentants de la Fabrique de l'industrie lors de leur audition par la mission, portée initialement par les équipementiers (la première plateforme « Industrie 4.0 » était pilotée par trois fédérations industrielles), cette stratégie prévoit une démarche en trois temps :

- d'abord, bâtir une offre allemande innovante de biens d'équipements et de services numériques dédiés à la production (offreur de solutions pour l'industrie) ;

- ensuite, poursuivre la digitalisation de l'industrie classique ;

- enfin, étendre le projet « Industrie 4.0 » aux services intelligents (à partir de 2015).

(2) Le Royaume-Uni

L'approche du Royaume-Uni, où le secteur industriel représente 13 % de la valeur ajoutée du pays, est traditionnellement peu interventionniste. Toutefois, la crise financière de 2008 puis le Brexit ont révélé les problèmes structurels de son économie, marquée par un déficit de productivité et de fortes inégalités territoriales. L'industrie étant perçue comme un levier pour résoudre ces faiblesses, le rôle de l'État a donc fortement évolué et se positionne désormais comme un chef de file autour de la définition d'une véritable stratégie industrielle.

Cette évolution s'est traduite récemment par l'élaboration d'un « Livre blanc sur la stratégie industrielle » en novembre 2017 ayant pour ambition d'augmenter la productivité britannique en agissant sur ses cinq fondements (idées, capital humain, infrastructures, environnement des affaires et territoires) et en investissant dans les technologies de la quatrième révolution industrielle (objets connectés, digitalisation). Dans ce cadre, le ministre de l'Économie Greg Clark a identifié quatre défis technologiques majeurs auxquels le Royaume-Uni doit répondre : l'intelligence artificielle et données ; la croissance verte ; la mobilité ; le vieillissement.

Si les milieux d'affaires saluent les propositions et la création d'un organe indépendant chargé d'évaluer l'avancement de cette stratégie, peu de mesures concrètes nouvelles ont été en réalité annoncées, la majorité des actions déployées autour des quatre thèmes précités ayant déjà été présentée lors du projet de loi de finances 2018-19. 17 ( * )

(3) Le Japon

Confrontée à des enjeux de productivité (avec un taux de productivité inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE), de démographie (avec un vieillissement démographique et une dénatalité qui pourrait réduire la population japonaise de 127 millions d'habitants en 2017 à 90 millions en 2060), de compétitivité 18 ( * ) et de gouvernance (avec une tendance forte à l'accumulation de trésorerie plutôt qu'à l'investissement et des dirigeants d'entreprises peu enclins à développer des stratégies d'entreprises innovantes et ne permettant pas d'éviter des falsifications financières ou de produits), l'industrie japonaise fait l'objet de mesures récentes de la part du Gouvernement, notamment dans le cadre de la stratégie de revitalisation de l'économie japonaise insufflée par le Premier ministre, Shinzo Abe, connue sous le nom d'« Abenomics ».

Ces initiatives s'ordonnent autour de quatre axes :

- une action transversale, dans le cadre de l'Industrial Competitiveness Enhancement Act , adopté en 2013 ;

- une action de digitalisation de l'industrie, dans le cadre de l'initiative « Connected Industries » ;

- un renforcement des coopérations industrie-gouvernement-monde académique et de l'« Open Innovation » ;

- la promotion des start-up japonaises. 19 ( * )

b) Des stratégies nationales plus dirigistes
(1) La Corée du sud

11 ème économie mondiale selon l'OCDE en 2016, la Corée du sud a fait reposer son développement économique principalement sur un appareil productif orienté vers l'exportation. Suivant une stratégie de substitution aux importations , la Corée a tout d'abord développé des industries à forte intensité de main oeuvre (textiles, produits électroniques bas de gamme, sidérurgie, construction navale,...) puis s'est dotée d'industries à plus forte valeur ajoutée (semi-conducteurs, pétrochimie, smartphones, écrans plats,...).

Le succès de cette stratégie industrielle a reposé pendant plusieurs décennies sur l'alliance entre les dirigeants politiques, les grandes familles d'industriels ( chaebols ) et un système bancaire dédié au financement du développement des groupes coréens. Cette stratégie de développement économique explique la place importante qu'occupe encore aujourd'hui l'industrie dans le PIB coréen (38,6 %).

Toutefois, selon le service économique régional de Séoul, l'industrie coréenne fait aujourd'hui face à la concurrence des grands pays émergents comme la Chine et l'Inde, qui bénéficient d'une main oeuvre à meilleurs prix, et du Japon dont la spécialisation industrielle est similaire. Aussi le nouveau président de la République de Corée, Moon Jae-In, entend-il accorder la priorité à la « 4 ème révolution industrielle » pour permettre à l'industrie coréenne de trouver de nouveaux relais de croissance. 20 ( * )

(2) La planification industrielle chinoise

Inscrite dans le cadre de sa planification quinquennale (13 ème plan, 2016-2020), la politique industrielle de la Chine s'inscrit dans la recherche d'une « Nouvelle révolution industrielle » fondée sur l'informatisation des chaînes de production et l'intégration de technologies innovantes (objets connectés, fabrication additive, big data, biotechnologies...). Dans ce cadre, le Conseil des affaires d'État chinois a ainsi publié au cours de l'année 2015 deux plans, « China Manufacturing 2025 » et « Internet + » devant servir de feuille de route à long terme.

Dans ce cadre, la Chine déploie, selon le service économique régional de Pékin, des moyens financiers considérables et souhaite rapidement s'imposer comme leader mondial dans les domaines :

- du véhicule à énergie nouvelle . La Chine est de loin le premier producteur et le premier marché mondial pour les véhicules à énergie nouvelle. La croissance de ce marché est extrêmement rapide : 770 000 véhicules à énergie nouvelle vendus en Chine en 2017 (3,1 % du total des ventes), 500 000 en 2016 (2,1 %) et 300 000 en 2015 (1,4 %). À près de 90 %, il s'agit de véhicules tout électrique ;

- et des technologies numériques . Dans ce domaine, la Chine bénéficie de la taille de son marché intérieur. Outre le plan « Internet + », plusieurs plans sectoriels précisent les ambitions de la Chine, en ayant pour but de faire de ce pays un leader dans de nombreux domaines de l'économie numérique :

- un plan de développement de l'industrie du traitement de données (« big data ») adopté en décembre 2016. Le chiffre d'affaires généré par ce secteur au sens large doit atteindre 1000 Mds CNY (environ 130 Mds EUR) en 2020 contre 280 Mds CNY (35 Mds EUR) en 2016 ;

- un plan portant sur les objets connectés adopté en janvier 2017. Ce plan vise notamment une production de 1 500 Mds CNY (environ 200 Md€) en 2020 pour le secteur des objets connectés au sens large (allant de la fabrication d'objets aux services en passant par le réseau télécom) Surtout, les objets connectés devraient se répandre dans un grand nombre de secteurs de l'industrie, de l'agriculture ou du bâtiment. Le renforcement de la cyber-sécurité est également pris en compte ;

- un plan de développement du « cloud computing » adopté en avril 2017, qui vise notamment le passage de 150 Mds CNY (20 Mds EUR) en 2015 à 430 Mds CNY (56 Mds EUR) en 2019 du chiffre d'affaires du secteur ;

- un plan pour le développement de l'intelligence artificielle (IA) adopté en juillet 2017. Ce plan, qui comporte de nombreuses synergies avec le plan « big data », distingue une phase initiale de rattrapage (avant 2020) et une deuxième phase où le pays doit parvenir à s'imposer comme leader mondial et centre de l'innovation dans ce domaine. Les industries liées à l'IA devraient représenter un marché de 1000 Mds CNY en 2025. L'IA devrait être intégrée d'ici 2030 dans de multiples domaines de l'économie chinoise : agriculture, santé, éducation, santé, sécurité, robotique, réalité virtuelle, et automobile.

La stratégie chinoise repose ainsi sur une politique sectorielle très interventionniste . 21 ( * )

2. Une stratégie européenne qui n'a pas encore pris toute sa mesure

En 2014, le cabinet Roland Berger estimait que pour que l'Europe reste une terre d'industrie, il serait nécessaire que les entreprises consacrent à l'évolution technologique 1 350 milliards sur 15 ans, soit 90 milliards par an 22 ( * ) . Ces chiffres éloquents montrent combien une action d'ampleur au niveau de l'Union européenne est nécessaire pour porter l'évolution des entreprises industrielles européennes. Votre mission ne peut toutefois que constater, pour le regretter, que la stratégie industrielle en la matière n'a pas encore pris toute sa mesure.

a) Une stratégie morcelée

C'est de façon tardive que l'Union européenne a conçu l'existence d'une politique industrielle propre. Ce n'est qu'avec le Traité de Maastricht, en 1992, que l'Europe communautaire s'est dotée d'une base légale ad hoc en matière industrielle, alors même que des projets industriels - dans le charbon et l'acier pour la CECA en 1951, et l'industrie nucléaire, pour l'EURATOM en 1957 - ont joué un rôle moteur au début de l'intégration européenne.

Certes, aujourd'hui, aux termes de l'article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'industrie est l'un des domaines d'action de l'Union, mais en vertu de son article 173 du traité, la « politique industrielle » n'est pas une politique pleinement « communautarisée ». Sous réserve des politiques qui ont des incidences sur l'industrie et sont « communautarisées », comme la politique de concurrence ou la politique commerciale, la stratégie à l'égard de l'industrie relève ainsi d'abord des États membres.

Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, la Commission européenne a multiplié les communications préconisant, par des mesures générales ou sectorielles, de renforcer la position de l'industrie européenne, notamment compte tenu de l'émergence de nations industrielles fortes, d'abord spécialisées sur les activités à bas coût, mais faisant l'objet d'une montée en gamme rapide.

Pour autant, au plan européen, l'industrie manque de longue date d'une stratégie transversale, seule à même d'actionner l'ensemble des leviers réglementaires ou financiers de nature à favoriser son développement. Les institutions de l'Union européenne n'ont longtemps pas regardé l'industrie comme un « domaine » d'activité à part entière, tant et si bien que les politiques d'intégration européenne n'ont jamais porté spécifiquement sur l'industrie. Or, construire une véritable « politique industrielle européenne » exige d'intervenir de manière concertée et ordonnée sur des politiques de l'Union européenne nombreuses : le développement du marché intérieur, la politique commerciale commune, le numérique, le soutien à l'innovation...

Mais la difficulté à construire une vraie politique industrielle européenne s'explique sans doute, comme l'a souligné André Sapir, membre du think tank Bruegel, lors de son entretien à Bruxelles avec une délégation de la mission, par les cultures divergentes des États membres en matière d'interventionnisme économique , qui constituent un frein au développement d'une stratégie globale qui serait davantage qu'une addition de mesures sectorielles spécifiques. En outre, les stratégies de compétitivité des États ne sont pas toujours les mêmes : si l'Allemagne a toujours soutenu son industrie, la France s'en est fortement détournée dans les années 1990 pour faire des activités de service le moteur de sa croissance.

b) Des besoins industriels qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les politiques européennes de concurrence, de commerce et de circulation des capitaux
(1) La constitution de « champions européens » entravée par une application souvent rigide du droit antitrust et du droit des aides d'État

Au cours des travaux menés par votre mission, nombreux ont été les intervenants critiques sur l'application du droit antitrust ou du droit des aides d'État par la Commission européenne, tant la concurrence entre entreprise apparaît, comme l'ont du reste rappelé les membres du cabinet de Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la concurrence, devant la délégation de la mission à Bruxelles, la pierre angulaire de la politique de compétitivité de l'Union européenne. Souvent, le droit européen des concentrations a en effet été présenté comme un handicap pour la constitution de grands groupes européens susceptibles de peser au niveau mondial face à des concurrents de plus en plus puissants.

En ce sens, lors de son entretien à Munich avec une délégation de la mission, Roland Busch, chief technological officer et membre du directoire de Siemens AG, a souligné la menace que constituaient des acteurs - notamment chinois - dans le ferroviaire, qui pouvaient entrer très rapidement et très facilement dans une phase de consolidation leur permettant ensuite de se lancer à la conquête des marchés internationaux. Martin Bouygues a développé la même analyse lors de son audition par vos président et rapporteur au Sénat. En outre, un discours similaire a été tenu devant la délégation de la mission à Munich par Markus Wittman, chef du département « Internationalisation et Industrie » au ministère bavarois de l'économie, qui a jugé la réglementation européenne trop stricte et, en ce sens, peu favorable à la création de champions de taille européenne, alors qu'il faut désormais raisonner à l'échelle mondiale.

C'est du reste la raison pour laquelle votre mission, dans le cadre du rapprochement entre Alstom et Siemens, a appelé la Commission européenne à prendre en considération comme marché pertinent le marché mondial pour le matériel roulant, en retenant une appréciation dynamique des forces et des positions de marchés des acteurs mondiaux. À défaut, le risque est grand qu'au terme de l'analyse, la Commission remette en cause l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom, ce qui nuirait nécessairement à la capacité de la nouvelle entité Siemens-Alstom de disposer d'une taille critique lui permettant de faire face aux concurrents mondiaux. 23 ( * )

Les membres du cabinet de Margrethe Vestager ont néanmoins souligné que la Commission n'était pas opposée par principe aux mesures de concentration destinées à renforcer la puissance des entreprises européennes et leur capacité d'innovation, mais qu'il était nécessaire de déterminer les effets qu'elles pouvaient impliquer pour le marché intérieur , et plus particulièrement pour les prix et les consommateurs .

En outre, s'agissant de la politique des aides d'État, les membres du cabinet d'Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne chargée du marché intérieur, de l'industrie et des entreprises, ont souligné que, depuis la communication de la Commission européenne du 27 juin 2014 sur l'encadrement des aides d'État à la recherche, au développement et à l'innovation, 96 % des mesures prises en ce domaine n'avaient pas à être notifiées.

(2) Une politique de défense commerciale encore insuffisamment protectrice des intérêts européens

Longtemps, les institutions de l'Union européenne ont été critiquées pour leur approche jugée naïve en matière de commerce international face au comportement d'États tiers volontiers protectionnistes. Ces critiques apparaissent heureusement aujourd'hui moins fondées.

Ainsi, les membres des différents cabinets des commissaires européens rencontrés à Bruxelles par votre rapporteur ont tous été d'accord pour relever un manque de loyauté de certains États dans les relations commerciales internationales. Mais, en particulier, les membres du cabinet de Cecilia Malmström, commissaire européenne chargé du commerce, ont souligné la double démarche de l'Union européenne en vue de mieux prendre en considération cette situation objectivement défavorable aux intérêts européens :

- d'une part, renforcer la protection du marché européen , notamment par une utilisation plus active des instruments de défense commerciale européens. Ainsi, l'Union européenne a adopté 53 mesures dans le domaine de l'acier, principalement à l'encontre de la Chine.

L'Union a à cet effet renforcé son dispositif antidumping en décembre 2017, 24 ( * ) en adoptant notamment une nouvelle méthode standard de calcul du dumping consistant à comparer les prix à l'exportation avec les prix ou les coûts sur le marché intérieur du pays exportateur et permet à la Commission, si en raison de l'intervention de l'État dans l'économie les prix ou les coûts sur le marché intérieur sont faussés, de les remplacer par d'autres valeurs de référence reflétant des coûts de production et de vente non faussés, établies sur la base de rapports d'enquête, dont les premiers portent sur la Chine et la Russie.

La Commission européenne entend en outre réactiver la proposition de règlement, présentée en 2012 par les commissaires européens Michel Barnier et Karel de Gucht, sur l'accès aux marchés publics , 25 ( * ) dont l'adoption a été bloquée au sein du Conseil de l'Union européenne. Un nouveau projet a été présenté par la Commission le 29 janvier 2016, 26 ( * ) qui n'a cependant toujours pas abouti.

LES PRINCIPAUX POINTS DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT SUR L'ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS

La proposition de mars 2012 confirme la très large ouverture des marchés publics de l'Union européenne mais propose :

- pour les marchés de plus de 5 M€, que la Commission puisse donner son accord à l'exclusion, par les pouvoirs adjudicateurs de l'UE, des offres incluant une part importante de biens et de services étrangers, si ces marchés ne sont pas couverts par des accords internationaux existants ;

- en cas de discrimination grave et répétée à l'encontre de fournisseurs européens dans un pays hors UE, que la Commission dispose d'un mécanisme lui permettant de restreindre l'accès au marché de l'UE, si le pays en question refuse de négocier la correction de ces inégalités d'accès ; ces éventuelles mesures restrictives seront ciblées : elles consisteront par exemple à exclure les offres provenant du pays tiers concerné ou à imposer des pénalités de prix ;

- d'accroître la transparence en ce qui concerne les offres anormalement basses afin de lutter contre la concurrence déloyale de prestataires de pays hors UE sur le marché européen.

La version modifiée de cette proposition, présentée en janvier 2016 , instaure en lieu et place d'une fermeture des marchés, un mécanisme d'ajustement des prix : les marchés publics européens ne seraient pas fermés, mais des pénalités sur les offres de prix seraient appliquées aux opérateurs économiques étrangers issus de pays recourant à des pratiques discriminatoires entravant l'accès des entreprises européennes à leurs marchés publics.

- d'autre part, favoriser l'ouverture des marchés des pays tiers à l'Union européenne par la signature d'accords bilatéraux. Tel est le cas des accords négociés avec le Canada et le Japon qui impliquent notamment un accroissement des conditions d'accès des entreprises de l'Union européenne aux marchés publics de ces États.

En tout état de cause, l'Union européenne - comme du reste les États membres eux-mêmes - est liée en la matière par les règles de l'Organisation mondiales du commerce (OMC), que les institutions européennes entendent pleinement respecter.

Mais la mission souligne combien d'autres signataires de l'OMC ont réussi à imposer des exceptions qui leur sont aujourd'hui éminemment favorables dans le jeu du commerce international, comme c'est le cas des États-Unis qui ont pu, de ce fait, continuer à appliquer le Buy American Act. À l'heure où l'administration américaine a décidé de rompre avec la logique du multilatéralisme en matière commerciale, il y a sans doute lieu de réexaminer certaines règles de l'OMC afin que l'Union européenne, élève disciplinée et soucieuse d'une application scrupuleuse des règles internationales, ne reste pas pénalisée dans ce nouvel environnement international.

Dans ce contexte, votre mission soutient pleinement les initiatives de l'Union européenne et invite les États membres à unir leurs efforts afin de faire respecter par les États tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping.

Proposition n° 1 : A l'heure où certains états ont décidé de rompre avec la logique du multilatéralisme, appeler les états membres à unir leurs efforts et soutenir pleinement les initiatives de l'union européenne visant à faire respecter par les Etats tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping .

(3) Une absence de politique européenne de contrôle des investissements étrangers

Au cours de leur entretien à Bruxelles avec la délégation de votre mission, les membres du cabinet d'Elzbieta Bienkowska ont reconnu l'existence d'un débat au sein du collège des Commissaires sur les objectifs et modalités d'un contrôle des investissements directs étrangers au niveau européen, soulignant par ailleurs la volonté de nombreux États membres de conserver leurs prérogatives et leur souveraineté en la matière.

La règle reste aujourd'hui une liberté des investissements directs provenant d'acteurs économiques extérieurs à l'Union européenne . Aux yeux de la Commission européenne, ces investissements constituent en effet une source de croissance, d'emplois et d'innovation , jugée essentielle pour le développement économique et social de l'Union européenne, dans la mesure où ils ont contribué à soutenir la réalisation des objectifs fixés dans le plan d'investissement pour l'Europe de la Commission ainsi que d'autres projets et programmes de l'Union.

Pourtant, votre mission souligne que, dans la perspective d'une consolidation et d'un approfondissement du marché intérieur, il est essentiel d'assurer une meilleure coopération au niveau européen pour permettre à l'Union européenne de mieux défendre ses intérêts industriels stratégiques .

Elle ne peut donc que se réjouir du début d'inflexion à la politique européenne en la matière , annoncée notamment dans le cadre de la réflexion de la Commission européenne « sur la maîtrise de la mondialisation », publié le 10 mai 2017. La Commission y affirme en effet désormais clairement que, si l'ouverture aux investissements étrangers reste un principe essentiel pour l'UE et une source majeure de croissance, il y a lieu de prendre en considération les préoccupations des investisseurs étrangers, notamment les entreprises publiques, qui rachètent des entreprises européennes dotées de technologies clés pour des raisons stratégiques, alors que, souvent, les investisseurs de l'Union ne jouissent pas des mêmes droits à investir dans le pays d'origine de ces investisseurs.

Il y a donc lieu d' encourager l'initiative prise par la Commission européenne le 13 septembre 2017, dans sa proposition de règlement tendant à établir un cadre européen sur le contrôle des investissements étrangers 27 ( * ) . Ce projet vise principalement :

- à consacrer et à encadrer les dispositifs nationaux de contrôle des investissements existants ;

- à améliorer la coopération et l'échange d'informations entre les États membres et la Commission ;

- à conférer dans ce cadre un pouvoir consultatif à la Commission européenne, notamment pour les investissements étrangers ciblant des projets et programmes d'intérêt européen tels que Galileo, Copernicus ou Horizon 2020.

Valérie Liang-Champrenault, chef du bureau des investissements à la direction générale du Trésor, a indiqué à votre mission que le Gouvernement soutenait la proposition de la Commission, cette dernière paraissant équilibrée tout en constituant une réponse rapide et efficace à la problématique du contrôle des investissements directs étrangers susceptibles d'être une menace à l'ordre public et à la sécurité nationale.

Au cours des auditions de la mission, certains intervenants ont certes appelé de leurs voeux la mise en place d'un contrôle au niveau européen. Ainsi, pour Philippe Varin, président de France Industrie, « si le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le protectionnisme, il faudrait néanmoins que l'Europe se dote d'un mode de protection, aussi vigilant et fonctionnel que le comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) américain qui préserve les industries stratégiques. En Europe, certains secteurs, comme l'énergie et le numérique, présentent de réelles opportunités de convergence . » 28 ( * ) Toutefois, au regard des positions divergentes des États membres, votre mission estime que la proposition de règlement est un compromis - sans doute perfectible - mais qui constitue déjà une avancée significative .

c) Des raisons d'espérer une véritable politique industrielle européenne ?

À la suite de la demande formulée par le Conseil de l'Union européenne en mai 2017 puis le Conseil européen le 23 juin 2017, et de la résolution du Parlement européen du 5 juillet suivant en faveur d'une « stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne en tant que priorité stratégique pour la croissance, l'emploi et l'innovation », la Commission européenne a publié le 13 septembre 2017 une nouvelle communication intitulée : « Investir dans une industrie intelligente, innovante et durable - une stratégie revisitée pour la politique industrielle de l'Europe ».

Cependant, si la Commission entend replacer l'industrie au coeur des enjeux européens, ses préconisations restent décevantes : plutôt que d'envisager le lancement d'actions idoines nouvelles, la communication présente un certain nombre d'actions clés ponctuelles sans véritable stratégie globale . Celle-ci apparaît avant tout comme une compilation, certes pédagogique, d'actions qui, pour un certain nombre, étaient déjà lancées 29 ( * ) , sur le point de l'être 30 ( * ) ou en cours de discussion au sein des instances européennes 31 ( * ) .

Si le manque d'ambition de cette communication peut s'expliquer par l'échéance prochaine du mandat de la Commission, qui a sans doute été de nature à réduire le champ de ses propositions, il n'en demeure pas moins qu'elle se trouve très en deçà du mandat qui lui avait été donné par le Conseil . Ce dernier a donc repris l'initiative en adoptant, dans sa formation « Compétitivité » des conclusions le 12 mars 2018 dans lesquelles il développe les voies pour l'avenir d'une véritable stratégie industrielle européenne.

En effet, à titre général, le Conseil souligne la nécessité « de renforcer la base industrielle en tant que composante essentielle de l'avenir de l'Europe », l'industrie européenne demeurant « un moteur important de la productivité, de la croissance, de l'innovation et de l'emploi, ainsi qu'un élément fondamental de la prospérité économique en Europe ». Il expose que « l'industrie a besoin d'un cadre réglementaire clair, prévisible et non discriminatoire qui lui permette de réaliser des investissements tournés vers l'avenir », rappelle « l'importance des services liés aux entreprises » et insiste sur « la nécessité d'une approche stratégique structurée et globale à long terme ».

Le Conseil conclut, dès lors, qu'« afin de préserver la compétitivité de l'Europe à l'échelle mondiale, (...) il est nécessaire et urgent de définir une stratégie industrielle globale de l'UE à long terme, qui devrait être en place au plus tard au début du prochain cycle institutionnel de l'UE » et, « à cette fin, invite la Commission à s'appuyer sur la structure de gouvernance existante et à axer ses efforts sur l'élaboration de l'ensemble des éléments qui formeront la future stratégie, notamment un plan d'action » en associant « étroitement les États membres à ce processus ».

Votre mission se félicite de cette nouvelle impulsion donnée à la politique industrielle de l'Union européenne et souhaite que la mise en oeuvre de cette stratégie globale soit l'un des objectifs prioritaires de la nouvelle Commission européenne qui sera désignée en 2019.

Dans cette perspective, elle insiste particulièrement sur la plus grande prise en considération, par la réglementation européenne relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte mondialisé où seules des entreprises d'une taille critique suffisante au niveau mondial peuvent rivaliser durablement avec les géants industriels, souvent de nature conglomérale, implantés hors de l'Union européenne .

Comme l'a souligné devant la mission Philippe Varin, président de France Industrie, « atteindre 20 % de la part de l'industrie dans le PIB est un objectif ambitieux, dont la réalisation exige certaines consolidations ; ce dont doit d'ailleurs avoir conscience la direction de la concurrence de la Commission européenne . »

Votre mission estime que cette inflexion indispensable de la politique actuelle serait pleinement compatible avec les engagements internationaux des États membres comme de l'Union européenne , notamment dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Proposition n° 2 : Inviter la Commission européenne à une plus grande prise en considération, dans l'application de la réglementation relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte mondialisé où les entreprises doivent avoir une taille critique pour rivaliser avec les géants industriels implantés hors de l'Union européenne.

De même, votre mission ne peut qu'inciter la Commission européenne à persévérer dans ses efforts pour favoriser l'adoption par le Conseil de l'Union européenne d'une réglementation plus protectrice des intérêts industriels européens, en matière de commerce international, dans laquelle la notion de réciprocité doit avoir toute sa place.

3. Quel positionnement pour la France ?

Face à ces stratégies étatiques étrangères, et compte tenu de l'état actuel de la stratégie industrielle de l'Union européenne, quel doit être le positionnement de notre pays ?

Au cours des dernières années, l'État a tenté de définir, de façon fluctuante, des stratégies de développement de l'industrie française, sous la bannière de la « Nouvelle France industrielle » . En septembre 2013 ont ainsi été lancés les « 34 plans de reconquête industrielle », destinés à développer des projets innovants sur des segments industriels très circonscrits : par exemple, dans le domaine des transports, « la voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km », les bornes électriques de recharge, les dirigeables-charges lourdes, le TGV du futur ou les navires écologiques.

S'il s'agissait à juste titre de favoriser l'éclosion de solutions où la France jouerait un rôle de leader, on pouvait regretter le choix d'une approche très factuelle et cloisonnée entre les divers plans. Aussi ce programme a-t-il laissé place, en mai 2015, à une approche autour de « 9 solutions industrielles », répondant à la volonté de moderniser notre appareil productif et d'accompagner nos entreprises industrielles dans la transformation de leurs modèles d'affaires, de leur organisation, de leurs modes de conception et de commercialisation par le numérique.

Votre mission souligne en effet qu'aujourd'hui une industrie est puissante si elle est en mesure de « croiser » les technologies pour créer des produits intégrés dans des systèmes. Dans ce contexte, l'industrie française doit donc non seulement créer de nouveaux produits, performant en eux-mêmes - puisqu'effectivement ce sont ces produits qui seront mis sur le marché - mais surtout de définir les systèmes au sein desquels ils prendront place et où leur potentiel d'utilisation pourra se développer .

Les auditions menées par la mission ont fait apparaître la nécessité de porter l'effort industriel en France sur deux axes complémentaires : d'abord participer et créer des solutions dans le cadre des révolutions systémiques actuelles ; d'autre part, s'appuyer sur les domaines actuels de compétence et de compétitivité de notre industrie, afin de les développer encore plus fortement.

a) Faire rayonner l'industrie française dans les révolutions systémiques actuelles

Il est des domaines transversaux qui innervent l'ensemble de l'activité industrielle et, plus généralement, de la société . L'industrie française doit y trouver sa place, et l'un des enjeux de la stratégie industrielle des pouvoirs publics est de pouvoir donner aux entreprises industrielles les moyens d'investir pleinement les problématiques qu'ils soulèvent. La mission en a relevé trois prioritaires .

Dans ces domaines, votre mission insiste particulièrement sur l'importance de la normalisation pour valoriser les solutions industrielles françaises. Ces prescriptions techniques, déterminées par les professionnels eux-mêmes, d'application volontaire mais dont l'impact quotidien dans l'industrie est fondamental, ne doivent pas être négligées. Dans la stratégie industrielle française, il importe d'exercer une action résolue de promotion, tant au niveau européen qu'international, des normes d'origine française , qui peuvent ainsi contribuer à ouvrir des marchés internationaux aux entreprises industrielles, qu'elles soient de grands groupes ou de simples PME ou ETI.

La mission fait donc siennes les préconisations du rapport de notre collègue Élisabeth Lamure en juillet 2017, et insiste pour une utilisation stratégique de la normalisation. 32 ( * )

Proposition n° 3 : Favoriser l'utilisation de la normalisation volontaire française comme un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux.

(1) Les données et l'intelligence artificielle

L'évolution des systèmes d'information permet de prendre en considération de multiples données, relevées par différents capteurs, qui viennent enrichir la connaissance de l'utilisation des produits . Cette connaissance offre la possibilité de paramétrer au mieux les produits afin qu'ils répondent plus précisément encore qu'aujourd'hui aux besoins des utilisateurs. En effet, l'acquisition d'une masse de données, puis leur croisement, permet d'avoir une connaissance particulièrement précise des modalités et conditions d'utilisation des objets ou produits dans leur environnement, tout comme de leur état de fonctionnement.

L'intelligence artificielle permet ensuite de faciliter l'exploitation de ces données et, par ses moyens d'analyse, de proposer les solutions les plus adaptées, avec des moyens décuplés par rapport à l'intelligence humaine, puisque comme l'indiquait récemment Cédric Villani dans son rapport au Premier ministre, « l'intelligence artificielle désigne en effet moins un champ de recherches bien défini qu'un programme, fondé autour d'un objectif ambitieux : comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l'être humain », qui se développe « dans un contexte technologique marqué par la « mise en données » du monde (datafication), qui touche l'ensemble des domaines et des secteurs, la robotique, la blockchain, le supercalcul et le stockage massif ». 33 ( * )

Comme le soulignaient nos collègues Dominique Gillot et Claude de Ganay au titre de l'Office public des choix scientifiques et technologiques (OPECST) 34 ( * ) en mars 2017, le développement de l'intelligence artificielle conforte la transformation de nos économies en économies « de plateformes » qui se fondent sur une exploitation de données numérisées.

La maîtrise des solutions technologiques à la base de l'intelligence artificielle et, plus encore, l'utilisation de ces solutions dans les processus de production industrielle ainsi que pour développer les nouveaux usages de produits « traditionnels », est donc un enjeu majeur à l'échelle mondiale . Elle doit donc être un axe majeur de l'industrie française , tant en termes de conception de mécanismes d'intelligence artificielle qu'au regard de l'utilisation des solutions technologiques qui en sont issues, cette dernière permettant d'assurer la montée en gamme technologique des objets produits et de favoriser le développement des services associés.

Dès lors, votre mission ne peut qu'approuver le plan en faveur de l'intelligence artificielle annoncé par le Président de la République le 29 mars 2018 au Collège de France. L'intelligence artificielle doit être au coeur de la stratégie industrielle des pouvoirs publics, qui doivent tant au niveau national qu'au niveau des territoires, favoriser les actions qui concourent à son développement en France.

(2) La transition énergétique

La transition énergétique actuelle constitue également un enjeu essentiel pour notre industrie. Du reste, dès le Grenelle de l'environnement en 2018, la France avait formalisé une forte ambition pour que la transition énergétique contribue à développer de nouvelles filières industrielles créatrices d'emplois, en particulier dans le secteur des énergies renouvelables. Malheureusement, cet objectif est progressivement passé au second plan, si bien que, selon la Cour des comptes 35 ( * ) , la France présente aujourd'hui un bilan industriel décevant dans ce domaine. Pourtant, la chaîne de valeur de ce secteur comporte de nombreuses activités industrielles, qu'il s'agisse des études, de l'ingénierie, de la fabrication des équipements, de leur installation, de leur exploitation, de leur maintenance, de leur démantèlement ou de leur recyclage.

En réalité, la transition énergétique opère à la fois comme une contrainte et une opportunité pour l'industrie :

- l'industrie est d'abord bousculée par la transition énergétique , puisqu'elle doit intégrer l'évolution des sources et des modes de production énergétiques dans son propre fonctionnement. Pour elle-même, elle doit donc tendre à une réduction de son empreinte énergétique par la réalisation d'économies d'énergie et la recherche d'une plus grande efficacité et sobriété énergétiques de ses processus de production.

La maîtrise du poste « énergie » n'est certes pas nouvelle dans l'industrie, en particulier pour les énergo-intensifs, mais elle est aiguillonnée désormais par des contraintes réglementaires et fiscales, à commencer par la tarification du carbone via les systèmes de taxation ou d'échanges de quotas d'émissions, voire par des engagements environnementaux dans le cadre de la responsabilité sociétale de l'entreprise. Elle permet d'ailleurs à l'industrie, par la modulation de sa consommation - via le recours à la technique de l'effacement ou l'adhésion à un mécanisme d'interruptibilité - de contribuer au pilotage du système énergétique français ;

- mais l'industrie - du moins certaines de ses filières - est aussi un acteur, voire un moteur, de la transition énergétique.

Il en va ainsi, d'abord, des énergéticiens dont le métier est bouleversé et qui doivent s'orienter vers des énergies moins carbonées , sinon décarbonées. L'exemple en est donné par Engie qui cède ses centrales charbon et s'oriente vers les énergies renouvelables, EDF qui annonce un plan d'investissement massif dans le solaire, ou Total qui se déploie dans le gaz et la commercialisation d'électricité. Dans le même temps, ces industries doivent innover, notamment sur le stockage des énergies renouvelables intermittentes. Ainsi, EDF entend désormais investir fortement dans le stockage électrique et Total a racheté le spécialiste français de batteries, Saft.

Cette innovation porte également sur le développement de nouvelles filières énergétiques , comme l'éolien flottant ou l'hydrolien, qui sont deux des rares secteurs où la France est encore en pointe. Sa place dans l'éolien ou l'énergie solaire est en effet désormais réduite à portion congrue : selon l'Ademe, les industries françaises couvrent actuellement moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication dans les énergies renouvelables électriques.

Dans l'éolien, les turbines installées sont fabriquées par des industriels étrangers, quatre grands groupes européens se partageant 80 % du marché. Selon l'Ademe et la DGE, seulement 40 % environ de la part de la valeur ajoutée dans les nouveaux parcs éoliens terrestres serait d'origine française. Dans le domaine de l'énergie solaire, la part française de la valeur ajoutée des installations photovoltaïques représente 44 % du total.

Néanmoins, des sociétés françaises interviennent dans la chaîne de valeur de ces énergies renouvelables. On peut citer notamment Compte-R (chaudière biomasse de grande puissance), Poma (éoliennes terrestres renforcées ou adaptées aux plafonds aéronautiques bas), DualSun (panneaux solaires hybrides), Photowatt (fabrication intégrée de modules photovoltaïques) ou Vergnet (éoliennes à résistance cyclonique). En outre, le marché des modules photovoltaïques est dominé à 90 % par les industriels asiatiques, des entreprises françaises sont relativement bien positionnées sur l'intégration et la gestion des systèmes.

Cette évolution des producteurs d'énergie s'accompagne de celle des services associés . Ainsi, les deux filiales d'EDF et d'Engie, respectivement Dalkia et Cofely, figurent parmi les leaders mondiaux des fournisseurs de services énergétiques et de solutions d'efficacité énergétique , et permettent de diffuser l'efficacité énergétique dans le secteur résidentiel, le tertiaire ou l'industrie, de même que des groupes comme Schneider Electric participent au développement de solutions de gestion intelligente de l'énergie.

Ces bouleversements créent des opportunités de développement fortes pour notre industrie , d'autant que la France va devoir massivement investir pour atteindre objectifs d'augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique qu'elle s'est fixés 36 ( * ) .

Comme le souligne la Cour des comptes, un important enjeu sera tout d'abord de parvenir à gérer l'intermittence et la variabilité des énergies renouvelables grâce à une gestion « intelligente » de l'énergie et au développement de technologies de stockage, avec notamment des innovations de rupture possibles en matière de batteries ou de réseaux intelligents (« smart grids »).

Pour l'Ademe, de nombreuses opportunités s'offriront aux industriels français dans le secteur de l'éolien , avec la rénovation des premiers parcs et le « repowering » - qui consiste à démanteler et remplacer une éolienne ancienne par une éolienne plus puissante - ou le développement de l'éolien flottant. Elle estime également que la filière gagnerait à se positionner sur des marchés spécifiques , à attirer sur le sol français l'usine d'un turbinier étranger ou à accompagner les PME/ETI pour investir dans le secteur de la sous-traitance de composants.

Mais pour que l'industrie française puisse véritablement saisir ces différentes opportunités, il faudra que l'État mette enfin en place une véritable stratégie industrielle identifiant les filières et les maillons de la chaîne de valeur les plus porteurs. La révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours doit être l'occasion de mener cette réflexion.

Or, sur ce point, la mission ne peut que faire état de son incompréhension face à l'attitude du Gouvernement sur la filière française des biocarburants , et notamment du biodiesel à base de colza. Alors que la filière s'est fortement développée - avec l'appui des pouvoirs publics et au prix de lourds investissements - afin de créer une filière valorisant les terroirs nationaux, produisant à la fois de l'huile susceptible notamment d'être incluse dans les carburants et des protéines pour animaux, tout en diminuant la dépendance énergétique vis-à-vis de l'étranger, elle ne peut que regretter la décision de l'État de favoriser aujourd'hui des importations massives d'huile de palme produites dans d'autres continents, comme l'a souligné Michel Boucly, directeur général du groupe Avril, lors de son audition en évoquant la transformation du complexe pétrochimique Total de La Mède (Bouches-du- Rhône) en usine de bio-raffinement.

Votre rapporteur tient également à souligner l'importance de la dimension territoriale des enjeux de la transition énergétique, comme l'illustre le cas du Territoire de Belfort.

Pouvant s'appuyer sur la présence de deux leaders mondiaux dans le domaine de l'énergie, à savoir Alstom et General Electric, Belfort a pu constituer autour de ce duo un véritable pôle industriel d'excellence associant des centaines de PME performantes, des laboratoires de recherche universitaires, des centres de recherche privés, ainsi que des centres de formation - le tout avec un soutien fort des pouvoirs publics locaux. Toutefois, la transition énergétique en cours, parce qu'elle perturbe profondément le secteur des énergies de puissance, et notamment le secteur des turbines à gaz de moyenne et forte puissance, impacte désormais le projet du cluster Vallée de l'énergie. La situation nouvelle crée une contrainte forte pour les salariés et les entrepreneurs locaux, dont votre rapporteur a pu percevoir le caractère anxiogène lors du déplacement de la mission d'information ; toutefois, elle leur ouvre aussi des opportunités de développement nouvelles.

Si l'activité de fabrication et d'intégration des turbines à gaz s'installe durablement à un niveau réduit, inférieur de l'ordre de 40 à 50 % à celui qui prévalait avant la transition énergétique, la stratégie du territoire devra en effet s'adapter à cette nouvelle donne. Une des voies à explorer serait d'accorder dans le projet de Vallée de l'énergie une place plus large aux problématiques liées aux énergies renouvelables et au stockage de l'énergie . Les acteurs économiques, politiques et administratifs locaux doivent se mobiliser et se placer en anticipation par rapport à ces transformations structurelles afin de les orienter dans un sens favorable au développement du territoire au lieu de les subir. L'effort doit viser à faire venir de nouveaux acteurs industriels tout en aidant les acteurs actuels à opérer le virage vers le renouvelable. Moyennant un travail d'accompagnement et d'investissement adéquat, de très nombreuses compétences dans le domaine de la fabrication industrielle et de l'ingénierie des turbines à gaz sont en effet transférables au secteur des énergies renouvelables. Parallèlement à ce travail local de redéfinition de la stratégie économique du territoire, le Gouvernement doit exercer son influence auprès de GE pour conjurer le risque d'un désengagement brutal et laisser le temps d'opérer les transitions nécessaires.

(3) Les nouvelles mobilités

Comme l'a souligné lors de son audition Pierre Veltz, chercheur en économie et sociologie, ancien directeur de l'École des Ponts-et-Chaussées, la mobilité est l'un des secteurs les plus affectés par les croisements de technologies destinés à créer des « produits-systèmes ». Elle intègre en effet des technologies de transport, incluant notamment une problématique de multi-modalités et d'usages, mais également des technologies relatives à l'énergie - notamment la recherche de solutions de propulsion décarbonées - ainsi que concernant l'automatisation et la gestion des données, dans la volonté de développer des véhicules connectés et autonomes. Le tout s'intègre dans un changement de perspective du consommateur, qui recherche moins désormais la détention du bien que son utilisation.

D'abord, les mobilités sont directement impactées par la transition énergétique. En matière automobile, la recherche de moyens de propulsion moins consommateurs en énergie et moins polluants implique de trouver de nouveaux produits. Le choix de réduire le niveau du recours aux énergies fossiles et, en leur sein, de sortir du diesel à très courte échéance implique de repenser les systèmes de propulsion des véhicules automobiles, et par là même, de faire évoluer l'offre industrielle existante dans ce domaine.

Comme le soulignaient récemment le CGEDD et le CGE, 37 ( * ) le diesel représente aujourd'hui seulement un peu plus de 50 % des ventes de véhicules neufs, et les prévisions annoncées envisagent au niveau mondial une part du diesel entre 15 et 35 % en 2025. Les conséquences qui en découlent sont importantes pour la filière en France, dont les effectifs sont évalués entre 12 000 et 13 000 emplois directs. Il est donc nécessaire d'engager la mutation des sites de production actuels vers des activités de motorisation alternative, ce qui nécessite un délai d'adaptation long, des investissements conséquents, et vraisemblablement une diminution du nombre d'emplois concernés. Il revient ainsi à la filière automobile d'investir dans l'usage de nouveaux carburants alternatifs , qu'il s'agisse du gaz naturel véhicule (GNV), des biocarburants, ou de la motorisation électrique.

Dans le même temps, l'industrie française doit prendre toute sa place dans le défi technologique que constitue le véhicule connecté et autonome , dans lequel la France reste en retard par rapport aux acteurs allemands ou nord-américains. À cet égard, la mission se félicite du plan que vient de lancer en mai 2018 le Gouvernement, à la suite des propositions faites par Anne-Marie Idrac, Haute responsable pour la stratégie nationale du développement des véhicules autonomes. 38 ( * )

Les défis ne concernent toutefois pas les seuls véhicules automobiles. Ainsi, la filière ferroviaire s'est également engagée dans l'utilisation d'autres moyens de propulsion. Lors du déplacement d'une délégation de la mission sur le site d'Aytré, la direction d'Alstom a souligné l'intérêt de la propulsion à l'hydrogène , qui constitue une alternative à l'électrification du réseau ferroviaire français (dont 50 % restent encore non électrifiés). Il s'agit d'une piste intéressante de développement, qui pourrait être davantage appuyée par les pouvoirs publics nationaux ou régionaux, afin de définir les besoins et de construire un projet aussi adapté que possible.

b) Conforter les secteurs qui sont le socle de notre puissance

Il n'y a plus aujourd'hui de biens d'équipement de fabrication française dans les usines françaises : selon la Fabrique de l'industrie, la France a pris un tel retard en la matière qu'elle n'est aujourd'hui plus en mesure de rivaliser avec ses concurrents japonais, chinois, allemands voire italiens. 39 ( * ) Il serait donc vain de recréer de tels secteurs. En revanche, la France doit s'appuyer sur ceux qui tirent aujourd'hui sont économie, pour les renforcer.

(1) L'agroalimentaire

Secteur traditionnel de notre économie, le secteur agroalimentaire peut être le fer de lance d'une politique industrielle basée sur les territoires . Les industries alimentaires, fortement implantées dans les espaces ruraux, sont les vecteurs du maintien d'une industrie de proximité , loin des métropoles, dans les parties du territoire où la désindustrialisation a été la plus forte.

Forte d'une image de qualité et de la diversité de sa production, l'industrie agroalimentaire est un atout pour nos emplois et pour ouvrir nos marchés à l'exportation. Concurrencée par des acteurs européens, voire des nouveaux acteurs dans les pays émergents, elle est aujourd'hui confrontée au défi de la transformation.

Transformation du tissu industriel , d'abord, compte tenu de l'émiettement des acteurs. Comme le soulignait l'ANIA lors de son audition, l'industrie alimentaire est formée de 77 % de TPE et de 21 % de PME. Le défi de la croissance, pour peser sur des marchés à l'exportation, est donc plus important qu'ailleurs, notamment dans la mesure où beaucoup restent des entreprises de nature familiale. Par ailleurs, si certains centres de production sont à la pointe des technologies, beaucoup restent encore dotés d'outils de production vieillissants , qui ne seront pas à même de suivre l'évolution de la demande des consommateurs, qui en elle-même est un levier de croissance.

L'alimentation est en effet dorénavant perçue non plus comme un simple moyen de se nourrir, mais comme un élément de santé et de bien-être. Il s'agit d'un axe de développement en tant que tel, et cela peut justement participer d'un écosystème plus large, en étant associé à certains produits de santé.

Par ailleurs, la recherche agroalimentaire est aujourd'hui en mesure d'augmenter la valeur nutritive et énergétique des produits, en renforçant par exemple l'apport en protéines, ou en développement de nouveaux ferments. De même, un axe de développement est, comme l'a indiqué l'ANIA au cours de son audition, le développement du numérique qui permet de renforcer la traçabilité des produits, la qualité des contrôles sanitaires ou les conditions de conservation des produits.

Reste sans doute à créer une image plus « unitaire » de la production alimentaire française. Sa puissance, notamment à l'étranger, s'est faite sur des produits de terroirs et des appellations diverses qui, si elles témoignent de la richesse et de la multiplicité des savoir-faire, apparaissent parfois trop complexes pour des acheteurs étrangers. L'Italie a su développer un marketing national pour l'ensemble de ses produits, sans pour autant gommer les spécificités de ses productions locales. Sur ce point, le défi est sans doute pour nos industries de faire du « label France » une marque que tous les consommateurs étrangers pourront reconnaître sans difficulté .

(2) Les transports

Les constructeurs français en matière de transports sont des acteurs majeurs de notre économie : champions nationaux, ils sont aussi des acteurs majeurs sur le marché mondial.

Ces constructeurs ont su développer des choix technologiques innovants, qui leur ont permis de décrocher des marchés. Mais ils sont des acteurs confrontés à des marchés cycliques et qui doivent affronter aujourd'hui des concurrents puissants. Les travaux de votre mission sur la situation d'Alstom l'ont mis en exergue : il y a, en ce domaine, une course à la taille critique alliée à un développement d'une activité de recherche appliquée qui conduit nos champions à passer sous une bannière étrangère. La situation n'est pas différente dans le domaine de la construction navale, comme le dossier des Chantiers navals de l'Atlantique STX l'a montré : passé sous pavillon norvégien en 2006, puis coréen, compte tenu de la prise de contrôle de l'investisseur norvégien, le groupe a vocation à passer sous pavillon italien, même si l'accord négocié par l'État français avec le groupe Fincantieri est de nature à encadrer provisoirement les prérogatives de ce dernier.

À l'inverse, le groupe PSA a su saisir l'opportunité de racheter les groupes Opel et Vauxhall, en perte de vitesse, à l'américain General Motors, afin de gagner des synergies sur une partie de sa gamme de véhicules.

Sur le marché aéronautique , la France doit conserver sa position de leader, compte tenu de l'implantation des sites d'Airbus sur son territoire, où sont concentrés l'essentiel des bureaux d'études et des capacités d'assemblage du groupe.

Conforter nos leaders est indispensable, d'autant qu'en tant que grands donneurs d'ordres, ils tirent un écosystème structurant de fournisseurs et de sous-traitants, qui restent souvent des PME établies localement.

Mais outre leur caractère structurant, les acteurs industriels français dans le domaine des transports sont, par la nature même de leurs productions, au coeur de la révolution industrielle actuelle qui innerve les nouvelles formes de mobilité : véhicules ou aéronefs connectés, véhicules autonomes. Des grands fournisseurs industriels comme Valéo sont ainsi en pointe dans ce domaine, et il convient de les accompagner au mieux afin qu'ils deviennent des champions.

(3) La défense

Notre pays peut aussi s'appuyer sur une industrie de défense parmi les premières du monde. Aussi appelée Base industrielle et technologique de défense (BITD), elle emploie environ 165 000 personnes au sein de 4 000 entreprises (dont environ 350 à 400 sont considérées comme stratégiques, c'est-à-dire associées à la souveraineté de la France), et dont les plus importantes sont bien connues : Dassault Aviation, Thales, Airbus group, Safran, Naval Group ou KNDS - fruit du rapprochement de l'allemand KMW et du français Nexter Systems.

Cette industrie est présente sur la presque totalité du spectre des biens nécessaires à la défense nationale en produisant des avions militaires de combat ou de transport (Rafale, A400M), des navires (sous-marins, navires Mistral, frégates multi missions FREMM,...), des hélicoptères, des systèmes électroniques de communication et des radars, des véhicules de transport ou de combat terrestres ou encore des missiles.

La force de cette industrie tient également à sa très forte capacité d'innovation : les entreprises de la BITD investissent en moyenne entre 10 % et 20 % de leur chiffre d'affaires dans les opérations de recherche et développement (R&D) et de recherche et technologie (R&T) et jouent donc un rôle de premier plan dans la capacité de la France à rester un leader technologique dans certains domaines. Ce d'autant plus que, comme l'ont souligné les représentants d'Airbus group au cours de leur audition, les développements technologiques de la défense sont souvent duals : ils peuvent ainsi bénéficier, avec les adaptations nécessaires, à des programmes industriels civils dans bien d'autres domaines, et inversement . Ce qui justifie du reste pleinement des groupes industriels qui, à l'instar d'Airbus group ou de Dassault aviation, sont présents à la fois sur le marché des équipements de défense et de sécurité, et sur les marchés de l'aéronautique civile ou du spatial.

Enfin, il s'agit à la fois d'une industrie de « souveraineté » qui, à ce titre, doit être pleinement appuyée par l'État qui lui consacre via ses commandes 18,5 Md€ en 2018, et une industrie d'export dynamique et de grande ampleur. À cet égard, la BITD française a enregistré des commandes record en 2015 et 2016, notamment dans le domaine aéronautique (trois contrats export Rafale avec les armements associés) et naval (conception et construction d'une plate-forme de 12 sous-marins en Australie sur 50 ans).

(4) La santé

La demande de solutions de santé ne va faire qu'augmenter dans les années à venir, en France comme dans le reste du monde, avec le vieillissement de la population des pays industrialisés, le développement des maladies chroniques, la réémergence de maladies infectieuses et l'enrichissement des pays émergents. Or, la France dispose d'atouts scientifiques, industriels et médicaux exceptionnels qui doivent lui permettre de demeurer l'un des principaux pôles mondiaux d'innovation thérapeutique et de répondre efficacement à cette demande.

Selon la Fédération française des industries de santé, cette filière stratégique pour l'économie française compte 3 100 entreprises réparties dans 2 500 sites sur tout le territoire. Ces entreprises réalisent un chiffre d'affaires global de 90 Md€ et représentent quelque 455 000 emplois directs et associés. Leurs ventes à l'exportation s'élèvent à 34 Md€.

En son sein, le secteur pharmaceutique comprend de grands groupes nationaux et internationaux (Sanofi, Novartis, Pfizer, etc.), mais également des petites et moyennes entreprises de chimie et de façonnage pour la production des médicaments. Les grossistes-répartiteurs et les logisticiens dépositaires, qui s'occupent de la distribution des médicaments, sont pour leur part principalement des PME. Le secteur des entreprises qui produisent des dispositifs médicaux ou des dispositifs de diagnostic in vitro sont par ailleurs à 94 % des PME ou des ETI. Parmi, eux les medtechs proposent des dispositifs très innovants, à l'instar de Carmat et de son coeur artificiel. Le secteur des biotechnologies , enfin, connaît un essor important, avec plus de 650 entreprises actives en France.

Les industries de santé investissent lourdement dans la R&D, à laquelle elles consacrent 30 000 emplois. Ces dépenses en faveur de l'innovation représentent 20 % des dépenses totales de R&D des industries françaises et 15 % des personnels employés dans la R&D tous secteurs confondus en France .

Confrontés à un certain nombre de difficultés, avec les efforts réalisés par les organismes de sécurité sociale pour comprimer la dépense publique de santé, des résultats décevants en termes de recherche clinique, la raréfaction des « blockbusters » sur lesquels beaucoup d'industries pharmaceutiques avaient fondé leur modèle économique ou bien encore des lourdeurs administratives, les acteurs du secteur, rassemblés depuis 2013 dans un comité stratégique de filière, s'attaquent s'investissent tout particulièrement dans les sujets relatifs à l'innovation, à l'export, mais également à la sécurité et à la lutte contre la contrefaçon.

La croissance des capacités de calcul et de stockage et l'émergence de l'intelligence artificielle et des objets connectés vont permettre le développement de nombreux outils d'analyse des données biologiques et médicales et d'applications de santé connectée qui pourraient bouleverser la chaîne de valeur de l'industrie. Il est donc crucial que les industriels français veillent à s'emparer pleinement des opportunités offertes par la santé numérique pour devenir non plus seulement des « vendeurs de médicaments » mais des fournisseurs de « solutions thérapeutiques » complètes comprenant réponses médicales et assistance aux patients.

Proposition n° 4 : Retenir comme axes de développement de l'industrie française des domaines transversaux, notamment les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités, ainsi que les secteurs déjà porteurs de notre économie, notamment l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé.

II. LES VOIES DU RENOUVEAU DE LA STRATÉGIE INDUSTRIELLE DES POUVOIRS PUBLICS

A. LEVER LES FREINS FINANCIERS AU DÉVELOPPEMENT DE L'INDUSTRIE EN FRANCE

1. Développer une fiscalité plus favorable à l'industrie
a) Poursuivre l'allégement du coût du travail pour en faire davantage bénéficier l'industrie

Si l'accent est beaucoup mis aujourd'hui, à raison, sur la compétitivité hors-prix de l'industrie française et sur sa nécessaire montée en gamme , il n'en demeure pas moins capital pour les entreprises françaises de pouvoir vendre leur produit à des prix compétitifs et en rapport avec leur qualité : de fait, il a souvent été reproché à l'industrie française de vendre des biens manufacturés de qualité espagnole à des prix allemands. Dans cette perspective, il apparaît essentiel de maîtriser les coûts de production , et en particulier le coût de la main-d'oeuvre , traditionnellement élevé en France compte tenu du poids des charges sociales .

Alors que de nets progrès ont été réalisés depuis 2012 pour restaurer une compétitivité-coût qui s'était beaucoup détériorée dans la période précédente, l'enjeu est désormais de déterminer s'il faut aller plus loin et, notamment, rehausser le seuil des salaires bénéficiant d'allégements de charges sociales pour aider davantage les entreprises industrielles exposées à la concurrence internationale .

(1) Une compétitivité-coût qui s'était fortement dégradée au cours des années 2000

Alors même que notre pays était confronté à la montée en puissance de la mondialisation des échanges, la compétitivité-prix de l'industrie manufacturière française s'est considérablement dégradée dans les années 2000 . Ce phénomène, largement documenté, a contribué aux pertes de marché des entreprises françaises à l'international et a accéléré le phénomène de désindustrialisation .

Pour mémoire, la compétitivité prix des entreprises dépend d'abord de leur compétitivité coût, elle-même liée à deux facteurs, le coût de la main d'oeuvre (coût du travail) et le coût des consommations intermédiaires (énergie, services) 40 ( * ) . Comme le montrent les études réalisées par la direction générale des entreprises (DGE), le coût horaire de la main-d'oeuvre dans l'industrie française a fortement progressé de +35,2 % dans les années 2000 , soit une moyenne de +0,90 euro/heure par an, contre +0,70 euro/heure par an en Allemagne et dans l'ensemble de la zone euro.

En raison de ce différentiel défavorable, le coût horaire français, qui était largement inférieur au coût horaire allemand en 2000 (24,70 euros/heure contre 27,60 euros), l'a dépassé en 2010 (33,40 euros/heure contre 33,20 euros/heure). L'écart maximal a été atteint en 2012, lorsque le coût horaire français a atteint 35,70 euros/heure, contre 35,00 euros/heure en Allemagne. Cette situation constituait un grave handicap pour l'industrie française , dans la mesure où sa compétitivité hors-prix est beaucoup moins forte que celle de l'industrie allemande, bien plus en mesure d'imposer des prix élevés sans craindre de pertes de parts de marché. Plusieurs mesures correctrices ont été adoptées à partir de 2012.

(2) CICE et modération salariale ont permis d'améliorer la compétitivité-coût des entreprises industrielles depuis 2012

À partir de 2012, la hausse du coût du travail dans l'industrie française a ralenti considérablement , passant de +0,90 euro/heure par an à +0,5 euro/heure par an. Deux facteurs ont permis d'obtenir ce résultat qui a redonné des marges de manoeuvre à nos entreprises industrielles.

En premier lieu, plusieurs mesures fiscales de réduction du coût du travail ont été mises en place , en particulier le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), puis les différentes mesures d'allégements de charges sociales prévues par le Pacte de responsabilité et de solidarité . Crédit d'impôt ciblant les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC, le CICE a ainsi permis à lui seul d'effacer l'équivalent de plus d'une année d'augmentation du coût du travail dans l'industrie manufacturière . Parallèlement, dans un contexte de faible inflation, les salariés de l'industrie française ont consenti d'importants efforts de modération salariale .

LES EFFETS DU CICE SUR LA COMPÉTITIVITÉ-COÛT

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est un avantage fiscal pour les entreprises employant des salariés, équivalant à une baisse de leurs charges sociales.

Comme le montre le rapport 2017 du comité de suivi du CICE, le CICE concerne davantage les petites entreprises et les PME. 77 % de la masse salariales totale des très petites entreprises est éligible au CICE contre 55 % pour celles de plus de 2 000 salariés.

Le CICE concerne surtout les secteurs de l'hébergement et la restauration, les activités de services administratifs, les activités pour la santé humaine ou encore la construction : la part de la masse salariale éligible au CICE y est supérieure à 78 %. À l'opposé, les entreprises de secteurs tels que le raffinage et la cokéfaction, la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, les activités financières et d'assurance ou encore celles de recherche et développement ont en moyenne moins de 40 % de leur masse salariale totale éligible au CICE.

Depuis la mise en oeuvre du CICE, le montant de CICE déclaré par les entreprises redevables de l'IS et de l'IR depuis sa mise en oeuvre a été de 62,1 Md€, dont 11,6 Md€ déclarés au titre des salaires de 2013, 17,5 Md€ déclarés au titre des salaires de 2014, 17,9 Md€ déclarés au titre des salaires de 2015 et 15,1 Md€ déclarés au titre des salaires de 2016 (données partielles au 5 août 2017).

Au total, 42,3 Md€ (68 %) ont été effectivement versés aux entreprises sous forme d'imputations ou de restitutions immédiates.

La dépense budgétaire effective liée au CICE devrait progresser sensiblement en 2017 et 2018, notamment avec la restitution des reliquats de crédit d'impôt sur les salaires de 2013 et 2014, exigibles automatiquement s'ils n'ont pu être imputés durant trois ans. Elle serait en recul dès 2019 avec la baisse du taux de 7 % à 6 % au 1 er janvier 2018 puis avec la suppression du dispositif au 1 er janvier 2019.

Source : Comité de suivi du CICE.

Grâce à ces deux facteurs, le coût horaire du travail dans l'industrie manufacturière française est redevenu inférieur au coût horaire allemand : en 2016, le coût horaire français était ainsi de 37,60 euros par heure contre 39,00 euros par heure en Allemagne.

Au reste, cette situation s'explique également par l'évolution de la situation salariale en Allemagne. Après avoir consenti des efforts considérables pour restaurer la compétitivité de l'économie allemande tout au long des années 2000, les salariés allemands, et en particulier ceux de l'industrie, réclament désormais un plus juste partage des fruits de la croissance. Ils ont ainsi obtenu en janvier 2015 l'instauration d'un salaire minimum, avant que plusieurs accords de branche successifs prévoient d'importantes revalorisations salariales : le syndicat IG Metall et la fédération patronale Gesamtmetall , qui représentent le secteur de la métallurgie, ont ainsi signé en mai 2016 un accord sur une augmentation des salaires des employés de la métallurgie de 4,8 % sur 21 mois. De nouvelles hausses de 4,3 % ont été actées en février 2018.

L'amélioration du coût du travail français doit toutefois être relativisée, car il n'est pas le seul à avoir ralenti ces dernières années : c'est aussi le cas du coût horaire en Espagne ou bien encore en Italie. En outre, le coût horaire français demeure, avec 37,60 euros par heure, l'un des plus élevés de la zone euro, où le coût du travail atteint en moyenne 32,40 euros par heure.

(3) De nouvelles baisses de charges ciblées sur les salaires intermédiaires doivent être envisagées

Le débat sur le ciblage des baisses de charges sociales divise les économistes.

Certains plaident pour les concentrer au maximum sur les salaires proches du SMIC, afin de créer un maximum d'emplois, quitte à ce que ceux-ci soient de piètre qualité et se trouvent dans des secteurs protégés de la concurrence internationale. Le risque de ce type de stratégie est de décourager la montée en compétences de la population active et de provoquer l'apparition de « trappes à bas salaires », dont ne parviendront pas à s'extraire les salariés les moins qualifiés.

D'autres estiment au contraire que la priorité est d'aider les secteurs exposés à la concurrence internationale, et en premier lieu l'industrie, ce qui implique de prévoir des allègements sur une échelle de salaires plus étendue, les salaires dans l'industrie étant en moyenne plus élevés que ceux du reste de l'économie.

Le rapport Gallois de novembre 2012, qui a largement inspiré la politique en faveur de la compétitivité des entreprises menée sous le quinquennat précédent, plaidait pour des allègements de charges jusqu'à 3,5 SMIC. Il n'avait pas été entendu sur ce point par les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, sous la présidence de François Hollande.

Au total, sur les diverses mesures d'allègement du coût du travail (allègements généraux, CICE, Pacte de responsabilité, etc.) - qui représentent désormais près de 50 Md€ de manque à gagner pour les finances publiques - les deux tiers concernent les rémunérations inférieures à 1,5 SMIC et donc principalement des emplois protégés de la concurrence internationale, alors que les charges salariales demeurent élevées sur les emplois tournés vers l'exportation de biens et de services, et en particulier pour l'industrie.

Votre mission juge indispensable de remédier rapidement à cette situation.

Selon une étude réalisée en 2015 par l'économiste Gilles Koléda pour La Fabrique de l'industrie, entendue par la mission d'information, des allègements de charges de 10 Md€ ciblés sur les emplois exposés à la concurrence internationale permettraient la création de 130 000 emplois en 10 ans, dont 77 000 emplois dans l'industrie. Ce type de ciblage étant interdit par le droit de l'Union européenne relatif aux aides d'État, il convient toutefois de réfléchir à d'autres dispositifs.

Toujours selon la Fabrique de l'industrie, un allègement de 10 Md€ sur les salaires intermédiaires compris entre 1,6 SMIC et 3,5 SMIC, qui concernent de nombreux salariés de l'industrie exposés à la concurrence internationale, permettrait de créer 75 000 emplois supplémentaires au bout de dix ans, soit un chiffre comparable à celui obtenu en les concentrant sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC, mais avec 8 000 emplois de plus dans l'industrie.

Alors que le CICE sera transformé en baisses de charges pérennes à compter du 1 er janvier 2019, votre mission estime que la compétitivité-coût de l'industrie française devrait être davantage soutenue en prévoyant des diminutions de cotisations patronales, qui pourraient aller jusqu'à 3,5 SMIC pour certains emplois particulièrement exposés à la concurrence internationale.

Celles-ci devraient toutefois s'accompagner d'un véritable effort de modération salariale pour produire pleinement leurs effets.

Proposition n° 5 : Prévoir des diminutions de cotisations patronales qui pourraient aller jusqu'à 3,5 SMIC pour certains emplois particulièrement exposés à la concurrence internationale.

b) Les impôts de production, un handicap pour l'industrie française ?
(1) Des impôts qui pèsent sur les entreprises industrielles, qu'elles soient bénéficiaires ou non

Si la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) de 33,3 % à 25 % en 2022 prévue par la loi de finances pour 2018 bénéficiera aux entreprises industrielles, ce sont surtout les impôts de production 41 ( * ) , impôts perçus par les collectivités publiques que les entreprises réalisent des bénéfices ou des pertes , qui constituent pour elles « un fardeau » souvent difficilement supportable , selon Philippe Varin, président de France Industrie entendu par la mission.

La mission se félicite que le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire ait décidé de faire travailler ses services et des représentants de l'industrie sur les moyens de réduire le poids que font peser ces impôts de production sur les entreprises industrielles . Ceux-ci ont présenté un document de travail le 18 avril 2018 dans lequel ils indiquent que « le niveau de prélèvements obligatoires de production est une spécificité française qui désavantage nos entreprises ». Le montant total de ces prélèvements s'est élevé à 72 Md€ en 2016, soit 3,2 % du PIB , contre une moyenne de 1,6 % du PIB dans la zone euro.

Les travaux du groupe se sont d'abord attachés à définir le périmètre des impôts de production et à établir un diagnostic partagé, avant que ne s'engage dans un second temps une réflexion sur les modalités d'évolution à retenir qui n'a pas encore abouti à ce stade.

Selon les premiers éléments d' état des lieux présentés par ce groupe de travail, figurent tout d'abord parmi les impôts de production les impôts qui reposent sur le chiffre d'affaires des sociétés . Si le groupe de travail relève que « le chiffre d'affaires est l'agrégat comptable le plus objectif », il note en revanche que « la taxation du chiffre d'affaires est distorsive eu égard à la grande variabilité des ventes réalisées selon les différents secteurs et l'organisation productive des filières » et que « le niveau de chiffre d'affaires d'une entreprise n'offre pas d'indication sur sa capacité contributive ». Il s'agit aujourd'hui principalement de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) , affectée aux organismes de sécurité sociale et dont s'acquittent désormais seulement les entreprises qui réalisent plus de 19 M€ de chiffre d'affaires, les entreprises situées sous ce seuil ayant été exonérées de C3S dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité mis en oeuvre lors du précédent quinquennat. En 2016, l'industrie manufacturière a payé 804 M€ de C3S , soit 22,6 % de la recette totale de cet impôt (3,6 Md€).

Les autres impôts de production relèvent de la fiscalité locale .

Dans cette catégorie, peuvent en effet être considérés comme des impôts de production ceux qui pèsent sur la masse salariale des entreprises . Si l'industrie n'est pas concernée par la taxe sur les salaires, qui pèse sur les secteurs bancaire et de l'assurance, elle s'acquitte en revanche du versement transport dû par toutes les entreprises de plus de onze salariés pour financer les transports en commun sous l'égide des autorités organisatrices de la mobilité. Le montant du versement transport payé par les entreprises s'est élevé à 7,2 Md€ en 2016.

La taxation reposant sur le foncier , c'est-à-dire sur les terrains et les bâtiments qui appartiennent aux entreprises industrielles, peut également être qualifiée d'impôt de production, dans la mesure où cette assiette paraît « déconnectée de la capacité d'une entreprise à payer l'impôt », selon les termes du groupe de travail, qui relève « qu'une présence immobilière importante ne présage pas du caractère bénéficiaire d'une entreprise ». Deux impôts locaux dont s'acquittent les entreprises sont concernés : la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la contribution foncière des entreprises (CFE) . Les montants de ces impôts payés par les entreprises se sont élevés respectivement à 12,1 Md€ et 6,5 Md€ en 2016, l'industrie s'acquittant à elle seule de 23 % du montant total de ces impôts.

Le groupe de travail se montre en revanche mesuré sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) , dans la mesure où la valeur ajoutée produite par une entreprise constitue, selon lui, un agrégat « plus proche que les autres impôts de la faculté contributive d'une entreprise ». Le montant de CVAE payé par les entreprises a représenté 13,3 Md€ en 2016, 22,4 % de cette somme étant payée par l'industrie manufacturière.

Le groupe conclut dès à présent sur la nécessité de supprimer des petites taxes qui représentent une charge importante pour les entreprises industrielles alors que leur rendement est réduit par rapport à leurs frais de perception pour l'administration fiscale. Il existait en effet en France en 2014 pas moins de 192 taxes dont le rendement est inférieur à 150 M€.

(2) Des ajustements souhaitables, à la condition de préserver les ressources des collectivités territoriales

À l'exception notable de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), la plupart des « impôts de production » identifiés par le groupe de travail du ministère de l'économie et des finances sont des impôts locaux.

Pour mémoire, 48 % des recettes des impôts locaux sont payées en France par les entreprises , ce qui représente un montant de 39,3 Md€ par an, et même de 47,2 Md€ par an si l'on prend en compte le versement transport. Réciproquement, la fiscalité locale correspond à 13 % de l'ensemble des prélèvements obligatoires dont les entreprises sont redevables . Fin 2016, la fiscalité locale des entreprises représentait ainsi 3,1 % de leur valeur ajoutée marchande et 2,4 % de leur valeur ajoutée totale .

Parmi les impôts locaux qui font l'objet du plus de critiques par les dirigeants d'entreprises industrielles, on trouve notamment, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, la cotisation foncière des entreprises (CFE) , et, dans une moindre mesure, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou bien encore le versement transports (VT) .

La mission considère que la demande des entreprises industrielles de réétudier de façon précise l'assiette des impôts locaux pour éviter au maximum de les faire peser sur les facteurs de production de l'industrie est légitime . Dans cette perspective, les travaux du groupe de travail mis en place par le ministre de l'économie et des finances doivent se poursuivre .

Si des améliorations devront sans doute être apportées aux impôts de production perçus par les collectivités territoriales, la mission estime toutefois que plusieurs points méritent d'être rappelés .

Tout d'abord, la suppression de la taxe professionnelle , impôt qui décourageait l'investissement des entreprises, en particulier dans les secteurs les plus capitalistiques, a déjà représenté un effort important à destination des entreprises industrielles : si les recettes de la CFE et de la CVAE ont augmenté depuis 2012, la fiscalité locale des entreprises avait préalablement diminué de -29 % en 2011 . La réforme de la taxe professionnelle avait en effet représenté un gain de 5,7 Md€ pour les entreprises.

En second lieu, il est légitime que les entreprises contribuent dans de justes proportions aux dépenses publiques locales ainsi qu'au financement des services publics locaux dont elles bénéficient directement , et qu'une partie de l'assiette fiscale sur laquelle pèsent les impôts dont elles s'acquittent soit localisable dans le territoire où elles sont implantées .

Au total, votre mission est donc favorable à ce que des ajustements soient apportés aux impôts locaux de production qui pèsent sur les entreprises industrielles , sous réserve de compenser à l'euro près les pertes de recettes éventuelles que pourraient subir les collectivités territoriales et de pleinement respecter leur autonomie financière et fiscale .

Cette compensation pourrait s'opérer, ainsi que le suggère le groupe de travail du ministère de l'économie et des finances, grâce à une hausse de la fiscalité énergétique et écologique ou, le cas échéant, par un relèvement du taux normal de la TVA, en veillant à ce que l'effet sur le pouvoir d'achat des ménages ne soit pas excessif.

Proposition n° 6 : Étudier des modifications d'assiette des impôts de production pour améliorer la compétitivité de l'industrie française, sous réserve de ne pas engendrer de pertes de recettes pour les collectivités territoriales.

c) Faciliter la transmission familiale des entreprises grâce à une modernisation du Pacte Dutreil

Lors de ses auditions, la mission a été sensibilisée à l'importance d'un environnement fiscal plus favorable pour la transmission des entreprises dans le cadre familial . Il s'agit là, en effet, d'un enjeu décisif pour garantir le maintien de l'activité industrielle dans les territoires et poursuivre le développement de PME et d'ETI dont les dirigeants veulent passer la main.

De fait, selon l'observatoire de BPCE, la tendance au vieillissement des dirigeants de PME et d'ETI serait en train de s'accélérer. On estime ainsi que la proportion de dirigeants de 60 ans et plus est passée de 14,6 % en 2005 à 17,2 % en 2010 puis 21,1 % en 2014. Or, la transmission familiale des entreprises demeure trop difficile dans notre pays . La part de transmission intrafamiliale représente ainsi seulement 25 % des transmissions d'entreprises en France , alors qu'elle est de 80 % en Italie, de 64 % en Pologne et de 51 % en Allemagne.

Au cours de son déplacement à Munich, l'attention de la délégation de votre mission a été à plusieurs reprises attirée sur le traitement fiscal favorable de la transmission intrafamiliale d'entreprises, qui constitue un véritable atout pour le tissu industriel de ce pays.

Bénéficiant jusqu'à récemment aux transmissions des grandes entreprises familiales comme à celles des PME, ce régime institue aujourd'hui un mécanisme d'exonération de droits de successions 42 ( * ) , sans contrepartie pour les plus petites entreprises, et moyennant désormais certaines contreparties en termes de maintien d'emplois pour les entreprises de 4 à 15 salariés. Pour les entreprises plus importantes, l'exonération peut aller jusqu'à 85 % moyennant des contreparties de détention sur cinq ans. En outre, l'Allemagne connait un régime de fondations d'entreprises très développé, qui permet à ces entités de contrôler des groupes industriels parfois très importants. 43 ( * )

En France, faciliter la transmission familiale des entreprises industrielles pourrait passer par une modernisation du Pacte Dutreil .

Ce dispositif permet de faire bénéficier la transmission d'une entreprise familiale d'une exonération de droits de mutation à titre gratuit (donation ou décès) à concurrence des trois quarts de la valeur des titres ou de l'entreprise 44 ( * ) . En contrepartie, les titres doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée de deux ans à compter de la date de l'enregistrement fiscal de l'acte le constatant ou à compter du jour de la signature de l'acte si celui-ci est notarié. Cet engagement doit porter sur au moins 20 % des titres et droits de vote pour les sociétés cotées et sur au moins 34 % des titres et droits de vote pour les sociétés non cotées.

Selon l'association Croissance Plus, entendue par votre mission, le Pacte Dutreil, dont la création a constitué à l'origine un réel progrès, serait aujourd'hui trop rigide et pénaliserait la transmission de nombreuses PME industrielles . Le seuil minimum de détention de 34 % du capital, en particulier, bloquerait le financement de certaines entreprises, qui seraient contraintes de renoncer à lever des fonds pour éviter de diluer leur actionnariat : leur croissance serait alors entravée.

Pour lever cette difficulté, Croissance Plus propose d'aligner les seuils minima de détention du capital à 20 % , en cessant de faire la distinction entre entreprises cotées et non cotées, afin que les PME puissent procéder à des levées de fonds sans pénaliser leurs actionnaires bénéficiaires du Pacte Dutreil. Votre mission est favorable à cette mesure qui faciliterait le bon déroulement des transmissions d'entreprises .

Pour permettre la sortie du pacte de certains actionnaires sans pour autant le rompre, il pourrait également être envisagé, en cas de revente de parts par un actionnaire avant la fin du délai de conservation, de faire bénéficier le produit de cette revente de l'exonération des trois quarts des droits de mutation si ce produit est réinvesti dans une PME ou ETI française .

Enfin, en cas de fusion entre deux entreprises liées chacune par un Pacte, il serait possible de donner la possibilité de créer un nouveau Pacte pour l'entreprise fusionnée .

Entendus par la mission, l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) a indiqué deux autres axes d'évolution :

- d'une part, un assouplissement de la règle imposant à la holding familiale de conserver inchangés les niveaux de participation. Cette exigence, dont les conséquences juridiques sont dans certaines hypothèses incertaines 45 ( * ) , figerait, selon elle, sans justification le dispositif alors qu'un assouplissement qui permettrait la « respiration » du système ne porterait pas atteinte à sa logique dès lors que les conditions relatives au pourcentage global de titres couverts par l'engagement collectif et à la durée de détention seraient respectées ;

- d'autre part, la possibilité de permettre à la holding familiale de se diversifier en gérant d'autres participations que celles prises dans la société faisant l'objet du Pacte . Cela donnerait la possibilité de dégager si nécessaire des liquidités sans diminuer sa participation dans la société cible et de favoriser la pérennité d'un bloc actionnarial stable.

Votre mission juge ces propositions pertinentes, dans la mesure où elles confèreraient à la holding un rôle plus dynamique qu'aujourd'hui, qui pourrait être le support de nouveaux investissements en capital dans les entreprises.

Proposition n° 7 : Assouplir le « Pacte Dutreil », notamment :

- en alignant les seuils minimums de détention du capital à 20 %, afin de faciliter la transmission familiale des entreprises ;

- en assouplissant les règles de détention de participations par les holdings familiales instaurées dans le cadre de ce pacte, afin d'en faire des instruments de gestion plus dynamiques ouverts à d'autres entreprises.

d) Le crédit d'impôt recherche (CIR), principal outil fiscal de soutien à l'innovation privée, doit être sanctuarisé
(1) Des défaillances de marché qui justifient l'intervention fiscale en faveur de la R&D industrielle privée

Dans les pays industrialisés comme la France, qui ont depuis longtemps terminé leur phase de croissance de rattrapage, le progrès technique est indispensable à l'augmentation de la croissance potentielle de l'économie . Dans la mesure où celui-ci est alimenté par la recherche et développement (R&D) menée tant par les établissements publics (organismes de recherche, université) que par les acteurs privés, tous les pays à la frontière technologique cherchent à augmenter leur part de dépenses de R&D dans leur richesse nationale .

Les dépenses de R&D se caractérisent en effet par l'existence d'externalités positives : les innovations qui en résultent ne bénéficient pas uniquement à l'institution qui les a produites mais se diffusent à l'ensemble du système économique, améliorant la productivité globale des facteurs de production. En conséquence, le rendement économique de ces dépenses pour une entreprise privée donnée est inférieur à celui qu'il représente pour l'ensemble de la société : l'investissement privé en R&D risque donc d'être inférieur à son niveau optimal. Cette « défaillance de marché » justifie une intervention de l'État pour inciter les entreprises privées à investir dans la R&D et développer des innovations , en particulier des innovations de rupture .

En France, le crédit d'impôt recherche (CIR) est désormais de très loin le principal dispositif de soutien à l'investissement des acteurs privés dans la R&D . Il constitue un atout considérable pour maintenir et attirer sur le territoire français les centres de recherche , en particulier ceux des grands groupes mondialisés qui peuvent facilement les déplacer sur d'autres territoires.

(2) Un soutien public à la recherche privée de 5,8 Md€

Le crédit d'impôt recherche (CIR) a été créé en 1983. Il a subi plusieurs réformes entre 2004 et 2008 qui ont considérablement amplifié sa portée et lui ont donné sa forme actuelle. Depuis le 1 er janvier 2008, il consiste en un crédit d'impôt de 30 % des dépenses de R&D jusqu'à 100 M€ et de 5 % au-delà .

La réforme du CIR effectuée en 2008 avait également pour but de simplifier son usage pour les entreprises. Dans cette perspective, elle l'a rendu plus lisible et a accru son caractère incitatif, ce qui a facilité son appropriation par les responsables opérationnels des entreprises, qui l'intègrent plus aisément dans le calcul de leurs budgets. De fait, entre 2008 et 2014, le nombre d'entreprises déclarantes a très fortement augmenté de 56 % , pour atteindre près de 22 000 , pour un montant de dépenses éligibles de 21 Md€.

Pour 2018, les données collectées par le ministère chargé de la recherche 46 ( * ) permettent d'estimer que la dépense fiscale liée au CIR devrait sensiblement augmenter par rapport à l'année précédente pour atteindre 5,8 Md€ , soit une hausse de 95 M€ (+ 1,7 %) par rapport au montant enregistré en 2017. Pour mémoire, la dépense fiscale liée au CIR ne représentait que 1,7 milliard d'euros en 2007.

ÉVALUATION DE LA DÉPENSE FISCALE ANNUELLE RELATIVE AU CIR DE 2010 À 2018

2010

2011

2012 (PAP 2013)

2013 (PAP 2015)

2014 (PAP 2016)

2015 (PAP 2017)

2016 (PAP 2018)

2017 (PAP 2018)

2018
(PAP 2018)

Dépense fiscale (millions d'euros)

4 900

3 070

3 070

3 269

5 108

5 094

5 555

5 707

5 802

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.

Alors qu'en 2008, 69 % de la créance fiscale bénéficiait aux entreprises de l'industrie et seulement 29 % à celles des services, cette répartition a évolué ces dernières années puisque les entreprises industrielles ne représentaient plus que 60 % de la créance fiscale en 2014 , contre 38 % pour les entreprises de services. Cette situation ne s'explique pas uniquement pas le recul relatif du poids du secteur de l'industrie dans l'économie par rapport à celui des services ; elle résulte également de la hausse des dépenses de R&D des entreprises de services .

Toujours en 2014, la répartition de la créance fiscale en fonction de la taille de l'entreprise montrait que celle-ci bénéficiait pour un tiers environ aux PME, pour un tiers aux entreprises de taille intermédiaire et pour un autre tiers aux grands groupes de plus de 5 000 salariés.

(3) Un atout décisif pour l'attractivité de l'industrie française

Depuis 2008, le montant du CIR a dépassé celui des aides directes à la R&D des entreprises et représente environ 19 % des dépenses intérieures de R&D des entreprises (DIRDE) . Les aides directes, pour leur part, représentent désormais moins de 10 % de la DIRDE, contre 18 % en 1993. Le cumul des deux types d'aides porte le taux de financement public des dépenses de R&D des entreprises à 27 % en 2013 (soit 0,40 % du PIB ).

Ce montant fait de la France le deuxième des pays de l'OCDE pour le montant de soutien public à la R&D du secteur privé , nettement derrière la Russie (dont le soutien public atteint le chiffre record de 58 % de la DIRDE). Le niveau de soutien public français est voisin de ceux du Canada (25 %) et du Portugal (21 %). Il est en revanche nettement plus élevé que ceux des États-Unis, de l'Allemagne ou du Japon, car en particulier en Allemagne et au Japon, l'intensité en R&D privée est élevée du fait de la structure sectorielle de ces économies : l'automobile et l'électronique y représentent ainsi une forte part de la R&D privée.

Si ces pays bénéficient d'une base industrielle très puissante qui les dispense en partie de consentir des efforts financiers spécifiques pour attirer ou maintenir des activités sur leur territoire, il n'en demeure pas moins que les études économétriques, réalisées notamment aux États-Unis, montrent clairement que les incitations fiscales ont un effet très net sur l'attractivité économique des pays industrialisés et jouent un rôle très important dans les décisions d'implantation de centres de recherche par les entreprises, qui étudient minutieusement les aides apportées par les différents États avant de faire leurs choix.

De nombreuses études réalisées par des organisations internationales ou des cabinets de conseil montrent que le CIR constitue un atout décisif pour l'image de notre pays auprès des entreprises industrielles du monde entier. Ainsi, selon le tableau de bord de la science, de la technologie et de l'industrie de l'OCDE, la France est le pays qui offre le traitement fiscal de la R&D le plus avantageux pour les entreprises . Ce point de vue est partagé par le cabinet KPMG dans son étude « Choix concurrentiels » de 2014 : selon lui, la France se situe au premier rang mondial (parmi les dix pays étudiés) s'agissant de la fiscalité d'entreprise pour les activités de R&D, en tenant compte des bases d'imposition, des règles d'amortissement, des exonérations et des crédits d'impôt.

Ces appréciations positives se traduisent dans les chiffres puisque, selon la direction générale des entreprises (DGE), entendue par votre mission, le nombre de projets d'investissements étrangers dans des centres de R&D en France a augmenté de 14 % entre 2011 et 2015 .

Lors de son audition par la mission, Louis Schweitzer, ancien Commissaire général à l'investissement, Président d'honneur de Renault et Président d'Initiative France a beaucoup insisté sur les vertus du CIR . Selon lui, « on a beaucoup critiqué le crédit impôt recherche (CIR) qui a, pour moi, un effet très positif , soit pour susciter l'innovation des PME , soit pour inciter les grandes entreprises à localiser leurs centres de recherche en France . Grâce à lui, il est moins coûteux de localiser un centre d'innovation en France que dans aucun autre pays de l'OCDE - j'exclus la Chine et l'Inde, où la propriété industrielle n'existe pas ».

(4) Un dispositif dont le coût doit être maîtrisé et les effets d'aubaine évités

Le crédit d'impôt recherche a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation, qui ont été synthétisées par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) en avril 2017. Ces différentes analyses statistiques permettent de conclure à son effet positif sur les dépenses de recherche des entreprises , en particulier les entreprises industrielles : la part de la recherche privée aurait reculé au cours des dernières années en l'absence de ce crédit d'impôt, qui a permis de stabiliser l'effort de recherche en France .

En outre, il en ressort qu' un euro dépensé au titre du CIR suscite au minimum une dépense de R&D de un euro et que l'effet de levier à long terme est encore supérieur , avec un effet multiplicatif . De plus, si la réforme de 2008 n'a pas eu d'effets très significatifs sur les dépôts de brevets, elle a favorisé en revanche l'emploi des chercheurs par les entreprises. Enfin, le CIR apparaît comme un soutien important pour d'autres dispositifs publics comme les pôles de compétitivité, les instituts Carnot, les jeunes entreprises innovantes ou les efforts en faveur de l'insertion des docteurs.

Il n'en demeure pas moins que le coût du dispositif doit être maîtrisé : comme le souligne un rapport de l'OCDE paru en juin 2014 47 ( * ) , le CIR devrait être davantage concentré et ciblé sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Il apparaît en particulier que les grandes entreprises bénéficient d'une dépense fiscale coûteuse pour l'État, alors même que l'effet incitatif est parfois réduit par rapport aux petites et moyennes entreprises , au vu des montants en jeu.

Il importe donc de s'assurer que le crédit d'impôt recherche fait le moins possible l'objet d'effets d'aubaine et n'est pas utilisé par certaines multinationales comme un outil d'optimisation fiscale.

La fermeture du centre de recherche et de développement de Galderma, filiale spécialisée dans la dermatologie du groupe Nestlé, à Sophia-Antipolis à l'automne 2017 en est un exemple topique : plusieurs centaines de postes ont été supprimés alors que l'entreprise avait bénéficié de 68 M€ au titre du CIR au cours des trois années précédentes. Cette situation n'est pas unique : quelques années auparavant, l'entreprise Texas Instrument quittait également la région, après avoir profité des largesses du CIR.

Pour éviter que ne se reproduisent de telles situations, les représentants de la CFDT et de Force ouvrière, entendus par votre mission, ont jugé indispensable de pouvoir évaluer les retombées locales effectives de l'octroi du CIR. Force ouvrière a ainsi estimé qu'il conviendrait de conditionner le bénéfice du CIR à une obligation de maintien d'activité en France sur une période de cinq à dix ans.

Conscient de cet enjeu, le ministère de la recherche a contribué à la rédaction d'un appel à projet de recherche de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI) pour « Évaluer les effets du crédit d'impôt recherch e », publié en juin 2016. Trois sujets sont actuellement à l'étude dans ce cadre :

- « l'impact du CIR sur les principaux indicateurs d'innovation des enquêtes françaises sur l'innovation (CIS), et au-delà sur l'emploi et la productivité des entreprises, 2000-2004, 2008 et 2012 », pour mieux appréhender l'impact du CIR sur l'innovation, les créations d'emploi et la productivité des entreprises ;

- « l'évaluation des interactions des politiques publiques d'aide à la R&D », pour mesurer l'efficacité respective et conjointe du CIR, des aides accordées par Bpifrance et de la taxation à taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets ;

- « l'évaluation des effets du dispositif Jeunes docteurs sur l'accès aux emplois de R&D », qui vise à mieux expliciter les effets du CIR sur l'accès à l'emploi des chercheurs, notamment pour les jeunes docteurs.

Au total, l'ensemble des personnes entendues par la mission ont insisté sur le caractère stratégique du CIR et sur la nécessité de garantir sa stabilité dans le temps . À cet égard, Louis Schweitzer a notamment indiqué lors de son audition que : « cet instrument miraculeux sera d'autant plus efficace que les entreprises seront convaincues de sa pérennité . Chaque fois que la Cour des comptes ou tel autre propose de le remettre en cause , son efficacité , à coût constant, diminue , parce que les entreprises qui planifient leur recherche sur cinq ou dix ans se disent que la loi pourrait bien être abrogée, et ne le prennent plus en compte dans leurs choix. » .

Il est donc indispensable d'éviter de le remettre systématiquement en question , sans quoi son efficacité diminue, et de le « sanctuariser » , pour reprendre le terme utilisé par Philippe Varin, Président de France Industrie, Vice-Président du Conseil de l'industrie, lors de son audition par la mission.

Pour autant, votre mission est sensible au fait que l'effort public opéré pour favoriser les activités de recherche en France doit profiter aux territoires dans lequel des entreprises étrangères s'implantent. Elle invite donc à formaliser des conditions d'attribution du CIR afin qu'il bénéficie à l'activité et à l'emploi en France, pendant une durée minimale d'au moins cinq ans . Sur ce point, vos président et rapporteur soulignent l'intérêt de la proposition, formulée par les représentants de l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) au cours de leur audition, visant à imposer une participation au capital de nature à favoriser un maintien d'activité en France.

Proposition n° 8 : Sanctuariser le crédit d'impôt recherche dans son périmètre actuel, tout en conditionnant son bénéfice à un maintien d'activité sur le territoire national pendant au moins cinq ans afin de mettre un terme à des comportements de pure optimisation fiscale menés par certains groupes, notamment étrangers.

e) Rétablir un dispositif de suramortissement ciblé pour accélérer la transition vers l'industrie du futur

Les entreprises industrielles françaises, et en particulier les ETI et les PME, souffrent d'un important retard d'équipement en matière de robots , de machines-outils ou de logiciels indispensables à la mise en place d'usines du futur et à une véritable montée en gamme de l'industrie française. Pour rattraper le temps perdu et inciter nos entreprises industrielles à moderniser rapidement leur outil de production , de puissants mécanismes fiscaux doivent être mobilisés.

Dans cette perspective, l'article 142 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques avait mis en place pour la période comprise entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016 un dispositif exceptionnel de suramortissement des investissements réalisés par les entreprises , qui venait s'ajouter aux dispositifs d'amortissement dégressif exceptionnels déjà prévus par le code général des impôts. Par la suite, compte tenu de l'important succès rencontré par ce dispositif, l'article 75 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a prolongé le suramortissement jusqu'au 14 avril 2017 .

Ce dispositif permettait à une entreprise réalisant un investissement productif, par exemple l'acquisition d'un nouvel équipement industriel, de déduire de son résultat imposable 40 % du prix de revient de ce bien 48 ( * ) . Le montant était déduit du bénéfice linéairement sur la durée d'amortissement. Ainsi, pour un investissement de 100 000 euros, l'économie d'impôt, qui s'ajoutait à l'amortissement classique, représentait environ 13 000 euros (pour un taux normal d'impôt sur les sociétés).

Certes, selon l'annexe « Voies et moyens » (tome II) au projet de loi de finances pour 2017, le coût de ce dispositif s'est élevé à 820 M€ en 2016, puis à 1 milliard d'euros en année pleine en 2017. Mais grâce à ce dispositif, les entreprises industrielles ont pu rattraper une partie de leur retard en termes d'équipement .

De fait, la croissance de leurs investissements a connu un redressement très net . Alors qu'elle n'était, selon l'Insee, que de +1,4 % en 2014, elle a augmenté de +2,7 % en 2015 puis +4,0 % en 2016, ce qui constitue un record. Dans ce cadre, le nombre de robots achetés en France a connu, selon la direction générale des entreprises, une forte croissance de + 38 % en 2016 par rapport à 2015 (avec 4 200 robots achetés par les entreprises françaises), à comparer avec une croissance moyenne de +10 % observée en moyenne dans l'Union européenne. Par ailleurs, toujours en 2016, les ventes de machines-outils ont augmenté de +6,1 % et celles de fournitures et équipements industriels de +5,4 % .

Les chiffres exceptionnels constatés en 2016 s'expliquent assurément par la pleine appropriation par les entreprises du dispositif de suramortissement et par la proximité de la date butoir d'avril 2017 : ils pourraient donc être difficiles à réitérer à l'avenir. Il n'en demeure pas moins qu' en trois ans , le dispositif du suramortissement et le dispositif d'amortissement accéléré pour les PME qui l'avait précédé ont permis de multiplier par deux le nombre de robots achetés en France , puisqu'il est passé de 2 161 en 2013 à 4 200 en 2016 .

Cette forte progression a permis notamment au secteur automobile français de dépasser son homologue allemand en termes d'équipement avec 1 150 robots pour 10 000 salariés dans le secteur automobile français contre 1 131 pour l'Allemagne en 2016 , alors que le secteur automobile français ne comptait que 940 robots pour 10 000 salariés en 2015 là où le secteur automobile allemand en possédait 1 147.

Au total, il paraît indéniable que le suramortissement a joué un rôle très important dans la reprise de l'investissement productif de l'industrie française constaté ces deux dernières années .

Si son coût est relativement significatif, votre mission considère que sa non-reconduction constitue une erreur stratégique à l'heure où les entreprises industrielles, et en particulier les PME, doivent massivement investir pour monter en gamme, se doter de robots et de logiciels performants et basculer dans l'industrie du futur. De fait, le retard français en matière de robotisation demeure largement d'actualité , puisque la France achète toujours en moyenne sept fois moins de robots que l'Allemagne et deux fois moins que l'Italie , selon la direction générale des entreprises.

Le Sénat avait adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 un amendement à l'initiative de notre collègue Élisabeth Lamure, semblable à un amendement présenté par votre rapporteur, qui prévoyait de restaurer un dispositif de suramortissement en le ciblant spécifiquement sur les investissements susceptibles de favoriser la mécanisation, la robotisation et la numérisation . Malheureusement, l'Assemblée nationale a supprimé cet article.

Votre mission appelle donc au rétablissement rapide du dispositif de suramortissement tel qu'adopté par le Sénat , le cas échéant dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 . Afin de limiter le coût de cette mesure pour les finances publiques et d'éviter les effets d'aubaine, il pourrait être envisagé de la cibler sur les TPE et les PME, car il s'agit de la catégorie d'entreprises pour laquelle le retard en matière de robotisation est le plus préoccupant.

Selon les experts entendus par la mission d'information, la France dispose en effet de cinq ans tout au plus pour prendre le virage de l'industrie du futur . Or, le gros de l'effort d'investissement à accomplir reste devant nous.

Proposition n° 9 : Rétablir dans les meilleurs délais un dispositif fiscal de suramortissement ciblé sur les PME industrielles pour accélérer leur équipement en solutions technologiques propres à l'industrie du futur.

2. Mieux orienter l'épargne vers l'industrie
a) Des produits d'épargne à modifier pour favoriser l'industrie

Alors que les Français épargnent traditionnellement une part importante de leurs revenus et que leur patrimoine financier représentait 4 924 Md€ en septembre 2017, soit plus de deux fois le PIB annuel, les entreprises françaises, et en particulier les entreprises industrielles, manquent toujours de financements en fonds propres. Les épargnants leur préfèrent en effet les placements sécurisés que sont le livret A, le livret de développement durable (LDD) et l'assurance vie (1 920 Md€ en septembre 2017). Cette situation conduit nos entreprises à trop s'endetter , compte tenu de leurs difficultés à s'autofinancer, en dépit de la récente amélioration de leurs marges.

Dans le cadre du rapport de la mission d'information du Sénat sur la réindustrialisation des territoires en 2011, votre président et votre rapporteur avaient insisté sur l'urgence de mettre en place des dispositifs destinés à orienter l'épargne des Français vers l'industrie afin d'améliorer son financement 49 ( * ) . Il s'agissait notamment de créer un « livret d'épargne industrie » à bon rendement et défiscalisé afin de remettre les PME au coeur de la politique industrielle.

La mission regrette que les Gouvernements qui se sont succédé depuis cette date n'aient jusqu'ici pris aucune mesure en ce sens. Un placement doté d'une fiscalité très incitative est en effet nécessaire pour mieux orienter les épargnants vers des placements bénéficiant aux entreprises. Elle réitère donc la proposition faite en 2011, qui garde aujourd'hui encore toute son actualité.

Proposition n° 10 : Mettre en place un « livret d'épargne industrie » défiscalisé.

La piste d'un renforcement des placements en actions en faveur des entreprises industrielles doit également être explorée.

Sur ce point, lors de son audition, Croissance Plus a proposé de créer un nouveau dispositif pour financer les PME industrielles en fonds propres consistant à fusionner le plan d'épargne en actions PEA et le PEA-PME .

Pour mémoire, le PEA permet actuellement d'acquérir un portefeuille d'actions d'entreprises européennes tout en bénéficiant d'une exonération d'impôt au bout de 8 ans. Le plafond des versements est de 150 000 euros. Le PEA-PME, pour sa part, a été institué par le décret du 5 mars 2014 pour soutenir le financement en fonds propres des PME et des ETI. Il fonctionne comme le PEA mais avec un plafond de versements de 75 000 euros. Son objectif était de permettre aux épargnants de soutenir les PME et les ETI françaises, notamment industrielles. Ce dispositif n'a malheureusement pas rencontré le succès espéré, puisque ses encours peinent à dépasser 1 milliard d'euros alors que l'objectif affiché était de collecter 1 à 2 Md€ dès la première année.

Selon Croissance Plus, outre la fusion des deux dispositifs, il conviendrait d'augmenter le plafond à 500 000 euros par personne physique et à 1 million d'euros par couple. L'association propose également de désintermédier le PEA pour permettre à d'autres acteurs financiers de répondre au problème de la faible diffusion de ces produits. Il s'agit là d'une proposition intéressante.

Votre président et votre rapporteur estiment qu'une voie tout aussi pragmatique serait, le cas échéant dans le cadre d'une fusion du PEA et du PEA-PME, de renforcer l'attractivité du PEA en lui apportant des avantages similaires à ceux de l'assurance-vie - en appliquant un abattement sur les droits de mutation à titre gratuit en cas de décès - et en ouvrant la possibilité d'y investir après 70 ans. Cette mesure pourrait ainsi drainer un investissement plus important des Français vers le financement des entreprises industrielles, tout en s'appuyant sur un produit déjà en place et bien connu des particuliers.

Cette mesure techniquement plus simple, se rapproche dans ses effets de la suggestion, formulée lors de son audition par l'ANSA, d'un « Plan intergénérationnel de transmission d'actions » : en contrepartie du respect d'un engagement de conservation de dix ans d'une enveloppe représentative de la valeur vénale des titres transmis (inscription dans un compte-titres ad hoc auquel serait associé un compte espèces), les ayants droit pourraient exclure la valeur des titres ou actions, objets de la transmission, de l'assiette des droits de succession ou de donation.

Proposition n° 11 : Orienter davantage le PEA vers l'industrie, le cas échéant en le fusionnant avec le PEA-PME, tout en renforçant son attractivité en appliquant un abattement sur les droits de mutation à titre gratuit en cas de décès et en ouvrant la possibilité d'y investir après 70 ans.

b) Développer l'actionnariat salarié pour parvenir à un seuil de 10 % de détention du capital des entreprises françaises

En dépit de références fréquentes dans le débat public à la participation et à l'intéressement des salariés, mis en place en France à l'initiative du général de Gaulle , l'actionnariat salarié demeure un outil insuffisamment valorisé par les politiques publiques .

Si la France compte environ 3,5 millions d'actionnaires salariés et anciens salariés, les avoirs détenus dans le cadre des FCPE ou SICAV d'actionnariat salarié représentaient seulement 51 Md€ au 31 décembre 2017, chiffre notoirement insuffisant pour que l'actionnariat salarié joue un rôle stabilisateur dans notre économie.

Associer les salariés au capital de leur entreprise présente pourtant de nombreux avantages .

Ainsi que l'a mis en exergue Antoine Frérot, président de l'Institut de l'entreprise, lors de son audition, la présence des salariés au capital de leur entreprise permet de les intéresser directement à ses résultats et de les faire bénéficier de la création de valeur à laquelle ils contribuent, ce qui ne peut qu'améliorer le climat social. La participation et l'intéressement constituent également pour eux une épargne de long terme , en particulier dans la perspective de la retraite. Enfin, les administrateurs salariés peuvent apporter un éclairage précieux dans la gouvernance des entreprises.

Du côté des entreprises, l'actionnariat salarié permet d'augmenter les fonds propres sans recours à la dette , ce qui est particulièrement utile pour les PME et pour les ETI. En outre, les salariés constituent des blocs d'actionnaires stables sur lesquels peuvent s'appuyer les dirigeants des entreprises pour éviter des prises de contrôle non sollicitées.

C'est pourquoi la mission considère que des mesures fortes doivent être adoptées pour encourager davantage cet actionnariat , tant sur le plan réglementaire que sur le plan fiscal .

Votre mission considère que l'objectif de 10 % du capital des entreprises françaises détenu par les salariés à l'horizon 2030, porté notamment par la Fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés (FAS), doit être vigoureusement soutenu par les pouvoirs publics.

Il s'agit certes d'un objectif ambitieux, puisqu'il faudra multiplier par cinq les avoirs détenus par les actionnaires salariés. Mais il est indiscutablement l'un des moyens de mieux répartir les profits des entreprises entre les actionnaires - via les dividendes -, les entreprises elles-mêmes - par l'investissement - et les salariés - par une hausse salariale ou le renforcement de leur participation. Une récente étude de l'organisation Oxfam France a ainsi souligné combien, dans notre pays, la distribution des dividendes était privilégiée à toute autre redistribution des bénéfices des entreprises. 50 ( * )

Pour y parvenir, il est à la fois nécessaire que les entreprises soient davantage incitées à développer l'actionnariat de leurs salariés, et que ces derniers soient encouragés à conserver leur participation sur une longue durée.

Ainsi, pour rendre plus incitative la détention d'actions par les salariés, il est nécessaire de réduire le taux du forfait social 51 ( * ) qui s'applique aux rémunérations extra-salariales que sont l'intéressement et la participation. Ce taux, qui était de 2 % en 2009 a en effet atteint 20 % ces dernières années, ce qui représente un obstacle au développement de l'actionnariat salarié.

Des dispositions encore plus favorables doivent en outre être prévues pour les PME, au sein desquelles l'actionnariat salarié est trop peu développé, seuls 16 % d'entre elles distribuant de l'intéressement à leurs salariés.

Votre mission salue donc les annonces fortes faites en ce sens par le Président de la République lors de son intervention télévisée du 12 avril 2018, au cours de laquelle il a promis de supprimer totalement le forfait social pour les accords d'intéressement et de participation dans les entreprises de moins de 50 salariés et de le supprimer pour les accords d'intéressement 52 ( * ) pour les entreprises comprises entre 50 et 250 salariés dans le cadre de la future loi Pacte 53 ( * ) . Il s'agit là d'un signal important envoyé aux employeurs et aux salariés pour un meilleur partage de la valeur ajoutée , puisque cette mesure représentera un manque à gagner de 440 M€ par an pour les finances publiques.

Autre mesure fiscale à étudier de près : l'exonération d'impôt sur le revenu des gains de cession sur les actions gratuites conservées au-delà de 8 ans . Cette mesure encouragerait une détention longue des actions par les salariés, alors que l'obligation légale n'est que de 2 ans actuellement, ce qui peut inciter les salariés à ne considérer leurs actions que comme une rémunération différée.

Comme le souligne votre mission dans le présent rapport 54 ( * ) , il est également essentiel que l'État montre l'exemple et mette en pratique l'objectif de 10 % de cession du capital aux salariés lorsqu'il cède des entreprises dans le cadre d'une évolution de son portefeuille de participations. Cela constituera, du reste, un gage de stabilité pour ces entreprises.

Dans un livre blanc publié récemment par l'Institut de la protection sociale (IPS), intitulé « Pour simplifier et démocratiser l'épargne salariale », cet organisme avance plusieurs propositions pour faire en sorte que les salariés des TPE et des PME aient davantage accès à l'épargne salariale. Parmi les mesures de simplification énoncées, et dont votre mission considère qu'elles devraient faire l'objet d'une étude attentive par le Gouvernement, figurent notamment l'utilisation de l'intéressement dans les PME , la possibilité pour les chefs d'entreprises de moduler les montants versés aux différentes catégories de salariés , la mise en place d'accords d'intéressement par décision unilatérale de l'employeur ou bien encore la mise en place d'une déclaration pré-remplie en ligne pour les formalités de dépôt de ces accords.

Il serait également souhaitable que les branches professionnelles mettent en place des accords types permettant de recourir à l'intéressement que les PME pourraient aisément s'approprier.

Enfin, votre mission a été sensible à la proposition formulée par l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) au cours de son audition, visant à assouplir les modalités de calcul du plafond de 10 % du capital social applicable en cas d'attribution gratuite d'actions .

En effet, les sociétés qui entendent développer l'association des salariés à leur capital recourent souvent aux attributions gratuites d'actions. Or, tel qu'il résulte des textes actuels, le régime applicable soulève une difficulté majeure, puisque les sociétés dépassant les seuils définissant la PME au sens communautaire et ayant de manière récurrente, depuis l'instauration des 2007, effectué de telles attributions se trouvent empêchées de procéder à de nouvelles attributions compte tenu du plafond de 10 %, qui prend en considération toutes les actions attribuées, y compris lorsqu'elles n'ont finalement pas été acquises par leurs bénéficiaires ou lorsqu'elles ne sont plus soumises à l'obligation de conservation .

Si cette restriction à la mise en oeuvre de plans d'attributions gratuites d'actions ne concerne qu'un petit nombre de grandes capitalisations boursières, elle s'applique en revanche plus souvent à des sociétés cotées de taille plus limitée ainsi qu'à des sociétés non cotées . Il est donc souhaitable d'exclure les actions non acquises ou non soumises à l'obligation de conservation pour apprécier le plafond de 10 %, afin de permettre aux sociétés de continuer de développer leur politique d'association des salariés au capital.

Proposition n° 12 : Pour développer la participation et l'intéressement dans un objectif de meilleure répartition des profits des entreprises, simplifier les dispositifs applicables dans les TPE et PME, et assouplir le plafond de 10 % du capital social applicable en cas d'attribution gratuite d'actions.

Proposition n° 13 : Afin de rendre plus incitative la détention d'actions par les salariés :

- mener à bien la suppression du forfait social pour la participation et l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés et pour l'intéressement dans les entreprises comprises entre 50 et 250 salariés ;

- exonérer d'impôt sur le revenu au-delà de 8 ans de détention les gains de cession des actions gratuites détenues par les salariés.

3. Apporter des financements complémentaires suffisamment ciblés

Les auditions de la mission ont montré que, loin des idées souvent véhiculées, les entreprises industrielles peuvent bénéficier de nombreux financements publics pour accompagner leur activité, dès lors qu'elles présentent des projets d'entreprises construits et innovants 55 ( * ) . En la matière, c'est sans doute moins l'abondance que le caractère suffisamment ciblé des accompagnements financiers qui se révèle déterminant pour le soutien de l'activité des entreprises, en particulier industrielles.

a) Continuer à stimuler les efforts d'innovation de l'industrie par la poursuite des orientations initiées dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir
(1) Les programmes d'investissements d'avenir, source majeure du financement de l'innovation dans l'industrie

Les programmes d'investissements d'avenir (PIA) sont des outils financiers mis en place à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009 pour soutenir les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais également les entreprises, dans le but d'augmenter le potentiel de croissance de l'économie française grâce à l'innovation et au progrès technologique . Ils mobilisent à cette fin une très grande variété d'outils financiers .

Le premier PIA, doté de 35 Md€ , a été créé par la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances pour 2010. Le deuxième PIA, doté de 12 Md€ , a été prévu par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014. Le troisième PIA, mis en place par la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, mobilise pour sa part 10 Md€ .

Pour veiller à la cohérence de la politique d'investissement de l'État, et notamment préparer et suivre les contrats passés entre l'État et les organismes chargés de la gestion des fonds consacrés aux investissements d'avenir, a été institué dès 2010 un commissariat général à l'investissement (CGI), placé auprès du Premier ministre. Depuis 2017, lui a succédé le secrétariat général pour l'investissement (SGPI).

LE SECRÉTARIAT GÉNÉRAL POUR L'INVESTISSEMENT (SGPI)

Les missions du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) sont définies par le décret n° 2017-1706 du 18 décembre 2017 relatif au secrétaire général pour l'investissement. Elles reprennent les missions du Commissariat général à l'investissement (CGI), qui ont été adaptées dans le cadre de la mise en oeuvre du grand plan d'investissement (GPI).

Le SGPI est ainsi chargé d'appuyer et de coordonner les différentes initiatives du GPI pilotées par les ministères. Il établit aussi une synthèse annuelle de la mise en oeuvre et des évaluations de ces initiatives à l'attention du Premier ministre. Dans le cadre de la mise en oeuvre du GPI, il devra formuler des propositions de réorientations des actions en tenant compte des résultats observés. Dans la continuité du CGI, le SGPI veille, sous l'autorité du Premier ministre, à la cohérence de la politique d'investissement de l'État. À ce titre, il exerce en particulier les responsabilités suivantes :

1° Il prépare les décisions du Gouvernement relatives aux contrats passés entre l'État et les organismes chargés de la gestion des fonds consacrés aux investissements d'avenir ;

2° Il coordonne la préparation des cahiers des charges accompagnant les appels à projets et vérifie leur cohérence avec l'action du Gouvernement en matière d'investissement d'avenir et de réforme des politiques publiques ;

3° Il coordonne l'instruction des projets d'investissement et formule des avis et propositions ;

4° Il veille à l'évaluation, a priori et a posteriori, des investissements, et notamment de leur rentabilité ;

5° Il dresse un bilan annuel de l'exécution du programme.

Enfin, le SGPI est responsable de l'évaluation socio-économique des investissements publics : la loi a instauré en 2013 l'obligation d'une évaluation socio-économique des projets d'investissement de l'État et de ses établissements publics. Le SGPI tient dans ce cadre un inventaire des projets d'un montant supérieur à 20 M€, et diligente une contre-expertise - obligatoire - de l'évaluation pour les projets d'un montant supérieur à 100 M€. L'enjeu est d'éclairer le décideur public sur la pertinence des projets d'investissements proposés par les ministères. Ainsi, les contre-expertises diligentées par le SGPI lui permettent de rendre un avis destiné au Premier ministre, avant qu'il arbitre définitivement le lancement des projets.

Source : Secrétariat général pour l'investissement (SGPI).

Lors de son audition par la mission, Thierry Francq, secrétaire général adjoint pour l'investissement, a rappelé que les outils financiers des PIA étaient susceptibles d'être utilisés à tous les stades de la chaîne de valeur, depuis la recherche menée dans des laboratoires publics ou privés jusqu'à celui de l'industrialisation d'un produit ou d'une solution par une entreprise. Plus l'intervention se situe en amont, plus sont utilisés des subventions ou des avances remboursables 56 ( * ) .

Les instruments mobilisés en aval sont davantage des prêts ou des fonds propres , similaires à ceux utilisés par les investisseurs privés. Mais, dans tous les cas, le SGPI, s'il a pour mission de corriger des défaillances de marché, doit, dans le même temps, se comporter en investisseur avisé , c'est-à-dire ne financer que des projets présentant de réelles perspectives de rentabilité, même s'ils sont très risqués.

Si les programmes d'investissement d'avenir s'adressent à de très nombreux bénéficiaires, ils concernent également l'industrie, pour laquelle ont été mobilisés depuis 2010 de nombreux outils. Le SGPI est d'ailleurs membre du Conseil national de l'industrie, participe aux réunions des conseils stratégiques de filières et entretient des relations soutenues avec les pôles de compétitivité, les représentants des entreprises 57 ( * ) ou des initiatives thématiques, telles que l'Alliance pour l'industrie du futur ou France Protéines.

(a) L'émergence et la commercialisation d'innovations de rupture grâce à des subventions et des avances remboursables

Un certain nombre d'outils financiers du PIA visent à financer des projets structurants de R&D industrielle par le biais de subventions et d'avances remboursables .

Ces projets sont par nature extrêmement risqués tant sur le plan technique que sur le plan commercial. En outre, ils nécessitent des temps élevés de maturation compris, en moyenne, entre 4 et 10 ans, auxquels il convient d'ajouter 2 à 3 ans d'industrialisation avant mise sur le marché.

Ces deux caractéristiques rendent difficile le financement uniquement privé de ces projets et justifient l'intervention d'un financeur public en mesure de prendre des risques à long terme et de supporter les retombées négatives d'un échec potentiel, tout en faisant bénéficier la société dans son ensemble des externalités positives des projets pris en charge. Pour autant, les projets financés doivent présenter des objectifs clairs en termes de création d'emplois et de chiffre d'affaires et sont sélectionnés au terme d'un processus très rigoureux pour maximiser leurs chances de réussite.

Les taux d'intervention des crédits du PIA visent un effet de levier de 2 à 3 sur les financements privés et peuvent représenter en moyenne des taux d'intervention de 50 % pour les TPE, de 40 % pour les PME et de 30 % pour les ETI et les grands groupes. Toutefois, compte tenu des délais de développement de ces projets, les responsables du SGPI entendus par la mission ont fait valoir qu'il était encore trop tôt pour se prononcer sur l'efficacité des subventions et avances remboursables mises en place dans le cadre du PIA pour soutenir les efforts de R&D des entreprises industrielles et développer l'industrie du futur .

L'ensemble des financements accordés dans ce cadre représentent à ce jour quelque 1,7 Md€ , dont 801 M€ ont bénéficié à des TPE ou à des PME (soit 45 % de l'engagement total). Parmi les différents dispositifs, on trouve :

- les « projets de recherche et développement structurant pour la compétitivité » (PSPC) , qui servent à financer des projets de R&D associant entreprises industrielles et chercheurs du secteur public.

Depuis 2011, cet outil a servi à financer 58 projets pour un montant de 579 M€ sur les crédits des PIA 1 et 2. Compte tenu de son succès, l'action PSCP s'est vue affecter 550 M€ supplémentaires dans le cadre du PIA 3. Selon les responsables du SGPI, cette somme permettra de favoriser l'émergence d'une vingtaine de projets particulièrement ambitieux par an, en mobilisant des compétences académiques et industrielles complémentaires ;

- l'action « projets industriel d'avenir » (PIAVE) qui, pour sa part, vise à contribuer au développement de projets industriels structurants pour les filières industrielles françaises, ainsi que les projets qui participent à la transition écologique et énergétique de notre économie. Les projets sont sélectionnés par des appels à projets correspondant à des filières industrielles précises (appels à projets spécifiques) ou des appels à projets ouverts et susceptibles d'intéresser l'ensemble des secteurs industriels (appels à projets génériques). L'appel à projets « Industrie du futur », lancé dans ce cadre, a par exemple permis de financer, pour un montant de 24 M€, 8 projets de R&D industrielle proposant des travaux en vue du développement d'une offre française en matière d'équipements, de machines et de solutions en lien avec l'industrie du futur.

Le PIAVE se présente sous la forme de subventions ou d'avances remboursables qui financent des travaux de développement puis d'industrialisation d'un ou plusieurs produits, procédés ou services non disponibles sur le marché et à contenu innovant. Il finance également des travaux visant à renforcer la compétitivité de filières stratégiques françaises grâce à des créations d'unités industrielles partagées, la mise en commun de compétences techniques ou la mise en place d'outils collaboratifs. Une fois les projets arrivés à maturation, un second volet du PIAVE intervient en fonds propres à travers un fonds baptisé « Société de projets industriels » (SPI) ;

- « l'aide à la réindustrialisation » ( ARI ), qui consiste à attribuer des avances remboursables à des entreprises implantées en France ayant un projet d'investissement et de créations d'emplois. 121 ARI ont été attribuées depuis 2010. La fin des programmes d'investissement et de recrutement de 25 entreprises en juin 2017 a permis de réaliser une première évaluation des retombées économiques de ce dispositif, faisant apparaître, selon le SGPI, une consolidation de l'assise industrielle des entreprises qui en ont bénéficié ainsi que des recrutements durables, puisque ces entreprises ont continué à embaucher après la période de 3 ans prévue dans les conventions d'obtention de leur ARI ;

- le concours mondial d'innovation. Rebaptisé concours d'innovation (CI) dans le cadre du PIA 3, ce dispositif vise, sous la forme de subventions et d'avances remboursables, à accompagner l'émergence ou à renforcer des entreprises industrielles porteuses d'innovations technologiques et susceptibles d'avoir un effet d'entraînement sur le reste de l'économie nationale. Dans ce cadre, 200 projets ont bénéficié de financements pour leur amorçage ou la levée de risques.

Eu égard aux éléments portés à sa connaissance, votre mission considère que ces différents outils jouent depuis plusieurs années un rôle précieux dans le financement de l'innovation de rupture dans notre pays . Les évaluations de leurs retombées économiques, lorsqu'elles existent, témoignent d'un réel succès et d'un emploi efficace de l'argent public. Il faudra toutefois mener à bien des évaluations complémentaires des dispositifs dont les retombées n'ont pas encore été mesurées pour s'assurer de l'efficience de l'ensemble des outils mobilisés par le PIA , afin que des corrections améliorant leurs performances puissent leur être apportées le cas échéant.

(b) L'accompagnement de la modernisation des entreprises industrielles par des prêts garantis ou bonifiés

Les crédits du PIA permettent également des interventions sous forme de prêts garantis ou bonifiés . Les conditions d'octroi de ces prêts imposent un cofinancement privé d'un montant au moins équivalent , afin que l'effet de levier des financements publics sur les financements privés soit au minimum de 2, ce qui constitue un seuil minimum pour éviter de financer des projets dépourvus d'une rentabilité socio-économique suffisante.

Comme l'a expliqué le SGPI à la mission, ces différents types de prêts visent essentiellement à accélérer la modernisation des entreprises industrielles . Dans cette perspective, plusieurs dispositifs ont été mis en place :

- le « prêt à l'industrialisation des pôles de compétitivité » (PIPC). Créé dans un premier temps pour permettre la valorisation industrielle et commerciale de projets de R&D déjà aboutis labellisés par les pôles de compétitivité, ce mécanisme a connu un incontestable échec , puisque seuls 5 projets ont bénéficié d'un prêt en un an et demi, pour un montant de 4,4 M€, sur 100 M€ initialement prévus.

Le PIPC a donc été clôturé en mai 2015 et remplacé par le « prêt croissance automobile » (PCA) qui accompagne les besoins d'industrialisation de la seule filière automobile et devrait prochainement faire l'objet d'une évaluation. 27 prêts ont été concédés dans ce cadre, pour un montant de 51 M€ ;

- le « prêt robotique », qui vise à encourager l'acquisition par les entreprises industrielles d'équipements de production automatisés, en particulier des robots, pour favoriser leur montée en gamme et leur transition vers l'industrie du futur. L'ensemble de l'enveloppe de 300 M€ affectée à ce prêt a été consommée entre octobre 2014 et mars 2018 et a bénéficié à 447 entreprises. Le SGPI conduit actuellement une évaluation sur la typologie des équipements acquis et sur les premiers effets économiques de ce prêt.

Cet instrument peut notamment s'inscrire dans l'action de sensibilisation des PME « Robot Start PME » , qui propose aux PME industrielles désireuses de se doter de robots un accompagnement en trois phases : étude d'opportunité de la robotisation, faisabilité/rentabilité de cette robotisation puis aide au financement. Ce programme bénéficie actuellement à 150 PME et a permis de sensibiliser quelque 3 800 entreprises à la robotisation.

- le « prêt croissance industrie » (PCI) , devenu « prêt Industrie du futur » (PIF) à compter d'avril 2016, dont la finalité est de soutenir les investissements matériels et immatériels à faible valeur de gage sur l'ensemble des thématiques de l'industrie du futur identifiées par l'Alliance Industrie du futur, mais également à soutenir des investissements capacitaires structurants. Le PCI a permis de prêter 179 M€ à 105 entreprises . Par la suite, le PIF a permis de produire jusqu'ici 358 M€ de prêts auprès de 246 entreprises .

Votre mission salue la mise en oeuvre de ces différents outils destinés à rattraper le retard français en matière de robotisation. Ils devront être prolongés si les évaluations en cours confirment leur pertinence , qu'il s'agisse du « prêt robotique » ou du « prêt Industrie du futur ».

(2) La plupart des filières industrielles ont pu bénéficier de financements par les programmes d'investissements d'avenir

Lors de leur audition par la mission, les responsables du SGPI ont rappelé que toutes les filières de la « Nouvelle France industrielle », instituée en 2013, avaient pu bénéficier de crédits du PIA , qu'il s'agisse de l'automobile, de l'énergie ou bien encore de l'aéronautique . Ce dernier secteur a, à lui seul, bénéficié de 45 projets PIA qui ont directement soutenu la filière pour plus de 3,5 Md€, à travers des projets portant notamment sur le développement de l'A350 XWB, l'hélicoptère X4, les instituts de recherche technologique (IRT) Saint-Exupéry et Jules Verne, la recherche sur les composites appliqués à l'aéronautique, ou l'avion-école électrique.

Le PIA a également accompagné d'autres secteurs de la mobilité du futur tels que le TGV du futur, la voiture à moins de 2 litres tous les 100 kilomètres ou l'installation de points de charge indispensables au déploiement de véhicules électriques 58 ( * ) .

Dans le domaine des énergies renouvelables, sont notamment soutenus les quatre futures fermes éoliennes offshore flottantes et les réseaux intelligents (« smart grids »). L'innovation en matière d'intelligence artificielle a pour sa part été soutenue par des concours d'innovation, des programmes de R&D collaborative ou bien encore des « challenges » entre grands groupes et start-up .

Les financements du PIA ont, dans leur grande majorité, été attribués à des partenariats regroupant grandes entreprises, ETI, PME, TPE ou laboratoires de recherche , certains appels à projet étant uniquement dédiés aux TPE et aux PME. Toutefois, quelques financements ont également été accordés à certaines grandes entreprises, comme Airbus pour le financement de l'A 3520 XWB ou STMicroelectronics pour le financement des projets Nano de nouvelles technologies de semi-conducteurs.

Cette répartition équitable des financements, à la fois selon les secteurs et selon la taille des entreprises, est essentielle pour notre industrie.

(3) Quels financements dans le cadre du Grand plan d'investissement et du Fonds pour l'innovation de rupture ?
(a) Le Grand plan d'investissement comporte relativement peu de crédits nouveaux directement dédiés à l'industrie

Également géré par le SGPI, le Grand plan d'investissement (GPI) porté par le Gouvernement vise à mobiliser 57 Md€ au cours du quinquennat pour dynamiser la croissance du pays autour de quatre grandes priorités : 20 Md€ pour accélérer la transition écologique, 15 Md€ en faveur des compétences et de la formation professionnelle, 13 Md€ pour la compétitivité et l'innovation des entreprises et 9 Md€ pour transformer l'État grâce au numérique.

Ces crédits non pérennes englobent en partie des crédits déjà annoncés , puisque 12 Md€ proviendront d'une réorientation d'investissements existants et 10 Md€ correspondent aux crédits du troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3). Ainsi, le montant des crédits nouveaux s'élève à 24 Md€ de crédits budgétaires et 11 Md€ via différents outils proposés par la Caisse des dépôts et consignations - prêts, interventions en fonds propres ou fonds de garantie.

Sur l'ensemble des fonds mobilisés au titre du GPI , deux sections intéressent plus particulièrement l'industrie :

- 15 Md€ consacrés au Grand plan de formation ;

- 4,6 Md€ destinés à soutenir les efforts d'innovation des entreprises. Selon le Gouvernement, cette somme doit permettre d'encourager la prise de risque dans des secteurs très porteurs tels que l'intelligence artificielle, le big data , la cybersécurité ou les nanotechnologies. Sur cette somme, 3,6 Md€ proviennent du PIA 3. Ils mobiliseront donc les outils du PIA en faveur du financement de l'innovation de rupture, avec en particulier l'action PSPC et les concours d'innovation déjà mentionnés.

(b) La mise en place d'un fonds pour l'innovation de rupture soulève à ce stade des interrogations fortes

Le Président de la République a annoncé la création prochaine d'un fonds pour l'industrie et l'innovation qui serait doté de 10 Md€, constitué grâce à la cession de participations de l'État dont les caractéristiques restent à déterminer précisément (Aéroports de Paris, Française des Jeux, Engie, etc.) et dont la gestion serait assurée par Bpifrance. 59 ( * )

Or , les objectifs de ce fonds et ses modalités de fonctionnement sont encore flous . Quand le Gouvernement a annoncé sa création, on a d'abord pu croire qu'il s'agissait de céder 10 Md€ de titres et d'investir cette somme considérable dans l'innovation. Puis, il a finalement été expliqué que cette somme ne serait pas investie dans l'innovation mais placée. Au final, seuls les revenus générés par ce placement seraient donc effectivement investis dans l'innovation, soit environ 200 M€ par an.

Votre mission est dubitative face au montage proposé .

Si elle est extrêmement favorable à une initiative forte pour financer l'innovation de rupture, elle ne comprend pas l'intérêt financier de céder des titres dont le rendement est de 3,5 % l'an, voire 4,1 % (si l'on considère le portefeuille de l'État, hors énergie) pour les placer à un taux de 2 à 3 %. Il serait plus judicieux financièrement, et plus simple en pratique, d'affecter directement une partie des dividendes générés par le portefeuille de l'État au financement de l'innovation .

Les montants en jeu interrogent également. S'il s'agit effectivement de financer l'innovation de rupture, ce ne sont pas les 200 M€ annuels issus du nouveau fonds qui vont permettre de changer d'échelle .

La mission a également du mal à saisir ce qu'apportera réellement ce nouveau fonds dans le paysage institutionnel morcelé du soutien public à l'innovation. Deux acteurs publics majeurs interviennent déjà dans ce domaine : le Secrétariat général pour l'investissement, qui gère le PIA selon une logique d'appels à projets fondée sur un critère d'excellence, et Bpifrance, qui finance plutôt l'innovation courante en utilisant des dotations budgétaires fournies par l'État. La Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation estime par ailleurs que 62 dispositifs de soutien à l'innovation existent en France, avec un doublement en dix ans. Par rapport à ces deux acteurs et ces dispositifs, comment se situera le nouveau fonds ? Qu'apportera-t-il de plus ou de différent, notamment par rapport au PIA qui a précisément vocation à financer des projets de rupture ?

Du reste, pour l'heure, le rôle exact de ce fonds n'est pas formellement arrêté, une mission sur les aides à l'innovation étant chargée par le Gouvernement de définir sa doctrine d'emploi afin de maximiser son efficacité 60 ( * ) .

Malgré ses doutes sur sa pertinence, votre mission insiste pour que, s'il devait effectivement voir le jour, le projet du Gouvernement s'inscrive en cohérence avec la gouvernance des autres dispositifs de soutien à l'innovation et en complémentarité avec ces derniers .

Proposition n° 14 : En cas de création d'un « fonds pour l'innovation de rupture », assurer la cohérence de sa gouvernance avec celle des autres dispositifs de soutien à l'innovation et la complémentarité de son action avec ces derniers.

b) Bpifrance : un succès de l'intervention publique qui doit être conforté
(1) Le guichet unique des interventions financières de l'État en faveur des entreprises

Bpifrance constitue un exemple somme toute rare en France de guichet unique qui fonctionne . Créée par la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement et opérationnelle dès juillet 2013, la banque publique a fusionné trois structures pré-existantes dédiées au financement des entreprises : Oséo, banque de prêt aux PME et de soutien à l'innovation, ainsi que CDC Entreprises et le Fonds stratégique d'investissement (FSI) pour ce qui concerne les interventions en fonds propres.

Héritière de ces trois institutions, Bpifrance dispose d' une palette d'outils d'intervention très large , souvent mobilisés de façon complémentaire pour offrir des plans de financement sur mesure aux entreprises clientes.

La banque publique peut en effet intervenir à tous les stades de la vie des entreprises (financement de l'innovation, de l'amorçage, du développement, de l'internationalisation, de la mutation et de la transmission) en utilisant un mix de prêts, de garanties, d'investissements en fonds propres ou quasi fonds propres (directement ou via des fonds sectoriels ou géographiques) ou encore de subventions et d'avances remboursables . Bpifrance a d'ailleurs encore élargi son spectre d'intervention en 2017 avec l'intégration à sa gamme de produits des produits d'Assurance Export précédemment gérés par la Coface.

Elle entend également jouer, de plus en plus, un rôle de conseil, d'accompagnement et d'orientation, à travers différents programmes d'accélération, notamment dans le domaine de l'innovation ou de l'export.

(a) Le bras armé financier de l'État auprès des PME et des ETI

Bpifrance est devenue le « couteau suisse » de l'intervention financière de l'État auprès des entreprises en lui permettant à la fois de corriger certaines failles du marché du financement et en servant de relais de la politique industrielle nationale, notamment pour soutenir les stratégies de développement de filières, les secteurs d'avenir, la conversion numérique ou encore la transition écologique et énergétique. Bpifrance est notamment un opérateur majeur du PIA 61 ( * ) . Elle a également joué un rôle essentiel dans le préfinancement du CICE.

LES CHIFFRES CLÉS DE L'ACTIVITÉ DE BPIFRANCE EN 2017

7,2 Md€ de crédits à l'investissement (+5,8 %)

8,9 Md€ de prêts bancaires privés garantis par Bpifrance (+6 %)

1,3 Md€ en aides et subventions à l'innovation (stable)

4 Md€ d'investissement en capital (+70 %) dont 1 Md€ investi dans les fonds partenaires (+47 %)

20 Md€ de garanties accordées pour l'export

85 000 entreprises financées

7 500 entreprises accompagnées en conseil, formation et mise en relation.

Source : Bpifrance.

Face à l'éventail des missions et des outils d'intervention de Bpifrance, un rapport récent 62 ( * ) remis au ministre de l'économie a pointé une certaine complexité et préconisé de clarifier les missions de la banque en la recentrant sur la résorption des failles de marchés.

Votre mission d'information ne partage pas cette analyse. Le mécano de la banque publique est certes complexe, comme celui de toute institution financière moderne, mais cette complexité, gérée en interne par la banque, n'est pas perçue par les entreprises clientes et ne les perturbe donc pas. À ses yeux, l'essentiel est que les entreprises qui s'adressent à Bpifrance puissent accéder simplement à une offre qui réponde à leur besoin. Elle demande donc la préservation des missions, de l'organisation et de l'équilibre financier actuels de Bpifrance .

(b) Un dispositif vertueux du point de vue de la gestion des deniers publics

L'intervention massive de Bpifrance, essentiellement auprès des TPE, PME et entreprises intermédiaires du pays, se fait dans des conditions vertueuses du point de vue des finances publiques.

Fortement dotée en fonds propres à sa création (plus de 20 Md€) par l'État et la Caisse des dépôts et consignations, la banque publique est en effet une institution solide, dont le fonctionnement courant ne pèse que de façon réduite sur le budget de l'État. Les subventions de l'État, outre qu'elles sont strictement limitées aux domaines compatibles avec le respect du droit de la concurrence et des aides d'État, proviennent essentiellement du programme 134 de la mission « économie » 63 ( * ) (crédits qui abondent les fonds de garantie nationaux de Bpifrance) et du programme 192 de la mission « enseignement supérieur et recherche » (crédits qui financent l'aide à l'innovation). Elles sont d'un montant très faible au regard de l'ampleur des financements octroyés chaque année par la banque publique.

Source : questionnaires budgétaires.

Bpifrance se refinance principalement sur les marchés financiers, par émissions obligataires, dans des conditions excellentes compte tenu du niveau des taux et de la garantie de l'État 64 ( * ) .

Par ailleurs, le positionnement sur des métiers différents, dont certains sont rentables, permet de mettre en place des financements croisés internes et d'équilibrer le niveau global d'exposition aux risques du groupe, ce qui est une raison supplémentaire forte pour ne surtout pas recentrer la banque sur une gamme réduite de missions déficitaires. On peut noter qu'en 2017, la banque publique a enregistré d'excellentes performances financières, avec un résultat net de 1,363 M€, soit un niveau record pour Bpifrance. Cette performance, fruit d'une activité soutenue dans l'ensemble des métiers, d'opérations exceptionnelles et d'une gestion rigoureuse des charges et du risque, devra servir à renforcer les fonds propres et à développer encore davantage l'activité de Bpifrance, notamment dans le domaine du crédit export, du financement de l'innovation et du renforcement des fonds propres des PME et des ETI.

Malgré ces bons résultats, devant la forte réduction des dotations à la banque publique au titre du programme 192 constatée au cours des dernières années, la mission d'information invite le Gouvernement à maintenir un effort budgétaire soutenu pour assurer un niveau d'activité élevé de financement courant 65 ( * ) de l'innovation par Bpifrance. Il est également primordial que l'État maintienne un effort budgétaire suffisant au titre du programme 134, indispensable à l'activité de garantie de la banque publique . Lors de son audition le 7 février 2018 devant la commission des affaires économiques du Sénat, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, a néanmoins exprimé ses inquiétudes à ce sujet 66 ( * ) .

Proposition n° 15 : Maintenir un effort budgétaire soutenu pour permettre à Bpifrance d'assurer un niveau élevé de financement courant de l'innovation et de son activité de garantie des prêts bancaires.

(c) Une articulation vertueuse avec le système bancaire et financier privé

Le caractère économiquement efficient des interventions de Bpifrance résulte également non seulement de sa capacité à éviter tout effet d'éviction de l'activité financière privée, mais plus encore de la mise en place de mécanismes vertueux de mobilisation des fonds privés par l'investissement public. Ce cercle vertueux tient aux critères d'intervention de Bpifrance qui :

- d'une part, agit prioritairement sur les segments d'activité que les financements privés ne couvrent pas . Par exemple, dans son activité « Crédit d'investissement », Bpifrance se concentre sur le financement de l'immatériel et du besoin en fonds de roulement au travers de la gamme des prêts de développements 67 ( * ) , dont la production en 2016 a atteint 2,8 Md€ et l'encours 8,7 Md€ ;

- d'autre part, intervient quasi exclusivement en tant que cofinanceur . Ainsi les prêts de développement sont systématiquement accompagnés de prêts bancaires ou d'un investissement en fonds propres, en partenariat avec l'ensemble des banques et investisseurs de la place, pour un montant au moins égal. Les interventions de Bpifrance exercent ainsi un effet de levier , qui peut être mesuré. Dans le cas des activités de garantie, 1 € de fonds publics injecté dans les fonds de garantie permet à Bpifrance de couvrir 9,5 € de risques et de mobiliser 20 € de prêts par les banques françaises.

On peut noter enfin que la complémentarité public/privé est également inscrite dans l'organisation même de la commercialisation des produits de Bpifrance, puisque la banque publique délègue au réseau bancaire privé le soin de placer une grande partie de ses produits.

(2) Un acteur incontournable du financement de l'industrie

L'industrie est le premier secteur d'intervention de Bpifrance . L'industrie mobilise en effet un peu plus du quart des montants d'intervention de Bpifrance 68 ( * ) .

En valeur absolue, le montant des interventions de Bpifrance auprès de l'industrie est passé de 1,662 Md€ en 2005 à 5,074 Md€ en 2014, dans le cadre d'une croissance forte et régulière sur l'ensemble de la période. Par ailleurs, en ajoutant le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) et des services aux entreprises, qui en réalité sont désormais inséparables de l'industrie, le montant des interventions atteint même 8,6 Md€.

Sur cette même période 2005/2014, les financements de l'industrie par la banque publique ont augmenté plus rapidement que les financements en faveur des autres secteurs. La part de l'industrie dans le total des financements accordés est ainsi passée de 23 % à 26 %, alors que la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale en France passait pour sa part de 16 % à 14 %. La banque publique est donc un acteur majeur pour freiner voire inverser la désindustrialisation du pays.

Source : Bpifrance, comptes nationaux

Outre son volume important, l'intervention de Bpifrance auprès de l'industrie se caractérise aussi par une ventilation des dépenses assez particulière avec :

- un poids important des financements dédiés au développement , du fait des besoins importants en capitaux des entreprises industrielles ;

- un poids élevé des financements dédiés à l'innovation . L'industrie bénéficie des trois quarts des aides à l'innovation et de plus de 40 % des fonds octroyés dans le cadre du PIA pour lesquels Bpifrance est opérateur.

(en M€, en 2014)

Industrie

Total des secteurs

Part de l'industrie

Aides à l'innovation

644

864

74,5 %

Prêts de développement et cofinancement

1954

6489

30,1 %

Autres interventions

2476

12349

20,1 %

Total

5074

19702

25,8%

Source : direction générale des entreprises.

Concernant les investissements en fonds propres, leur destination sectorielle est difficile à connaître avec précision, car les fonds investissent généralement dans des sociétés holdings tête de groupes. Toutefois, selon les estimations de Bpifrance, la part de l'industrie dans les investissements en fonds propres de Bpifrance représenterait 50 % du total des investissements en fonds propres , soit 0,85 Md€ sur 1,7 Md€ 69 ( * ) .

Ces éléments chiffrés indiquent clairement que Bpifrance intervient de manière massive dans les domaines (innovation, développement, fonds propres) pour lesquels les instruments de marché ne permettent pas spontanément d'atteindre le niveau optimum de financement dont les PME et ETI industrielles ont besoin.

Enfin, on peut souligner que, au sein du secteur industriel, les actions de Bpifrance ciblent moins les TPE et davantage les ETI et les PME que dans les autres secteurs de l'économie.

Ainsi, en 2014, les TPE de l'industrie ont capté 51 % des opérations de financement de Bpifrance en direction de l'industrie représentant seulement 18 % du montant total des financements de la banque publique en direction de l'industrie, alors que, hors industrie, les TPE ont capté 73 % des interventions de Bpifrance représentant 26 % des montants totaux. Corollairement, les PME industrielles ont capté 53 % des montants mobilisés vers l'industrie et les ETI industrielles 28 % de ces montants, alors que ces chiffres sont respectivement de 49 % et 29 % hors industrie.

La politique d'intervention de Bpifrance contribue ainsi à renforcer le tissu industriel des grosses PME et des firmes intermédiaires dont la faiblesse endémique est l'une des causes du manque de compétitivité et du déficit extérieur français. En particulier, la banque publique a aidé 550 ETI industrielles en 2014, soit plus de la moitié des 900 ETI industrielles françaises.

La mission d'information se félicite de cette présence forte de Bpifrance auprès des entreprises industrielles et souhaite que le tropisme industriel de la banque publique soit conforté dans les années à venir.

c) Favoriser l'ouverture du capital des entreprises

Outre une fiscalité peu incitative, l'insuffisante ouverture du capital des PME est un frein à la croissance de ces dernières et, ce faisant, à la constitution d'un tissu dense de PME et d'ETI industrielles , comme en connaissent l'Italie et l'Allemagne. Lors de son audition au Sénat, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, notait ainsi que « l'ouverture du capital change tout et trop d'entreprises demeurent méfiantes vis-à-vis des fonds d'investissement. Or, ouvrir le capital revient à faire entrer la modernité dans l'entreprise, ne serait-ce qu'en incitant au dialogue contradictoire sur sa gouvernance. » 70 ( * ) D'ailleurs, la banque publique est loin d'être inactive en la matière : au cours des trois dernières années, la banque publique a ouvert le capital de 270 entreprises dont plus de 60 % ont été des primo-ouvertures.

Certes, ainsi que l'a constaté la mission, certaines entreprises industrielles ont pu développer des modèles de croissance efficaces fondés sur l'auto-financement. L'entreprise ARaymond, spécialisée dans la production de solutions d'assemblage et de fixation, en est un exemple réussi : ce groupe - qui existe depuis 1865, emploie 7 000 personnes dans le monde, dont 1 200 en France, et réalise un chiffre d'affaires de 1,2 Md€ - reste détenu à 100 % par la famille de son fondateur. Selon le président de la filiale France, Frédéric Perrot, entendu par la mission, il y a dans ce cadre un accord familial pour réinvestir systématiquement dans l'outil de production les bénéfices engrangés. Mais pour un exemple de ce type, combien y a-t-il d'autres situations où l'absence de capital est un frein à la croissance ?

Certes, lors de son audition par la mission, Bertrand Escoffier, directeur général de la société Le Slip français, a expliqué que, parmi les entreprises industrielles fournisseurs, toutes n'avaient pas la volonté de croître : « Certaines entreprises cherchent à s'accroître, mais ce n'est pas le cas pour toutes. D'un côté, nous avons des personnes en fin de carrière qui n'ont pas envie de relancer un cycle de croissance, d'autant qu'ils ont connu près de vingt ans de crises de restructuration. On ne peut pas leur en vouloir ! De l'autre côté, des jeunes motivés, qui ont envie de reprendre des ateliers et de s'appuyer sur les capacités dormantes. Ce sont deux dynamiques différentes. » Mais, lorsque le dirigeant décide d'ouvrir son capital, deux difficultés se posent.

D'abord, celle de la dilution de sa présence au capital . La crainte d'une perte de contrôle de la société, au profit d'investisseurs extérieurs, est souvent un frein à la décision d'ouvrir le capital de l'entreprise. Sur ce point, lors de son audition, Louis Schweitzer a estimé que l'une des clés à cette situation était de mieux dissocier les droits de vote du capital social , soulignant notamment les vertus du droit suédois, où certaines actions représentent parfois plusieurs dizaines de droits de vote, ou du droit fédéral américain, qui instaure plusieurs « classes » d'actions. Il a indiqué qu'« en France, on a développé le droit de vote double pour les actionnaires de long terme. C'est déjà quelque chose, mais cela reste beaucoup moins puissant que ce qui existe ailleurs, d'autant que les mécanismes de gouvernance entrepreneuriale renforcent le rôle des actionnaires quels qu'ils soient . »

Il faut donc engager la croissance du capital en recourant à des instruments juridiques qui sécurisent l'entreprise à long terme. Votre mission souligne cependant que le droit français offre déjà à cet égard une palette importante de mécanismes - notamment les actions de préférences et les pactes extrastatutaires entre associés - qui peuvent être mis en place. Du reste, si le système suédois de droits de vote multiples a effectivement été jadis un instrument puissant, permettant par exemple de détenir 1 000 droits de vote au moyen d'une seule action, il l'est moins aujourd'hui : selon le service économique de l'ambassade de France en Suède, afin de ne pas encourir une censure européenne, le droit suédois des sociétés a aujourd'hui fortement réduit le rapport entre droits de vote et capital, les actions ne pouvant désormais offrir qu'un rapport de 1 à 10 entre capital et droits de vote.

Il n'en demeure pas moins que certains mécanismes peuvent être améliorés. Lors de leur audition, les représentants de l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) ont suggéré de prévoir la possibilité pour le porteur d'actions de préférence de racheter ces dernières, alors qu'aujourd'hui, à la différence de nombreux droits étrangers, le droit français interdit leur rachat à l'initiative du porteur, ce qui constitue un frein à leur utilisation par les investisseurs en capital-risque. Ces derniers souhaitent en effet négocier, dès leur entrée au capital, le mécanisme par lequel ils pourront en sortir. Il conviendrait donc de prévoir que le rachat puisse intervenir à l'initiative de l'émetteur ou du détenteur des actions de préférence , cette formule laissant aux sociétés la faculté de décider d'émettre l'une ou l'autre de ces catégories d'actions de préférence.

Proposition n° 16 : Pour favoriser le recours aux actions de préférence dans le cadre de l'ouverture du capital des sociétés, prévoir que leur rachat puisse intervenir à l'initiative de l'émetteur ou du détenteur de ces actions.

La nature juridique de la société joue aussi . Certaines formes sociales permettent un contrôle plus strict de l'actionnariat : les sociétés en commandite simple ou en commandite par actions permettent ainsi de verrouiller totalement l'actionnariat. Dans la société à responsabilité limitée, des clauses d'agrément permettent par ailleurs de soumettre l'entrée de nouveaux actionnaires à l'accord des actionnaires déjà présents au capital. Néanmoins, compte tenu de leur nature fermée, ces sociétés attirent plus difficilement les investisseurs financiers que les sociétés par actions.

Aussi, eu égard à ces différents paramètres, les PME industrielles doivent-elles être bien accompagnées juridiquement dans l'ouverture de leur capital , afin de définir les engagements contractuels ou les aménagements de leurs statuts à même de leur assurer une certaine protection contre des investissements de court terme ou de nature prédatrice. Cet accompagnement, essentiellement effectué par des grands cabinets d'avocats, représente un coût souvent très important pour des PME. Il n'en est pas moins indispensable.

C'est d'ailleurs l'autre défi qui se pose en pratique à la croissance des PME : trouver des investisseurs de long terme, qui s'inscriront dans une démarche d'investissement industriel plus que de retour financier .

À cet égard, les sociétés de capital-investissement - plus connues sous les appellations anglo-saxonnes de fonds de private equity ou business angels - se sont fortement développées en France ces dernières années. Selon le bilan récemment établi par France Invest, les sociétés françaises d'investissement dans les startups et PME non cotées ont ainsi collecté 16,5 Md€ en 2017, soit le double d'il y a cinq ans. À eux seuls, les montants investis dans le capital-innovation, c'est-à-dire essentiellement dans l'amorçage des start up , ont bondi de 40 %. Ils ne sont cependant pas encore toujours suffisamment puissants pour jouer un rôle déterminant pour favoriser la croissance et le changement de taille des entreprises.

En outre, ces fonds, en contrepartie de l'immobilisation du capital, demandent souvent un rendement sur le capital investi supérieur à celui du marché des actions cotées, ce qui peut en faire un instrument de croissance coûteux in fine pour une PME.

Par ailleurs, comme on l'a vu, les financements publics existent pour ce type d'opération, Bpifrance associant du reste systématiquement un investisseur privé à ses prises de participation. Votre mission s'en félicite, mais elle souhaite que ces interventions au capital ne se limitent pas à financer l'innovation. Le besoin de financement des entreprises répond parfois seulement à une croissance de ses débouchés à laquelle elle ne peut faire face.

Pour autant, l'ouverture du capital n'est pas toujours la panacée. Selon Frédéric Perrot, président d'ARaymond France, « son succès dépend du terme visé et de la valorisation. Cette valorisation, si elle est trop faible - ce qui est très souvent le cas -, conduit à booster artificiellement les promesses du business plan et instaure, dès le premier jour et les premiers retards, une tension destructrice de valeur entre le financier et l'opérationnel. » En définitive, une croissance durable des entreprises industrielles ne peut que provenir d'une plus grande coopération entre elles, qui peut aboutir le cas échéant à des fusions de PME pour créer des ETI , sans que l'investisseur financier ait la place de choix dans ce dispositif. Or, s'engager de manière systématique dans cette voie implique au préalable un changement des mentalités actuelles, caractérisées par une vision très individualiste et concurrentielle.

Sur ce point, plus les coopérations fonctionnelles entre entreprises à la recherche de marchés, notamment à l'international, seront développées, et mieux les entreprises découvriront des complémentarités qui pourront les conduire, in fine , à des regroupements et des fusions .

d) Poursuivre le soutien aux industries fortement consommatrices d'électricité

Au titre des actions de financement de l'industrie, votre mission tient enfin à souligner l'importance de celles qui s'adressent aux entreprises industrielles fortement consommatrices d'électricité. Celles-ci se trouvent principalement dans les secteurs de la papeterie, de la métallurgie, de la chimie et de la cimenterie. En 2015, ces secteurs représentaient 58 % de la consommation électrique industrielle française, soit 64 TWh, et 80 000 emplois directs.

Les industries électro-intensives bénéficient de plusieurs dispositifs de soutien public qui contribuent à réduire leur facture électrique et à maintenir leur compétitivité .

Ainsi, en application de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, ces industries peuvent prétendre à une réduction du Tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) en contrepartie d'engagements de performance énergétique. Le gain pour les électro-intensifs en application de ce dispositif est chiffré à 187 M€ en 2017.

Les industries électro-intensives peuvent également prétendre à une exonération partielle ou totale de CSPE . Trois mécanismes mis en place par la loi de finances rectificative pour 2015 sont mobilisables : le taux réduit de contribution au service public de l'électricité (CSPE) « de base », le taux réduit de CSPE « majoré » et le taux « super-réduit » de CSPE pour les entreprises hyper électro-intensives. Le coût de ces trois dispositifs de réduction de la CSPE représente pour les électro-intensifs une économie chiffrée à 555 M€ en 2017.

Le dispositif d'interruptibilité , également prévu par la loi du 17 août 2015, rend quant à lui possible une contractualisation entre RTE et les sites de soutirage ayant une puissance souscrite supérieure à 25 MW. Contre rémunération, ces derniers s'engagent à interrompre leur consommation à la demande du gestionnaire de réseau afin de faire face aux pics de consommation susceptibles d'affecter la stabilité du réseau. La rémunération de cette interruptibilité a représenté un gain de 96 M€ pour les industries électro-intensives en 2017.

S'ajoutent à cela le taux réduit de taxe intérieure de consommation pour les installations soumises au marché européen d'échange de quotas (SCEQE) et le taux réduit de taxe intérieure de consommation pour les installations exposées à un risque de fuite de carbone , mécanismes créés par la loi de finances pour 2014 et la loi de finances rectificative pour 2014, ainsi que la compensation carbone mise en place par la loi de finances pour 2016.

Au total, les divers dispositifs de soutien aux industries électro-intensives ont eu un coût de près de 1,5 Md€ en 2017.

Votre mission d'information appelle à préserver ces dispositifs de soutien aux industries fortement consommatrices d'électricité, faute de quoi les sites industriels concernés fermeront ou seront délocalisés . Les industries électro-intensives bénéficient en effet de soutiens publics dans les autres pays de l'Union européenne, notamment en Allemagne et en Italie. Plus largement, les industries électro-intensives européennes sont soumises à la concurrence d'entreprises de pays tiers qui bénéficient également d'aides publiques, notamment en Chine, aux États-Unis, au Canada et en Russie.

Dans un contexte concurrentiel biaisé , où la libéralisation du marché de l'électricité se conjugue avec le maintien dans l'ensemble des pays producteurs de mécanismes de soutien public plus ou moins déguisés, la France ne peut se permettre de revenir sur les dispositifs qu'elle a mis en place en faveur de ses propres producteurs électro-intensifs sans les condamner à disparaître.

B. METTRE L'INDUSTRIE FRANÇAISE EN ORDRE DE MARCHE

1. Accompagner la transformation digitale des entreprises industrielles

Le déploiement de l'industrie du futur - on parle parfois aussi d'industrie 4.0 en s'inspirant de la terminologie allemande - devrait constituer un axe prioritaire de la politique industrielle française. Or, si un programme prometteur visant à encourager l'intégration des technologies du numérique au tissu industriel a bien été lancé en avril 2015, la mobilisation des acteurs industriels et des pouvoirs publics apparaît encore trop faible et trop lente au regard de l'importance et de l'urgence des enjeux.

Si la transformation digitale des grands groupes est bien engagée, la situation des PMI et des ETI est en revanche plus contrastée. Or, l'État semble avoir réorienté son action. La politique en faveur de l'industrie du futur est désormais diluée dans l'ensemble des actions qui se rattachent à la bannière « French Fab » et les acteurs qui s'étaient mobilisés et organisés pour accélérer le passage à l'industrie du futur semblent désorientés . La mission d'information estime que cette réorientation constitue une erreur stratégique et elle appelle à redonner une impulsion forte à la politique en faveur de l'industrie du futur.

a) Le déploiement de l'industrie du futur : un impératif et une opportunité pour l'industrie française
(1) Qu'est-ce que l'industrie du futur ?

Lorsqu'on évoque l'industrie du futur, on pense spontanément, à tort, à des firmes qui se situent à la pointe de l'innovation. En réalité, l'industrie du futur concerne l'ensemble des entreprises industrielles , quel que soit leur secteur d'activité, leur taille ou leur ancienneté. La mise à jour de l'outil productif, du modèle d'affaires et de l'organisation des firmes industrielles par l'intégration des « briques technologiques » de l'industrie du futur n'est pas réservée à une élite ni à des cas exceptionnels, mais peut - et doit - toucher l'ensemble du tissu industriel.

(a) Des transformations qui affectent à la fois la façon de fabriquer et la manière dont l'entreprise s'insère dans son environnement
(i) Digitaliser la fabrication : l'usine du futur

Au coeur de l'industrie du futur se trouve l'usine du futur. Celle-ci se caractérise en premier lieu par le déploiement des technologies digitales permettant aux machines de communiquer entre elles, de communiquer avec les opérateurs humains et plus généralement de communiquer avec tous les objets équipés de capteurs. Le monitoring en temps réel des activités productives grâce au recueil et à l'analyse automatique des données permet l'optimisation des flux, des quantités, des interventions à tous les stades de la fabrication industrielle.

Parmi les technologies caractéristiques de l'usine du futur, on trouve également les robots intelligents et aisément reconfigurables, capables de travailler en sécurité dans un environnement humain et d'accomplir des tâches multiples. Figure aussi la palette des technologies d'assistance physique aux travailleurs (c'est le domaine de la cobotique et des exosquelettes) ou encore les technologies d'assistance cognitive (comme la réalité virtuelle ou la réalité augmentée), les techniques de suivi et de prédiction de la maintenance ou encore les procédés de fabrication innovants comme les imprimantes 3D.

Si on peut concevoir et construire des usines entièrement high tech , qui intègrent d'emblée une grande partie voire la totalité des briques technologiques de l'usine du futur, il est aussi tout à fait possible de déployer ces briques technologiques de manière incrémentale, ce qui est le cas de figure économiquement le plus pertinent dans la plupart des situations concrètes. On peut tout à fait créer des chaînes digitalisées à l'intérieur de processus de production plus traditionnels . Un diagnostic concret de l'outil productif, du marché et des capacités d'investissement de chaque entreprise, y compris d'une PME de taille modeste, permet en effet de sélectionner un ensemble cohérent mais restreint de « briques » que cette entreprise pourra intégrer dans ses ateliers dans une logique de « mise à jour ».

(ii) Repenser l'insertion de l'entreprise dans un environnement global numérisé

Au-delà de la modernisation des ateliers et des usines, l a digitalisation de l'industrie affecte plus généralement tous les niveaux de la chaîne de valeur industrielle . C'est bien pourquoi on parle d'industrie du futur et pas seulement d'usine du futur. Elle implique une transformation de l'organisation de l'entreprise, du management, des modalités d'insertion de la firme dans son environnement. De la conception des biens à leurs usages, en passant par la logistique et les relations fournisseurs, c'est en effet l'ensemble des opérations en amont et en aval de la fabrication qui est bouleversé par le déploiement des technologies de l'industrie du futur - un séquençage linéaire de l'aval vers l'amont devenant d'ailleurs obsolète pour décrire la réorganisation de la firme et de son activité.

(b) Un travail de recensement des briques technologiques de l'industrie du futur

Au cours des dernières années, les acteurs industriels (grands groupes, fédérations sectorielles), les pouvoirs publics et le monde académique ont conduit un important travail visant à mieux identifier les techniques et les modes d'organisation constitutifs de l'industrie du futur. Cela a permis la définition d'un référentiel partagé qui répertorie et classe toutes les disciplines et technologies indispensables à l'Industrie du futur. Il est constitué de 60 « macro-briques » et près de 400 « briques » technologiques.

Les offreurs de solutions technologiques peuvent désormais s'appuyer sur ce référentiel pour décrire leur offre et communiquer avec les entreprises à la recherche de solutions de modernisation de leurs outils de production, d'approvisionnement ou de relations clients. Le référentiel commun permet également aux pouvoirs publics de disposer de critères clairs pour identifier les innovations et les projets industriels qu'il convient d'accompagner et de financer. En particulier, Bpifrance sélectionne les entreprises bénéficiaires des Prêts « industrie du futur » en s'appuyant sur les conclusions des travaux de l'Alliance Industrie du Futur.

LE RÉFÉRENTIEL DE L'INDUSTRIE DU FUTUR

Source : rapport annuel 2016 de l'Alliance Industrie du Futur, p.29

b) Une des clés du redressement industriel
(1) Un important levier pour gagner en productivité et monter en gamme
(a) Des effets sur la compétitivité-prix

Le déploiement des technologies du futur permet des gains importants de productivité et de flexibilité :

- le développement des techniques de maintenance préventive permet par exemple de réduire fortement le nombre des pannes qui bloquent de façon intempestive les lignes de production et d'optimiser dans le temps les opérations de maintenance ;

- les techniques de communication hommes/machines permettent aux opérateurs humains de réaliser des diagnostics et des interventions plus pertinents et plus rapides pour relancer la production quand un incident l'a interrompue ;

- les techniques de réalité virtuelle permettent une intervention à distance immédiate des techniciens de maintenance lors des pannes les plus sérieuses, évitant ainsi une intervention « physique » dont les délais peuvent être de plusieurs heures ou de plusieurs jours ;

- le pilotage fin des processus de production, l'utilisation de matériaux innovants ou d'imprimantes 3D permettent une optimisation de la dépense énergétique et de la quantité de matières premières utilisées ;

- le développement de la robotique intelligente et des machines multifonctions permet de reconfigurer rapidement et simplement un atelier et de produire en séries courtes sans dérapage des coûts, ce qui rend possible l'adaptation de la production aux besoins différenciés et changeants des clients ;

- la mise en réseau des services commerciaux, des services d'approvisionnement et des services de fabrication permet d'ajuster les prévisions en matière de stock et de logistique dès la prise de commande. Si l'industrie du futur n'a pas inventé les concepts de « juste à temps » ou de « zéro stock », elle permet de franchir un palier dans la poursuite de ces objectifs ;

- la virtualisation des systèmes de production par la modélisation 3D permet de simuler toutes les opérations de production et de maintenance et donc de repérer et de résoudre par anticipation nombre de difficultés susceptibles de survenir dans les ateliers réels.

Ce ne sont là que quelques exemples. On pourrait les multiplier. Une étude du Boston consulting group (BCG) estime, à partir de l'analyse du cas allemand, que la mise en oeuvre des solutions techniques et organisationnelles de l'industrie du futur permet d'atteindre en quelques mois une réduction des coûts de fabrication de l'ordre de 15 à 25 %, voire de 30 % dans certaines branches 71 ( * ) . En se fondant sur l'analyse de plusieurs projets pilotes en matière d'industrie du futur, le cabinet Ernst & Young estime quant à lui que des réductions de 10 % à 15 % des coûts de production sont réalisables sur des périodes courtes, et même jusqu'à 30 % si on raisonne sur l'ensemble de la chaîne de valeur étendue 72 ( * ) .

De façon concrète, lors de son audition, Frédéric Perrot, président de la société ARaymond France, spécialisée dans les solutions d'assemblage et de fixation, a indiqué que les solutions technologiques implantées dans ses sites assuraient à la société des coûts de production qui restaient moins élevés qu'en Chine.

(b) Des effets sur la compétitivité hors prix

Les techniques de l'industrie du futur ne permettent pas seulement de produire plus vite et moins cher : elles sont aussi un vecteur essentiel de la montée en gamme industrielle, notamment grâce à la personnalisation de l'offre qu'elles rendent possibles.

D'une part, la digitalisation de la relation client permet d'associer beaucoup plus étroitement les clients à l'élaboration et à l'évaluation des biens et services qui leur sont proposés. Leurs besoins sont donc identifiés plus précisément et plus rapidement, ce qui constitue un avantage concurrentiel considérable. De plus, les biens industriels de l'ère numérique intègrent de plus en plus des services, notamment sous forme d'applications numériques embarquées, qui contribuent à cette personnalisation de l'offre , au point que ce qui est vendu est de plus en plus souvent un ensemble d'usages ou une expérience de consommation davantage qu'un bien stricto sensu .

D'autre part, mieux identifiés, les besoins des clients sont satisfaits plus précisément et plus rapidement . Le niveau de flexibilité de l'outil productif qu'autorisent les techniques et les processus de fabrication des usines 4.0 ouvre en effet la voie au « sur mesure » dans un cadre industriel à un coût maîtrisé. De même, l'optimisation digitale de l'articulation entre la fonction de fabrication et les fonctions d'approvisionnement et de livraison permet de livrer le client dans des délais sensiblement plus courts. Selon l'étude précédemment citée d'Ernst & Young, l'industrie du futur peut conduire à une division des délais de livraison par quatre.

Le client pouvant bénéficier d'une offre personnalisée grâce à l'industrie du futur n'est pas seulement le consommateur final ; c'est aussi le donneur d'ordre industriel ou le grossiste. Et c'est bien là qu'est l' enjeu décisif et urgent pour toutes les PMI et les ETI françaises qui sont fournisseurs ou sous-traitants de grands comptes : dès lors que ces derniers effectuent le virage vers l'industrie du futur et mettent en place un pilotage digitalisé de leur sourcing et de leurs ventes, tous leurs partenaires « B to B » sont eux-mêmes obligés de s'intégrer dans ce processus de digitalisation et de mettre en place une organisation de la production qui réponde aux exigences nouvelles de leurs clients - sans quoi ils sont impitoyablement écartés du sourcing . Par exemple, dès lors qu'un donneur d'ordre met en place un dispositif de facturation électronique ou une plateforme d'échanges numérisée, le fournisseur ou sous-traitant est lui-même obligé de réaliser les investissements nécessaires afin de s'intégrer à ce nouvel environnement numérique.

(2) Une opportunité de relocalisation de la production

En accroissant la compétitivité prix et hors prix, le déploiement de l'industrie du futur rend envisageable la relocalisation de certaines productions industrielles .

En effet, une intensité capitalistique accrue du fait des investissements nécessaires à l'industrie 4.0, ainsi que le repositionnement des entreprises sur des segments de marché plus « haut de gamme » 73 ( * ) , permettent de réduire l'importance relative du coût du travail dans les choix de localisation des sites de production - et ce d'autant plus que l'avantage salarial comparatif de certains pays émergents commence à se réduire. Avec l'industrie du futur, les pays à coût horaire de la main-d'oeuvre élevé comme la France rattrapent donc une partie de leur handicap par rapport aux pays à bas coût.

Par ailleurs, dans des usines du futur en partie autopilotées, l'intervention humaine est recentrée sur les tâches manuelles les plus complexes et sur les activités de programmation/pilotage/maintenance des machines, c'est-à-dire sur les tâches les plus qualifiées. Or, le besoin d'une main-d'oeuvre qualifiée et bien rémunérée conduira, là encore, les entreprises à favoriser l'implantation de leurs sites de production dans les territoires qui auront su réaliser des investissements en capital humain suffisants.

Enfin, les modèles économiques reposant sur la capacité à ajuster rapidement le contenu et la livraison de l'offre à la demande conduisent à privilégier des sites de production et des réseaux de sous-traitants géographiquement plus proches des clients.

Le numérique et les nouvelles technologies de fabrication offrent donc une opportunité historique aux entreprises de se moderniser, d'innover et de produire en France . C'est une chance d'inverser le déclin industriel observé au cours des dernières décennies.

c) L'accompagnement du déploiement de l'industrie du futur : une action trop timide des pouvoirs publics
(1) Une reconnaissance institutionnelle tardive des enjeux de l'industrie du futur

Le début des années 2010 a marqué une prise de conscience de l'impasse économique que constitue le modèle d'une société « post-industrielle » de services et de la nécessité d'opérer un redressement industriel, mis en exergue tant par la mission du Sénat sur la réindustrialisation des territoires en avril 2011 74 ( * ) que par le rapport Gallois en novembre 2012. C'est dans ce contexte qu'ont été posées les prémices de la politique nationale en faveur de l'industrie du futur. En novembre 2013, le Gouvernement lance le projet de Nouvelle France industrielle articulé autour de 34 plans de « reconquête industrielle » . Au printemps 2015, la maturation de ces plans conduit le ministre de l'économie à décider une transformation de l'organisation et des objectifs de la Nouvelle France industrielle . Les 34 plans initiaux deviennent un projet transversal, le projet « Industrie du futur » , qui irrigue le travail de toutes les filières, et neuf « solutions industrielles » destinées à répondre à des marchés en plein essor 75 ( * ) .

Le passage du plan « Usine du futur » au concept plus englobant d'« Industrie du futur » marque un changement d'échelle dans la réflexion et dans l'action des pouvoirs publics. D'une part, le caractère transversal de l'industrie du futur est désormais clairement perçu : son déploiement concerne bien tous les secteurs industriels et doit permettre une montée en gamme de l'industrie française dans son ensemble. D'autre part, on passe d'une approche centrée sur l'usine à une approche qui prend en compte les transformations des modèles d'affaires, de l'organisation interne des firmes et des logiques d'interactions entre l'entreprise et l'ensemble de son environnement. Enfin, il y a une prise de conscience que le déploiement de l'industrie du futur dans notre pays doit absolument tenir compte de la faiblesse structurelle de notre tissu industriel, à savoir un nombre insuffisant de grosses PME et d'ETI et des difficultés endémiques des entreprises françaises à coopérer comme savent le faire leurs concurrentes étrangères .

Cette prise de conscience est à l'origine d' une des spécificités du projet français d'industrie du futur, à savoir l'accent fort porté sur la sensibilisation et l'accompagnement des PME.

UNE PRISE DE CONSCIENCE QUI TOUCHE TOUTES LES NATIONS INDUSTRIELLES

Les initiatives nationales

L'initiative allemande « Industrie 4.0 » comporte deux actions principales. D'une part, elle organise et finance la recherche publique et privée dans les domaines de la robotisation industrielle, de l'automatisation, de la mise en réseau . D'autre part, elle cherche à promouvoir ces technologies auprès de tout le tissu industriel allemand, en créant des démonstrateurs, en mettant à disposition des bancs d'essais , etc. Cette politique est fortement portée par tous les acteurs de l'industrie allemande (fédérations professionnelles, syndicats, Länder, milieu universitaire) qui sont rassemblés dans la Plattform Industrie 4.0.

Le Royaume-Uni et les États-Unis s'attachent particulièrement à la promotion de la recherche sur les technologies d'avenir, notamment à l'interface entre les instituts de recherche et le monde économique :

- aux États-Unis, l' Advanced Manufacturing Partnership, lancé en 2013, vise à créer une quarantaine d' Institutes for Manufacturing Innovation d'ici à 2025, qui rassemblent chercheurs, conseillers du gouvernement et industriels. Chaque institut développe une spécialité technologique centrale pour l'industrie du futur, en coordination les uns avec les autres. Ils sont aujourd'hui dotés d'un budget d'un milliard de dollars sur huit ans, mais sont supposés devenir à terme financièrement indépendants ;

- au Royaume-Uni, le plan High Value Manufacturing Catapult soutient sept centres de recherche existants, en mettant à disposition des entreprises un réseau d'infrastructures, d'équipements et de compétences, pour favoriser l'émergence d'un écosystème de l'innovation intégré et participatif, ainsi que des technologies de rupture.

Enfin, l' Italie a initié récemment son programme intitulé « Piano Industria 4.0 ». Il place la priorité sur le développement de l'offre technologique, mais aussi sur la diffusion de ces offres au tissu industriel.

Des coopérations internationales

La France et l'Allemagne ont initié en octobre 2015 une coopération en matière d'Industrie du Futur, sous la forme d'un plan d'actions conjoint entre les plateformes française (Alliance pour l'Industrie du Futur) et allemande (Industrie 4.0). En 2017, cette coopération a été étendue à l'initiative italienne « Piano Industria 4.0 ». Elle est fondée sur trois axes prioritaires : i) la normalisation et les architectures de référence dans le domaine du numérique notamment ; ii) l'inclusion des PME ; iii) la synchronisation des positions sur les aspects réglementaires, notamment sur les données industrielles. Au niveau communautaire, la France participe aussi aux initiatives de la Commission (notamment l'initiative Digitizing European Industry portée par la DG CONNECT et la DG GROW de la Commission Européenne ; l'Alliance Industrie du futur y représente la France).

(2) Un rôle d'animation confié à l'Alliance pour l'Industrie du futur

Le lancement du projet d'industrie du futur s'est accompagné de la mise en place d'un outil de gouvernance dédié : l'Alliance pour l'Industrie du Futur. Cette association loi de 1901 regroupe les principales fédérations industrielles (FIEEC, FIM, GIFAS, GIMELEC, PFA, UIMM, etc.), CCI France, des partenaires technologiques (CETIM, LNE, AFM, etc.) et académiques (AFDET, Arts et Métiers ParisTech, CESI, Institut Mines Télécom, etc.), ainsi que Bpifrance.

Interlocuteur du ministre de l'économie et de ses services, l'Alliance pour l'Industrie du futur est force d'analyse et de propositions pour les pouvoirs publics. Tournée vers le monde industriel, elle est également animatrice du réseau de 34 partenaires dont elle s'efforce de coordonner l'action autour de trois axes :

- développer une offre française de solutions technologiques pour l'industrie ;

- déployer l'industrie du futur dans les branches industrielles traditionnelles ;

- mettre en place les formations et les compétences dont l'industrie du futur a besoin.

(3) Développement d'une offre française de solutions 4.0 : une opportunité à saisir

Parce que l'ensemble de l'industrie mondiale est aujourd'hui engagé dans la digitalisation, les sociétés qui fournissent les technologies et les services d'ingénierie ou de conseil nécessaires à cette transformation se trouvent sur un marché en forte croissance. Une des ambitions du projet français d'industrie du futur est donc de faire en sorte que des entreprises françaises se positionnent sur ce marché porteur.

Sept grandes priorités d'actions ont été définies pour soutenir le développement de l'offre française dans les technologies de production :

o digitalisation, virtualisation et Internet des objets ;

o place de l'homme dans l'usine, cobotique, réalité augmentée ;

o fabrication additive (impression 3D) ;

o monitoring et contrôle ;

o composites, nouveaux matériaux et assemblage ;

o automatique et robotique ;

o efficacité énergétique.

Concrètement, le soutien aux projets d'innovation ou de développement industriel dans ces sept domaines passe en grande partie par la mobilisation des dispositifs généralistes de soutien à l'innovation, comme le crédit d'impôt recherche (CIR) ou les aides directes à l'innovation distribuées par Bpifrance.

Cependant, des dispositifs spécifiques ont également été mis en place en mobilisant des crédits du Fonds unique interministériel (FUI) ou du programme des investissements d'avenir (PIA), notamment sur la ligne « Projets industriels d'avenir » (PIAVE) . Un appel à projets sur le thème « Industrie du Futur » a ainsi été lancé entre octobre 2015 et juin 2016, avec une dotation de 100 M€ (sur les 305 M€ dont est dotée au total l'action PIAVE).

Au total, selon les chiffres de la DGE, plus de 240 projets de R&D ont été soutenus en mobilisant le FUI et le PIA sur les thématiques liées au développement de l'offre technologique pour l'industrie du futur . Parmi les projets retenus, on peut citer « l'usine à projets » Factory Lab, sur le campus Paris Saclay, portée par le CEA List, CETIM, Arts et Métiers, PSA, Dassault Systèmes, Naval Group, Safran, qu'une délégation de la mission a pu visiter.

Entre des outils généralistes de soutien à l'innovation industrielle, qui mobilisent des sommes considérables 76 ( * ) , et les outils spécifiques offerts dans le cadre du PIA, la constitution d'une offre française de solutions technologiques pour l'industrie du futur paraît bénéficier d' un soutien financier public bien adapté.

S'il existe des freins à l'émergence d'une offre industrielle et commerciale française dans ce domaine, ils se situent sans doute moins au stade de l'innovation qu'à celui du développement industriel et commercial. Les firmes françaises souhaitant produire et vendre les solutions de l'industrie du futur se heurtent en effet à la difficulté endémique de l'environnement national à accompagner la croissance des start-up et des PME à fort potentiel - ce qui renvoie à des questions excédant le cadre strict de l'industrie du futur, telles que le renforcement des outils de capital-développement 77 ( * ) ou la capacité à utiliser la commande publique comme un levier de croissance des PME françaises. 78 ( * )

d) Le déploiement de l'industrie du futur dans les industries traditionnelles : une priorité à réaffirmer
(1) Les actions de conseil et d'accompagnement

L'investissement dans les technologies de l'industrie du futur se heurte, de la part des PME et des ETI industrielles, à une méconnaissance des possibilités ouvertes par ces technologies. C'est pourquoi il faut aider ces entreprises, quel que soit leur domaine d'activité, à s'informer, à appréhender précisément ce qui est faisable, à quel coût, avec quels effets sur leur organisation et sur leur modèle d'affaires.

Pour réaliser ce travail de sensibilisation, d'information et de conseil, l'Alliance Industrie du futur dispose de deux grands types d'outils :

- des outils « promotionnels » , comme la labellisation de plus de 30 vitrines industrielles ou les « Caravanes de l'industrie du futur ». Par ailleurs, depuis le lancement du label « French Fab » par le Gouvernement, la sensibilisation aux enjeux de l'industrie du futur se fait dans le cadre plus général de la promotion de la marque industrielle « France », avec pour résultat une complète dilution de la thématique « industrie du futur » ;

- des outils de diagnostic . Des programmes d'accompagnement ont été mis en place depuis mai 2015 dans la totalité des régions. Les chefs d'entreprise qui le souhaitent peuvent bénéficier d'un audit de leur entreprise et mieux cerner les transformations à opérer sur leur outil de production et sur leur organisation (diagnostic généralement cofinancé par les régions à hauteur de 50 %). Il permet aux chefs d'entreprise de mieux connaître les technologies disponibles, d'identifier les verrous humains ou organisationnels limitant l'accès à ces innovations et de réinventer leur modèle économique. Sur la base de ces diagnostics, l'Alliance réalise un accompagnement personnalisé dans la conduite du changement en mobilisant les 500 experts de son réseau d'adhérents. À la fin de l'année 2017, c'est plus de 5 000 entreprises qui se seront engagées dans ces actions d'accompagnement vers l'industrie du futur.

Sur le volet « aide au diagnostic et à la conduite du changement », la mission d'information souhaite faire plusieurs recommandations.

Il est d'abord impératif de revoir à la hausse les objectifs de la politique d'accompagnement des PME vers l'industrie du futur . La cible de 5 000 entreprises auditées et conseillées dans le cadre du projet d'industrie du futur est trop faible au regard du nombre d'entreprises industrielles qu'il faudrait accompagner. Les entreprises industrielles de 10 à 250 salariés sont en effet au nombre de 30 000 en France 79 ( * ) . Fonctionnant sur une logique d'appels à projet, les outils de diagnostic et d'accompagnement des PME actuellement en place touchent seulement les entreprises déjà conscientes de la nécessité de moderniser leur outil. Le défi est donc de créer des structures capables d'aller chercher les entreprises les plus éloignées de l'industrie du futur . Or, comme l'ont souligné Agnès Audier et Moundir Rachidi, directeurs associés au Boston Consulting Group (BCG), les actions actuelles ne touchent qu'une très petite partie du tissu industriel et, au surplus, l'action d'accompagnement a tendance à se concentrer sur la minorité d'entreprises industrielles qui sont déjà les plus réceptives aux changements induits par les ruptures technologiques. Votre mission estime donc qu'un objectif de 10 000 à 15 000 entreprises accompagnées serait plus ambitieux.

Il faut ensuite rétablir une gouvernance claire de la politique en faveur de l'industrie du futur : que cette politique soit associée à la promotion de la French Fab est souhaitable ; qu'elle s'y dissolve est une erreur. Il faut donc remobiliser l'ensemble des acteurs (régions, alliance industrie du futur) en refaisant du déploiement de l'industrie du futur une politique clairement identifiée.

Il faut saluer le travail considérable accompli en moins de trois ans avec des moyens limités par l'Alliance pour l'Industrie du futur. Celle-ci fonctionne avec 350 000 euros de dotations publiques annuelles et un personnel très réduit. Toutefois, cette microstructure n'a ni les moyens humains ni les moyens financiers de conduire une politique dont le champ devrait être doublé ou triplé. La mission d'information demande donc un renforcement conséquent et rapide de l'Alliance pour l'Industrie du futur.

Enfin, la prise de conscience des enjeux et des gains potentiels de l'industrie du futur est variable selon les filières et les territoires .

En premier lieu, les filières industrielles sont inégalement mobilisées sur les enjeux d'industrie du futur . La filière agroalimentaire commence à accumuler du retard. L'adhésion prochaine de l'ANIA à l'Alliance pour l'Industrie du futur marque sans doute une prise de conscience. L'objectif de déploiement de l'industrie du futur doit être intégré à l'ensemble des politiques de filières et devenir un objectif prioritaire de la réorganisation des filières.

Dans ce travail de sensibilisation, le rôle des « démonstrateurs » d'usines du futur est essentiel : ces « usines écoles » permettent en effet aux chefs d'entreprise de percevoir de manière concrète les possibilités ouvertes par la digitalisation des processus.

Une délégation de votre mission d'information a ainsi visité l' Innovation center for operations (ICO) créé par le Boston Consulting Group (BCG) en région parisienne.

L' INNOVATION CENTER FOR OPERATIONS (ICO) DU BOSTON CONSULTING GROUP (BCG)

Sur le site de Villebon-sur-Yvette, sur le plateau de Saclay, le BCG propose à ses clients de se former et d'évaluer l'impact des technologies sur la performance des opérations. Deux lignes de production ont été créées pour couvrir les grandes typologies de fabrication industrielle : la première par assemblage, la seconde par procédé. À plusieurs étapes, les industriels ont la possibilité d'expérimenter des outils technologiques de pointe afin d'en évaluer l'efficacité (robotique avancée, data analytics , réalité augmentée, internet industriel, plateforme de simulation, etc.).

Selon Moundir Rachidi et Agnès Audier, directeurs associés du BCG entendus par votre mission, l'ICO a pour objet d'aider de manière dynamique et pratique à la transformation « Industrie 4.0 », en permettant aux industriels de voir les outils « 4.0 » en action afin de mieux envisager leur déploiement sur leur site de production.

La prestation offerte par le BCG à travers ce démonstrateur « haut de gamme » s'adresse d'abord à ses clients qui sont avant tout des grands groupes, et s'intègre souvent dans une démarche plus large de diagnostic d'entreprise. Son coût excède donc les moyens d'une PME. En outre, un projet du type ICO représente un investissement initial de 4 à 5 M€ et un coût de fonctionnement du même ordre, ce qui implique un besoin de financement non négligeable.

Néanmoins, votre mission croit à la pertinence de ce type de démonstrateurs qui peuvent constituer des catalyseurs pour la dissémination dans l'ensemble du tissu industriel des solutions « 4.0 ». En outre, ils sont des éléments d'interactions entre les industriels ou les start-up qui mettent à disposition leurs solutions technologiques pour le fonctionnement du démonstrateur, et les entreprises qui viennent s'ouvrir aux potentialités de ces solutions qui, peut-être, solliciteront par la suite ces industriels ou clients dans le cadre de la réorganisation de leurs modes de production.

Elle souhaite ainsi le développement de plusieurs démonstrateurs de ce type dans les territoires, afin que le tissu des PME puisse y avoir un accès facilité. Pour « démocratiser » l'accès à ces démonstrateurs, il faut envisager des financements mixtes , privés (par une facturation partielle aux entreprises bénéficiaires) et publics (par la mobilisation des crédits du programme 134, de subventions régionales, etc.). Ces démonstrateurs pourraient notamment voir le jour dans certains pôles de compétitivité .

En second lieu, toutes les régions ne sont pas non plus également mobilisées. Celles-ci jouent pourtant un rôle essentiel tant dans l'identification des entreprises devant être accompagnées que dans le cofinancement des opérations de diagnostic. L'Aquitaine et le Grand Est sont en pointe. Mais il est important que la mobilisation des régions soit générale.

Proposition n° 17 : Accélérer le déploiement de l'industrie du futur notamment :

- en renforçant les moyens financiers et humains de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner 10 000 à 15 000 PMI et ETI dans leur mutation technologique ;

- en favorisant le développement, dans les territoires, de « démonstrateurs » d'usine du futur au moyen de financements mixtes, afin de diffuser les solutions « 4.0 » dans l'ensemble du tissu industriel .

(2) Les dispositifs d'appui au financement des investissements dans le domaine de l'industrie du futur

Plusieurs outils de financement sous forme de prêts ou de réductions d'impôts ont été mis en place pour faciliter les investissements nécessaires au déploiement de l'industrie du futur :

- dès 2015, des prêts à la robotisation ont été proposés par Bpifrance avec l'objectif de distribuer jusqu'à 300 M€ de prêts. Au 30 septembre 2017, le dispositif a permis d'accompagner l'investissement de 435 entreprises (dont 386 PME) pour environ 274 M€ de prêts accordés ;

- le nouveau prêt « industrie du futur » , également opéré par Bpifrance et financé à partir du PIA, prend le relais du dispositif précédent depuis la fin 2016. Il permettra de distribuer jusqu'à 1 Md€ de prêts pour un coût de 100 M€, par abondement au fonds de garantie des prêts de Bpifrance ;

- entre avril 2015 et avril 2017, a été mise en place la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement productif . Bien que non ciblé sur l'industrie du futur, ce dispositif a néanmoins bénéficié à cette dernière ;

- enfin, l'amortissement exceptionnel des robots industriels des PME a rendu possible un amortissement accéléré sur 24 mois pour les achats de robots industriels. Le dispositif était limité dans le temps (robots acquis ou créés du 1 er octobre 2013 au 31 décembre 2016) et dans son champ d'application (réservé aux PME dans le respect du régime européen d'exemption par catégorie « de minimis »).

Même si on ne peut pas distinguer l'efficacité propre de chacun de ces dispositifs, ces outils d'accompagnement financier ont manifestement joué un rôle positif dans le déploiement de l'industrie du futur en France . En 3 ans, on observe par exemple une multiplication par deux du nombre annuel de robots achetés en France. Cette forte progression a permis notamment au secteur automobile français de passer devant l'Allemagne en termes d'équipements (1 150 robots pour 10 000 salariés dans le secteur automobile pour la France contre 1 131 pour l'Allemagne en 2016, alors qu'en 2015 le rapport était inversé (940 et 1 147 respectivement pour la France et l'Allemagne).

LES ACHATS INDUSTRIELS DE ROBOTS EN FRANCE

2013

2014

2015

2016

Nombre de robots achetés par an

2161

2944

3045

4200

Progression par rapport à N-1

+36 %

+3,4 %

+37,9

Source : direction générale des entreprises.

Il est temps désormais d' offrir un dispositif financier d'ensemble à la fois simple, pérenne et ambitieux propice au déploiement de l'industrie du futur dans les PME et les ETI et organisé autour de deux outils :

- le prêt « industrie du futur » de Bpifrance ;

- un dispositif de suramortissement ciblé sur les investissements dans les équipements de l'industrie du futur et réservé aux PME et aux ETI . 80 ( * )

La montée en compétences des hommes doit accompagner la montée en gamme de l'outil industriel . Pour piloter les nouveaux outils, il faut en effet des ouvriers et des techniciens mieux formés, mais aussi des managers et des employeurs qui sachent déployer de nouveaux modes d'organisation et déléguer davantage Tout cela implique un effort national pour former les travailleurs, anticiper les futurs besoins en qualifications et adapter en volume et en qualité notre système de formation.

2. Rendre l'industrie attractive et les compétences mieux adaptées à ses besoins

La formation des salariés représente un enjeu crucial pour accompagner le développement de l'industrie du futur et permettre la montée en gamme des biens manufacturés français .

À rebours d'une vision catastrophiste qui verrait les machines remplacer les ouvriers, l'immense majorité des économistes s'accordent à penser que les hommes trouveront une place nouvelle dans l'usine de demain et pourront s'y épanouir davantage , puisque ce sont leur créativité , leurs capacités d'adaptation et leur réactivité qui seront désormais sollicitées.

Ces compétences et qualifications nouvelles sont toutefois plus longues et difficiles à acquérir que celles qui étaient nécessaires jusqu'ici. En outre, elles doivent en permanence être actualisées , car elles sont rapidement frappées d'obsolescence en raison de la rapidité du progrès technique. Les efforts de formation, initiale comme continue, que devront consentir le système scolaire ainsi que l'appareil de formation tout au long de la vie sont donc considérables.

C'est un véritable capital humain qu'il s'agit de bâtir et de faire fructifier pour chacun des salariés de l'industrie , comme l'a préconisé le Conseil national de l'industrie dans son avis de février 2017 dont la première recommandation prévoit de « faire le choix d'une stratégie collective d'investissement massif dans le développement des compétences et la qualification des salariés, pour le futur de l'industrie ».

a) Rendre l'industrie plus attractive, en particulier auprès des jeunes
(1) Une image injustement négative et stéréotypée

L'une des raisons qui explique les difficultés de l'industrie à recruter les talents dont elle a besoin tient d'abord à son manque d'attractivité , notamment auprès des jeunes .

L'industrie paraît en effet victime de stéréotypes parfois largement dépassés (travail à la chaîne, pénibilité, saleté, usine perçue comme un « lieu d'exploitation », etc.) ainsi que d'une culture tendant à dévaloriser le travail manuel . Pourtant, ainsi qu'il a été exposé, les usines d'aujourd'hui , et, a fortiori , celles de demain , n'ont et n'auront plus rien à voir avec ces clichés d'un autre temps qui font beaucoup de tort à un secteur qui devrait faire l'objet d'une véritable fierté nationale , comme c'est le cas en Allemagne.

La tendance des médias à se focaliser sur les entreprises en difficultés (plans sociaux, délocalisations, etc.) et à négliger les « success stories » , beaucoup plus nombreuses qu'on ne le croit, est également mise en avant par les acteurs du secteur, qui vont parfois jusqu'à déplorer un phénomène de « stigmatisation » de l'industrie , souvent présentée uniquement sous le prisme de la crise et du déclin .

Cette situation est d'autant plus regrettable que plus de 150 000 jeunes - « les décrocheurs » - quittent tous les ans le système scolaire sans aucune qualification alors que l'industrie est en mesure d'offrir des postes de travail de plus en plus intéressants et relativement bien rémunérés à tous les niveaux de qualification.

La mauvaise image des métiers de l'industrie auprès du grand public, fondée avant tout sur une profonde méconnaissance d'un secteur en pleine transformation , se traduit par une désaffection des filières de formation professionnelle et technologique à laquelle il est urgent de remédier.

(2) Un travail de revalorisation à entreprendre en rapprochant les entreprises industrielles de l'école

C'est un travail de revalorisation des métiers de l'industrie auprès des jeunes, de leurs familles, des conseillers d'orientation-psychologues (COP) de l'Éducation nationale, du corps enseignant et des conseillers de Pôle emploi, qu'il convient de mener sans relâche, ainsi que l'a souligné Philippe Varin lors de son audition par la mission, afin de leur faire comprendre que l'industrie constitue un débouché souvent bien plus valorisant et rémunérateur que nombre de métiers du secteur des services , qui bénéficient pourtant d'une image plus favorable.

Dans cette perspective, il est essentiel de rapprocher les acteurs de l'école du monde de l'entreprise , afin de faire en sorte que ces deux univers apprennent à mieux se connaître et se comprendre , en encourageant des initiatives telles que celles de la Fondation Croissance responsable (stages en entreprises de trois jours pour les professeurs des collèges et des lycées), de Classe en entreprise (organisation de visites scolaires dans des usines) ou bien encore Pro Pulsion Tour (sensibilisation des lycées et des collégiens aux réalités des métiers de l'industrie).

Lors de leur audition, les représentants du Symop - Syndicat des machines et technologies de production - ont mis en avant l'initiative « Smile » lancée par le syndicat du décolletage et de l'usinage dans la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, qui chaque année depuis dix ans crée une « usine éphémère » à destination de 2 000 collégiens de 14 à 15 ans afin de leur faire découvrir ce qu'est une usine au XXI e siècle. Selon eux, les effets sont flagrants : les écoles de formation aux métiers industriels de la région sont à nouveau pleines. Ce type d'initiatives, tout comme les visites d'usines en activité, mérite d'être encouragé.

Cette revalorisation passe également par des évolutions de l'offre de formation au lycée , aujourd'hui trop compartimentée entre formation générale d'un côté et formation professionnelle de l'autre.

(3) Mettre fin à la « fuite des cerveaux » dont souffre l'industrie

Lors de leur audition par la mission, le MEDEF, l'AFEP et la CPME ont déploré que de plus en plus de jeunes ayant suivi des formations d'excellence de l'enseignement supérieur qui les destinaient en principe à l'industrie soient désormais attirés par d'autres filières du secteur tertiaire - comme le conseil ou la finance - qui leur paraissent offrir de meilleures carrières et des rémunérations plus attractives. Sont notamment concernées par ce phénomène de « fuite des cerveaux » les grandes écoles d'ingénieurs , vivier traditionnel de l'encadrement des entreprises industrielles françaises.

Cette désaffectation, si elle devait s'amplifier, pourrait conduire certaines entreprises à déplacer une partie de leurs activités de conception dans la mesure où les pays émergents, contrairement au phénomène observé en France, forment de plus en plus d'ingénieurs et de techniciens supérieurs. Autre risque, identifié notamment par Croissance Plus lors de son audition : le désamour du métier d'ingénieur pourrait entraîner, à terme, la perte de la maîtrise des technologies et de l'innovation .

Il est donc important de préserver le modèle des grandes écoles d'ingénieurs , mais également celui des formations de techniciens (BTS) dont l'excellence est reconnue, tout en orientant davantage les jeunes qui en sont issus vers les métiers de l'industrie .

b) Développer massivement l'apprentissage, voie d'accès privilégiée à l'emploi stable et source de compétitivité pour les entreprises industrielles
(1) L'apprentissage, un formidable outil d'insertion professionnelle pour les jeunes

Le développement de l'apprentissage est depuis longtemps perçu comme un enjeu majeur pour lutter contre le chômage et améliorer les compétences des jeunes , alors que 1,3 million de jeunes Français de 16 à 25 ans ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi. Il constitue également la meilleure des manières de fournir à l'industrie les personnels dont elle a de plus en plus besoin à tous les niveaux de qualification .

Mais, en dépit des annonces des gouvernements successifs, la France peine à atteindre l'objectif de 500 000 apprentis qu'elle s'est fixé depuis 2013 et a même enregistré ces dernières années une diminution du nombre de signatures de contrats d'apprentissage . La France ne compte ainsi en 2018 que 400 000 apprentis , soit seulement 7 % des jeunes de 16 à 25 ans , contre 15 % en Allemagne , en Autriche ou en Suisse , pays dont le taux de chômage des jeunes est remarquablement bas.

55 % des apprentis français sont accueillis dans de très petites entreprises (TPE) de moins de onze salariés. En 2014, le salaire mensuel moyen annualisé d'un apprenti dans l'industrie était de 914 euros , contre 869 euros pour la moyenne des salaires des apprentis tous secteurs confondus.

L'enseignement professionnel en lycée et l'apprentissage sont tous les deux accessibles à la fin du collège et s'adressent aux mêmes publics, les lycées professionnels proposant un enseignement plus général, tandis que l'apprentissage confronte directement les apprentis , salariés de l'entreprise qui les emploie, au monde du travail et les prépare à travailler pour un secteur , voire pour une entreprise spécifique , en parallèle de la formation qu'ils reçoivent au sein des 995 centres de formation des apprentis (CFA).

Si les deux filières se sont parfois livrées une forme de concurrence, elles sont devenues ces dernières années de plus en plus complémentaires .

Devant votre mission d'information, Philippe Varin, président de France Industrie, a rappelé combien il était essentiel de poursuivre le rapprochement entre elles en mettant en avant le modèle de l'apprentissage , considérant qu'il s'agit là « d'une démarche incontournable pour augmenter significativement le nombre d'apprentis dans notre pays ». Elle l'est d'autant plus, selon lui, que « le succès , en termes d'emplois , de l'apprentissage est bien supérieur à celui de l'enseignement professionnel ».

De fait, l'insertion professionnelle des apprentis est bien plus favorable que celle des lycéens professionnels, puisque 70 % d'entre eux bénéficient d'un emploi sept mois après la fin de leurs études (dont 50 % dans l'entreprise qui les a accueillis en tant qu'apprentis), contre un peu moins de 50 % pour les élèves de lycées professionnels. En outre, près de 60 % des apprentis en emploi bénéficient d'un contrat à durée indéterminée (CDI) contre moins de 40 % des lycéens professionnels. Enfin, on estime que 30 à 40 % des apprentis créent leur propre entreprise , ce qui tend à démontrer que la formation très concrète qu'ils reçoivent développe également chez eux le goût d'entreprendre.

Cette excellente insertion s'explique par la parfaite adéquation entre les besoins des entreprises et la formation reçue par les apprentis . Ceux-ci peuvent apprendre des métiers en tension (soudeurs, chaudronniers, charpentiers, électriciens, etc.) et bénéficier du transfert de compétences des salariés expérimentés sur des savoirs faire très précis et exigeants, tout en s'imprégnant de la culture de l'entreprise qui les forme.

Parmi les récentes innovations présentées à votre mission figure le développement de parcours d'apprentissage partagés entre grandes entreprises et PME/TPE au sein de certaines filières . Le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) a ainsi mis en place un dispositif qui permet à un apprenti d'être accueilli dans une entreprise différente de celle qui l'emploie (en général, un grand groupe) pendant 50 % au maximum de la durée de son contrat de travail, l'entreprise d'accueil étant la plupart du temps une PME.

Cette excellente initiative, qui devrait être prochainement adoptée par la filière automobile, permet aux apprentis de démontrer leurs qualités auprès de deux employeurs potentiels et de découvrir le fonctionnement des PME.

(2) Donner à l'apprentissage, toujours sous-développé en France, toute la place qu'il mérite, en particulier dans l'industrie

Toutefois, en dépit des améliorations apportées au statut des apprentis par les réformes successives, l'apprentissage demeure insuffisamment développé et encouragé dans l'industrie , puisque celle-ci n'accueille actuellement que 250 000 apprentis environ . Signe parmi d'autres des difficultés rencontrées par notre système d'apprentissage, le nombre des formations d'apprentis de niveau V a reculé de 22 % depuis 1982, alors que de nombreux secteurs industriels (automobile, sidérurgie, métallurgie, etc.) sont à la recherche de ce type de compétences très opérationnelles .

Là encore, l'apprentissage souffre d'une forme de dévalorisation culturelle de la part des familles et des enseignants : cette filière d'excellence est perçue, à tort, comme une filière destinée aux jeunes en situation d'échec scolaire. Pour battre en brèche cette idée reçue, l'apprentissage doit faire l'objet d'une promotion active de la part des régions , à travers des journées d'information sur les métiers et les filières, au collège comme au lycée.

Du reste, Régions de France a déploré lors de son audition par la mission que les régions ne puissent à l'heure actuelle avoir autorité sur l'ensemble des acteurs de l'orientation scolaire, de façon à rendre celle-ci plus efficace. À tout le moins, une meilleure coordination des acteurs serait pourtant nécessaire , alors que, selon la même association, le constat est unanime sur la faiblesse de l'orientation en France , ce qui est d'autant plus dommageable qu'il s'agit là d'un outil décisif pour développer l'apprentissage .

Il est aussi urgent de rendre le statut d'apprenti plus attractif pour les jeunes.

Les mesures récemment annoncées par le Gouvernement - accès possible à l'apprentissage jusqu'à 30 ans , hausse de la rémunération des apprentis de 30 euros nets par mois, aide de 500 euros pour passer le permis de conduire , prolongation de six mois de la formation au sein du CFA en cas d'interruption du contrat d'apprentissage en cours d'année, développement de prépa-apprentissages - constituent un premier pas dans ce sens .

Il faut également faire en sorte que les entreprises atteignent leurs quotas d'alternants , ce qui n'était pas le cas de 88 % d'entre elles en 2012, et que les entreprises ayant des pratiques exemplaires en matière d'apprentissage soient valorisées, le cas échéant grâce à des labels, comme c'est le cas dans le secteur automobile avec le label Lafam. Or, la complexité de l'embauche d'un apprenti aujourd'hui, ainsi que les difficultés et lourdeurs qu'occasionne la gestion de la relation d'apprentissage, constituent de puissants freins au développement de l'apprentissage, en particulier dans les PME.

Dans cette perspective, il convient de rendre plus simple et lisible le système de l'apprentissage pour l'ensemble des acteurs et d'y introduire beaucoup plus de flexibilité en développant notamment les passerelles entre apprentissage et lycées professionnels, en ciblant les aides aux entreprises sur les TPE et les PME et, surtout, en mettant en place, au sein des centres de formation des apprentis (CFA) des formations qui répondent au mieux aux besoins des entreprises industrielles . À cet égard, il faut envisager la création de « classes d'excellence » pour former aux meilleures pratiques professionnelles dans le domaine de l'industrie.

Proposition n° 18 : Simplifier et rendre plus flexible le système d'apprentissage, en renforçant l'implication des entreprises industrielles et des pôles de compétitivité dans le contenu des formations.

Sur ce point, la mission a pu constater combien le système d'apprentissage en France était éloigné des entreprises en comparaison de ce qu'il peut être en Allemagne. Ainsi qu'elle a pu s'en rendre compte lors de son déplacement à Munich, ce sont, outre-Rhin, les entreprises - via les chambres consulaires - qui administrent l'apprentissage. La chambre de commerce et d'industrie locale - l'IHK de Munich - gère ainsi 350 formations d'apprentissage en intervenant à tous les niveaux : agrément des entreprises, enregistrement des contrats d'apprentissage, contrôle de la relation d'apprentissage, évaluation des aptitudes des apprentis en vue de leur embauche au terme du contrat. Selon Bertram Brossardt, directeur général de l'organisation patronale bavaroise VBW, rencontré également à Munich, ce système assure une formation d'excellence parfaitement adaptée au marché de l'emploi.

Dans ce domaine, les représentants de la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) ont attiré l'attention de la mission sur les campus des métiers et qualifications (CMQ) , structures associant l'État, les régions et les branches professionnelles pour proposer aux jeunes des allers-retours entre lycées professionnels et CFA . Il convient d'encourager leur développement et leur création là où ils n'existent pas encore, 77 CMQ ayant été labellisés à ce jour à la suite de quatre appels à projets.

LES CAMPUS DES MÉTIERS ET DES QUALIFICATIONS (CMQ)

Les campus des métiers et des qualifications regroupent des acteurs de la formation professionnelle autour d'une filière économique. Ils peuvent rechercher des synergies entre des lycées professionnels et polyvalents, des centres de formation des apprentis, des organismes de formation, des établissements d'enseignement supérieur, des laboratoires de recherche ainsi que des entreprises. Regroupant en un même lieu et/ou en réseau des établissements d'enseignement secondaire et d'enseignement supérieur, il associe, au sein d'un partenariat renforcé, des entreprises, des laboratoires de recherche et des associations à caractère sportif et culturel . Il comprend au moins un établissement public local d'enseignement.

Ils sont construits autour d'un secteur d'activité d'excellence correspondant à enjeu économique national ou régional soutenu par la collectivité et les entreprises (pôles de compétitivité, développement de nouvelles filières industrielles...) : aéronautique, bâtiment et travaux publics, énergies nouvelles, numérique, métallurgie, etc.

Ils proposent aux jeunes des pôles d'excellence offrant une gamme de formations générales, technologiques et professionnelles jusqu'au plus haut niveau, dans un champ d'activités d'avenir. Ils permettront aux entreprises d'embaucher des salariés bien formés et favoriseront le développement économique régional et l'insertion professionnelle des jeunes.

Les liens privilégiés avec les entreprises locales facilitent l'accueil des élèves pour leur formation en entreprise et la formation continue des salariés. Ils favorisent également la réalisation de prototypes, en mettant des plateaux techniques à disposition du campus. C'est un lieu propice à l'innovation technologique sous toutes ses formes et aux transferts de compétences.

Afin de favoriser les parcours des élèves jusqu'aux diplômes de l'enseignement supérieur, les Campus des métiers et des qualifications facilitent la mixité des parcours, permettant aux jeunes d'adopter différents statuts tout au long de leur formation : scolaire, apprentissage, voire stagiaire de la formation professionnelle.

Source : ministère de l'éducation nationale.

Si votre mission soutient les orientations portées par le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui vont dans ce sens , elle forme surtout le voeu que le Gouvernement parvienne enfin, grâce aux nouveaux outils que ce projet de loi mettra à sa disposition, à donner dans les faits à l'apprentissage toute la place qu'il mérite comme voie d'accès à un emploi stable dans notre pays , ce qui impliquera, dans un premier temps, d'atteindre enfin l'objectif de 500 000 apprentis depuis trop longtemps attendu.

Proposition n° 19 : Développer les outils pédagogiques rapprochant les jeunes de métiers d l'industrie, notamment :

- en favorisant l'essor des campus des métiers et des qualifications et en créant des « classes d'excellence » ;

- en prenant appui sur les écoles d'entreprises pour développer l'offre de formation au niveau de la filière, là où ces établissements existent déjà, et favoriser la création de ce type d'établissements dans les filières qui en sont à ce jour dépourvues.

Enfin, l'intérêt des écoles d'entreprises ne doit pas être méconnu. Certaines grandes entreprises ont en effet, afin de faciliter le recrutement dans certains métiers, créé elles-mêmes des écoles destinées à former aux métiers de l'entreprise. Les écoles d'Airbus ou de Michelin en sont les exemples les plus emblématiques.

L'école d'enseignement technique Michelin (EETM), créée en 1949, propose ainsi, à l'issue des classes de troisième ou de terminale, des formations professionnelles adaptées aux exigences de l'industrie. Les élèves y bénéficient d'un enseignement gratuit, dispensé sur un plateau technique industriel équipé de machines pédagogiques et professionnelles. Situé au sein d'un des sites industriels d'Airbus, le « lycée Airbus » quant à lui - Lycée professionnel privé des métiers de l'aéronautique - propose des formations du baccalauréat professionnel au BTS dans quatre métiers principaux : l'avionique, la structure des aéronefs, la chaudronnerie et l'usinage.

Néanmoins, seules des entreprises suffisamment importantes pour absorber les promotions qui sortent de ces écoles et ayant une assise financière très conséquente peuvent se permettre de mettre en place de tels outils. Il faut donc renforcer l'offre de formation au niveau de la filière , là où ces établissements existent déjà, et favoriser la création de ce type d'établissements dans les filières qui en sont à ce jour dépourvues.

Sur ce point, la mission tient à souligner l'intérêt du projet de « Plateforme de Formation à la mécanique du futur » en Ile-de-France, évoqué par Michel Déchelotte, directeur des affaires institutionnelles de ce groupe à l'occasion de son audition. Compte tenu des graves difficultés de recrutement de la société Safran Aircraft Engines et des sociétés du secteur de la mécanique dans l'Essonne et en Seine-et-Marne, s'est fait jour la nécessité d'un site de formation ad hoc destiné à donner les qualifications requises, ce qui a abouti à la création de cette « Plateforme », opérationnelle au printemps 2019.

c) La formation tout au long de la vie doit rapidement se moderniser pour faire face aux défis qui l'attendent
(1) La formation tout au long de la vie, élément déterminant pour adapter les compétences professionnelles à l'industrie du futur

L'industrie du futur va devoir s'appuyer sur des salariés toujours plus autonomes et capables d'acquérir de nouvelles connaissances tout au long de leur vie professionnelle, de maîtriser de nouvelles procédures et de superviser des machines très sophistiquées . Des besoins nouveaux se feront sentir, notamment en matière de diagnostics opérationnels , d'expertise technique , de maintenance ou de traitement de matériaux .

La formation initiale reçue par les salariés, quelle que soit sa qualité, ne suffira donc pas à maintenir leur employabilité au cours de leur carrière professionnelle , compte tenu de l'accélération des changements technologiques . Elle devra être complétée tout au long de la vie afin de permettre l'assimilation de nouvelles compétences et qualifications , dont certaines sont aujourd'hui impossibles à prévoir et à anticiper.

Dans cette perspective, deux points apparaissent cruciaux pour votre mission : disposer d'une vision claire des besoins en compétence, puis mettre en regard de ces besoins une formation professionnelle efficace.

Le premier défi est de construire une cartographie précise, au plus près du terrain, des besoins nouveaux générés par les mutations technologiques de l'industrie.

Cette tâche relève d'abord de l'action des filières , et notamment des organisations d'employeurs, le cas échéant avec l'appui, au niveau local, des pôles de compétitivité .

Lors de leur audition, les représentants de la DGEFP ont souligné l'existence d'un contrat stratégique de filière sur ce point dans les industries automobiles et aéronautiques. Par ailleurs, plusieurs filières se sont engagées dans une démarche de recensement, notamment dans le cadre des observatoires de l'emploi qu'elles ont créés. Tel est le cas, par exemple, de l'Observatoire de la métallurgie, qui a dressé en 2015 une cartographie concernant la filière du matériel roulant ferroviaire.

La DGEFP accompagne d'ailleurs les branches professionnelles des filières industrielles à travers un outil spécifique - l'accord de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) - qui permet de construire, dans le cadre d'un dialogue social, un plan d'action pour accompagner les entreprises et leurs salariés dans les impacts des mutations économiques. Des plans d'actions sont ainsi en cours dans les secteurs du service à l'automobile, de la métallurgie - dans le cadre d'un accord avec l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) -, du bois papier carton, de l'industrie textile mode cuir et de la fibre optique. Des actions du même type sont programmées dans le domaine de la chimie, des industries de santé, et de l'aéronautique.

Proposition n° 20 : Favoriser la mise en place d'une cartographie plus fine des besoins de l'industrie en matière d'évolution des compétences au niveau des territoires et des bassins d'emploi, en s'appuyant notamment sur les pôles de compétitivité.

Mais une cartographie par filière, même régionale, ne saurait suffire. Il est également indispensable que chaque entreprise puisse clairement déterminer, au regard de l'introduction des nouvelles technologies dans ses process de production, les types de compétences qu'elle devra favoriser dans l'emploi. Or, comme l'ont mis en exergue les représentants de la DGEFP en audition, si les grandes entreprises disposent d'outils basés notamment sur des algorithmes, tel n'est pas le cas des PME. Il est donc important que les branches professionnelles, le cas échéant en lien avec les régions et les services déconcentrés de l'État, développent des outils pour les accompagner et favoriser les coopérations entre entreprises.

La démarche initiée par le comité stratégique de filière aéronautique constitue un bon exemple de mobilisation d'un secteur en forte croissance et en proie à des difficultés de recrutement, en particulier dans les PME sous-traitantes dans les métiers de l'usinage, de l'ajustage, du câblage, de la chaudronnerie, du traitement de surfaces ou du contrôle.

Sa feuille de route « Réponses aux difficultés d'emploi dans les métiers de production en tension dans l'aéronautique », réalisée sur la base d'un diagnostic des métiers en tension, a en effet permis depuis 2015 de renforcer significativement la coopération entre les entreprises, Pôle emploi, les centres de formation, les représentants de l'État et les conseils régionaux dans les principaux bassins d'emploi de la filière aéronautique pour recueillir les besoins en ressources humaines des entreprises et construire avec elle des réponses à leurs problèmes . Parmi les principales actions territoriales décidées dans ce cadre, peut notamment être citée la mise en place par Pôle Emploi depuis le second semestre 2015 de 4 500 correspondants aéronautiques parmi ses conseillers, à même d'apporter des solutions personnalisées aux entreprises de la filière.

Une fois les besoins clairement déterminés, il faut que le système de formation professionnelle soit orienté afin de les satisfaire. Or, en dépit de son coût très élevé pour les finances publiques - plus de 30 Md€ -, le système français demeure inefficace et inégalitaire , les formations tout au long de la vie bénéficiant aux cadres bien plus qu'aux demandeurs d'emploi ou aux ouvriers.

Pourtant, il est capital de concentrer l'effort de formation sur les plus bas niveaux de qualification pour permettre une véritable montée en gamme du tissu industriel français . Le système de formation professionnelle a également un rôle très important à jouer pour accompagner les demandeurs d'emploi et les salariés en reconversion professionnelle , un phénomène qui va s'accélérer sous l'effet des mutations de l'appareil productif.

Il s'agit de permettre l'acquisition de compétences qui pourront être utilisées dans d'autres secteurs industriels et de créer ainsi des passerelles , par exemple entre les secteurs de l'automobile et de la construction aéronautique. Il ne faut plus développer uniquement des formations utiles à une seule branche, mais raisonner « interbranches » , comme l'a souligné l'association Croissance Plus lors de son audition.

Les demandeurs d'emploi, et en particulier ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi, constituent un gisement de main-d'oeuvre pour les entreprises industrielles qui est encore largement sous-exploité alors qu'il pourrait pourtant résoudre en partie les difficultés de recrutement qu'elles rencontrent. Certains dispositifs existent néanmoins, qu'il convient d'encourager :

- les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ) proposent ainsi des solutions innovantes en recrutant des demandeurs d'emploi à qui ils font suivre une formation en alternance et offrent un accompagnement social et professionnel ;

- la préparation opérationnelle à l'emploi (POE) , qui permet à une entreprise de bénéficier d'une aide financière pour former un demandeur d'emploi en vue de lui faire acquérir les compétences nécessaires pour lui permettre d'occuper un poste donné.

Par ailleurs, l'action « Adaptation et qualification de la main-d'oeuvre » du PIA 3 (100 M€) permet de soutenir les projets d'ingénierie de formation.

(2) Un système à moderniser d'urgence et qui devra se concentrer sur les moins qualifiés et sur les jeunes

La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a créé le compte personnel de formation (CPF) , qui permet aux salariés de mobiliser jusqu'à 150 heures de formation par an, financées par une contribution spécifique de l'entreprise. Les droits acquis au titre du CPF sont obligatoirement réservés au financement de formations qualifiantes et certifiantes.

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit que tous les salariés à temps complet verront désormais leur compte personnel de formation crédité de 500 euros par an , plafonnés à 5 000 euros, et que les droits des personnes sans qualification seront majorés par rapport à ceux des autres salariés, avec un crédit de 800 euros par an plafonné à 8 000 euros. Les salariés à temps partiel bénéficieront des mêmes droits que ceux qui travaillent à temps plein.

La mission se félicite de cette évolution du CPF , dans la mesure où elle devrait permettre aux salariés, et notamment à ceux de l'industrie, d'utiliser davantage cet outil pour améliorer leurs compétences . Le fait que les personnes dépourvues de qualification, relativement nombreuses dans l'industrie, bénéficient de droits supplémentaires va également dans le bon sens.

Parallèlement, le Plan d'investissement dans les compétences (PIC) , auquel participeront les régions, prévoit de former un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes éloignés de l'emploi supplémentaires pendant le quinquennat . Il bénéficie de 15 Md€ d'investissements et devrait mobiliser massivement les outils numériques.

Selon Estelle Sauvat, Haut-Commissaire à la transformation des compétences entendue par la mission, ce plan pluriannuel ne se substituera pas à des moyens existants mais permettra de dégager des ressources additionnelles à celles dont bénéficient déjà les publics visés .

LE HAUT-COMMISSARIAT À LA TRANSFORMATION DES COMPÉTENCES
ET LE PLAN D'INVESTISSEMENT DANS LES COMPÉTENCES

Le Haut-commissariat , qui s'appuie principalement sur les services et opérateurs du ministère du travail, dialogue étroitement avec le SGPI, et associe à ces travaux une dizaine de ministères, est chargé de deux missions :

- conduire le plan d'investissement dans les compétences, qui vise à la fois la formation et l'accompagnement vers l'emploi de deux millions de jeunes et de demandeurs d'emploi peu qualifiés, mais aussi l'accélération de la transformation du système de formation professionnelle ;

- développer la future interface numérique du compte personnel de formation, qui va évoluer avec le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».

Le Plan d'investissement dans les compétences est pluriannuel , ce qui favorisera l'adhésion des acteurs et leur transformation, là où les Plans précédents étaient toujours ponctuels. Il est additionnel aux engagements habituels des parties prenantes, dont les conseils régionaux, avec des mécanismes pour vérifier qu'il n'y a pas de substitution. Il est ciblé vers les moins qualifiés : en 2018, les « conventions d'amorçage » visent spécifiquement les jeunes et demandeurs d'emploi sans aucun diplôme. Il promeut les parcours personnalisés et intégrés , à concevoir à partir des actifs eux-mêmes, plutôt qu'une approche par les dispositifs, qui sont toujours cloisonnés les uns vis-à-vis des autres. Il intervient d'une manière systémique , avec une palette de programmes complémentaires : progresser dans l'analyse du besoin en compétences de l'économie, pour mieux concevoir le conseil aux demandeurs d'emploi et l'offre de formation à eux destinés ; mieux repérer et remobiliser les plus éloignés de l'emploi ; mieux les accompagner au fil de parcours mieux dessinés.

Il investit aussi dans la modernisation des systèmes d'information d'une part, dans un pilotage rigoureux et la conduite d'évaluations contrefactuelles, pour bien mesurer l'impact du Plan et de ses composantes.

Source : Haut-commissariat à la transformation des compétences.

Votre mission salue cette démarche. Elle forme le voeu que les formations dispensées soient véritablement qualifiantes et prioritairement orientées vers l'industrie , dont les besoins de main-d'oeuvre sont importants et qui est en mesure d'offrir des perspectives professionnelles de grande qualité à des publics jusqu'ici éloignés de l'emploi .

Elle souhaite également qu'un soin particulier soit apporté à l'innovation pédagogique et au développement des formations en ligne (mise en place de MOOC, utilisation de la réalité augmentée, etc.).

Proposition n° 21 : Faire des métiers de l'industrie un axe prioritaire du Plan d'investissement dans les compétences.

3. Progresser davantage dans l'accompagnement des entreprises vers l'export
a) Les enjeux de l'accompagnement public à l'export

L'accompagnement à l'export complète les politiques de redressement de la compétitivité et permet d'en exploiter toutes les potentialités

La faiblesse des performances françaises à l'exportation ne s'explique pas principalement par l'absence ou le manque d'efficacité des outils publics d'accompagnement sur les marchés extérieurs. Elle a d'abord des causes économiques structurelles : manque de compétitivité prix et hors prix, innovation insuffisante ou encore atrophie de la base exportatrice du fait d'une désindustrialisation très avancée et d'un trop faible nombre d'ETI et de grosses PME. Le renforcement de la capacité des entreprises françaises à lutter contre leurs concurrentes étrangères sur les marchés mondiaux passe donc avant tout par le traitement de ces insuffisances économiques structurelles précédemment exposées 81 ( * ) .

Pour autant, même si c'est de façon relativement secondaire par rapport à l'impact de ces variables structurelles, la performance à l'export est également liée à un ensemble assez disparate de facteurs psychologiques, culturels et institutionnels qui interviennent dans le choix des firmes de s'engager (ou pas) dans une stratégie de développement à l'international. Exporter suppose en effet de surmonter une multitude de difficultés qui ne se rencontrent pas, ou pas avec la même acuité, sur le marché domestique, et qui constituent autant de sources de coûts ou de risques, et donc de freins, pour l'entreprise exportatrice : obstacle de la langue, manque de familiarité avec les règles juridiques locales, surcroît de formalités administratives, méconnaissances des pratiques et des réseaux économiques des pays tiers, difficultés à percevoir les attentes implicites des clients et des partenaires, risque de change, délais de paiement rallongés, gestion d'une logistique plus complexe ou encore dépenses en vue de développer une présence commerciale locale.

De surcroît, ces coûts et ces risques doivent généralement être supportés par les entreprises exportatrices longtemps avant qu'elles n'engrangent un hypothétique retour sur investissement.

Si les grands groupes sont relativement bien armés pour gérer cette complexité et financer des investissements à haut risque et à retour lent, les PME et les ETI peuvent en revanche se trouver démunies pour surmonter les barrières à l'export et être dissuadées de s'engager à l'international , alors même qu'elles disposeraient d'atouts pour y réussir. C'est tout l'enjeu des dispositifs publics d'accompagnement de réduire ces obstacles pour que les PME et les ETI acceptent d'envisager l'export comme une stratégie gagnante.

(1) La faiblesse endémique des PME et des ETI françaises à l'export

Il semble que le sous-investissement à l'export des PME et des ETI soit particulièrement marqué en France .

De façon générale, le nombre d'entreprises exportatrices dans notre pays est faible par rapport à ce qui s'observe dans des pays comparables. On compte aujourd'hui environ 125 000 exportateurs de biens en France . C'est mieux qu'au début des années 2010, où ce nombre avait atteint un point bas à 116 000 entreprises, mais c'est très en deçà des 131 000 du début des années 2000, quand la France avait encore un commerce extérieur excédentaire.

C'est surtout un nombre sensiblement inférieur à celui de l'Allemagne (360 000) ou de l'Italie (200 000) 82 ( * ) .

ÉVOLUTION DU NOMBRE DES ENTREPRISES EXPORTATRICES DEPUIS LA FRANCE

Source : DG Trésor

Non seulement le nombre des entreprises exportatrices françaises est faible, mais une grande majorité d'entre elles ont une activité à l'export irrégulière (présence discontinue à l'international 83 ( * ) ) ou d'un montant très réduit . Selon les chiffres de Business France, seulement 8 000 ETI et PME sont très fortement présentes à l'international et 12 000 y développent une activité régulière et soutenue, soit un total de 20 000 entreprises, alors qu'on dénombre dans le même temps 50 000 PME faiblement exportatrices, 55 000 PME exportatrices irrégulières et 250 000 PME non exportatrices. Certes, dans tous les pays, les exportations sont fortement concentrées sur un nombre réduit d'opérateurs (les plus gros, les plus productifs et les plus innovants), mais en France cette concentration est extrême : 5 % des entreprises exportatrices françaises réalisent 90 % des exportations contre 80 % 84 ( * ) en Allemagne

RÉPARTITION DES ETI/PME SELON LEUR RAPPORT À L'EXPORTATION

Source : Business France

Il y a donc un enjeu réel pour la France à encourager la projection de ses PME et de ses ETI à l'export afin de les rapprocher du niveau de leurs concurrentes italiennes ou allemandes, du moins dans les secteurs où le ticket d'entrée à l'international n'est pas trop élevé en termes de taille critique ou d'intensité capitalistique 85 ( * ) .

Plus spécifiquement pour le secteur de l'industrie, qui est déjà le secteur moteur de l'appareil exportateur avec 70 % des exportations françaises , le développement à l'international constitue davantage qu'une opportunité : c'est une absolue nécessité. Le marché domestique n'a en effet pas (ou plus) suffisamment de profondeur ni de dynamisme pour soutenir le développement des entreprises industrielles et l'étranger constitue donc un relais de croissance indispensable . Il n'y a encore d'avenir pour l'industrie en France que si les entreprises industrielles françaises internationalisent leurs débouchés.

COMMERCE EXTÉRIEUR PAR GROUPES DE PRODUITS EN 2015

Source : Insee Références, 2017 - Échanges extérieurs

(2) Rompre l'isolement des PME et des ETI industrielles : un défi pour le service public de l'export

La réussite à l'export est très rarement une réussite individuelle et ce pour une raison micro-économique évidente : lorsqu'on s'engage seul à l'export, on supporte seul la totalité des coûts inhérents aux exportations, alors que si l'on s'y engage collectivement, il est possible de mutualiser ces coûts et donc de réduire significativement le niveau individuel de dépenses supportées par chaque firme.

Il est frappant à cet égard de constater que les entreprises françaises qui exportent sont très fréquemment intégrées à un groupe . Au cours de la décennie 2004-2014, le poids des groupes dans les exportations de la France s'est du reste accru alors qu'il était déjà très élevé dans la période précédente. Les groupes représentent désormais environ la moitié du nombre total des exportateurs, et 99 % de la valeur des exportations, contre 96,5 % en 2004.

On peut observer également que les pays qui réussissent le mieux à l'export disposent de tissus productifs organisés sur un mode coopératif . Le Mittelstand allemand et les districts italiens favorisent en effet les échanges « horizontaux » d'informations et de conseils entre les firmes qui les constituent, comme l'a notamment souligné lors de sa rencontre avec la délégation de la mission à Munich Sylvaine Bruneau, présidente des Conseillers français du commerce extérieur en Bavière. Partager ses expériences et ses contacts permet de réduire de manière très significative les coûts individuels de la prospection internationale, de l'acclimatation aux environnements culturels et juridiques étrangers et de la constitution de réseaux de partenaires locaux.

Par opposition à ces deux pays, la France se caractérise par la réticence des entreprises françaises à coopérer entre elles, comme l'a souligné M. Louis Schweitzer devant votre mission d'information 86 ( * ) . Cette approche individualiste est sans doute une des explications à leur faible propension à s'engager dans un développement international.

Pour cette raison, la mise en place d'outils publics d'accompagnement à l'export performants constitue un enjeu particulièrement important pour notre pays : l'intervention publique doit y compenser un isolement des entreprises plus marqué qu'ailleurs.

En même temps, il est clair que le caractère non coopératif du tissu productif français pèse en retour sur l'efficacité du dispositif d'accompagnement à l'export, indépendamment des qualités intrinsèques de ce dernier. Il est sans doute nécessaire de travailler simultanément sur deux tableaux pour franchir un palier significatif dans la projection à l'international des PME et des ETI françaises : d'un côté, améliorer le fonctionnement d'un dispositif d'appui à l'export qui souffre encore de graves insuffisances ; de l'autre, pallier un défaut de coopération qui caractérise les entreprises françaises en général. Améliorer le service public de l'export passe aussi par le développement des logiques de clusters , des pôles de compétitivité et des coopérations intra filières en veillant à ce que l'appui à l'export soit systématiquement intégré ou articulé avec le développement de ces coopérations horizontales interentreprises.

b) La difficile mise en place d'un dispositif public d'appui à l'export efficace

On le sait : le système français d'appui à l'export est historiquement fragmenté. Il s'appuie aujourd'hui encore sur cinq acteurs principaux : Business France, Bpifrance, les régions, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) en France et le réseau associatif des CCI à l'international. S'y ajoutent une myriade d'acteurs privés ou publics. C'est pourquoi la mise en place d'un dispositif simple, lisible et efficace est un objectif stratégique de l'État depuis plus de quinze ans.

Si d'indéniables progrès ont été accomplis dans le rapprochement des structures pilotées par l'État, l'architecture d'ensemble du dispositif demeure cependant excessivement complexe : s'appuyant sur des légitimités concurrentes, les différents acteurs ont jusqu'ici tenté de se coordonner en signant des conventions qui définissent le rôle de chacun sur le papier, sans vraiment parvenir, sur le terrain, à mettre en oeuvre une stratégie partagée ni à coopérer de façon efficace.

Le 23 février 2018, le Gouvernement a donc annoncé une nouvelle réforme visant à mettre un terme à ces jeux non coopératifs entre régions, opérateurs de l'État, CCI de France, CCI de l'étranger et acteurs privés. Cette réforme, à la différence des précédentes, semble naître sous de bons auspices dans la mesure où elle a été élaborée dans le cadre d'une étroite collaboration entre les principaux acteurs du service public de l'export.

(1) Une rationalisation effective de l'intervention des opérateurs de l'État
(a) La concentration progressive des opérateurs de l'État

L'État, qui exerce une influence déterminante sur une partie des acteurs de la chaîne de l'accompagnement à l'export, a utilisé les leviers législatifs, réglementaires et financiers pour réaliser, par étapes, autour de Business France et de Bpifrance, une rationalisation partielle du dispositif national d'appui à l'export.

Le point de départ de la rationalisation du commerce extérieur est la réforme de 2008 par laquelle le Gouvernement a fait d'UbiFrance le pivot du dispositif français d'appui à l'export . L'agence 87 ( * ) s'est alors vue doter de son propre réseau de chargés d'affaires par dévolution des missions économiques qui étaient jusque-là gérées par la direction générale du Trésor.

L'objectif était de placer Ubifrance au centre d'une « chaîne de l'accompagnement » dans laquelle les autres acteurs historiques de l'accompagnement des entreprises seraient maintenus mais incités à coopérer avec l'opérateur de l'État en se spécialisant sur un segment précis de cette chaîne : en amont, les CCI, qui sont bien implantées sur l'ensemble du territoire, auraient pour mission d'identifier les exportateurs potentiels ; en aval, les chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger (CCIFE) seraient chargées d'un rôle d'appui en phase d'installation ou de développement sur le marché considéré. Quant à Ubifrance, le Gouvernement lui donnait pour mission de déployer une gamme de services pour accompagner les entreprises dans leurs premiers pas sur les marchés étrangers : informations sur les marchés, missions de prospections à l'étranger, organisation de salons, de forums et de rencontres d'affaires, invitations d'acheteurs étrangers en France, mise en avant de l'offre française sur le web, communication dans la presse spécialisée et offre de solutions en ressources humaines avec la gestion du volontariat international en entreprises.

La publication de l'ordonnance n° 2014-1555 du 22 décembre 2014 marque une deuxième étape importante dans la mise en ordre du dispositif étatique d'accompagnement à l'export : le Gouvernement procède alors à la création de Business France , rapprochement de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et d'Ubifrance, avec l'objectif de créer des synergies entre les métiers « Export », qui correspondaient aux missions traditionnelles d'Ubifrance, et les métiers « Invest », qui relevaient de la compétence de l'AFII. En effet, une part importante des exportations françaises, plus de 30 %, sont réalisées par des entreprises étrangères installées en France. Attirer les investissements étrangers en France permet donc à terme de renforcer le potentiel exportateur du pays.

Grâce à la fusion, les entreprises étrangères accompagnées pour s'installer et produire en France se voient désormais proposer la gamme des mesures d'accompagnement export pour se projeter dans le monde, et en Europe en particulier, à partir de leur implantation française. Inversement, les clients étrangers des exportateurs français sont systématiquement démarchés en vue d'encourager leurs projets d'installation en France.

Puis, le 1 er janvier 2017, Business France a également repris les activités d'accompagnement « B2B » (salons et expositions) de la Sopexa , dont les collaborateurs ont été intégrés dans les équipes de Business France. L'agence est ainsi devenue l'unique opérateur de l'État pour accompagner les 4 000 entreprises du secteur agroalimentaire sur les marchés internationaux.

(b) Le renforcement du rôle de Bpifrance à l'export

Bpifrance exerce aujourd'hui un rôle renforcé à l'export à la suite d'une double évolution.

En premier lieu, un partenariat a été initié en 2011 entre Business France et Bpifrance en vue de simplifier les offres de Bpifrance export et l'accompagnement à l'export des PME de croissance et des ETI .

Ce partenariat a été renouvelé et a pris une nouvelle dimension avec le déploiement, à compter de 2013, de chargés d'affaires internationaux (CAI) de Business France dans les délégations régionales de Bpifrance. Ces collaborateurs sont employés par Business France mais travaillent dans les locaux de la banque publique. Aujourd'hui au nombre de 45, ils ont pour mission d' apporter un accompagnement personnalisé, ciblé sur les ETI et les PME possédant un fort potentiel de croissance à l'international .

Bpifrance, dont l'une des missions est de financer les PME et les ETI de croissance, est naturellement au contact des entreprises dotées d'une forte capacité d'expansion à l'international. Elle est donc idéalement placée pour identifier les entreprises que Business France a pour mission d'accompagner sur les marchés étrangers. Rapprocher le personnel de Business France et de Bpifrance est ainsi un moyen simple d'offrir un guichet unique pour ces entreprises à fort potentiel, guichet unique qui fonctionne d'autant mieux que Business France et Bpifrance ne sont pas concurrentes l'une de l'autre, ni sur le plan de la légitimité ni sur le plan commercial.

Grâce à ce partenariat, Bpifrance joue désormais un rôle majeur dans la détection des entreprises potentiellement exportatrices, comme l'illustre le tableau suivant.

Nombre d'entreprises ayant démarré un plan d'action international avec un chargé d'affaires internationales de Business France

2013

91

2014

391

2015

730

2016

1101

2017

1409

Source : Questionnaires budgétaires 2017 et 2018.

Cette coopération entre Bpifrance et Business France, qui est un véritable succès, doit être pérennisée et renforcée . À cet égard, il est important que la réforme du dispositif d'appui à l'export qui vient d'être décidée par le Gouvernement ne la perturbe pas . Pour un coût très réduit, de l'ordre de 4,5 M€ par an 88 ( * ) , elle offre en effet aux entreprises cible un service complet, alliant aide à la prospection et offre de produits de financement-export sur mesure. C'est donc l'ensemble des freins à l'export qui peuvent être identifiés et traités simultanément, avec une efficacité remarquable : 65 % des entreprises accompagnées dans le cadre du réseau CAI ont vu leur chiffre d'affaires à l'export augmenter et cette progression est, en moyenne, de 4,65 M€ par entreprise.

Pour aller plus loin dans le renforcement de cette coopération, après avoir entendu Business France, la mission d'information demande que soit envisagée la création à Bpifrance d'une direction de l'international unique en miroir de la cellule pilotage du département « CAI » au sein de Business France . La cellule de pilotage Business France doit en effet traiter avec de multiples directions au sein de Bpifrance : la direction des financements Export, la direction de l'innovation et son pôle « Immersion international », la direction de l'innovation et ses divers programmes (Hub, Bpifrance Investissements, Bpifrance Excellence, Pilotage des Accélérateurs...), ainsi que la direction de l'international et de l'Université.

Par ailleurs, il pourrait être pertinent de travailler à développer les synergies entre les activités « Investissement et Financement » de Bpifrance et la branche « Invest » de Business France : les outils Bpifrance devraient faire partie du pack « Attractivité » de Business France Invest lorsque les investisseurs sont éligibles.

Proposition n° 22 : Renforcer encore les synergies entre Business France et Bpifrance, notamment en créant à Bpifrance une direction de l'international unique en miroir de la cellule pilotage du département « CAI » au sein de Business France et en conjuguant les outils respectifs des deux opérateurs.

En second lieu, l'offre « export » de Bpifrance a été fortement améliorée.

En novembre 2012, le rapport remis par Louis Gallois au Gouvernement préconisait, parmi ses premières recommandations, l'alignement des conditions de crédit et des garanties export, en volume, quotité et taux sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés, ainsi que la création d'un « prêteur public direct ». Cet objectif a été inscrit en 2013 dans le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi élaboré par le Gouvernement.

Depuis lors, des progrès importants ont été accomplis vers la mise en place d'un guichet unique du financement export en direction des PME et des ETI sous l'égide de Bpifrance . Le point essentiel est la simplification de la gestion des garanties publiques à l'export en deux temps.

Dans un premier temps, dans le cadre du plan de mai 2013 pour démocratiser l'accès des PME et des ETI aux soutiens financiers à l'export, ont été supprimés les doublons existants au sein de l'offre de produits proposés par Bpifrance et Coface. Par ailleurs ont été déployés au sein des directions régionales de Bpifrance des développeurs Coface afin de mieux coordonner l'action des deux institutions ;

Dans un second temps, début 2017, l'activité de gestion des garanties publiques à l'export de Coface a été transférée à Bpifrance 89 ( * ) . Cette mesure présente de multiples avantages. L'intégration des garanties publiques à l'exportation au sein du catalogue de Bpifrance permet de progresser vers un guichet public unique du financement à l'export. Cela permet aussi à la banque publique d'offrir des financements sur mesure en mobilisant, dans un « cocktail » adapté aux besoins de chaque entreprise, la gamme complète de ses produits financiers (aide à la création, au développement et à l'innovation, à l'exportation...). Troisième avantage : le maillage territorial de Bpifrance contribuera à la diffusion des garanties publiques à l'exportation auprès de nouveaux exportateurs. Enfin, le coût pour l'État de la gestion des garanties publiques à l'exportation devrait connaître une diminution à la faveur de ce transfert, estimée à 20 %.

Parallèlement, l'offre de crédits export et de garanties publiques des exportations a été complétée , l'objectif étant de couvrir toutes les failles de marché identifiées et de répondre à l'ensemble des besoins des entreprises non satisfaits par le marché. Comme l'a souligné Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance : « nos agences sont ainsi capables de proposer tout un continuum de solutions pour accompagner les entreprises à l'international, depuis la prospection des marchés, le financement des ventes et du développement, la sécurisation des projets et l'implantation sur les marchés . » 90 ( * )

L'offre de garanties publiques, désormais délivrées par Bpifrance Assurance Export pour le compte de l'État, se décline ainsi en quatre produits 91 ( * ) :

- l'assurance-crédit , destinée principalement à faciliter les transactions commerciales relatives aux grands contrats. C'est de loin la plus importante en montants, bien qu'elle n'ait bénéficié qu'à 60 entreprises en 2016 ;

- l'assurance prospection , qui est la procédure touchant le plus grand nombre d'entreprises (2 174 en 2016) et presque exclusivement des PME, visant à les soutenir dans leurs démarches de prospection commerciale ;

- la garantie du risque exportateur, qui consiste à garantir des cautions ou des crédits de préfinancement émis par des banques contre le risque de non-remboursement en cas de défaillance de l'exportateur. 354 entreprises, en quasi-totalité des PME, en ont bénéficié en 2016 ;

- la garantie de change , qui couvre les exportateurs (58 en 2016) contre le risque de change quand ils remettent une offre ou établissent un prix en devises.

Si plusieurs des dispositifs financiers d'appui à l'export concernent les grands groupes et les gros contrats, un effort significatif a cependant été accompli en direction des PME et des ETI avec :

- l' assurance prospection premiers pas (A3P) destinée aux entreprises primo-exportatrices. Créé en mars 2012, l'A3P connaît un réel succès puisque plus de 4 300 entreprises y ont déjà eu recours, dont une large majorité de très petites entreprises (moins de 1,5 M€ de chiffre d'affaires annuel) ;

- les prêts de développement à l'export (Prêt Croissance International) pour financer les investissements immatériels, les investissements corporels à faible valeur de gage, les opérations de croissance externe ou l'augmentation du besoin en fonds de roulement. Ce sont des prêts de 30 k€ à 5 M€, sans garantie, pour financer la croissance à l'international ;

- les crédits export , qui recouvrent deux produits : d'une part, le crédit acheteur , directement octroyé par Bpifrance au client étranger d'une entreprise française exportatrice (compris entre 5 et 25 M€ en prêteur seul et jusqu'à 75 M€ en cofinancement) ; d'autre part, le crédit fournisseur , octroyé par l'exportateur à son client, puis racheté par Bpifrance à l'entreprise (1 à 25 M€). Ces crédits sont par ailleurs couverts par l'assurance de Bpifrance Assurance Export à 95 % ;

- le dispositif Avance+ Export, qui couple un crédit de trésorerie basée sur la mobilisation des créances export et une assurance contre le risque de défaillance des clients étrangers.

(2) Mais une chaîne de l'accompagnement qui reste encore complexe et tiraillée entre une pluralité d'acteurs concurrents
(a) Une équipe de France de l'export jusqu'à présent introuvable

Depuis plus de dix ans, le Gouvernement et le Parlement réaffirment périodiquement leur ambition de mettre en place une véritable « équipe de France de l'export ». Force est cependant de constater que cette ambition de « jouer collectif » n'a pas abouti jusqu'à présent. Missionné par le Gouvernement pour réfléchir aux évolutions du dispositif, Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, dresse d'ailleurs d'emblée dans son rapport de novembre 2017 ce constat sévère : évoquant les « carences » du dispositif, il indique : « De fait, aujourd'hui, le service public de l'export est incapable de répondre à l'objectif national : plus d'exportateurs, plus d'exportations ».

Cet échec de plus de dix ans de tentatives répétées pour créer une « équipe de France de l'export » n'est pas celui de Business France, ni d'un autre acteur en particulier du dispositif : c'est un échec collectif qui s'explique par deux raisons principales 92 ( * ) .

En premier lieu, chacun des acteurs de la chaîne de l'export dispose d'une légitimité propre au nom de laquelle il s'est opposé jusqu'à présent à toute prétention des autres acteurs à lui imposer un cadre d'action précis. L'État, qui reste le principal financeur du dispositif, entend garder le contrôle de la stratégie nationale de soutien à l'export. Les régions, qui sont aussi des financeurs non négligeables de la chaîne de l'export, se sont vues confier et confirmer à plusieurs reprises, par la loi, leur compétence en matière de développement économique et donc de promotion régionale des exportations. De leur côté, les CCI de France s'appuient sur une légitimité élective et remplissent un rôle historique, inscrit dans la loi, de représentation et d'appui aux entreprises. Quant aux CCI à l'étranger, ce sont des structures associatives privées qu'on ne peut forcer à s'inscrire dans un schéma d'organisation du service public de l'export défini unilatéralement par l'État. Dans ce contexte, aucun acteur n'a réussi à jouer le rôle de capitaine ou d'entraîneur pour cette équipe formée d'individualités fortes.

En second lieu, les acteurs censés coopérer au sein de cette équipe sont en situation de concurrence économique . L'accompagnement à l'export n'est en effet pas un service public pur. Les prestations sont généralement facturées et même si le prix ne couvre pas entièrement le coût de production, il constitue néanmoins une source de recettes indispensable à l'équilibre financier des acteurs. En particulier, mises sous pression par la baisse des dotations budgétaires ou la réduction de leurs ressources fiscales, Business France et les CCI sont contraintes de développer leurs ressources propres, c'est-à-dire leur chiffre d'affaires, et donc de se concurrencer. De même, à l'étranger où coexistent un bureau de Business France et une CCI internationale, les entreprises accompagnées sont autant des usagers que des clients.

Compte tenu de cette concurrence à la fois symbolique et économique, la signature de générations successives de conventions entre les acteurs 93 ( * ) , censées préciser le rôle de chacun et le positionner sur un segment précis de la chaîne de l'export, s'est avérée jusqu'à présent insuffisante pour assurer une coordination efficace.

(b) Vers une mise en ordre de marche du service public de l'export ?

Le 23 février 2018, sur la base des préconisations du rapport Lecourtier, le Gouvernement s'est engagé dans la refondation du service public de l'export . Proposée par Business France, la réforme est saluée par les chambres de commerce et d'industrie qui plébiscitent la création de guichets uniques en régions entre les CCI et Business France, ainsi que la mise en place de concessions de service public à l'étranger auxquelles les CCI à l'international pourront candidater.

La stratégie de refondation du service public de l'export repose sur plusieurs points.

D'une part, elle prend appui sur la volonté de clarifier la gouvernance du dispositif en reconnaissant sans ambiguïté aux régions le rôle de chef de file de la stratégie locale d'appui à l'export, conformément à la loi NOTRe.

Ensuite, pour que cet objectif réaffirmé périodiquement depuis 2012 devienne enfin une réalité, est également affirmée la volonté de faire de Business France et des CCI en France un outil au service des régions , une sorte d'opérateurs travaillant pour ces dernières. L'idée est que Business France et les CCI forment ensemble, localement, des « centres d'expertise et de ressources » vers lesquels les régions pourraient se tourner pour mettre en oeuvre les campagnes de sensibilisation, les politiques de détection et les programmes de coaching et de diagnostic personnalisé prévus par les plans régionaux de développement des exportations.

Enfin, parallèlement à la création de guichets uniques dans les territoires sous l'égide des régions, seraient créés des guichets uniques de l'accompagnement à l'étranger . Un seul acteur (antenne locale de Business France, CCI de l'étranger locale ou tout autre acteur compétent) se verrait ainsi déléguer la mission de service public d'accompagnement des entreprises françaises dans ce pays, sous la supervision de l'ambassadeur, les autres acteurs s'effaçant au profit de l'acteur sélectionné. En pratique, on se dirige donc vers une sorte de « Yalta » du service public de l'export à l'étranger, Business France se retirant au profit des CCI à l'étranger dans les pays où ces dernières sont les plus efficaces et, inversement, les CCI à l'étranger confiant leurs missions aux bureaux de Business France dans les pays où l'opérateur de l'État paraît en mesure de mieux assumer les missions d'accompagnement.

La réforme, proposée par Business France elle-même, constitue un changement complet de paradigme pour cet opérateur , ce que Christophe Lecourtier a appelé une « révolution copernicienne » 94 ( * ) , avec une redéfinition profonde des missions et un redéploiement géographique de l'action et des moyens humains de l'opérateur de l'État .

Jusqu'à présent, Business France considérait que sa valeur ajoutée et son coeur de métier reposaient sur le travail de ses chargés d'affaires à l'étranger. Ces derniers représentaient d'ailleurs le gros des effectifs (environ 900). Dans le nouveau schéma en revanche, la priorité stratégique de Business France devient le déploiement de ses équipes en régions : « c'est en France que l'export commence et si l'on veut réussir à l'étranger, il faut d'abord agir en France. (...) Nous allons donc nous déployer en région, mais sous l'autorité des exécutifs régionaux (...) Nous envisageons de consacrer entre 400 et 450 conseillers à cette activité de porte-à-porte auprès des PME » 95 ( * ) . Actuellement, pour l'accomplissement de ses missions export en France, l'agence dispose d'un réseau de 25 représentants régionaux institutionnels, hébergés au sein des CCI régionales, auquel s'ajoutent 45 chargés d'affaires internationaux placés au sein de Bpifrance. C'est donc une multiplication par 6 des effectifs en régions qui est visée.

Dans le même temps, Business France accepte la perspective d' abandonner certains pans de son activité opérationnelle à l'étranger et d'y déléguer ses missions à des tiers (notamment les chambres de commerce françaises à l'international) dans le cadre d'une délégation de service public qui garantira que les délégataires, quel que soit le pays, partagent une marque, une offre, des modes opératoires et des systèmes d'information communs. Toutefois, ce désengagement de certaines zones géographiques ne concernera pas trois marchés extérieurs clés : Business France maintiendra, et même renforcera, sa présence en Allemagne, en Chine et en Afrique sub-saharienne.

Enfin, entre ces deux réseaux de terrain, l'un en région, l'autre à l'étranger, Business France continuera à gérer deux programmes qui ont vocation à être administrés au niveau national , à savoir le programme annuel de salons professionnels et de missions collectives d'entreprises, c'est-à-dire le programme France Export qui représente environ 600 opérations par an) ainsi que le programme V.I.E (Volontariat international en entreprise).

La réforme proposée par Business France est un pari audacieux, pour le service public de l'export et pour Business France elle-même. La réforme de 2008 avait fait d'UbiFrance, puis de Business France, le pivot du service public de l'export : l'opérateur de l'État était censé être l'acteur central et incontournable du parcours de l'accompagnement à l'export. La réforme de 2018 le recentre sur l'administration des dispositifs d'envergure nationale (VIE, gestion des DSP, programme France Export). Pour le reste, elle en fait un prestataire de services auprès des régions dans le cadre d'un partenariat symétrique avec les CCI . Sur un plan opérationnel, les chargés d'affaires de Business France en régions seront intégrés dans les CCI et les parties prenantes du guichet unique travailleront dans le cadre d'un système d'information commun, un outil de relation avec les entreprises dans lequel chaque partenaire injectera l'ensemble de ses données.

La mission d'information prend acte de la feuille de route de la réforme du service public de l'export. Elle en souhaite le succès dans l'intérêt des entreprises et de l'économie française, et appelle chacun des acteurs à s'y impliquer loyalement.

Proposition n° 23 : Soutenir la réorganisation du service public de l'export qui devrait accroître son efficacité opérationnelle au profit des entreprises.

4. Favoriser encore davantage l'élaboration et la mise en oeuvre de démarches collaboratives

Dans un contexte concurrentiel, chaque entreprise a vocation à déployer sa propre stratégie de développement. Il est néanmoins primordial que l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur - des grands groupes donneurs d'ordre aux PME sous-traitantes - échangent régulièrement pour identifier leurs intérêts communs , nouer des relations partenariales et solidaires et créer des synergies .

En Allemagne, ces actions sont déployées par les acteurs économiques eux-mêmes au sein de fédérations professionnelles très structurées, dans le cadre d'une action très concertée avec les pouvoirs publics tant au niveau national que local, ainsi que l'a souligné Bertram Brossardt, directeur général de l'association patronale bavaroise VBW ( Vereinigung der Bayerischen Wirtschaft ), lors du déplacement d'une délégation de la mission à Munich.

En France, la mise en place des pôles de compétitivité à partir de 2005 96 ( * ) a répondu à cet objectif, en faisant émerger des démarches collaboratives autour de spécialités industrielles dans des territoires donnés. Toutefois, ce n'est qu'à partir de 2012 que l'État a également décidé de favoriser la construction de démarches collaboratives à l'échelle nationale, en mettant en place une politique des filières , au sein du conseil national de l'industrie (CNI) et des comités stratégiques de filière.

En 2011, la mission d'information sur la désindustrialisation des territoires du Sénat avait encouragé cette politique, compte tenu des liens économiques plus faibles entre les acteurs économiques en France et de la spécialisation toujours plus forte des entreprises, les obligeant à avoir recours à de nombreux sous-traitants, spécialisés dans des techniques spécifiques. Un produit ne se conçoit en effet plus par une seule et même entreprise, mais grâce à la participation d'un écosystème d'entreprises.

Dans ce contexte, la politique des filières vise à fluidifier les relations entre fournisseurs et donneurs d'ordre au sein d'écosystèmes préalablement identifiés , pour garantir la qualité de la production tout le long de la chaîne de valeur et le respect des délais. Ce faisant, elle permet de stabiliser l'activité d'un secteur, en donnant par exemple davantage de visibilité aux sous-traitants sur les commandes à venir.

Le Gouvernement actuel a affirmé son intention de renforcer le rôle de ces filières pour répondre aux défis à venir en matière d'innovation . Lors de son discours du 20 novembre 2017 devant le CNI, le Premier ministre, Édouard Philippe, a ainsi annoncé des évolutions de ces outils destinées à en renforcer l'efficacité. Elles ont depuis été confirmées lors de la première réunion du comité exécutif du CNI le 26 février 2018.

a) L'élaboration d'une stratégie collaborative globale : le défi du Conseil national de l'industrie

Le CNI est une instance consultative, qui a pour mission de conseiller les pouvoirs publics sur la situation de l'industrie et des services à l'industrie en France et d'animer la politique des filières. Il permet par exemple d'établir des diagnostics partagés par les parties prenantes sur les enjeux rencontrés par les différentes filières. Il a ainsi recommandé l'élaboration de « visions prospectives partagées des emplois et des compétences » (VPPEC) au sein de chaque filière, pour mieux anticiper et répondre aux besoins des filières en matière de formation et d'emploi.

« Pour avancer plus rapidement et de façon plus agile 97 ( * ) » , le Premier ministre, Édouard Philippe, a doté le CNI d'un comité exécutif réduit , se réunissant tous les trois mois . Il a également confié plusieurs missions de réflexion au CNI, sur la fiscalité de production, la politique industrielle de l'Union européenne, l'avenir des filières électronique (en particulier les composants du futur des objets connectés), aéronautique, ferroviaire et navale, les biotechnologies, l'énergie ainsi que le code minier. Ces missions seront lancées progressivement et doivent aboutir à l'identification des enjeux et objectifs de chaque secteur, la construction de démarches de R&D, la préparation des investissements nécessaires et l'adaptation des compétences. Une feuille de route doit être établie pour chaque secteur.

LE CONSEIL NATIONAL DE L'INDUSTRIE ET LES COMITÉS STRATÉGIQUES DE FILIÈRE

Positionnement institutionnel

Le conseil national de l'industrie est une instance consultative placée auprès du Premier ministre. Il est présidé par le Premier ministre, ou le ministre chargé de l'industrie qui le supplée en cas de besoin. Son vice-président est Philippe Varin.

Missions

Le conseil national de l'industrie éclaire et conseille les pouvoirs publics sur la situation de l'industrie et des services à l'industrie en France, aux niveaux national et territorial. Il peut proposer des actions, de dimension nationale ou européenne, visant à soutenir la compétitivité et le développement de ces secteurs d'activité, des emplois et des compétences associés. Il peut soumettre des avis argumentés et des propositions relatifs à l'efficacité des aides publiques dont bénéficie l'industrie, ainsi qu'à l'impact des politiques publiques sur l'industrie et les services à l'industrie.

Dans cet objectif, le conseil national de l'industrie :

- fait toutes propositions pour favoriser le développement de l'activité et de l'emploi dans l'industrie et les services à l'industrie, ainsi que la mise en place d'une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences industrielles ;

- émet des avis sur l'évaluation des dispositifs existants de soutien à l'industrie et aux activités de services à l'industrie en France ;

- organise les travaux effectués au sein des comités de filières industrielles, aux niveaux national et territorial, en favorisant les propositions qui conduisent à l'émergence de contrats de filière mis en oeuvre par tout ou partie des participants aux comités de filières industrielles ;

- peut proposer des études prospectives sur tout domaine d'intérêt pour l'industrie et ses services.

Le conseil national de l'industrie peut être consulté sur des projets de textes législatifs ou réglementaires susceptibles d'avoir un impact sur l'industrie. Il peut également être consulté sur toute initiative structurante pour des filières industrielles françaises.

Composition

Le conseil national de l'industrie, qui se réunit en séance plénière au moins une fois par an, comprend, outre son président, des membres de droit (une dizaine de ministres , quatre présidents d'associations d'élus , les présidents des réseaux consulaires , divers représentants de l'administration ), les présidents des comités stratégiques de filières, puis des membres désignés, répartis au sein de trois collèges :

- le collège des entreprises industrielles , composé de dix membres nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministre chargé de l'industrie, et d'un représentant de chacune des organisations professionnelles d'employeurs les plus représentatives au niveau national et interprofessionnel, désigné par cette organisation, dans la limite de trois membres ;

- le collège des salariés de l'industrie , composé de deux membres de chacune des organisations syndicales les plus représentatives au niveau national et interprofessionnel des salariés, nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition de l'organisation, dans la limite de dix membres ;

- le collège des personnalités qualifiées , composé de six membres, choisis en fonction de leurs compétences ou de leur expérience dans le domaine de l'industrie, nommés pour trois ans par arrêté du Premier ministre sur proposition du ministre chargé de l'industrie.

Depuis novembre 2017, le conseil national de l'industrie est également doté d'un comité exécutif resserré .

Les comités stratégiques de filière et les sections thématiques

Par ailleurs, le conseil national de l'industrie constitue des comités stratégiques de filière chargés de traiter de façon spécifique les questions relatives aux différents secteurs qui les composent et aux relations entre les différents acteurs de ces filières.

Ces comités ont pour mission, chacun pour la filière dont il a la charge, d'effectuer un suivi de l'évolution des activités relevant de son champ de compétence, de l'emploi industriel et de l'adéquation du dispositif de formation et des mesures de politique industrielle spécifiques à la filière concernée, et de faire des propositions d'actions destinées à développer la compétitivité de la filière, notamment à l'international. Des contrats de filière sont élaborés à partir des propositions des comités stratégiques de filière. Les comités stratégiques de filière en suivent la mise en oeuvre.

Le conseil national de l'industrie peut aussi créer en son sein des sections thématiques , à l'initiative du comité exécutif ou sur proposition des comités stratégiques de filière. Il en existe aujourd'hui cinq, qui sont chargées de travailler sur les sujets suivants : économie circulaire, emploi et compétences, Europe, réglementation & simplification, industrie du futur.

Source : décret n° 2010-596 du 3 juin 2010 relatif au conseil national de l'industrie, modifié par le décret n° 2017-1581 du 17 novembre 2017.

b) Les instruments de la collaboration sectorielle : des comités stratégiques de filière renouvelés
(1) L'objectif des comités stratégiques de filière : la construction d'une stratégie « collaborative » avec l'ensemble des acteurs d'un secteur

Jusqu'en 2018, il existait quatorze comités stratégiques de filières , dans les domaines suivants : aéronautique, alimentaire, automobile, biens de consommation, bois, chimie et matériaux, éco-industries, ferroviaire, industries extractives et de première transformation, industries et technologies de santé, mode et luxe, naval, nucléaire, et numérique.

Composés de représentants des acteurs de la filière (entreprises ou fédérations industrielles, représentants syndicaux, différentes administrations concernées et experts), ces comités se sont engagés, par des contrats de filière , en faveur de projets communs et de partenariats destinés à répondre aux enjeux rencontrés dans leur secteur.

D'après Louis Gallois 98 ( * ) , ces outils visent à remédier à deux carences de l'industrie française : le faible nombre d'entreprises de taille intermédiaire et la faible solidarité entre entreprises, qui pèsent sur la compétitivité industrielle de la France et constituent des freins à l'innovation collaborative. Cet enjeu a été partagé par Philippe Varin, vice-président du conseil national de l'industrie, lors de son audition devant votre mission. 99 ( * )

La filière aéronautique , structurée autour du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), a lancé un programme d'amélioration des performances de la supply chain , dénommé « Performances industrielles ». Ce programme, financé par l'État et les industries du secteur et mené de 2014 à 2017, a permis d'améliorer les performances de ponctualité, de qualité ou de profondeur du retard dans 98 % des 400 PME bénéficiaires du projet 100 ( * ) . Une deuxième phase, couvrant la période 2017-2019, vise à améliorer la performance interne des PME dans le but de répondre aux enjeux d'augmentation des cadences du secteur. La filière a aussi identifié les grands axes de recherche à privilégier, ainsi que les besoins de la filière en matière de recrutement et de formation .

La filière ferroviaire , dont votre président et votre rapporteur ont entendu les représentants, a quant à elle déployé des actions de structuration de la filière autour des clusters (Association des industries ferroviaires des Hauts-de-France, MecateamCluster, Mipirail Innovation, Neopolia Rail), et du fonds Croissance rail, doté de 40 M€ et destiné à consolider le secteur en favorisant l'émergence d'ETI de taille significative. Ce fonds n'a néanmoins été utilisé qu'à quatre reprises, en raison de besoins différents de la part des donneurs d'ordre ou de règles propres à la gestion du fond. La filière a également organisé des conférences annuelles entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants , pour donner à ceux-ci davantage de visibilité sur le plan de charge.

La filière « biens de consommation » regroupe quant à elle 61 branches d'activité, parmi lesquelles les secteurs de l'équipement de la personne (textile, habillement, accessoires en cuir, produits d'hygiène et de beauté), de la maison (ameublement, luminaire, électroménager, arts de la table, céramique...), la puériculture, les produits de loisirs (articles de sport, jouets, bricolage, jardinage...) ou la facture instrumentale, la brosserie, les emballages... Comme l'indique le rapport annuel du Conseil national de l'industrie pour 2016, « s'il ne s'agit pas d'une filière homogène (les marchés comme les circuits d'approvisionnement sont séparés), elle a pour point commun de produire des biens destinés au marché grand public, souvent distribués à travers des réseaux indépendants des fabricants. » Les problématiques de la filière sont les difficultés d'accès au marché , telles que la concentration de la grande distribution, les contraintes des marchés publics, ou encore les enjeux liés au référencement des produits. Dans ce contexte, le contrat de filière a identifié quatre objectifs : anticiper les attentes des clients ; s'appuyer sur l'innovation et le design et miser sur les objets connectés ; mieux produire en France ; mieux consommer, grâce au « Fabriqué en France ». Dans ce domaine, un guide à destination des producteurs et des distributeurs a été élaboré, et un appel à projets sur les savoir-faire emblématiques du « Fabriqué en France »a été lancé.

D'autres comités de filière ont travaillé sur la simplification des normes applicables à leur secteur, tels que le comité stratégique « chimie et matériaux », dont les réflexions ont permis de simplifier la réglementation applicable aux plateformes françaises, en vue de renforcer leur attractivité, ou le comité « industries et technologies de la santé », qui s'est penché sur la simplification des partenariats public/privé dans le secteur de la santé, pour lever certains obstacles relatifs à la propriété intellectuelle.

La politique des filières a ainsi permis, sous l'impulsion de l'État, la mobilisation des parties prenantes autour d'actions bénéfiques à l'ensemble d'entre elles : par exemple, l'amélioration de l'efficacité de la supply chain de la filière aéronautique a permis de renforcer la compétitivité des grands donneurs d'ordre comme des PME du secteur.

(2) Les limites du dispositif

Cette politique comporte néanmoins des limites , qui justifient qu'elle soit régulièrement évaluée et améliorée, et que la politique industrielle de l'État ne s'y limite pas.

En premier lieu, il existe des disparités entre les filières . Comme l'a indiqué Philippe Varin, vice-président du conseil national de l'industrie, devant votre mission : « [...] je reviendrai sur le fonctionnement collectif pour promouvoir un fonctionnement plus efficace de nos filières ; cette démarche motivant la création de France industrie, issue du regroupement du Cercle de l'industrie et des fédérations industrielles. Certes, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) constitue d'une structuration à forte valeur ajoutée, dont pourraient s'inspirer les filières automobile, maritime, nucléaire, ou encore alimentaire, durant l'année 2018, pour assurer leur réelle articulation avec l'État au sein du conseil national de l'industrie. »

De fait, si l'État a un rôle majeur d'impulsion de la politique des filières, et accompagne leur développement grâce à des outils spécifiques ou des financements, leur succès dépend aussi largement de l'implication des entreprises qui les composent , en particulier des grands groupes qui peuvent jouer un rôle moteur. C'est la raison pour laquelle la filière aéronautique, structurée depuis 1908 autour du GIFAS, est régulièrement citée en exemple.

En outre, les différentes filières recouvrent des réalités très diverses, allant de secteurs très structurés autour de la chaîne de valeur (industries du transport) à des regroupements plus hétérogènes (biens de consommation ou éco-industries).

S'agissant des instruments à déployer par les filières , Philippe Varin a indiqué à votre mission qu' : « une filière ne fonctionne efficacement qu'à la condition de disposer d' une gouvernance adaptée, de projets communs de recherche-développement et de plateformes numériques , à l'instar de Boostaerospace dans l'aéronautique. Dans le contexte législatif actuel, une filière performante doit être impliquée dans l'apprentissage et les compétences , afin de répondre au plus près des besoins des entreprises. Elle doit enfin accompagner ces dernières à l'international , comme le fait aujourd'hui le GIFAS. C'est là un enjeu pour l'année 2018 afin d'améliorer l'environnement nécessaire au développement de l'industrie et de ses filières. »

Il a également regretté l'insuffisante implication des filières dans le domaine de la recherche et de l'innovation : « [...] dans les filières françaises, les projets de recherche-développement, qui sont autant de projets de rupture, sont actuellement peu nombreux, alors que la conjonction des investissements privés et du soutien des pouvoirs publics ont permis, aux États-Unis, l'aboutissement de projets de rupture comme SpaceX ou Tesla. Il faudrait ainsi mettre en oeuvre dans chaque filière des projets de rupture fédérant les grandes entreprises, les PME et les ETI, à l'instar du véhicule 2 litres ou autonome dans l'industrie automobile. L'État doit ainsi subventionner en amont ces projets d'innovation de rupture, ce que ne permettent pas les actuels plans dont les avances remboursables ne sont pas adaptées. La montée en gamme implique à la fois l'innovation et l'industrie du futur. »

De plus, une étude de la Fabrique de l'industrie de 2013 a mis en exergue le risque que la politique des filières constitue un cadre trop restrictif et ne bénéficie pas à certaines entreprises, plus généralistes ou à la croisée entre plusieurs filières . Elle cite l'exemple des technologies génériques (logiciel embarqué, électronique, simulation numérique), « qualifiées de « diffusantes » ou « capacitantes » ( enabling ) justement parce qu'elles s'appliquent à de nombreux secteurs différents 101 ( * ) . » Le rapport de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires du Sénat de 2011 avait d'ailleurs énoncé que « le soutien à des filières stratégiques ne doit pas, par ailleurs, empêcher l'émergence de sous-traitants généralistes 102 ( * ) . » La Fabrique de l'industrie conclut à la nécessité de combiner cette politique avec d'autres instruments, tels que les pôles de compétitivité, qui créent des synergies à l'échelle des territoires .

Enfin, les mutations du secteur industriel et les ruptures technologiques doivent conduire l'État à réinterroger régulièrement la structuration des filières, pour concentrer ses aides sur les secteurs les plus porteurs.

(3) Des comités en cours de reconfiguration

Pour renforcer l'efficacité de la politique des filières, le Premier ministre a lancé en novembre 2017 un audit , mené conjointement par la direction générale des entreprises et France Industrie, des quatorze comités stratégiques de filières existants, qui a abouti à l'élaboration d'une nouvelle liste de comités stratégiques de filière, présentée lors du comité exécutif du CNI du 26 février 2018.

Dix comités stratégiques ont ainsi été identifiés , dans les domaines suivants : aéronautique, alimentaire, automobile, bois, chimie et matériaux, ferroviaire, industries et technologies de santé, industrie navale et maritime, mode et luxe, et nucléaire. En revanche, il a été mis fin aux activités des comités concernant les biens de consommation, les éco-industries, les industries extractives et de première transformation et le numérique, dont le champ a été considéré comme trop vaste et la composition « trop disparate pour mener une action efficace 103 ( * ) . »

La création de nouveaux comités n'est cependant pas à exclure. D'après le Gouvernement « ces secteurs, et d'autres non couverts jusqu'ici, nécessitent encore des travaux complémentaires. Les filières suivantes pourraient notamment être validées lors du prochain comité exécutif (le 28 mai 2018), sous réserve qu'elles précisent leur périmètre, leur gouvernance et leurs projets structurants : mines et métaux ; électronique ; énergies renouvelables, réseaux électriques intelligents et efficacité énergétique ; infrastructures numériques ; construction ; eau ; traitements des déchets. »

Les comités devront préparer de nouveaux contrats de filière, en répondant à un cahier des charges. Leurs travaux devront porter a minima sur quatre thèmes : la transformation numérique des entreprises, l'innovation, la formation et les compétences, et l'international . Ils devront se concentrer sur un nombre limité de projets à forts enjeux, avec des échéances et des livrables clairement définis. Leur présidence sera désormais confiée à un représentant de l'industrie.

Dans une logique de simplification, ces comités intègreront le pilotage de leur politique d'innovation .

EXEMPLES DE PROJETS STRUCTURANTS POUR LES NOUVEAUX COMITÉS STRATÉGIQUES DE FILIÈRES

? Favoriser le développement du véhicule autonome avec notamment la réalisation d'expérimentations à grande échelle

? Accompagner les sites industriels impactés par la baisse du marché du diesel et de leurs sous-traitants

? Accélérer la transformation numérique de la filière nucléaire pour structurer la chaîne d'approvisionnement et la démarche d'innovation

? Travailler avec SNCF Réseau pour positionner la filière ferroviaire sur le Grand Plan de Modernisation du réseau (GPMR)

? Diffuser de nouveaux outils d'échanges numériques au sein de la filière navale, ainsi que l'utilisation du « jumeau numérique »

? Développer l'attractivité et de la compétitivité des plateformes chimiques (offre de services, adaptation du cadre réglementaire...)

? Promouvoir le développement d'une filière batteries en France

? Favoriser la structuration d'un secteur des données de santé (montée en puissance de l'Institut National des Données de Santé, développement de l'intelligence artificielle en santé)

? Accélérer la R&D dans l'alimentaire autour des axes prioritaires identifiés : protéines du futur, fermentation, froid durable, emballage du futur)

? Accompagner les PME du secteur alimentaire à l'international et promouvoir le « modèle alimentaire français », notamment en associant les leaders français de la gastronomie et de l'hôtellerie.

? Développer une grande école de la mode, avec un rayonnement international

Source : Dossier de présentation de la réunion du comité exécutif du conseil national de l'industrie du 26 février 2018.

(4) Une politique pertinente qui ne doit pas aboutir à un cloisonnement de la stratégie industrielle

Votre mission approuve la démarche de reconfiguration des filières conduite par le Gouvernement pour en améliorer l'efficacité et donner une nouvelle impulsion à ces instruments de politique industrielle. Elle salue le choix de faire de la diffusion de l'innovation au sein des filières un axe fort de cette reconfiguration.

Elle s'interroge néanmoins sur la pertinence du maintien du rôle d'impulsion de l'État dans ce domaine , dans la mesure où le succès de cette politique dépend avant tout de l'implication des acteurs économiques eux-mêmes. Les filières historiquement les plus structurées, dans lesquelles les acteurs se sont le plus engagés, comme celle de l'aéronautique, obtiennent de façon évidente davantage de résultats, et si l'État peut conduire les industriels à se réunir autour d'une table et soutenir leurs initiatives, il ne peut pas s'y substituer. Les industriels sont par ailleurs les mieux placés pour définir précisément leurs besoins et les perspectives de développement, ainsi que les moyens à mettre en oeuvre pour y répondre. L'État doit donc accompagner, mais sans pour autant brider l'évolution des filières . À cet égard, comme l'a indiqué Pierre Veltz, une politique de filière comporte le risque de cloisonner à l'excès des secteurs d'activité et de mettre à l'écart des entreprises généralistes dont les innovations pourraient servir à plusieurs filières. Or, l'innovation émerge parfois du croisement d'approches et de cultures différentes. En outre, l'identification a priori par l'État de ces filières constitue une rigidité par rapport à la souplesse et la réactivité requises dans un monde économique en constante mutation. Votre mission relève néanmoins que les syndicats représentatifs de salariés entendus en audition - CGT, CFDT, Force ouvrière et CFE-CGC - tout en approuvant la logique de filières, ont au contraire insisté sur le fait qu'elle ne devrait pas conduire à un désengagement de l'État. La CFDT a cependant estimé que la réforme du CNI récemment réalisée était une occasion manquée, car elle repose sur une relation trop « verticale » qui ne prenait pas suffisamment en compte l'échelon de proximité.

Votre mission regrette à cet égard le manque de représentation des PME au sein du CNI. Comme l'a souligné lors de son audition par la mission la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), les entreprises qui y sont représentées sont très majoritairement des « grands comptes », autrement dit des grandes entreprises. La mission insiste donc pour que les représentants des PME soient mieux intégrés aux travaux du CNI et dans les comités stratégiques de filière .

Une politique de filière efficace ne saurait en effet se borner à prendre en compte la seule position des grands donneurs d'ordres, et devrait également inclure les problématiques des entreprises fournisseurs ou sous-traitants en amont ainsi que celles des entreprises en aval de la filière (notamment ce qui relève de l'entretien ou de la réparation des biens produits), qui sont pour l'essentiel des PME, voire des TPE. À défaut, comme l'a mis en exergue Frédéric Perrot, président de la société ARaymond France, le risque est grand de renforcer la vassalité des sous-traitants face aux grands donneurs d'ordre et de ne raisonner qu'en termes de coût de la chaîne de production plutôt qu'en chaîne de valeur susceptible d'être créée.

De même, il est important que les pôles de compétitivité , éléments moteurs d'une stratégie territoriale de filières, soient également associés, en tant que tels, aux travaux menés par le CNI et les comités stratégiques de filières.

Proposition n° 24 : Veiller à mieux intégrer les PME ainsi que les pôles de compétitivité aux travaux du CNI et des comités stratégiques de filières afin de prendre en considération l'ensemble des acteurs des filières, en amont comme en aval.

En outre, le périmètre donné à ces filières ne doit pas avoir pour effet de rigidifier les initiatives collaboratives , en cloisonnant à l'excès des secteurs d'activité, alors que l'innovation émerge parfois au croisement entre plusieurs d'entre eux, comme l'a souligné Pierre Veltz au cours de son audition, ou en mettant à l'écart des entreprises généralistes ou n'appartenant à aucune des filières préétablies . Pour ce faire, ainsi que l'ont indiqué les représentants du MEDEF devant les membres de la mission, il faut également retenir une approche en termes d'écosystèmes , complémentaire de l'approche de filières, qui permet de mieux traiter les relations dans la chaîne de valeur mais aussi les relations entre la sphère publique et le secteur privé.

Ainsi, si cette politique est maintenue, elle doit impérativement être combinée avec d'autres politiques, comme le développement des pôles de compétitivité, structurés autour de spécialités mais aussi d'espaces géographiques, ou des interventions permettant de façon générale aux PME d'augmenter leur taille et leur capacité. Les partenariats inter-filières et inter-pôles doivent en conséquence être encouragés.

Il convient également repenser systématiquement, au sein des filières comme des pôles de compétitivité, la façon de voir la politique industrielle , en y intégrant la dimension du service accompagnant le produit industriel , dont l'importance a été soulignée lors des auditions des professeurs Pierre-Noël Giraud et Pierre Veltz. Or, cet aspect est trop rarement abordé.

Dans ce contexte, une évaluation régulière des effets de cette politique doit être menée pour vérifier son adéquation avec les besoins de l'industrie, compte tenu des mutations continues du secteur industriel et de ces limites.

Proposition n° 25 : Veiller à éviter le fonctionnement « cloisonné » des filières et évaluer régulièrement les impacts de la politique des filières sur le développement industriel.

c) Mieux intégrer les pôles de compétitivité dans la stratégie industrielle nationale
(1) Le choix de stratégies collaboratives ancrées dans les territoires

Les pôles de compétitivité ont été créés en 2005 pour renforcer la compétitivité de l'industrie française en favorisant des stratégies collaboratives ancrées dans les territoires et tournées vers l'innovation . Comme l'indique l'article 24 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 qui les instaure, ils sont « constitués par le regroupement sur un même territoire d'entreprises, d'établissements d'enseignement supérieur et d'organismes de recherche publics ou privés qui ont vocation à travailler en synergie pour mettre en oeuvre des projets de développement économique pour l'innovation » .

Les pôles de compétitivité ont pour mission de faire émerger, par la concentration et la mise en réseau de ces différents acteurs sur un territoire donné, des projets collaboratifs en matière de recherche et développement, dans des thématiques spécifiques à chacun des pôles. Ces dernières années, un accent particulier a également été mis sur le passage de « l'usine à projets » à « l'usine à produits », à savoir le déploiement et la mise sur le marché de produits, procédés et services innovants issus des projets de R&D.

DES CLUSTERS « À LA FRANÇAISE »

Cette politique s'inspire de la théorie des clusters, synthétisée dans les années 1980 et 1990 par M. Michael Porter, professeur à la Harvard Business School . Cette théorie justifie l'intervention de l'État pour encourager l'émergence d'écosystèmes d'innovation, composés de PME mais aussi de grands groupes, concentrés dans un secteur géographique donné et possédant une forte spécialisation dans un domaine particulier, par des incitations ou des financements. Ces écosystèmes favorisent à la fois l'émulation et la collaboration entre les acteurs spécialisés dans ce domaine, en réduisant notamment les coûts de transaction. Ils engendrent ainsi des effets de diffusion des connaissances et créent un environnement propice à l'innovation.

En renforçant les partenariats fondés sur la proximité géographique entre les différents membres du pôle de compétitivité, cette politique vise ainsi à favoriser l'innovation technologique et la croissance , mais aussi à ancrer les acteurs économiques dans un tissu local. Comme le relève le Conseil économique, social et environnemental dans son récent rapport sur l'« Industrie : un moteur de croissance et d'avenir », « l'existence de tels liens et la complémentarité des compétences constituent pour les industriel.le.s en général, des avantages comparatifs importants auxquels une délocalisation les conduirait à renoncer au moins pour un temps et aurait des impacts sur tout le tissu industriel 104 ( * ) . »

Les pôles de compétitivité peuvent ainsi rendre un territoire attractif et inciter les entreprises à y rester , ce qui permet de conserver l'emploi local. Les collectivités territoriales, et en particulier les régions, sont de fait fortement impliquées dans les pôles de compétitivité à l'échelle locale. Les régions sont en outre davantage associées, ces dernières années, au pilotage national de ces pôles. Elles cofinancent, avec l'État dans le cadre du fonds unique interministériel (FUI), les projets de R&D labellisés par les pôles de compétitivité.

La politique des pôles de compétitivité, mise en place par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), répond donc à un double objectif de développement économique et d'aménagement du territoire . En conséquence, bien qu'elle ait été initialement conçue pour faire émerger une dizaine de pôles de compétitivité disposant d'une taille critique et d'une forte visibilité à l'international, elle a , dès le départ, vu son périmètre élargi puisque 67 pôles ont été labellisés dès 2005. Ils sont aujourd'hui au nombre de 68.

Comme le résume le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur les pôles de compétitivité 105 ( * ) , « le débat sur le nombre de pôles s'est posé dès l'origine du dispositif et reflète une hésitation entre une logique d'excellence et une logique d'aménagement du territoire. Dès la première phase, une catégorisation était prévue entre les pôles « mondiaux », « à vocation mondiale » et « nationaux ». Cette typologie était uniquement indicative et a été abandonnée pour la troisième phase. »

Cet ancrage dans les territoires se traduit par une forte implication des pôles dans l'animation des politiques régionales d'innovation , comme l'a notamment montré le Commissariat général à l'égalité des territoires 106 ( * ) . 59 pôles ont eu un rôle déterminant dans l'élaboration des stratégies régionales d'innovation en vue d'une spécialisation intelligente (SRI-SI) lancées par la Commission européenne pour identifier, dans chaque région, en fonction de ses atouts et de ses contraintes, les domaines d'activité et secteurs technologiques les plus susceptibles de générer des activités innovantes, afin de les prioriser et d'y concentrer les efforts déployés par les acteurs publics. 27 pôles se sont également vus dotés d'un rôle d'animation d'un domaine ou d'une filière par un conseil régional.

CARTE DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ EN OCTOBRE 2017

Les pôles représentent aujourd'hui un enjeu fort dans les stratégies d'attractivité territoriale , et constituent des éléments de la marque des territoires, comme le pôle Aerospace Valley pour l'aéronautique à Toulouse, Cap Digital et la filière numérique francilienne, Aquimer pour les produits de la mer à Boulogne, ou Microtechniques à Besançon dans le domaine de l'horlogerie.

Les pôles de compétitivité ont également un rôle d'accompagnement des PME et des ETI en leur offrant une assistance collective et individuelle pour l'accès aux financements, le développement à l'international, la propriété industrielle et l'anticipation des besoins en compétences. Ils sont ainsi un lieu de coordination des différents outils d'intervention de l'État et des collectivités territoriales .

Ces pôles sont également devenus le relais des politiques industrielles nationales . Comme le relève le Commissariat général à l'égalité des territoires, « les acteurs de la Nouvelle France industrielle (NFI) peuvent ainsi s'appuyer aujourd'hui sur un noyau de pôles de compétitivité. Les 30 pôles les plus impliqués ont souvent contribué activement aux travaux des 34 plans industriels regroupés aujourd'hui en 10 solutions industrielles et à la mise en place des Comités stratégiques de filières. Certains pôles particulièrement moteurs participent aux comités de pilotage des solutions ou animent des groupes de travail sur certaines filières. Par ailleurs, 34 pôles sont membres de la « Plateforme des Pôles pour l'Industrie du Futur », créée au sein de l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC), ce qui leur permet de prendre une part active aux actions et initiatives lancées par l'association Alliance Industrie du Futur dans le cadre de la NFI. » Ils peuvent aussi être associés à des réseaux nationaux , comme les réseaux « bâtiment durable » et « Ecotech », animés par le ministère de la transition écologique et solidaire, qui regroupent respectivement 18 et 14 pôles autour d'axes stratégiques communs, ou le club Sully, qui réunit 10 pôles de compétitivité spécialisés dans l'agriculture et l'agroalimentaire s'inscrivant dans la stratégie « Agriculture Innovation 2025 » portée par le ministère de l'agriculture. Ils peuvent aussi jouer un rôle moteur dans l'élaboration ou la mise en oeuvre des contrats des comités stratégiques de filières.

(2) Le développement des pôles et leur accompagnement financier par les pouvoirs publics depuis 2005

La politique des pôles de compétitivité s'est déployée en trois phases. La première, de 2005 à 2008 , a permis de mettre en place les pôles de compétitivité et de diffuser la culture de la recherche collaborative. Durant cette période, près de 1,5 milliard d'euros a été mobilisé par l'État et plus de 1 000 projets ont été labellisés 107 ( * ) .

La deuxième phase, de 2009 à 2012 , correspond à une consolidation de cette politique, après une première évaluation. Elle s'est traduite par un renforcement du pilotage stratégique de ces pôles au moyen de contrats de performance pluriannuels signés avec l'État et les collectivités territoriales et le renforcement de plateformes d'innovation mutualisées.

La troisième phase, de 2013 à 2018 , a visé à encourager les pôles à passer d'« usines à projets » à des « usines à produits », c'est-à-dire à favoriser la mise sur le marché des projets développés et à affirmer le rôle des pôles dans l'industrialisation des produits. Cette phase doit aussi être celle de l'accompagnement du développement des PME et des ETI, par un meilleur accès aux financements et un accompagnement renforcé, notamment à l'international.

Aujourd'hui, ces pôles de compétitivité sont composés de près de 200 membres en moyenne . En 2014, plus de 8 500 entreprises étaient membres d'un pôle de compétitivité.

NOMBRE D'ENTREPRISES MEMBRES DES PÔLES

2006

2009

2012

Petites entreprises

2419

5134

6491

Moyennes entreprises

935

1292

1519

Entreprises de taille intermédiaire

652

783

901

Grandes entreprises

58

70

72

Total

4064

7279

8983

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, d'après un graphique de France Stratégie. 108 ( * )

Les pôles sont essentiellement concentrés dans les grands centres économiques. Parmi les secteurs très représentés figurent l'agriculture et l'agroalimentaire, l'environnement et la transition énergétique et le numérique . Comme le relève la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, « la répartition géographique et sectorielle des pôles correspond assez largement à la structure économique du pays 109 ( * ) ».

Ces pôles sont « labellisés » par un comité interministériel , après avis d'un groupe de personnalités qualifiées, sur la base des critères suivants :

- les moyens de recherche et de développement susceptibles d'être mobilisés dans le ou les domaines d'activité retenus ;

- les perspectives économiques et d'innovation ;

- les perspectives et les modalités de coopération entre les entreprises, les organismes publics ou privés ainsi que les collectivités territoriales et leurs établissements publics de coopération intercommunale dotés d'une fiscalité propre.

La labellisation produit deux effets concrets.

D'une part, le label renforce la visibilité du pôle, notamment à l'international. Sur les 68 pôles, une quarantaine ont développé une stratégie de développement à l'international, en identifiant les clusters partenaires, et en établissant des liens et des partenariats avec eux. Un partenariat a été conclu entre la direction générale des entreprises et Business France pour encourager cette démarche. Il a permis d'accompagner plus de 2 200 membres de pôles sur près de 175 missions partenariales et plus de 285 accords de partenariats technologiques ou commerciaux ont été signés entre 2009 et 2016. Le déploiement à l'étranger, par le ministère des affaires étrangères, en lien avec le ministère de l'économie et des finances, d'experts techniques internationaux sur l'innovation leur apporte un appui supplémentaire.

D'autre part, le label de pôle de compétitivité permet d'obtenir des financements publics, mais aussi de faciliter l'octroi de financements privés . Ces financements prennent plusieurs formes.

En premier lieu, ils émanent du fonds unique interministériel (FUI) , créé par l'État en 2005 pour financer dans le cadre d'appels à projets, en association avec les régions et suivant un principe de cofinancement, des projets de R&D collaboratifs labellisés par les pôles de compétitivité. Entre 2005 et mi-2016, 22 appels à projets ont été lancés et 1 681 projets ont été retenus , pour un total de dépenses de 6,8 Md€, dont 2,7 Md€ financés par l'État ou les collectivités territoriales (1,7 milliard pour l'État et 1 milliard pour les collectivités) 110 ( * ) .

FINANCEMENTS ALLOUÉS PAR L'ÉTAT AUX PROJETS DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ VIA LE FONDS UNIQUE INTERMINISTÉRIEL (FUI) (en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Total

42

193

239

256

220

157

149

119

116

93

89

82

1755

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, à partir des données de la direction générale des entreprises. 111 ( * )

Si la faible sélectivité de la labellisation des pôles pouvait faire craindre un saupoudrage des crédits, les pôles de compétitivité les plus importants, qui ont été en mesure de présenter les projets les plus innovants ont, de fait, obtenu une part déterminante des financements du FUI . D'après la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, entre 2006 et 2013, cinq pôles ont obtenu 39 % des financements du FUI et quinze pôles en ont reçu près des deux tiers (65 %). Les 13 pôles qui ont le plus bénéficié des financements du FUI ont chacun reçu plus de 40 M€ par ce canal. Ainsi, comme le résume cette Commission, « la politique des pôles menée en France constitue un outil hybride qui s'appuie sur deux logiques différentes : une logique ascendante ( bottom-up ) caractérisée par un foisonnement de pôles et de projets, et une logique descendante ( top-down ) via une concentration des moyens financiers. »

En second lieu, les pôles de compétitivité peuvent mobiliser d'autres financements , notamment auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR), de Bpifrance, du programme d'investissements d'avenir (PIA) et des collectivités territoriales. Chacune de ces sources de financement répond à des objectifs spécifiques : ainsi, l'ANR aura par exemple davantage tendance à financer la phase amont des projets, tandis que le PIA se concentre sur un nombre limité de projets de grande envergure, etc.

Le montant du soutien financier moyen apporté par l'État et les régions au travers du FUI est d'1,4 million d'euros par projet, tandis que le montant moyen apporté par le PIA pour les « projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité » est de 10 M€. 59 pôles ont eu au moins un projet financé par le PIA entre 2013 et 2015.

PRINCIPAUX FINANCEMENTS PUBLICS DES PROJETS LABELLISÉS PAR LES PÔLES (en millions d'euros)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Total

Part relative dans le total :

Fonds unique interministériel (FUI)

42

189

239

256

220

157

149

119

116

1 488

27,3 %

Collectivités territoriales (cofinancement FUI uniquement)

99

125

152

128

118

109

95

84

910

16,7%

Bpifrance Financement / ex-Oseo

0

163

242

219

159

172

144,26

141,3

108

1 349

24,8 %

Projets structurants des pôles de compétitivité (PSPC)

17

83

59

159

2,9%

Agence nationale de la recherche (ANR)

202

175

194

118

192

213

182

164

169

1 609

29,5 %

Total

276

626

800

745

699

660

585

520

536

5 447

100 %

Source : Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, à partir des données de la direction générale des entreprises.

Outre les crédits consacrés aux projets de recherche et développement collaboratifs, l'État finance une partie des crédits consacrés à l'animation et au fonctionnement des pôles , à hauteur de 19 M€ 112 ( * ) . Dès l'origine, l'État a fixé comme objectif aux pôles de parvenir à un autofinancement de leur budget de fonctionnement à hauteur de 50 %. En 2015, 28 pôles dépassaient cet objectif et 46 % des budgets de fonctionnement de l'ensemble des pôles étaient issus du secteur privé 113 ( * ) .

L'activité première des pôles concerne l'accompagnement et la labellisation de projets de recherche et développement collaboratifs, qui représente près de la moitié de leur budget 114 ( * ) . En moyenne, 16 projets de recherche et développement ont été accompagnés ou labellisés par pôle en 2015.

Les crédits de l'État spécifiquement destinés aux pôles de compétitivité sont en diminution constante. Ils ont été divisés par deux depuis son lancement , en même temps que d'autres dispositifs ont été créés pour soutenir la recherche et l'innovation (PIA, crédit impôt-recherche).

(3) Un « modèle » collaboratif structurant qui doit encore évoluer

Les pôles de compétitivité sont des modèles collaboratifs présentant un caractère structurant pour les entreprises et les territoires eux-mêmes .

Votre mission a pu mesurer concrètement l'action de certains pôles en rencontrant à Toulouse, lors du déplacement de sa délégation, les représentants de deux structures relevant de filières industrielles très différentes : le pôle Agri Sud-Ouest Innovation, centré sur l'agriculture, l'agroalimentaire et l'agro-industrie - filières peu intégrées ; le pôle Aerospace Valley, spécialisé dans l'aéronautique et l'aérospatial - filières qui sont au contraire très intégrées.

LE PÔLE DE COMPÉTITIVITÉ « AGRI SUD-OUEST INNOVATION »

Ce pôle de compétitivité réunit 411 adhérents , dont 75 % des entreprises membres sont des PME, présents sur le territoire des deux régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine . Pour assurer une proximité territoriale, le pôle a mis en place 14 relais locaux et vise à en déployer 25 (au moins un par département). Il s'appuie sur les deux campus de Bordeaux et Toulouse et dispose d'un site à Montpellier. Les relais locaux sont animés par un référent, salarié de l'institution disposant d'un budget pour animer son territoire.

Agri Sud-Ouest Innovation travaille sur des thématiques à fort enjeu national, telles que l'optimisation des intrants, l'amélioration de l'efficience des systèmes de production et la valorisation de l'ensemble des constituants des productions agricoles, notamment au moyen de l'agro-raffinerie. Il s'appuie sur une vision globale de la chaîne de valeur, et fait le lien entre trois domaines dont les interdépendances ne sont en général pas assez prises en compte : l'agriculture, l'agroalimentaire et l'agro-industrie.

Depuis 2006, il a labellisé 624 projets, soit environ 50 par an en moyenne, dont la moitié a été financée. Ces projets ont mobilisé 336 M€ de subventions publiques (soit 28 M€ par an en moyenne) et 452 M€ d'autofinancement privé.

Le pôle évalue l'effet de levier, pour les PME, de 1 à 7 : 1 euro apporté par le porteur de projet génère 4 euros des autres partenaires et 2 euros de subventions publiques.

Son processus de labellisation des projets est certifié ISO 9001.

Pour les adhérents, le pôle de compétitivité permet de :

- bénéficier du réseau constitué par ce pôle, comme de son appartenance au réseau national des pôles de compétitivité spécialisés dans l'agriculture et l'agroalimentaire - le Club Sully précédemment évoqué : développement de la visibilité de son entreprise, mise en réseau, partages d'expériences, etc. ;

- développer des compétences , en bénéficiant notamment de nombreux outils de veille technologique et spécifique réalisée par des experts ;

- bénéficier d'un accompagnement pour monter, structurer et financer des projets : participation à des clubs de l'innovation, conseil en ingénierie technique et financière, accompagnement personnalisé à l'émergence et au suivi de projets, obtention de financements adaptés, etc. ;

- disposer d'un appui pour accélérer la mise sur le marché des innovations : analyse de l'offre et diagnostic d'entreprise, appui personnalisé, etc.

Parmi les projets emblématiques développés par le pôle, figurent :

- un projet de fabrication et d'intégration dans une unité de production du premier démonstrateur microondes de cuisson de graines oléagineuses (colza, tournesol, soja) à une capacité de trois tonnes par heure, développé par une PME ; ce démonstrateur doit aussi permettre de réaliser l'étude de transfert à échelle industrielle pour une implantation d'une première unité de trituration à 30t/h ; ce projet de 2,4 M€ a obtenu 1,7 M€ d'aides publiques d'origine européenne ;

- un projet d'emballage biodégradable et compostable pour les aliments à date limite de consommation ou d'utilisation optimale, d'origine 100 % renouvelable, issu de matières premières principalement non-alimentaires et régionales ; ce projet de 2,9 M€ a obtenu 1,8 M€ de financements publics (Europe, État, régions, conseil départemental et agglomération) ;

- un projet destiné à répondre à la demande de l'industrie de luxe de peau d'agneaux de la race Lacaune, comportant la mise au point d'un mode d'élevage innovant, d'une solution de dépouille limitant la génération de défauts et d'un outil permettant la détection post-dépouille, d'un procédé de filmage des peaux en mégisserie ; ce projet de 4,8 M€ a obtenu 1,8 M€ de financements publics, dont une participation du Fonds unique interministériel ;

- un projet de développement de biofertilisants pour une agriculture durable et écologique, s'appuyant sur l'utilisation de micro-organismes du sol présentant un potentiel fertilisant. Ce projet couvre un large spectre d'activités, allant de la recherche fondamentale et appliquée au développement des produits et à des expérimentations en laboratoire et chez les producteurs ; ce projet de 3,1 M€ a obtenu 2,2 M€ de financements de l'État et de la région.

Source : Agri Sud-Ouest Innovation.

LE PÔLE DE COMPÉTITIVITÉ « AEROSPACE VALLEY »

Composé de plus de 850 membres, dont plus de 500 PME-ETI , le pôle a porté 515 projets de recherche et technologie (R&T) financés pour un montant global de 1,4 Md€.

Spécialisé dans les domaines de l'aéronautique et de l'aérospatial , il développe aussi son activité dans le secteur des systèmes embarqués , ce qui explique que certains membres du pôle soient des entreprises de l'automobile, dans le cadre de leurs développements de véhicules autonomes.

Le pôle développe une gamme étendue de services au profit de ses adhérents, dont : une offre de diagnostic, un « parcours Innovation » visant à faire émerger les projets, à aider à leur montage, à les suivre et les valoriser, et à faciliter le passage du prototype au produit, un « parcours Développement », comprenant un programme d'accélération, l'offre de diagnostics stratégiques tournés vers l'international, des actions de Business development et de compétivité, un « parcours Finance » ainsi que des services de promotion et de communication. Aerospace Valley développe des actions individuelles et collectives spécifiques au profit de ses membres PME-ETI, avec des programmes d'accompagnement de financement des solutions, de « Process innovation center » et de « road to target ».

Le pôle se positionne comme un acteur territorial - doté à cette fin de comités territoriaux et qui a développé des actions transversales avec d'autres pôles du territoire, notamment Aquimer et Agri Sud-Ouest - intervenant au sein d'une filière structurée - ce qui le conduit à coordonner ses actions avec les autres pôles « aéros », avec le Groupement des industries françaises de l'aéronautique et de l'espace (GIFAS) et les grandes entreprises.

Les axes d'innovation poussés par le pôle dans le cadre de l'aéronautique sont :

- rendre l'avion plus électrique et hybride (AEH) : électrification des fonctions, hybridation de la propulsion ;

- pour la cabine : améliorer l'expérience passager, faciliter la reconversion (TAT) ;

- améliorer le dispatch : utiliser les nouvelles technologies, big data & maintenance prédictive, support et machine learning ;

- augmenter la performance (masse et fonctions), sécuriser la disponibilité et le coût des approvisionnements des nouveaux matériaux ;

- renforcer l'autonomie (cockpit et contrôle aérien) et la connectivité.

Le pôle souhaite également créer à Toulouse une fédération d'acteurs de l'industrie, de la recherche et de la formation autour de la donnée pour six filières d'excellence (Aéronautique, Espace, Véhicules Connectés, Agriculture, Météorologie/Climatologie, Internet des objets).

Source : Aerospace Valley.

Au cours des dernières années, la politique des pôles de compétitivité a fait l'objet de nombreuses évaluations par divers organismes ou instances. Toutes mettent en avant l'apport de ces structures pour le développement économique, tant sur un plan local que national, mais soulignent des voies d'amélioration nécessaires.

Ces travaux 115 ( * ) portent une appréciation positive sur les effets de la politique des pôles de compétitivité , et identifient plusieurs facteurs d'amélioration de leur efficacité, en soulignant notamment la nécessité de renforcer leur évaluation et de remédier à l'hétérogénéité de leurs performances , ainsi que d'accroître leur articulation avec la politique industrielle nationale et européenne .

E n 2016 , le Gouvernement a annoncé une réforme des pôles de compétitivité pour clarifier les rôles respectifs de l'État et des régions, à la suite de la réforme territoriale opérée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et pour assurer une plus grande cohérence avec les objectifs de la Nouvelle France industrielle.

Les principales orientations de ces travaux, présentées en mars 2017, ont consisté, d'une part, à mieux articuler l'action des pôles avec les orientations nationales, en favorisant leur participation active aux instances de pilotage de la politique industrielle animées par l'État au niveau national, d'autre part, à mieux ancrer les pôles dans leur écosystème régional, par le lancement du volet régionalisé du PIA, doté de 500 M€ pour conduire des actions territorialisées en collaboration entre l'État et les régions. Mais cette réflexion n'a pas abouti à une réforme plus globale des pôles, telle qu'elle était envisagée au départ .

D'après la direction générale des entreprises, une évaluation de cette troisième phase sera conduite en 2018, pour préparer la quatrième phase, annoncée pour 2019.

(4) Des axes d'évolution pour renforcer la valeur ajoutée des pôles

Aux yeux de vos président et rapporteur, la politique des pôles de compétitivité doit être réaffirmée et confortée. Cette politique a porté ses fruits dans l'ensemble des territoires, comme le démontrent concrètement les nombreux projets développés par les pôles. Or, il est à cet égard préoccupant que cette politique majeure ne soit pas même mentionnée dans les annonces du Premier ministre, Édouard Philippe, au Conseil national de l'industrie le 20 novembre 2017, sur la réorganisation de la stratégie industrielle nationale, comme l'ont souligné à juste titre les représentants de CCI France entendus par la mission.

Pourtant, les pôles peuvent être, sur les territoires, des relais puissants pour la stratégie industrielle de l'État. Votre mission insiste donc pour que les pôles soient systématiquement intégrés aux actions de développement économique, qu'il s'agisse de promotion de la compétitivité, de transformation numérique, de transition énergétique, d'attractivité des territoires, et qu'ils soient associés directement aux actions stratégiques qui sont définies tant d'un point de vue global que dans le cadre des stratégies propres à chaque filière.

Proposition n° 26 : Réaffirmer le rôle majeur des pôles de compétitivité pour la mise en oeuvre des actions de l'État en faveur de l'industrie, notamment dans le cadre des stratégies de filières.

Les pôles de compétitivité doivent pouvoir assurer concomitamment une double mission : d'une part, favoriser le développement d'activités économiques innovantes et, d'autre part, contribuer à l'équilibre économique des territoires .

Si une distinction peut effectivement être opérée entre les pôles à vocation nationale ou internationale et les pôles à vocation territoriale, qui ne répondent pas aux mêmes objectifs, le maillage actuel du territoire par les pôles de compétitivité doit être conservé . Le maintien de ces « écosystèmes d'innovation en devenir » permet de conserver dans l'ensemble des territoires un terrain propice à l'innovation, et de préserver les outils existants en matière d'accompagnement aux PME.

Certes, comme l'a recommandé l'économiste Pierre Veltz lors de son audition, les projets ne doivent pas être prisonniers des logiques de territoires : pour certains projets d'ampleur, comme le développement du véhicule autonome, il est préférable de concentrer l'ensemble des moyens sur un territoire donné et de mener des expérimentations à grande échelle, plutôt que de multiplier des initiatives d'envergure limitée et qui pourraient s'avérer redondantes, voire concurrentes. Mais cette nécessité de concentrer les moyens n'est en rien incompatible avec l'objectif d'aménagement du territoire, si chaque territoire est effectivement doté d'une spécialisation dans un domaine particulier. À cet égard, Agri Sud-Ouest Innovation et Aerospace Valley, qui s'étendent sur les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie et offrent des relais locaux dans les départements, sont des exemples à suivre.

Pour autant, il faut veiller à éviter un trop grand « cloisonnement » des spécialisations des pôles. Certaines innovations sont susceptibles de concerner plusieurs domaines, et il est ainsi important qu'il puisse y avoir une forte mise en réseau ou une mutualisation des stratégies entre pôles thématiques. Il en va ainsi, par exemple, des technologies embarquées qui peuvent trouver des applications dans l'aéronautique, l'aérospatial, l'automobile, le ferroviaire, ou des innovations en matière biomédicale , qui peuvent concerner tant la santé que l'agroalimentaire.

Aussi votre mission estime-t-elle qu'il convient de conforter le mouvement déjà engagé de renforcement des coopérations entre les pôles, pour accroître encore les synergies possibles entre les acteurs.

Proposition n° 27 : Conserver un maillage fin du territoire en favorisant la mise en « réseau » des pôles de compétitivité, qui doivent être incités à mutualiser leurs compétences thématiques.

Votre mission se montre par ailleurs vivement préoccupée par la baisse continue des crédits spécifiquement affectés par l'État à cette politique, notamment dans le cadre du FUI . En effet, même s'il est indispensable que les pôles développent davantage leurs capacités d'autofinancement dans le cadre de la mise en place de partenariats avec les entreprises, faute d'un financement suffisant de l'État, ils sont de plus en plus contraints de recourir à des cofinancements des différentes collectivités locales concernées, très lourds à mettre en oeuvre et qui parfois s'avèrent impossibles à dégager à quelques milliers d'euros près. En outre, le financement des projets des pôles apporté par les régions - qui a représenté 60 M€ en 2016 ainsi que l'ont précisé les représentants de Régions de France à votre rapporteur - ne compense pas la baisse drastique des crédits d'État.

Elle estime par ailleurs qu'au même titre que d'autres projets d'innovation, les pôles de compétitivité devraient pouvoir faire l'objet d'un financement plus important dans le cadre du PIA ou du Grand plan d'investissement . Certes, interrogé par votre rapporteur, le Secrétariat général pour l'investissement a fait valoir que le prêt à l'industrialisation des pôles de compétitivité (PIPC) n'avait bénéficié qu'à cinq projets, pour un montant de 4,4 M€ sur l'enveloppe de 100 M€ initialement prévue, ce qui a conduit le Gouvernement à le clôturer en mai 2015 116 ( * ) . Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, aucune ligne spécifique de prêt n'est plus offerte aux pôles. Sachant qu'un concours financier d'un ou deux millions d'euros peut avoir des résultats concrets ayant un effet d'entraînement majeur dans certains pôles, votre mission insiste pour le rétablissement d'une ligne de crédit dédiée dans le cadre du PIA ou du Grand plan d'investissement.

Il est, en tout état de cause, nécessaire que les pôles de compétitivité disposent d'une certaine visibilité au regard de leur financement public. Or, de l'avis de plusieurs personnes entendues par vos président et rapporteur, les modalités actuelles sont trop complexes et manquent d'une souplesse qui permettrait à de nombreux pôles de réduire les périodes de découvert ou de tensions budgétaires. Votre mission appelle donc à la définition d'un cadre financier pluriannuel par l'État, qui permettrait aux pôles d'élaborer une stratégie de développement à plus long terme.

Ce regain de financement public doit aller de pair avec une meilleure sélection des projets soutenus. À cet égard, les membres de la délégation de la mission qui s'est rendue à Toulouse ont jugé très pertinente la mise en place par le pôle Agri Sud-Ouest Innovation d'un comité de « labellisation » interne, qui ne se concentre pas sur la valeur scientifique d'une innovation, mais évalue également sa capacité d'industrialisation, l'existence de débouchés réels sur le marché et les conditions de son financement. Cette « bonne pratique » locale devrait être généralisée dans les différents pôles, et être mise en oeuvre pour sélectionner les projets qui seront non seulement soutenus par les crédits d'État mais aussi par ceux émanant des collectivités territoriales.

De même, l'intervention financière de l'État doit être repensée pour favoriser des stratégies industrielles d'envergure nationale. Ainsi, il ne devrait pas limiter les appels d'offres à des projets portant exclusivement sur de l'industrie manufacturière pure, mais en intégrant la dimension de service industriel , comme l'ont préconisé les professeurs Pierre-Noël Giraud et Pierre Veltz devant les membres de la mission.

Proposition n° 28 : Mettre un terme au désengagement financier de l'État en faveur des pôles de compétitivité tout en favorisant davantage, dans le cadre d'une logique pluriannuelle, le financement de projets présentant une dimension de « service industriel » et visant la mise sur le marché des produits issus de l'innovation.

Enfin, il faut souligner que les pôles, parce qu'ils sont fortement territorialisés, ne peuvent exercer leurs prérogatives que dans une zone géographique déterminée . Or, il convient de s'interroger sur la rigidité actuelle du zonage territorial des pôles , qui, comme l'ont souligné Christophe Lerouge et Simon Leguil, représentants de la DIRECCTE Occitanie, rend parfois difficile les collaborations interentreprises au-delà du périmètre territorial strictement défini pour chaque pôle. Sans nécessairement conduire à supprimer tout zonage, votre mission estime qu'il devrait être assoupli.

C'est pourquoi, votre mission estime particulièrement pertinentes les démarches qui visent à développer des « hôtels à projets » , qui relèvent moins d'une telle logique territoriale. Ce type d'initiative peut constituer, dans les territoires, des compléments particulièrement bienvenus pour favoriser l'innovation technologique en vue d'une mise sur le marché . Ainsi que l'ont souligné les représentants du MEDEF au cours de leur audition au Sénat, l'ensemble des projets réalisés à ce jour dans les pôles n'a abouti qu'à environ 1 000 dépôts de brevets et seule la moitié des projets (environ 750) a donné lieu à la commercialisation d'un nouveau produit ou d'un service. Le développement d'hôtels à projets servirait donc de catalyseur pour transformer les pôles en « usines à produits », alors qu'ils restent encore pour la plupart des « usines à projets ».

L'hôtel à projets FactoryLab , qu'une délégation de votre mission a pu visiter lors d'un déplacement sur le plateau de Saclay, en est à ce jour l'exemple le plus abouti.

L'HÔTEL À PROJETS FACTORYLAB

Inauguré en septembre 2016 , l'hôtel à projets FactoryLab a été fondé par des acteurs académiques (le List, qui est l'un des trois instituts de recherche technologique de CEA Tech, le Centre technique des industries mécaniques ou Cetim, l'école des Arts et Métiers), des acteurs privés (Dassault systèmes, Naval group, le groupe PSA, Safran, Actemium) et des acteurs institutionnels (Bpifrance, la direction générale des entreprises, l'Alliance Industrie du futur). Il réunit désormais 24 membres.

Il met en relation des utilisateurs finaux de technologies , tels que les grands groupes industriels, avec des fournisseurs et des intégrateurs de technologies . Ceux-ci peuvent ainsi mieux identifier les besoins concrets des utilisateurs finaux et faire connaître leur offre, tandis que les utilisateurs finaux peuvent tester de nouvelles technologies en mutualisant les risques et les ressources au travers de partenariats. Ils peuvent aussi bénéficier de formations sur les thématiques de l'industrie du futur.

Les membres du FactoryLab mettent ainsi en commun des moyens, des compétences et des outils pour développer des projets dans trois domaines : l'usine digitale flexible (en particulier, l'interopérabilité des moyens connectés et la modélisation, la simulation et l'optimisation de l'outil de production), l'automatisation de la fabrication et du contrôle et l'assistance à l'opérateur , qu'elle soit physique ou cognitive.

Le FactoryLab privilégie les projets courts et ciblés (de six à dix-huit mois) et les technologies matures, afin que les projets développés puissent être rapidement déployés dans l'industrie.

Depuis sa création, 18 projets ont fait l'objet d'une étude de faisabilité et 12 projets ont été initiés pour 6,4 M€ . Ces projets concernent notamment l'assistance aux gestes de montage, de contrôle et de maintenance par la réalité augmentée, l'aide à la manipulation précise de charge, l'aide à la conception et à l'évolution d'une ligne de production, la planification de tâches, etc.

Cette démarche représente un budget de 40 M€ sur cinq ans, dont 15 M€ issus des pouvoirs publics. Elle est soutenue par le PIAVE (Projet Industriel d'AVEnir) piloté par le Commissariat général à l'investissement et opéré par Bpifrance.

Proposition n° 29 : Développer, au sein des pôles de compétitivité, des « hôtels à projets » afin de favoriser l'innovation technologique en vue d'une mise sur le marché.

C. RENOUVELER CERTAINS OUTILS D'INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS

1. Dynamiser le rôle de l'État actionnaire

La détention actionnariale n'est certes pas le seul instrument, ni l'instrument toujours le plus efficace, pour mettre en oeuvre une stratégie industrielle au niveau microéconomique, mais elle peut se révéler un instrument pertinent si elle est utilisée à bon escient .

À l'heure actuelle, l'État participe au capital de nombreuses entités économiques, soit de manière indirecte , via des « opérateurs » que sont la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance, soit plus directement par le biais de l'Agence des participations de l'État (APE), créée en 2004.

a) Un actif « historique » qui permet à l'État d'être partie prenante aux stratégies de grands groupes industriels

L'intervention de la Caisse des dépôts et consignations et de Bpifrance s'effectue dans le cadre d'une politique stratégique prédéfinie : soutenir les politiques dans le domaine des infrastructures et l'aide financière aux collectivités pour la première, accompagner les TPE, PME et ETI dans leurs besoins de financement, le cas échéant par une prise de participation minoritaire et transitoire, pour la seconde. En revanche, il appartient à l'APE de gérer le reste des actifs détenus dans les autres entités dans lesquelles l'État est présent au capital.

Source : rapport d'activité 2017 de l'APE.

Ces participations représentent un portefeuille de 81 sociétés et de 100 Md€ d'actifs , qui en fait, selon Martin Vial, directeur de l'APE entendu par votre mission, le premier gestionnaire de participations publiques en Europe, même s'il demeure dans un rapport de 1 à 50 par rapport à l'institution homologue chinoise.

(1) L'exercice des prérogatives d'actionnaire permet d'intervenir fortement dans la détermination de la stratégie d'entreprise

En exerçant les prérogatives dévolues aux actionnaires, l'État est d'abord en mesure d'influer sur la détermination des stratégies d'entreprises.

Il bénéficie du droit à l'information attaché aux actions qu'il détient, et lorsque le niveau de sa participation le permet, il peut être représenté au sein des instances de direction ou de contrôle, ou participer de façon influente à la désignation des administrateurs des sociétés dans lesquels il est présent. Ainsi, selon l'APE, l'État a participé en 2016-2017 à la nomination de 824 administrateurs qui siègent actuellement aux conseils des entreprises du périmètre de l'APE, dont 240 administrateurs représentant l'État.

En application du droit des sociétés, c'est bien en effet le conseil d'administration ou le conseil de surveillance qui détermine les orientations stratégiques majeures, le directeur général ou le directoire devant répondre devant cette instance de la gestion quotidienne de la société. 117 ( * )

Votre mission est d'ailleurs convaincue que, s'il avait encore été présent au capital d'Alstom en 2014, l'État n'aurait par exemple pas été à ce point pris de court par les négociations menées par Patrick Kron pour le rachat par General Electric de la branche « Energie » du groupe, même s'il semble qu'il ait étudié dès 2012 l'éventualité d'un retrait de l'actionnaire de référence Bouygues, de nature à impacter fortement Alstom. 118 ( * )

Du reste, l'APE a indiqué à votre rapporteur que sa position d'actionnaire lui avait effectivement permis de prendre une part active à des décisions stratégiques des entreprises concernées : la création d'un leader européen de l'armement terrestre (KNDS), issu de la fusion de Nexter Systems (détenu à 100 % par l'État) et de KMW (issu d'un actionnariat familial allemand), détenu à 50 % par l'État ; le rapprochement des activités de Safran et d'Airbus dans le domaine des lanceurs spatiaux ; l'acquisition par PSA d'Opel/Vauxhall, qui donnera au groupe une taille critique en bénéficiant de fortes synergies ; l'acquisition de Zodiac par Safran pour constituer un leader mondial de l'aéronautique ; le projet d'acquisition de Gemalto par Thalès visant à favoriser l'émergence d'un champion mondial de la cybersécurité et de l'internet des objets sécurisés.

La détention directe par l'État du capital d'une société lui permet ainsi de disposer d'une capacité de réaction stratégique plus efficace et rapide que lorsque cette participation intervient par le truchement d'un opérateur comme la Caisse des dépôts et consignations ou Bpifrance. C'est la raison majeure pour laquelle en septembre 2016 l'État a repris directement en gestion la participation de 25,66 % du capital jusqu'alors détenue par Bpifrance dans la société Eramet, afin de renforcer sa présence dans le cadre du sauvetage de la société Le Nickel (SLN).

Cette détention actionnariale a, en outre, plusieurs fois été utilisée pour contribuer à éviter la disparition de « champions » industriels français.

À ce titre, l'action de l'État vis-à-vis d'Alstom a été salutaire en 2005, et a permis au groupe de prendre un nouveau départ, ainsi que l'a mis en exergue votre mission. 119 ( * ) De même, c'est bien l'intervention de l'État actionnaire qui a sauvé en 2014 le groupe PSA d'une mort annoncée, en entrant à son capital à hauteur de 14,1 %. L'opération de recapitalisation en 2017 d'Areva, devenue Orano, en constitue également une illustration récente.

(2) La volonté de l'État d'exercer un rôle d'actionnaire « normal » et d'« investisseur avisé »

Lors de son audition, Martin Vial, Commissaire aux participations de l'État et directeur général de l'APE, a évoqué la volonté de l'APE de se comporter comme un « actionnaire normal » et de « banaliser » sa présence au sein des instances dirigeantes des groupes dans lesquels l'État est présent.

S'il s'agit effectivement de faire en sorte que les représentants de l'État dans les conseils d'administration, directoires ou conseils de surveillance soient désignés selon les mêmes procédures que les autres administrateurs, qu'ils aient une connaissance effective de la vie des entreprises et qu'ils soient à même de développer une vision stratégique favorable à l'entreprise, cette recherche de « normalisation » est effectivement souhaitable : elle permet de favoriser un bon fonctionnement des organes de direction ou de contrôle.

Selon ses représentants, l'APE s'inscrit dans une logique « d'investisseur avisé », et à ce titre, ses équipes 120 ( * ) défendent, auprès des dirigeants et au sein des conseils ou comités des sociétés concernées, « les orientations susceptibles d'accroître dans le long terme la valeur des participations de l'État ; elles analysent les principaux programmes d'investissement et de financement ainsi que les grands projets d'acquisition ou de cession des entreprises ; elles portent les positions de l'État lors des assemblées d'actionnaires et se prononcent notamment sur la composition des conseils ; elles participent aux choix des dirigeants ; elles contribuent à l'élaboration de la politique de dividendes de l'État actionnaire ; elles examinent les comptes et les budgets des entreprises et proposent les positions de vote à adopter pour leur approbation. De façon générale, elles participent aux organes sociaux des entreprises et assurent la cohérence des positions des représentants de l'État. »

Cette description montre à elle seule que la mission première de l'APE, bras armé de l'État actionnaire dans les grandes entreprises, est d'abord une action de gestion d'un actif historique, afin d'en tirer des dividendes . À ce titre, 3,5 Md€ et 2,8 Md€ ont respectivement été versés à l'APE, au titre de ces participations en 2016 et 2017 , dont respectivement 1,7 Md€ puis 1,3Md€ ont pris la forme de titres d'EDF.

Quoi qu'il en soit, l'État actionnaire ne saurait se contenter de n'être qu'un « banal investisseur », animé en premier lieu par un souci de rentabilité économique et la perspective d'engranger un maximum de dividendes, même si ceux-ci peuvent être ensuite utilisés pour financer des politiques publiques. Dans sa mission d'actionnaire comme dans les autres , l'État ne saurait se départir d'une vision d'intérêt général à long terme qui doit nécessairement orienter son intervention capitalistique dans les entreprises.

Des difficultés apparaissent dans les cas où l'intérêt de l'entreprise, perçu stricto sensu , nécessite, comme c'est parfois le cas, l'adoption de mesures qui sont en contradiction avec les grands objectifs de politique publique. On pense évidemment aux décisions qui peuvent avoir un impact sur l'emploi... C'est en ce sens que certains - à l'instar de David Azéma, ancien directeur général de l'APE - soulignent les « contradictions de l'État actionnaire » 121 ( * ) , et les difficultés qu'il peut avoir à exercer sereinement ses prérogatives, dans le sens de l'intérêt de l'entreprise.

Source : rapport d'activité 2017 de l'APE.

(3) Une doctrine actionnariale de l'État qui se cherche

Le portefeuille actuel de l'APE, tant en ce qui concerne les entités dans lesquelles il est présent que le taux de sa participation dans ces dernières, est très disparate. Il est le résultat d'une sédimentation des choix fluctuants de l'État au cours des quatre-vingts dernières années dans le cadre des modalités de son interventionnisme économique .

Pour autant, la gestion des participations de l'État ne présente pas un caractère monolithique, le périmètre de participation de l'APE évoluant de façon permanente . Ainsi, de 2015 à 2017, des mouvements à hauteur de 10 Md€ sont intervenus dans son portefeuille.

LES OPÉRATIONS RÉALISÉES PAR L'APE DE 2015 À 2017

Douze opérations de cessions ont été réalisées en 2015, 2016 et 2017 pour un montant global de plus de 10 Md€ :

- Cession de 49,99 % du capital de l'aéroport de Toulouse ;

- Cession de 60 % du capital des aéroports de Nice et Lyon ;

- Trois cessions de blocs de titres Safran (3,96 % ; 2,64 % puis 1,39 % du capital) et trois cessions de blocs de titres Engie (0,48 % ; 3,7 % puis 4,1 % du capital) sous forme de placement institutionnel accéléré ;

- Cession de l'intégralité de la participation de l'État au capital de PSA, Renault ;

- Cession de droits préférentiels de souscription d'EDF à l'occasion de l'augmentation de capital de l'entreprise en mars 2017.

À l'inverse, les investissements réalisés sur ces trois années s'élèvent à près de 10 Md€. Six entrées ou montées au capital ont été réalisées en 2015, 2016 et 2017 pour un montant total de près de 4,3 Md€ :

- achat de titres Renault et Air France en 2015 ;

- achat de la participation de Bpifrance au capital d'Eramet ;

- achat de 51 % de Technicatome ;

- achat de titres puis augmentation de capital de New Areva holding SA, devenu Orano.

Par ailleurs, l'État a souscrit à des augmentations de capital dans ces sociétés dans lesquelles il était déjà présent :

- EDF, pour 3 Md€ ;

- Areva SA, pour 2,3 Md€ ;

- Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), pour 90 M€ ;

- Radio France, pour 27,5 M€ ;

- Société pour le logement intermédiaire (SLI), à hauteur de 37 M€ ;

- Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), pour 20 M€.

Source : APE.

En 2014, l'État a entrepris de définir les objectifs de son action en qualité d'actionnaire autour de quatre axes :

- assurer un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté , c'est-à-dire notamment les activités nucléaires et les activités liées à la défense nationale ;

- assurer l'existence d'opérateurs « résilients » pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays ;

- intervenir ponctuellement en sauvetage lorsque la disparition d'une entreprise présenterait un risque systémique avéré pour l'économie nationale ou européenne ;

- accompagner le développement et la consolidation d'entreprises nationales , en particulier dans des secteurs et des filières stratégiquement déterminantes pour la croissance économique nationale.

Selon Martin Vial, le Gouvernement souhaite désormais conduire un recentrage sur les trois premiers de ces axes prioritaires et une « respiration » du portefeuille de l'APE est ainsi envisagée.

Votre mission salue cette volonté de pilotage stratégique qui succède à une longue période de gestion d'actifs pour le compte de l'État dépourvue d'une véritable « doctrine ». Elle regrette néanmoins qu'à l'heure actuelle, ces choix restent définis uniquement par l'exécutif , avec une information a posteriori du Parlement lorsque les arbitrages ont été réalisés. Or, la représentation nationale doit être associée très directement aux choix stratégiques de l'État actionnaire.

La mission appelle donc le Gouvernement, via l'APE, à informer et à consulter périodiquement, de manière annuelle ou semestrielle, les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale sur la stratégie de cession ou d'acquisition d'actifs qu'elle entend mener. Compte tenu de la confidentialité qui s'attache aux informations relatives aux décisions de cessions ou d'achats d'actifs, il conviendra de trouver des modalités d'information qui concilient transparence des décisions et respect de la confidentialité. 122 ( * )

Proposition n° 30 : Associer directement le Parlement à la définition et à la mise en oeuvre de la stratégie de l'état actionnaire, en informant et consultant périodiquement les commissions permanentes compétentes du Sénat et de l'Assemblée nationale de la stratégie de cession ou d'acquisition d'actifs qu'elle entend mener.

b) Réorienter l'actionnariat de l'État pour optimiser son intervention stratégique
(1) Envisager des cessions d'actifs pour mieux en investir le produit dans des activités stratégiques

Votre mission est convaincue de l'intérêt stratégique et opérationnel d'un « actionnariat d'État » et qu'il ne faut pas céder aux sirènes qui laissent croire que l'intervention de l'État est toujours plus efficace lorsqu'il n'est que le simple régulateur d'une activité économique détenue par des capitaux exclusivement privés. Pour autant, elle est aussi pleinement consciente que l'intervention capitalistique de l'État doit s'effectuer avec parcimonie , tant au regard de la situation contrainte des finances publiques françaises que des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État.

Pour exercer ses choix d'intervention, vos président et rapporteur estiment que l'État, par le biais de l'expertise de l'APE, doit adopter une double démarche d'évaluation destinée :

- d'une part, à mieux distinguer les besoins d'une présence au capital à vocation pérenne de celle à vocation transitoire .

La présence pérenne de l'État dans des entreprises qui constituent des opérateurs d'activités vitales pour la Nation, comme le nucléaire ou certaines activités intéressant la défense nationale, est tout à fait indispensable.

Dans d'autres situations, l'intervention de l'État au capital peut ne résulter que de circonstances conjoncturelles, qui permettent de ne l'envisager que pour un temps limité, conduisant à un désengagement à court ou moyen terme. C'est le cas, en particulier, des actions de « sauvetage » d'entreprises dont la disparition aurait des conséquences systémiques.

Mais, dans une telle hypothèse, il importe que le retrait total de l'État du capital social soit conditionné à l'entrée d'un ou plusieurs nouveaux actionnaires privés de long terme, dans des conditions et selon des modalités de nature à protéger le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France ;

- d'autre part, de dissocier l'investissement stratégique de l'investissement de « rente ».

La détention capitalistique permet non seulement à l'État de participer à la définition d'une stratégie d'entreprise, mais également de tirer un avantage financier de sa qualité d'actionnaire. Il s'agit donc de mettre en regard le volume de capital public immobilisé et ses effets, tant en termes de gouvernance que de retour financier via les dividendes qu'il produit.

Cette dernière dimension ne doit d'ailleurs pas être sous-estimée. Il n'est ainsi pas négligeable, pour l'État, de disposer dans Orange d'une participation à hauteur de 13,39 % du capital, qui lui a procuré en 2016 près de 1,6 Md€ de dividendes. En outre, les conditions dans lesquelles l'État a procédé en 2006 à la cession de ses actifs dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes mettent clairement en exergue le fait que le désengagement éventuel de l'État du capital d'un opérateur ne doit pas conduire à le priver d'une manne financière durable, tout en créant un effet d'aubaine pour des investisseurs privés ... Il convient de ne pas renouveler ce type d'erreur, qui s'explique d'abord par un défaut de vision à long terme.

L'investissement stratégique, quant à lui, n'implique pas nécessairement que l'État dispose d'une majorité du capital social, ce qui pour des grands groupes peut constituer une immobilisation en capital d'un volume considérable. Il convient de déterminer, au cas par cas, en fonction de la structure actionnariale, le niveau de présence souhaitable pour l'État, afin de le mettre en situation d'exercer les leviers de gouvernance nécessaires à la mise en oeuvre de ses projets.

C'est à l'aune de ces différentes considérations que doit être analysée l'annonce faite par le Gouvernement, par le biais du ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, de son intention de céder des participations de l'État dans Aéroports de Paris (ADP) ou dans la Française des jeux (FDJ).

Si, effectivement, la détention publique de la FDJ n'est pas commandée en elle-même par des intérêts stratégiques, bien qu'elle assure à l'État un dividende confortable d'environ 230 M€ par an, votre mission ne peut que souligner le précédent fâcheux constitué par la cession à un groupe chinois d'une partie du capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac détenue par l'État .

Les infrastructures de transport, notamment aérien, constituent en effet un élément stratégique de la Nation et l'État doit pouvoir être présent au capital des opérateurs des principaux aéroports pour être pleinement informé et pouvoir participer aux décisions importantes. La mission relève d'ailleurs que le Gouvernement s'est engagé en février 2018 à conserver une participation au sein de cet aéroport, preuve que la présence actionnariale de l'État reste nécessaire pour peser... La vente de tout ou partie du capital d'Aéroports de Paris (ADP) détenu par l'État devra donc, si elle se produit, être compensée par des mesures de régulation garantissant aux pouvoirs publics un réel contrôle de ses infrastructures.

À l'issue de cette démarche d'évaluation préalable du portefeuille, votre mission estime donc qu'il est justifié que l'État procède à certaines cessions de participations lorsque le recours à des instruments permettant à l'État d'exercer une influence sur les décisions stratégiques d'une entreprise est de nature à réduire le niveau de sa participation, sans pour autant conduire à une sortie totale du capital.

Mais votre mission insiste pour que, en tout état de cause, cette cession d'actifs s'effectue d'abord en vue de favoriser l'investissement productif . Elle ne doit pas être utilisée comme une mesure d'expédient ponctuelle.

Or, tel ne semble pas être l'ambition du Gouvernement, qui a annoncé vouloir consacrer une partie des sommes résultant des futures cessions à une action de désendettement budgétaire. Quant au choix également annoncé de financer « l'innovation de rupture » par ce biais, en constituant un « fonds pour l'innovation de rupture » 123 ( * ) doté de 10 Md€, dont seuls les revenus générés par le placement de cette somme seraient effectivement investis dans l'innovation - soit environ 200 M€ par an - votre mission l'estime discutable .

On peut en effet s'interroger fortement sur l'intérêt financier de céder des titres dont le rendement est de 3,5 % l'an, voire 4,1 % (si l'on considère le portefeuille de l'État, hors énergie) pour les placer à un taux de 2 à 3 %. Il serait plus judicieux financièrement, et plus simple en pratique, d'affecter directement une partie des dividendes générés par le portefeuille de l'État au financement de l'innovation .

Surtout, votre mission s'inquiète pour les capacités futures d'intervention de l'État. Qui se doutait au début des années 2010 qu'il faudrait trouver 12 Md€ pour restructurer la filière nucléaire ? La France a pu conduire cette action considérable sans peser sur le budget de l'État, parce que le portefeuille de l'État le permettait. Ce sont des cessions d'actifs qui ont permis les recapitalisations. De même, le pays a pu intervenir à des moments-clés dans l'actionnariat de Peugeot, de Renault ou plus récemment de STX, parce que l'État disposait d'actifs cessibles et donc de marges financières. On peut donc craindre que les cessions massives annoncées par le Gouvernement et le resserrement du portefeuille de l'État sur un nombre réduit de valeurs n'obèrent fortement les capacités d'intervention de l'État dans le capital de sociétés stratégiques.

Proposition n° 31 : Redéfinir le niveau des participations de l'État dans certaines entreprises, pour mieux investir directement les sommes résultant de la vente de ces actifs dans des activités stratégiques pour l'industrie, sans les reverser nécessairement au fonds pour l'innovation de rupture annoncé par le Gouvernement dont le rendement pourrait s'avérer moindre que celui des participations actuelles .

En outre, il est indispensable que la réduction de l'intervention capitalistique de l'État s'accompagne de la mise en place de mécanismes d'information, de contrôle et de décision susceptibles de bénéficier à l'État, actionnaire minoritaire et, en tout état de cause, qu'elle s'effectue de manière à garantir la pérennité à long terme de l'activité des entreprises concernées.

(2) Des corollaires indispensables à tout désengagement de l'État

En cas de désengagement partiel de l'État , la mission n'envisage la réorientation de l'actionnariat de l'État, qui conduirait notamment à faire perdre à ce dernier la qualité d'actionnaire majoritaire ou d'actionnaire de référence d'une entreprise stratégique, qu'à à la condition d'une mise en place corrélative de mécanismes d'information, de contrôle et de décision au bénéfice de l'État.

Le droit des sociétés offre en effet aujourd'hui de multiples mécanismes, de nature légale, statutaire ou extra-statutaire, permettant à l'État de conserver un rôle privilégié dans la conduite des sociétés dans lesquels il est actionnaire minoritaire.

Du reste, des mécanismes de ce type sont déjà mis en place dans certaines entreprises du portefeuille de l'APE. Il en va ainsi des droits de vote double attachés aux actions de l'État dans :

- Engie : grâce à ce mécanisme, l'État bénéficie de la quasi majorité en assemblée générale avec une participation de 24,1 % du capital et le tiers des droits de vote ;

- Renault : compte tenu des droits de vote double, le niveau actuel de détention (15,01 %) assure de facto une minorité de blocage en assemblée générale.

Des pactes d'actionnaires lient également l'État à d'autres actionnaires d'une même société, et lui permettent ainsi de bénéficier d'un poids décisif pour la prise de certaines décisions de la vie de l'entreprise. Tel est le cas, par exemple :

- pour Eramet, dans lequel l'État est lié par un pacte avec la famille Duval ;

- pour Thalès, où existe un pacte d'actionnaires avec Dassault.

Enfin, l'État dispose dans certaines sociétés d'actions spécifiques, d'actions de préférence, voire de conventions de protection des actifs stratégiques. On peut en particulier citer :

- l'action de préférence détenue au capital d'Ariane Group ;

- l'action spécifique et la convention détenues chez Thales ;

- les conventions conclues entre l'État et Safran ou entre l'État et MBDA.

Vos président et rapporteur soulignent que c'est également une action spécifique qui a été instituée au profit de l'État dans le cadre de la coentreprise GEAST, créée lors de la cession à General Electric de sa branche « Énergie », et destinée à l'activité de turbines dans le domaine nucléaire. 124 ( * )

Si l'institution d'une action spécifique est très encadrée 125 ( * ) , notamment en raison de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne 126 ( * ) , la mise en place d'actions de préférence ou de pactes d'actionnaires sont des mécanismes beaucoup plus souples. La mission invite donc l'APE à envisager et à négocier de tels mécanismes préalablement à toute réduction du niveau de la participation de l'État.

Proposition n° 32 : En cas de désengagement partiel de l'État d'entreprises stratégiques, mettre en place des mécanismes préservant les prérogatives de l'État actionnaire en matière d'information, de contrôle et de décision.

En cas de désengagement complet de l'État de certaines entreprises qui n'apparaissent pas suffisamment stratégiques, la mission estime nécessaire pour l'État de rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France. Privatiser des actifs importants pour la Nation sans avoir de garantie sur la présence d'actionnaires stables, favorables aux intérêts de la France, ce serait en effet reproduire les erreurs commises dans les années 1990, et dont le démantèlement de la Compagnie générale d'Électricité (CGE) et le rachat progressif de ses activités par des groupes étrangers sont la flagrante illustration. 127 ( * )

Le cas échéant, l'État doit négocier avec ces investisseurs des engagements précis en la matière, sur une durée suffisante et avec exécution progressive des obligations. À cet égard, la mission souligne les travers des engagements souscrits pour une période déterminée, avec une échéance fixe et sans une sortie progressive du dispositif, pleinement mis en lumière dans le cadre de la cession de la branche « Énergie » d'Alstom à General Electric en 2014, puis dans le cadre de la prise de contrôle d'Alstom par Siemens. 128 ( * )

Votre mission souligne l'intérêt que peut avoir, dans ce cadre, le recours à l'actionnariat salarié, qui est un élément stabilisateur des entreprises. La sortie de l'État doit permettre d'envisager de renforcer le niveau de détention du capital par les salariés de l'entreprise concernée , dans des conditions et selon des modalités à déterminer au cas par cas. 129 ( * )

Proposition n° 33 : En cas de désengagement complet de l'État, rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décision, de recherche et de production en France.

c) Envisager un transfert partiel de la gestion de certains actifs vers Bpifrance ?

Comme l'a souligné l'APE, l'intervention de l'État actionnaire et de Bpifrance est encadrée par des doctrines d'intervention complémentaires l'une de l'autre.

Bpifrance privilégie des prises de participation minoritaires , essentiellement dans de petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, en partenariat avec d'autres investisseurs en apportant de nouveaux fonds propres avec une perspective de sortie au terme d'une étape donnée de leur développement, de leur croissance internationale ou de leur consolidation. Votre mission juge cette orientation et les résultats concrets obtenus par la banque publique très satisfaisante. 130 ( * )

Dans cette perspective, elle estime, que dans le cadre de la réorientation stratégique de ses participations, l'État devrait céder à Bpifrance la gestion des participations qu'il détient dans les entreprises dont il souhaite se désengager partiellement tout en maintenant un financement public de nature à favoriser leur développement.

Votre mission relève d'ailleurs que ce type de démarche a été initié avec la participation détenue par l'État dans le groupe PSA. Constatant le redressement de PSA et son entrée dans une phase de développement international, l'État a décidé de céder en mai 2017 sa participation à Bpifrance pour un montant de 1,920 Md€, enregistrant ainsi une plus-value de 1,120 Md€.

Proposition n° 34 : Mieux formaliser les interventions respectives de l'APE et de Bpifrance et favoriser l'action de cette dernière dans sa stratégie d'accompagnement et d'envol des entreprises engagées dans une sortie progressive de l'État actionnaire.

2. Renforcer la protection des intérêts industriels nationaux

Même si votre mission se refuse à rentrer dans une logique purement « protectionniste », elle ne peut que souligner la faiblesse de l'utilisation actuelle par les pouvoirs publics des outils de protection des intérêts industriels français . Il existe pourtant des instruments qui, du reste, gagneraient à être renforcés.

a) Le contrôle des investissements directs étrangers

Ainsi qu'il l'a déjà été souligné, si le droit de l'Union européenne ne dispose pas, à ce jour, d'un dispositif de contrôle communautaire des investissements directs étrangers au sein de l'Europe 131 ( * ) , il laisse la place à des mécanismes de contrôle nationaux d'ampleur variable, sous réserve qu'ils ne méconnaissent pas les règles de liberté des capitaux posées par les traités européens. À l'instar d'autres États membres, et comme de nombreux États tiers à l'Union, la France dispose d'un système de contrôle qui lui est propre.

(1) Un contrôle des investissements directs étrangers présent dans de nombreux pays et globalement en voie de durcissement

Les dispositifs de contrôle des investissements directs étrangers sont relativement présents de par le monde. Leur périmètre est variable selon les États, entre ceux qui prévoient des mécanismes d'approbation très stricts, dans une volonté de protection large de l'économie nationale, et ceux qui s'avèrent plus ouverts. Une distinction doit être opérée à cet égard entre les pays membres de l'Union européenne et les États tiers.

(a) Des États tiers à l'Union européenne qui disposent souvent de dispositifs stricts

Parmi les États tiers à l'Union européenne, la Chine est celui qui a mis en place le régime le plus restrictif . En pratique les autorités disposent en effet d'un pouvoir d'appréciation de l'opération quasi discrétionnaire, dans les domaines où l'État juge que les investissements doivent être « restreints », voire « interdits ». 132 ( * )

Les États-Unis - dans le cadre du CFIUS ( Committee on Foreign Investment in the United States ) - et le Canada se distinguent, quant à eux, parmi les pays de l'OCDE, par la rigueur de leur dispositif , même si leur mise en application apparaît en pratique beaucoup moins stricte. 133 ( * )

D'autres États, comme le Japon , l'Australie ou la Nouvelle-Zélande retiennent des champs d'application variables, qui sont pour certains liés à des préoccupations nationales spécifiques , comme l'agriculture, le transport ferroviaire ou l'achat de foncier. 134 ( * )

(b) Des dispositifs en place dans plusieurs États membres de l'Union européenne, qui tendent à se durcir

Treize États membres de l'Union européenne ont mis en place un dispositif de contrôle des investissements directs étrangers.

Compte tenu des exigences des traités européens, les restrictions aux investissements portent sur un nombre limité de secteurs. Mais l'irruption d'investisseurs, notamment chinois, qui rachètent des entreprises emblématiques de la culture industrielle de certains États membres, a conduit à envisager un raffermissement des dispositifs. C'est le cas, notamment, en Allemagne et au Royaume-Uni.

En Allemagne , l'existence d'un mécanisme destiné à contrôler les investissements étrangers est relativement récente : avant 2008, seuls les investissements dans le secteur de l'armement étaient réellement encadrés (le gouvernement pouvait interdire à un investisseur étranger de détenir plus de 25 % des droits de vote de l'entreprise). Le mécanisme actuel trouve son origine en 2007, lorsque les agissements de certains de certains fonds souverains ont inquiété les autorités allemandes. Cette inquiétude a été relayée par les partis politiques en juillet 2007 et l'initiative de rénover le dispositif de contrôle des investissements étrangers a été prise en septembre 2007. La réforme de 2009 a fondé le contrôle des investissements étrangers sur une possible atteinte à l'ordre public et à la sécurité de l'État fédéral . En juillet 2017, la liste des matières concernées a été quelque peu élargie. 135 ( * )

Au Royaume-Uni , il n'existe pas de législation spécifique applicable aux investissements étrangers. Depuis l'adoption de l' Enterprise Act en 2002, le gouvernement britannique ne peut en principe pas intervenir dans les opérations de fusion-acquisition ni imposer aux investissements étrangers des engagements autres que moraux. Trois exceptions sont cependant prévues au titre du « public interest regime » pour permettre au gouvernement d'intervenir lorsque les investissements étrangers touchent à des secteurs d'intérêt général . Le gouvernement de Theresa May a annoncé récemment une révision de la politique de contrôle des participations des entreprises étrangères dans les infrastructures britanniques. Selon le service économique de l'ambassade de France à Londres, les récents projets d'investissements d'entreprises chinoises (y compris publiques) dans des secteurs clefs de l'économie britannique (infrastructures, énergie et technologies) suscitent en effet la méfiance d'une partie de l'opinion, qui s'interroge sur les risques en matière de sécurité nationale (espionnage industriel et dépendance énergétique notamment). 136 ( * )

(2) En France, une procédure qui a vu son champ d'application s'étendre régulièrement

Si la France n'est pas l'une des principales terres d'investissement dans le monde, elle est néanmoins une destination importante des investissements internationaux. Les pouvoirs publics, du reste, favorisent fortement cette ouverture aux capitaux étrangers, et s'efforcent de la faciliter par une action, menée par des opérateurs de l'État comme des collectivités territoriales, visant à attirer les investisseurs. Ainsi, reprenant les attributions de l'Agence française pour les investissements internationaux, Business France assure une mission de promotion de l'investissement en France.

Selon l'opérateur, en 2017, les investisseurs non-hexagonaux ont investi dans 1 298 projets , ce qui représente une hausse de 16 % sur un an . Jamais depuis dix ans, les investissements étrangers n'ont été aussi importants dans notre pays. Ces fonds étrangers auraient permis de créer 26 400 emplois, soit une progression de 6 % par rapport à l'année précédente, et d'en conserver environ 7 000.

LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS 137 ( * ) DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE EN FRANCE

Les investissements accueillis en France dans le secteur de l'industrie manufacturière ont doublé en 15 ans, passant de 75 Md€ à 154 Md€.

Les investissements dans l'industrie automobile ont connu la plus forte augmentation, en étant multipliés par quatre depuis 2000, l'industrie chimique et les industries alimentaires ont également fortement augmenté en étant multipliés par trois.

En stock, c'est dans l'industrie pharmaceutique que ces investissements sont les plus élevés, avec 31 Md€ . L'industrie chimique et l'industrie alimentaire arrivent en deuxième position, avec 30 Md€ chacune, suivies de l'industrie automobile à hauteur de 10 Md€.

Les États-Unis sont le premier investisseur dans le domaine de l'industrie en France, avec un stock d'investissement de plus de 40 Md€, dont plus de 12 Md€ dans les industries alimentaires et 7 Md€ dans l'industrie pharmaceutique. Les investissements en provenance d'Allemagne, du Royaume-Uni et du Japon représentent des stocks allant de 10 Md€ à 13 Md€.

Les investissements étrangers dans les activités de production ont bondi de 23 % en 2017 et représentent 26 % de l'ensemble des investissements étrangers. Selon Business France, ils auraient permis de créer ou maintenir 16 213 emplois sur le territoire.

Sources : direction générale du Trésor, d'après données Banque de France ; Business France.

La France a adopté le principe de la liberté des investissements étrangers à l'occasion de la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger, tout en instituant, « pour assurer la défense des intérêts nationaux », un régime d'autorisation préalable , par décret, pour la constitution et la liquidation des investissements étrangers en France. Néanmoins, par sa généralité, ce régime apparaissait trop restrictif au regard des règles européenne s. C'est pourquoi l'article 30 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit l'a modifié, selon les mots d'Éric Woerth, alors secrétaire d'État, « pour le stabiliser et pour offrir aux investisseurs étrangers une plus grande sécurité juridique, permettre une plus grande souplesse dans les négociations avec les investisseurs et assurer la compatibilité du dispositif avec le droit communautaire . » 138 ( * )

• Le champ d'application de la procédure de contrôle

Aussi la nouvelle rédaction de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier a-t-elle restreint le régime d'autorisation aux investissements étrangers dans une activité en France qui , même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou est :

- une activité de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

- une activité de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives .

Sur ce fondement législatif plus restrictif, l'article R. 153-2 du code monétaire et financier définit une liste limitative précise des activités relevant de ces deux catégories, dans lesquelles un investissement étranger doit être précédé d'une autorisation administrative délivrée par le ministre de l'économie, la direction du Trésor étant chargée de l'instruction des dossiers.

Ainsi que l'a souligné la mission dans le premier volet de ses travaux, 139 ( * ) cette liste limitative, modifiée ponctuellement en 2009 et 2012, ne permettait pas de soumettre à ce régime d'autorisation préalable le rachat par General Electric de la branche « Énergie » d'Alstom. C'est la raison pour laquelle le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable est venu compléter cette liste. Depuis lors, douze activités sont soumises à ce régime.

ACTIVITÉS SOUMISES AU RÉGIME D'AUTORISATION PRÉALABLE DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS

1° Activités dans les secteurs des jeux d'argent, à l'exception des casinos ;

2° Activités réglementées de sécurité privée ;

3° Activités de recherche, de développement ou de production relatives aux moyens destinés à faire face à l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques et à prévenir les conséquences sanitaires d'une telle utilisation ;

4° Activités portant sur les matériels conçus pour l'interception des correspondances et la détection à distance des conversations, autorisés au titre de l'article 226-3 du code pénal ;

5° Activités de services dans le cadre de centres d'évaluation agréés dans les conditions prévues au décret n° 2002-535 du 18 avril 2002 relatif à l'évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l'information ;

6° Activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information d'une entreprise liée par contrat passé avec un opérateur public ou privé gérant des installations au sens des articles L. 1332-1 à L. 1332-7 du code de la défense ;

7° Activités relatives aux biens et technologies à double usage énumérés à l'annexe IV du règlement (CE) n° 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage ;

8° Activités relatives aux moyens de cryptologie et les prestations de cryptologie mentionnés aux paragraphes III, IV de l'article 30 et I de l'article 31 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;

9° Activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale notamment au titre des marchés classés de défense nationale ou à clauses de sécurité conformément aux articles R. 2311-1 et suivants du code de la défense relatifs à la protection du secret de la défense nationale ;

10° Activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre et assimilés réglementés par le titre III ou le titre V du livre III de la deuxième partie du code de la défense ;

11° Activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d'étude ou de fourniture d'équipements au profit du ministère de la défense, soit directement, soit par sous-traitance, pour la réalisation d'un bien ou d'un service relevant d'un secteur mentionné aux points 7° à 10° ci-dessus ;

12° Autres activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services, y compris celles relatives à la sécurité et au bon fonctionnement des installations et équipements, essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d'ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale énumérés ci-après :

a) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique ;

b) Intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en eau dans le respect des normes édictées dans l'intérêt de la santé publique ;

c) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de transport ;

d) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation des réseaux et des services de communications électroniques ;

e) Intégrité, sécurité et continuité d'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense ;

f) Protection de la santé publique.

• Les modalités de la procédure de contrôle

L'investisseur étranger qui compte acquérir le contrôle d'une entreprise exerçant l'une des activités listées par le code monétaire et financier doit obligatoirement solliciter une autorisation du ministre de l'économie , préalablement à la réalisation de l'investissement. Il peut par ailleurs solliciter en amont les conseils de l'administration du Trésor par l'intermédiaire d'un rescrit .

Le délai d'instruction des demandes d'autorisation est de deux mois à compter de la réception d'un dossier complet. À défaut de réponse, l'investisseur bénéficie d'une autorisation implicite 140 ( * ) .

La direction générale du Trésor assure la coordination interministérielle de la procédure , grâce à un bureau spécialement dédié qui s'appuie sur des correspondants dans tous les ministères concernés par l'investissement en cause. Selon Valérie Liang-Champrenault, cheffe du bureau des investissements étrangers à la direction générale du Trésor, il s'agit essentiellement des hauts fonctionnaires à la défense et à la sécurité (HFDS) des ministères de la transition écologique et solidaire, des affaires sociales, de la justice, et de l'agriculture, ainsi que du délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), ou de la direction générale de l'armement pour le ministère des armées. À chaque étape de la procédure, les ministères concernés sont étroitement associés (éligibilité, conditions et lettre d'engagement, suivi des engagements). Des réunions et des échanges approfondis sont organisés pour chaque dossier et le lien est constant avec les ministères concernés.

• Une autorisation qui peut être délivrée sous conditions

Si l'autorisation peut être refusée ou donnée, elle peut également être délivrée sous conditions afin d'encadrer les risques identifiés, au cours de l'instruction, en termes d'ordre public, de sécurité publique et d'intérêts de la défense nationale.

La nature de ces conditions est précisée à l'article R. 153-9 du code monétaire et financier. Celles-ci portent principalement sur la préservation par l'investisseur de :

- la pérennité des activités, des capacités industrielles, des capacités de recherche et de développement ou des savoir-faire associés ;

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement ;

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale 141 ( * ) ou des réseaux et services de transport ou de communications électroniques ;

- la protection de la santé publique ;

- l'exécution des obligations contractuelles de l'entreprise dont le siège social est établi en France, comme titulaire ou sous-traitant dans le cadre de marchés publics ou de contrats intéressant l'ordre public, la sécurité publique, les intérêts de la défense nationale ou la recherche, la production ou le commerce en matière d'armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives.

Les conditions imposées doivent être fixées dans le respect du principe de proportionnalité et être strictement nécessaires à la protection des enjeux de sécurité et de défense nationale de la transaction. Sous réserve de proportionnalité, de nombreux types de mesures peuvent être envisagés, qui peuvent concerner la gouvernance 142 ( * ) ou les conditions d'activité 143 ( * ) de l'entreprise. Une autorisation ne peut ainsi être refusée qu'à défaut de parvenir à encadrer les risques.

Lorsque des conditions sont imposées à l'investisseur comme préalable à l'autorisation, les services de l'État effectuent un suivi de ces engagements. Les administrations cheffes de file sont chargées de veiller au bon respect des engagements pris par les investisseurs vis-à-vis de l'État. Selon Valérie Liang-Champrenault, divers moyens sont mobilisés, tels que les liens avec les clients de la cible, les contacts réguliers avec l'entreprise rachetée et le point de contact opérationnel nommé ou l'officier de sécurité, la veille sectorielle exercée par les ministères, l'exigence d'un rapport annuel et de réunions avec les entreprises, la participation au comité de sécurité lorsqu'il existe, ou, depuis 2017, la visite de sites par les administrations centrales ou les DIRECCTE.

Le dispositif est en outre assorti de mécanismes de sanctions , définis par plusieurs textes.

L'article L. 151-4 du code monétaire et financier prévoit ainsi la nullité de tout engagement, convention ou clause contractuelle qui réalise directement ou indirectement un investissement étranger qui n'a pas fait l'objet de l'autorisation préalable exigée.

L'article L. 151-3 du même code met en place un mécanisme d'injonction au profit du ministre chargé de l'économie, s'il constate qu'un investissement étranger est ou a été réalisé en méconnaissance du refus d'autorisation ou des conditions posées dans l'autorisation délivrée. Dans ce cadre, le ministre peut, après mise en demeure, enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure . En cas de non-respect de l'injonction précitée, le ministre chargé de l'économie peut, à l'issue d'une procédure contradictoire, sans préjudice du rétablissement de la situation antérieure, lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève au double du montant de l'investissement irrégulier . Ce montant doit être proportionnel à la gravité des manquements commis.

En outre, les peines d'emprisonnement de cinq ans et d'amende prévues par l'article 459 du code des douanes pour les contrevenants à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger s'appliquent également.

(3) Des ajustements complémentaires sont nécessaires

Votre mission estime que la philosophie du contrôle actuel des investissements directs étrangers en France est satisfaisante , à la fois au regard des règles juridiques européennes et internationales qui lient notre pays, mais également compte tenu du fait que les entreprises françaises, y compris industrielles, bénéficient fortement de l'ouverture des autres États aux investissements étrangers. En outre, dans un contexte où les capacités d'investissement nationales - qu'elles émanent de la sphère privée ou des acteurs publics et parapublics - apparaissent réduites, l'investissement étranger doit être favorisé.

Toutefois, si l'investissement étranger peut développer l'économie française, il est également susceptible de servir la stratégie d'investisseurs dont l'ambition n'est que de s'assurer une rentabilité financière maximale, au prix d'un démantèlement de l'appareil productif en France , ou un accès à des actifs stratégiques . Comme l'a indiqué Philippe Varin, président de France Industrie, devant la mission : « Certes, il y a la fusion Alstom-Siemens ou encore Lafarge-Holcim, mais les entreprises françaises peuvent être également à l'origine des fusions, comme lors du rachat d'Opel par PSA, d'Airgas par Air Liquide ou encore de General Electric Waters par Suez. L'équation doit donc être considérée globalement. » 144 ( * ) Un équilibre doit être trouvé entre les besoins en financement de notre économie et de nécessaires garde-fous .

Cette position a également été exprimée par les représentants du MEDEF entendus par votre mission. Selon eux, si la protection des « pépites » françaises peut se justifier, il faut veiller à ne pas les priver des ressources financières nécessaires à leur développement, ce qui aurait pour conséquence de freiner la croissance des start-up , voire de désinciter la création d'entreprises, dans la mesure où le rachat est une forme de rémunération pour l'entrepreneur.

Or, à cet égard, les auditions ont clairement fait apparaître une convergence de vues sur le fait que le dispositif actuel de filtrage des investissements devrait être renforcé. Ainsi que l'a notamment souligné Louis Schweitzer au cours de son audition par la mission : « Juridiquement, le monde change, et l'idée d'une ``Europe qui protège'', qui paraissait presque obscène il y a quelque temps, revient. Les Français, sur ce point, étaient alors sans doute les plus offensifs dans le discours, mais pas les plus efficaces dans la réalité. Nous avions une attitude ambivalente, ne sachant pas si la priorité était d'attirer les capitaux ou de défendre notre industrie, si bien qu'aucune de ces deux priorités contradictoires ne pouvait être bien assurée. Notre problème tenait aussi à l'absence, critique, d'un réseau de coopération, mieux à même de décourager les prédateurs que le « chacun pour soi ». Je crois donc que le décret Montebourg était bienvenu. Il est envisagé de le renforcer dans d'autres secteurs, fort bien. Je pense, comme je l'ai dit, que la nationalité d'une entreprise est importante. Nos concurrents, l'Allemagne, les États-Unis, l'Italie, n'hésitent pas à assurer, de façon formelle ou informelle, une telle protection . » 145 ( * )

Compte tenu de la révolution technologique en cours, votre mission estime qu'il est indispensable de prendre en considération les activités qui en sont le fer de lance .

Or, à ce stade, le champ d'application du dispositif de contrôle des investissements directs étrangers ne permet pas à l'État d'exercer un filtrage dans des domaines tels que le stockage de données ou l'intelligence artificielle . De ce fait, certaines de nos « pépites » en la matière, qui ont développé des techniques ou qui administrent des structures utilisées pour des activités mettant en cause la sécurité ou la défense nationale, notamment, pourraient faire l'objet de rachats par des investisseurs étrangers. Il convient donc que les investissements concernant ces activités puissent faire l'objet d'un contrôle afin de prévoir, le cas échéant, les garde-fous nécessaires.

De même, il est surprenant qu'à ce jour les activités spatiales ne soient pas intégrées dans la liste des secteurs soumis au contrôle préalable des investissements, alors que la maîtrise de la technologie en matière de lanceurs ou de satellites est une composante essentielle de la souveraineté des Etats. Ceci d'autant plus que la France a développé une filière particulièrement performante dans ce domaine.

Votre mission se félicite donc des annonces faites par Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances , lors de son audition au Sénat le 8 mars 2018 : « Au niveau national, le Premier ministre l'a annoncé et je vous le confirme : dans le cadre du projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, sera renforcé le régime de contrôle des investissements étrangers en France. Nous élargirons en particulier le champ de ce contrôle à de nouveaux domaines comme l'espace, le stockage de données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs . Dans les entreprises stratégiques pour la France, des actions pourront être menées par l'État pour protéger les intérêts nationaux. » Elle juge également indispensable d'ajouter à cette liste la sécurité des données , dans la mesure où les dispositions réglementaires actuelles ne visent que la sécurité des réseaux de communication électronique.

Néanmoins, comme l'ont souligné les représentants du groupe Airbus au cours de leur audition, le choix d'une réglementation sous forme de liste comporte une limite intrinsèque : celle de ne pas prévoir des hypothèses qui, pourtant, se révéleront nécessaires en pratique compte tenu de l'émergence de nouvelles activités stratégiques liées aux bouleversements technologiques en cours. Dès lors, votre mission insiste sur la nécessité que la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers fasse l'objet d'une révision périodique à même de prendre en compte l'évolution des technologies et des secteurs économiques .

Proposition n° 35 : Élargir la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers aux domaines en lien avec la révolution technologique, notamment le stockage et la sécurité des données, l'intelligence artificielle, les semi-conducteurs, ainsi qu'au domaine spatial, et assurer sa révision périodique, au vu de l'évolution des technologies et des secteurs économiques.

En tout état de cause, la mission souligne que l'extension du champ de la procédure de contrôle à de telles activités n'implique pas ipso facto une interdiction ni même une autorisation conditionnelle. Elle doit seulement permettre à l'État de disposer des moyens juridiques pour évaluer, au cas par cas, l'impact effectif de l'investissement au regard des considérations de sécurité publique .

La durée actuelle de la procédure - deux mois - nécessite une réactivité forte dans le cadre de l'instruction des dossiers. Votre mission n'est pas favorable à son allongement, afin de ne pas dissuader les entreprises étrangères d'investir en raison de délais administratifs trop longs. Mais pour permettre cette réactivité, il convient que l'État dispose d'une cartographie précise des entreprises qui présentent un caractère stratégique .

Cette exigence implique d'abord une réflexion plus aboutie de la part des pouvoirs publics sur ce qui est stratégique pour la Nation , ainsi que l'a souligné lors de son audition Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques jusqu'en janvier 2018. Ainsi, toutes les entreprises qui exercent une activité dans un secteur stratégique comme la défense nationale ont-elles pour autant un caractère stratégique ? Dans quelles circonstances une entreprise exerçant son activité dans le maintien de certaines infrastructures d'importance vitale - comme l'électricité - doit-elle être considérée comme stratégique ? Si l'analyse est , en tout état de cause, casuistique, elle doit se fonder sur des orientations claires et assumées de la part de l'État.

En outre, il est nécessaire de disposer dans les territoires de relais assurant une veille en matière d'intelligence économique . Les entreprises stratégiques ne sont en effet pas nécessairement des grandes entreprises ; elles peuvent être des ETI ou des PME, de dimension locale, qui détiennent une expertise clé dont il faut s'assurer la maîtrise en France. Il existe certes à cet effet des délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique, placés auprès des préfets de région, mais leur action doit être renforcée. En particulier, votre mission estime que la mise en place de cette cartographie pourrait notamment s'appuyer sur l'expertise des DIRECCTE, compte tenu de leur connaissance du tissu industriel local .

Proposition n° 36 : Établir une cartographie précise des entreprises qui présentent en France un caractère stratégique, y compris les PME et les ETI, en s'appuyant notamment sur la connaissance du tissu industriel local par les services déconcentrés de l'État.

Votre mission juge également nécessaire de renforcer l'utilisation de l'arsenal des garde-fous et conditions qui peuvent être exigées de l'investisseur étranger dans le cadre de l'autorisation préalable qui lui est délivrée .

En particulier, il ne faut pas que l'État hésite à imposer des mesures de gouvernance spécifiques. Doit être souligné notamment l'intérêt des pratiques américaines en la matière, consistant à imposer :

- des règles excluant l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions jugées stratégiques ;

- la présence d'un « superviseur » ou « contrôleur externe » indépendant, présent dans l'entreprise et dont le coût est pris en charge par cette dernière, chargé de s'assurer de la conformité des décisions de l'entreprise au regard des engagements qu'elle a contractés à l'occasion de la délivrance de l'autorisation d'investir. C'est du reste ce type de mesure qu'avait exigé l'administration américaine dans le cadre des accords passés avec Technip en 2010, Total en 2013 et Alstom en 2014 pour mettre fin aux poursuites. 146 ( * )

Certes, vos président et rapporteur sont conscients que de telles mesures ne pourront être décidées que dans des cas limités, compte tenu de l'application du principe de proportionnalité sur lequel le juge pourra, le cas échéant, être amené à exercer son contrôle. En outre, elles impliqueront nécessairement une phase de négociation et d'explication à mener avec le candidat à l'investissement, si l'État juge que le bilan « coût/avantage » de l'opération plaide en faveur d'une autorisation de l'investissement. Elles sont néanmoins des outils pertinents dans « l'arsenal » de défense dont doit bénéficier notre pays .

Proposition n° 37 : Ne pas hésiter à imposer des mesures de gouvernance dans les entreprises particulièrement stratégiques faisant l'objet d'un investissement étranger, notamment l'exclusion de l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions ou la mise en place d'un « superviseur » indépendant au sein de l'entreprise.

b) Le nécessaire renforcement de l'actionnariat national

L'une des faiblesses des entreprises industrielles françaises, quel que soit le champ d'activité, réside également dans la faiblesse de l'actionnariat français.

Selon une étude de l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA), les investisseurs non-résidents sont le premier groupe d'actionnaires de sociétés cotées, détenant en France 40 % de la capitalisation boursière. Si cette proportion est comparable à celle d'autres États européens, et relativement stable, il n'en demeure pas moins que, comme l'a relevé lors de son audition Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques jusqu'en janvier 2018, plus de la moitié des entreprises du CAC 40 sont aujourd'hui contrôlées par des capitaux étrangers.

Or, si la localisation du centre de décisions d'une entreprise en France est importante - dans la mesure où elle permet l'application de la loi nationale - elle ne garantit pas à elle seule que les décisions stratégiques prises par ses organes sociaux seront favorables aux intérêts de notre pays, et notamment au maintien ou au développement de centres de production dans nos territoires .

Ce constat est au coeur de l'inquiétude ressentie par votre mission dans le cadre du rapprochement des groupes Alstom et Siemens. Malgré quelques garanties en matière de gouvernance qui s'appliqueront pendant une période de quatre ans à compter de la réalisation de l'opération, la détention par le groupe Siemens AG de la majorité des actions et des droits de vote à l'assemblée générale ainsi que de la majorité des membres du conseil d'administration du futur groupe Siemens-Alstom fait peser des risques de biais nationaux dans le cadre de la réorganisation inévitable des activités de nature à désavantager les sites français. 147 ( * )

(1) Favoriser le retour des investisseurs institutionnels français

L'absence constatée, et souvent regrettée, des grands investisseurs institutionnels français dans l'industrie nationale est l'une des causes de la faiblesse des groupes français face à des investisseurs étrangers.

Ainsi, la part des établissements bancaires français dans la détention du capital des sociétés cotées françaises est passée en trente ans de 10 % à 6 % de la capitalisation de ces sociétés, pour représenter 91 Md€ en 2016 . Cette chute peut s'expliquer, selon l'ANSA, par le coût réglementaire de la détention d'actifs risqués.

Les sociétés françaises d'assurance détiennent quant à elles seulement 3 % de la capitalisation des sociétés cotées françaises, soit 55 Md€ en 2016, cette proportion restant relativement stable. Elle résulte, d'après les représentants de la Fédération française de l'assurance (FFA), des contraintes issues de la réglementation européenne - Solvabilité II - même si, avant même ces mesures, d'autres contraintes restreignaient leur capacité à détenir des actions au titre de leurs investissements en fonds propres ou en représentation des contrats d'assurance-vie en euros.

Les sociétés non financières françaises apparaissent, prima facie , comme des investisseurs de premier rang dans les sociétés françaises. Après avoir baissé tendanciellement entre 1990 et 2000 suite au dénouement des participations croisées mises en place dans les années 1980, le niveau de détention s'est stabilisé autour de 20 % pour les sociétés cotées. En revanche, il est désormais de 60 % pour les sociétés non cotées, en croissance continue depuis trente ans. Ces chiffres doivent néanmoins être relativisés, compte tenu de l'explosion du phénomène de la filialisation intragroupe. Ainsi, une bonne part du niveau de détention des sociétés non cotées s'explique par le fait qu'il intervient pour l'essentiel dans des relations mère-filles.

Lors de leur audition, les représentants de la Fédération française des assurances (FFA) ont indiqué que les capacités d'investissement des assureurs pour le placement des fonds collectés vers des portefeuilles actions étaient fortement contraintes par les règles mises en place par la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, dite « solvabilité II », modifiée en 2014. Les obligations quantitatives et qualitatives qu'elle impose aux assureurs les empêchent d'investir en actions, privilégiant à l'inverse l'investissement dans des obligations d'État.

Tant que ces contraintes ne sont pas desserrées , la FFA estime que les assureurs ne sont pas en mesure de renforcer leur présence comme investisseurs institutionnels dans les sociétés . Votre mission espère que, compte tenu de l'évolution du contexte économique, ces règles prudentielles, adoptées au plus fort de la crise financière, pourront être assouplies prochainement. Elle relève du reste l'existence d'une volonté de plusieurs États membres, dont la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas, pour inciter la Commission européenne à proposer un cadre renouvelé.

(2) Favoriser l'actionnariat salarié et la présence d'administrateurs salariés

L'actionnariat salarié , également particulièrement réduit en France, peut constituer un élément clé de stabilisation et d'ancrage des entreprises en France.

En effet, dans les sociétés dans lesquelles l'actionnariat salarié est important, les prises de contrôle par voie d'offre publique d'achat (OPA), notamment « hostiles », sont réputées plus difficiles, à la fois pour des raisons culturelles et d'emploi : les salariés étant les premiers susceptibles d'être impactés par les réorganisations découlant d'une prise de contrôle externe, ils sont souvent moins susceptibles que d'autres actionnaires d'accepter une évolution de la détention majoritaire du capital, même si des salariés peuvent, le cas échéant, tout comme d'autres actionnaires, se comporter en spéculateurs. Cette difficulté est renforcée, en pratique, lorsque l'actionnariat salarié concerne également les cadres de l'entreprise.

En ce sens, lors de son audition, Antoine Frérot, président de l'Institut de l'entreprise, a souligné que des salariés actionnaires étaient sensibles au destin de leurs entreprises, et qu'avec un volume de 10 % d'actionnaires salariés, disposant éventuellement de droits de vote supérieurs, la gouvernance d'une entreprise se trouvait facilitée, en même temps que sa protection contre des prises de contrôles purement financières renforcée. Il a indiqué qu'il convenait, dans le cadre d'une politique de développement de l'actionnariat salarié, à la fois d'augmenter le nombre de salariés détenteurs d'actions , mais également d'assurer une répartition de cette détention entre les catégories de salariés (dirigeants, cadres, ouvriers, etc.).

C'est la raison pour laquelle la mission propose des mesures visant à favoriser le développement de l'actionnariat salarié, qui constitue en outre un élément de financement des entreprises. 148 ( * ) Elle estime par ailleurs que l'essor de cet actionnariat permettrait également de favoriser la présence d'administrateurs salariés au sein des organes sociaux . Le modèle allemand est à cet égard une source d'inspiration puissante. Il fait apparaître combien des conseils d'administration, des directoires ou des conseils de surveillance qui font une place importante aux représentants salariés peuvent se révéler des remparts efficaces pour maintenir les centres de décision et de production des entreprises sur le territoire national .

Proposition n° 38 : Favoriser la présence d'administrateurs salariés, sur le modèle allemand.

c) La protection juridique des entreprises françaises

Assurer la protection juridique des entreprises françaises est également fondamental.

Nos collègues députés Pierre Lellouche et Karine Berger ont parfaitement mis en lumière en 2016 les dangers liés à l'application extraterritoriale de certains droits nationaux, à commencer par le droit américain . 149 ( * ) Cette approche permet ainsi à l'exécutif américain de poursuivre, presque partout dans le monde, des entreprises étrangères pour des faits qu'elles n'ont pas nécessairement commis sur le territoire des États-Unis mais qui contreviennent à certaines prescriptions du droit fédéral.

Sur ce fondement, le Department of Justice américain se reconnaît le droit de poursuivre les personnes, et en particulier les entreprises, qui :

- présentes sur les marchés financiers réglementés américains à un titre ou un autre, se livrent à des activités constitutives de corruption ou de malversations comptables ou financières. C'est dans ce cadre qu'ont été poursuivies plusieurs sociétés françaises (Alcatel-Lucent, Alstom, Technip et Total) ou européennes (Siemens) ;

- effectuant des opérations avec des établissements bancaires qui sont des correspondants de banques américaines , procèdent à des opérations susceptibles d'être qualifiées de blanchiment d'argent d'origine criminelle. Ce type de mesure a permis de poursuivre la banque européenne HSBC en 2012 ;

- méconnaissent des règles d'embargo ou de sanctions décrétées à l'encontre d'un pays . C'est à ce titre que Bnpparibas a été poursuivi et condamné en 2015 dans le cadre des embargos décrétés par les États-Unis contre l'Iran, la Lybie, le Soudan et Cuba.

Comme l'avait indiqué votre mission à l'occasion de son examen de la cession de la branche « Energie » d'Alstom à General Electric, 150 ( * ) ces législations extraterritoriales, à commencer par le Foreign Corrupt Practices Act américain, sont des outils juridiques qui permettent de créer d'intéressantes synergies entre l'objectif de lutte contre la criminalité internationale et la défense des intérêts économiques nationaux .

Ainsi, si dans le cas d'Alstom, rien ne permet d'indiquer que la mise en jeu éventuelle de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux de l'entreprise a constitué un élément déterminant du choix de céder à General Electric le pôle « Énergie » d'Alstom, il semble évident que cette circonstance n'a pu qu'être prise en considération , ne serait-ce qu'à titre d'élément de contexte, lors de l'examen des mérites respectifs des offres formulées par les différents candidats au rachat. À ce titre, dans ce dossier comme dans d'autres, l'épée de Damoclès que fait peser le droit américain sur les entreprises de tous pays, même ceux qui sont réputés alliés des États-Unis comme la France, constitue une circonstance susceptible d'influer fortement sur les stratégies de développement ou d'investissement des acteurs économiques dans un environnement mondialisé .

Dans ce cadre, la mise en cause ou l'arrestation sur un territoire étranger d'un cadre dirigeant appartenant à un groupe industriel français stratégique doit être considérée comme un événement sensible, de nature à attirer l'attention des services de renseignement . Elle doit conduire à alerter le Gouvernement français pour lui permettre d'en anticiper les répercussions éventuelles sur l'indépendance du pays et la protection de ses intérêts économiques nationaux. La protection des intérêts français exige que des outils de veille et d'alerte efficaces soient mis en place en matière d'intelligence économique .

À plus longue échéance, la question déterminante est celle de l'attitude à opposer à la position hégémonique américaine.

Si le renforcement du droit français en matière de corruption internationale est sans doute une première réponse au problème, elle n'est cependant que partielle car les risques juridiques qui pèsent sur les entreprises françaises - comme du reste l'ensemble des entreprises non-américaines - ne résultent pas de la seule application du Foreign Corrupt Practices Act américain. La situation juridique créée par la décision annoncée par le président Donald Trump, le 8 mai 2018, de retirer les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, le démontre à l'envi.

À la suite de cet accord, les mesures d'embargo qui avaient été édictées par les États-Unis - et une partie de la communauté internationale - à l'égard de ce pays ont été levées, permettant ainsi à de nombreuses entreprises, tant américaines que d'autres pays, de commercer à nouveau avec l'Iran et de s'implanter dans le pays. C'est dans ce cadre juridique nouveau que des grands groupes français - Total, Renault, PSA... - mais également des PME et ETI, le cas échéant accompagnées par Business France, se sont lancées à l'assaut du marché iranien.

En dénonçant le traité, les États-Unis reprennent donc leur embargo économique, qui vise également l'ensemble des entreprises cherchant à faire affaires en Iran. Aussi, le département américain du Trésor a-t-il annoncé le rétablissement, sous trois à six mois, des sanctions économiques contre toutes les entreprises qui travailleraient avec l'Iran. Les entreprises françaises qui se sont lancées dans l'aventure sont donc en première ligne.

Au cours de la séance publique du 15 mai 2018 au Sénat, Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, a néanmoins indiqué qu'il s'était entretenu « avec le secrétaire au Trésor américain pour lui demander des exemptions, des délais supplémentaires, ainsi que le respect des contrats conclus de bonne foi, dans le cadre de l'accord signé avec l'Iran, par les entreprises françaises implantées dans ce pays . » Votre mission soutient pleinement l'action du Gouvernement sur ce point, tout en relevant que la résolution de cette question est tributaire d'une décision unilatérale et arbitraire des États-Unis .

Dans ce cadre, votre mission se félicite de la décision, envisagée par la Commission européenne, de modifier le règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers . Elle a en effet annoncé le dépôt le 4 juin 2018, sous la forme d'un acte délégué, d'une proposition de modification de l'annexe de ce règlement afin que ces dispositions puissent s'appliquer aux sanctions décidées par le gouvernement américain aux entreprises qui commercent avec l'Iran.

Ce règlement européen prévoit notamment :

- qu'aucune décision d'une juridiction ou d'une autorité administrative extérieure à l'Union européenne qui donne effet, directement ou indirectement, aux lois citées en annexe ou aux actions fondées sur elles ou en découlant, n'est reconnue ou rendue exécutoire de quelque manière que ce soit dans l'Union (article 4 du règlement) ;

- qu'aucune personne relevant d'un État membre de l'Union européenne ne doit se conformer, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois instituant des mesures de sanctions extraterritoriales citées en annexe du règlement, ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant (article 5).

De façon plus générale, votre mission estime qu'il faut cesser d'avoir une vision purement défensive en la matière et qu'il convient de passer à l'offensive. Cependant, en matière de commerce international, la décision ne peut se prendre qu'au niveau européen. Il faut dès lors une initiative européenne forte et rapide en la matière. Celle-ci devrait notamment faire en sorte :

- de favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne, afin que les acteurs économiques des États membres ne soient pas sous la dépendance du dollar et, en conséquence, restent sous l'emprise des textes américains faisant de l'utilisation de sa monnaie nationale le lien de rattachement permettant d'attraire les entreprises étrangères sous sa juridiction ;

- envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale, afin d'être en mesure, le cas échéant, d'appliquer des mesures de sanctions ou de coercition à des entreprises américaines qui se livreraient, comme d'autres, à des actions prohibées par ces textes.

La mission se félicite à cet égard de l'annonce d'une initiative européenne, issue d'une démarche conjointe des gouvernements français, allemand et britannique en ce domaine, révélée par Bruno Le Maire lors de son intervention précitée au Sénat. 151 ( * )

Proposition n° 39 : Soutenir une initiative européenne forte et rapide afin de favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne, et d'envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale.

3. Utiliser pleinement le levier de la commande publique

L'achat public peut incontestablement constituer un levier pour le développement de notre industrie. Il constitue non seulement un marché dont il est important qu'il puisse profiter aux entreprises industrielles françaises, mais aussi un instrument susceptible de stimuler l'innovation industrielle, ce qui favorise la montée en gamme de notre industrie.

a) Des opportunités de marché importantes pour l'industrie française

Selon l'Observatoire économique de la commande publique (OECP), l'achat public français 152 ( * ) constituerait un marché annuel d'environ 84 Md€ , tous acheteurs publics confondus. Pourtant, ce montant, comme l'a montré la mission d'information du Sénat sur la commande publique en 2015, ne reflète pas l'intégralité du poids de l'achat public : cette dernière l'évaluait à 260 Md€ en 2011. 153 ( * )

Quoi qu'il en soit, si une partie des achats concernent des services, la majeure partie concerne également des fournitures et des travaux et, à ce titre, profite en partie à l'industrie. Néanmoins, de l'aveu des représentants de la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers entendus par votre mission, le montant des marchés publics dont bénéficie l'industrie ne peut pas être appréhendé avec certitude, faute de précision des données du recensement effectué par l'OECP sur la base de la déclaration des acheteurs.

Il est indéniable que l'activité de certaines filières industrielles est directement liée à l'achat public . Il en va ainsi, notamment, de l'activité ferroviaire ainsi que des activités « régaliennes » que sont la défense et l'espace. Sans l'État et les régions, les constructeurs de matériel ferroviaire ou de signalisation n'auraient pas d'acheteurs en France. De même, sans les commandes d'État, les entreprises spécialisées dans les matériels de défense - comme Dassault ou Naval Group - et, jusqu'à ce jour, celles liées à l'espace, comme Ariane Group, n'auraient guère d'activité.

Toutefois, même hors de ces domaines spécifiques, les marchés publics constituent également - quoique dans une moindre mesure - des débouchés non négligeables pour de nombreuses activités industrielles , ne serait-ce que dans la mesure où l'État, les collectivités territoriales ainsi que les divers établissements et personnes publics ont besoin, pour leur fonctionnement quotidien, de faire réaliser des travaux et de se procurer des fournitures variées.

Compte tenu de ces éléments, il convient de faire en sorte que notre industrie puisse tirer pleinement profit des marchés lancés par les acheteurs publics français, et que ceux-ci favorisent autant que possible le potentiel de nos PME et ETI.

(1) Tout en respectant le principe de non-discrimination, les marchés publics peuvent favoriser la production industrielle française
(a) La rédaction des pièces de marché, paramètre déterminant...

Le principe d'égalité de traitement, qui recouvre l'interdiction de discrimination en raison de la nationalité , est l'un des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne. Associé au principe de liberté d'accès à la commande publique et à la transparence des procédures, il est rappelé à l'article 1 er de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Comme l'a souligné Laure Bédier, directrice des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, à vos président et rapporteur, l'application de ces principes interdit donc aux acheteurs publics de poser des conditions qui ne pourraient être remplies que par les soumissionnaires nationaux ou qui seraient plus difficilement satisfaites par des soumissionnaires provenant d'autres États membres 154 ( * ) .

Pour autant, votre mission souligne que ces règles n'interdisent pas de rédiger les éléments des marchés de telle sorte qu'ils favorisent la présentation d'offres émanant des entreprises industrielles françaises, ou à tout le moins, qui exercent leur activité sur le territoire français.

En premier lieu, pour les marchés publics classiques, il est possible pour les acheteurs publics de jouer sur deux paramètres :

- d'une part, la définition du besoin. En particulier, la formulation de spécifications techniques liées aux méthodes de production peut orienter les achats vers certains fournisseurs, et notamment français, sous réserve que ces spécifications soient liées avec l'objet du marché public. De même, lorsqu'il n'existe pas de normes européennes couvrant le domaine concerné par l'appel d'offres, l'acheteur peut faire référence aux systèmes nationaux équivalents. Votre mission souligne d'ailleurs qu'au cours des auditions, il a été mentionné que le recours, en Allemagne, à des normes techniques définies par l'institut de normalisation allemand ( Deutsches Institute für Normung- DIN ) était souvent utilisé pour favoriser - tout à fait légalement - les entreprises allemandes dans certains marchés. Il revient donc aux acheteurs publics français, lorsque la solution technique qu'elles prévoient s'avère tout aussi pertinente, d'utiliser pleinement les références aux normes françaises, qui constituent un élément stratégique de développement de la compétitivité de notre économie 155 ( * ) ;

- les conditions d'exécution du marché. Lorsque ces conditions sont liées à l'emploi ou définies en termes de qualité attendue des prestations , elles peuvent conduire, de facto , à écarter certains opérateurs économiques qui ne remplissent pas ces conditions. Il en va ainsi, par exemple, de l'obligation faite au titulaire du marché public de respecter des stipulations de l'Organisation internationale du travail (OIT) lorsque celles-ci ne sont pas intégrées dans les lois et règlements du pays où la main-d'oeuvre du titulaire est employée. De même, le cahier des charges du marché peut décrire la qualité d'exécution attendue liée à l'expérience et à la qualification des entreprises et des personnels, ce qui peut être de nature à favoriser un attributaire exerçant son activité sur le territoire national.

Pareillement, l'insertion de clauses sociales ou environnementales , sous réserve qu'elles soient liées à l'objet du marché et ne soient pas formulées sous forme d'une clause de proximité géographique, peut légalement favoriser l'achat en France.

Enfin, si l'acheteur ne peut pas se fonder sur l'existence d'un siège social ou d'un établissement en France comme critère de sélection, 156 ( * ) il peut prévoir un critère relatif aux délais de livraison ou d'exécution, ce qui peut favoriser des entreprises industrielles produisant localement. Dès lors qu'il est justifié au regard de l'objet du marché ou de la nature des prestations attendues, ce critère n'a pas nécessairement pour effet d'assurer une préférence locale et n'est donc pas en soi discriminatoire 157 ( * ) .

Il revient donc aux acheteurs publics d'appréhender pleinement ces possibilités et de les mettre en oeuvre . Néanmoins, ainsi que le soulignaient votre rapporteur et notre collègue Philippe Bonnecarrère dans le cadre des travaux de la mission d'information sur la commande publique, la subtilité des clauses à rédiger implique une formation adéquate des services des achats des entités soumises aux règles relatives aux marchés publics. 158 ( * ) Lors de son audition, Laure Bédier a sur ce point précisé que la direction des achats de l'État (DAE) était mobilisée dans une démarche de professionnalisation des acteurs de la fonction achat, qui s'inscrit d'ailleurs pleinement dans les objectifs fixés par la Commission européenne dans sa recommandation du 5 octobre 2017. 159 ( * )

En premier lieu, sans être soustraits au champ du droit de la commande publique, les marchés publics de défense ou de sécurité sont régis par des textes spécifiques 160 ( * ) qui offrent à l'État une certaine souplesse dans la passation des contrats. Le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables est en effet plus large pour ce type de marchés que pour les marchés publics du secteur classique. De plus, l'acheteur public peut y tenir compte de l'exigence de sécurité des approvisionnements et de sécurité des informations au cours du processus de sélection des candidatures ou des offres. Enfin, des dispositions spécifiques encadrent le recours aux sous-contractants dans les marchés de défense. Votre mission d'information estime donc que l'État doit utiliser ces règles spécifiques aux marchés de défense pour soutenir au maximum l'industrie de défense française ou les acteurs industriels qui concourent à la création de solutions industrielles utiles à l'industrie de défense, comme les fabricants de systèmes numériques embarqués.

Il doit aussi, par ce biais, chercher à optimiser son soutien à l'industrie civile en tenant compte du caractère dual de certaines technologies . L'appui aux industries de défense, par le double levier des aides à l'innovation et de la commande publique, peut en effet permettre aux firmes françaises de développer un avantage compétitif dans le secteur civil lorsque les technologies militaires ont aussi des applications civiles. Typiquement, Dassault systèmes s'est développé grâce à Dassault aviation. Certains pays concurrents, notamment les États-Unis, sont passés maîtres dans l'art d'optimiser les retombées civiles des aides publiques au secteur militaire. La France doit s'en inspirer et s'appuyer sur sa puissante industrie de défense pour redynamiser l'ensemble de son tissu industriel.

Proposition n° 40 : Tirer profit des règles des marchés publics, dans le respect du droit de l'Union européenne, afin qu'ils bénéficient pleinement aux entreprises industrielles implantées en France, et tout particulièrement aux PME.

Hors ces marchés spécifiques, la rédaction des pièces des marchés publics est donc actuellement le seul moyen de les orienter vers l'industrie française et surtout de contrecarrer certaines pratiques prédatrices d'acteurs industriels étrangers utilisant le dumping ou eux-mêmes protégés par la fermeture de leur marché national. En effet, à ce jour, ni le droit français ni le droit de l'Union européenne n'instaurent de parades efficaces contre de tels agissements.

(b) ... dans l'attente d'outils efficaces contre les pratiques prédatrices d'acteurs industriels étrangers

Des textes, aussi bien au niveau international qu'européen, ainsi qu'au niveau national, autorisent dans ces cas très circonscrits des restrictions fondées sur l'origine ou la nationalité des opérateurs . Cependant, ces mesures se révèlent aujourd'hui impossibles à mettre en oeuvre en pratique.

L' Accord sur les marchés publics (AMP) conclu dans le cadre de l'OMC et les accords assimilés déterminent la frontière des obligations des acheteurs à l'égard des opérateurs étrangers. L'UE a négocié, notamment dans le cadre de l'AMP, des engagements réciproques d'ouverture qui se veulent équitables. Des mécanismes de sanction en cas d'inexécution contractés sont prévus, en particulier la saisine de l'organe de règlement des différends de l'OMC.

Un mécanisme de rétorsion est également présent dans le droit de l'Union européenne. L'article 86 de la directive 2014/25/UE sur les marchés publics prévoit ainsi, lorsque des entreprises européennes ont rencontré des difficultés de pénétration sur un marché d'un État tiers en matière de travaux, fournitures ou services, que la Commission puisse s'engager dans une conciliation qui peut être suivie, en cas d'échec, de la mise en oeuvre de sanctions vis-à-vis des entreprises, biens et services de ce pays.

Toutefois, selon la direction des affaires juridiques de Bercy, en pratique, ce mécanisme n'est pas mis en oeuvre, d'une part, car il n'a vocation à intervenir, pour les pays relevant de l'AMP ou ayant conclu un accord de libre-échange avec l'Union européenne, qu'après épuisement des voies de règlement des différends prévus par ces conventions, et d'autre part, du fait de la réticence des opérateurs économiques à opérer un signalement initial compte tenu de la lourdeur du dossier à constituer.

En droit interne , l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics permet aux acheteurs publics d'opposer les limitations des accords existants aux biens, services et opérateurs économiques issus d'États tiers ayant signé un accord avec l'Union européenne, et qui candidateraient à l'attribution d'un marché public en France. En revanche, il ne permet pas de régler les relations avec les États qui n'ont conclu aucun accord avec l'UE, compte tenu de la communautarisation désormais complète de la politique commerciale extérieure. Par ailleurs, l'article 54 de l'ordonnance offre un dispositif similaire pour les marchés publics de fournitures passés par des entités adjudicatrices 161 ( * ) , permettant :

- d'écarter directement les offres comportant une part de produits originaires de pays tiers excédant 50 % de la valeur totale desdits produits, lorsque ces biens ne bénéficient pas d'une garantie de traitement équivalent aux biens originaires de l'UE ;

- de faire jouer un droit de préférence européenne, en cas d'offre équivalente, à celle qui comporte plus de 50 % de produits originaires de l'UE, sauf s'il existe une raison objective de ne pas le faire.

Toutefois, en pratique ces deux dispositifs ne sont pas mis en oeuvre :

- l'arrêté ministériel destiné à appliquer l'article 2 de l'ordonnance afin d'indiquer les acheteurs, les secteurs et les États concernés par les restrictions, n'a toujours pas été adopté, rendant le dispositif inapplicable. Selon la direction des affaires juridiques, établir un tel texte est très complexe compte tenu des nomenclatures différentes utilisées par les acheteurs publics en Europe, de sa nécessaire mise à jour permanente en fonction de l'évolution des négociations et, pour certaines restrictions, en fonction de l'intervention d'une décision de l'Union européenne ;

- l'application concrète de l'article 54 de l'ordonnance se heurte, quant à elle, à la difficulté d'identifier la provenance des produits proposés dans les offres remises . En outre, ce mécanisme peut avoir un effet pervers puisqu'il peut conduire à exclure une entreprise française dont l'offre comporterait 51 % de produits fabriqués dans un pays tiers non-signataire d'un accord avec l'Union européenne.

Ainsi, tant le droit français que le droit européen se révèlent inefficaces et incapables de procurer une protection satisfaisante aux entreprises nationales, notamment industrielles, qui souffriraient d'une concurrence déloyale de la part d'offres émanant de pays tiers à l'Union européenne.

Néanmoins, comme la mission l'a déjà souligné, 162 ( * ) une proposition de règlement a été présentée par la Commission européenne afin de renforcer les moyens juridiques pour prévenir et sanctionner les pratiques agressives de certains États et de leurs acteurs économiques. Dans l'attente, votre mission invite le Gouvernement à édicter les mesures réglementaires d'application de l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 ou, à défaut, à engager au plus vite une réflexion pour créer un mécanisme de réciprocité susceptible d'être effectivement mis en oeuvre.

Proposition n° 41 : Édicter au plus vite les mesures réglementaires d'application de l'article 2 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics ou, à défaut, engager immédiatement une réflexion pour définir un mécanisme de réciprocité susceptible d'être effectivement mis en oeuvre.

(2) Un levier pour le développement des PME industrielles

La mission d'information du Sénat sur la commande publique avait parfaitement mis en lumière, en 2015, le besoin d'une plus grande ouverture des marchés publics français aux PME.

De fait, la transposition des directives européennes de 2014 par l'ordonnance du 23 juillet 2015, modifiée à l'initiative du Sénat par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a été l'occasion de renforcer les mécanismes favorables aux PME dans la commande publique, en particulier en étendant le principe de l'allotissement et en encadrant davantage le recours aux marchés de partenariat 163 ( * ) . Pour autant, le poids des PME reste limité : selon l'OECP, si elles ont représenté en 2016 59 % des entreprises attributaires , elles n'ont en revanche cumulé que 28,4 % du montant des marchés publics .

Votre mission souligne combien la commande publique peut jouer un rôle moteur pour le maintien et le développement d'un tissu de PME industrielles sur les territoires. Pour ce faire, les acheteurs publics doivent donc mettre en oeuvre , dans la rédaction de leurs marchés, les dispositifs de nature à favoriser leur attribution aux PME , et notamment :

- ne recourir aux exceptions à l'allotissement que de manière très limitée ;

- définir des conditions d'exécution, notamment en termes de délais de livraison ou d'exécution, de nature à favoriser des entreprises produisant localement, qui sont le plus souvent des PME ;

- utiliser les dispositifs de réservation prévus pour les entreprises favorisant l'intégration sociale ou le secteur de l'économie sociale et solidaire, qui sont essentiellement des PME et des ETI et peuvent intervenir dans le domaine industriel.

b) Un instrument susceptible de favoriser l'innovation industrielle

La commande publique constitue également un moyen de favoriser la montée en gamme de l'industrie en suscitant l'innovation . Sur ce point, la transposition des directives européennes de 2014 a été l'occasion de mettre en oeuvre, dans le cadre de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et de son décret d'application du 25 mars 2016, des dispositifs favorables à l'achat de solutions innovantes, en particulier :

- le sourçage 164 ( * ) qui permet aux acheteurs, en vue de la passation d'un marché, de réaliser des consultations ou des études de marché, de solliciter des avis ou d'informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences, afin de mieux connaître les solutions disponibles sur le marché ;

- le recours à des spécifications fonctionnelles 165 ( * ) dans le cadre de la définition des besoins en termes de performance ;

- l'élargissement du recours au dialogue compétitif, qui autorise les acheteurs à élaborer, de concert avec l'opérateur économique, la réponse technique à un besoin ;

- le recours aux variantes , qui permet d'admettre des solutions techniques alternatives sans que celles-ci soient nécessairement accompagnées d'une offre de base 166 ( * ) ;

- la notion d'offre économiquement la plus avantageuse comme critère d'attribution du marché, qui autorise, en privilégiant la qualité plutôt que le coût immédiat, à favoriser les offres présentant un caractère innovant, l'innovation étant prise en compte au niveau du choix des critères d'attribution 167 ( * ) ;

- enfin, le partenariat d'innovation 168 ( * ) , qui permet aux acheteurs de mettre en place un partenariat de long terme avec des acteurs économiques, couvrant tant les phases de recherche et développement des produits, services ou travaux innovants que leur acquisition , sans qu'il soit nécessaire de procéder à une nouvelle mise en concurrence à chaque étape du développement ou à l'issue de la phase de R&D.

Votre mission souligne néanmoins la lourdeur de cette dernière procédure, qui nécessite une forte implication technique de l'acheteur et de l'opérateur économique, ce qui la réserve de facto à des projets industriels d'ampleur entre des acheteurs économiques disposant de fortes compétences techniques et des opérateurs économiques qui sont de grands groupes. Du reste, le partenariat d'innovation totalise seulement trois mises en oeuvre concrètes : deux partenariats d'innovation conclus par SNCF Mobilités avec Alstom en vue d'acquérir la nouvelle génération de trains « TGV 2020 » et des exosquelettes multifonctions ; le partenariat d'innovation conclu par le CNRS pour la conception et la fabrication en série d'ensembles d'armoires basse tension et très basse tension pour les stations sismologiques.

En 2012, un objectif de 2 % en 2020 des achats de l'État et de ses opérateurs au profit des PME innovantes avait été fixé dans le cadre du Pacte national pour la croissance, l'économie et l'emploi. En application d'une circulaire du Premier ministre du 25 septembre 2013, diverses actions ont été menées par les ministères économiques et financiers afin d'accompagner la transformation des achats des ministères vers l'innovation. Au niveau central , ont été notamment mis en place :

- une plateforme des achats d'innovation de l'État et ses établissements, afin de faciliter la mise en relation des acheteurs et des entreprises (notamment grâce à la publication d'appels à compétences par les personnes publiques ou les propositions spontanées des opérateurs, qui permettent de faire connaître les solutions innovantes déjà commercialisées ou en cours de R&D) ;

- une programmation et une déclaration des achats innovants, mesurées à l'aide d'un indicateur dédié (hors marchés de défense et de sécurité) ;

- un « Guide des achats innovants », publié afin d'aider les acheteurs publics à définir des méthodes susceptibles de repérer l'innovation et de l'intégrer dans leur politique d'achat.

Au niveau déconcentré , des référents régionaux ont été mis en place au sein des DIRECCTE afin d'assurer un appui au sourcing , la sensibilisation des acheteurs publics et l'animation des acteurs locaux. Dans le cadre du crédit d'impôt innovation (CII), en 2016 les DIRECCTE ont également réalisé 230 expertises sur des dossiers de PME déclarant ce crédit.

Si votre mission souligne l'intérêt de ces actions qui visent à diffuser une « culture » de l'achat innovant , elle constance néanmoins que l 'évaluation quantitative des achats innovants réalisés dans le cadre de cette politique reste difficile .

Les indicateurs élaborés par l'État restent ainsi incomplets et perfectibles, dès lors qu'ils se fondent sur un recensement par les ministères de leurs achats innovants qui n'est pas nécessairement exhaustif et parfois circonscrit à un périmètre réduit. Ainsi, si l'on en croit l'indicateur construit par la DAE à partir des déclarations des acheteurs, en 2016 l'achat innovant des ministères représentait seulement 11,2 M€ et celui des établissements publics 44,8 M€. Quant à celui bâti par la direction générale des entreprises, à partir des contrats éligibles au CIR ou au CII effectivement conclus, il fait apparaître pour 2016, 1 Md€ d'achat auprès de PME ou ETI innovantes de la part des ministères et, sur un total de 3,57 Md€ d'achats, un volume de 274 M€ pour les PME et ETI innovantes.

Le chemin est donc encore long pour infuser au sein de la sphère publique la recherche d'un achat innovant et d'aboutir à des résultats quantitatifs satisfaisants . Comme l'avait souligné la mission du Sénat sur la commande publique, d'autres mesures peuvent encore être prises pour dynamiser l'achat public innovant, notamment un recours accru aux variantes. 169 ( * )

4. Une action territoriale en faveur de l'industrie qui doit gagner en synergies

La stratégie industrielle ne saurait se limiter à des actions de nature macro-économique. Elle implique également des actions relevant de la micro-économie qui ne peuvent être réalisées que dans un cadre territorial. L'économie « mondialisée » s'inscrit encore, et pour longtemps, dans des territoires dont il faut assurer la compétitivité.

À cet égard, les collectivités territoriales, et plus encore les régions depuis l'adoption de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République - dite « NOTRe », sont devenues en quelques dizaines d'années, les acteurs de proximité majeurs en matière économique, notamment par le biais de leurs agences de développement économique. Pour autant, l'action territoriale de l'État demeure plus que jamais nécessaire en la matière. Face à la multiplication des acteurs qui, souvent en pratique, sont appelés à mener une action renforcée avec des moyens de plus en plus réduits, l'heure est aux synergies, tant sur le plan stratégique qu'opérationnel.

Certes, depuis 2010 et suite aux États généraux de l'industrie, ont été créés les comités stratégiques de filière régionaux (CSFR) - déclinaisons locales des comités stratégiques de filières nationaux (CSF), coprésidés par le préfet et le président de la région, qui réunissent institutions, syndicats et industriels. Mais votre mission estime qu'il faut encore aller au-delà, tout en réorientant l'intervention opérationnelle de certains acteurs.

a) Reparamétrer l'intervention des services déconcentrés de l'État en matière industrielle

Les services déconcentrés de l'État apparaissent à la fois comme les relais locaux de l'application des stratégies nationales et les moyens pour l'État de disposer de remontées d'information en provenance des territoires.

En matière industrielle, ce sont d'abord les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qui constituent ces relais.

Comme l'ont souligné MM. Christophe Lerouge et Simon Leguil, respectivement directeur régional et chef du service « Entreprises » de la DIRECCTE Occitanie, lors de leur audition à Toulouse par la délégation de votre mission, les priorités d'action locales sont définies :

- soit dans le cadre de la mise en oeuvre des priorités gouvernementales, en fonction des besoins et des spécificités régionales telles qu'identifiées par le préfet de région. Ainsi, en est-il, par exemple, de la feuille de route nationale sur l'économie circulaire à laquelle le comité stratégique régional de la filière éco-industrie a consacré récemment ses travaux afin de déterminer les axes de travail locaux ;

- soit en fonction des remontées du terrain. Par exemple, la DIRECCTE Occitanie a perçu localement, par les visites d'entreprises qu'elle mène et au travers des réunions du comité stratégique régional de la filière santé, que les entreprises fabriquant et commercialisant des dispositifs médicaux rencontraient des difficultés dans l'appropriation des nouveaux règlements européens bientôt applicables auxdits dispositifs. Elle a donc monté un groupe de travail pour mieux informer et former les entreprises sur ces règlements. Elle fait en outre mener une étude sur les nouveaux besoins en compétence associés à l'entrée en vigueur de ces règlements et pourra, au regard des conclusions de cette étude, mener une action de développement de l'emploi et des compétences visant à rendre ces compétences disponibles pour les entreprises.

Plus spécialisés dans la prévention et le traitement des entreprises, sont également présents dans chaque région :

- des commissaires au redressement productif, placés sous l'autorité des préfets de région, chargés d'animer des cellules régionales de veille et d'alerte précoce dans une perspective de prévention des difficultés des entreprises, et de contribuer à accompagner les entreprises dans la résolution de leurs difficultés.

Au 1 er janvier 2017, le nombre d'entreprises accompagnées s'élevait à 2 596, pour l'ensemble des régions, en augmentation de 382 cas. Selon les données fournies par la direction générale des entreprises, la taille moyenne des entreprises traitées est passée de 97 salariés en 2015 à 132 salariés, les situations d'entreprises présentant un caractère plus complexe au plan industriel comme en termes de financement. Votre rapporteur relève que seules 338 entreprises sont en procédure collective, ce qui met en exergue l'efficacité des outils d'anticipation mis en place par les commissaires en lien avec l'ensemble des acteurs locaux du traitement des entreprises en difficulté ;

- des structures partenariales de l'État , comme notamment les commissions des chefs de services financiers (CCSF) ou les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI) .

Les CODEFI aident les entreprises en difficulté à élaborer et à mettre en oeuvre des solutions permettant d'assurer leur pérennité et leur développement. Ils peuvent être saisis des cas d'entreprises de moins de 400 salariés, à condition que celles-ci ne soient pas dans une situation manifestement compromise et sans perspective de redressement. Les CCSF, quant à elles, regroupent les chefs de services financiers et des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage et peuvent accorder aux entreprises qui rencontrent des difficultés financières des délais de paiement pour leurs dettes fiscales et sociales (part patronale).

Au-delà de 400 salariés, les difficultés des entreprises sont traitées par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) . Créé en 1982, le CIRI a pour objectif principal d'assurer la continuité de l'activité économique et de préserver l'emploi, sous réserve d'un modèle économique viable. Organisme ad hoc à compétence interministérielle, le CIRI réunit l'ensemble des administrations compétentes en matière de traitement des entreprises en difficulté et assure la coordination de l'action des services de l'État auprès de ces entreprises. Les secteurs industriels les plus concernés par ses interventions sont le secteur sidérurgique, le secteur pétrolier ou parapétrolier, ainsi que le secteur agroalimentaire, mais en réalité 42 % des dossiers examinés par cette structure relèvent aujourd'hui du secteur des services.

Selon les représentants du MEDEF entendus par votre mission, la superposition de strates de décisions et la juxtaposition d'autres organisations publiques pour accompagner les entreprises en difficulté ont rendu le fonctionnement de l'ensemble moins optimal, faisant ainsi naître un besoin de clarification des périmètres ainsi qu'une articulation et une hiérarchisation plus claires. Ils ont insisté notamment sur la nécessité d'une meilleure mise en réseau des intervenants dans le cadre de la logique « Dites-le nous une fois » en vigueur désormais pour les obligations administratives des entreprises. La mission relève néanmoins une volonté de l'État d'assurer une meilleure coordination en matière d'aide aux entreprises en difficulté .

Ainsi que l'a souligné Louis Margueritte, secrétaire général du CIRI au cours de son audition, dans un souci constant de simplification renforcé par la circulaire du 9 janvier 2015, le CIRI assure un rôle :

- de coordination des administrations d'État chargé de l'accompagnement des entreprises en difficultés ;

- d'interface avec les acteurs publics locaux et les opérateurs publics : le CIRI est l'interlocuteur privilégié des CCSF en ce qui concerne le traitement des dettes fiscales et sociales éventuelles dans leur action de soutien aux entreprises en difficulté. Il est également le référent des acteurs locaux sur les principaux outils publics existants (prêts du fonds de développement économique et social - FDES - et audits financiers) et assure désormais leur formation, principalement à destination des commissaires au redressement productif. Le CIRI peut également assurer le lien avec les autres opérateurs publics concernés par un dossier d'entreprise en difficulté (collectivité territoriale en lien avec le préfet, entreprises publiques, etc.).

En outre, le Gouvernement a récemment institué un délégué interministériel aux restructurations industrielles , bénéficiant d'une équipe lui permettant d'intervenir sur des situations d'entreprises nécessitant des actions collectives de plusieurs acteurs. Jean-Pierre Floris, nommé délégué en novembre 2017, a indiqué à vos président et rapporteur qu'il était déjà saisi d'une quarantaine de dossiers.

Confrontée à une baisse de ses moyens financiers et humains, et compte tenu de l'essor de l'action économique des régions, votre mission estime qu'il y a lieu d'entamer une réflexion en vue du « reparamétrage » de l'intervention déconcentrée de l'État en faveur de l'industrie autour de certaines priorités.

Aujourd'hui, au niveau local, l'État reste présent dans des domaines variés de l'action économique (appui aux entreprises et aux mutations économiques, connaissance du tissu économique et des filières locales). Or, compte tenu de leur compétence économique générale, les régions investissent de plus en plus lourdement l'ensemble de la gamme des aides et des accompagnements locaux en faveur de l'industrie, tandis que les opérateurs spécialisés de l'État - comme Bpifrance et Business France - mènent des actions de plus en plus fortes.

Aussi, s'il est indispensable que l'État conserve une action de politique « micro-économique » locale, celle-ci doit être conçue en complément de l'action des régions sur les thématiques qui constituent des priorités nationales et, le cas échéant, les compléter de manière efficace compte tenu du positionnement même des services déconcentrés. La mission, loin de prôner un désengagement des services déconcentrés de l'État en matière industrielle, juge donc nécessaire de les réarmer pour mieux accompagner les tissus industriels locaux.

(1) Se recentrer sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, dans une stratégie d'équilibre des territoires

Le rôle des services déconcentrés de l'État doit, plus que jamais en matière économique, et particulièrement en matière industrielle, présenter un caractère de subsidiarité et de garantie des grands équilibres nationaux. Par nature, seul l'État dispose d'une vision stratégique globale, applicable à l'ensemble de la Nation. Les services déconcentrés doivent donc être présents pour :

- d'une part, mettre en oeuvre localement les stratégies d'équilibre territorial . C'est le cas, notamment, de la politique de réindustrialisation des territoires . L'heure n'est évidemment plus à la « planification » des Trente Glorieuses, mais l'État reste le seul à même de définir, au plan national, une stratégie globale d'équilibre des territoires.

Il y va ainsi, en particulier, de la politique d'accompagnement des entreprises en difficulté, qui fait nécessairement intervenir des acteurs et des politiques régaliens, notamment lorsque sont en cause des difficultés de paiement liées à des obligations sociales ou fiscales. Les services de l'État doivent donc poursuivre ce rôle majeur qui est le leur.

À cet égard, les « référents uniques pour les investissements » (RUI), désignés dans chaque région pour assurer le rôle de guide au sein de l'administration française, notamment dans les démarches de demandes d'autorisations, de négociations avec les opérateurs ou de besoins de financement, 170 ( * ) en lien en particulier avec les services de la région, les collectivités territoriales et Bpifrance, mériteraient d'être renforcés ;

- d'autre part, accompagner localement la mise en oeuvre des politiques nationales qui font intervenir d'autres opérateurs , au sens large, c'est-à-dire les structures publiques ou parapubliques émanant de l'État (établissements publics ou organismes tels que Bpifrance ou Business France) mais aussi les collectivités territoriales elles-mêmes. Lorsque l'État n'est pas le seul compétent pour agir, il doit rester présent pour favoriser les synergies entre des acteurs que leur spécialisation poussée ou leur cadre territorial limité peuvent conduire à mener des actions mal coordonnées et non complémentaires .

(2) Concentrer les moyens sur des catégories d'actions « clés »

Dans ce paradigme rénové de l'action territoriale des services de l'État, les moyens dévolus aux services déconcentrés doivent se concentrer sur des catégories d'actions « clés ». Cette concentration est d'autant plus indispensable compte tenu de la raréfaction des moyens humains et financiers mis à la disposition des services déconcentrés.

Il faut, d'abord, renforcer l'implication des services déconcentrés dans des actions collectives liées aux priorités nationales .

Celle-ci passe par une action d'initiative ou d'animation des services de l'État. L'État portant une stratégie industrielle cohérente aux échelles nationale et européenne ainsi qu'une vision globale des enjeux de développement pour l'industrie, les services déconcentrés devraient avoir un rôle d'impulsion pour lancer des actions collectives susceptibles de relayer ces priorités et d'impulser un mouvement de mise en oeuvre qui sera décliné localement, dans le respect des compétences des différents intervenants de la politique industrielle régionale.

Elle se traduit, ensuite, par une participation qui doit être accrue dans la gouvernance de structures fédérant les entreprises autour d'enjeux d'innovation et d'intelligence économique. Il en va ainsi, en particulier, des pôles de compétitivité. Comme l'ont souligné les représentants des services de l'État dans la région, ces structures possèdent une proximité avec les entreprises du territoire et une capacité à en assurer l'animation à laquelle l'État ne peut se substituer. Afin d'assurer le couplage entre les actions mises en place au niveau national et d'éviter les redondances, il convient donc que les services de l'État restent présents dans la gouvernance de ces structures.

Ensuite, il faut réallouer les moyens financiers aux besoins des politiques d'équilibre des territoires.

Pour favoriser davantage des actions de réindustrialisation et de réduction des inégalités et l'attractivité du territoire, il convient d'envisager un relèvement du niveau financier des aides actuellement administrées par les DIRECCTE que sont l'aide à la réindustrialisation (ARI) et la prime à l'aménagement du territoire, qui ne s'élèvent en 2018 qu'à 15 et 17 M€ au niveau national. Or, comme l'ont rappelé, au cours du déplacement à Toulouse, les représentants de la DIRECCTE Occitanie, pour des raisons qui tiennent à leurs propres mécanismes d'incitation (nombre de dossiers traités, rendement financier), d'autres opérateurs ou services que ceux de l'État n'assurent pas, en priorité, leur action dans cet objectif de réduction des inégalités. L'État doit donc avoir des capacités suffisantes d'intervention pour le soutien à la localisation d'activités industrielles sur les territoires qu'il estime stratégique de favoriser.

Enfin, il faut impliquer davantage les services déconcentrés dans la définition des appels à projet nationaux qui constituent désormais la modalité la plus couramment retenue par l'État pour l'octroi d'aides au financement d'activités. Leur connaissance fine du tissu industriel donne aux services déconcentrés la capacité de susciter les projets qui tirent parti des points forts du territoire.

Proposition n° 42 : Recentrer l'action des services déconcentrés sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, en concentrant leurs moyens sur certaines actions « clés » destinée à favoriser sa politique d'équilibre des territoires.

b) Renforcer les synergies des opérateurs publics et parapublics
(1) Les opérateurs parapublics historiques : les chambres consulaires

Ainsi que l'ont rappelé en audition les représentants de CCI France, les chambres de commerce et d'industrie, établissements publics, sont des acteurs historiques de l'accompagnement des entreprises industrielles . Bien qu'engagé dans un mouvement de restructuration, se traduisant notamment par un renforcement de l'échelon régional avec un accroissement des compétences des chambres régionales, le réseau des CCI reste un acteur de proximité essentiel.

À ce titre, les différentes CCI mènent des actions individuelles ou collectives au profit de leurs adhérents.

Ainsi, pour favoriser la transformation digitale des entreprises industrielles, les CCI mènent sur le terrain des actions de sensibilisation des TPE, PME et ETI aux enjeux de l'Industrie du Futur, d'analyse de la maturité des projets de transformation industrielle ou de connexion des besoins des entreprises industrielles à l'offre de solutions territoriales. Ont ainsi été mises en place des initiatives concrètes à travers les territoires.

Bien qu'à un degré moindre, les chambres de métiers et de l'artisanat ainsi que les chambres d'agriculture peuvent également porter certaines actions en faveur des entreprises relevant du domaine de l'artisanat et de l'agriculture, confrontées à des problématiques de transformation.

(2) Les opérateurs publics spécialisés : Bpifrance, Business France

À leurs côtés se sont désormais pleinement installés sur le territoire des opérateurs de l'État de conception récente, spécialisés, pour Bpifrance, dans l'offre de financement public, et pour Business France, dans l'accompagnement à l'export.

Ces deux opérateurs ont, en quelques années , rempli une fonction d'accompagnement essentiel, qui n'était alors pas pleinement assurée. Néanmoins, entrés dans leur phase de maturité, ces opérateurs ont tendance à adopter une vision extensive de leurs prérogatives, qui conduit à s'interroger sur certaines redondances en termes d'offre de service aux entreprises, notamment industrielles.

Tel est le cas, par exemple, de l'action d'accompagnement menée désormais par Bpifrance, comme le soulignait notre collègue Elisabeth Lamure dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2017. 171 ( * ) Si cette offre est aujourd'hui essentiellement tournée vers les entreprises qu'elle soutient par des investissements en fonds propres, la banque a créé en mars 2015 des programmes « d'accélérateur de croissance » qui permettent un accompagnement sur une à deux années d'un nombre restreint d'entrepreneurs : l'Accélérateur « Start up », l'Accélérateur « PME », l'Accélérateur « ETI ».

Votre mission insiste pour que cette abondance d'actions ne conduise pas à une concurrence stérile d'offres émiettées qui n'assurent pas aux entreprises industrielles le continuum nécessaire dans le cadre de leur accompagnement. Opérateurs et réseau des chambres doivent pouvoir mieux coopérer entre eux, par le biais de partenariats plus développés, pour apporter aux entrepreneurs une gamme de services complémentaires et non concurrentiels, déclinés selon leur spécificité d'action.

Votre mission relève avec intérêt la stratégie commune que le réseau des CCI et Business France construisent depuis 2015 et que le rapport remis en novembre 2017 au Gouvernement par Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, propose de renforcer afin de créer un « guichet unique de l'export ». 172 ( * )

Proposition n° 43 : Renforcer les synergies et complémentarités entre les réseaux consulaires et les opérateurs Bpifrance et Business France afin d'offrir aux entreprises industrielles une gamme de services complémentaires et non concurrentiels, déclinés selon leur spécificité d'action.

c) L'action des régions et des autres collectivités territoriales

Depuis la loi NOTRe, les régions sont devenues les chefs de file incontestables du développement économique local, compétences qu'elles exercent dans le cadre programmatique des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

Vos président et rapporteur soulignent que, lors de leurs travaux en 2011, ils avaient fortement mis en avant la nécessité de créer, dans les territoires régionaux, des « contrats de filières », par lesquels la région identifierait les filières stratégiques et établirait, avec les acteurs de ces filières, des orientations déclinées en plans d'actions concrets, associés à des aides. 173 ( * ) Ils relèvent avec satisfaction que les SRDEII adoptés par les régions répondent en partie à ces préconisations.

Depuis avril 2017, toutes les régions ont en effet élaboré leur SRDEII. Ainsi que le souligne dans une étude récente l'Association des communautés de France (ADCF), ces différents SRDEII prévoient tous un volet « Industrie » qui, compte tenu de l'enjeu de la réindustrialisation du territoire, les conduit à placer comme objectifs de politique régionale le soutien aux filières en reconversion , le développement de filières d'excellence et la numérisation de l'industrie, sous la bannière de « l'usine du futur ». 174 ( * )

Ces soutiens, qui sont mis en place et gérés par les agences de développement économiques régionales, peuvent prendre la forme d'aides et subventions , dont chaque région définit la nature et le niveau.

Ainsi, la région Centre Val de Loire a consacré en 2016 une enveloppe de 11,35 M€ en crédits de paiement, en privilégiant les filières alimentaire, agroalimentaire et agro-industrie, chimie et matériaux, ainsi que tourisme. La région Occitanie a mis en place en 2017 plusieurs types d'aides, selon l'envergure de l'entreprise (TPE/PME/ETI) et la nature de l'action engagée. Il en va ainsi du « Contrat Croissance », qui permet, de la petite entreprise jusqu'au grand groupe de soutenir des investissements matériels (comme l'achat de machines) et investissements immatériels (RH, dépenses commerciales, etc.), à la fois en subvention et en avances remboursables, le taux et le montant de l'aide étant fixés en fonction du montant des dépenses éligibles et de la taille de l'entreprise. De même, le « contrat Innovation » assure, par le biais de subvention et d'avances remboursables, la prise de risque technologique et commercial pour les TPE-PME. La région a également lancé un appel à projets collaboratifs dénommé « Readynov » qui vise à soutenir les filières industrielles de la Région, favoriser les projets collaboratifs de R&D entre les entreprises ainsi qu'avec les organismes de recherche et transformer l'innovation en produits sur le marché parmi neuf thématiques de projets à fort potentiel d'innovation. Le taux et le montant de l'aide - sous forme de subvention ou d'avance remboursable - sont fixés en fonction de la typologie de l'innovation (individuelle ou collaborative), de la taille de l'entreprise et du montant du projet.

Les régions développent également des actions concrètes au profit des entreprises industrielles de leur territoire.

M. David Valence, vice-président de la région Grand Est, a par exemple mis en exergue lors de son audition par les membres de la mission le plan régional « Industrie du futur », lancé le 25 janvier 2016. Ce plan se décline autour de deux types de mesures :

- l'accompagnement concret, chaque année, de 150 PME en croissance à devenir industrie du futur, en recourant à des intervenants extérieurs. À l'issue des diagnostics pris en charge par la région, la collectivité propose un « accompagnement sur mesure » pour aider les entreprises à mettre en place les projets et les améliorations qui leur auront été suggérées. La réalisation concrète des projets peut être accompagnée financièrement en fonds propres, subventions ou en avances remboursables à travers les outils financiers proposés par la Région. Ce type d'action est mis en oeuvre, notamment, pour les entreprises du secteur ferroviaire implantées sur le territoire ;

- le développement de la communauté « Industrie du Futur », regroupant les chefs d'entreprises du territoire ayant engagé leur entreprise dans cette démarche. L'objectif de cette communauté est d'échanger sur les principaux enjeux liés à l'industrie du futur et d'apporter un mentorat aux PME susceptibles de croître dans le cadre de l'industrie du futur. Alstom et Gillet Group font notamment partie des entreprises du ferroviaire qui participent activement à cette dynamique transversale à toutes les familles industrielles du Grand Est.

À l'occasion du déplacement à Toulouse d'une délégation de votre mission, les services de la région Occitanie ont souligné la mise en place de nombreux dispositifs destinés à répondre aux différents besoins des acteurs économiques, de la phase de création à la phase de transmission, en passant par le développement et l'innovation.

Votre mission se félicite de la mise en place de ces documents de programmation et du développement de cette offre de proximité à destination des industries : l'action micro-économique est d'autant plus efficace qu'elle est définie au plus près des entreprises. Pour autant, elle souligne deux points vigilance :

- d'une part, compte tenu de leur taille désormais, les régions doivent assurer un maillage local d'autant plus important, en évitant un effet de « métropolisation régionale » qui conduirait de lui-même à une désertification industrielle des territoires les plus ruraux. Pour ce faire, elles doivent donc davantage s'appuyer, par des mécanismes de convention, sur les relais locaux que peuvent être, en particulier, les chambres consulaires ainsi que le réseau déconcentré de l'État ou de ses opérateurs.

Cette pratique partenariale est certes déjà présente dans certaines régions. Ainsi, dans ce cadre, la région Bretagne a mis en place une cellule de plusieurs personnes, présentes en permanence sur le territoire, par grands bassins d'emplois, afin de favoriser le développement des entreprises et d'identifier les signaux faibles pouvant traduire un besoin de restructuration d'entreprises qui mène son action en partenariat avec les 59 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) bretons, les réseaux consulaires, la Banque de France, Bpifrance et les services de l'État. Ce type de bonne pratique doit être favorisé et amplifié ;

- d'autre part, si chaque région doit évidemment favoriser et valoriser son propre territoire, il est souhaitable qu'elle le fasse en bonne intelligence avec les régions limitrophes, en prenant en considération la situation industrielle existante afin de développer des synergies profitables à plusieurs régions . Vos président et rapporteur relèvent que ce type de synergies peut notamment être favorisé par les pôles de compétitivité qui peuvent s'étendre sur plusieurs régions, comme c'est le cas, notamment, des pôles « Agri Sud-Ouest Innovation » et « Aerospace Valley » pour les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.

Proposition n° 44 : Conforter la mise en oeuvre des politiques industrielles des régions par le maintien de relais locaux, le cas échéant en coordination avec les opérateurs de l'État et les chambres consulaires, ainsi que par le développement de synergies interrégionales.

En outre, l'action complémentaire des autres collectivités territoriales ne doit pas être négligée . Même si elles ont perdu une grande partie de leurs compétences économiques, elles mènent des politiques et des actions opérationnelles qui peuvent fortement contribuer au succès d'une filière industrielle.

Lors de leur audition, les représentants de Croissance plus ont indiqué en particulier combien l'aménagement foncier était une dimension essentielle à prendre en considération pour faciliter l'implantation des sites industriels et leur développement, voire éviter leur départ . Or, les documents de planification en matière d'urbanisme peuvent avoir tendance à négliger cet aspect.

La situation est particulièrement préoccupante dans les zones d'urbanisation métropolitaines. Ainsi, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris-Ile-de-France a récemment mis en exergue qu'en Ile-de-France, en zone urbaine, les projets urbains se faisaient au détriment du foncier productif, les activités industrielles et logistiques étant rejetées en zone périphérique. Or, faute de foncier disponible à des prix adaptés, seuls 5 % des locaux disponibles sont neufs et 70 % de l'offre est constituée de locaux de seconde main et non rénovés, l'obsolescence des locaux étant le premier facteur déclenchant pour le déménagement d'entreprises industrielles en Ile-de-France.

Du reste, dans certaines régions, des actions conjointes sont menées avec les EPCI compétents dans ce domaine. Tel est le cas, par exemple, de la région Occitanie, qui, en matière d'immobilier d'entreprises , dans le cadre de la contractualisation avec les EPCI, s'est engagée pour accompagner les projets d'immobilier d'entreprise à leurs côtés avec une prise en charge à hauteur de 70 % de la part de l'aide publique mobilisable. 175 ( * ) De même, la région intervient dans le soutien de l'immobilier collectif , en cofinançant des projets de construction, d'extension, de réhabilitation d'hôtels et pépinières d'entreprises pouvant intégrer des espaces de travail partagés tels que les ateliers partagés, les espaces de co-working, les tiers-lieux et les fabLab... Enfin, en partenariat avec les EPCI, elle accompagne la structuration d'une offre régionale de parc d'activités économiques (Occitanie Zone Economique) disposant d'aménagements qualitatifs et d'un ensemble de services afin que chaque territoire soit en capacité d'accueillir un projet industriel en implantation ou en développement, à l'instar des zones de Pyrénia, à Tarbes, et de Prae, à Castelnaudary.

En outre, on assiste à des cessions massives d'emprises foncières jusqu'alors occupés par des sites de production industriels de la part de grands groupes industriels. Tel est le cas, par exemple, de Peugeot avec la vente de son usine à Aulnay-sous-bois ou la réduction de la surface bâtie de son usine de Sochaux qui devrait passer de 700 000 à 230 000 m 2 . Cette libération d'espaces industriels ne doit pas conduire à leur totale « déspécialisation » industrielle, au profit d'autres activités économiques ou de l'habitat ; elle doit au contraire permettre de développer de nouveaux équipements, plus modernes et mieux connectés, pour d'autres activités industrielles.

L'action des collectivités territoriales ou de leurs groupements, compétents en matière d'urbanisme, est donc essentielle pour que les besoins fonciers des activités industrielles soient mieux pris en considération dans l'élaboration des instruments de planification urbaine.

À cet égard, votre mission invite donc les collectivités exerçant la compétence en matière de schémas de cohérence territoriale (Scot) à intégrer pleinement une stratégie concernant l'immobilier d'activité. Du reste, les régions et l'État étant personnes associées à l'élaboration de ces documents, il leur appartient aussi de pousser à la prise en compte de ces problématiques, en particulier au stade du diagnostic de la situation et des perspectives économiques des établissements publics concernés.

Proposition n° 45 : Intégrer pleinement dans les schémas de cohérence territoriale une stratégie concernant l'immobilier industriel.

ANNEXE I - LES STRATÉGIES INDUSTRIELLES DES AUTRES ÉTATS176 ( * )

I. CHINE

LA POLITIQUE SECTORIELLE CHINOISE

D'un point de vue sectoriel, les politiques mises en oeuvre par le gouvernement chinois semblent relativement exhaustives : pas moins de 10 secteurs (et 23 sous-secteurs) sont cités dans le plan « China Manufacturing 2025 » (TIC, Robotique, Aéronautique, Équipement naval et maritime, Équipement ferroviaire, Automobile, Électricité, Matériel agricole, Nouveaux matériaux, Médecine). Au-delà de la maîtrise par la Chine d'un certain nombre de technologies fondamentales, le plan vise à faire du pays une puissance industrielle majeure, avec des objectifs précis de parts de marché en Chine et à l'international d'ici 2025 pour les produits de propriété intellectuelle chinoise dans certains domaines, dont en particulier les TIC.

Le 13 e plan quinquennal réaffirme les objectifs nationaux de montée en gamme du tissu industriel et de soutien massif à l'innovation , en mentionnant le rôle d'appui que doit jouer l'immense marché intérieur chinois . Le plan insiste en particulier sur le lien entre le renforcement des liens entre monde académique et monde de l'entreprise. Les fonds publics alloués à la recherche devront être davantage tournés « vers l'innovation » et ses résultats concrets ; les universités et les centres de recherche jouiront de davantage d'autonomie (appels à projets, mise en concurrence). Un système de contrôle et d'audit performant devra par ailleurs être mis en place. Des méthodes nouvelles telles que le crowdsourcing (production participative) et le crowdfunding sont également mentionnées.

La mise en oeuvre et le financement des politiques publiques incombent, au niveau du gouvernement central, à de nombreuses administrations, notamment le ministère de l'industrie et des technologies de l'information (MIIT), le ministère des sciences et des technologies (MOST), la commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC, Ministère de la planification) ainsi que les deux grandes académies placées sous l'autorité directe du Conseil des affaires d'État (Académie des sciences et Académie d'ingénierie). Les entreprises et les organismes de recherche souhaitant bénéficier des programmes mis en place par ces administrations peuvent généralement directement candidater auprès de leurs bureaux de représentation au niveau local.

L'État chinois conçoit ainsi de nombreux programmes de grande ampleur correspondant à une stratégie de long terme (plusieurs décennies), suivie au cours des plans quinquennaux successifs . Parmi les grands plans de soutien à l'innovation, représentant des financements accumulés de plusieurs dizaines de milliards d'euros, figurent notamment le programme TORCH du MOST, lancé en 1988 et destiné au développement d'industries de pointe via la création d'incubateurs et de parcs de hautes technologies, ainsi que, davantage dans le champ de la recherche scientifique, le plan 863 visant une dizaine de secteurs de pointe tels que les biotechnologies, le spatial ou les nouveaux matériaux.

Au-delà de ces mesures budgétaires, les moyens financiers très importants alloués à la montée en gamme du tissu productif et du système d'innovation chinois se sont plus récemment orientés vers une logique de partenariat « public-privé », avec la mise en place de nombreux fonds d'investissement dédiés à l'industrie aux niveaux national et local. Parmi les plus emblématiques de ces fonds figurent notamment :

- le Fonds national pour l'industrie des semi-conducteurs (China integrated circuit industry investment fund) : lancé en septembre 2014, capital évalué à 140 Md CNY en juin 2016. Associe notamment Etat (MoF/MIIT), CDB, China Tobacco

- le Fonds national pour la fabrication avancée (China advanced manufacturing industry investment fund) : lancé en juin 2016 avec une dotation initiale de 20 Md CNY. Associe notamment Etat (NDRC/MoF/MIIT), State Development & Investment Corporation, ICBC

- le Fonds pour l'investissement dans l'Internet (China Internet investment fund) : lancé en janvier 2017 avec une dotation initiale de 100 Md CNY. Associe notamment Etat (MoF/Cyberespace administration of China), ICBC, CDB, Agricultural Bank of China

Au-delà du développement de capacités de recherche « endogènes », c'est aussi par des acquisitions massives à l'étranger que se matérialise la montée en puissance technologique de l'industrie chinoise, comme en témoignent plusieurs rachats emblématiques menés en 2016 dans des secteurs de pointe comme la robotique industrielle (achat de l'allemand Kuka par Midea, de l'américain Paslin par Wanfeng) ou la chimie fine (achat du suisse Syngenta par ChemChina).

Plus anciennement, on peut notamment évoquer le rachat en 2005 de la branche ordinateurs personnels d'IBM par Lenovo, qui a consacré l'émergence de ce dernier sur le marché mondial, ou le rachat en 2010 de la filiale véhicules personnels de Volvo par Geely auprès de Ford.

II. CORÉE DU SUD

LA POLITIQUE DÉFINIE PAR LE COMITÉ CORÉEN DE LA 4 ÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Présidé par le Président de la République de Corée, un comité d'État, le Comité de la 4ème révolution industrielle, visant à moderniser la structure industrielle du pays a été créé le 26 septembre 2017. Composé d'une trentaine de hauts responsables politiques et d'hommes d'affaires, il a publié le 30 novembre 2017 un plan d'action concernant 12 secteurs .

Cette politique d'innovation industrielle s'articule autour de quatre grands axes :

- mettre en place une régulation plus souple, favorable aux nouvelles industries et aux investissements ;

- développer des dispositifs de soutien basés sur la performance pour promouvoir la R&D dans les secteurs innovants ;

- établir une plateforme commune permettant la convergence des données ;

- créer une demande publique initiale pour favoriser l'émergence d'un marché sur ces nouvelles industries.

Le comité a défini un plan d'action reposant sur des innovations, d'une part, s'appuyant sur l'intelligence artificielle (IA) dans les domaines du médical, de l'industrie, de la mobilité, de l'énergie, des finances et de la logistique, ainsi que de l'agriculture et, d'autre part, dédiées à l'amélioration de la qualité de vie dans les domaines de la construction et de l'urbanisme, des transports, du bien-être, de l'environnement, de la sécurité et de la défense nationale.

III. JAPON

LA STRATÉGIE JAPONAISE EN MATIÈRE INDUSTRIELLE

Pour répondre à ces enjeux, le gouvernement a pris de nombreuses mesures.

- L' Industrial Competitiveness Enhancement Act

Adopté en 2013, l'Industrial Competitiveness Enhancement Act vise à :

- inciter les entreprises à engager des restructurations positives : des avantages fiscaux sont accordés à toute entreprise ayant un projet de restructuration pouvant permettre une augmentation de la productivité ;

- supprimer les « zones grises » des réglementations, notamment celles concernant les entreprises qui développent des produits/services innovants. En décembre 2017, plus de 120 zones grises avaient été supprimées ;

- inciter les investissements en capitaux, via des avantages fiscaux, et ce afin d'améliorer la productivité, encourager les PME... ;

- inciter les grandes entreprises à investir dans les start-up, là encore au moyen d'avantages fiscaux ;

- développer l'appui aux start-up et PME.

- L'initiative « Connected Industries »

L'initiative Connected Industries, menée par le ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie japonais (METI), a pour objectif non seulement de moderniser l'industrie mais également de faciliter et encourager le partage et l'utilisation généralisés des données grâce à la digitalisation des procédés industriels. Elle vise également à répondre aux grands enjeux sociétaux auquel le Japon fait face aujourd'hui (affaiblissement de la compétitivité industrielle, baisse du taux de natalité, vieillissement de la population, restrictions énergétiques et environnementales...) en transformant la société japonaise pour en faire une « Société 5.0 ».

À cette fin, le gouvernement japonais entend favoriser la production et la commercialisation de produits et services utilisant les nouvelles technologies (intelligence artificielle, Big data et Internet des objets) dans cinq secteurs prioritaires : la conduite autonome et les services à la mobilité ; l'industrie manufacturière et la robotique ; la sécurité des infrastructures et usines ; le Smart Life ; les biotechnologies et matériaux. Les mesures sont à la fois sectorielles (smart manufacturing, ITS, robots et drones, biotechnologies et soins médicaux) et transversales (utilisation de données, formation et augmentation du nombre d'experts en IT, cybersécurité, IA et propriété intellectuelle et standardisation).

Pour financer cette initiative, d'une part, les ministères en charge, dont le METI, disposeront, pour l'année comptable 2018, d'environ 78 Md JPY (568 M€), auxquels s'ajoutent 3,5 Md JPY (26,4 M€) pour le développement de technologies IoT/Big Data/AI permettant de répondre aux enjeux de productivité, et 13,4 Md JPY (101 M€) pour le développement de la recherche sur les technologies du futur. En 2017, la NEDO ( New Energy and Industrial Technology Development Organization ), agence de financement du METI, a par ailleurs investi respectivement 99,1 M$ et 29,1 M$ dans des projets nationaux liés au développement de la robotique et des nouvelles technologies de fabrication. Elle prévoit également, à partir de mars 2018, d'accorder des subventions à des entreprises innovantes qui concluent des partenariats pour développer des systèmes d'IA applicables à l'industrie.

D'autre part, pour stimuler le partage de données entre entreprises japonaises et encourager la coopération industrielle, le METI et le MIC prévoient d'accorder le statut de « big-data banks » aux entreprises qui travaillent sur des opérations avancées de partage de données, tout en les rendant éligibles à des allégements fiscaux. Le METI et l'ITAC ont également publié, en mai 2017, un document intitulé « Contract Guidelines on Data Utilization Rights » qui sert de référence sur les questions juridiques que soulève l'utilisation des données entre entreprises.

Le secteur privé participe de lui-même à la réalisation de cette stratégie. Des échanges réguliers sont organisés entre les acteurs de l'industrie japonais et avec le gouvernement. En outre, près de 200 « use cases » sont répertoriés par la Robot Revolution Initiative (124 pour des grandes entreprises, 64 pour des PME et 14 pour des microentreprises). À titre d'exemple, Fujitsu a mis en place une plateforme digitale de partage de données industrielles, notamment entre entreprises au sein d'une même chaîne de production (appelée COLMINA). En outre, Hitachi, Fanuc et une start-up spécialisée en Intelligence Artificielle vont créer une joint-venture pour développer les systèmes manufacturiers qui combinent l'intelligence artificielle et les technologies informatiques de pointe32.

Dès son lancement, l'initiative « Connected Industries » s'inscrivait dans un contexte international, puisqu'elle était directement inspirée des modèles allemand (Industrie 4.0) et français (Industrie du Futur). La coopération internationale, notamment le renforcement du dialogue UE-Japon sur l'économie des données, est donc perçue comme un axe majeur pour le gouvernement japonais afin de mener à bien sa révolution industrielle.

À cet égard, en janvier 2017, lors du Comité de coopération industrielle France/Japon entre la DGE et le METI, les deux pays se sont engagés à renforcer leur coopération sur les sujets IoT/Industrie du Futur en créant un groupe de travail dédié. Ce groupe de travail a permis de mieux faire connaître « l'Alliance du futur » et les synergies possibles entre la stratégie française et « Connected industries ». Il a, en outre, conduit au lancement, en 2017, d'un premier appel à projets conjoints visant à faire cofinancer, par Bpifrance et la NEDO, des partenariats technologiques entre PME françaises et japonaises liés à l'industrie du Futur et l'IoT. Le second appel à projets a été lancé en février 2018 avec pour objectif le cofinancement de 2 à 3 projets.

- L' Open Innovation et la coopération industrie-gouvernement-monde académique

Les nouvelles technologies telles que l'IoT, l'Intelligence artificielle, les Big Data, la robotique, la santé, le smart living ou les énergies nouvelles sont autant de secteurs prioritaires pour lesquels le gouvernement souhaite encourager l'open-innovation. À titre d'exemple, pour la première fois en 2016, le METI a prévu une ligne budgétaire pour les projets d'open innovation liés au développement de l'IoT (environ 3,3 Md JPY en 2016). Egalement en 2016, un livre blanc a été publié par la NEDO et le Japan Open Innovation Council, dans lequel il est fait état des insuffisances des politiques d'open innovation au Japon et qui propose certaines évolutions.

Le gouvernement et les entreprises ont décidé d'encourager les relations entre le secteur privé et académique. Depuis 2008, le METI incite à l'établissement de centres de recherche (plus de 30 centres à ce jour) rassemblant des représentants du gouvernement et des secteurs privés et universitaires.

Plus récemment, en novembre 2016, ont été adoptées des guidelines visant à tripler les investissements privés dans les universités et les centres de recherche nationaux d'ici à 2025. Le Keidanren , organisation patronale japonaise, a également publié un rapport en février 2017 fixant plusieurs priorités pour renforcer la recherche collaborative : un meilleur management des universités, une meilleure transparence des dépenses des projets conjoints, le respect de la propriété intellectuelle, la protection des secrets d'affaires, les échanges de personnels entre entreprises, universités et gouvernement.

D'autre part, des avantages fiscaux ont été mis en place pour les entreprises qui s'engagent dans des projets conjoints de R&D avec des universités ou des instituts de recherche : les crédits d'impôts sont passés de 12 % en 2014 à 30 % en 201534.

Conséquence des mesures prises depuis plusieurs années, le nombre de projets conjoints a été multiplié par 2,6 entre 2003 et 2014 et est passé de 14 700 à 19 000 entre 2009 et 2014. Les montants engagés ont également augmenté passant de 29,5 Md JPY en 2009 à 41,6 Md JPY en 2014.

De grands groupes comme Fujifilm, Sony, Sumitomo Mitsui, Hitachi Chemical ont lancé des open innovation lab , centres ouverts à tout acteur extérieur qui souhaite présenter une innovation et cherche un soutien. Néanmoins, la grande majorité des entreprises japonaises privilégient principalement le soutien aux start-up et les fonds d'investissement dédiés. Softbank a lancé un programme en 2015, visant à sélectionner des start-up prometteuses et les accompagner dans leur développement. Mitsubishi Heavy a ouvert un nouveau centre de R&D en avril 2017 afin d'attirer de nouveaux chercheurs talentueux. Plusieurs entreprises ont mis en place des Corporate Venture Capital (CVC), dont Softbank (Softbank Vision Fund - 100 Md USD), KDDI (80 M EUR), NTT Docomo (280 M EUR) ou encore Fujitsu (40 M EUR). On constate ainsi une augmentation du montant global des investissements dans les start-up (de 63 Md JPY en 2012 à 210 Md JPY en 2016) ainsi que du montant moyen consacré à un investissement dans une start-up (en moyenne de 20 M JPY en 2013 à 108,2 M JPY en 2016).

- La promotion des start-up japonaises

Le gouvernement japonais a fait de l'appui aux start-up et du développement des technologies de rupture une priorité. Plusieurs programmes ont été lancés sous le label « Venture Challenge 2020 » avec comme priorités : la formation de futurs entrepreneurs, le soutien financier à la création de start-up et la mise en place d'un cadre favorable au développement des start-up.

Le soutien de projets R&D constitue un axe phare de cette politique et ce afin d'encourager la création de start-up issues d'universités et les coopérations industrie/université.

Des agences publiques ou semi-publiques, telles que la NEDO, l'INCJ, la SMRJ, la JST, proposent par ailleurs des aides financières et logistiques à la création de start-up ou des soutiens à des projets de R&D innovants. La NEDO a ainsi mis en place trois programmes de soutien aux start-up et à l'innovation : STS, SUI, SIP12. L'INCJ réalise, quant à elle, des investissements en capital-risque dans les start-up, en particulier en phase initiale (ces derniers représentent près de 80 % de l'ensemble de ses investissements). Le nombre de projets en capital-risque a ainsi plus que quadruplé entre 2011 et 2016. La SMRJ, de son côté, met, à disposition des start-up, des structures d'incubation, des experts, des financements (via son « Venture Fund Program ») et organise des événements de « business matching ». Enfin, le MEXT, via la JST (budget de 119,2 M JPY en 2017), a lui aussi engagé des programmes de formations et de soutien financiers aux chercheurs.

Enfin, le gouvernement encourage les start-up étrangères à venir s'installer au Japon. Pour l'année 2017, le METI a rajouté une ligne budgétaire dédiée au « Global Open Innovation Hub », qui a pour but d'attirer les entreprises et les talents étrangers au Japon afin qu'elles y développent de nouvelles technologies (1,3 Md JPY). Si le gouvernement semble pour l'instant viser les entreprises de la Sillicon Valley, les pays de l'ASEAN, Israël et l'Estonie ont également été identifiées comme des terres de start-up innovantes. En outre, à la suite de l'Année de l'Innovation franco- japonaise en 2015-2016 et du CES de Las Vegas en 2017 et 2018, l'Ambassade de France au Japon a constaté plusieurs marques d'intérêt de la part des autorités japonaises vis-vis des start-up françaises. Le METI devrait par ailleurs mettre en place cette année un « Start-up Visa » national, sur le modèle du French Tech Visa, qui aura pour objet : l'appui aux start-up japonaises prometteuses, la mise en relation des start-up avec les grands groupes et autres organismes d'appui, encourager les start-up japonaises à se développer à l'étranger et attirer les start-up étrangères sur le sol japonais.

IV. ROYAUME-UNI

LES QUATRE DÉFIS TECHNOLOGIQUES DU LIVRE BLANC BRITANNIQUE POUR L'INDUSTRIE

- L'intelligence artificielle

En matière d'IA, le gouvernement britannique reprend dans sa stratégie industrielle plusieurs mesures déjà annoncées lors du projet de loi de finances 2018-19. Le gouvernement créera ainsi un fonds doté de 10 M£ pour encourager l'innovation au sein des différents régulateurs britanniques. Il investira également 9 M£ dans un nouveau centre chargé de veiller à un développement éthique des innovations dans le domaine de l'IA et des technologies axées sur les données ( Centre for Data Ethics and Innovation ). Sur les cinq années à venir, le gouvernement consacrera 84 M£ pour former 8 000 professeurs en informatique ou encore créer un centre national pour l'informatique ( National Centre for Computing ) chargé notamment de produire des supports de formation. Il travaillera également à un futur programme de formation continue ( National Retraining Scheme ) dans lequel il investira au départ 30 M£ pour créer des cours en ligne sur le numérique et 10 M£ pour concevoir des manières flexibles d'apprendre.

Un partenariat entre le gouvernement, l'industrie (CBI) et les employés ( Trade Union Congress ) visera à définir la direction stratégique et l'implantation du projet.

Comme préconisé dans l'étude menée par W. Hall et J. Pesenti, le gouvernement utilisera les concours lancés au travers de l'ISCF pour soutenir le développement d'applications innovantes dans ce secteur. La stratégie industrielle précise que le gouvernement lancera dans ce cadre de nouveaux appels à projet à hauteur de 53 M£ concernant les technologies immersives et les services. Il créera également un Conseil de l'IA formé par des membres de l'industrie chargé de coordonner les initiatives et de promouvoir le développement de ce secteur. La stratégie industrielle précise que ce conseil sera appuyé par une administration spécifique ( Government Office for AI ) qui mettra l'accent sur six secteurs d'application de l'IA : la cybersécurité, les sciences du vivant, la construction, l'industrie, l'énergie et les technologies agricoles. Cette administration travaillera avec le Digital Catapult et le fonds GovTech annoncé le 15 novembre 2017. L'Alan Turing Institute , joint-venture entre 5 universités (Cambridge, Edimbourg, Oxford, UCL, Warwick) et le conseil de recherche EPSRC deviendra un institut national pour l'IA. Le gouvernement investira 45 M£ pour augmenter d'au moins 200 le nombre de contrats doctoraux en IA d'ici 2020-21 et soutiendra la création de masters financés par l'industrie.

- La croissance verte

Dans la continuité de la stratégie pour la Croissance verte à 2030 rendue publique le 12 octobre dernier, la Stratégie industrielle retient le champ de l'économie verte comme l'un des relais de la croissance britannique, complété par la mobilité électrique objet d'un défi spécifique. Aucune annonce nouvelle n'est réalisée pour l'économie verte. Les financements sont ceux du budget 2017/18 présenté le 22 novembre dernier. Et concernant la finance verte, il est rappelé le travail lancé en septembre dernier de la « Green Finance Taskforce » qui s'appuiera désormais sur l'institution britannique de normalisation ( British Standards Institution ) et la City of London pour développer de nouveaux standards.

En revanche, deux stratégies spécifiques à venir sont annoncées concernant l'énergie : d'une part, une stratégie pour le développement des « systèmes locaux intelligents d'énergie » ( Prospering from the energy revolution program ), pour l'électricité mais également la chaleur et les transports ; d'autre part, un programme Transforming Construction dans le secteur de la construction pour intégrer l'efficacité énergétique. Également, une stratégie pour le secteur agricole sera mise en oeuvre en intégrant des considérations énergie-climat ( Transforming food production : from farm to fork ). Et la « bio-économie » (utilisation de ressources naturelles pour la production de matériaux ou d'énergie) est particulièrement citée mais sans annonce particulière.

Il s'agit également d'aborder au sein de chacun des partenariats sectoriels gouvernement/industrie (« Sectors Deal ») la réduction de la consommation d'énergie et donc la facture des industries électro-intensives. Le gouvernement réaffirme également sa volonté de développer tout en réduisant les coûts du nucléaire civil de nouvelle génération, de l'éolien en mer et de l'hydrogène. Concernant les hydrocarbures, le gouvernement continue de soutenir la production en mer du Nord et maintient son soutien au gaz de schiste tout en rappelant sa volonté de créer un régulateur ( Shale Environmental Regulator ) et d'en réduire les conséquences climatiques par l'association aux technologies de captage/stockage carbone. Les réacteurs nucléaires de faible puissance (Small Modular Reactor) ne sont pas cités.

La stratégie industrielle reprend les annonces de la stratégie pour la Croissance verte à 2030 et du Budget 2017. Les seules annonces nouvelles sont :

- le développement de systèmes locaux intelligents d'énergie ( Prospering from the energy revolution program ) ;

- le programme « Transforming Construction », sur l'efficacité énergétique ;

- la stratégie « bio-économie », destinée à promouvoir l'utilisation de matériaux bas carbone pour produire notamment de l'énergie

- La mobilité du futur

Dans la lignée des annonces faites lors du Budget 2017, la stratégie concernant la mobilité du futur insiste sur le déploiement des véhicules électriques. Le gouvernement fonde ainsi sa stratégie sur quatre priorités :

- la création d'un cadre réglementaire flexible pour encourager les nouveaux modes de transports. Cela répond à la volonté affichée par le gouvernement de voir des voitures autonomes sur les routes britanniques d'ici 2021. Toutefois, en dehors de cette annonce, aucune mesure concrète pour les voitures autonomes n'a été annoncée ;

- le développement des voitures à « 0 émission » : cette priorité s'organise autour du cadre introduit autour des derniers mois. Elle s'appuie sur le Faraday Battery Institute créé en octobre 2017 et qui vise à coordonner la R&D sur les batteries électriques. En termes de financement, elle reprend les annonces du Budget 2017 : investissement public-privé de 400 M£ dans les infrastructures de chargement et subventions de 100 M£ pour l'achat de voitures électriques. Enfin, le gouvernement annonce une stratégie à paraître dans les prochains mois sur la transition vers ces voitures à très faible émission ;

- la promotion de nouveaux services de mobilité avec la parution dans les 12 prochains mois d'une stratégie sur le futur de la mobilité urbaine ( Future of Urban Mobility ) ;

- la réflexion sur l'utilisation des données pour accélérer le développement des nouveaux services de mobilité et rendre le système de transport plus efficace.

- Le vieillissement de la population

Ce nouveau défi s'ordonne autour de quatre priorités :

- soutenir de nouveaux produits et services pour les plus âgés afin de répondre à des besoins sociaux et de saisir les opportunités : 2 Md£ de plus de 60 ans d'ici 2050 donc opportunités de marché. Le programme « Healthy Ageing » va être lancé afin de prolonger l'indépendance des personnes âgées ;

- soutenir les secteurs pour qu'ils s'adaptent à une main-d'oeuvre vieillissante en s'appuyant sur la stratégie parue en février 2017, Fuller Working Lives ;

- utiliser les données de santé pour améliorer les diagnostics et les traitements : en accord avec la stratégie de John Bell sur les sciences du vivant, le gouvernement promeut le développement de Digital Innovation Hubs au niveau régional en utilisant les données dans le cadre défini par le National Data Guardian. Un programme ( Data to early diagnostics and precision medicine ) doté de 210 M£ et visant à combiner la richesse des données avec la réalité de la santé pour aider au diagnostic et choisir les meilleurs traitements va être lancé

- aider les soignants à adapter leurs business models : à ce sujet, un livre vert va être publié sur le soin et le soutien en Angleterre.

ANNEXE II - EXEMPLES DE DISPOSITIFS ÉTRANGERS DE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS

I. ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE 177 ( * )

ALLEMAGNE

Les investissements étrangers sont régulés en Allemagne par la loi sur les relations économiques extérieures de 1961, modifiée en 2009 et 2013 ( « Außenwirtschaftsgesetzes » -AWG-) et le décret d'application correspondant (« Außenwirtschaftsverordnung » -AWV-) modifié le 12 juillet 2017.

L'existence d'un mécanisme destiné à contrôler les investissements étrangers est relativement récente : avant 2008, seuls les investissements dans le secteur de l'armement étaient réellement encadrés (le gouvernement pouvait interdire à un investisseur étranger de détenir plus de 25 % des droits de vote de l'entreprise). Le mécanisme actuel trouve son origine en 2007, lorsque les agissements de certains de certains fonds souverains ont inquiété les autorités allemandes. Cette inquiétude a été relayée par les partis politiques en juillet 2007 et l'initiative de rénover le dispositif de contrôle des investissements étrangers a été prise en septembre 2007.

La réforme de 2009 a fondé le contrôle des investissements étrangers sur une possible atteinte à l'ordre public et à la sécurité de l'État fédéral . Si ces notions ne sont pas définies dans la loi, elles incluent les problématiques de sécurisation des approvisionnements énergétiques, de garanties des moyens de télécommunication, de fourniture d'électricité, et certains services publics « stratégiques ».

Sont concernés par le dispositif tous les secteurs économiques et toutes les transactions donnant à un investisseur étranger directement ou indirectement (notamment par l'action de concert avec d'autres actionnaires) 25 % ou plus des droits de vote d'une entreprise dès lors que l'opération touche à l'ordre public et à la sécurité nationale . Trois cas de figure se présentent :

- si l'investisseur est une société localisée dans l'Union européenne avec des capitaux majoritairement européens , l'investissement n'est pas contrôlé sauf si l'investissement concerne le secteur de la défense 178 ( * ) ;

- si l'investisseur est localisé dans un pays tiers à l'UE , l'investissement est automatiquement concerné par la loi dès lors que l'opération touche à l'ordre public et à la sécurité nationale ;

- si l'investisseur étranger est une société localisée dans l'Union européenne mais est détenue à plus de 25 % par un investisseur originaire d'un Etat tiers à l'UE, il est concerné par la loi dès lors là encore que l'opération touche à l'ordre public et à la sécurité nationale .

Le contrôle exercé prend la forme :

- d'une autorisation préalable et obligatoire du ministère fédéral de l'économie (BMWi) quelle que soit l'origine de l'investisseur (UE ou non-UE) pour les investissements réalisés dans le domaine de la défense ;

- d'un contrôle a posteriori facultatif pour les investissements originaires de pays tiers à l'UE dans les autres secteurs, dès lors que l'ordre public et la sécurité nationale sont concernés.

Si le BMWi considère qu'une interdiction n'est pas nécessaire, il doit en informer le gouvernement dans un délai de deux mois. Si au contraire le BMWi plaide pour une interdiction, il doit recueillir l'accord préalable du gouvernement. Si aucune menace à l'ordre public ou la sécurité n'est constatée, le ministère autorise l'opération. Un avis confirmant la conformité de l'opération est alors rendu ( Unbedenklichkeitsbescheinigung ).

Si l'opération n'est pas autorisée, le BMWi peut prendre les mesures nécessaires pour revenir sur l'opération d'investissement. Le droit de vote découlant de la prise de participation peut ainsi être suspendu ou fortement restreint. Un mandataire peut également être nommé au sein de la société. Le BMWi instruit en moyenne 40 dossiers par an (contre environ 130 environ instruits par la DG Trésor) et ses décisions sont soumises aux juridictions administratives. Le BMWi est responsable de l'exécution de la procédure de contrôle. Il fait appel à d'autres ministères dans le cadre de leurs attributions.

La modification du décret d'application en 2017 n'introduit pas d'évolution substantielle dans le dispositif de contrôle allemand dont les principes de base restent inchangés : seules les opérations réalisées dans le secteur de la défense, désormais défini de façon moins stricte, demeurent soumises à un contrôle préalable des autorités. Les critères de contrôle (ordre public, sécurité nationale) n'évoluent pas.

ITALIE

Le dispositif italien a été réformé en 2012 pour mettre fin à la procédure d'infraction que la Commission européenne avait ouverte à l'encontre de l'Italie en 2009 179 ( * ) . Le nouveau mécanisme appelé « Golden power » donne des pouvoirs d'intervention à l'État en cas d'opérations visant des entreprises opérant dans des secteurs stratégiques de la défense et de la sécurité nationale, mais aussi des communications, de l'énergie et des transports. L'Etat ne peut exercer ces prérogatives qu'en cas de « menace effective de préjudice grave pour les intérêts essentiels de la défense et de la sécurité nationale ».

Le dispositif identifie précisément les activités d'importance stratégique :

- dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale : les systèmes et matériaux de Commande, Contrôle, Ordinateur et Informations (dit C4I) ; des senseurs avancés intégrés dans les réseaux C4I ; les systèmes de lutte contre toutes formes d'explosifs ; les systèmes d'arme avancés, intégrés dans les réseaux C4I ; les systèmes aéronautiques avancés, dotés de senseurs avancés intégrés dans les réseaux C4I ; les systèmes de propulsion aérospatiaux et navals militaires ; de nombreuses technologies et matériels Radar (RAM) ; les systèmes et senseurs pour l'observation, la surveillance et le contrôle du territoire ; le système d'observation (optique et radar), de surveillance et de contrôle du territoire installés sur des aéronefs ; systèmes de propulsion, transmission de pouvoirs et de commande des moteurs aéronautiques et navals ; système de protection balistique ; système d'information et de communication, même satellitaire de recherche, de classification et de gestion des informations et des données utilisé pour les activités de défense civile... ; les réseaux privés virtuels de l'administration publique, les réseaux de télécommunications du ministère, le système de contrôle de radioactivité ; les systèmes de détection et de protection NBCR ainsi que des engins explosifs, système de vision nocturne, de surveillance et de contrôle du territoire ;

- pour les secteurs de l'énergie, des transports et des communications : le réseau national de transport du gaz, les infrastructures d'approvisionnement d'énergie électrique et gazière, le réseau national de transmission de l'énergie électrique et les activités de gestion liées à l'utilisation des réseaux et des infrastructures ; les grands réseaux et équipements d'intérêt national, destinés à garantir les principales liaisons transeuropéennes. Par réseaux et équipements, le décret entend les ports et les aéroports d'intérêt national, ainsi que le réseau ferroviaire national d'importance pour les réseaux transeuropéens ; les réseaux dédiés et le réseau d'accès public aux usagers finaux en connexion avec les réseaux métropolitains, les router de service et les réseaux à longue distance ; les équipements utilisés pour la fourniture de l'accès aux usagers finaux des services universels, et des services à haut débit et ultra haut débit ; les éléments dédiés à la connectivité, la sécurité, le contrôle et la gestion relatifs aux réseaux d'accès de télécommunications en poste fixe.

En pratique le dispositif italien repose sur un mécanisme de notification. L'absence de réaction de l'État vaut autorisation de l'opération.

Les « pouvoirs spéciaux » conférés au Gouvernement lui donnent, par décret du Président du conseil sur décision unanime en Conseil des ministres, la possibilité :

- de poser des conditions spécifiques à l'acquisition par un investisseur étranger de parts dans des entreprises stratégiques. Ainsi, dans le dossier Piaggio Aerospace, passé, début 2014, sous le contrôle du fonds souverain d'Abu Dhabi, le Conseil des ministres a adopté un décret autorisant l'opération et posant des conditions destinées à protéger les capacités technologiques et industrielles de la société, garantir la continuité de la production, des activités d'importance stratégiques, notamment dans le secteur des drones. Il a imposé le maintien de la technologie nécessaire à ces activités en Italie, le secret d'informations spécifiques et la nationalité italienne des dirigeants responsables de la sécurité et de la protection des activités stratégiques au sein de l'entreprise. ;

- d'opposer son véto à l'adoption de certaines mesures par les organes dirigeants de la société ;

- de s'opposer à l'acquisition par un investisseur étranger de ces parts.

En l'absence de notification ou en cas de violation des conditions posées, des sanctions peuvent être appliquées, allant de la suspension des droits de vote en assemblée à la nullité des actes passés, auxquelles peuvent s'ajouter des pénalités financières (amende et/ou astreinte). La Présidence du conseil est seule compétente pour prononcer les sanctions.

Le dispositif italien prévoit également une condition de réciprocité : en cas d'acquisition de parts dans des entreprises opérant dans des secteurs stratégiques en Italie par un investisseur originaire d'un pays tiers à l'Union européenne, le gouvernement italien est tenu de vérifier que le pays d'origine garantisse les mêmes conditions d'accès à ses secteurs stratégiques par des opérateurs italiens (art. 3 du décret-loi n. 21 du 15 mars 2012). La Commission européenne a toutefois contesté cette disposition, et jusqu'à aujourd'hui, la condition de réciprocité n'a jamais été mise en oeuvre .

ROYAUME-UNI

Il n'existe pas au Royaume-Uni de législation spécifique applicable aux investissements étrangers . Depuis l'adoption de l' Enterprise Act en 2002, aucune disposition ne permet au gouvernement britannique d'intervenir dans les opérations de fusion-acquisition et d'imposer aux investissements étrangers des engagements autres que moraux. Trois exceptions sont cependant prévues au titre du « public interest regime » pour permettre au gouvernement d'intervenir lorsque les investissements étrangers touchent à des secteurs d'intérêt général, c'est-à-dire :

- la sécurité nationale , entendue au sens large et qui recouvre les secteurs de la défense, de l'eau, du gaz, de l'électricité et des vaccins ;

- la pluralité des médias : propriété, équilibrage des opinions ;

- la stabilité financière du Royaume-Uni.

Il ne s'agit pas d'un mécanisme d'autorisation préalable : il n'y a aucune obligation pour l'investisseur étranger de demander une autorisation ni même de signaler l'investissement aux autorités . À noter également que les autorités britanniques ne font aucune distinction au regard du pays de provenance des investissements ou de la nationalité de l'investisseur étranger (UE ou pays tiers). Dans la pratique, la Competition and Markets Authority (CMA) est informée, soit spontanément par l'investisseur, soit par la société cible britannique. Le gouvernement dispose d'un délai de quatre mois après l'annonce de l'investissement pour se manifester et demander un rapport à la CMA .

Le rapport doit permettre d'identifier les risques liés à l'opération. La CMA travaille avec l'ensemble des ministères concernés : la Défense pour la sécurité nationale, la Culture pour les Médias et le Trésor pour la stabilité financière du Royaume-Uni.

Le rapport de la CMA suggère des conditions prises en accord avec le ministère concerné et l'investisseur étranger pour protéger l'intérêt général. Les conditions peuvent être de nature variée, mais concernent généralement la nationalité des membres du conseil d'administration, les relations avec la CMA, le ministère compétent. Le rapport doit généralement être remis dans les trois mois au gouvernement, mais le délai n'est pas fixé dans les textes. La décision finale revient au gouvernement , qui peut soit accepter les conditions proposées par la CMA, soit transmettre le dossier à la Competition Commission (recours supérieur de la CMA). Les conditions proposées par la CMA ont jusqu'ici été jugées satisfaisantes par le gouvernement, à l'exception d'une fois. Une opération a été bloquée sous le gouvernement de David Cameron qui a empêché en janvier 2016 la reprise de l'entreprise sidérurgique britannique Sheffield Forgemasters (qui produit des pièces pour les sous-marins nucléaires d'attaque) par une entreprise publique chinoise (dont l'identité n'avait pas été révélée publiquement).

Un veto du gouvernement est susceptible de recours , soit devant la High Court of Justice , soit auprès du Competition Appeal Tribunal (les deux instances opèrent au même niveau). Une fois acceptées, les conditions imposées par la CMA engagent officiellement l'investisseur. Les conditions et les décisions finales sont publiées. En revanche, les discussions conduisant à la décision finale sont gardées confidentielles. Le suivi des engagements est exercé par le ministère concerné. En cas de non-respect des conditions par l'investisseur, la CMA ou le gouvernement a le pouvoir de bloquer ou d'annuler la transaction .

Entre 2002 et 2013 , ce dispositif consistant pour le gouvernement britannique à saisir la CMA pour contrôler a posteriori des investissements étrangers a été mis en oeuvre seulement dix fois : six cas concernaient la sécurité nationale ; trois cas concernaient les médias ; un cas concernait la stabilité financière du Royaume-Uni.

Le gouvernement de Theresa May a annoncé récemment une révision de la politique de contrôle des participations des entreprises étrangères dans les infrastructures britanniques . Les récents projets d'investissements d'entreprises chinoises (y compris publiques) dans des secteurs clefs de l'économie britannique (infrastructures, énergie et technologies) suscitent en effet la méfiance d'une partie de l'opinion, qui s'interroge sur les risques en matière de sécurité nationale (espionnage industriel et dépendance énergétique notamment).

Dans ce cadre, le régime d'intérêt public défini par l' Enterprise Act serait modifié pour garantir que la sûreté nationale soit prise en compte et que l'achat et le contrôle d'une infrastructure critique puissent être empêchés par le gouvernement. Pour tous les nouveaux projets nucléaires (cinq projets de centrales en cours dont deux avec participation chinoise), l'État pourrait ainsi s'octroyer des parts spécifiques (« special shares »). L'autorité de sûreté nucléaire pourrait également intervenir dans le processus de contrôle afin de s'assurer du respect des intérêts de sécurité nationale. Le nouveau cadre est en cours de préparation, et le gouvernement britannique étudierait en particulier les modèles américain et australien, tout en s'intéressant au système français .

La mise en place d'un régime spécifique pour les investissements étrangers pourrait donner des marges de décisions importantes au gouvernement soit par l'introduction d'un système interministériel d'examen préalable pour l'obtention de tout accord gouvernemental en vue de l'acquisition, ou du contrôle, d'une infrastructure essentielle ; soit par l'extension du « public interest test ».

Ce projet de réforme a été critiqué par de grandes entreprises, qui mettent en garde contre une stratégie industrielle protectionniste, et ne fait pas non plus l'unanimité au sein du gouvernement anglais.

II. ÉTATS TIERS À L'UNION EUROPÉENNE 180 ( * )

CHINE

Le gouvernement chinois exerce un contrôle strict des investissements étrangers auquel est soumise toute société financée partiellement ou entièrement par des capitaux étrangers . Ce contrôle repose sur le catalogue des investissements étrangers , actualisé périodiquement, élaboré par la Commission Nationale pour le Développement et la Réforme (NDRC) et par le Ministère chinois du commerce (MOFCOM).

Ce catalogue permet aux autorités chinoises de flécher les investissements étrangers vers les secteurs jugés prioritaires en fonction des orientations de la politique industrielle chinoise et du degré de maturité des industries nationales, en distinguant trois types d'investissements étrangers :

- les investissements « encouragés » , dans les domaines et les technologies que la Chine ne maîtrise pas encore (nouvelles technologies, aéronautique etc.). Ces investissements bénéficient d'un processus d'approbation simplifié et peuvent bénéficier d'avantages fiscaux. Toutefois, le classement sous cette rubrique n'implique pas systématiquement la possibilité d'y intervenir dans le cadre d'une entreprise à capitaux 100 % étrangers (WFOE) et certains secteurs restent soumis à l'obligation de constituer une joint-venture avec partenaire chinois imposé ;

- les investissements « restreints » , dans les secteurs stratégiques et/ou sensibles, les domaines et technologies que la Chine estime déjà maîtriser, ou les investissements dans les technologies « arriérées » ou « nuisibles » (exploitation minière, banques, assurance, télécommunications...). Ces investissements sous soumis au respect de conditions d'activité (par exemple, dans le secteur de l'assurance, une entité à capitaux étrangers ne peut être à la fois active dans le domaine des assurances vie et dans celui des assurances non vie) ou à des modalités d'exercice (notamment la présence d'un partenaire chinois (parfois imposé) dans la société, qui doit alors obligatoirement prendre la forme d'une joint-venture , comme c'est le cas dans l'assurance, la banque, ou la construction automobile, assortie d'une obligation de transfert de technologie et, le cas échéant, d'un plafonnement de l'apport en capitaux étrangers ;

- les investissements « interdits », susceptibles de porter atteinte à la sureté de l'État ou de porter atteinte au monopole du Parti (terres rares, défense, télévision, radio, agences de presse...).

Les autorités (ministère du commerce) peuvent rendre trois types de décisions : autorisation simple, autorisation sous conditions et refus. En pratique les autorités disposent d'un très large pouvoir d'appréciation de l'opération, quasi discrétionnaire. Le MOFCOM n'a pas l'obligation légale de motiver ses décisions, et même si un mécanisme de recours est prévu dans les textes, il demeure essentiellement théorique pour les investisseurs étrangers (les chances de succès sont faibles en raison de l'opacité des décisions prises par le MOFCOM).

CANADA

La Loi Investissement Canada ( Investment Canada Act ) est le principal mécanisme de contrôle des investissements étrangers au Canada. Elle prévoit un contrôle des investissements étrangers :

- soit dans le cadre d'un un examen ( review ) ministériel, en cas d'acquisition directe d'une entreprise canadienne, lorsque la valeur de la société dépasse un seuil qui varie selon le statut de l'investisseur (entreprise privée ou entreprise d'État) et sa nationalité (investisseur issu d'un pays de l'OMC, d'un pays disposant d'un accord commercial avec le Canada, d'un pays non-membre de l'OMC). Les investissements dans des entreprises canadiennes considérées comme des entreprises culturelles sont soumis à des seuils plus stricts ;

- soit par une déclaration , s'agissant d'une acquisition inférieure aux seuils, d'une acquisition indirecte 181 ( * ) par des investisseurs d'États de l'OMC ou d'une création d'entreprise. Suite au dépôt de l'avis, le ministère peut décider d'effectuer un examen portant sur l'impact de l'investissement sur la sécurité nationale.

Les investissements étrangers sont contrôlés selon deux critères, ce qui différencie le dispositif des autres systèmes en place dans l'OCDE :

- d'une part, un contrôle en fonction de l'avantage net ( net benefit ) du projet d'investissement pour l'activité économique du Canada (gains de productivité ou de compétitivité, progrès technologique, etc.) Pour soutenir sa démonstration, l'investisseur peut proposer des engagements contraignants de durée limitée relatifs aux créations d'emplois, ou aux investissements en R&D, notamment ;

- d'autre part, depuis 2009, au regard de la sécurité nationale ( national security review ), pour tout investissement étranger potentiellement préjudiciable à la sécurité nationale. Aucun seuil financier ne s'applique à cette procédure, qui intervient suite au dépôt d'un avis ou d'une demande d' examen . En 2016, le gouvernement a introduit une liste de 9 facteurs, larges, permettant de déterminer si un examen portant sur la sécurité nationale doit être conduit.

Par ailleurs, le Canada maintient des limitations à la participation étrangère dans certains secteurs : télécommunications, presse et medias, mines (uranium), transports, pêche. Dans les services financiers, la propriété doit être « également répartie », c'est-à-dire que la participation d'un investisseur (canadien ou étranger) est plafonnée dès lors que les fonds propres de la banque ou de la compagnie d'assurance dépassent un certain seuil. 182 ( * )

Compte tenu des critères prévus, le Canada est classé parmi les pays de l'OCDE les plus restrictifs à l'investissement étranger. Néanmoins, en pratique, les blocages d'investissements étrangers sont toujours intervenus sur des motifs plus proches de la sécurité nationale que de l'avantage net , et sur les 1 700 opérations soumises à la procédure d' examen depuis 1985, seules deux propositions ont été rejetées pour insuffisance d'avantage net avec , dans chaque cas, des préoccupations proches de la sécurité nationale ont apparemment été déterminantes.

Source : direction générale du Trésor.

ÉTATS-UNIS

Le contrôle des investissements étrangers est assuré par le CFIUS Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) 183 ( * ) , structure interministérielle chargée d'examiner tout projet de fusion, d'acquisition ou de reprise pouvant mener au contrôle d'une entreprise américaine par une entité étrangère, dans le but d'en évaluer l'impact sur la sécurité nationale.

Le dispositif repose sur un mécanisme d'autorisation préalable. La saisine du CFIUS reste en principe volontaire quoique le CFIUS puisse également s'autosaisir d'une opération sans attendre une notification par les parties, et ce à tout stade du processus, s'il considère que l'opération est éligible. Le contrôle s'exerce sur toute opération projetée ou en cours, réalisée par ou avec une personne étrangère et pouvant mener au contrôle d'une entreprise américaine ( covered transactions ).

De façon générale, toute opération touchant - même lointainement - à l'industrie de défense est systématiquement contrôlée, mais le dispositif est également mis en oeuvre dans d'autres secteurs sensibles : infrastructures et technologies critiques, transport (maritime et aérien), énergie (notamment nucléaire mais pas seulement), médias et télécommunications ou bien encore dans le domaine de la finance.

Le CFIUS peut rendre trois types de décisions :

- un avis favorable safe harbor » ), qui constitue une garantie pour les parties ayant choisi de soumettre leur projet à l'examen du CFIUS contre une éventuelle remise en question ultérieure de l'opération par le gouvernement ;

- une autorisation sous conditions négociées avec l'investisseur mitigation agreement »). Le non-respect des conditions peut donner lieu à une amende civile, plafonnée soit à 250 000 USD, soit à la valeur de l'opération si celle-ci est plus importante. En 2014, 6 % des dossiers ont fait l'objet de telles mesures. Le CFIUS est chargé du suivi des engagements par les investisseurs étrangers (« monitoring » ) ;

- le refus pur et simple de l'opération . Si l'enquête du CIFUS révèle des éléments crédibles laissant penser que l'entité étrangère pourrait agir d'une manière qui risquerait de porter atteinte à la sécurité nationale des États-Unis, le Président peut par décret non motivé ( Executive Order ), sur les recommandations du CFIUS, décider de suspendre ou d'interdire l'opération. La décision du Président n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours judiciaire.

En 2017, environ 250 investissements ont été examinés contre 170 en 2016. Seuls 10 % des opérations font l'objet de conditions. Le président américain n'a pris que 4 décisions de refus et on évalue à 10 % les transactions qui seraient rejetées ou abandonnées en cours d'examen.

Une proposition de réforme du dispositif américain 184 ( * ) , en cours d'examen au Congrès , a pour objet d'élargir le champ de compétence du CFIUS à des secteurs d'activités nouveaux, tels que les technologies émergentes et à d'autres types de transactions 185 ( * ) . Il est également prévu de compléter la liste d'éléments que le CFIUS doit prendre en considération lorsqu'il analyse les enjeux de sécurité nationale soulevés par un investissement, parmi lesquels figureraient notamment les risques qui pourraient peser sur les données personnelles des citoyens américains. Le recours à des tiers pour assurer le suivi des entreprises sous conditions, qui n'est actuellement qu'une pratique, serait consacré dans le texte. Le projet vise aussi à instaurer une obligation déclarative de tout projet d'acquisition par une compagnie détenue à 25 % par un État tiers ; en cas de manquement à cette obligation, serait mise en place une sanction pécuniaire. Les possibilités de judicial review contre les actions du CFIUS seraient réduites. Le projet de texte introduirait un régime d'exemption pour l'investisseur qui proviendrait d'un pays ami figurant sur une liste blanche à établir. Un tarif pourrait être mis en place pour financer la mise en oeuvre de la procédure de contrôle par le CFIUS.

JAPON

Les investissements étrangers sur le territoire japonais sont encadrés par le Foreign Exchange - Foreign Trade Act (FEFTA), qui permet de vérifier « l'absence d'influences néfastes sur le bon déroulement de la gestion de l'économie et sur la garantie de la sécurité, le maintien de l'ordre public et la protection de la sécurité publique ».

Le mécanisme repose sur un principe de déclaration préalable et d'approbation des opérations auprès des autorités japonaises, et s'applique :

- si la nationalité de l'investisseur étranger ne figure pas dans une liste de pays publiée dans l'annexe de l'Annonce Officielle relative aux investissements directs. Parmi les pays qui ne sont pas mentionnés se trouvent : Andorre, l'Afghanistan, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Bosnie-Herzégovine, le Cap Vert, les Comores, la Corée du Nord, la Guinée Equatoriale, l'Erythrée, l'Iraq, le Kazakhstan, le Liberia, la Libye, le Yémen, les Bermudes, la Somalie, le Tadjikistan, les Iles Cook...) ;

- et si les activités de la société dans laquelle l'investisseur étranger souhaite investir entrent dans la catégorie des activités soumises à déclaration préalable . Depuis 1998, le contrôle préalable n'est désormais appliqué qu'à un nombre limité de secteurs : armement, aéronautique, spatial, agriculture , télécommunications, transport ferroviaire , nucléaire, énergie.

Deux types de décisions peuvent être pris : autorisation ou refus. Le refus doit être motivé et peut faire l'objet d'un recours devant les tribunaux. En moyenne 400 dossiers sont examinés chaque année. Un seul cas de refus a été comptabilisé depuis l'introduction du dispositif : le projet de rachat de J-Power (producteur d'électricité) par le fonds activiste britannique The Children Fund (TCI) en janvier 2008.

AUSTRALIE

Le dispositif de contrôle et de validation des investissements étrangers a été mis en place en 1975 par le Foreign Acquisitions and Takeovers Act qui a créé le Foreign Investment Review Board (FIRB - Bureau d'examen des investissements étrangers).

Révisé en 2015, le dispositif prévoit désormais des sanctions financières plus importantes pour les investisseurs ne respectant pas les règles, ainsi qu'un financement du fonctionnement du FIRB uniquement par les frais de dossier payés par les investisseurs.

Rattaché au Trésor, le FIRB peut proposer au ministre de rejeter une proposition d'investissement qu'il jugerait contraire à l'intérêt national . En pratique les investissements sont soumis à l'approbation du FIRB en fonction de leur taille et des secteurs concernés :

- les investisseurs de pays signataires d'accords de libre-échange avec l'Australie (Chili, Chine, Corée du Sud, États-Unis, Japon, Nouvelle-Zélande) ne sont soumis au contrôle du FIRB que pour les investissements dépassant 1,094 milliard AUD ; Chili, États-Unis et Nouvelle-Zélande bénéficient de ce seuil également pour les projets miniers et agroalimentaires ;

- les investisseurs d'autres pays sont soumis au contrôle à partir d'un seuil général quatre fois moins élevé : 252 M AUD . Ce seuil est ramené à 15 M AUD pour les terres agricoles et à 55 M AUD pour les entreprises agroalimentaires.

Toutefois le contrôle s'exerce quel que soit le pays à partir de 252 M AUD pour tous les secteurs sensibles (médias, défense, télécom, transport) et dès le premier dollar pour tout investissement réalisé par une entreprise d'État ou par une entité publique (détenue a minima à 20 % par l'État ou des collectivités publiques) .

Dans 95 % des cas, le n'émet pas d'objection à la poursuite de l'opération . Divers projets ont néanmoins été rejetés : par exemple dans le cadre du projet de fusion du Singapore Stock Exchange avec l'Australian Stock Exchange afin que l'Australie reste maitresse de la régulation et de la supervision de son principal (et à l'époque unique) opérateur boursier ; pour le rachat de Graincorp, plus grande société australienne de la filière grain, car elle aboutissait à transférer à un acteur étranger un monopole de fait dans une activité stratégique pour l'Australie ; pour la vente d'Ausgrid, réseau de distribution d'électricité de l'État de Nouvelle-Galles du Sud, pour des raisons de sécurité nationale ; pour la vente de Kidman, plus grand propriétaire de terres agricoles d'Australie, à des consortiums chinois, en raison de la surface foncière concernée par le projet.

CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE, RÉPUBLICAIN, CITOYEN ET ÉCOLOGISTE

1. Sur le constat :

Nous partageons le constat développé dans la première partie de ce rapport sur l'effondrement de notre tissu industriel et le refus du spectre d'une France sans usines. Toutefois, nous pensons que c'est avant tout le choix opéré par les gouvernements successifs d'un Etat en retrait, d'un Etat modeste, en lieu et place de l'Etat stratège qui est à l'origine de ce déclin.

L'Etat a abandonné les politiques industrielles verticales au profit d'un rôle de régulateur. Or il est essentiel, vu la crise que traverse notre industrie, de promouvoir l'intervention de l'Etat dans la sphère économique et en particulier dans la sphère industrielle. Certains secteurs, par leur importance stratégique, ne peuvent être laissés à des opérateurs privés, tant l'industrie peut avoir un impact structurant pour notre territoire.

Depuis qu'on a abandonné ce modèle d'interventionnisme direct de l'État, « on ne sait plus à quel saint se vouer » ! Et, il n'y a que Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, pour dire que la cession des chantiers de l'Atlantique à l'italien Fincantieri, le démantèlement jusqu'au dernier morceau de l'ancienne Compagnie générale d'électricité et la cession d'Alstom à Siemens constituent des « progrès majeurs » . 186 ( * )

Comment peut-on parler de progrès majeur quand, dans le même temps, notre appareil de production est incapable de répondre à la demande. Nous n'avons pas seulement assisté à un recul de notre tissu industriel mais également à la destruction pure et simple des outils de production et des compétences.

L'industrie ne peut se passer de l'État, elle s'est construite avec son soutien. Partout, dans les pays émergents comme aux Etats-Unis, l'interventionnisme public est actif. Il faudrait le dire avec force, ce que ne fait malheureusement pas ce rapport : contrairement à un mythe libéral, nulle part il n'y a d'industrie dynamique sans politique industrielle volontariste.

C'est pourquoi il faut promouvoir un interventionnisme assumé afin de conforter des secteurs qui sont notre puissance, comme les transports, l'agroalimentaire, l'énergie - la liste n'est pas exhaustive. A cet égard, il semble que la tendance soit loin d'être inversée, puisque le vote du projet de loi dit « Pacte ferroviaire » met à mal la filière industrielle ferroviaire.

Pire, les travaux de la mission d'information s'inscrivent non en rupture, mais dans l'accompagnement de politiques qui n'ont en rien enrayé le déclin de notre industrie. Ainsi, de rapports en débats, les constats et les remèdes sont les mêmes tant le cadre de réflexion semble indépassable.

2. Sur les propositions :

Nous partageons la nécessité de renforcer l'État actionnaire (propositions 30 à 34) mais nous ne pensons pas que la cession d'actifs serve la politique industrielle ni que l'intervention de l'Etat « doive s'effectuer avec parcimonie tant au regard de la situation contrainte des finances publiques que des règles de l'Union européenne en matière d'aide d'Etat ». 187 ( * )

La cession des actifs de l'Etat ne répond malheureusement qu'à une injonction comptable que nous récusons. La règle des 3 % de déficit et la soumission aux agences de notations sont en contradiction frontale avec la notion d'Etat souverain. Le Pacte de stabilité et de croissance bloque durablement une part de cette croissance en considérant tout investissement significatif dédié à la préparation de l'avenir - recherche et enseignement supérieur, soutien à un secteur en particulier, investissement massif - comme une simple dépense publique et soumise à ce titre aux règles de l'austérité.

De même, l'externalisation des compétences de l'État vers Bpifrance n'est qu'un renoncement  de plus, un pas supplémentaires vers le démembrement de l'Etat actionnaire.

Lorsqu'on aborde la question de la BPI, qui au final sélectionne les projets selon une logique de pure rentabilité, on oublie trop souvent que certains investissements ne sont pas rentables directement : ils échappent à la logique du marché. C'est le cas de l'enseignement supérieur et de la recherche fondamentale : ils sont « hors marché », ils ne génèrent pas directement de valeur ajoutée, mais ce sont les piliers nécessaires a` une économie de la connaissance.

C'est également le cas des secteurs industriels émergents, où l'investissement public peut amorcer le décollage. C'est aussi le cas de certains investissements industriels, dont la rentabilité financière est insuffisante mais qui sont porteurs d'externalités positives importantes : c'est le cas en matière ferroviaire où les prochaines lignes à construire auront une « une rentabilité' décroissante » tout en désenclavant les territoires.

Il en est de même de l'économie de la révolution verte : ce tournant industriel ne se fera sans investissement massif, voire capitalistique de l'Etat, tant les volumes d'investissement et l'horizon de rentabilité' dépassent les capacités et les attentes des seuls acteurs de marche'.

Que dire enfin de la fameuse révolution numérique : qui sinon l'Etat peut prétendre concurrencer les GAFAM et redonner un sens à la souveraineté numérique ? Comment accepter que l'ensemble de nos données soient aujourd'hui stockées et gérées par des serveurs étrangers.

De même, comme cela est exposé dans les propositions 35 à 38, il est nécessaire de protéger notre industrie de comportements prédateurs étrangers, mais les propositions ne vont pas assez loin !

Ce constat a été fait dans le cas d'Alstom et l'actualité ferroviaire nous insiste à encore plus de vigilance. Que dire par exemple du rachat d'Ansaldo - le champion ferroviaire italien - par Hitachi, permettant au groupe japonais de disposer en Europe d'une véritable tête de pont tant sur le marché du matériel roulant que sur celui de la signalisation. Le savoir-faire français de l'ancienne Compagnie des Signaux, rachetée il y a plus de quinze ans par Ansaldo et qui équipe toutes les grandes lignes du réseau ferré national, vient de filer ainsi en Asie, sans garantie sur la protection des droits industriels. Mais ce ne sont malheureusement là que quelques exemples emblématiques.

C'est toute la culture administrative des agents de l'Etat qu'il faut renforcer afin de préserver au mieux nos intérêts stratégiques. Or, aujourd'hui, il semble que notre appareil d'État se plie avec zèle aux règles communautaires. Les élites ne croient plus au patriotisme industriel et n'imaginent pas un patriotisme européen. Pour les grands groupes industriels français -- notamment ceux du CAC 40 --, l'Europe n'est plus qu'un marché comme un autre. Certains se vendent au plus offrant ou passent sous la coupe des fonds d'investissement anglo-saxons.

Quant à la nécessité d'une politique industrielle européenne, mainte fois répétée, celle-ci reste un voeu pieux tant la politique de concurrence prime toute autre considération. N'est-ce pas cette politique qui a empêché l'émergence de champions européens du numérique ? N'est-ce pas cette politique qui empêche les aides d'État, pourtant essentielles en cas de crise structurelle d'un secteur économique ?

Enfin sur les outils de financement, les propositions du rapport ne sont que la reprise de recettes qui n'ont pas montré leur pertinence par le passé.

Ainsi les voies du renouveau ne sont qu'une série de recettes éculées : renforcement des exonérations de cotisations salariales, pérennisation du CIR et modérations salariales, pour utiliser les euphémismes de ce rapport. De plus le discours du coût du travail a largement été démonté par de nombreuses recherches ; pourtant, encore une fois comme depuis de nombreuses années, une des préconisations du rapport est une baisse de charges sur les salaires intermédiaires.

L'argument de l'écart de coût du travail entre l'industrie française et ses principaux partenaires ne suffit pas à expliquer pourquoi la France est le pays européen qui s'est le plus désindustrialisé depuis 10 ans.

Ce qu'il manque à la France, c'est de l'investissement productif, de l'investissement en innovation et de l'investissement en capital humain. Or, r éduire le coût du travail, c'est seulement augmenter le profit de l'entreprise et mettre à mal la protection sociale. Cela ne veut pas dire qu'elle sera plus compétitive.

Ainsi ce rapport, s'il y contient quelques pistes intéressantes, maintient les discours qui ont mené notre pays à la situation industrielle actuelle. Nous pensons au contraire que l'emploi, le pouvoir d'achat, la croissance, le développement de notre industrie ne sont pas les résultats des lois « naturelles » du marché, mais des objectifs à atteindre. Pour ce faire, l'État doit être organisateur, aménageur, entrepreneur.

TRAVAUX EN COMMISSION

I. COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

A. RÉUNION CONSTITUTIVE (29 novembre 2017)

Réunie le mercredi 29 novembre 2017, la mission d'information a tenu sa réunion constitutive.

M. Alain Chatillon , président . - En ma qualité de doyen d'âge, il m'appartient de présider le début de cette réunion. Cette mission a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu à l'article 6 bis du règlement du Sénat. Le groupe Socialiste et Républicain du Sénat en a formulé la demande lors de la Conférence des Présidents du 8 novembre dernier. Il en a été pris acte et les 27 membres de la mission ont été nommés, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, lors de la séance publique du mercredi 22 novembre dernier.

L'objet de cette mission est, selon les termes retenus par M. Didier Guillaume, président du groupe Socialiste et Républicain, d'examiner non seulement les conditions dans lesquelles l'État a géré les évolutions récentes et majeures du groupe Alstom, mais plus généralement d'évaluer la stratégie industrielle de notre pays. C'est une problématique sur laquelle nous avions, Martial Bourquin et moi, travaillé il y a quelques années, et sur laquelle nous allons je l'espère nous retrouver...

Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous devons procéder à la désignation du président de la mission. En application du Règlement du Sénat, les postes de président et de rapporteur doivent être partagés entre majorité et opposition. Lorsque le groupe qui a exercé son droit d'initiative le demande, les fonctions de rapporteur sont de droit confiées à un membre de ce groupe. C'est ce qu'ont souhaité nos collègues du groupe Socialiste et Républicain. Le poste de président de la mission revient donc, à l'inverse, à un membre de la majorité sénatoriale. Un consensus s'est dessiné entre les groupes pour qu'un membre du groupe Les Républicains occupe la présidence. Mon groupe présente ma candidature. Y a-t-il d'autres candidatures ?

M. Alain Chatillon , président . - Je ne vois pas d'opposition...

M. Alain Chatillon est désigné en qualité de président.

M. Alain Chatillon , président. - Je troque donc mes fonctions de président d'âge pour celles de président de notre mission.

M. Daniel Laurent . - Félicitations !

M. Alain Chatillon , président . - Nous devons à présent procéder à la désignation des autres membres du bureau. Il est d'usage que chaque groupe y dispose d'une représentation. Nous pourrions reprendre la clé de répartition retenue au cours des trois années précédentes et, ainsi, réserver deux sièges au bureau pour chacun des deux groupes les plus nombreux : le groupe Les Républicains et le groupe Socialiste et Républicain. Le bureau compterait ainsi 9 membres, en incluant le président et le rapporteur.

Il en est ainsi décidé.

M. Alain Chatillon , président . - Pour le poste de rapporteur, j'ai reçu du groupe Socialiste et Républicain la candidature de M. Martial Bourquin. Il n'y a pas d'autres candidatures et je ne vois pas d'opposition.

M. Martial Bourquin est désigné en qualité de rapporteur.

M. Alain Chatillon , président. - Quelles que soient nos sensibilités, nous nous sommes toujours retrouvés, Martial Bourquin et moi-même, sur les dossiers économiques...

M. Daniel Laurent . - Bravo !

M. Alain Chatillon , président. - S'agissant des postes de vice-présidents, j'ai été informé, pour le groupe Les Républicains, de la candidature de M. Pascal Allizard. Pour le groupe Socialiste et Républicain, quel est le candidat ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous proposons M. Jacques Bigot.

M. Alain Chatillon , président . - Pour le groupe Union centriste, j'ai été informé de la candidature de M. Claude Kern pour le poste vice-président réservé à ce groupe. Pour le groupe Rassemblement démocratique et social européen, quel est le candidat ?

M. Franck Menonville . - Moi-même.

M. Alain Chatillon , président . - Pour le groupe La République en marche, j'ai été informé de la candidature de M. Didier Rambaud. Enfin, le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste ainsi que le groupe Les Indépendants-République et territoires ayant chacun un représentant au sein de la mission, respectivement MM. Fabien Gay et Dany Wattebled, chacun d'eux pourrait être vice-président.

Il n'y a pas d'opposition à ces désignations ?

Sont désignés en qualité de vice-présidents MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Claude Kern, Franck Menonville, Didier Rambaud, Fabien Gay, Dany Wattebled.

Le bureau est ainsi constitué.

M. Alain Chatillon , président. - Quelques mots concernant l'organisation de nos travaux. Je vous propose, en accord avec le rapporteur, de nous retrouver autour d'auditions selon un rythme hebdomadaire, les jeudis de Questions d'actualité pour les réunions et auditions plénières, entre 11 heures et 12h30, puis en début d'après-midi de 13h30 à 15h ; et pour les auditions en format « président et rapporteur », les mardis ou mercredi après-midi. Avec pour objectif de rendre notre rapport en avril prochain. Certaines réunions plénières pourront être ouvertes aux membres d'autres commissions permanentes, au public, à la presse, et le cas échéant faire l'objet d'une captation vidéo. Les convocations à nos réunions vous seront adressées exclusivement par courriel.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je suis très heureux d'exercer les fonctions de rapporteur au sein de cette mission d'information qui intervient à un moment capital de la transformation de notre secteur industriel, notamment dans le domaine ferroviaire. J'ai posé récemment une question d'actualité sur Alstom, la réponse ne fut guère rassurante.

Avec le cas d'Alstom, l'actualité récente a montré la fragilité de la stratégie industrielle dans notre pays. En 2016, le patron de Siemens disait espérer deux EADS : un groupe dans le secteur de l'énergie, sous pavillon allemand, l'autre dans le ferroviaire, sous pavillon français. Fin 2017, le groupe sous pavillon français risque de se retrouver filiale à 51 % de Siemens. Rien n'est terminé cependant, l'accord n'est pas définitivement scellé, et notre mission peut fonctionner comme force de proposition pour le faire évoluer.

Jadis fleuron de notre industrie, Alstom a vu, dans un premier temps, ses activités scindées et pour partie cédées (je songe au site de Belfort) à un actionnaire américain, General Electric. Dans un second temps, le reste de son activité a fait l'objet d'une fusion avec Siemens, laquelle donne, dans les faits, la majorité du capital et des droits de votes à l'actionnaire allemand. Dans le passé, Alstom faisait partie d'un conglomérat alors aussi puissant que Siemens : la Compagnie générale d'électricité... Les évènements récents apparaissent donc comme l'étape définitive du démantèlement d'un géant industriel français. Nous rencontrerons tous les acteurs : ministres, patrons, syndicats... Quant à l'État, il a approuvé l'accord Alstom-Siemens : la volonté d'agir et de mener une véritable politique industrielle existe-t-elle encore ?

Car ce qui est en cause à travers l'exemple d'Alstom, c'est bien la stratégie industrielle suivie ces derniers temps. Quelle est la stratégie industrielle de l'État ? Dans le cadre de la loi de finances, Alain Chatillon a présenté un avis sur le CAS « Participations financières de l'État », qui pose la même question : quelle part l'État compte-t-il prendre pour soutenir l'ensemble des filières industrielles ? Confrontée à l'automatisation à marche forcée et à la mondialisation, l'industrie française peut-elle effectuer sa mue sans que l'État, et plus largement l'ensemble des pouvoirs publics, soutiennent cette mutation indispensable qui passe par l'émergence des industries du futur, la robotisation, etc. ?

Depuis 1995, la France a perdu environ 1 million d'emplois industriels et notre production industrielle reste encore inférieure de 7 % à ce qu'elle était avant la crise terrible que nous avons traversée. Si la conjoncture internationale en est en grande partie responsable, à l'évidence, notre pays n'a pas su prendre toutes les mesures nécessaires pour donner un nouveau souffle à son industrie. Les crédits des pôles de compétitivité, si structurants, diminueront en 2018. Notre mission devra échafauder des solutions, qui ne relèvent pas uniquement du domaine législatif.

Pour être en mesure de le faire, il nous faudra aborder de nombreuses problématiques : l'essor technologique, l'avantage comparatif que notre industrie peut développer dans la mondialisation, le comportement de l'État actionnaire, les politiques publiques en matière d'emploi, de formation, de fiscalité, d'environnement, de commande publique - celle-ci étant un volet essentiel.

Il conviendra donc d'auditionner largement trois grandes catégories d'acteurs : d'abord, les acteurs industriels, les représentants de grands groupes (dont, bien sûr, Alstom) ou de PME ou ETI industrielles, les représentants d'organismes liés au monde de l'industrie (Conseil national de l'industrie, Cercle de l'industrie, Alliance pour l'industrie, Medef, CPME,...), et les organisations syndicales de salariés ; ensuite, des représentants de l'administration et du Gouvernement, mais également des collectivités locales : ministre chargé de l'industrie, représentants des organismes parapublics comme Bpifrance, gestionnaires du Programme des investissements d'avenir (PIA) ; enfin, des représentants du monde de la recherche et de l'université, non pas seulement des économistes, des juristes ou des financiers, mais aussi des scientifiques, notamment sur le lien entre innovations technologiques et applications industrielles. Si vous avez d'autres propositions à faire, nous les prendrons bien sûr en compte, et entendrons tous les acteurs sans a priori ni parti pris.

Mme Sophie Primas . - Comme toujours au Sénat !

M. Martial Bourquin , rapporteur. - Si vous en étiez d'accord, la première audition, qui pourrait intervenir le 13 décembre prochain, pourrait être celle de représentants du groupe Alstom ou, à défaut, d'une personnalité qui pourra brosser un état de la situation industrielle de notre pays.

Quant aux déplacements, il me semble indispensable d'échanger avec les services de la Commission européenne et avec nos homologues parlementaires européens ; et de nous rendre dans deux ou trois centres de production industriels.

Mme Fabienne Keller . - Venez à Reichshoffen !

M. Martial Bourquin , rapporteur. - ...Oui, et nous pourrions aller à Ornans, dont la production est menacée de délocalisation en Chine. Il faut écouter les directions et les syndicats de ces centres.

M. Alain Chatillon , président . - Nous avons été choqués d'entendre il y a un an et demi M. Pisani-Ferry, alors commissaire général à la stratégie et à la prospective, nous présenter la liste des sujets majeurs pour l'avenir de notre économie : il oubliait l'industrie ! Il y a aujourd'hui un vrai problème dans les ministères, l'industrie n'y est pas considérée comme elle l'est en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas ou en Belgique. Lorsque je représentais les industries agroalimentaires auprès des autorités européennes, j'avais la surprise de voir les fonctionnaires français si peu présents sur place : c'était par les filiales de ma société, non par eux, que j'étais informé des réformes envisagées ! Il y a aussi le problème des pôles de compétitivité. Et la question de l'Agence-Participations-État (APE). Que le Gouvernement veuille consacrer 10 milliards d'euros aux PME et ETI, fort bien. Mais les sommes sont inscrites en grande partie sur le budget de l'APE ; pourtant, Bpifrance existe et fonctionne bien, pourquoi chercher ailleurs ?

L'APE s'occupe déjà des participations, et c'est une tâche ardue. Et je ne parle pas des problèmes que posent certaines transactions. Par exemple, l'État a cédé 49 % de l'aéroport de Toulouse à des investisseurs Chinois, dont le représentant disparaît pendant un an, et l'État s'est engagé à vendre 10 % pour rendre majoritaire ce nouvel actionnaire. Or, celui-ci s'emploie pendant deux ans à siphonner les réserves pour distribuer le maximum de dividendes et veut aujourd'hui revendre ses parts à une fois et demi leur prix d'acquisition ! Les collectivités toulousaines ont demandé à l'État de ne pas vendre ses 10 %... J'ai confiance en notre ministre pour bloquer la transaction, car ce serait une catastrophe pour un aéroport dont l'activité augmente pourtant de 15 % par an. L'APE essaie de gérer correctement les fonds placés dans des grands groupes - je rappelle que 85 % des résultats sont réalisés sur 5 des 81 sociétés qui constituent son portefeuille. Il y a là un problème de fond : l'APE n'a ni la capacité ni l'expérience pour gérer des fonds pour les PME, au contraire de Bpifrance qui a fait ses preuves depuis quatre ans. Cet aspect est une partie intégrante de notre mission.

Le secteur agricole et agroalimentaire, qui réalisait un excédent commercial de plus de 11 milliards d'euros il y a cinq ans, a vu fondre cet excédent de 45 % (certes en raison de l'état des relations avec la Russie) : il faut être très vigilant ! Nous devrons formuler des propositions cohérentes pour que nos entreprises aient les moyens de respirer... On compte quatre fois plus d'ETI en Allemagne, leurs marges sont le double des nôtres. Le problème juridique est à prendre en compte : les cessions de sociétés en Allemagne, par exemple, ne sont pas soumises à l'impôt sur la plus-value. Il faut progresser sur un certain nombre de points afin de renforcer notre compétitivité. Nous entendons tracer une route et espérons que le Gouvernement et le Président de la République reprendront nos propositions.

M. Alain Joyandet . - Le rapporteur a dit que l'accord n'était pas définitif entre Siemens et Alstom. A-t-il à l'esprit les aspects juridiques ? L'organisation ? Les accords me semblaient actés ! Est-il encore possible d'agir sur les décisions, ou la finalité de notre travail est-elle de comprendre ce qui s'est passé ? Pouvons-nous encore avoir une influence sur le cours des choses ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Les dossiers sont actuellement transmis à la Commission européenne dans le cadre du contrôle antitrust : le processus débute ; qui sait ce qu'elle décidera ? Voyez ce qui s'est produit lorsque Faurecia a vendu vingt-deux sites en Europe à Plastic Omnium : la Commission a refusé le transfert d'une partie d'entre eux, qui a été cédée à l'américain Flex-n-Gate. Les comités d'entreprise, les organisations syndicales, seront entendus à Bruxelles. Les syndicats unanimes, y compris les représentants des cadres, demandent plus de garanties ainsi qu'une participation de l'État français. La décision européenne interviendra en avril ou mai. La Commission pourrait refuser la vente de certains sites à Siemens, ils seraient mis sur le marché...

Mme Sophie Primas . - Cela serait-il préférable ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Cela dépend ! L'idée de ces deux EADS, l'un sous pavillon allemand et l'autre français, était bonne. Si l'on additionne les sites, Alstom pèse plus lourd en R&D, par exemple, que Siemens. Il faut un vrai projet équilibré. Notre ancien collègue M. Michel Teston, grand spécialiste du ferroviaire, prédit de lourdes restructurations : elles ne doivent pas, dans l'accord, se répartir au détriment de nos sites.

Mme Fabienne Keller . - Je ne peux pas ne pas évoquer le site de Reichshoffen : nous connaissons l'excellence de ses savoir-faire, de sa R&D, de ses équipements - un simulateur de train, en particulier - et le nombre des ingénieurs qui y travaillent. Or nous sommes inquiets, comme eux, pour le carnet de commandes et l'avenir du centre. Nous nous souvenons comment des pans entiers de l'industrie, acier, chimie, ont disparu sans perspective de retour. Alstom est un beau navire amiral. Siemens est un partenaire incontournable, soit, il sera majoritaire au conseil d'administration. Mais il n'y a pas de fusion directe entre eux deux, celle-ci se fera avec Siemens Transport, dont les contours ne sont pas encore totalement fixés. La première étape consistera à déterminer comment cette activité et certaines fonctions transversales seront isolées pour être rapprochées d'Alstom. Pourrions-nous rencontrer les représentants de Siemens ? Je sais bien que cela n'est pas dans les usages allemands... Comment aborder ce partenaire incontournable, tout en respectant son calendrier, puisque l'opération de carve-out prendra un certain temps ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - C'est une bonne idée de rencontrer Siemens...

Mme Fabienne Keller . - Sans perturber le processus en cours, bien sûr. C'est de la diplomatie industrielle.

M. Guy-Dominique Kennel . - Je me réjouis que le groupe Socialiste et Républicain ait demandé cette mission d'information. J'ai rencontré l'ensemble des syndicats d'Alstom cette semaine, ils sont très inquiets. L'accord prévoit une garantie sur quatre ans, qui vaudra à partir de 2019, lorsque l'opération de closing sera achevée. Mais d'ici là ? Reichshoffen a déjà perdu 100 salariés, et pourrait en avoir perdu 300 à cette date. De son côté, Siemens a signé un accord avec IG Metall et l'État allemand, personne n'en connaît le contenu, mais les syndicalistes allemands sont satisfaits, et refusent tout contact avec les syndicalistes français.

On n'en sait pas davantage sur le contenu de l'accord entre Alstom, Siemens et l'État français. Les syndicats sont très peu informés, les membres de la direction affirment n'avoir eux-mêmes que peu d'informations, et refusent de communiquer.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - En outre, après ces quatre années « sous garantie », qu'adviendra-t-il ? On a vu ce qu'il en était dans la branche énergie : à Belfort, on nous promettait 1 000 nouveaux emplois, ils seront peut-être créés mais pour l'instant on en a supprimé 1 500, et encore 350 tout récemment sur le site de Grenoble, qui est en grande difficulté. Il y a une dizaine de jours, un dirigeant de General Electric déclarait dans Les Échos : « Je suis très déçu par Alstom ». Pourtant, à l'origine, les parties clamaient que tout se passerait bien, que le site ne posait aucun problème. L'État doit surveiller le dossier, et nous, représentants de la nation, devons le contrôler.

M. Alain Chatillon , président . - Tant que les accords de closing ne sont pas signés, ils restent secrets et nous ne saurons rien de leur contenu, sinon à la marge.

M. Guy-Dominique Kennel . - Or il peut se passer beaucoup de choses...

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Tous les syndicats, de la CFTC à la CGC, posent les mêmes questions, ils exigent tous un rééquilibrage de l'accord, des garanties sur ce qui se passera après quatre ans... La commande publique sera forte après 2020, avec le TGV de l'avenir, les métros, le Grand Paris. Mais entre temps ? Et sur quels sites se fera à moyen terme la recherche, la production ? Certains ne sont-ils pas menacés ? À Ornans, on s'inquiète de voir partir en Chine la production des générateurs - il y a eu des démentis, mais quelle valeur ont-ils ?

M. Alain Chatillon , président. - La société américaine Hyperloop se fait fort de transporter d'ici cinq ans les passagers dans des wagons propulsés dans des tubes à 1 000 kilomètre-heure, reliant Toulouse à Paris en trois-quarts d'heure. L'effort de recherche doit être fortement intensifié, si nous ne voulons pas dans l'avenir avoir... un train de retard.

M. Franck Montaugé . - La destruction d'industries dans les décennies passées justifierait que l'on mette en lumière, même sans s'y attarder, les facteurs explicatifs, en analysant en particulier le comportement de l'État stratège.

Nous vivons une phase de transformation profonde de l'industrie, avec l'émergence des hyper-industries qui s'appuient sur la convergence entre les facteurs de production classiques, le numérique, les services. Face à ces évolutions, quelle est la stratégie de l'État français ? M. Bruno Le Maire nous explique que l'État doit se retirer de toutes les grandes entreprises et essayer de peser adroitement sur la stratégie des entreprises, sachant qu'elles sont autonomes dans leurs décisions.

Dans un rapport récent de notre commission des affaires économiques, a été évoqué le rôle de l'État français en matière de normalisation, au niveau national d'abord, mais surtout européen et au plan international. C'est une question que nous devons aussi aborder dans cette mission, car c'est la compétitivité industrielle qui est en jeu.

À l'heure où la production de valeur est affectée par les transformations industrielles et où les chaînes de valeur sont en pleine reconfiguration, comment les territoires, hors métropoles, attireront-ils des acteurs économiques qui créent de la valeur ? L'État a une vision à promouvoir, une stratégie à mener !

M. Alain Chatillon , président . - Vous pourriez également intervenir auprès du département du Gers, qui est le seul à ne pas accompagner le pôle de compétitivité...

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Je me félicite qu'une telle mission d'information ait été demandée. Alstom en a été le catalyseur ; l'intitulé en a été judicieusement élargi ; et la mission compte des membres de diverses commissions, preuve que le sujet dépasse le seul cas Alstom-Siemens. J'adhère aux propositions du rapporteur et du président. Nous pourrons demander au ministre Le Maire des précisions sur sa stratégie, car le jaune budgétaire est peu disert. Le ministre a déclaré vouloir, sur la mandature, faire évoluer le rôle de l'État actionnaire : comment compte-t-il s'y prendre ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Cette première discussion a été riche. Et maintenant... au travail !

M. Alain Chatillon , président . - Merci à tous.

B. DÉBAT D'ORIENTATION (8 mars 2018)

Réunie le jeudi 8 mars 2018, la mission d'information a tenu son débat d'orientation.

M. Alain Chatillon , président . - Notre mission d'information s'est constituée le 29 novembre dernier, et nos travaux d'audition et nos déplacements ont débuté le 13 décembre.

Trois mois après ces débuts, Martial Bourquin et moi-même avons souhaité pouvoir faire le point avec vous sur l'avancée de nos travaux et vous exposez nos suggestions, tant sur le fond que sur la forme, pour la suite de notre mission. En effet, il nous paraît important de fixer des objectifs précis, notamment sur la partie relative à la restructuration industrielle : ces objectifs sont pour partie ceux que nous avions déjà affichés en 2011, car les questions que nous avions alors posées n'ont depuis toujours pas été traitées. Depuis, les nombreuses modifications subies par les structures régionales et départementales ont largement perturbé les relations entre les différents acteurs du système, alors même que l'État abandonne les pôles de compétitivité. Il faut absolument retrouver des synergies pour accompagner au mieux nos entreprises, leur permettre de se développer, et maintenir les emplois.

Dans le domaine de l'industrie, on est passé de 5,4 millions à 2,35 millions d'emplois en l'espace de 30 ans : ce sont presque la moitié des emplois qui ont disparu ! La situation est grave, nous avons perdu des pans entiers de notre économie.

Notre rapporteur va maintenant vous exposer nos propositions communes.

M. Martial Bourquin . Avant toute chose, mes chers collègues, je tiens à vous remercier : au cours des trois derniers mois, nous avons bien travaillé !

Tout d'abord, un premier bilan de nos travaux depuis la constitution de la mission. Les six auditions plénières organisées nous ont permis d'entendre les syndicats d'Alstom, l'économiste Pierre-Noël Giraud, M. Louis Schweitzer - ancien dirigeant de Renault et ancien Commissaire général à l'investissement -, M. Bertrand Escoffier, directeur général du Slip français, qui est un jeune entrepreneur dynamique, M. Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom, et M. Philippe Varin, vice-président du conseil national de l'industrie et président de France Industrie.

Parallèlement, Alain Chatillon et moi-même avons procédé à 14 auditions, auxquelles étaient conviés l'ensemble des membres de la mission qui souhaitaient y assister. Elles nous ont permis d'entendre la Fédération des industries ferroviaires, le groupe Safran, l'Alliance pour l'industrie du futur, la Fabrique de l'industrie, la Haut-Commissaire à la transformation des compétences, la direction générale des entreprises, l'Association nationale des industries agroalimentaires, l'Agence des participations de l'État, le Comité interministériel de restructuration industrielle, la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle, l'ancien commissaire à l'information stratégique, CCI France, la direction générale du Trésor et le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises.

Enfin, la mission s'est rendue sur le terrain, lors de 5 déplacements auxquels plusieurs d'entre vous ont participé : nous nous sommes tout d'abord rendus sur les sites Alstom de Belfort et d'Ornans, où nous avons rencontré la direction et des syndicats, puis visité les sites ; nous sommes allés à Munich pour rencontrer des représentants de Siemens, du ministère bavarois de l'économie, de la chambre consulaire bavaroise, de l'organisation patronale bavaroise, et la présidente des conseillers du commerce extérieur français. Nous nous sommes également rendus au Factory Lab de Saclay, à l'usine-école du Boston consulting group de Villebon-sur-Yvette, ainsi qu'à Toulouse, où nous avons rencontré différents services de l'État et de la région en matière économique, ainsi que des acteurs de l'industrie agroalimentaire et de l'industrie aéronautique.

Ces travaux nous ont déjà permis d'aborder un certain nombre de sujets, et des points majeurs ont été soulevés par nos interlocuteurs. Néanmoins, il nous reste encore 3 auditions plénières - nous y recevrons M. Le Maire, ministre de l'économie et des finances, M. Pierre Veltz, économiste et M. Boudy, secrétaire général pour l'investissement- et une quinzaine d'auditions au format « président-rapporteur », lors desquelles nous entendrons les organisations patronales (MEDEF, AFEP, CPME), Régions de France, Croissance plus, General Electric, la Direction des affaires juridiques de Bercy, M. Antoine Frérot, PDG de Véolia et président de l'Institut de l'entreprise, les organisations syndicales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFTC), Business France, la Caisse des dépôts et consignations, la Banque de France, Airbus, des représentants des banques et des assureurs, l'association nationale des sociétés par actions, le groupe Avril, Dassault Systèmes - qui est très en pointe sur l'industrie du futur - et le Symop, organisation professionnelle des créateurs de solutions industrielles, fabricants de machines, technologies et équipements pour la production industrielle. Nous entendrons également des PME et ETI industrielles innovantes lors d'une table ronde. Enfin, deux déplacements sont encore prévus, l'un à Bruxelles, l'autre sur le site d'Alstom à La Rochelle.

Sur la base de ces travaux diversifiés et nombreux, nous vous proposons aujourd'hui une méthode, un calendrier et des orientations de fond.

Sur la méthode, tout d'abord, nous vous proposons de dissocier le volet Alstom » du volet plus général sur la « stratégie industrielle », ce qui nous permettra d'émettre nos préconisations sur Alstom au plus vite.

Nos auditions nous permettent aujourd'hui de retracer assez clairement l'évolution du groupe Alstom et de son démantèlement par cessions à des entreprises concurrentes étrangères. Lors de nos auditions, plusieurs termes ont été utilisés pour évoquer ce démantèlement : fusion, absorption... En dernier lieu, ce à quoi nous assistons c'est bien une prise de contrôle, par un groupe étranger, d'une entreprise jusqu'alors protégée par le décret relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, dit « Montebourg ».

Nos auditions ont également permis de mettre en évidence certains choix de l'État, notamment celui de ne pas intervenir dans ce qu'il considère d'abord et avant tout comme une affaire d'entreprises privées. C'est à notre sens une profonde erreur. L'État ne peut se désengager d'une vision microéconomique et se contenter seulement d'une vision macroéconomique, en jouant sur quelques grands leviers financiers, budgétaires ou fiscaux sans agir au plus près du terrain. Notre collègue député Olivier Marleix, qui mène à l'Assemblée nationale des travaux similaires aux nôtres, en est arrivé aux mêmes conclusions que nous. L'État ne peut pas se borner à influer sur des filières très structurantes de notre économie - l'énergie, les transports - en jouant seulement un rôle de donneur d'ordres - et ce d'autant plus compte tenu des contraintes de la commande publique, qui interdisent par principe de favoriser des intérêts nationaux... Défendre nos intérêts n'empêche pas de jouer le jeu de l'Europe : il faut simplement que cela se fasse dans un cadre équilibré, comme cela a pu être le cas pour EADS. Mais il nous faut rester vigilants : lors de notre déplacement à Toulouse, nous avons appris avec inquiétude que les Allemands envisageaient de monter entièrement les avions, alors que jusqu'ici, les parties étaient construites à Hambourg, Toulouse et Saint-Nazaire, avant un assemblage final sur le site toulousain. Il est donc essentiel - et Louis Schweitzer l'a rappelé - de défendre les intérêts nationaux.

M. Alain Chatillon . - Et pour cela, il faut que l'équipe de direction d'Airbus soit équilibrée. Or, depuis le départ de Fabrice Brégier, il y a une semaine, ce n'est plus le cas.

M. Martial Bourquin . - Certes, les auditions ont confirmé qu'il n'était d'autre solution viable, sur un marché devenu mondial, que la création de groupes de taille suffisante pour lutter à armes semblables avec de nouveaux géants - notamment chinois - gavés de fonds publics. Nous devons créer un grand groupe européen, mais dans des conditions qui préservent les intérêts français. Et pas au risque de voir disparaître aux sites de production indispensables à nos territoires.

Nous avons appris qu'un accord aurait été passé sur Alstom : nous allons en demander le contenu à Bruno Le Maire lors de son audition de cet après-midi. Il est impensable que nous, la représentation nationale, nous n'ayons pas accès à cet accord ; on peut même se demander pourquoi on cherche à nous le cacher...

C'est cela que nous voudrions clairement inscrire dans ce premier volet, en soulignant qu'il pouvait y avoir sinon d'autres stratégies d'alliances, du moins des garde-fous négociés avec le partenaire Siemens, afin que l'opération ne soit pas seulement favorable à un groupe industriel mondialisé, mais qu'elle soit équilibrée entre Siemens et Alstom, afin de pérenniser notre appareil productif.

Or, il existe des instruments de gouvernance, des instruments d'intervention au capital qui auraient pu valablement être utilisés ; et qui ne l'ont pas été. Délibérément. Cela avait déjà été le cas avec le refus de l'État de racheter les actions Bouygues. Les participations de l'État ne sont pas simplement une dépense ! Elles ont une valeur ajoutée financière importante pour le pays.

Ce premier volet, nous pensons qu'il faut le traiter sans attendre, et présenter ainsi un rapport d'étape de la mission qui porterait exclusivement sur le dossier Alstom. Nous vous proposons de vous le présenter au cours de la deuxième quinzaine d'avril. Nous aurons, à cette date, suffisamment d'éléments pour nous prononcer en toute connaissance de cause.

Les éléments que nous aurons ainsi exposés dans le cadre de ce rapport d'étape permettront, ensuite, de formuler des propositions générales en contrepoint de l'évolution de ce dossier. C'est l'objet de la seconde étape, que nous vous proposons de traiter dans le cadre du rapport définitif de la mission, au cours de la deuxième quinzaine de mai.

Il s'agirait ainsi de brosser ce que doit être aujourd'hui la stratégie des pouvoirs publics - et pas seulement de l'État, mais également des régions, communautés d'agglomération, et communautés de communes - en faveur de l'industrie.

Assurément, il y a un besoin de gouvernance publique pour l'avenir industriel de notre nation. Les chambres de commerce, que nous avons reçues ce matin, nous ont fait part du maquis actuel d'aides aux entreprises : si notre mission clarifie qui fait quoi, quand, et comment, les choses auront déjà bien avancé. Dans notre économie libérale, tous les secteurs ne sont pas exposés au même degré de concurrence : pour ceux fortement concurrentiels, nous ne pouvons pas nous en remettre au seul marché. La puissance publique doit peser de tout son poids pour accompagner au quotidien nos entreprises industrielles.

À ce stade, les objectifs que nous devons pensons devoir assigner à la stratégie industrielle française sont :

- la définition de domaines considérés comme essentiels dans la compétition internationale, et sur lesquels la puissance publique doit favoriser la dynamique industrielle : l'énergie et les transports sont à cet égard majeurs ;

- la diffusion des outils technologiques du futur (réalité augmentée, robotisation, collecte de la donnée, fabrication additive, cobotique...) dans l'ensemble du tissu industriel, non seulement les grandes entreprises, mais surtout les ETI et les PME. Cela permettra à toutes nos entreprises de prendre vraiment le tournant du numérique. Certains grands groupes, comme Airbus, restent des industries de « main-d'oeuvre ». Mais pour les autres, il faut absolument éviter la rupture technologique, car sinon, ces entreprises vont disparaître ;

- favoriser la croissance des entreprises industrielles pour qu'elles acquièrent une taille critique suffisante pour, justement, s'équiper avec les technologies nouvelles et s'ouvrir davantage à l'exportation ;

- enfin, conserver un maillage effectif des industries sur nos territoires, en maintenant les sites industriels existants tout en créant des synergies avec les autres acteurs du territoire. Il faut tenter de trouver un équilibre entre la menace de métropolisation des industries, qui assèche l'économie de nos territoires, et la nécessité de favoriser les clusters ... Les métropoles présentent un véritable risque pour l'équilibre du territoire, car elles fonctionnent comme des aspirateurs au sein de leur région. Soyons vigilants, pour ne pas ajouter la désertification industrielle à la désertification rurale...

Pour atteindre ces objectifs, il nous faudra certainement proposer d'agir sur divers instruments :

- d'abord sur la gouvernance des sociétés : en dissociant peut-être davantage qu'aujourd'hui la détention du capital et l'exercice des droits de vote, ce qui permet de donner une position prééminente à certains actionnaires (notamment l'État) pour la prise de positions stratégiques ; en favorisant, aussi, la position de certains actionnaires - notamment celle des salariés, qui sont un élément de stabilité du capital d'une entreprise ;

- ensuite sur l'investissement étranger en France : il faut certes attirer des capitaux, mais il faut se garder de céder totalement le contrôle de certaines entreprises stratégiques. Il faut également mettre en oeuvre un principe de réciprocité ; c'est un sujet qui doit, pour partie, être traité au niveau européen ;

- nous attendons également de l'État qu'il nous dise comment il compte gérer le désendettement : la vente des participations de l'État au titre du redressement pourrait compromettre nos industries, ce serait donc un très mauvais calcul. On n'arrive plus à lire la stratégie de l'État... en a-t-il seulement une ?

- plus généralement, c'est la question de l'investissement dans l'outil industriel qui est posée. Il faut le dynamiser, avec des dispositifs fiscaux ad hoc , par exemple pour accentuer les investissements dans les robots ou même favoriser un actionnariat plus stable, en agissant tant sur l'épargne populaire que sur l'actionnariat institutionnel des sociétés d'assurance et des banques. Je vous rappelle que nous avons voté de manière unanime sur tous les bancs un amendement relatif au suramortissement. Nous devons agir aujourd'hui pour éviter que nos entreprises soient en difficulté dans quelques années.

Au niveau de l'action concrète des pouvoirs publics, il faut d'abord s'interroger sur la stratégie de l'État actionnaire, car la gestion des participations de l'État dans les entreprises où il est présent n'est pas suffisamment dynamique et orientée sur les secteurs de pointe de notre compétitivité industrielle.

Il faut aussi marquer notre attachement à ce que l'État reste présent au quotidien sur nos territoires, pour accompagner nos industries. Sur ce point, notre déplacement à Toulouse a mis en exergue la diminution des subventions de l'État aux pôles de compétitivité - au rythme actuel, dans cinq ans, ils n'existeront plus. Cela n'est pas acceptable : l'avenir de notre industrie n'est pas seulement à Saclay, mais bien dans un maillage territorial auquel contribuent fortement les pôles, notamment en jouant un rôle essentiel dans la recherche et le développement. Il faut en simplifier les financements, actuellement trop complexes.

Enfin, il faut que les acteurs de l'industrie eux-mêmes puissent être davantage entendus des pouvoirs publics dans la définition de leur action. Nous sommes loin de la relation de confiance et de collaboration qui prévaut en Allemagne entre le patronat, le gouvernement et les syndicats - notre déplacement à Munich l'a montré. Leur priorité : l'industrie, la production, l'emploi et la capacité à exporter. Il faut trouver les moyens de se rapprocher de cette vision. Sur ce point, la politique de filières est indispensable, et la réforme du conseil national de l'industrie, en cours, va certainement dans le bon sens. D'autres actions complémentaires peuvent être préconisées par notre mission.

Voilà les grandes orientations de travail que nous vous proposons. Au cours des auditions, des propositions ont été faites par les intervenants - d'autres viendront certainement au cours des auditions à venir. Il nous faut encore expertiser ces propositions, ce qui sera fait dans les prochaines semaines, afin d'aboutir à des actions très concrètes pour redonner souffle et espoir à nos filières industrielles. Notre mission n'est pas une mission comme les autres : nos propositions doivent être dynamiques, percutantes, et aller dans le sens du redressement industriel.

M. Alain Chatillon . - Je suis choqué que nous n'ayons pas encore eu accès au texte de l'accord. La représentation parlementaire doit pouvoir y accéder. Nous le demanderons au ministre.

Sur le sujet plus large de la politique industrielle, les questions de la place des territoires et de la coordination des acteurs me paraissent essentielles. Nous avons profondément redéfini les compétences des collectivités au cours des dernières années : cela doit se traduire dans l'organisation et le pilotage de nos politiques ! J'observe, sur le terrain, un manque très préjudiciable de coordination entre les différents niveaux de collectivités, mais aussi entre les collectivités et les réseaux consulaires. Je constate aussi un désengagement de l'État dans toutes ses fonctions et pas seulement dans ses fonctions d'intervention et de régulation économique. Les services publics reculent. Déprise de l'industrie, désengagement de l'État : la ruralité est mise sous tension. Un mouvement fort va se lever si la tendance ne s'inverse pas.

M. Daniel Laurent . - Je salue le fait que notre mission d'information ne se focalise pas sur le cas d'Alstom, mais qu'elle soit élargie aux politiques industrielles dans leur ensemble, notamment dans leur dimension territoriale. La déclinaison territoriale de ces politiques, à travers par exemple les pôles de compétitivité, les politiques de formation ou bien encore le maintien d'un accompagnement de terrain par les réseaux consulaires, constitue un enjeu primordial. La diffusion de l'industrie du futur sur tout le territoire doit être un objectif prioritaire.

Mme Valérie Létard . - Il y a de l'inquiétude et un certain désarroi. Je voudrais citer l'exemple de Vallourec à Saint-Saulve, près de Valenciennes, où la direction a l'intention de fermer une ligne de production qui emploie 164 personnes. Il y a aussi la situation de l'aciérie Ascoval. Dans le cas d'Alstom, on s'interroge sur les intentions de la direction concernant l'avenir du site de Petite-Forêt. Pourtant, les collectivités investissent lourdement pour accompagner le développement économique, pour rendre les sites attractifs pour les entreprises, pour subventionner des pôles de compétitivité... Ces dernières nous sollicitent, nous participons à l'effort. Puis elles changent de stratégie et s'en vont sans tenir compte des efforts collectifs faits pour les accompagner. Élus locaux et industriels doivent travailler en confiance, en transparence et en vérité !

M. Jean-François Longeot . - Il y a une nécessité pour l'État de redéfinir sa politique industrielle et cette redéfinition suppose notamment de savoir saisir certaines opportunités de développement industriel qui émergent. Je prendrai un exemple, celui des téléphones portables usagers. J'ai présidé les travaux d'une mission d'information du Sénat sur ce sujet. Un rapport a été publié sous le titre : « 100 millions de téléphones portables usagés : l'urgence d'une stratégie ». Il y a là des enjeux environnementaux mais aussi industriels importants. Pourquoi ne pas s'en saisir ?

Je veux aussi souligner l'importance de l'enjeu de l'apprentissage et des compétences. Dans la loi sur la formation professionnelle, nous devrons saisir cette question à bras le corps. Aujourd'hui la reprise de l'industrie bute sur l'absence de main-d'oeuvre industrielle qualifiée. Des savoir-faire disparaissent. Or, si l'industrie ne trouve pas en France les ouvriers qualifiés, les techniciens et les ingénieurs dont elle a besoin, elle ira se développer ailleurs ! Il est urgent de recréer des écoles d'apprentissage auprès des entreprises.

M. Alain Chatillon . - Nous aurons des recommandations à adresser au Gouvernement. Certains choix me paraissent aberrants ! On dégage 1,5 Md€ de crédits pour le développement de l'agroalimentaire à Saclay et dans le même temps l'État arrête la subvention de 100 000 € nécessaire au fonctionnement du pôle de compétitivité « Agri Sud Ouest Innovation ».

C. RÉUNION D'ADOPTION DU RAPPORT D'ÉTAPE (18 avril 2018)

Réunie le mercredi 18 avril 2018, la mission d'information a tenu la réunion d'adoption de son rapport d'étape.

M. Alain Chatillon , président . - Nous sommes réunis pour adopter notre rapport sur Alstom. Nous avons mené 38 auditions depuis le 13 décembre dernier, durant 65 heures, et avons entendu 57 personnalités. Nous nous sommes déplacés sur différents sites - nous étions hier encore à La Rochelle.

Nous avons souhaité examiner les problèmes d'Alstom avant de compléter ce premier volet par un second sur la stratégie industrielle de la France. Nous avions réalisé, avec Martial Bourquin il y a quelques années, un rapport sur ce sujet et nous regrettons que plusieurs de nos préconisations n'aient pas été suivies d'effets. En 1980, il y avait 5,4 millions d'emplois industriels en France ; aujourd'hui, il y en a 2,4 millions. Le temps presse. Les raisons en sont le manque de compétitivité et le manque de réactivité des entreprises ou de certaines de leurs directions sur des questions telles que la recherche et développement (R&D), la robotisation...

Alstom a connu différentes étapes importantes récemment : une opération de cession d'activités à General Electric en 2014, puis le rapprochement en 2017-2018 avec Siemens, qui était lui-même en cours de négociation avec Bombardier. Nous avons noté la capacité de la France à accompagner Alstom par la prise de commandes importantes. Au-delà des résultats d'Alstom en trésorerie, la France devrait accompagner cette démarche car Alstom a un chiffre d'affaires non négligeable : il représente 70 % du chiffre d'affaires du futur regroupement. Avec Martial Bourquin, nous avons vu avec étonnement que Siemens prend le contrôle de l'activité : le président et cinq administrateurs seront désignés par Siemens, sur les onze membres du conseil d'administration. Une opération de rapprochement apparaissait évidente, et faire un groupe franco-allemand était une nécessité : n'oublions pas la puissance des Chinois et des Américains.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Pour comprendre la dernière évolution d'Alstom, qui a poussé le groupe socialiste et républicain à demander la création de notre mission d'information - tandis que l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête à la demande du groupe Les Républicains, ce qui montre que nous étions tous interloqués par cette transformation du groupe - il faut revenir en 1990.

En 1990, la Compagnie générale d'Électricité (CGE), qui deviendra en 1991 Alcatel-Alsthom, est un groupe présent dans le secteur des équipements et des services de production et de distribution d'énergie, des équipements et des services ferroviaires et dans celui des chantiers navals. Il comprend également des activités dans le domaine des télécommunications, des câbles, des batteries, de l'ingénierie électrique à destination des entreprises, et même des multimédias et de la presse.

En 2018, les restes du groupe Alstom, réduit au seul secteur ferroviaire depuis la vente de son activité « Énergie » en 2014 à General Electric, auxquels sont apportés les actifs « Mobility » du groupe Siemens, font l'objet d'une prise de contrôle par le groupe allemand, qui en devient l'actionnaire majoritaire.

En trente ans, un conglomérat industriel puissant, à capitaux majoritairement nationaux, a laissé place à plusieurs activités exercées par des single players dont nombre d'entre eux sont dirigés par des intérêts étrangers. Cette évolution est symptomatique de la mutation de l'industrie française, qui a vu certains des groupes qui constituaient le socle de sa puissance industrielle démantelés et vendus à la découpe, le plus souvent à des acteurs industriels ou financiers étrangers.

Au terme de nos travaux sur l'évolution d'Alstom, ma conviction - partagée par Alain Chatillon - est que le principe même d'un rapprochement entre deux acteurs européens majeurs du secteur ferroviaire a tout son sens d'un point de vue économique. La nécessité de disposer d'une taille critique, dans un marché ferroviaire devenu mondial et livré à l'ambition de groupes non européens ayant un pouvoir de marché potentiellement considérable, justifie sans conteste la volonté de constituer un acteur majeur, susceptible de peser au niveau mondial. Plusieurs marchés importants aux États-Unis ont été remportés par de grands groupes chinois, et quelques groupes japonais sont également très actifs sur le marché mondial.

Mais il faut s'assurer que ces stratégies d'entreprises, si cohérentes et respectables soient-elles, ne préjudicient pas aux intérêts industriels de notre pays. Or, la prise de contrôle de l'assemblée générale et du conseil d'administration d'Alstom par un investisseur étranger ne peut que susciter un sentiment d'appréhension. La façon dont se font ces regroupements est aussi importante. Ce rapprochement crée un sentiment d'appréhension dans les douze sites du groupe en France et chez les 4 500 sous-traitants sur le terrain. L'industrie est le maillage essentiel de nos territoires.

Certes, au cours de nos travaux et déplacements, nous avons eu des assurances tant du groupe Alstom que du groupe Siemens - que nous avons rencontré à Munich - de l'absence de toute volonté de mettre à mal l'appareil industriel exceptionnel du groupe Alstom, en particulier en France. De même, le Gouvernement, tant au niveau politique qu'au niveau administratif, s'est montré résolument optimiste sur les incidences de ce rapprochement pour notre pays.

Mme Sophie Primas . - On pourrait résumer cela par : « Passez votre chemin ! » !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Il n'en demeure pas moins que dans tout rapprochement d'entreprises, et sans doute plus encore dans le domaine industriel, les synergies et les gains attendus s'effectuent pour partie par des restructurations destinées à assurer des économies d'échelle et à supprimer d'inévitables doublons d'activités. Dans un groupe d'origine binational comme le sera Siemens-Alstom, ces restructurations ne sauraient toutefois porter prioritairement sur la partie française. Alstom n'est pas simplement un acteur industriel historique majeur employant 8 500 emplois en France ; avec ses sites répartis à travers nos territoires, il est aussi un élément fort du maillage industriel de notre pays, avec 4 500 fournisseurs représentant près de 27 000 emplois. Il s'agit de nombreux emplois et d'une valeur ajoutée importante.

Avec ce rapport, nous voulons peser pour que la réalisation de ce rapprochement ne se traduise pas, à moyen terme, par un délaissement de certains sites français qui conduirait, à plus longue échéance, à un démantèlement de notre filière ferroviaire. Or les syndicats nous ont rappelé aujourd'hui, lors de nos auditions, que la filière est un échelon essentiel de l'industrie.

Certes, des garanties ont été données par les parties intéressées, pendant une durée de quatre années à compter de la réalisation de l'opération, sur certains éléments relatifs à la gouvernance et à la stabilité des sites et des effectifs en France. Indéniablement, ces garanties ont été apportées à l'instigation de l'État, exerçant alors les prérogatives de premier actionnaire du groupe Alstom, compte tenu du prêt d'actions dont il bénéficiait de la part du premier actionnaire du groupe Alstom, le groupe Bouygues - nous avons entendu son PDG, Martin Bouygues, tout à l'heure. Mais on ne peut que regretter que l'État n'ait pas été plus loin dans la protection des intérêts d'Alstom en France.

L'État semble avoir pris le parti de soutenir une opération capitalistique très favorable à Siemens en misant sur l'effet d'entraînement à long terme qu'il pourrait induire pour l'industrie ferroviaire française et en souhaitant écarter définitivement les craintes d'un rapprochement entre Siemens et Bombardier qui aurait laissé Alstom seul, sans taille critique, pour affronter la concurrence mondiale.

Mais ce pari sur l'avenir n'aurait-il pas dû être assorti de garanties plus importantes pour le maintien de l'activité en France, alors même que dans les cinq prochaines années, c'est la commande publique française qui, pour l'essentiel, fera vivre le nouveau groupe et que Siemens prendra le contrôle de cette entité dotée d'une trésorerie potentiellement excellente sans lui apporter un seul euro d'argent frais ? Le niveau des garanties obtenu apparaît moindre que celui que l'État avait obtenu en 2014 lors du rachat de la branche énergie d'Alstom par le groupe General Electric, même si ce choix industriel était en lui-même très contestable...

D'autres modalités de rapprochement avec Siemens étaient envisageables, qui auraient pu rééquilibrer la relation industrielle et capitalistique. La stratégie du Gouvernement dans cette opération est discutable, tant il semble n'avoir pas cherché à rééquilibrer, en faveur des intérêts français, l'accord intervenu entre les directions d'Alstom et de Siemens.

Si la présence de l'État au capital ou le maintien de l'exercice des droits de vote dont il disposait dans le cadre de l'accord conclu avec Bouygues aurait certainement empêché le rapprochement lui-même, compte tenu - selon Martin Bouygues - du refus de Siemens de voir l'État au capital de l'entreprise, d'autres garanties auraient pu être envisagées pour assurer davantage la pérennité de l'outil de production en France.

Alstom, et la filière ferroviaire française dans son ensemble, méritaient qu'on les défende davantage, à l'instar de ce que la France avait su faire dans l'aéronautique, en prévoyant un partenariat équilibré entre les différents intérêts nationaux - ce que l'on pourrait qualifier d'Airbus du ferroviaire. Cet exemple fonctionne : la bi-nationalité d'un groupe n'est pas forcément un handicap ; elle n'implique pas qu'un État ou une entreprise prenne nécessairement le dessus. Cela peut aboutir à une opération industrielle de haut niveau. Si une opération capitalistique équilibrée sur le strict modèle d'Airbus s'avérait certes difficile à atteindre, des modalités de coopération industrielle plus favorables aux intérêts français étaient possibles, sous certaines conditions.

Si l'on admet l'impossibilité ou le défaut rédhibitoire du groupement d'intérêt économique (GIE) - défendu cependant par la CGT - en raison de sa lourdeur d'organisation et des limites d'activités inhérentes à ce modèle juridique, la variante de la filiale commune était théoriquement envisageable pour contourner l'obstacle que pouvait constituer le fort morcèlement de l'actionnariat d'Alstom. Elle aurait permis la mise en place d'un Airbus du ferroviaire plus équilibré que la solution retenue in fine . Elle pouvait rester, d'un point de vue capitalistique, une co-entreprise à structure légère et agile sur le modèle, par exemple, de celle qui lie la Snecma - devenue Safran - à General Electric depuis 50 ans et permet de construire les moteurs d'avions civils les plus vendus au monde. Pourquoi ce qui existe entre GE et Safran aurait été impossible là ? Mais ces pistes n'ont pas été retenues, et nous n'avons obtenu aucune réponse sur les raisons de ce choix.

La représentation nationale, dans ce dossier, est mise devant le fait accompli. C'est encore très dommage. Lorsqu'on évoque le ferroviaire, on parle de mobilité, et le ferroviaire joue un rôle décisif dans la crise climatique. Si l'État français protégeait le ferroviaire, il deviendrait un secteur de premier plan.

Le 23 mars 2018, les directions d'Alstom et de Siemens ont réitéré leur protocole d'accord signé le 27 septembre 2017. Le rapprochement entre les deux sociétés et ses modalités sont désormais pleinement actés. Sa mise en oeuvre reste néanmoins soumise à trois conditions cumulatives : d'abord, il faut l'approbation de l'accord par les organes délibérants des deux sociétés, et notamment l'assemblée générale des actionnaires d'Alstom, qui devrait se réunir en juillet 2018. L'assemblée donnera probablement son accord à l'opération, les actionnaires - et notamment l'actionnaire de référence Bouygues - ayant un intérêt financier évident à sa réalisation, compte tenu des primes et dividendes annoncés - Martin Bouygues nous avait assuré ne rien gagner dans l'affaire, mais il ne faut pas oublier les 500 millions d'euros qui résulte de ces distributions - tandis que l'État a marqué son approbation du projet. Ensuite, il faut obtenir l'autorisation de l'État au titre du contrôle des investissements étrangers. Là encore, compte tenu des garanties prises par les deux sociétés dans le cadre du rapprochement, que l'État considère comme suffisantes, il est très vraisemblable que l'autorisation sera accordée - les services de l'État nous ont assurés être prêts. Enfin, la Commission européenne doit autoriser le rapprochement dans le cadre du contrôle des concentrations. L'opération ne devrait vraisemblablement pas être jugée contraire au droit européen, notamment si le marché de référence est mondial. En revanche, il ne peut être exclu que la Commission demande aux deux acteurs des compensations, si le marché de référence est européen, afin que la concurrence sur les marchés concernés soit préservée. C'est donc probablement une décision d'autorisation qui sera délivrée par l'autorité européenne, sous réserve de mesures compensatoires.

Dans ces conditions, on ne peut que prendre acte du rapprochement annoncé. Pour autant, il est encore possible de mieux en accompagner les conséquences. C'est ce qui nous conduit à formuler plusieurs préconisations.

La première, c'est d'utiliser la commande publique pour maintenir l'activité des sites français. Compte tenu des achats publics massifs attendus en France dans les années à venir en matière d'équipements, de services et d'infrastructures ferroviaires, les pouvoirs publics doivent utiliser la commande publique comme un levier pour favoriser la localisation en France de la production des équipements ferroviaires, des centres de recherche et d'ingénierie. Il faut exploiter tous les leviers permis par le droit de la commande publique pour faire en sorte que ces investissements publics puissent sauvegarder et créer de l'emploi en France.

L'État, qui contrôle de grandes entreprises publiques clientes d'Alstom, doit peser sur les décisions d'achat de ces dernières afin d'offrir des débouchés à la production réalisée en France. On peut donc se réjouir de l'annonce faite par l'État de commander à Alstom 100 « TGV du futur ». J'étais hier à La Rochelle avec Daniel Laurent, Damien Gay, Corinne Imbert. C'est bien de faire des déclarations, mais les salariés sont comme saint Thomas, ils attendent la réalité de la commande. Chaque semaine qui passe sans commande ferme leur porte préjudice avec un nombre impressionnant de jours chômés...

M. Daniel Laurent . - Avec Sophie Primas et Alain Chatillon, nous avons rencontré hier la ministre, Élisabeth Borne, qui ne nous a rien garanti. Elle était même plutôt dubitative...

Mme Viviane Artigalas . - Alstom a délocalisé une partie de sa production en Inde, à la différence de Siemens. Comment obtenir la garantie que la commande sera produite en France et non en Inde ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Pour l'instant, le TGV est fabriqué en totalité en France.

M. Daniel Laurent . - Ce n'est pas le cas d'autres produits...

M. Martial Bourquin , rapporteur . - La pérennité des sites de La Rochelle et de Belfort dépend de cette commande... Et il faut espérer que les matériels roulants et les équipements de signalisation produits par Alstom seront les plus adaptés aux marchés publics qui seront lancés par la Société du Grand Paris dans les prochains mois et jusqu'en 2020 pour la réalisation du Grand Paris Express.

Ensuite, il faut accompagner l'ensemble de la filière. Alstom est un débouché-clé de la filière de l'industrie ferroviaire française, puisque 1,138 milliard d'euros de produits et de services lui sont livrés chaque année par des fournisseurs situés en France. Ces livraisons sont essentiellement destinées aux usines françaises d'Alstom - nous l'avons encore vu hier à Aytré. C'est dire à quel point le sourcing des sites français d'Alstom est centré sur le territoire français.

Le rapprochement de Siemens Mobility et d'Alstom va selon toute vraisemblance modifier les réseaux d'approvisionnement. L'uniformisation des process industriels entre les deux groupes, à terme, dans le cadre d'une recherche de rationalisation de son outil industriel, risque de remettre en cause certains réseaux actuels. Mais cette modification des réseaux d'approvisionnement pourrait, dans le même temps, offrir des opportunités de développement importantes pour les fournisseurs français d'Alstom qui seront capables de fournir Siemens-Alstom.

Toutefois, le benchmark Allemagne-France, à l'intérieur du futur groupe, risque d'être très difficile pour un très grand nombre des fournisseurs français actuels. Si le nombre des fournisseurs hexagonaux d'Alstom est considérable, les achats d'Alstom sont en réalité extrêmement concentrés sur un petit nombre d'ETI et de grosses PME. L'insuffisante concentration de la filière ferroviaire française est un facteur limitant leur potentiel dans les domaines de l'innovation, de l'exportation et de l'investissement dans l'outil et les procédés. La trop faible digitalisation de l'outil productif est aussi un obstacle.

Nous préconisons donc de mettre en place un plan d'accompagnement des PME et ETI équipementiers d'Alstom pour qu'ils puissent répondre aux besoins en sourcing de la future entité Siemens-Alstom. Il faut accélérer fortement le rapprochement des fournisseurs pour leur faire atteindre une taille critique ou développer des synergies collectives dans des logiques de clusters .

Il faut également donner au nouveau groupe les moyens financiers de se développer. La cession des titres détenus par Alstom dans ses coentreprises avec GE va générer une importante entrée de liquidités. S'il est d'ores et déjà prévu qu'une partie de cette somme soit reversée aux actionnaires, le solde devrait servir à consolider la trésorerie de Siemens-Alstom et être mis au service du développement de l'entreprise.

Dans ce cadre, il faut insister pour que la stratégie d'investissement de la nouvelle entité permette de renforcer les complémentarités industrielles des sites, tant en France qu'en Allemagne, et qu'en outre, les sommes disponibles continuent d'appuyer les activités de recherche et de développement déjà en cours, et pour partie aidées par la puissance publique, mais également les centres d'excellence situés sur le territoire français.

Le groupe Siemens a des capacités d'ingénierie de haut niveau, qu'il faut renforcer. Il est en effet essentiel que les sites français restent des sites d'innovation technologique. Tous les sites qui n'auront pas une activité de recherche et développement de haut niveau seront en danger. Les investissements du nouveau groupe doivent ainsi favoriser les activités de recherche et de développement sur les mobilités du futur, et assurer une montée en gamme de la production actuelle. À défaut d'un investissement suffisant, orienté en priorité sur ces objectifs, le risque serait grand de voir les sites d'excellence du groupe en France relégués au simple statut de sites d'assemblage. Et les sites d'assemblage sont condamnés à plus ou moins long terme. L'avenir d'Alstom ne s'écrirait alors plus en France, quand bien même son centre de décision demeurerait en Ile-de-France... C'est là que la question territoriale se pose.

Il faut aussi faire en sorte de garantir l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom. Compte tenu de la dimension européenne des deux groupes, la Commission européenne sera amenée à rendre une décision dans les mois à venir, au titre du contrôle des concentrations, sur le projet de rapprochement entre Alstom et Siemens Mobility.

Nous estimons que la décision de la Commission européenne ne doit pas remettre en cause l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom, qui nuirait nécessairement à la capacité de la nouvelle entité Siemens-Alstom de disposer d'une taille critique lui permettant de faire face aux concurrents mondiaux. Il y a déjà eu de nombreux exemples de ce type de mesures dans le passé. Ainsi, lorsque Faurecia a été vendu à Plastic Omnium, 22 sites ont été retirés et mis en vente, et le maire d'Audincourt que j'étais alors en était consterné. Heureusement qu'un Américain les a repris, sans quoi ces sites auraient été vendus à la découpe.

À cet égard, le marché pertinent pour le matériel roulant apparait clairement de taille mondiale, et une appréciation dynamique des forces et des positions de marchés des acteurs mondiaux devrait être favorisée. En effet, les ambitions du groupe chinois CRRC et son potentiel de puissance industrielle et commerciale sont tels qu'il est indispensable que la Commission européenne les prenne pleinement en considération pour évaluer les incidences de l'opération Siemens-Alstom sur la concurrence.

En outre, un démembrement de l'actuel outil industriel d'Alstom risquerait de fragiliser les sites retirés du périmètre du nouvel ensemble.

Il est aussi indispensable de mettre en place un suivi plus transparent des conséquences du rapprochement. Pour garantir une évaluation impartiale des impacts de la prise de contrôle d'Alstom par Siemens, nous demandons la mise en place d'un groupe de suivi parlementaire associant le Sénat et l'Assemblée nationale. On ne peut pas nous dire qu'il n'y a rien à voir !

Certes, l'accord de rapprochement prévoit déjà la mise en place d'un comité de suivi, qui associe le Gouvernement, les directions d'Alstom et de Siemens, ainsi que les syndicats. Mais le Parlement doit être associé à ce travail d'évaluation compte tenu de l'importance stratégique de la filière ferroviaire pour notre pays. Par ailleurs, dans la mesure où les inquiétudes ne portent pas seulement sur la période de quatre ans suivant le closing , mais concernent aussi la période postérieure, il est nécessaire que le suivi des effets du rapprochement ne s'achève pas en 2022 mais se prolonge au-delà.

Ce groupe de suivi pourra se faire assister, en tant que de besoin, par des experts dans les domaines industriels, financiers et juridiques, afin d'examiner l'état d'exécution des obligations à la charge du nouveau groupe ainsi que les effets concrets, sur les territoires, de son fonctionnement, non seulement dans les douze sites du groupe Alstom en France, mais également sur la chaîne des sous-traitants.

Enfin, il faut veiller à l'avenir des coentreprises entre General Electric (GE) et Alstom. Alstom a fait part de son intention de se retirer du capital des coentreprises créées en 2015 avec GE, ce qui devrait obliger GE à racheter la part du capital actuellement détenue par Alstom en application de l'option de vente contenue dans l'accord cession de 2015.

La situation est différente pour chacune des trois coentreprises.

En ce qui concerne les énergies renouvelables et les réseaux (Grid), la sortie du capital par Alstom est prévue et ne pose pas de difficulté.

Le cas est différent pour la coentreprise nucléaire (GEAST), qui contient des actifs stratégiques tels que les turbines Arabelle. Alstom a également vocation à se désengager de cette coentreprise, sans que la date soit connue à ce jour, et suivant des modalités qui restent à déterminer. L'hypothèse d'une revente ultérieure de ses parts par GE a été anticipée au moment de la signature de l'accord entre Alstom, GE et l'État : dans cette hypothèse, comme dans tous les scénarios, l'État conserverait en tout état de cause son action de préférence lui conférant des droits de gouvernance spécifiques. En outre, une procédure d'autorisation au titre des investissements étrangers en France serait requise si le repreneur n'était pas français.

Voilà donc les propositions d'accompagnement que nous formulons dans le rapport, que je souhaiterais compléter sur quelques points à la suite du déplacement d'hier à Aytré, sur le site d'Alstom qui assemble les rames TGV et les tramways.

Les cinq ajouts prennent en compte les éléments que nous avons recueillis sur ce site qui est en sous-capacité, et cela constitue un risque dans le cadre de la fusion. La commande publique française doit donc s'exercer pleinement à son profit.

Par ailleurs, j'apporte certaines précisions sur les préconisations. D'abord, le sourcing du nouveau groupe doit s'inscrire dans le réseau historique des sous-traitants d'Alstom.

Ensuite, si les mesures de compensation exigées par la Commission européenne devaient conduire à diminuer fortement le périmètre industriel de la nouvelle entité, il faudra appeler les deux groupes ainsi que l'État à renoncer à ce rapprochement, qui ne revêtirait alors plus qu'une nature capitalistique et serait dépourvue de contenu industriel.

Enfin, il est indispensable que GE respecte l'ensemble des engagements qu'il a contractés en 2014 lors de l'acquisition de la branche « Énergie » d'Alstom. Sur 1 000 emplois, 400 sont créés, reste 600 !

Vous avez sous les yeux notre rapport. Le président et moi-même avons pu consulter la lettre du PDG de Siemens à Bruno Le Maire. Nous ne pouvons vous en divulguer le contenu, couvert par le secret des affaires, mais je peux vous dire que nous y avons cherché en vain d'autres garanties que celles évoquées publiquement par le ministre. Je suis atterré par leur absence. Les garanties sur quatre ans ne sont pas un cadeau : elles viennent essentiellement de la commande publique. Or ces quatre ans, comme par hasard, nous mènent... après la présidentielle ! La pérennité des douze sites français sera due à la commande publique. Cela a été décidé sans que ni l'État ni les groupes ne demandent l'avis du Parlement. Nous essayons désormais d'accompagner ce projet de fusion pour éviter le pire, qui serait la désindustrialisation de certains territoires, suite à des sous-capacités.

M. Alain Chatillon , président . - Je remercie le rapporteur pour cette synthèse. Avec ces propositions, nous entendons prendre acte du passé - que nous regrettons, même si nous avons souhaité le faire sur un mode objectif et apaisé - pour nous tourner vers l'avenir.

Je vous laisse la parole pour formuler des observations ou, le cas échéant, proposer des modifications du rapport.

M. Claude Kern . - Je propose d'écrire à la page 61 : « Il semble néanmoins que les responsables du syndicat IG Metall expriment des inquiétudes similaires aux syndicats français quant à l'emploi et la préservation des sites en Allemagne. » J'ai rencontré des membres d'IG Metall il y a quelques jours : ils ont les mêmes craintes que nos syndicats, et se demandent si les sites français ne seront pas privilégiés ! Le Directoire de Siemens a discuté avec leurs représentants, mais ils n'ont pas connaissance d'un accord signé.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Il y a évidemment eu un accord.

M. Fabien Gay . - C'est ma première mission d'information. Je me félicite de notre travail collectif car, malgré les divergences politiques, j'ai senti une vraie volonté commune d'avancer et de comprendre. Ce rapprochement a soulevé une réelle inquiétude chez les salariés. Au moment où le secret des affaires était instauré dans l'hémicycle, nous demandions davantage de transparence. Je partage la plupart des analyses et des propositions formulées, surtout dans la première partie, qui décrit le démantèlement de cette belle entreprise qu'était Alstom. Alstom avait plusieurs activités, et la stratégie industrielle a été de découper des branches pour ne garder que le ferroviaire, ce qui a fragilisé l'entreprise : dès 2015, il était évident qu'un rapprochement allait s'imposer. Mais pas dans ces conditions !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Absolument.

M. Fabien Gay . - J'ai bien compris, au fil des auditions, l'opération capitalistique. On nous l'a vendue comme un mariage entre égaux, mais un chef d'entreprise nous a bien expliqué qu'une telle chose n'existe pas, et qu'il n'y a que des fusions-absorption, où l'un prend le pas sur l'autre. Cette fusion-absorption soulève de vraies questions sur la pérennité des sites industriels et des emplois. Au bout de quatre ans de commande publique, il faudra nécessairement une restructuration, et on ne pourra pas garder douze sites en France. Quelle est, au fond, la stratégie industrielle ? Le TGV ? Nous avons vu que la direction, comme les employés, en parlaient avec passion. Ou l' Intercity Express ? La nouvelle entité pourra-t-elle garder ces deux produits ? La signalisation, dont le taux de marge est peut-être de 10 ou 15 %, sera basée à Berlin. Certains sites français pâtissent depuis longtemps de sous-investissement. J'ajouterais aux propositions du rapport une interpellation commune sur la commande publique de TGV qui a été promise. Alstom va prendre le pouvoir mais personne ne peut nous assurer que, dans cinq ans, la commande publique française sera fabriquée en France. Les syndicalistes m'expliquent qu'en chaudronnerie, par exemple, alors qu'ils sont en sous-charge, ils sous-traitent au site de Katowice, qui lui-même, parce qu'il est en surcharge, sous-traite autour de lui. J'approuverai ce rapport.

M. Jean-François Longeot . - Moi aussi. Le comité de suivi est un point très important, qui associera parlementaires et industriels, car cette mission ne doit pas s'arrêter à la remise du rapport.

M. Alain Chatillon , président . - La position que nous avons prise, avec le rapporteur, est de dire qu'il faut que l'État accompagne, mais que ce n'est pas à lui de décider de la stratégie, qui doit rester du ressort du chef d'entreprise et de ses employés. La deuxième partie du rapport dira comment nous voyons les choses, du point de vue de l'agence des participations de l'État, et comment le Parlement peut accompagner les évolutions. L'erreur a été de laisser trop souvent l'État à la manoeuvre.

Mme Viviane Artigalas . - Nous sommes mis devant le fait accompli, et le comité de suivi est indispensable. Certes, ce n'est pas notre rôle d'influencer la stratégie industrielle de l'entreprise. Mais nous avons demandé au PDG quelle était sa stratégie de long terme... Après la fusion, l'entreprise devra nous rendre des comptes sur sa stratégie globale et sa déclinaison sur chaque site industriel français. Notre volonté est que l'activité soit maintenue sur chacun d'entre eux. Nous sommes très performants et innovants en ingénierie ; il n'empêche, il nous faut des assurances.

Mme Fabienne Keller . - Certains sites ont eu la chance d'être visités et ont bénéficié d'un bel encart, contrairement à d'autres. Ne pourrions-nous procéder autrement et présenter en un mot chacun des douze sites français ? Par ailleurs, page 43, il est précisé : « Alstom France principal acteur de l'industrie ferroviaire française ». Il est certes important de rappeler la dimension centrale d'Alstom, mais ne pourrions-nous pas indiquer que d'autres entreprises du secteur ferroviaire sont tout aussi puissantes ? Alstom est une pièce maîtresse, mais dans une industrie globale.

Mme Sophie Primas . - Je salue également la qualité du rapport, mais nous n'en sommes qu'à mi-parcours. Notre fonction de contrôle doit s'exercer au travers de cette mission d'information, mais devra également se poursuivre dans le temps en prenant par la suite une forme innovante, pourquoi pas un comité de suivi ? Nous pourrions ainsi répondre à la demande de Fabienne Keller et continuer à visiter les différents sites d'Alstom. Il convient de prendre date régulièrement avec les dirigeants d'Alstom pour savoir où ils en sont dans leur stratégie, en respectant bien sûr le secret des affaires. En tant qu'acteurs de l'aménagement du territoire, nous devons anticiper en matière d'aménagement industriel et comprendre les risques.

Je suis frappée par un chapitre dans lequel vous précisez que nous aurions pu faire autrement et prendre un certain nombre de précautions industrielles.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Bien sûr, il faut mettre l'accent sur ce point !

Mme Sophie Primas . - Puisqu'il est question du ferroviaire européen, il y a près de chez moi un site industriel d'Airbus. Nous avons procédé autrement avec les Allemands et cela fonctionne plutôt bien puisque nous assistons à un retour industriel. Nous sommes d'ailleurs attentifs à ce que chaque pays soit correctement traité dans le déploiement de la stratégie industrielle.

Pour finir, je suis inquiète du niveau des commandes de l'État. Hier soir, Élisabeth Borne a paru peu désireuse de passer quelque commande que ce soit et a émis un certain nombre de reproches à l'encontre d'Alstom, en particulier en ce qui concerne le site de Belfort. Pour y avoir rencontré peu d'ouvriers et beaucoup d'ingénieurs d'études, elle a estimé que ce site était aujourd'hui avant tout une plateforme d'études.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - C'est terrible, très inquiétant !

Mme Sophie Primas . - Bref, soyons extrêmement vigilants.

M. Franck Montaugé . - Il est difficile de raisonner à horizon de trente ans... N'aurions-nous pas pu établir un schéma retraçant les évolutions des données relatives aux capitaux, aux chiffres d'affaires, aux dettes, aux dividendes, aux emplois, etc. de toutes les entreprises du secteur ?

Ce rapport est riche. Quels enseignements en tirer du point de vue de l'État ?

Dernière question, quid de la dimension européenne ? Cet aspect a été abordé au travers de la création d'un « Airbus du ferroviaire ». Dans un contexte mondial de concurrence exacerbée, y compris dans ce domaine, l'Europe pourrait-elle, et comment, apporter une valeur ajoutée à ce secteur d'industrie ?

M. Alain Chatillon , président . - Vos deux derniers points seront la base du deuxième rapport.

M. Daniel Laurent . - Le deuxième volet de notre mission portera sur la stratégie industrielle du pays. Les exemples ne manqueront pas. Je pense aux chantiers navals : si nous avions été réactifs plus tôt, nous aurions peut-être pu intervenir. Je pense aussi au site d'Airbus à Toulouse, qui suscite quelques inquiétudes. Or 44 000 emplois sont concernés. Nous devons donc être vigilants et la mission doit poursuivre son travail.

Mme Michèle Vullien . - Nous devons veiller à ne pas nous mêler de la stratégie des entreprises. Ce n'est pas à nous de décider si la répartition des activités entre les différents sites d'Alstom - les contacteurs à Tarbes, etc. - est pertinente ou non. En revanche, il est intéressant de créer un comité de suivi pour examiner la stratégie industrielle, l'État étant venu au secours d'Alstom à différentes reprises. Néanmoins, je suis perplexe lorsque j'entends dire que nous commanderons « x » trains. J'en doute, tant les appels d'offres sont verrouillés ! Il serait utile d'améliorer la procédure des appels d'offres. À défaut, malgré les annonces, nous ne pourrons pas faire grand-chose.

M. Claude Kern . - Je suis ravi de la manière dont s'est déroulée la mission et je voterai ce rapport d'étape.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - J'ai pris bonne note de la proposition de Fabienne Keller, mais il faut être conscient que visiter l'ensemble des douze sites est un gros effort.

M. Daniel Laurent . - À qui allez-vous faire parvenir ce rapport ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - À l'ensemble des personnes auditionnées et bien sûr au Gouvernement. S'il gère le dossier Airbus comme a été géré celui d'Alstom, nous allons au-devant de gros problèmes, parce que les Allemands veulent construire l'avion complet...

M. Alain Chatillon , président . - Il nous faut maintenant nous prononcer sur le titre du rapport. Nous avons retenu, Martial Bourquin et moi-même, un titre apaisé, tourné vers l'avenir : « Siemens-Alstom : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand ».

Le titre du rapport est adopté.

M. Alain Chatillon , président . - Je vais désormais mettre au vote l'ensemble du rapport, incluant les modifications qui ont été acceptées.

Le rapport est adopté.

M. Alain Chatillon , président . - Conformément à l'usage, il va être laissé un délai aux groupes politiques pour formuler leurs contributions écrites qui seront annexées au présent volume. Ces contributions devront parvenir au secrétariat de la mission au plus tard le mercredi 25 avril à 16 heures. Selon l'usage, elles ne devront pas dépasser 4-5 pages en format rapport. La mise en ligne du rapport est prévue pour le jeudi 26 avril en fin de journée. Un tirage papier suivra.

D. RÉUNION D'ADOPTION DU RAPPORT (6 juin 2018)

Réunie le mercredi 6 juin 2018, la mission d'information a tenu la réunion d'adoption de son rapport final, portant sur le volet « stratégie industrielle ».

M. Alain Chatillon , président . - Nous voici au terme de nos travaux, débutés en décembre dernier, lors desquels nous avons mené 49 auditions au Sénat et effectué huit déplacements, rencontrant environ 150 personnes. Comme nous en étions convenus, nous avons procédé en deux étapes, étudiant d'abord la situation d'Alstom avant de nous pencher sur celle, plus générale, de la réindustrialisation du pays.

En avril dernier, nous avons conclu sur le premier volet de notre mission, c'est-à-dire sur l'évolution profonde du groupe Alstom en quelques années, et sa prise de contrôle par le groupe allemand Siemens, dans des conditions particulières. Avec Martial Bourquin, nous avons regretté l'absence de contreparties suffisantes à cette opération, ainsi que nous avons pu le constater en prenant connaissance des échanges entre l'administration et le groupe Siemens. Nous avons pu mesurer, sur ce cas d'école, combien notre industrie, y compris nos grands groupes, était fragile dans un environnement mondial très concurrentiel. Voyez la politique incroyable des États-Unis sur la métallurgie et ses conséquences ; serons-nous assez compétitifs ? Nous espérons que les Européens réussiront enfin à s'entendre sur l'essentiel. Nos politiques publiques n'ont pas su suffisamment prendre en considération cet environnement. Sur Alstom, donc, nous avons formulé plusieurs recommandations afin d'atténuer le choc que pourrait constituer cette opération de rapprochement pour le tissu industriel français.

Aujourd'hui, nous allons clore le second volet de nos travaux, qui portait sur la situation plus générale de l'industrie française et de l'action menée par les pouvoirs publics - État comme collectivités - en sa faveur. Le rapporteur et moi-même avons souhaité nous inscrire en filiation avec les travaux menés et les préconisations formulées dans le cadre de la mission d'information lancée par le Sénat en 2010 sur la réindustrialisation des territoires. Le constat fait à l'époque reste malheureusement d'actualité : malgré une amélioration conjoncturelle certaine, et quelques signaux structurels plus favorables, l'industrie française est dans une position critique, notamment au regard de deux révolutions fondamentales qui en bouleversent les fondements : la digitalisation et une concurrence exacerbée à l'échelle internationale. L'industrie ne s'est pas approprié certaines mesures que d'autres concurrents ont pu avoir. Nous regrettons aussi une fiscalité et des aides gouvernementales inadaptées.

Ces deux révolutions sont des défis pour notre industrie, qui doit impérativement trouver les moyens d'en tirer profit. À défaut, elle risque fortement de rater un tournant décisif dont les conséquences seraient redoutables pour notre économie. L'industrie française, qui comptait 5,4 millions d'emplois en 1985, n'en a plus que 2,4 millions d'euros actuellement, soit une réduction de 60 % des emplois industriels en 30 ans !

Pour que l'industrie puisse mieux relever ces défis, avec l'appui indispensable de la puissance publique, nous avons entendu des acteurs de l'industrie et de la finance, des représentants des salariés et des pouvoirs publics, ainsi que des juristes et des économistes.

Martial Bourquin vous présentera nos 45 propositions, que je partage entièrement : comme souvent, le Sénat sait dépasser les clivages politiques lorsqu'il en va d'enjeux essentiels pour la Nation. Je ne doute pas que ces propositions seront partagées par le plus grand nombre, voire par chacun d'entre vous.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je remercie tous nos collègues qui ont participé à nos auditions et à nos déplacements. Cette mission, aux objectifs forts, a été très remplie. Certains collègues auraient voulu aller plus loin, mais nous étions limités financièrement et par le temps.

Nous avons demandé à Alstom de rééquilibrer les engagements pris avec Alstom, car lorsque nous avons pris connaissance des termes de l'accord entre Alstom et Siemens, nous étions atterrés : c'est une véritable prise de contrôle d'un groupe de plus de 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour rien. Il est très rare qu'une fusion se passe ainsi. Les journaux de toutes les opinions se sont interrogés sur la monnaie d'échange, car c'est quasiment un don !

Conformément aux propositions faites en avril dernier, nous solliciterons auprès du président du Sénat et de la présidente de la commission des affaires économiques la création d'un groupe de suivi parlementaire sur le rapprochement Alstom-Siemens. Il est important que ce groupe de suivi soit attentif à l'avenir de cette fusion car nous avons les plus grandes incertitudes sur l'avenir des sites et des entreprises sous-traitantes concernés. Certains, forts d'une importante recherche-développement, sont solides, d'autres sont plus fragiles. Je pense notamment aux sites d'Alstom et aux entreprises de certains territoires, comme le Doubs, le Bas-Rhin, le territoire de Belfort...

Mme Viviane Artigalas . - Et Tarbes !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Vous avez raison. Faisons attention : une des fonctions importantes du Parlement est de contrôler le Gouvernement. Nous devrions en débattre avec l'Assemblée nationale et nous entourer d'experts et de syndicalistes. Le groupe de suivi doit se réunir régulièrement. La fusion ne doit pas se traduire par le départ de savoir-faire, d'ingénierie et de sous-traitants

Lors de notre visite à La Rochelle avec Daniel Laurent, les ouvriers nous ont dit qu'en l'absence d'une commande immédiate de TGV, le site s'arrêterait, car il y a un trou de deux ans dans les carnets de commande. Je crains pour l'avenir de plusieurs sites français.

M. Alain Chatillon , président . - Grâce à la commande publique, la France assurera la majorité du chiffre d'affaires de la nouvelle société Siemens-Alstom pendant cinq ans. N'aurait-il pas été normal de demander aux Allemands le même montant du chiffre d'affaires pour les cinq années suivantes ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Dès le départ, nous avons souhaité, conformément à la demande du groupe socialiste et républicain qui avait sollicité la création de cette mission, prendre en considération la situation de l'ensemble de l'industrie française et de ses entreprises - grandes entreprises, entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou petites et moyennes entreprises (PME) - et la stratégie des pouvoirs publics pour l'accompagner.

Notre industrie a connu une mutation très profonde : nos fleurons ont été démantelés et vendus à la découpe, plusieurs d'entre eux sont désormais contrôlés par des capitaux étrangers. Cette évolution n'est sans doute pas étrangère au manque de compétitivité de notre industrie, même si certains secteurs sont en avance. Mais elle est surtout due à des choix de politiques publiques discutables opérés en France et à une exacerbation de la concurrence internationale. Nous avons perdu certains pans entiers de notre économie : nous n'aurons plus de maitrise nationale sur le ferroviaire, et nous n'en avons plus sur l'énergie... Ces choix nous dépassent largement.

M. Alain Chatillon , président . - Sur tous ces sujets structurants assurant l'avenir de nos entreprises, le Parlement doit demander à l'État de bien réfléchir avant de prendre une décision.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Au terme de nos travaux, réaffirmons que la France doit croire à son industrie. Je doute que l'industrie soit encore une priorité : pour la première fois, il n'y a pas de ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat !

M. Alain Chatillon , président . - Et l'industrie ne figurait pas parmi les propositions faites par Jean Pisani-Ferry lorsqu'il était commissaire général de France Stratégie !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - La France doit croire à son industrie et à son avenir sur le territoire français. Louis Schweitzer, qui nous a livré une audition très intéressante, avec une grande hauteur de vue, nous indiquait qu'il était important qu'il y ait une industrie en France et que ses centres de décision et de production se trouvent en France .

La désindustrialisation de notre pays est forte mais n'a rien d'irrémédiable. La rupture technologique liée à l'irruption de la digitalisation et de la numérisation dans les processus de production et dans les produits eux-mêmes, associée à la mondialisation des marchés, créent une occasion sans précédent pour l'industrie française de revenir à un rang qui lui convient. Voyez le bobinage en Tunisie ou en Chine. Désormais, avec les nouveaux procédés industriels, il sera moins cher de le faire en France, en raison du coût du fret.

Ce renouveau industriel doit avoir lieu sur le territoire français. L'avenir de l'industrie en France n'est pas seulement celui de l'implantation de ses centres de décision sur notre territoire, comme nous le rappelaient nos interlocuteurs ; nous devons maintenir en France des unités de production transformées par les nouvelles technologies - robotisation, fabrication additive, numérisation - pour relocaliser certaines productions.

Pour y parvenir, plusieurs obstacles doivent néanmoins être levés. Le premier est d'ordre culturel et psychologique : les Français doivent aimer à nouveau leur industrie. Certains pensent que la bataille est perdue, mais nous pouvons regagner des parts de marché. Les poncifs ont la vie dure ! Lorsque l'on parle de l'industrie, seules viennent les images des siècles passés. C'est dramatique, alors que certaines entreprises sont très modernes. L'industrie a fortement évolué, tant dans les tâches demandées aux salariés que dans leurs conditions de travail : les métiers dans l'industrie sont aujourd'hui plus qualifiés et parfois mieux rémunérés que dans beaucoup de services ! Malgré cela, l'industrie rebute encore, notamment les jeunes.

La finance a parfois fait de la concurrence déloyale, proposant à nos ingénieurs des salaires qui peuvent être trois fois supérieurs à ceux de l'industrie. Mais voyez l'industrie cinématographique... Gagnons cette bataille culturelle en montrant des industries qui font envie.

L'industrie reste également encore marquée par l'histoire du capitalisme qui s'est longtemps confondue avec celle de groupes industriels de nature conglomérale. C'est pourtant oublier que l'industrie en France ne se limite pas aux grandes entreprises et que c'est grâce à un tissu renforcé de PME et d'entreprises de taille intermédiaire que notre pays retrouvera ses pleines capacités de production locale. Traditionnellement, lorsqu'on évoquait l'industrie française, on parlait de nos quarante plus grands groupes... ils ne sont aujourd'hui plus si nombreux !

Enfin, l'industrie ne produit plus seulement des biens, elle y associe désormais toute une gamme de services, traduisant une évolution globale de l'économie vers une économie de l'usage. Or cette transformation est encore largement ignorée des Français, alors même qu'elle accroît considérablement le champ de l'activité industrielle et les fonctions que les salariés de l'industrie peuvent exercer.

Il faut donc changer les mentalités vis-à-vis de l'industrie, pour enclencher une dynamique vertueuse et recréer de l'emploi industriel en France.

Les autres obstacles sont liés à l'orientation et à l'application de nos politiques publiques. Dans un environnement concurrentiel exacerbé au niveau mondial, les États doivent rester des acteurs de premier plan pour favoriser la réussite de leurs entreprises, en formalisant notamment un cadre juridique favorable à leur activité mais également en exerçant des actions d'accompagnement et de soutien. C'est le rôle, majeur, de l'État actionnaire et de l'État stratège.

À cet égard, il ne faudrait pas que la création annoncée d'un « fonds pour l'innovation de rupture » restreigne ses capacités d'investissement dans l'industrie. L'enjeu est crucial, dès maintenant et lors de l'examen de la prochaine loi de finances. On nous prétend que nous n'aurions pas besoin de participations de l'État dans les entreprises. Mais lors de notre visite à Munich, nous avons pu voir que les Länder travaillent étroitement avec les entreprises, de la formation à l'investissement. On devrait toujours accompagner les entreprises dans leur développement.

Comme nous l'avons souligné dans le premier volet de nos travaux, l'État français a choisi, dans les années 1990, d'abandonner les politiques industrielles verticales pour ne conserver que des politiques horizontales, sous la pression de l'Union européenne. C'est une erreur. L'État, par ses participations et ses fonds pour l'innovation, doit intervenir pour défendre les emplois.

Évidemment, il ne s'agit pas revenir à l'interventionnisme économique des Trente Glorieuses : laissons les entreprises industrielles maîtresses de leurs stratégies de développement. Mais l'action de l'État - et plus largement des pouvoirs publics, notamment les régions - doit comporter une dimension microéconomique plus affirmée, afin d'accompagner le tissu industriel national, sans renoncer à mettre en place de mécanismes d'incitation ciblés dans certains domaines jugés stratégiques pour la Nation, au premier rang desquels l'innovation technologique. Cette stratégie renouvelée ne peut intervenir que dans un cadre collaboratif plus affirmé avec les différentes parties prenantes de l'industrie et porter sur des leviers de natures différentes mais complémentaires. État, collectivités territoriales et chambres consulaires doivent coproduire la politique industrielle pour conserver les emplois.

C'est au regard de cet objectif que je vous soumets 45 propositions qui s'ordonnent autour de quatre priorités.

La première, c'est de renouveler la vision stratégique des pouvoirs publics en faveur de l'industrie. Elle se décline en cinq axes d'action. D'abord, il faut s'appuyer sur des axes de développement favorables à notre industrie. Avoir une stratégie, c'est définir un objectif et utiliser à cette fin les moyens les plus adaptés. Aussi est-il indispensable d'identifier les domaines dans lesquels l'industrie doit se développer. Pour les années futures, il faut retenir à la fois des domaines transversaux - comme les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités. Nous aurions dû davantage réfléchir à ces questions pour Alstom, notamment dans le cadre de la vente d'Alstom à General Electric - ce sont des domaines protégés par le décret Montebourg... Il faut aussi nous appuyer sur les secteurs déjà porteurs de notre économie, en particulier l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé, qui sont stratégiques.

Dans ce cadre, l'utilisation de deux outils généraux est primordiale. D'une part, la normalisation volontaire française constitue un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux ; d'autre part, les solutions de l'industrie du futur sont sources d'évolution des processus de production comme des produits eux-mêmes. Sans mise à niveau technologique, il n'y aura pas de salut pour nos industries ! Lors de notre déplacement à Saclay, nous avons appris que 60 % des entreprises n'ont pas de réflexion sur l'industrie du futur. Or si ce travail n'est pas réalisé en profondeur, elles risquent de disparaître.

Pour ce faire, il faut donc renforcer les moyens de l'Alliance Industrie du futur pour accompagner davantage nos PMI et ETI dans leur mutation technologique.

M. Alain Chatillon , président . - Et ce sont eux qui créent les emplois !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nos grands groupes ont déjà pris le virage, notamment dans le secteur automobile. Ce matin, Engie a déclaré supprimer des centres d'appel. Les emplois s'en vont.

Seules les ETI, les PMI et les PME créent des emplois, mais leur mutation technologique pose problème. Il faudrait que chaque pôle de compétitivité ait une sorte de « démonstrateur » d'usine du futur, comme celui du Boston Consulting Group que nous avons visité à Saclay, et qui ne coûte que 5 millions d'euros. Dans chaque région, ces « usines écoles » formeraient les PME, PMI et ETI aux innovations.

Ensuite, il faut garder la présence de l'État présent au quotidien dans l'industrie, ce qui passe par une redéfinition de sa politique actionnariale. Cela implique une association étroite du Parlement à la définition et la mise en oeuvre de la stratégie de l'État actionnaire. Je vous rappelle que, dans un premier temps, le ministre n'avait pas voulu donner suite à notre demande de voir l'accord entre Alstom et Siemens.

M. Alain Chatillon , président . - D'ailleurs, j'ai été stupéfait que les engagements pris dans le cadre du rapprochement de deux entreprises de 7 milliards d'euros chacune tiennent dans un document de seulement trois pages !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Il faut redéfinir le niveau des participations de l'État dans certaines entreprises, mieux investir directement dans des activités stratégiques pour l'industrie et ne pas nécessairement reverser les sommes qui découlent des ventes au fonds pour l'innovation de rupture.

En cas de désengagement partiel, l'État doit mettre en place des mécanismes préservant ses prérogatives d'actionnaire. En cas de désengagement complet, il doit rechercher des investisseurs de long terme de nature à favoriser le maintien des centres de décisions et de production en France.

Il convient de mieux formaliser les interventions respectives de l'Agence des participations de l'État et de Bpifrance, notamment de favoriser l'action de cette dernière dans sa stratégie d'accompagnement et d'envol des entreprises engagées dans une sortie progressive de l'État.

M. Alain Chatillon , président . - Bpifrance a aujourd'hui des difficultés pour sécuriser les investissements, car les banques veulent réduire les aides pour faire monter les taux. Comment allons-nous financer nos entreprises ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Si notre pays doit être ouvert aux investissements étrangers, il doit aussi protéger son industrie des comportements prédateurs.

Il faut d'abord élargir la liste des activités soumises au contrôle des investissements directs étrangers aux domaines en lien avec la révolution technologique, notamment le stockage et la sécurité des données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs, ainsi que le domaine spatial, et assurer une révision périodique de cette liste. Le Gouvernement devrait y procéder prochainement. Il serait bon que le Parlement soit associé.

Il faut établir une cartographie précise des entreprises qui présentent en France un caractère stratégique, y compris les PME et les ETI, en s'appuyant notamment sur la connaissance du tissu industriel local par les services déconcentrés de l'État. Ce travail doit être effectué en collaboration avec les régions.

Pour les entreprises les plus stratégiques, et sur le modèle américain, le Gouvernement ne doit pas hésiter à imposer des mesures de gouvernance, notamment l'exclusion de l'investisseur étranger de son droit de vote sur certaines décisions ou la mise en place d'un « superviseur » indépendant au sein de l'entreprise.

La présence d'administrateurs salariés est également un moyen puissant pour éviter de céder aux sirènes d'investisseurs étrangers moins intéressés par un investissement productif en France que par un juteux retour sur investissement financier à court terme. Nous plaidons pour qu'il y ait des administrateurs salariés. Tous les pays scandinaves l'ont fait, et l'Allemagne est très active.

La commande publique est un outil pertinent pour conforter l'industrie française. Cela a été clairement mis en relief par nos travaux sur Alstom. D'une manière générale, on peut davantage tirer profit des règles des marchés publics, dans le respect du droit de l'Union européenne, afin qu'ils bénéficient pleinement aux industries implantées en France.

Dans une compétition mondiale, et non plus seulement intra-européenne, il est indispensable de développer une vraie stratégie industrielle à l'échelon européen. Nous proposons que cette mission, d'une part, soutienne pleinement les initiatives de l'Union européenne visant à faire respecter par les pays tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris les marchés publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping et, d'autre part, invite la Commission européenne à une plus grande prise en considération, dans l'application de la réglementation relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte où les entreprises doivent avoir une taille critique pour rivaliser avec les géants industriels implantés hors de l'Union européenne. L'application du droit antitrust peut aujourd'hui nous empêcher d'avoir des champions européens.

Il faut soutenir une initiative européenne pour favoriser l'utilisation, au niveau du commerce international, de la monnaie européenne et envisager l'adoption de textes européens dont la portée serait explicitement extraterritoriale.

Le financement est une autre priorité. Il faut un environnement fiscal porteur. De nouvelles diminutions de cotisations patronales peuvent être envisagées, uniquement pour les secteurs exposés à la concurrence internationale. Il faut également des modifications d'assiette des impôts de production, sous réserve de ne pas provoquer de pertes de recettes pour les collectivités territoriales.

Il faut assouplir le pacte Dutreil. L'Allemagne et l'Italie ont des règles relatives aux droits de succession favorables à la transmission d'entreprises. Il faut s'en inspirer.

M. Alain Chatillon , président . - En Allemagne, des fondations permettent de transmettre gratuitement des entreprises, ce qui explique leur pérennité.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous proposons de conditionner le crédit d'impôt recherche, qui est important, à un maintien d'activité sur le territoire national pendant cinq ans. Nous souhaitons aussi restaurer le dispositif de suramortissement, qui serait désormais ciblé sur les PME industrielles.

L'épargne des Français doit être mobilisée en faveur de l'industrie. Nous avions proposé en 2011 le « livret d'épargne industrie ».

Un PEA peut aussi être un excellent outil. Il faut l'orienter davantage vers l'industrie, en appliquant un abattement sur les droits de mutation à titre gratuit en cas de décès et en ouvrant la possibilité d'y investir après soixante-dix ans.

M. Alain Chatillon , président . - De même, avec seulement 1 % sur les 3 000 milliards d'euros investis en France sur l'assurance-vie, on peut avoir 30 milliards d'euros pour des PME-PMI.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - En matière de financement des entreprises, le développement de la participation des salariés a aussi une grande vertu. Nous proposons ainsi d'assouplir le plafond de 10 % du capital social applicable en cas d'attribution gratuite d'actions. C'est un outil de meilleure répartition des profits des entreprises. Je vous renvoie sur ce point à la récente étude d'Oxfam France.

Il faut également mener à bien la suppression du forfait social pour la participation et l'intéressement dans les entreprises de moins de cinquante salariés et exonérer d'impôt sur le revenu au-delà de huit ans de détention les gains de cession des actions gratuites détenues par les salariés.

Nous plaidons pour un effort budgétaire soutenu pour permettre à Bpifrance d'assurer un niveau élevé de financement courant de l'innovation. Et, en cas de création d'un « fonds pour l'innovation de rupture », il faut assurer la cohérence de sa gouvernance.

Dans le cadre du financement par des fonds d'investissement, les actions de préférence sont des outils très intéressants. Nous proposons de permettre leur rachat à l'initiative de l'émetteur ou du détenteur de ces actions.

Pour revaloriser l'image de l'industrie, qui est un autre sujet crucial, il faut d'abord favoriser une cartographie plus fine des besoins de l'industrie en matière d'évolution des compétences.

Nous proposons ensuite de simplifier et rendre plus flexible le système d'apprentissage, en renforçant l'implication des entreprises industrielles et des pôles de compétitivité, qui sont en danger si les choses ne changent pas d'ici cinq ans.

Des outils pédagogiques efficaces doivent aussi être développés et renforcés. Je pense aux campus des métiers et des qualifications, aux « classes d'excellence » et aux écoles d'entreprises. Puisque le Gouvernement a annoncé un plan d'investissement dans les compétences, les métiers de l'industrie doivent en être un axe prioritaire.

Nous souhaitons un renforcement des logiques coopératives et de l'appui territorial. Il faut rassembler autour d'une action collective. Il faut mieux intégrer les PME, ainsi que les pôles de compétitivité, aux travaux du Conseil national de l'industrie et des comités stratégiques de filières.

Les pôles de compétitivité ont un rôle majeur à jouer. Il faut conserver un maillage fin du territoire. Le désengagement financier de l'État est très problématique.

Il faut encourager les « hôtels à projets » comme celui que nous avons visité à Saclay, le Factory Lab, et garder une politique industrielle territorialisée.

Nous suggérons de recentrer l'action des services déconcentrés sur la mise en oeuvre des actions d'intérêt national définies par l'État, de renforcer les synergies et complémentarités entre les réseaux consulaires et les opérateurs Bpifrance et Business France et de favoriser les politiques industrielles des régions par le maintien de relais locaux.

Enfin, à l'export, nous voulons créer une « équipe de France » qui jouera « collectif ». Il faut soutenir donc la réorganisation du service public à l'export en cours.

M. Franck Montaugé . - Quelles suites pouvons-nous donner au point pour le moins surprenant que vous avez soulevé sur Alstom ? Nous savons qui était alors aux responsabilités. Il y a là un vrai sujet politique.

Il serait intéressant d'avoir une étude de droit et de fiscalité comparés à l'échelle européenne et internationale, en incluant la politique sociale, qui peut être un élément de compétitivité face aux difficultés que vous avez pointées.

M. Alain Chatillon , président. - Des éléments figurent dans le rapport. Nous y plaidons pour une baisse des charges salariales et patronales. Les écarts de compétitivité entre la France et l'Allemagne sont de 8 % à 10 %.

J'imagine que le ministre n'a pas dû apprécier certaines de nos remarques sur Alstom. Peut-être pourrions-nous envisager une question orale ? J'ignore s'il y a eu une compensation ; nous avons par exemple appris que le prochain président d'Airbus serait français. Serait-ce la compensation à la perte d'Alstom ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Le vrai débat est de savoir s'il fallait baisser plutôt l'impôt sur les sociétés - certaines PME en paient peu - ou les impôts sur la production. Il faut que le Gouvernement dialogue avec le Parlement sur le sujet.

M. Alain Chatillon , président . - Nous sommes allés jusqu'à 3,5 fois le SMIC sur les entreprises hypercompétitives, parce qu'il faut vraiment réagir.

M. Franck Montaugé . - Quid de l'affectation du CICE ? L'idée était à l'origine d'aider les entreprises engagées dans la compétition internationale. Or ce sont La Poste et les groupes la grande distribution qui en bénéficient.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Dans le rapport, nous prônons le ciblage des futures aides sur le secteur exposé. Le CICE a été une aubaine pour ceux qui n'avaient pas forcément besoin d'être aidés.

M. Gilbert-Luc Devinaz . - Sur l'agglomération lyonnaise, beaucoup se vantent d'être chefs d'entreprise, alors que ce sont simplement des distributeurs.

Il faut revaloriser l'apprentissage, où il y a des réussites spectaculaires qui mériteraient d'être mises en avant.

M. Alain Chatillon , président . - Tout à fait. Lorsque j'étais vice-président du conseil régional de Midi-Pyrénées en charge de l'économie, le groupe Airbus m'avait contacté car il ne trouvait pas de personnel qualifié pour travailler sur les avions modernes. La région compte trois centres de formation d'apprentis (CFA) spécialisés en aéronautique, installés à Blagnac, Toulouse, et Colomiers. Airbus leur a proposé de mettre à leur disposition des ingénieurs pour donner des cours quelques heures chaque semaine. Les CFA ont refusé. En conséquence, Airbus a créé sa propre école et y recrute la majorité de ses ouvriers, tandis que seuls 15 % des élèves des CFA sont recrutés chez Airbus... Historiquement, il y a un mur entre l'industrie et le monde de la formation. Il faut trouver des solutions. C'est pourquoi nous avons cherché à voir comment les pôles de compétitivité, en lien avec les régions, les entreprises et les filières pouvaient participer au système de formation. Revel, dont j'étais maire, est historiquement la localité du meuble d'art et comptait 600 artisans spécialisés dans les années soixante. La filière s'est trouvée en difficulté. J'ai réussi grâce au lycée des métiers d'art, du bois et de l'ameublement à faire venir des enseignants de qualité. La filière repart car, depuis 20 ans, on forme des jeunes qui vont passer une après-midi par semaine chez des artisans, se forment et finissent par reprendre l'entreprise de l'artisan chez qui ils ont travaillé. En France, plusieurs dizaines de milliers d'emplois industriels ne sont pas pourvus faute de personnes qualifiées, et avec la révolution numérique cela va s'accentuer. C'est pourquoi nous voulons que tous les acteurs, les pôles de compétitivité, les régions, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) participent à la politique des filières et à la formation. Alors chef d'une entreprise agroalimentaire, je sais que j'avais beaucoup de mal à trouver des personnes bien formées, hormis celles sortant de l'école de nutrition de Dijon et d'une autre à Toulouse. On cherche des personnes formées aux dernières technologies, non à celles d'il y a 25 ans... Le monde de l'entreprise doit être associé à la formation.

M. Gilbert-Luc Devinaz . - Le rapport veut encourager les logiques coopératives et mieux inscrire les politiques industrielles dans les territoires. Il faut se poser la question des freins à ces logiques coopératives. On évoque souvent l'État, les collectivités territoriales, les salariés et les syndicats, mais il faut aussi évoquer, comme le fait Louis Schweitzer, l'état d'esprit du patronat et sa conception du management. Un cadre d'une entreprise leader en matière de scies à bois me confiait récemment que le fondateur de l'entreprise, âgé de 85 ans, la dirigeait toujours, et l'empêchait de passer un cap en bloquant tout partenariat avec d'autres entreprises, ce qui lui permettrait de garantir son avenir.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Effectivement, Louis Schweitzer a évoqué ce sujet très librement.

M. Alain Chatillon , président . - Vous avez raison, mais l'État ne facilite parfois pas les choses. Prenez l'exemple du groupe Avril, coopérative agricole de six milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui travaille notamment sur la valorisation énergétique des productions agricoles françaises. Le groupe avait signé un accord avec Total, mais le pétrolier a préféré importer, pour produire des bio-carburants, de l'huile de palme, dont chacun connaît pourtant la toxicité et dont la culture est désastreuse pour l'environnement. Le Gouvernement a autorisé le groupe Total à importer cette l'huile, sans écouter tous ceux qui appelaient à son interdiction pour mieux soutenir la filière française... Il serait bon que le Gouvernement écoute les élus et les parlementaires car ils connaissent mieux les problématiques de leur territoire !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nicolas Hulot a expliqué sa décision par la nécessité de sauver les 250 emplois de la raffinerie de La Mède. Il aurait toutefois pu parvenir au même résultat, sans avoir à manger son chapeau, en discutant avec le groupe Avril et les acteurs de la filière du colza, très performante en France. Cette décision est désastreuse pour cette filière.

M. Alain Chatillon , président . - Je rappelle d'ailleurs que le groupe Avril compte 20 000 salariés.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - C'est l'illustration d'une décision verticale, sans concertation.

M. Jacques Bigot . - Vous posez à juste titre la question de l'organisation des filières. Il devient en effet urgent d'organiser les filières comme en Allemagne. Le Bas-Rhin, par exemple, abrite un secteur des biotechnologies très dynamique autour de la faculté de médecine, avec un potentiel de développement très fort. Il repose sur de petites entreprises. Leur rôle est central. L'organisation de la filière est donc un enjeu fondamental.

Vous avez raison de souligner le rôle des pôles de compétitivité, et celui des régions. Vous abordez aussi le rôle des chambres consulaires avec beaucoup de diplomatie. Les chambres de commerce et d'industrie ne devraient plus s'appeler ainsi, vu leur action en faveur de celles-ci....

M. Alain Chatillon , président . - Il appartient aux régions de s'affirmer. Dans la région Occitanie, le rapprochement entre les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées n'est toujours pas digéré, vu les distances entre les zones enclavées des Hautes-Pyrénées et le Gard, situé à 60 kilomètres de Marseille... On nous promettait 10 milliards d'économies avec la création des grandes régions, en fait les charges augmentent : en Occitanie, les services ont doublé pour garantir un lien de proximité !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - En effet, les grandes régions coûtent plus cher...

M. Alain Chatillon , président . - Je partage tout à fait votre avis sur les CCI. Le terme « industrie » doit disparaître de leur intitulé : elles doivent s'occuper des commerces, de la revitalisation des centres-villes, etc. La tâche est déjà vaste !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je partage votre idée : il importe de faciliter la coopération entre les petites entreprises. Lorsqu'elles développent des technologies nouvelles, il faut les accompagner spécifiquement et les aider financièrement.

M. Alain Chatillon , président . - A cet égard nous n'avons pas voulu nous substituer aux régions. C'est à elles de décider. Il faut ne faut pas oublier les pôles de compétitivité. Le pôle de compétitivité dans le domaine agroalimentaire, que j'ai créé en Midi-Pyrénées, compte 470 entreprises, 80 centres de recherche et représente 80 000 emplois indirects, avec les agriculteurs. Il regroupe 27 filières. Le problème est que l'État baisse le niveau de ses aides chaque année. Or, les pôles de compétitivité favorisent les rapprochements entre les entreprises autour de projets précis. On compte quatre fois moins d'entreprises de taille intermédiaire que les Allemands. Pour jouer à armes égales avec eux, il faut qu'elles se rapprochent pour avoir la capacité d'innover, d'exporter, de se financer. C'est aussi pourquoi nous sommes favorables au suramortissement qui permet d'accélérer le développement des PME.

M. Jacques Bigot . - Je suis d'accord avec vous sur le rôle des pôles de compétitivité, qui peuvent jouer un rôle d'impulsion, même s'il ne faut pas négliger les initiatives des entreprises elles-mêmes. En Allemagne, les entreprises se prennent elles-mêmes en main par le biais de leurs filières. De ce point de vue-là, les CCI ne font pas leur travail. Or elles encaissent de l'argent. Il n'est donc sans doute pas besoin de demander de l'argent supplémentaire, il convient d'abord d'utiliser l'argent aux fins pour lesquelles il est prélevé, là où il est utilisé pour autre chose ! Mais je comprends votre diplomatie sur le sujet...

M. Alain Chatillon , président . - Pour aller dans votre sens, je voudrais citer un cas concret d'absence de synergie entre les acteurs. La présidente de la région Occitanie est actuellement au Japon. La CCI y organise aussi un déplacement le mois prochain, et le conseil départemental, qui n'a pourtant plus de fonctions en ce domaine, s'y rendra le mois d'après...

M. Martial Bourquin , rapporteur . - En Allemagne, les chambres de commerce et d'industrie sont très puissantes et exercent des compétences exclusives que les Länder n'exercent pas. Plutôt que d'étrangler les CCI financièrement, peut-être serait-il judicieux de leur confier une ou deux compétences fortes. En Allemagne, elles sont chefs de file sur certains sujets.

M. Jacques Bigot . - Et avec les entreprises, elles chassent en meute, d'où leur efficacité !

Mme Michèle Vullien . - Je salue votre travail. Je n'ai pas pu visiter les usines avec vous mais, en tant qu'élue de la métropole de Lyon, je connais l'usine d'Alstom à Aytré-La Rochelle qui produit notre tramway ; j'ai aussi eu l'occasion de visiter les usines des concurrents d'Alstom, puisque le Rhônexpress a été fabriqué à Berlin ; enfin j'ai des attaches familiales dans l'industrie.

Depuis trente ans, on sait ce qui se passe mais l'État semble s'en désintéresser alors que l'on parle sans cesse de l'État stratège. Les élus ont aussi leur part de responsabilité : à Techlid, le technopôle de l'Ouest lyonnais, mes collègues se réjouissaient à chaque fois que la tertiarisation progressait. J'étais seule à craindre que l'on aille dans le mur car le tertiaire ne peut fonctionner seul, sans industrie. La nouveauté est que l'industrie et le tertiaire ne sont plus séparés, l'industrie devient « servicielle ».

Je partage tout à fait vos avis sur les CCI. Je suis plus dubitative sur les régions qui peinent à digérer les conséquences de leurs fusions. Je crois plus à une organisation territorialisée sur le modèle de la métropole lyonnaise, où les élus locaux sont étroitement associés à l'industrie et connaissent les personnes qui y travaillent. Ma commune fait partie d'un technopôle réparti sur cinq communes et qui emploie 40 000 personnes. Nous disposons d'un Plan de déplacements inter-entreprises (PDIE) pour la circulation, de services permettant aux personnes de se restaurer ou de faire leurs courses, des crèches, des écoles, etc. Lorsqu'un chef d'entreprise prend la décision de s'installer, il prend d'abord en compte l'environnement, le cadre de vie, les services, les opportunités de carrière pour son conjoint, les possibilités d'études pour les enfants, etc. L'enjeu, pour nous élus, est d'organiser le territoire pour les rendre attractif, donner envie de s'y installer. L'industrie a commencé à décliné lorsque les financiers ont pris le pouvoir à la place des ingénieurs. On aura beau évoquer l'industrie du futur, la digitalisation, si on oublie les facteurs humains, on n'y arrivera pas !

M. Alain Chatillon , président . - Comme disait Pierre Mendès France, c'est une très bonne question !

M. Gilbert-Luc Devinaz . - Je suis d'accord mais la métropole me parait une unité trop petite. Mieux vaudrait travailler à l'échelle du pôle métropolitain.

M. Alain Chatillon , président . - Chers collègues, je vous remercie de ces échanges et, plus généralement pour votre participation aux travaux de la mission. Je mets désormais aux voix le rapport.

Le rapport est adopté.

II. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE

A. AUDITION COMMUNE AVEC LES ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTÉES AU COMITÉ CENTRAL D'ENTREPRISE (CCE) DU GROUPE ALSTOM (13 décembre 2017)

M. Alain Chatillon , président . - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui nos travaux d'audition en recevant les représentants des syndicats siégeant au comité central d'entreprise (CCE) du groupe Alstom. Dans ce cadre, nous accueillons : MM. Gilles Buller, Laurent Desgeorge et Patrick de Cara, au titre de la CFDT ; MM. Claude Mandart, Benoît Bourlier et Jean-Louis Profizi, au titre de la CFE-CGC ; MM. Charles Menet et Philippe Pillot, au titre de Force ouvrière (FO) ; ainsi que MM. Boris Amoroz et Daniel Dreger, au titre de la CGT. Messieurs, notre objectif est de comprendre comment la situation de cette entreprise a évolué, ainsi que la stratégie sous-jacente : en mariant un leader français avec Siemens, quels sont les objectifs, la volonté de la direction du groupe - que nous auditionnerons dans quelques semaines - et les perspectives, non seulement dans les six mois qui viennent, mais aussi à cinq ou dix ans ? En ce qui me concerne, pour habiter Toulouse et voir la force d'Airbus, suite au rapprochement entre la France et l'Allemagne, je ne suis pas opposé à une démarche analogue. En revanche, nous souhaitons savoir comment ce rapprochement avec Siemens s'est opéré et quelles en seront les conséquences sur le développement de l'entreprise. Comment les salariés ont-ils été entendus et quelle est la stratégie à moyen et long terme de ce groupe ? Au-delà, ces premiers entretiens vont nous permettre de préciser les contours d'une nouvelle stratégie pour les entreprises françaises dans les cinq ans qui viennent - comme nous l'avons fait il y a six ans lors d'une précédente mission d'information. L'efficacité nous préoccupe, ainsi que l'insertion de l'industrie au coeur de la vie des Français. L'industrie française a ainsi perdu près de trois millions d'emplois en quelques décennies ; notre objectif est ainsi de réaffirmer au Gouvernement, quelles que soient les sensibilités politiques, que l'industrie est essentielle. J'y suis personnellement très attaché, pour avoir été industriel durant près de trente-huit ans. Sachez combien je suis sensible à votre situation et combien nous souhaitons accompagner votre démarche, ainsi que celle d'autres groupes. Je passe à présent la parole à mon collègue rapporteur, M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je suis très heureux que vous ayez répondu à notre invitation de participer à cette audition très importante. Il y a quelques semaines, devant la commission des affaires économiques, M. Poupart-Lafarge, président directeur général d'Alstom, nous a donné quelques indications sur cet accord. De nombreuses questions ont été posées et certaines méritent d'être approfondies. Notre mission concerne à la fois le problème d'Alstom et la stratégie industrielle française, notamment dans le secteur ferroviaire. Une question abrupte se pose d'emblée : allons-nous constituer un EADS du ferroviaire ou s'agit-il d'une absorption pure et simple d'Alstom par Siemens ? Nous attendons que vous donniez votre avis sur cette question, en sachant que l'accord intervenu va passer devant la Commission européenne, en raison de la régulation anti-trust, et que votre position sera décisive. Créer un EADS du ferroviaire n'est pas, en soi, une mauvaise chose ; pour preuve, les Chinois ont eu cette démarche en Chine et se préparent à mener une concurrence âpre à l'industrie européenne. Si le scénario d'un grand groupe européen nous apparaît bénéfique, les choses sont-elles, en définitive, équilibrées aujourd'hui ? Quelle est la nature de l'accord qui est intervenu ? Quel est son contenu ? Le fait pour Siemens d'avoir plus de 50 % d'Alstom dans l'accord n'induit-il pas une absorption pure et simple ? Des engagements ont été pris pour quatre ans et pourraient être prolongés. Que se passera-t-il à l'issue de cette période, tandis que le ferroviaire est en pleine restructuration ? Nous avons besoin de vos réponses à toutes ces questions.

En outre, l'innovation dans la filière du ferroviaire est déterminante, tout comme la diversification des modes de mobilité, plus respectueux de l'environnement, qu'envisagent notamment les villes et les agglomérations. Le TGV du futur, ainsi que des commandes très importantes, arrivent à partir de 2022. Mais qu'adviendra-t-il d'ici là ? Parmi vous se trouve notamment un membre du comité stratégique de la filière ferroviaire : la politique de filière et ses instruments vous semblent-ils suffisamment efficaces pour faire face aux défis actuels ? Messieurs, telles sont les questions que nous vous posons. Nous attendons ainsi vos analyses qui seront consignées et fourniront les premiers éléments d'un rapport que notre mission, forte de vingt-sept membres, présentera. L'idée est de faire en sorte que l'État français joue tout son rôle dans cette affaire. Les choses ont-elles bien débuté ? La faculté d'acheter les actions du Groupe Bouygues représentait une opportunité. Nous aimerions que toute la représentation syndicale, que vous incarnez, s'exprime sur ce dossier et votre avis nous sera extrêmement précieux.

M. Jean-Pierre Corbisez . - Avant que nous n'entamions cette audition, une question : la presse se fait l'écho d'autres instances qui s'intéressent également à cette question d'Alstom. Quelles sont-elles ?

M. Alain Chatillon , président . - Une commission d'enquête a été créée à l'Assemblée nationale sur ce sujet. Je cède maintenant la parole à une première organisation.

M. Claude Mandart, délégué syndical central CFE-CGC . - Vos questions sont pertinentes et complexes. Aujourd'hui, il nous est difficile d'y répondre, faute de disposer des éléments requis pour nous forger un avis. Lorsque la nouvelle du rapprochement est tombée fin septembre, nous avons appris que des discussions secrètes avaient eu lieu entre Siemens et Alstom, ainsi qu'entre l'État et Alstom. Nos dirigeants ne nous avaient pas informés clairement, tout en soulignant le besoin de consolidation de la filière ferroviaire. Pourquoi était-ce une douche froide ? Nous sommes, à la CGC, persuadés qu'Alstom a été pris de vitesse dans cette opération. 2014 avait été marquée par l'annonce de la cession de nos activités Énergie à General Electric. En octobre 2017, nous sommes seulement devenus indépendants en termes de réseaux informatiques, alors que nous utilisions auparavant ceux de General Electric qui nous louaient les réseaux que nous lui avions, trois ans auparavant, cédés. On nous a, un mois avant de retrouver notre autonomie de fonctionnement, annoncé un rapprochement avec Siemens présenté comme un mariage d'égal à égal et la promesse de devenir un Airbus du ferroviaire européen. Dans les faits aujourd'hui, nous ne disposons que d'informations d'ordre capitalistique. Lorsque le comité central d'entreprise européen, dans un premier temps, et le comité central d'entreprise d'Alstom Transport France, dans un second temps, sont appelés à formuler un avis motivé, Alstom joue aujourd'hui clairement le jeu en nous transmettant toutes les informations requises. En revanche, nous ne disposons d'aucune information venant de Siemens relatives à la complémentarité avec Alstom. D'ailleurs, hier encore, Siemens n'a pas souhaité nous communiquer des informations que nous estimons importantes, au motif que le rapprochement n'a pas encore eu lieu et que Siemens et Alstom demeurent, à ce jour, des entreprises concurrentes. Si Alstom joue le jeu, tel n'est pas le cas de Siemens ! Lorsque nous demandons l'obtention d'une représentation européenne du ferroviaire - Siemens disposant d'une représentation européenne de l'ensemble des activités de son groupe - au sein du futur groupe, qui devrait rassembler 60.000 salariés, les dirigeants allemands nous opposent une fin de non-recevoir. Nous devrions ainsi être représentés classiquement dans le cadre d'un comité d'entreprise européen. Notre direction est pourtant favorable à cette démarche. Notre forum européen fonctionne bien. Aujourd'hui donc, avant même que l'accord soit finalisé, notre direction n'a pas les moyens nécessaires de discuter d'égal à égal avec Siemens pour que nous obtenions une représentation européenne du ferroviaire ! Qu'en sera-t-il une fois l'accord appliqué ? Nous ne disposerons d'aucune représentation et serons totalement noyés.

Ces premiers éléments légitiment notre inquiétude. Il n'y a pas de stratégie industrielle à l'heure actuelle ; sa formulation devant être ultérieure à l'accord. Comment se projeter si l'on ne connaît pas la répartition des activités selon les implantations industrielles ? Comment faire si la fabrication des moteurs et des chaines de traction est délocalisée à Nuremberg, où se trouve une usine de plusieurs milliers de salariés, qui viendra concurrencer nos implantations, plus petites, d'Ornans dans le Doubs et de Tarbes dans les Pyrénées ? L'engagement du maintien des sites de production sur une durée de quatre ans n'implique aucune contrepartie ! Rappelez-vous : l'accord avec General Electric disposait d'une contrepartie de 50 000 euros par emploi non créé sur le millier d'emplois nets qui devaient être créés fin 2018. Une telle somme ne représente même pas le coût d'un emploi et l'État n'a aucun pouvoir pour influer sur la situation du site de Grenoble : General Electric étant une entreprise de droit privé et la perspective d'une nationalisation n'est guère pertinente au regard de la politique industrielle et économique d'aujourd'hui ! Les quatre années de garantie nous ont été avancées par les directions de Siemens et d'Alstom. Dont acte. Mais cet engagement, qui fait l'objet d'un accord, est confidentiel et n'est qu'accessible que dans une data room chez les avocats. Que contient cet accord ? Nous ne le savons pas, alors qu'on nous demande de nous positionner sur une politique industrielle qui est inexistante et un accord, dont nous ne disposons guère des tenants et des aboutissants ? Pour nous, c'est joker !

Sur la filière ferroviaire, que nous représentons aujourd'hui dans sa globalité avec un membre par syndicat, son intérêt est analogue à celui d'un orchestre symphonique qui a besoin d'un chef. Aujourd'hui, la filière comprend une myriade d'individualités performantes, mais, faute de chef d'orchestre, il ne saurait y avoir de visibilité. Le chef d'orchestre, c'est l'État, qui a été absent depuis de nombreuses années. Or, lui incombe la coordination de l'activité ferroviaire, dans des cycles industriels relativement longs allant de trois à cinq ans et intégrant de l'innovation. Aujourd'hui, l'État doit éviter qu'il y ait des creux de charges dans l'ensemble de la filière. Or, à Valenciennes, ceux-ci sont de deux ans en raison de l'absence de commandes de métros et ce, alors que certaines lignes de la RATP sont à bout de souffle. L'État manque à son rôle de planificateur et ne parvient pas à maintenir une continuité de charges sur les sites industriels, qu'il s'agisse de ceux d'Alstom ou de ses sous-traitants.

Enfin, Alstom a démontré sa capacité en matière d'innovation, comme en témoignent le bus électrique, le train à zéro émission de carbone dont la commercialisation dans les Pays du Nord débute, ou encore la pile à combustibles. Certes, le rapprochement avec Siemens donnera certainement une nouvelle impulsion à cette innovation en conjuguant nos forces. Mais quel va en être l'impact social et à qui ce rapprochement va-t-il profiter ? Les Allemands ont démontré une meilleure capacité à protéger leur industrie que la France, qui a accumulé tant de pertes d'emplois durant ces dernières décennies.

M. Alain Joyandet . - Je voulais juste savoir si vous aviez des informations sur le niveau des engagements signés ; ce que je ne parviens pas à obtenir. Sur le plan juridique, ces accords ont-ils été signés de manière irréversible, impliquant, le cas échéant, des versements d'indemnités en cas d'échec ? J'ai bien compris que l'Europe devait se pencher sur cet accord. Mais celui-ci peut-il être reconsidéré ou doit-il être considéré comme définitif ? C'est là un sujet capital pour notre mission d'information qui devrait alors se cantonner à la stratégie industrielle.

M. Alain Chatillon , président . - Mon cher collègue, nous avons évoqué cette question dans notre présentation liminaire.

M. Philippe Pillot, représentant de FO . - Je ne retire rien à ce qu'a souligné notre collègue de la CFE-CGC. Nous ne disposons que de très peu d'informations sur cette opération. Une fois de plus, sur la forme, nous sommes mis devant le fait accompli, avec un projet quasiment clef en mains. Peut-on encore être contre un projet et ce, alors que les deux entreprises semblent déjà d'accord pour s'allier, ainsi que les deux Gouvernements, avec le soutien du ministre de l'économie qui a été signataire d'un accord avec Siemens. On nous parle de lutter contre la concurrence du Chinois CRRC. Est-ce bien sérieux ? Je suis bien placé pour le savoir à Ornans, puisque la moitié de notre charge est partie en Chine, dans le cadre d'une joint-venture avec ce fameux ogre chinois. Thalès vient d'ailleurs de signer un accord de principe - « Memorandum of Understanding » - pour concéder à CRRC ses matériaux de signalisation. Est-on contre les Chinois et tentons-nous d'être compétitifs face à eux avec du matériel performant ou, au contraire, leur donnons-nous tous les moyens pour nous battre ? Bombardier et Siemens ont transféré, en leur temps, des technologies aux entreprises chinoises qui viennent aujourd'hui vendre ce matériel sur nos propres terres, en concurrence directe avec nous. Alstom a préféré une autre stratégie avec la mise en oeuvre de partenariats lui permettant de garder la main sur la technologie. Or, celle-ci est facilement copiable et les Chinois n'ont pas de leçon à recevoir de nous dans ce domaine-là. On sort de la vente d'énergie à General Electric où l'on nous a expliqué tout le contraire : Alstom devait être un « pure player », fort de ses qualités. On se rend compte que cinq ans après, le contraire prévaut. D'ailleurs, à l'époque, Siemens avait proposé de reprendre la partie énergie et d'oeuvrer dans la partie transport ; M. Joe Kaeser, président de Siemens, que nous avions alors rencontré, nous avait davantage transmis d'informations qu'aujourd'hui, ce qui est assez curieux.

Concernant les modalités de la fusion, celles-ci sont plus que floues et le ministre de l'économie, qui les a évoquées devant l'Assemblée nationale, ne nous a pas reçus pour en parler. Nous n'avons été reçus que par l'un de ses conseillers. Les informations qui nous ont été transmises, tant par celui-ci que par notre direction, ne nous rassurent guère. Ces engagements semblent exister, mais au final, il est manifeste que Siemens opère une réelle annexion d'Alstom, en détenant plus de 50 % des actions et en disposant de six voix au conseil d'administration, tandis qu'Alstom n'en aura que cinq. Certes, les quatre voix disposant d'un droit de véto ne seront valables que sur un certain nombre de sujets, comme les changements de périmètre et les suppressions d'emplois de plus de cinq cents salariés. Mais une telle perspective laisse ainsi une grande marge à Siemens pour faire ce qu'il entend pendant les quatre ans qui viennent. Nous n'avons pas non plus de réelles garanties avant le closing , c'est à dire au moment où la vente sera effective. Durant cette période, nos collègues d'IG Metall semblent avoir signé un accord pour préserver tant les sites que les emplois en Allemagne et nous essayons d'obtenir la même chose aux niveaux français et européen. Or, il nous est difficile d'obtenir une réponse favorable et nous avons seulement des prétendues assurances que des emplois ne devraient pas être supprimés dans ce contexte de rapprochement. Je ne suis guère certain qu'un tel engagement sera suivi d'effets. Ainsi, plusieurs établissements, comme Valenciennes, éprouvent des difficultés. L'année passée, le site de Belfort est passé tout près du couperet et, d'ici un an ou deux, le site de Reichshoffen pourrait être dans une situation analogue, faute d'avoir renouvelé ses carnets de commandes. En tout cas, le plan de Belfort a permis de reculer l'échéance au moins pendant deux ans. Fin 2018, le problème des charges sur plusieurs de nos sites sera récurrent. Le mariage avec Siemens ne va pas simplifier les choses puisqu'il y aura des redondances et qu'Alstom propose également des produits similaires. Comme nous l'a dit notre président, dès le lendemain du closing , il faudra opérer des choix en répondant aux appels d'offres, ce qui conditionnera l'avenir de nos sites et ainsi l'évolution de nos effectifs. Depuis 2010, nous avons déjà perdu 600 salariés ouvriers qui sont désormais au nombre de 1 500 auxquels s'ajoutent 1 000 intérimaires. Nous avons également perdu 600 agents de maîtrise, techniciens et administratifs pour atteindre environ 2 000 personnes. La population des cadres reste stable suite à l'intégration de certains sites, comme le Petit-Quevilly et la partie signaling de la Défense - provenant de General Electric - et d'Aix-en-Provence qui relevait auparavant d'Areva. Ainsi, l'apparente stabilité des effectifs relève d'une agrégation de petites sociétés à Alstom ; preuve que nos effectifs ne sont pas si stables que cela, ce qui nourrit nos craintes de leur baisse programmée.

M. Boris Amoroz, représentant de la CGT . - Le 20 septembre dernier, au cours du comité central d'entreprise ordinaire, la direction d'Alstom n'avait aucune annonce particulière à faire. Deux jours plus tard, le vendredi 22 septembre, elle confirmait à la presse qu'un rapprochement était en cours de discussion avec Siemens. Et le 26 septembre, elle réunissait le conseil d'administration pour lui faire entériner le plan de donation à Siemens des activités « Transport » d'Alstom, c'est-à-dire le dernier morceau d'Alstom - ex-CGE, ex-GEC-Alsthom ! Une fois de plus, comme en 2014, les représentants des salariés et des organisations syndicales ont été sciemment tenus à l'écart, alors que les directions d'Alstom et de Siemens collaborent sur ce sujet depuis de nombreux mois, en lien avec les gouvernements allemand et français. Malgré une demande exprimée par l'intersyndicale, nous n'avons d'ailleurs toujours pas eu de rencontre avec le ministre Bruno Le Maire sur le sujet particulier de l'absorption d'Alstom par Siemens. Comme l'a dit M. Mandart, nous demandons toujours à avoir connaissance de l'accord conclu entre Siemens et le Gouvernement français qui protégerait, nous dit-on, les sites français et allemand pour quatre ans après la fin du closing . Nous avons vu, avec le cas d'Alstom Power passé chez General Electric, qu'il faut bien lire les petites lignes aux conditions, du style « sauf changement des conditions économiques » ou encore « sous pénalité d'une sanction de x euros par poste supprimé », pénalité qu'il est ensuite facile de provisionner. Certains signaux récents nous inquiètent déjà : la fermeture du site de Preston en Angleterre, la fermeture des activités hardware dans l'établissement de signalisation à Rochester aux États-Unis, ou bien la filialisation de l'activité bus électriques jusqu'alors développée par NTL, à Duppigheim, en Alsace, qui sera séparée en deux sociétés. En 2014, la CGT estimait que le groupe Alstom n'était pas à vendre ; à l'époque, le PDG arguait que le groupe avait un lourd endettement et qu'il n'avait plus les moyens financiers pour la branche énergie. Aujourd'hui, c'est l'argument de la concurrence chinoise qui justifie l'opération de fusion capitalistique avec Siemens dans les médias, en accord avec le Gouvernement - M. Kirchner nous l'a redit avant-hier. Mais l'entreprise chinoise d'État CRRC, qui restera de toute façon plus grosse, n'est pas, selon nous, le premier concurrent d'Alstom : ce sont plutôt aujourd'hui des petits constructeurs qui grappillent des parts de marché.

Alstom est aujourd'hui un groupe solide, avec une capitalisation boursière de 7,9 milliards d'euros, un chiffre d'affaires annuel de 7 milliards d'euros, un carnet de commandes important, qui représente cinq ans d'activité - il n'est, à notre connaissance, que de deux ans pour Siemens Mobility -, une trésorerie de 2 milliards d'euros, un résultat opérationnel au 31 mars 2017 de 5,8 %, dépassant celui attendu à 5,5 %. À ces atouts, il convient d'ajouter des compétences et savoir-faire reconnus dans le monde entier dans les différentes activités du secteur ferroviaire. Aucun problème technologique ou industriel majeur ne met aujourd'hui en difficulté la pérennité de l'entreprise ; nous n'avons pas de situation similaire aux turbines ABB défectueuses achetées par Alstom, ou bien de non-réalisation technique de contrats majeurs comme Ansaldo-Breda l'a connu avec ses IC4 ou son Fyra avant d'être racheté par Hitachi. Dans ces conditions, nous attendons toujours de la direction une explication plausible à cette vente qui reste, à nos yeux, incompréhensible.

La donation d'Alstom à Siemens n'est qu'une opération financière et capitalistique au profit des actionnaires à qui l'on promet 1,8 milliard d'euros. C'est d'ailleurs ce que nous a précisé la direction lors du CCE extraordinaire du 31 octobre 2017 : les aspects industriels, technologiques, de stratégie industrielle et de R&D ne seront abordés qu'après le closing . En 2014, le PDG de l'époque nous parlait de coentreprises avec General Electric à parts égales. On voit bien ce qu'il en est : c'était un rachat avec prise de contrôle totale. Cette année, c'est un mariage que le PDG nous vend : la division Mobility de Siemens serait autant absorbée par Alstom qu'Alstom serait absorbé par Siemens. Le montage capitalistique est pourtant clair : Alstom-Siemens devient purement et simplement la filiale ferroviaire à plus de 50 % du groupe Siemens ! Comme le ridicule ne tue pas, on veut nous démontrer qu'il s'agit d'un bon mariage : le siège serait basé en Île-de-France... mais il peut très bien se résumer à un bureau pour M. Poupart-Lafarge avec une boîte aux lettres et un secrétariat. La cotation de l'action serait effectuée à la Bourse de Paris, ce qui ne change pas grand-chose pour l'activité réelle - ou l'actionnariat d'ailleurs. Le PDG serait maintenu ; cela fait au moins un employé assuré de conserver son poste... Enfin, il y aurait des administrateurs indépendants français, mais minoritaires, nommés par cooptation, Siemens gardant la majorité absolue des sièges. Et la dot, me direz-vous ? Pour Alstom, elle est lourde. Afin que les actionnaires d'Alstom acceptent de vendre leurs actions, 1,8 milliard de dividendes leur seront offerts, dont 500 millions au principal actionnaire, Bouygues, financés par Alstom. En trois ans, les actionnaires d'Alstom auront reçu 5 milliards d'euros, dont 1,5 milliard pour Bouygues, Siemens s'appropriant les 2 milliards de trésorerie d'Alstom.

Quels seront les avantages pour Siemens ? Cela aussi mérite d'être examiné. En transférant ses activités « matériels roulants » et « signalisation » pour une valeur de 18 milliards d'euros, Siemens ne sort aucun cash et deviendrait majoritaire dans la nouvelle société. Cette opération élimine un de ses concurrents, lui ouvre un marché public porteur, en France - avec le plus grand investissement européen actuel, celui du Grand Paris Express, et un financement public estimé de 37 milliards d'euros d'ici à 2025 -, mais aussi dans le monde avec des implantations importantes en Europe, en Asie, aux Amériques, en Afrique, qui manquent à Siemens Mobility, resté très concentré sur l'Allemagne et l'Autriche, sans oublier l'accès à des technologies, des brevets et des compétences reconnues. L'absorption des activités et des marchés de signalisation permettrait à Siemens de devenir de loin le leader mondial dans ce domaine, de contrôler une grande part des compétences mondiales. Il est d'ailleurs prévu de placer le siège de l'activité signalisation du groupe à Berlin. Au risque de fragiliser l'emploi, la maîtrise technologique avec la vente des brevets, la pérennité des sites avec un impact sur l'ensemble du tissu industriel dans cette filière ferroviaire considérée en 2014 comme stratégique pour la France ! Ainsi, pour la CGT, ce n'est pas une opération de fusion qui est la meilleure solution pour le redéveloppement de la filière ferroviaire en France et en Europe. Au-delà d'Alstom et de Siemens en France, c'est un réseau d'entreprises et environ 64 000 emplois qui sont aussi concernés.

Nous sommes dans une filière qui a été déclarée d'excellence par l'État et qui a besoin d'investissements, de renforcer son appareil productif, de renforcer les compétences et de renouveler ses effectifs. Alstom investit à l'étranger, mais certaines pyramides des âges chez Alstom en France sont critiquement vieillissantes, s'agissant notamment des effectifs d'ouvriers et de techniciens qui, excusez-moi du peu, savent quand même fabriquer les trains ou leurs composants. Il ne faut pas non plus perdre de vue que 70 % à 80 % environ de la valeur ajoutée est produite par les sous-traitants, les fournisseurs. Une énorme part d'ailleurs est réalisée à l'étranger, en interne. Nous pressurons nos fournisseurs - nos concurrents font de même, d'ailleurs - au point quelquefois de les mettre en péril. Certains, en situation déjà fragile, ont déjà fait faillite à cause d'impayés. On maximise les pourcentages d'achat sur les low cost countries, les pays à bas coûts, sans pour autant que les équipements produits soient forcément au final moins chers à qualité équivalente. Et l'on se retrouve avec des équipementiers, comme Saira Seats à Saint-Étienne, un des deux fabricants de sièges français avec Compin, mis au bord de la faillite, et finalement rachetés par KTK, un grand équipementier ferroviaire chinois ; l'entreprise réalise un travail de qualité et a déjà annoncé l'extension de l'usine et l'installation de nouvelles machines à Saint-Étienne.

Pour la CGT, l'abandon d'un fleuron industriel comme Alstom n'est pas acceptable ; c'est un contresens au regard des défis du transport des passagers et du fret nécessaires pour répondre aux questions environnementales et sociales. La CGT s'oppose à cette opération qui favorise les actionnaires et vassalise l'avenir industriel. Le Gouvernement est responsable, avec les dirigeants d'Alstom, de ce scandale qui, nous le pensons, mérite un débat national. À cet égard, nous remercions le Sénat d'avoir créé une mission d'information qui inclut ce sujet. Rappelons d'ailleurs que la quasi-totalité des commandes dans le secteur ferroviaire sont des commandes publiques.

Ce que nous proposons, dans l'optique de renforcer ce fleuron industriel national et européen qu'est Alstom, mais aussi la filière, c'est ce que nous pourrions appeler un plan B - encore un, me direz-vous... Celui-ci a en tout cas pour avantage de proposer une vision industrielle, une stratégie, là où le projet de donation d'Alstom à Siemens se contente d'aborder des aspects purement financiers et capitalistiques. Il s'articule en cinq axes : premièrement, l'État rachèterait les actions de Bouygues, qui cherche à se retirer du capital. Il deviendrait ainsi un actionnaire stable et de référence. Deuxièmement, un groupement d'intérêt économique (GIE) serait créé entre Alstom et Siemens dans un premier temps, voire avec Bombardier et l'espagnol Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF), présent à Bagnères-de-Bigorre. Ce GIE, de dimension européenne, serait adossé à un plan de développement de projets innovants, permettant un saut technologique et la relance des formations et des emplois qualifiés autour d'un plan d'investissements partagés et de recherche en commun. Chaque société s'y inscrirait dans un cadre stratégique sur plusieurs années, qui sera axé sur la coopération et non sur la rentabilité financière à court terme. Cela permettrait - et c'est essentiel - aux fournisseurs, aux équipementiers, ainsi qu'aux petites et moyennes entreprises de pouvoir s'impliquer dans un écosystème maîtrisé par l'ensemble de la filière, chaque société gardant la maîtrise de sa gestion sociale et commerciale. Troisièmement, l'échelon européen et les gouvernements nationaux s'engageraient pour définir un plan d'aménagement du réseau de transport ferroviaire, tant pour les passagers que pour le fret. Des éléments existent déjà, par exemple avec les corridors européens, qu'il faut absolument développer. Cela pourrait s'articuler avec la création d'un pôle public européen des opérateurs du transport ferroviaire. Quatrièmement, un plan définirait les besoins futurs avec les différents acteurs - opérateurs, autorités de transports ou constructeurs -, dans les différents domaines, qu'il s'agisse du TGV, du fret, des grandes lignes ou de l'interrégional, au niveau des mégapoles comme de l'urbain, ainsi qu'à court, moyen et long termes. Les prévisions de l'Union des industries ferroviaires européennes (UNIFE) soulignent que la majorité de la croissance de l'activité dans les années à venir concernera l'Europe de l'Ouest, en particulier la France. Cinquièmement enfin, des Assises du ferroviaire seraient organisées en France, et un plan stratégique pour le développement des capacités industrielles et du transport serait lancé, en lien avec la COP23 qui vient de se tenir à Bonn. Une vision industrielle, d'emploi, d'investissement, de recherche en faveur de projets innovants est donc absolument nécessaire pour les besoins futurs dans le cadre de la transition écologique et énergétique. Je vous remercie de votre attention.

M. Laurent Desgeorge, représentant de la CFDT . - Il ne s'agit pas du tout de construire l'Airbus ferroviaire du futur, mais plutôt de conduire une fusion-absorption. Pour nous, il ne saurait y avoir de Plan B. Si Alstom absorbe ainsi Siemens mobility qui n'est pas encore créée chez Siemens et devrait l'être en 2018, Alstom est finalement voué à devenir une filiale, certes de l'ordre de 60.000 employés, de Siemens. Le groupe Alstom est voué à disparaître. Ce n'est pas une bonne chose pour l'industrie française. L'État ne veut pas nous recevoir et discuter avec nous de l'ambition industrielle qui est la sienne sur le ferroviaire en France et en Europe. Alstom n'est pas qu'une entreprise de transport ; elle possède également des filières énergétiques, comme l'éolien, le solaire ou encore l'hydraulique qui représente un grand marché européen avec la perspective de la rénovation de toutes ces centrales hydrauliques. Pour quelles raisons, l'État est-il muet aujourd'hui ? Nous n'avons obtenu aucune information de la part de l'État. Faute de connaître la teneur des accords, qui sont consignés dans une data room , nous ne pouvons nous prononcer. Nous ne pouvons disposer que de la tendance générale de l'accord, sans en connaître précisément le contenu ! Tant que l'État n'a pas donné sa version de ce qu'il veut faire pour l'industrie française, nous ne pouvons vous en dire plus. Au niveau européen, nos collègues d'Espagne, de Suède ou encore d'Angleterre - où un plan social est en cours - n'ont pas plus d'informations. Hier soir, nous avons rencontré la direction des ressources humaines du Groupe Siemens AG et son attitude nous incite à refuser cet accord le 18 janvier prochain. L'accord est pourtant européen et porte sur l'avenir de la filière à l'échelle de notre continent. Quels sont les compromis et ce qui peut être dangereux pour l'emploi ? Nous n'en savons rien. Ensuite, le Groupe s'est relevé après sa quasi-recréation en 2016 sous l'impulsion de notre président. Or, depuis l'élection du nouveau président de la République, nous avons le sentiment que cette opération s'est déroulée au forceps. J'ai posé des questions au ministre, par courriel, au sujet du projet de fusion de Siemens-mobilité par Alstom, du contenu des deux accords franco-allemands entre les sociétés Alstom et Siemens, ainsi qu'avec l'État, de la future gouvernance prévue au sein de la future société entre Siemens AG et l'État, dont Alstom-Mobilité ne représentera que 10 %... On est dans une balance déséquilibrée : on passe du groupe Alstom, avec la division transport et ses coentreprises, à Siemens-Alstom SA devenue une grosse filiale de Siemens AG. Sur la filière ferroviaire, je laisse la parole à mon collègue, M. Patrick de Cara.

M. Patrick de Cara, délégué syndical au siège social et représentant pour la CFDT au comité stratégique de la filière ferroviaire d'Alstom . - Merci d'avoir organisé cette mission concernant Alstom et la stratégie industrielle du pays. J'aimerais, en préambule, insister sur trois messages forts : a-t-on un État stratège ou non ? Y a-t-il vraiment une volonté de conserver les savoir-faire de la filière ferroviaire qui représente, dans bien des sites, un centenaire d'expérience ? Doit-on considérer que la filière ferroviaire est une réponse importante à la transition énergétique ? Pour reprendre les propos de mon collègue Claude Mandart, je vous dirai que nous avons suffisamment d'éléments pour être inquiets. Notre inquiétude concerne à la fois les salariés d'Alstom et ses sous-traitants. En effet, chaque salarié d'Alstom fait travailler trois salariés des entreprises sous-traitantes, sans compter les salaires indirects. En termes de stratégie industrielle, nous savons que nous allons au-devant de grandes échéances ferroviaires au début des années 2022 : le TGV du futur, le RER nouvelle génération qui a été gagné par le consortium Alstom-Bombardier et dont la production commencera véritablement en 2020, le nouveau marché des trains d'équilibre du territoire (TET) voués à remplacer l'ensemble du parc Corail, les projets d'infrastructures du Grand Paris auxquels s'ajoutent les aménagements des Jeux Olympiques de 2024, ainsi que le renouvellement de l'ensemble des parcs de métros de la RATP. Alstom et ses sites pourront-ils répondre à toutes ces commandes à compter de 2023 ? La réponse est loin d'être assurée. C'est là qu'intervient le dossier Alstom-Siemens qui nous préoccupe. Nous avons rencontré le conseiller du ministre avec lequel nous avons évoqué trois accords en cours : le premier est entre l'État et Alstom, le second est entre l'Etat et Siemens - sur lequel nous n'avons, à ce jour, aucune information - et, via le comité de groupe européen, nous avons appris l'existence d'un autre accord, cette fois, entre Siemens et IG Metall, dont la force syndicale est importante en Allemagne. L'accord entre l'État et Alstom peut se résumer en deux points : aucune fermeture de site quatre ans après le closing ni aucun départ contraint. Soit, mais replaçons-nous dans la problématique Belfort, dont le site a failli être fermé l'année dernière, faute de commandes suffisantes de motrices de TGV et de fret. Actuellement, 400 personnes travaillent pour les locomotives et le fret, et 100 personnes pour les services. Or, un creux de charge est prévisible à partir de 2020 et l'engagement de l'État visait à combler une telle situation pour le site de Belfort. En fait, sur l'ensemble des promesses de l'État, seule la commande des 15 TGV a été réellement tenue ; les six TGV italiens étant perdus de vue et les 20 locomotives de secours devant, à l'heure actuelle, faire l'objet d'un appel d'offres. Si l'on arrive à l'échéance de 2020, en pleine fusion entre Siemens et Alstom, il sera toujours possible de mettre en oeuvre un plan de départ volontaire pour 400 personnes qui réalisent le matériel roulant et les motrices. Sur ce point-là, qui me contredira ? Quelle est l'assurance de garder les activités de matériel roulant et de locomotives de fret à Belfort ? Pour l'instant, personne ! Manifestement, les accords actuels - tels que nous les connaissons - ne nous rassurent pas du tout sur l'avenir de la filière ferroviaire comme réponse à la transition écologique.

M. Jean-Louis Profizi, représentant de la CFE-CGC . - Je souhaiterais vous apporter plus ample information suite aux discussions que nous avons eues en comité central d'entreprise ou en forum européen. J'essaierai tout d'abord de répondre à la question du Sénateur Alain Joyandet sur l'état du contrat. Pour le moment, un memorandum of understanding engage Siemens qui a déjà négocié avec ses syndicats et IG Metall un accord imposé par la cogestion qui prévaut Outre-Rhin. Cet accord n'est pas engageant pour Alstom qui devra confirmer après que le forum européen et le CCE auront leur donné leur avis sur le principe de la fusion ; que l'avis soit, du reste, positif ou négatif. A ce stade, les parties pourront signer le business agreement qui sera, quant à lui, contractuel et devrait prévoir une pénalité de 140 millions d'euros pour celle qui se dédit.

M. Alain Joyandet . - Merci beaucoup !

M. Jean-Louis Profizi . - Je voudrais ensuite vous donner quelques précisions. Le contrat que l'État français a signé l'est avec Siemens, qui est appelé à devenir majoritaire, quand bien même Alstom est y associé. Les clauses qu'il contient, pour ce qu'on en sait, sont interprétables, comme en témoignent les différentes interprétations des clauses sociales par le ministère de l'économie et notre direction qui excipe d'une faculté d'adaptation si la conjoncture change. Quel est l'engagement de l'État à partir du moment où il a renoncé à entrer au capital ? Certes, le ministère nous a souligné l'existence de la commande publique laquelle n'est, malheureusement, pas strictement engageante. En effet, les négociations peuvent parfois traîner et engendrer un temps d'inertie, qui est généralement de l'ordre de trois ans dans la fabrication, tandis qu'il est de l'ordre de dix-huit mois dans l'ingénierie, ce qui confère plus de souplesse. Mais quels sont les marchés qui concernent réellement les sites français ? Seules les commandes françaises et européennes ; la part d'exportation a baissé à 40 % de notre chiffre d'affaires ! Nos coûts sont désormais considérés comme trop élevés et nous vivons actuellement une sorte de passage à l'étiage. Bien que notre carnet de commandes soit plein pour les quatre années à venir au niveau mondial, tous nos sites en France connaissent une forme de compactage pour que les pertes soient minimales. C'est bien là l'inverse d'un investissement ! Comment demain allons-nous redémarrer et répondre, avec une fabrication française, aux commandes qui arrivent ? En outre, la garantie de la commande nationale n'est pas si forte que cela. Lorsqu'on interroge le ministère, celui nous rétorque qu'en raison de l'endettement de la SNCF, il lui faut acheter le moins cher possible. La réponse de la direction consiste alors à privilégier la fabrication en Pologne, en Chine ou en Inde pour répondre à cette demande ; notre part de fabrication étant ainsi amenée à se réduire. Ce phénomène est déjà constaté et devrait, avec la fusion, s'amplifier, car les termes de l'accord ne sont guère protecteurs, du fait de leur interprétation possible.

Il faut avoir également présents à l'esprit les chiffres de la fusion. S'agissant de la valorisation des deux activités : la mobilité Siemens est valorisée à 61 % du prix tandis l'activité ferroviaire Alstom l'est à hauteur de 39 % ; la différence étant prise sur le capital disponible - le cash flow - d'Alstom qui cède ainsi une partie de la valeur du groupe pour une activité ferroviaire valorisée à 39 % du total. Ce qui vous indique en retour le pouvoir relatif d'Alstom. Si l'on prend le poids des pays français et allemand, 25 % du personnel se trouverait en France contre 40 % en Allemagne. La décision financière est ainsi en Allemagne, le poids du business est ainsi évalué plus fortement Outre-Rhin et les personnels y sont plus nombreux. On peut se dire qu'en termes d'investissements, nous savons innover, mais encore faut-il y consacrer des investissements et filialiser de nouvelles activités pour appeler d'autres investisseurs. Le nouveau groupe ne sera certes pas endetté, mais ne disposera pas de cash en réserve suite à la fusion. Même la R&D fera partie des facteurs de synergie ! Il faudrait une révolution de l'innovation telle que nous pourrions augmenter nos activités dans le digital. Or, Siemens est bien plus implantée que nous dans ce secteur et l'usine du futur - la digital factory - n'est pas associée à cet accord de fusions. Nous serons dépendants du bon vouloir de Siemens pour acquérir de telles technologies.

Nous restons inquiets. Cet accord représente manifestement la meilleure solution pour Siemens. La seule solution alternative de fusion-acquisition française passait par un maintien au capital et impliquait à la fois Bombardier et Thalès ; une telle démarche présentant manifestement une forme d'interdit.

M. Alain Chatillon , président . - Les éléments que vous nous apportez étaient indispensables au questionnement que nous nous posions. Nous allons être attentifs à ce dossier. Je dirai aux membres de la mission qui sont là que nous allons discuter entre nous de ces opérations et que nous obtiendrons entretemps les réponses des dirigeants. Nous reviendrons vers vous avant la fin de notre mission, c'est-à-dire une fois obtenus les éléments qui nous permettront d'analyser correctement cette évolution, ce que nous ne sommes pas en capacité de faire aujourd'hui. Je passe la parole à mes collègues à l'issue de votre exposé très complet.

M. Jacques Bigot . - Je souhaitais vous remercier pour vos informations. Chaque fois que nous avons travaillé sur les problèmes d'Alstom, les élus que nous sommes avons éprouvé le besoin de rencontrer les organisations syndicales pour obtenir des informations que nous n'obtenions pas de l'entreprise ou du Gouvernement, quel qu'il soit. Vous parlez d'un protocole d'accord entre IG Metall et Siemens. Quelles sont vos relations avec ce syndicat unique ? Comment vous organisez-vous en intersyndicale pour essayer d'avoir un poids analogue face à Siemens ?

M. Benoit Bourlier, représentant CFE-CGC à Alstom-Villeurbanne . - Justement, nous avons eu du mal à obtenir des contacts avec IG Metall, soit via le forum européen, soit via nos confédérations. Demain, nous aurons une première réunion à Francfort avec des collègues d'IG Metall ; une autre réunion étant prévue, à Bruxelles, à la mi-janvier. Nous espérons, durant ces occasions, échanger avec ses représentants et avoir une meilleure vision de l'accord signé entre ce syndicat et Siemens.

M. Laurent Desgeorge . - Effectivement, nous allons rencontrer demain IG Metall et espérons obtenir plus d'informations sur l'accord signé avec Siemens. Nous avons des éléments puisque nos amis de la CGT ont déjà pu discuter avec ce syndicat. Il est intéressant d'obtenir de vive voix des réponses à nos interrogations. La réunion prévue à la mi-janvier sera plus que bilatérale et impliquera l'ensemble des syndicats, au niveau européen, pour discuter sur ce montage entre Siemens et Alstom. Nous avons demandé la tenue de cette réunion depuis la mi-septembre au sein de l'association IndustriAll laquelle, ce matin, nous a indiqué les difficultés rencontrées par IG Metall qui devait traiter deux plans sociaux très lourds de plusieurs milliers de personnes ; ce qui motivait le peu d'empressement de ce syndicat à répondre à nos sollicitations.

M. Alain Chatillon , président . - Je vous remercie de nous tenir informés au fur et à mesure des évolutions, afin que nous puissions les suivre de l'extérieur.

M. Jean-Louis Profizi . - Les plans sociaux de Siemens répondent à une double motivation : d'une part, répondre aux retournements de marché sur l'énergie et, d'autre part, remplir les critères de rentabilité de filière estimés à plus de 8 %. De tels critères sont difficilement atteignables par la filière du matériel roulant, tandis qu'ils le sont plus facilement dans l'activité de signalisation, qui est un secteur qui tire actuellement l'ensemble des bénéfices de l'ensemble des activités de mobilité. Les activités à quatre ans de perspective ne seront-elles pas finalisées différemment, en raison des critères de rentabilité avancés par Siemens ?

M. Claude Mandart . - La position d'IG Metall est ambigüe. Au début du processus de rapprochement, nous avons reçu un message d'IG Metall vantant les mérites du projet puisque, préalablement à l'annonce qui a été faite, le syndicat allemand avait déjà négocié des garanties relatives au maintien des emplois et des implantations industrielles. À l'issue du rapprochement avec General Electric et ses promesses de création d'emplois, nous demeurons très prudents lors de l'annonce d'un nouveau rapprochement avec Siemens et des perspectives induites de nouveaux plans sociaux. Le mode de relations sociales est différent de ce qu'il est en France - avec la cogestion - et, de ce fait, les relations avec IG Metall se sont avérées, avec nous, relativement évasives. Demain, on en saura un peu plus.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Avec la loi antitrust, vous allez être auditionnés et votre avis sera décisif. Je vais vous donner l'exemple de Faurecia qui a vendu à Plastic Omnium ses activités pare-chocs. Cette opération a été examinée par la Commission européenne qui a refusé la vente de quatre sites. Preuve que vous avez encore un pouvoir et la négociation entre IG Metall et Siemens doit être analogue à celle entre l'État et Alstom. Lorsque j'ai posé au ministre de l'économie une question d'actualité sur la situation d'Alstom, en relayant la demande des syndicats de le rencontrer, il m'a répondu favorablement. Ce n'est pas à un membre de son cabinet de vous recevoir ! C'est bien la moindre des choses. Vous devez avoir une assurance sur la pérennité des sites et de l'emplois et pas seulement sur quatre ans ? Sur la question de la recherche et développement, les sites français seront-ils limités à l'assemblage ? Ces questions se posent avec une acuité particulière. Comme vous l'avez rappelé, Siemens Mobility représente une cotation boursière de 8 milliards d'euros et Alstom 7,4 milliards d'euros. Pour zéro euro, on prend la direction d'Alstom ! Avant cette négociation, il faut demander la même chose à l'Etat et être informé de l'évolution prévisible des sites ! Les Allemands l'ont bien eue et pourquoi ne l'auriez-vous pas ?

M. Alain Chatillon , président . - C'est une égalité de traitement qui demeure légitime. Au-delà d'Alstom, comment l'agence des participations de l'État est-elle gérée ? Il faut que celle-ci réponde à un critère de transparence, au-delà des alternances politiques, pour que les élus, en charge du contrôle de la politique industrielle et économique de l'État, soient dument informés.

M. Patrick de Cara . - Bien entendu, nous dénonçons le fait que l'État ait renoncé à reprendre la participation du groupe Bouygues. Nous le regrettons vivement. À Belfort, deux représentants de l'État participaient au conseil d'administration et nous avions compté sur eux ! La nouvelle locomotive H4-bimode, qui devrait recevoir prochainement la pile à hydrogène, fournit une réponse claire et nette à la transition écologique. Où est l'État stratège ? Nous sommes révoltés par cette capitulation de l'État qui doit être stratège et considérer le ferroviaire comme une filière d'avenir ! La France ne sera bientôt plus capable de construire de trains !

M. Jean-François Longeot . - Je suis l'ancien maire d'Ornans qui comptait 500 salariés il y a une dizaine d'années, contre 280 aujourd'hui. Ce site est vidé progressivement, à l'aide de départs volontaires, dans l'indifférence générale. J'ai une question que j'ai posée ici même à la ministre des transports. La direction d'Alstom incite à ce que, sur des commandes publiques, les moteurs soient fabriqués à l'extérieur : en Inde ou en Chine. Je croyais qu'Alstom et Siemens devaient concurrencer la Chine et honorer les commandes publiques. C'est une question que je pose puisque je sais que cela se fait, quand bien même la ministre des transports a fait part de son étonnement. Nous devons, en tant qu'élus, nous emparer de cette question car si, sur des marchés publics, les commandes sont réalisées en Chine ou en Inde, notre situation ne sera guère florissante.

M. Alain Chatillon , président . - Sachez que notre mission tâchera de répondre à toutes ces questions.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous avons été admiratifs de la grande qualité de vos interventions.

M. Daniel Laurent . - Je souhaitais préciser que nous sommes plusieurs sénateurs représentant des départements où des sites d'Alstom sont implantés. Comme Sénateur de Charente-Maritime, je connais bien le site d'Aytré dont j'ai prévu de rencontrer prochainement les syndicats. Il est important que nous le signalions afin de donner plus d'importance encore à cette mission.

Mme Viviane Artigalas . - Je suis Sénatrice des Hautes-Pyrénées, et concernée par le site de Tarbes-Semeac. Avez-vous identifié des sites où l'inquiétude est plus grande que dans d'autres ? Nous sommes aussi des élus de territoires et nous entendons défendre globalement Alstom grâce à une meilleure connaissance de ses implantations en France.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous viendrons, dans le cadre de notre mission, au contact des personnels, des directions et des syndicats, qui sont responsables, solides et ont une vision du ferroviaire et de leur entreprise. Les sénateurs locaux seront naturellement conviés à ces visites. Vous avez des idées, notamment sur l'évolution des différents sites, comme ceux d'Ornans et de Belfort, où l'absence de commandes prévisibles pose problème. Il y a également les appels d'offres : qui nous dit que ce nouveau groupe les gagnera ? C'est là une inconnue de taille.

M. Jean-Louis Profizi . - S'agissant des sites, quand on voit que Siemens est un fabricant électrique d'envergure mondiale dont les activités sont en concurrence avec celles de certains sites, notamment, du site de Tarbes, on peut se poser des questions. Une perspective peut augmenter la durée d'attente pour que les commandes reprennent : les lois européennes. Actuellement, nous n'avons pas sur les marchés de protection qui nous permette de traiter la réciprocité et de borner la localisation des contrats exportés à l'étranger. Enfin, dernier point, lorsqu'on passe un étiage et que l'on tente de baisser les frais, on se trouve dans une situation de contre-investissement et on prive les sites concernés d'une insertion dans la concurrence avec les pays à faibles coûts. Il faudrait veiller à ce point pour que nous puissions dégager de nouvelles perspectives de développement.

M. Philippe Pillot . - Tous les établissements sont en danger et leur existence demeure, en définitive, tributaire des commandes. La stratégie d'Alstom vise à réduire la voilure et la délocalisation est imposée par les pays qui nous commandent. Certes, la compétitivité est invoquée, mais n'oublions pas la rentabilité des actionnaires. Le danger demeure, même en l'absence de mariage avec Siemens. Alstom est européen depuis longtemps, avec 20 000 salariés en Europe contre 10 000 en France. C'est un groupe mondial. Le marché est global, même si l'Europe demeure le principal client. Il faut maintenir notre industrie ferroviaire nationale.

M. Boris Amoroz . - Sur les charges des sites, Reichshoffen devrait connaître un creux en 2019. De manière générale, le marché accessible à partir de 2020 va exploser. Il y a donc du travail, à la condition de mettre en oeuvre une stratégie d'investissements, d'amélioration des compétences, de renforcement du personnel et d'outils industriels qu'il convient, dans la plupart des sites, de rénover. Les lots d'études sont de plus en plus adressés à des pays à bas coûts, mais, au final, les dépenses induites demeurent plus importantes. Il faut remettre en place une stratégie industrielle pour la filiale ferroviaire, au-delà de l'accord. L'Etat doit avoir son mot à dire ; ce qui peut impliquer une prise d'actions dans le capital pour peser sur les décisions. Suite à l'interrogation du Sénateur Jean-François Longeot, les contrats souscrits par le STIF stipulent la nécessaire fabrication française de certains composants ; les constructeurs essayant parfois de déroger à une telle exigence. Au final, un train fabriqué en France, en Inde ou en Pologne, à qualité équivalente et tous frais comparés, ne présente, en termes de coûts, guère de différences. Mettons donc en place une stratégie industrielle pour la filière ferroviaire française.

M. Gilles Buller . - Je remercie M. Jean-François Longeot d'avoir évoqué le site d'Ornans. Quels sont les sites les plus menacés ? Lors des problèmes de Belfort l'an passé, on a évoqué le risque de dominos. Je pense que le site d'Ornans est aujourd'hui le premier domino, comme en témoigne la diminution des effectifs de ce site comparable, d'ailleurs, à celle des personnels manufacturiers de l'ensemble du groupe Alstom. Alors qu'il y a quinze ans encore, Alstom comptait 5 000 ouvriers, leur nombre s'est désormais réduit à quelque 1 500. Comme l'a rappelé M. Poupart-Lafarge, 2018 ne devrait pas connaître de départs contraints, mais plutôt l'amplification des départs volontaires enregistrés depuis des années. En outre, les joint-ventures - hier avec la Chine et aujourd'hui avec l'Inde - devraient parachever ce processus. Pour preuve, le TET, qui devait initialement être produit à hauteur de 60 % en Inde, devrait y être totalement fabriqué ! Je pense, du reste, que l'objectif de notre direction est de délocaliser l'ensemble des productions, y compris des moteurs.

M. Alain Chatillon , président . - Merci à tous. Sachez que le Sénat - et notre mission tout particulièrement - va vous accompagner.

B. AUDITION DE M. PIERRE-NOËL GIRAUD, PROFESSEUR D'ÉCONOMIE À L'ÉCOLE DES MINES PARIS-TECH ET À L'UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE (18 janvier 2018)

M. Pascal Allizard , président . - Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence de notre président, Alain Chatillon, malheureusement empêché et que je supplée aujourd'hui.

Nous reprenons nos travaux d'audition en accueillant M. Pierre-Noël Giraud, universitaire spécialiste de l'économie industrielle.

Monsieur le Professeur, au-delà de l'examen de l'évolution récente du groupe Alstom, l'objectif de notre mission d'information est d'examiner plus largement la stratégie industrielle de la France. Aussi nous a-t-il semblé particulièrement souhaitable de disposer d'un panorama de l'industrie en France et des grands défis actuels et futurs qui se présentent à elle.

Et, assurément, vous êtes l'homme de la situation : je rappellerai simplement que, professeur à l'école Paris Mines-Tech et à Paris-Dauphine, vous avez une longue expérience de la recherche dans le domaine de l'économie et de l'industrie, et que vous avez récemment reçu le prix Turgot du livre financier pour l'ensemble de votre oeuvre universitaire.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je vous remercie de nous consacrer du temps pour nous livrer vos analyses, dont nous attendons qu'elles nous aident à y voir plus clair dans la stratégie industrielle française. Depuis les années 1990, nous avons perdu des emplois par millions. Nous avons surtout, dans certaines filières industrielles, perdu un leadership . Nous avons besoin de vos lumières non seulement sur le cas Alstom, mais aussi et surtout de vos analyses sur la stratégie industrielle française et européenne, l'une et l'autre étant indissolublement liées. Nous souhaiterions que vous dressiez un panorama de l'état de l'industrie en France, et évoquiez les enjeux des prochaines années - je pense, à l'industrie du futur, à la digitalisation, avec l'évolution des compétences que cela implique, ainsi qu'aux risques pour l'emploi et les opportunités de la mondialisation.

Ensuite, d'un point de vue théorique et pratique, pourriez-vous évoquer les stratégies industrielles susceptibles d'être mises en place - spécialisation, rôle de l'État et des pouvoirs publics, rôle de l'investissement étranger - et nous indiquer si, à votre avis, la France doit mener une stratégie nouvelle en la matière, et laquelle. L'initiative « Industrie du futur » a été engagée par les pouvoirs publics en partenariat avec les acteurs de l'industrie. Que pensez-vous de cette action ?

Puis, à la lumière de vos analyses globales, pourriez-vous nous livrer une réflexion personnelle sur les recompositions industrielles en cours ? Évidemment, sur Alstom : l'État doit-il être acteur ou spectateur ? Dans l'aérospatiale, EADS, dont sont parties prenantes États et entreprises, est un exemple de réussite européenne. Ne doit-on pas s'en inspirer pour aller vers un EADS du ferroviaire ? Mais peut-être pourrez-vous aborder également d'autres recompositions en cours.

La question du rôle des pouvoirs publics est essentielle. Dans le cadre d'autres structures sénatoriales, nous nous sommes rendus plusieurs fois en Allemagne, où nous avons pu constater que l'État a, avec ses länder, une stratégie concertée, cohérente. Peut-on en dire de même de la France ?

Nous attendons vos lumières sur toutes ces questions brûlantes d'actualité.

M. Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à l'école des Mines Paris-Tech et à l'université Paris-Dauphine. - Vous permettrez au chercheur que je suis de faire d'abord un petit détour. Je veux vous montrer que l'on manque peut-être des bons concepts et des bons chiffres pour analyser ce qui se passe, et indiquer les efforts conceptuels et statistiques qu'il faudrait engager pour disposer de meilleurs instruments pour analyser les évolutions en cours. Cela me paraît un préalable nécessaire pour répondre à votre question sur ce que devrait être une politique industrielle : à quel niveau ? Selon quels enjeux ? Dans quel rapport public-privé ?

L'intitulé de votre mission d'information en témoigne, on continue à faire la distinction entre industrie et services, qui vient de la distinction entre secteurs secondaire et tertiaire. Quand on parle de désindustrialisation, on ne sait pas s'il faut s'en réjouir parce que ce ne serait qu'une tertiarisation, ou s'il faut s'en inquiéter parce qu'elle résulterait plutôt de la globalisation et des délocalisations. Engager le débat sur le fondement de ce cadre analytique distinguant industrie et services ne me paraît pas pertinent, car ce cadre est à mon avis dépassé. Il faut raisonner en un seul mot : industrie-services. Les exportations industrielles, insuffisantes en ce moment, contiennent beaucoup d'importations, et dans la valeur ajoutée, beaucoup de services - près de la moitié. Ce qui est vendu aujourd'hui, c'est toujours l'association entre un objet et un service. De mouvement puissant, Michelin a été l'un des pionniers, en vendant non plus de seuls pneus mais aussi leur montage.

Alors que cette distinction entre industrie et services n'a plus lieu d'être, toutes nos statistiques se fondent pourtant dessus. Je propose, à la place, une autre distinction. Ce qu'il convient de distinguer, sur un territoire donné, ce sont les emplois et activités nomades, d'une part, et les emplois et activités sédentaires, d'autre part. Les activités nomades sont en compétition avec ces mêmes activités dans d'autres territoires, et leur localisation dépend des choix des firmes. De fait, avec la révolution numérique, la chaîne de valeurs est éclatée, et un opérateur global peut choisir de localiser sa recherche-développement en Californie, le financement et le marketing à Londres, les composants de haute technologie en Corée ou en Allemagne, l'assemblage final en Chine, avant l'étape finale de la distribution. Dans ces activités nomades, il y a des emplois industriels, au sens ancien, mais aussi, et de plus en plus, des emplois de service. Je vous donnerais des chiffres pour la France, car il importe de savoir quelle est la part d'emplois nomades sur un territoire.

Les activités sédentaires contiennent elles aussi de l'industrie, comme la fourniture d'eau, d'électricité ou les processus industrialisés comme le bâtiment et les travaux publics, mais aussi des services à la personne, des services administratifs, du commerce de détail, etc. Dans ces activités, les emplois sont protégés de la compétition internationale. Ils peuvent en revanche être, entre eux, en vive compétition, ou ronronner, au contraire, dans des niches réglementaires. Mais en tant qu'ils fournissent des biens et services aux activités nomades, ils entrent indirectement dans la compétitivité des activités nomades implantées sur le territoire. Il se crée ainsi une dynamique d'interdépendance. Si dans un territoire comme la France, le nombre des emplois nomades diminue - et c'est le cas -, il se produit un déversement vers le secteur sédentaire, qui se fait plus nombreux...pour répondre à une demande nomade qui diminue. Qu'en résulte-t-il ? Soit une augmentation des inégalités entre les revenus des emplois nomades et ceux des emplois sédentaires, soit la chute d'une partie du secteur sédentaire dans le non emploi, ce que j'appelle les « hommes inutiles » - parce que devenus inutiles. Plus les sédentaires sont pauvres, plus ils fournissent des biens et services bon marché aux nomades, et plus les nomades sont compétitifs. Songez à l'Allemagne, qui accroit la compétitivité de ses nomades en créant dans le secteur sédentaire quantité de petits boulots très mal payés. On est donc dans une dynamique complexe, où l'on voit se dessiner ce que pourraient être les orientations d'une politique publique qui viserait à accroître le nombre des nomades et à « dynamiser » le secteur sédentaire pour qu'il accroisse la qualité des biens et services qu'il fournit aux nomades. Vous voyez que raisonner en termes de front arrière et d'articulation entre les deux est tout autre chose que se fonder sur la distinction entre industrie et services.

Avec l'un de mes étudiants, Philippe Focrain, nous avons fait une étude, sur la base des données de l'Insee. Une analyse économétrique précise nous a permis de distinguer entre emplois nomades et emplois sédentaires. Sur le fondement de l'idée très simple qui veut que les emplois nomades, servant une demande qui peut être éloignée, ont tendance à se regrouper dans des clusters pour bénéficier d'économies d'échelle - alors que les emplois sédentaires sont proches de leurs clients, donc beaucoup plus dispersés - on peut établir un coefficient de Gini de concentration géographique des emplois par rapport à leurs clients. C'est ainsi que l'on trouve, en France, 27 % d'emplois nomades, en diminution de 15 % sur trois ans, et 73 % d'emplois sédentaires. Parmi ces emplois nomades, la moitié sont d'ores et déjà des emplois de services : services aux entreprises, services financiers, call centers , et tourisme - car le tourisme est un service nomade, puisqu'un touriste peut choisir sa destination.

Quelle peut être, cela étant posé, une politique publique ? Quand on parle de soutien à l'industrie, on parle de soutien à l'emploi nomade. C'est là un pan des politiques publiques que l'on connaît bien ; on sait ce qu'il faut faire. Il faut que le territoire français et européen soit attirant pour les emplois nomades. Il faut, pour cela, créer des clusters , autour des grandes universités. Autrement dit, la vraie compétition se joue moins entre General Electric et Alstom qu'entre le Massachussetts Institute of Technology (MIT) et Orsay. Et pour l'instant, il n'y a pas photo : la pente va être difficile à remonter. Il faut faire d'Orsay un plateau attirant pour les doctorants - les PhD - du monde entier, sans se lamenter bêtement sur la fuite des cerveaux - un pays comme l'Inde ne se serait jamais développé si ses cerveaux n'avaient pas commencé par fuir en Californie avant de revenir au bercail. Pour que se créent sur le territoire européen des clusters d'innovation à la pointe de la révolution numérique, il faut attirer des cerveaux. Sinon, cela sera réservé aux Etats-Unis, où est née la révolution numérique, et à la Chine, qui mène une politique mercantiliste de fermeture de son marché et de développement de champions nationaux, seuls concurrents, aujourd'hui, des GAFA. Si l'on n'y prend garde, on prendra le chemin de l'éviction.

Il y a, bien sûr, d'autres exigences, parmi lesquelles la formation. On dit beaucoup que les offres d'emploi de l'industrie-services ne sont plus satisfaites par manque de formation. Il y a aussi, soit dit en passant, un énorme effort de formation à mener dans la fonction publique et le secteur sédentaire, sur les technologies numériques, pour que tout ce qui peut être automatisé le soit. Oui, cela créera des chômeurs, et c'est bien pourquoi il faut organiser la mobilité, avec son filet de sécurité et son accompagnement social. Nous verrons si Emmanuel Macron s'y attelle, après avoir déployé le volet libéral de sa politique.

Dans le secteur nomade, ne sommes-nous pas un peu naïfs ? C'est l'antienne sur l'Europe, « ventre mou de la globalisation » ? Là-dessus, ma position est très claire : oui, nous sommes naïfs ! Les Chinois ont une politique clairement mercantiliste, qui vise à attirer chez eux les emplois nomades par les investissements direct étrangers et les joint-ventures pour maximiser les transferts. La Chine a déjà pris de l'avance dans certains domaines. Ses excédents commerciaux ayant été transformés en fonds souverains, les Chinois sont prêts à acheter n'importe quoi, ce qui peut être une menace ou une opportunité - j'y reviendrai. Mais leur politique reste mercantiliste. En face, on trouve le modèle américain des grandes firmes globales, qui mettent en compétition tous les territoires, dont l'Europe.

En Europe, nous pourrions être un peu plus mercantilistes - je laisse à part la question de la répartition des emplois nomades en son sein. Quand Airbus ou Boeing veut vendre un avion en Chine, il faut que 40 % de sa valeur ajoutée soit produite en Chine - le choix étant laissé de la nature de ces 40 %. Nous pourrions agir de même pour les marchés européens qui représentent encore le premier marché mondial, dans l'automobile ou l'aéronautique, en prévenant les firmes du monde entier que pour accéder au marché européen, qui représente 30 % du marché mondial, il faudra produire 30 % de la valeur ajoutée sur place. Mais sans en imposer la nature, à la différence des droits de douane, car il faut prendre en compte l'éclatement de la chaîne de valeur : décider, comme l'a fait M. Trump, de taxer les voitures finies pour localiser l'assemblage aux États-Unis n'a pas de sens. Car si l'assemblage se fait aux États-Unis mais que toutes les pièces viennent du Mexique, c'est un coup d'épée dans l'eau. Peut-être le contraire vaudrait-il mieux. Et ce n'est pas M. Trump, mais bien l'industrie automobile qui est le mieux à même de le savoir.

C'est pourquoi il est préférable de demander aux entreprises, en échange de l'accès à un marché qui représente 30 % du marché mondial, de produire 30 % de la valeur sur le territoire. Ce qui s'entend d'autant mieux si nos clusters sont là pour les accueillir. Si la Comac, l'entreprise aéronautique chinoise qui est en train de fabriquer un clone de l'A320 veut voir voler son avion en Europe, qu'elle vienne produire 30 % de la valeur à Toulouse ou à Hambourg. Ce n'est pas du protectionnisme, dont l'objectif est d'entraver les mouvements de biens et services, mais du mercantilisme, qui vise à attirer les investissements en disant : « venez investir près de votre marché final ». À condition, bien sûr, que l'on soit attrayants. Il ne s'agit pas de demander d'aller investir en Sicile, mais en Bavière. Au reste, par parenthèse, sur cette question interne, je ne vois pas trente-six solutions, sinon que les siciliens aillent travailler en Bavière et que les Bavarois achètent leur maison de vacance en Sicile. C'est comme cela que cela finira, il ne faut pas rêver, tant les différences de développement, en Europe, sont gigantesques - songez aux différences entre les Pays-Bas et la Bulgarie ! Cela se règlera par des mouvements internes de population, comme cela s'est fait aux États-Unis. Je referme la parenthèse...

Une politique européenne industrielle pourrait donc jouer de l'avantage que représente encore le marché intérieur européen, pour inciter les investissements étrangers à se localiser en Europe, en les accueillant comme ils s'attendent à l'être - nous avons, au reste, de bons atouts : l'Europe est attirante pour les cadres, et la localisation de ce genre d'emplois ne compte pas pour rien.

Cela passe par des négociations avec la Chine, car les firmes chinoises ne sont pas indépendantes du gouvernement chinois, et avec les États-Unis.

Telle est ma position, qui implique, évidemment, d'être sans états d'âme sur la robotisation. Plus il y en a, mieux cela vaut ! L'autre jour, sur France Culture, Benoît Hamon disait qu'il fallait taxer les robots parce qu'ils ne payent pas de charges sociales. Je n'ai rien entendu de plus idiot que cette proposition. On a deux fois moins de robots qu'en Allemagne, on en a moins qu'en Italie, et bientôt on en aura moins qu'en Chine !

Et je suis à fond pour la numérisation. J'ai vu, à la télévision, que dans une république Balte, tout ce qui est sécurité sociale, état civil a été informatisé : cela a diminué par deux le nombre de fonctionnaires et les gens sont contents. Si une ex-république soviétique peut le faire, pourquoi ne le pourrait-on pas ?

J'insiste aussi sur le fait qu'il faut raisonner en ayant à l'esprit les deux secteurs que j'évoquais. Prenons la question de la baisse des charges. En baissant, comme on le fait, les charges sur les bas salaires, on crée des emplois dans le secteur sédentaire. C'est mieux que rien, certes, mais si l'on baissait les charges sur les salaires intermédiaires, on créerait des emplois dans le secteur nomade. Or, dans un territoire, quand cent emplois nomades sont créés, plus de soixante emplois sédentaires suivent. Il faut, pour chaque politique horizontale, se poser la question en ces termes. Par exemple, diminuer autoritairement le temps de travail chez les nomades est d'une absurdité totale, car cela revient à diminuer leur nombre. Mais chez les sédentaires, une réduction du temps de travail, s'accompagnant d'une réduction des salaires pour de pas augmenter le coût des produits, est indifférente, voire bénéfique pour ceux qui sont dans les soutes du non emploi : on gagnera moins dans ces emplois, mais un plus grand nombre travaillera. Et cela n'a aucun impact sur la compétitivité des nomades. Raisonner avec ces concepts change un peu, comme vous le constatez, la façon de voir les choses.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Merci pour cette présentation un peu iconoclaste qui va, sans nul doute, susciter des réactions.

J'aimerais avoir votre sentiment sur ce que l'on a appelé le « marché du siècle », DCNS ayant été lauréat pour la construction de sous-marins en Australie. Or, cette construction se fera sur place, avec transfert de savoir-faire, comme cela s'est passé pour Thalès et pour d'autres. J'aimerais connaître votre point de vue sur le sujet.

Comment analysez-vous, par ailleurs, la logique des routes de la soie, aboutissement d'une politique extrêmement dynamique, pour ne pas dire agressive des Chinois, à laquelle vous avez fait allusion ? Comment cette émergence des routes de la soie doit-elle être prise en compte dans notre réflexion sur une stratégie industrielle ?

M. Pierre-Noël Giraud. - On ne peut pas tout à la fois demander à Bombardier, s'il remporte un appel d'offre de la SNCF, de venir fabriquer ses rames en France et refuser que DCNS, remportant un appel d'offre australien, aille construire ses sous-marins en Australie. Quand l'Inde demande à Dassault de fabriquer ses Rafale sur place, c'est évidemment, comme le font les Chinois, pour pomper le maximum de technologie. Ils vont donc nous rattraper, et demain, ils feront eux-mêmes leurs sous-marins et leurs Rafale. Mais d'une part, demain, nous ferons encore quelque chose de mieux, car on ne lèvera pas le pied, et d'autre part, c'est bien pourquoi nous devons imposer la réciprocité, que j'évoquais tout à l'heure, dans la localisation de la valeur ajoutée.

Quant aux routes de la soie, elles sont l'expression manifeste et magnifique du mercantilisme chinois. Dans mon livre L'homme inutile , qui vient de paraître en poche, je cite un texte de Colbert adressé à Louis XIV, auquel il entreprend d'expliquer la politique mercantiliste. Il s'agit d'attirer l'or dans le royaume, écrit-il. Remplacez ce mot d'or par celui d'emploi nomade, et vous aurez la politique de la Chine qui, à présent, entreprend de se projeter à l'extérieur. Je me demande si les grandes firmes chinoises vont se globaliser et se fondre dans le moule du capitalisme à l'anglo-saxonne, ou si la compétition aura lieu entre deux modèles, à l'instar de la compétition avec ce que l'on appelait le modèle japonais dans les années 80. Il y a un retour de l'idée qu'il existe des capitalismes, au pluriel. Le modèle de capitalisme chinois est, de fait, très spécifique. La route de la soie est vraiment une idée chinoise, qui a pour effet d'arrimer des territoires entiers dans les chaînes de valeur chinoises. Voyez ce qu'il se passe au Laos, c'est stupéfiant. Les Chinois y construisent même un TGV.

M. Jean-François Longeot . - Merci pour votre exposé qui m'a donné un éclairage nouveau. Ce que vous évoquez semble non seulement d'une logique implacable, mais assez facile à mettre en oeuvre. Pourquoi n'y arrive-t-on pas ? Pourquoi ne parvient-on pas à cette réciprocité dans l'exigence de localisation d'une part de la valeur ajoutée ? Vous avez également évoqué la question des cadres, qui me paraît importante. Certes, on sait que l'on a mené des politiques qui n'étaient pas des plus judicieuses, mais pourquoi n'arrive-t-on pas, aujourd'hui, à redresser la barre ?

Mme Michèle Vullien . - Qu'en est-il de la qualité ? On voit certaines entreprises ayant délocalisé des productions en Chine revenir travailler en France...

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Pouvez-vous aborder la question des filières industrielles, en partant de votre postulat, qui consiste à s'intéresser à la valeur ajoutée que les industriels peuvent créer sur le territoire européen ? Vous avez évoqué les clusters et la robotisation. Dans le secteur de la robotique, le retard que nous avons accumulé - par rapport à l'Allemagne ou à l'Italie - nous pose énormément de problèmes de compétitivité. Quelle politique mener en la matière ?

M. Pierre-Noël Giraud . - Avant de répondre à ces questions, je voudrais corriger un oubli. Il existe un deuxième volet des politiques : il concerne, non pas les nomades, mais les sédentaires, c'est-à-dire les trois quarts de la population.

Ne pouvant contrôler les déplacements des nomades, vous devez faire en sorte de rendre le territoire attrayant à leurs yeux. Mais vous pouvez aller plus loin avec les sédentaires, notamment parce qu'ils n'iront pas ailleurs s'ils sont insatisfaits de ce que vous leur faites faire. La relocalisation consiste donc à rendre les biens et services sédentaires plus attrayants pour les nomades.

Si votre besoin final consiste à passer une bonne soirée avec quelques amis, vous pouvez les inviter chez vous pour manger une pizza surgelée en regardant une série Netflix ou les inviter au bar à vin de pays d'à côté, avant d'aller assister à un spectacle vivant. Dans un cas, vous avez satisfait votre besoin avec des biens essentiellement nomades, dont certains pourraient d'ailleurs être produits sur place ; dans l'autre, avec des biens sédentaires. Les deux peuvent se substituer si le besoin à satisfaire est suffisamment large. C'est le cas, par exemple, du besoin de mobilité urbaine.

Beaucoup est à faire dans ce domaine car cette dimension des politiques est clairement oubliée. Certes, il faut soutenir l'industrie et la science, comme tout le monde s'accorde à le dire, mais il faut aussi rendre les biens sédentaires plus attrayants ou moins chers. Ce sont 73 % des emplois qui en dépendent !

Pourquoi ne le fait-on pas ?

D'une part, l'idée d'un raisonnement en termes de « nomade » et « sédentaire » n'est pas si répandue que cela. On ne trouve pas de statistiques tenant compte de ces notions, alors même que nous avons montré que les nomades gagnent de plus en plus d'argent, l'écart entre leurs salaires bruts et ceux des sédentaires ne cessant de s'accroître, sans lien avec la qualification. Un important travail doit être mené pour trouver et mettre en valeur les bons indicateurs.

D'autre part, nous rencontrons un grave problème en Europe. Qui sortira gagnant dans la politique européenne ? L'Allemagne, bien sûr ! Quand les Chinois investissent dans le secteur de la robotique en Europe, ils vont en Bavière, pas dans le Massif central ! C'est là un aspect d'un problème plus large. Ainsi, pour traiter les très grandes inégalités de développement internes à l'Europe, l'alternative est la suivante : soit on déplace les emplois là où se trouvent les habitants, soit on déplace les habitants là où se trouvent les emplois. Je crains que la deuxième solution ne l'emporte, au détriment du capital humain européen.

L'Allemagne - 80 millions d'habitants, aujourd'hui, et un taux de fécondité de 1,4 enfant par femme - pourrait devenir dans un siècle une sorte de grand parc naturel, avec une population de 20 millions d'habitants, très écolo, alors même que l'Afrique comptera 4,5 milliards d'habitants. Tel est le monde vers lequel nous nous dirigeons en l'absence d'immigration !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Le Japon, malgré un taux de natalité également faible, a choisi de stopper l'immigration et mise sur une robotisation maximale...

M. Pierre-Noël Giraud. - ... et l'allongement de la durée de vie.

Qu'en est-il des problématiques de qualité et de relocalisation ? Les globalisations sont une structure, non un phénomène. Désormais, nous avons dans le monde une économie globale, avec des emplois nomades circulant entre les territoires, et autant d'économies sédentaires qu'il y a de pays indépendants. À l'intérieur de cette structure, différentes phases se succèdent. Après une phase de globalisation libre-échangiste, nous nous situons aujourd'hui dans une phase plus mercantiliste, qui peut donner lieu à un ralentissement du commerce mondial ou à certaines relocalisations, liées à la robotisation. Mais cela ne change en rien la structure d'ensemble, c'est-à-dire le principe d'une compétition des territoires entre eux.

Oui, nous devons numériser autant que nous pouvons et, en la matière, nous ne devons pas nous contenter de nous comparer aux Allemands. La ligne de mire doit être dirigée sur les Chinois, les Coréens et, peut-être, les Japonais, pour les raisons que nous avons évoquées. À nouveau, le problème de la répartition des emplois de ce secteur en Europe est considérable et insuffisamment mis en avant. C'est précisément là où le raisonnement en termes de cluster est fondamental.

M. Martial Bourquin , rapporteur. - Avez-vous des contacts avec le Cercle de l'industrie ? Nous avons réellement besoin d'une pensée revigorée !

M. Pierre-Noël Giraud . - J'entretiens d'excellents contacts avec la Fabrique de l'industrie, dirigée par Thierry Weil et Vincent Charlet. Par ailleurs, je vous suggère d'entendre Pierre Veltz, qui vient de publier La société hyper-industrielle .

M. Pascal Allizard , président . - Votre raisonnement reposant sur la valeur ajoutée me convient assez bien ; il ressemble étrangement aux accords de compensation que nous passions dans l'industrie, voilà une trentaine d'années.

M. Pierre-Noël Giraud . - Ces accords constituaient une sorte de troc, alors qu'il est question, ici, de choisir les segments de valeur ajoutée que vous situez sur le territoire. De même, ma proposition n'a rien à voir avec un protectionnisme classique par les droits de douane. Il s'agit, non pas d'imposer aux firmes globales des lieux de production pour telle ou telle partie d'une chaîne qu'elles ont déjà optimisée, mais de les laisser optimiser cette chaîne, tout en travaillant à les attirer sur votre territoire pour qu'elles y développent les activités qui vous intéressent.

Je m'attendais à ce que l'on m'oppose l'argument de la complexité : ce serait une usine à gaz ! Mais cet argument ne tient pas. En plaçant une puce RFID sur chaque composant d'un bien manufacturé, on peut savoir où il a été fabriqué et la valeur ajoutée correspondante. Nous devons avoir un commerce en valeur ajoutée - dans un smartphone, la valeur ajoutée chinoise ne dépasse pas 3 % - et il est techniquement possible d'effectuer un contrôle du contenu en valeur ajoutée.

Cela nous renvoie à la question : pourquoi ne le fait-on pas ? C'est là une affaire d'hommes et de femmes politiques !

Mme Michèle Vullien . - Au-delà de la valeur ajoutée, ne faut-il pas aussi tenir compte du bilan carbone ?

M. Pierre-Noël Giraud . - Je suis favorable à une politique européenne rigoureuse en termes de lutte contre les effets de serre et à la mise en place d'une taxe carbone aux frontières de l'Europe. De nouveau, les émissions de gaz, comme d'autres informations, d'ailleurs, peuvent fait l'objet d'un traçage par puce RFID.

C. AUDITION DE M. LOUIS SCHWEITZER, ANCIEN COMMISSAIRE GÉNÉRAL À L'INVESTISSEMENT, PRÉSIDENT D'HONNEUR DE RENAULT ET PRÉSIDENT D'INITIATIVE FRANCE (1er février 2018)

M. Alain Chatillon , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Louis Schweitzer, dont nous connaissons l'expertise dans les domaines de l'industrie et de la prospective, de même que la capacité d'engagement dont il a su faire preuve dans ses multiples fonctions, parmi lesquelles je n'oublie pas son passage chez Renault.

Nous avons souhaité vous entendre non seulement sur le dossier Alstom, mais aussi - et surtout - sur le besoin de structuration de nos groupes industriels et les moyens d'accompagner nos entreprises. Quand on voit les risques que fait courir Amazon à la distribution directe - des risques que l'on n'a pas mesurés à temps -, on se convainc qu'il faut savoir se projeter.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je me joins au président pour vous dire tout l'intérêt et le plaisir que nous avons à vous recevoir en tant que « grand témoin ». Depuis plusieurs années, vous intervenez dans le domaine de l'industrie, soit directement en tant qu'acteur industriel, soit dans vos fonctions auprès des pouvoirs publics, en qualité notamment de financeur. D'où les nombreuses questions que je souhaiterais vous adresser.

En premier lieu, alors que notre pays a connu une forte désindustrialisation au cours des dernières décennies, ce processus est-il selon vous toujours à l'oeuvre ou peut-on espérer une stabilisation de la part de l'industrie dans la production nationale, voire même une forme de réindustrialisation ? Plus globalement, quel regard portez-vous sur la politique industrielle menée en France depuis quinze ans ?

Je souhaiterais, dans ce cadre, que vous évoquiez spécifiquement la question des outils défensifs visant à assurer un contrôle sur les investissements étrangers directs. Les outils dont dispose la France dans ce domaine sont-ils adaptés et suffisants ? Alors qu'en son temps, le décret Montebourg n'a pas manqué de soulever des critiques, y compris de la part de l'Allemagne, on constate que ce pays se dote aujourd'hui d'instruments de même nature, tandis que les États-Unis s'arment, également, d'importants outils.

Ensuite, selon vous, la participation de l'État au capital d'entreprises industrielles constitue-t-elle un moyen pertinent pour exercer ce contrôle ? L'action de l'État actionnaire vous paraît-elle cohérente ? Peut-on parler, dans ce domaine, d'État stratège ?

En votre qualité d'ancien Commissaire général à l'investissement, quel bilan tirez-vous des actions menées en faveur de l'industrie dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir et quelles actions vous semblent avoir eu l'effet le plus positif ? Le cas échéant, quelles inflexions, quels prolongements vous parait-il pertinent d'apporter au dispositif ?

Comment favoriser l'émergence de champions européens tout en s'assurant que la France ne sera pas pénalisée ? - je pense à la fusion entre Alstom et Siemens mais aussi à la cession des chantiers navals de Saint-Nazaire à Fincantieri, par exemple. Alors que l'on a besoin de grands chantiers européens, on se rend compte que les dispositifs européens antitrust peuvent créer des obstacles. Quel est votre diagnostic sur ces questions ?

Comment renforcer la capacité exportatrice de l'appareil industriel français ? Les outils mis en place par l'État pour soutenir les entreprises exportatrices sont-ils suffisants ?

Enfin, le système de formation initiale et continue est-il en mesure de former les personnels qualifiés - techniciens, ingénieurs - dont les entreprises industrielles françaises ont besoin et de faire face à l'évolution très rapide des technologies industrielles ? Nous savons que les entreprises peinent à recruter dans certains domaines.

M. Louis Schweitzer, ancien Commissaire général à l'investissement, Président d'honneur de Renault et Président d'Initiative France . - Vous savez que je n'exerce plus de responsabilité administrative, et c'est donc en me fondant sur mon expérience que je vous répondrai ; celle que m'ont donnée mes fonctions chez Renault, au Commissariat général à l'investissement mais aussi, en un temps plus lointain, celles de directeur de cabinet du ministre de l'Industrie. J'ai également eu la chance de présider une société industrielle britannique, AstraZeneca, une société suédoise, Volvo, d'être membre du conseil d'administration d'une société néerlandaise, Philips et d'une société allemande, Bosch, ce qui me donne une vision qui va un peu au-delà de nos frontières.

Je n'en crois pas moins à l'importance de la nationalité des entreprises. Car s'il est quelques entreprises binationales, comme Airbus ou Renault-Nissan, il reste que toute entreprise a une nationalité, et que cette nationalité compte au plus haut point dans les processus de décision de même que dans la localisation des centres de décision et de recherche. Et cela est crucial.

C'est sur le slogan du Commissariat général à l'investissement que je fonderai mon propos : « Excellence, innovation, coopération. » S'agissant de cette dernière exigence, notre industrie souffre de faiblesses majeures, j'y reviendrai.

L'excellence est l'affaire des entrepreneurs eux-mêmes. Vous avez évoqué l'État stratège : je crois que la stratégie ne s'impose pas de l'extérieur, elle est la stratégie de nos entreprises et dépend beaucoup de leur appétit de croissance, de leur appétit d'exportation mais aussi de leur attachement au territoire national. Or, si l'on compare la France à son voisin allemand, que l'on prend souvent pour référence, ces appétits, comme cet attachement, paraissent différents. Voyez le cas de l'entreprise Bosch, premier équipementier mondial. Comme toute grande entreprise, elle possède des lieux de fabrication dans le monde entier, mais elle s'est donné pour principe que sa croissance dans le monde ne doit pas affecter ses effectifs en Allemagne ni mettre en cause le fait que le coeur de sa recherche doit rester sur le territoire. Tel est le cas de beaucoup d'entreprises allemandes, et depuis longtemps. Alors que Renault fabrique hors de France depuis 1914, Mercedes n'a commencé à le faire qu'en 1980, soit 75 ans plus tard. Cet attachement au territoire est une force chez certains de nos concurrents.

Nous avons, en France, d'excellentes entreprises, tant en terme de qualité que de coûts et de délais. Cependant, l'excellence ne tient pas seulement aux faits, mais également à l'image. Or, notre industrie ne bénéficie d'un avantage d'image que dans bien peu de domaines, le luxe et l'agro-alimentaire. Et l'image est souvent beaucoup plus longue à construire que les progrès réels. Ainsi, dans l'automobile, l'image de l'Allemagne lui donne un avantage de l'ordre de 10 % ; dans l'horlogerie, l'image de la Suisse est ce qui lui a permis de venir à bout de tous ses compétiteurs.

Au-delà de l'image, compte aussi la volonté de croître et d'exporter. Comment comprendre, sinon, que notre industrie agro-alimentaire, en dépit de son avantage d'image, exporte moins que l'Allemagne, et même que les Pays-Bas qui n'ont pourtant ni image, ni territoire comparable au nôtre ? Leur industrie alimentaire est parfaitement structurée : c'est ce qui fait la différence.

Voilà qui m'amène au rôle que peut jouer l'État. Je pense que n'intervenir qu'une fois que les difficultés ont surgi fait beaucoup perdre en efficacité. Cela vaut pour l'industrie comme pour la santé : une intervention tardive coûte plus cher et marche moins bien. Or, l'État a toujours consacré plus d'énergie aux entreprises malades qu'à celles qui sont en bonne santé. Non pas que je considère qu'il ne faille pas se pencher sur les entreprises qui vont mal - je n'oublie pas que Renault, en son temps, a été sauvée par une intervention de l'État, entre 1984 et 1987, et que la France se porte mieux que si l'entreprise avait disparu. Soit dit en passant, ce que la France a fait alors pour Renault, elle n'aurait plus aujourd'hui le droit de le faire. À l'époque, alors que nos concurrents considéraient avoir un droit acquis à sa mort, nous nous sommes battus pour que l'Europe accepte un plan de sauvetage qui n'aurait pas aujourd'hui, j'en suis convaincu, son aval.

Mais l'État peut aussi intervenir en faveur de l'excellence, par son action sur le cadre général, l'attractivité du pays - qui emporte aussi un effet d'image.

En matière de coût de la main-d'oeuvre industrielle, nous avons désormais dépassé l'Allemagne en compétitivité. C'est bien. En matière fiscale, on peut espérer une harmonisation de l'impôt sur les sociétés, des règles touchant au salaire minimum. Cela vaut la peine que l'on s'y attache, car l'Europe est un espace suffisamment grand pour que cette harmonisation produise ses effets. Et cela me paraît une condition de survie. Pour le développement de notre industrie, c'est une condition non pas suffisante, mais nécessaire. Indépendamment du rôle central que jouent, comme je l'ai dit, les entreprises, comptent aussi les infrastructures - les nôtres sont parmi les meilleures du monde -, le cadre juridique - notre droit écrit nous donne un avantage sur des pays où le droit se fonde essentiellement sur la jurisprudence, et toute entreprise qui a été engagée dans un procès aux États-Unis le sait -, le système administratif - on peut considérer que le nôtre est meilleur que celui qui existe dans beaucoup de pays - et l'image, enfin. Sous ce dernier angle, j'avoue que le basculement récent est impressionnant. Nous verrons quels en seront les effets concrets, mais le retournement qu'a provoqué, dans l'esprit des chefs d'entreprise à l'étranger, le thème du « La France est de retour » est manifeste.

J'en viens à la deuxième exigence que je mentionnais, l'innovation. La compétitivité industrielle française passe par l'innovation, sur laquelle l'État joue un rôle central, qui s'est largement exercé dans le Programme d'investissements d'avenir. Il s'agit, tout d'abord, d'aider au premier développement des entreprises - les célèbres start up . J'ai été frappé cependant, du temps où j'étais commissaire général à l'investissement, durant un peu plus de trois ans, de constater qu'avec la BPI - un des grands succès de la France en matière d'innovation - ce n'était plus tant l'argent qui manquait que les demandes d'argent, et cela quel que soit le stade de développement de l'entreprise. Autrement dit, le problème n'était pas une insuffisance de l'offre de capitaux, mais de la demande. Le fait est que nos entreprises hésitent à ouvrir leur capital. Quand une jeune entreprise innovante américaine n'hésitera pas, pour se développer, à le faire, une entreprise française privilégiera le souci de rester maître chez soi, et donc l'autofinancement, pourtant beaucoup trop lent en termes de croissance. Si bien qu'après un temps, la croissance s'essouffle et l'on est obligé de se vendre.

Cela dit, nous savons, en France, créer des start up - le campus de la Station F en est un exemple privé tout à fait remarquable et le soutien des institutions publiques revêt une grande importance. Nous pouvons compter sur des universités et surtout des centres de recherches extrêmement bien placés dans les classements mondiaux - je pense au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), au CEA (Commissariat à l'énergie atomique) à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), à l'Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique). Et nous portons le projet, majeur, de faire de Paris-Saclay une Silicon Valley en Europe. Les jeunes entreprises sont grégaires, elles veulent aller là où il y en a déjà beaucoup d'autres. Non seulement parce que comme dans un restaurant, on s'inquiète un peu quand on voit les lieux vides, mais aussi parce qu'elles se nourrissent de dialogue. L'enjeu majeur de l'innovation tient donc à la réussite de ce projet - ce qui n'exclut pas les autres pôles, comme Toulouse, Bordeaux, Lyon ou Nice, où il se fait des choses tout à fait remarquables.

On a beaucoup critiqué le crédit impôt recherche (CIR) qui a, pour moi, un effet très positif, soit pour susciter l'innovation des PME, soit pour inciter les grandes entreprises à localiser leurs centres de recherche en France. Grâce à lui, il est moins coûteux de localiser un centre d'innovation en France qu'en aucun autre pays de l'OCDE - j'exclus la Chine et l'Inde, où la propriété industrielle n'existe pas.

Cet instrument miraculeux sera d'autant plus efficace que les entreprises seront convaincues de sa pérennité. Chaque fois que la Cour des comptes ou tel autre propose de le remettre en cause, son efficacité, à coût constant, diminue, parce que les entreprises qui planifient leur recherche sur cinq ou dix ans se disent que la loi pourrait bien être abrogée, et ne le prennent plus en compte dans leurs choix. Je tenais à le souligner devant le Sénat.

J'en arrive, à présent, à mon troisième point, relatif à la coopération. L'absence de coopération entre acteurs est une faiblesse majeure de la France, qui, malgré de très bonnes entreprises, de très bons managers, une très bonne recherche, une très bonne capacité d'innovation fait figure, en ce domaine, de très mauvais élève. Ainsi, alors que nous sommes le pays d'Europe où l'on crée le plus d'entreprises, notre rang, en ce qui concerne les entreprises exportatrices, est désolant. Elles sont quelque 100 000 en France, contre 300 000 à 400 000 en Allemagne, mais surtout 200 000 en Italie, alors que seul le Nord de ce pays est industriel. Autrement dit, un pays deux fois plus puissant que cette moitié nord a deux fois moins d'entreprises exportatrices. Sans compter que l'Italie n'a pas, à la différence de l'Allemagne, l'avantage d'image que j'évoquais.

Comment expliquer cette situation ? Je crois qu'elle tient à un défaut de coopération, dont je veux rappeler ici toutes les composantes.

Défaut de coopération entre les entreprises et les pouvoirs publics, d'abord. Si l'on compare le rôle de la Fédération des industries allemandes et celui du Medef, on constate que dans un cas, l'attitude de coopération prévaut, quand dans l'autre, la revendication politique prédomine avec cette conséquence que le dialogue est jugé compromettant par les représentants des entreprises, et assimilé à une sorte d'épreuve par les autorités publiques. À Bruxelles, j'ai toujours été frappé de constater que le représentant du gouvernement et de l'automobile allemands arrivaient la main dans la main, et qu'il eût été impossible de glisser une feuille de papier à cigarette entre leurs positions. En France, on en est loin, et le problème n'est pas seulement de gouvernance, l'attitude des entreprises dans leur dialogue avec le gouvernement n'y est pas pour rien. Il est vrai que l'on enregistre quelques signes positifs - on a rénové le Conseil national de l'industrie, les fédérations se sont rapprochées du Cercle de l'industrie. Il reste qu'une coopération confiante entre le gouvernement et les acteurs est essentielle dans un monde où le système français se trouve en concurrence avec d'autres systèmes. Si les acteurs de ce système se déchirent entre eux sous l'oeil attendri de leurs concurrents, il est clair que ce système sera moins bon dans la compétition internationale.

La coopération doit également se nouer entre universités, centres de recherche et entreprises. C'est aussi l'une des missions majeures du Programme d'investissements d'avenir. Nous avons une recherche publique de très bon niveau, une recherche industrielle qui n'est ni pire ni meilleure que d'autres, mais leur coopération n'est pas ce qu'elle devrait être. Un certain nombre d'actions ont été engagées, mais il faut aller plus loin.

Ce qui m'amène, monsieur le rapporteur, à votre question concernant notre système de formation initiale et continue. En matière de formation initiale, nos coûts ne sont pas pires qu'ailleurs, la qualité de nos managers est reconnue dans le monde entier - et depuis qu'ils parlent anglais, ils sont très demandés dans le monde. En matière de formation continue, en revanche, si le système mis en place, en son temps, par Jacques Delors sous l'autorité de Jacques Chaban-Delmas reposait sur le principe, positif, qu'elle devait s'appuyer sur un accord entre patronat et syndicat, il n'a pas été mis, dans les faits, au service de l'efficacité économique. Si bien que la formation continue est loin d'être au coeur de la stratégie des entreprises. On en annonce une réforme : je pense qu'elle est, en effet, nécessaire. Si les entreprises ont du mal à recruter dans certains cas, cela tient pour partie au fait que les formations de réadaptation ne sont ni suffisamment mises en avant, ni suffisamment attractives.

La coopération entre entreprises, enfin, est elle aussi insuffisante, et c'est probablement le plus grave. En Allemagne, au Japon, en Italie, il existe en premier lieu des coopérations au sein de filières parfaitement structurées, ce qui n'est pas le cas en France. Pour reprendre l'exemple de l'automobile, en France, on trouve d'un côté le Comité des constructeurs français d'automobiles et, pour les équipementiers, la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), quand en Allemagne, il existe une structure unique, dont le rôle, la puissance et l'efficacité sont sans commune mesure. Il n'y a qu'une filière qui fait exception, mais c'est parce que le donneur d'ordre est unique et qu'il est franco-allemand, c'est la filière aéronautique. Certes, on relève quelques signes de progrès dans l'automobile, puisque l'on a créé une plateforme, mais qui reste modeste dans ses ambitions et bridée par la concurrence entre les deux constructeurs français. J'ai également évoqué l'Italie : les entreprises d'un même secteur, concurrentes entre elles sur le marché domestique, sont solidaires entre elles dès qu'elles sont à l'extérieur. Une telle entente n'existe pas en France.

Le programme d'investissements d'avenir, en introduisant ce terme de coopération dans ses objectifs, en a fait une condition pour l'aide aux entreprises. Alors que l'approche française traditionnelle veut que l'on aide une entreprise en lui demandant simplement d'associer ses sous-traitants, le Commissariat général à l'investissement a voulu faire en sorte que les bénéficiaires de l'aide soient tant les sous-traitants que l'entreprise principale. Il s'agit de faire en sorte que les sous-traitants soient associés à l'innovation. Nous avons également créé des institutions, comme les instituts de recherche technologique ou les instituts pour la transition énergétique pour forcer les entreprises à travailler ensemble. Comme en matière de pédagogie, il faut pousser à la roue lorsque l'idée de vient pas spontanément...

Vous m'interrogez, monsieur le rapporteur, sur nos outils défensifs. Juridiquement, le monde change, et l'idée d'une « Europe qui protège », qui paraissait presque obscène il y a quelque temps, revient. Les Français, sur ce point, étaient alors sans doute les plus offensifs dans le discours, mais pas les plus efficaces dans la réalité. Nous avions une attitude ambivalente, ne sachant pas si la priorité était d'attirer les capitaux ou de défendre notre industrie, si bien qu'aucune de ces deux priorités contradictoires ne pouvait être bien assurée. Notre problème tenait aussi à l'absence, critique, d'un réseau de coopération, mieux à même de décourager les prédateurs que le « chacun pour soi ». Je crois donc que le décret Montebourg était bienvenu. Il est envisagé de le renforcer dans d'autres secteurs, fort bien. Je pense, comme je l'ai dit, que la nationalité d'une entreprise est importante. Nos concurrents, l'Allemagne, les États-Unis, l'Italie, n'hésitent pas à assurer, de façon formelle ou informelle, une telle protection.

L'actionnaire est roi ; mais dans le système suédois, par exemple, on sait dissocier le pouvoir de la propriété. Dans les sociétés suédoises, certaines actions représentent dix droits de vote, voire mille dans quelques grandes sociétés. Dans le système américain, il existe des classes d'actions différentes qui permettent, de même, une dissociation. Ce n'est pas indifférent, car des actionnaires de court terme peuvent avoir pour seul objectif un rendement de l'action chaque année croissant, sans que soit pris en considération l'avenir à long terme de l'entreprise. En France, on a développé le droit de vote double pour les actionnaires de long terme. C'est déjà quelque chose, mais cela reste beaucoup moins puissant que ce qui existe ailleurs, d'autant que les mécanismes de gouvernance entrepreneuriale renforcent le rôle des actionnaires quels qu'ils soient.

Qu'en est-il, dans ce contexte, de la participation de l'État. Il se trouve que j'ai dirigé une entreprise qui, à mon arrivée, était détenue à 100 % par l'État, dont la part, lorsque je l'ai quittée, n'était plus que de 15 %. J'ai été directeur de cabinet du ministre de l'Industrie dans la période qui a suivi les nationalisations. Je tiens à le dire, les nationalisations industrielles de 1982 ont été un succès, quand les nationalisations bancaires ont été un échec. Cette réussite tient au fait que le choix des dirigeants n'a pas été fondé sur des critères politiques : ils n'ont pas tous été remplacés comme cela a été le cas dans les banques et l'on a considéré que c'était un métier suffisamment difficile pour exiger des gens de qualité.

Je pense que l'État actionnaire majoritaire, avec des actionnaires minoritaires, est dans une situation fausse, parce que ceux-ci ont tous les droits d'actionnaire, si bien que l'État ne saurait avoir une politique autre qu'actionnariale. C'est pourquoi j'estime que les restructurations intervenues dans l'industrie entre 1982 et 1986 ont été bénéfiques.

Je pense que l'État actionnaire minoritaire est un point d'ancrage utile, sachant que les outils défensifs dont je parlais tout à l'heure sont limités. Le fait que l'État soit entré au capital de PSA à côté de chinois et de la famille comme actionnaire minoritaire apporte une stabilité absolument essentielle. Même chose pour l'État actionnaire à 15 % de Renault ; même chose pour Air France. L'État actionnaire minoritaire, dès lors qu'il est professionnel, qu'il détient une vision de long terme sans prétendre imposer une stratégie - ce qui a été le cas pour Renault - a un rôle à jouer. En tant qu'actionnaire, son métier n'est pas d'être stratège. Il lui appartient d'être stable, et de surveiller les choses, le cas échéant, en actionnaire qui pense au long terme.

Quel bilan, me demandez-vous ensuite, de l'action du Programme d'investissements d'avenir. Je précise que dans le troisième programme, ce qui est consacré aux entreprises représente les trois quarts de l'ensemble. L'objectif est soit de combler des besoins de financement non satisfaits, soit d'encourager des inflexions dont l'entreprise ne mesurait pas pleinement l'importance, comme le numérique ou la transition énergétique - un domaine où la France reste très en retard, si bien que l'on peut considérer que ce sont davantage les Chinois que les Français qui sont industriellement puissants. Certes, l'État peut mener de grands programmes, comme dans la Défense ou l'aéronautique, mais ailleurs, il ne vient qu'en second, et les quelques milliards du PIA ne suffisent pas seuls à produire l'inflexion.

Comment favoriser l'émergence de champions européens ? Vous avez évoqué Alstom-Siemens : il est vrai qu'il s'agit plus d'une absorption que d'une fusion. Vous avez évoqué les chantiers navals avec Fincantieri : je crois que l'opération était inéluctable, au même titre que le rapprochement entre Alstom et General Electric, en son temps. On n'avait alors plus le choix, comme la question de la sidérurgie s'est jouée, en France, avant qu'un Indien ne la rachète.

Créer des champions européens n'est pas facile quand les entreprises concernées sont des concurrents proches. Si l'on avait fusionné Renault et PSA, comme y appelaient certains, outre que cela aurait été un massacre social, le chiffre d'affaires n'aurait pas été une addition des deux, mais beaucoup moins, seul le taux de bénéfice aurait peut-être été meilleur. D'où ma circonspection. En Europe, nos entreprises sont sur les mêmes marchés, avec des produits souvent similaires, si bien que les problèmes d'équilibre sont délicats. J'ajoute, en rappelant l'importance qu'il faut attacher à la nationalité, qu'il n'existe pas de nationalité européenne pour les entreprises. À part le cas d'Airbus, où l'équilibre n'est d'ailleurs pas simple à tenir, je ne connais pas d'exemple de rapprochement entre égaux. Il y a toujours une entreprise qui domine l'autre. Dans le cas de Renault Nissan, j'ai parlé d'une alliance équilibrée, certes, mais cela signifiait que Renault contrôlait Nissan et avait, en retour, à être attentif aux intérêts de cette dernière.

M. Alain Chatillon , président . - Merci de vos propos passionnants, qui structureront notre réflexion sur la bonne structuration des entreprises autour de justes valeurs.

M. Daniel Laurent . - Je vous remercie de nous faire profiter de votre longue expérience, qui enrichit le débat. Je rappelle que la fusion entre Alstom et Siemens est à l'origine de notre mission. Nous sommes inquiets pour l'avenir des sites d'Alstom implantés sur nos territoires, et vos réflexions nous confortent dans nos positions. Vous avez souligné l'importance de la nationalité des entreprises, sujet qui nous interpelle au premier chef. Pour nous, il s'agit, entre Alstom et Siemens, plus d'une absorption que d'une fusion. L'État français peut peser dans la négociation. Si vous aviez un conseil à lui adresser, quel serait-il ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Votre parcours donne il est vrai un éclairage singulièrement intéressant à vos propos. Vous dites qu'il est préférable de voir intervenir l'État en amont, et que l'État actionnaire donne un point d'ancrage utile, une stabilité. Au cas présent, la situation n'est pas la même que du temps du rapprochement avec General Electric, où existaient des garde-fous. On a l'impression, ici, que l'État a volontairement renoncé à l'avantage que représentait la possibilité de racheter les actions prêtées par Bouygues depuis 2014. Connaître votre sentiment sur la situation nous paraît important, alors que les choses vont se cristalliser dans quelques jours.

Sur la question de l'exportation, la commission des affaires étrangères a récemment entendu le nouveau directeur de Business France, qui nous a indiqué vouloir s'appuyer, dans le volet export de son action, sur les régions. Qu'en pensez-vous ? Cela vous semble-t-il de nature à doper les exportations de nos entreprises de taille moyenne ?

Vous saluez les effets du crédit impôt recherche et engagez à assurer sa pérennité : nous ne pouvons que vous rejoindre.

Vous avez évoqué les faiblesses de la formation continue. N'y a-t-il pas, dans l'industrie, où les métiers de la transformation manquent d'attractivité, des freins culturels à lever ? Comment faire évoluer les choses ?

M. Franck Montaugé . - Merci de votre exposé clair et pédagogique. Vous dites que l'État actionnaire n'a pas à être stratège mais qu'il constitue, avant tout, un pôle de stabilité. Diriez-vous la même chose de son rapport à l'économie nationale en général, où l'on entend plutôt dire que l'État ne doit pas faire lui-même mais donner des orientations, autrement dit, être stratège ?

Comment appréciez-vous la situation du pays, après les programmes d'investissement d'avenir successifs, au regard de la transformation économique du monde, de la recomposition des chaines de valeur et de la métamorphose de l'industrie, où convergent désormais numérique, services et productique ?

M. Jean-François Longeot . - Au moment des cessions intervenues il y a quelques années, on nous expliquait qu'il n'y avait qu'un choix, General Electric plutôt que Siemens. Pourquoi fait-on, aujourd'hui, le choix de Siemens ?

Mme Viviane Artigalas . - Nos auditions nous ont montré le rôle très important que pouvaient jouer le dialogue social et l'implication des salariés dans le développement de leur entreprise. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Vous dites les entreprises françaises frileuses en matière d'ouverture du capital. Quelles mesures incitatives pourraient y remédier ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - La clause de rachat qu'a évoquée Mme Perol-Dumont donnait en effet priorité à l'État français. Outre que cela aurait représenté une belle affaire financière, cela eût été instaurer un partenaire stable, veillant sur les intérêts français. La puissance d'Alstom, valorisée à plus de 7 milliards d'euros, est comparable à celle de Siemens, sauf dans le domaine de la signalisation...

Comment remédier à notre retard en matière de robotisation ? S'il se comble dans les grandes entreprises automobiles, tel n'est pas le cas dans celles de deuxième ou de troisième rang, s'il faut en croire La Tribune d'hier.

Pouvez-vous nous dire quelques mots, enfin, des véhicules électriques et des véhicules autonomes ? Quelle est la situation de la France en matière d'objets connectés ?

Mme Michèle Vullien . - Vous évoquez un « retour de la France », lié au changement de Président de la République. Renouer avec le système gaullien peut-il changer notre image et les relations que nous entretenons avec les autres pays ? L'État français et l'État allemand pourraient-ils être amenés à considérer le dossier Alstom autrement ?

M. Fabien Gay . - Merci de cet intéressant exposé, dans lequel je trouve certains points de convergence.

Dans l'affaire Alstom, il ne s'agit pas d'une fusion, mais d'une absorption. Ce qui inquiète, surtout, c'est l'absence de projet industriel, alors que sous dix ans, la France aura un besoin énorme de l'industrie ferroviaire, qui représentera le premier marché européen. Certains des syndicats que nous avons entendus plaident, même si cela peut sembler complexe, en faveur d'un GIE (groupement d'intérêt économique). Qu'en pensez-vous ? Votre avis nous importe d'autant plus que nos inquiétudes pour l'avenir de certains sites nous engagent à creuser des solutions alternatives.

M. Guy-Dominique Kennel . - Ne pensez-vous pas que Siemens rachète, en somme, la SNCF à moindre coût et que le solde en sera une catastrophe sociale ?

M. Louis Schweitzer . - Puisque vous me posez de nombreuses questions sur Alstom, je dois vous avertir que je n'en sais pas plus, sur le sujet, que ce j'ai pu en lire dans les journaux. Prenez mes réponses comme telles.

M. Alain Chatillon , président . - Je rappelle en effet que nous vous avions invité pour aborder essentiellement la question de la réindustrialisation du pays.

M. Louis Schweitzer . - Je ne sais pas pourquoi l'État a renoncé à son exercer le droit de préemption qu'il avait acquis. En tout état de cause, même s'il était resté un actionnaire important, ce n'est pas son métier que de gérer en direct une industrie ferroviaire. C'est une situation que j'ai vécue dans l'automobile. Lorsque je suis arrivé chez Renault, je n'avais nullement l'idée d'une privatisation. Mais j'ai constaté que le rythme de décision et les finalités de l'État n'étaient pas ceux d'une entreprise, ce qui a notamment conduit à l'échec de la fusion Renault-Volvo, d'où j'ai conclu qu'un État majoritaire dans une industrie non régulée, c'est à dire pleinement exposée à la concurrence internationale, n'était pas l'acteur le plus agile...

S'agissant du cas Alstom-Siemens, l'État peut gérer le temps, mais il ne peut gérer éternellement. Ce que je puis ajouter, c'est que si, pour tout dirigeant d'entreprise, les sites ne sauraient entrer dans une consolidation totale, sauf à fragiliser la société, il n'en existe pas moins un élément de compétition entre eux. Quand on attribue une fabrication nouvelle, on fait des comparaisons. Je l'ai vécu chez Renault. Une usine dynamique a plus de chances qu'une autre de se voir attribuer une fabrication. Cette compétition interne est aussi un élément de progrès pour l'entreprise.

En matière de fabrication, comme je l'ai dit, la nationalité compte moins que dans la localisation du siège et de la recherche. Dans la comparaison franco-allemande, la France est plus compétitive pour les coûts. Dans un ensemble qui sera in ultimo piloté stratégiquement, je pense, par Siemens, les sites français ont donc toutes leurs chances. Nous ne partons pas battus. D'autant que Siemens est une entreprise qui a une vision de long terme, dans la tradition du capitalisme rhénan, qui prend en compte aussi l'acceptabilité sociale des décisions. Il n'en reste pas moins qu'existent des technologies concurrentes, et que pour couvrir les besoins en signalisation et en matériels roulants, des choix seront peut être faits.

Pourquoi avoir choisi General Electric naguère et se tourner aujourd'hui vers Siemens ? Outre que General Electric, en pleine restructuration, n'est pas intéressé par le ferroviaire, tout ce que je puis vous dire, c'est que lors du rapprochement Renault-Nissan, on avait considéré qu'un rapprochement avec un Européen proche était plus négatif pour l'emploi qu'avec un concurrent plus lointain...

La faiblesse française à l'export est le fruit de plusieurs facteurs. J'ai dit ce qu'il en était du manque de coopération. Je l'ai dit aussi, les entreprises allemandes ou suisses ont toujours considéré leur base nationale comme une priorité, à la différence de la France, qui préfère fabriquer sur les lieux de vente. Lorsqu'Antoine Riboud a repris l'activité d'une grande marque de bière alsacienne, je faisais partie d'une commission du Plan, et je me suis penché avec lui sur la question. Alors que les grands brasseurs ne se trouvent pas en Allemagne, mais en France, l'Allemagne était exportatrice net, tandis que la France était importatrice net. La raison en est que les brasseurs français fabriquaient, comme cela peut paraître logique, là où ils vendaient, tandis que les Allemands fabriquaient en Allemagne, ce qui produit, mécaniquement, une différence en termes d'exportation. Il est aussi un troisième facteur explicatif, la timidité des PME face à l'exportation. Je pense que les régions, sur ce point, pourraient en effet jouer un rôle essentiel. Lorsque Laurent Fabius a engagé la réforme du ministère des affaires étrangères, je lui ai suggéré l'idée de nommer quelqu'un auprès des préfets, avec mission de lever la crainte des entreprises vis à vis de l'étranger, qu'elles perçoivent comme risqué. Elles redoutent la barrière de la langue, les incertitudes, la distance, les modalités de paiement, bref, il y a beaucoup de craintes à lever, et les régions, comme les services déconcentrés de l'État, ont un rôle majeur à jouer pour parvenir à augmenter non seulement le volume des exportations mais aussi le nombre d'entreprises exportatrices. Quand, dans la région, une entreprise réussit bien à l'étranger, cela a un effet d'entraînement sur d'autres PME. Cette approche régionale me semble plus efficace que d'emmener des troupeaux d'entrepreneur en visite dans un pays, comme je l'ai vu faire, naguère, au Medef. Ce n'est pas une visite éclair de 24 heures qui détermine à se lancer.

Y a-t-il des freins spécifiques à lever dans le domaine industriel, où les métiers de transformation seraient moins attractifs ? Je tiens à dire que dans une usine automobile, le travail à la chaîne est difficile. Quand un col bleu voit défiler 60 voitures à l'heure et qu'il lui faut, sans erreur, faire une opération chaque fois différente en fonction des options, des couleurs, ce n'est pas facile. Cependant, lorsque l'on ouvrait un emploi chez Renault, il y avait toujours pléthore de candidats. Il faut dire que Renault ne payait pas mal, mieux que le Smic. En revanche, nos fournisseurs, sur une chaîne de même difficulté, avaient du mal à recruter, mais c'est qu'ils payaient au Smic... Pour les jeunes - je parle des jeunes car travailler à la chaîne passé 45 ans commence à être difficile, le dos et les bras ne sont plus ce qu'ils ont été - l'idée de pouvoir, avec leur salaire, vivre de façon indépendante compte beaucoup. Or, on ne vit pas de façon indépendante en région parisienne avec un Smic. J'ai été frappé de constater, il y a quelques jours, en Grande Bretagne, que beaucoup de serveurs, dans les restaurants, sont français. Comment expliquer qu'en France, les restaurateurs vous disent qu'ils n'arrivent pas à recruter ? Quand on apprend ce qu'est le salaire en Grande Bretagne et ce qu'il est en France, on comprend qu'un certain nombre de personnes aient choisi de traverser la Manche. Toujours le souci de vivre de façon indépendante de son salaire. Je ferme cette parenthèse, qui va au rebours de la doctrine reçue...

S'agissant de la formation, il me semble que ce qui compte le plus est qu'elle ouvre des perspectives de carrière. Dans le tertiaire, on a assez naturellement l'espoir de progresser ; il n'en va pas de même dans une entreprise industrielle, où l'on a l'impression de se heurter à des plafonds de verre. Pour accéder à la maîtrise, il faut des formations complémentaires. Or, ces formations destinées à l'avancement n'étant pas assez nombreuses ne sont pas dans les perspectives de ceux qui entrent dans une entreprise industrielle. Et, je l'ai assez souligné, la perspective de passer 40 ans de sa vie à la chaîne n'est pas attractive. Il faut donc nourrir les perspectives de formation, et attirer non seulement sur l'emploi mais sur la carrière. D'autant que le fait que les formations initiales soient plus répandues qu'avant a cet effet paradoxal que la promotion interne en est rendue plus difficile.

L'État, s'il n'a pas à se montrer stratège dans une entreprise individuelle, l'est en ce qu'il essaie de pousser dans de grandes directions. C'est le cas avec le Programme d'investissements d'avenir ou avec le Plan d'investissement de 57 milliards. Les lignes directrices sont, comme je l'ai dit, le numérique, la transition énergétique et, de façon générale, la capacité d'innovation. On voit de plus en plus de grandes entreprises, en France, nourrir des start up , et c'est une bonne nouvelle. Elles sont conscientes qu'elles vivent en absorbant des idées, et que si elles sont performantes dans la gestion des idées, elles le sont moins dans leur création. On le voit dans les laboratoires pharmaceutiques : l'invention est faite ailleurs, puis le processus de validation, très onéreux, rentre dans le système industriel de la grande entreprise, qui le fait mieux.

Bien sûr, l'État doit aussi favoriser la compétitivité, y compris ce qu'on appelle la compétitivité hors coût. Certes, on ne ressuscitera pas une industrie horlogère française, parce que les Suisses en ont fait table rase ; je ne pense pas non plus que l'on ressuscitera une industrie de la machine-outil - je parle en connaissance de cause, ayant été au ministère de l'Industrie sous Pierre Dreyfus, dont le plan de soutien a connu un échec. En revanche, dans les textiles techniques, par exemple, on a une industrie qui tient le coup et se développe. Et je pourrais citer d'autres exemples.

Vous m'interrogez sur les vertus du dialogue social et de l'implication des salariés. Je suis un fanatique de ce sujet. Lors me ma première entrée chez Renault, alors que j'étais directeur du contrôle de gestion, on ne présentait au comité d'entreprise que ce que la loi exigeait de nous, c'est-à-dire les comptes de la société mère et pas les comptes consolidés du groupe, qui seuls, pourtant, ont du sens. Si bien que l'on avait forcément un dialogue de sourds. Au fil du temps, on est parvenus à une situation où la cohérence entre la situation de l'entreprise et la prospérité des salariés était perçue par tous, quel que soit le syndicat, parce que l'on ne racontait pas de cracs et que l'on tenait les engagements. Moyennant quoi, durant les treize années où j'ai été président de Renault, alors que nos ventes en France étaient stables, à 700 000 voitures par an, nos fabrications en France sont passées de 1 million à 1,3 million. On a, autrement dit, doublé nos exportations, parce que les salariés avaient perçu que la productivité à laquelle nous encouragions était de leur intérêt.

Comment lutter contre la frilosité des entreprises à ouvrir leur capital ? Je pense qu'il faut faire des courbes d'apprentissage : on a des mécanismes de quasi fonds propres qui font que l'on peut dissocier un peu, mais pas éternellement, l'augmentation du capital et le partage du pouvoir - étant entendu que je pense que le partage du pouvoir a tout de même, à un moment donné, des vertus...

Comment expliquer le retard dans la robotisation ? Outre la question du taux de marge, la pression de l'exportation joue aussi. Si l'on part de l'idée de vendre à l'étranger ce que l'on produit en France, avec des salaires qui sont ce qu'ils sont - on ne va tout de même pas les mettre au niveau polonais ou bulgare -, on est amené à automatiser. Les Allemands, qui veulent exporter à partir de leur base nationale doivent nécessairement le faire. Mais si l'on privilégie, comme en France, une logique conduisant à fabriquer ailleurs, la pression à progresser en coûts est plus faible. Ce sont donc ces deux éléments, les marges - que des mesures récentes restaurent fortement - et l'idée qu'il faut être compétitifs de manière non seulement défensive mais offensive, qui comptent dans la robotisation. Jouent aussi, bien sûr, les aides spécifiques, comme celles que propose le PIA.

J'en viens aux véhicules électriques et autonomes. Je considère que le véhicule électrique a un avenir. Toute la question est dans les batteries, qui sont, pour l'instant, japonaises et chinoises. Il faut néanmoins parvenir à construire des batteries moins chères, qui vivent longtemps : espérons qu'elles soient françaises.

M. Daniel Laurent . - Et l'hydrogène ?

M. Louis Schweitzer . - Je ne pense pas que cela soit, pour l'automobile, la solution d'avenir. Pour les camions ou les bus, soit, mais pas pour la voiture particulière.

Le véhicule autonome est la seconde révolution que connaît l'automobile depuis sa création en 1886, après celle de Ford, qui en a fait un objet populaire fabriqué en série. On a, en la matière, deux constructeurs relativement bien placés, et un équipementier de pointe, Valeo, qui a compris que son succès d'avenir passait par là. Je ne pense pas que nous verrons des véhicules autonomes dans trois ans, comme certains l'ont dit, mais je pense que cela se pourrait d'ici à dix ans.

L'image de la France s'étant améliorée, pourrait-on remettre en cause l'accord Alstom-Siemens ? À mon avis, non. Ne pas respecter un accord est destructeur d'image.

Je ne pense pas, enfin, que Siemens ait l'ambition d'acheter la SNCF. On aura, et c'est ce qui fait peur à Siemens, des concurrents. Chinois, d'abord, parce qu'ils fabriquent chez eux du matériel ferroviaire et de la signalisation. Si bien que la SNCF aura le choix, et que la pression sur Siemens existera pour être efficace et utiliser les compétences d'Alstom. Mais je m'arrête là, car je vois que je suis arrivé à la limite du temps imparti.

M. Alain Chatillon , président . - Merci de nous avoir fait partager votre expérience et vos compétences, et de votre capacité à intégrer toutes les questions qui vous ont été posées. Ce précieux éclairage sera fort utile à notre rapport sur la compétitivité des entreprises.

D. AUDITION DE M. BERTRAND ESCOFFIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SLIP FRANÇAIS (1er février 2018)

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Notre mission a pour ambition, au-delà d'Alstom, d'évaluer la stratégie industrielle de notre pays. Or, cette stratégie ne doit pas concerner seulement les grands groupes, mais également les PME et les ETI.

En quelques années, vous avez créé une entreprise sur un segment de l'industrie textile - le sous-vêtement masculin - en adoptant une stratégie de communication « impertinente » mais aussi en mettant en avant la production en France. C'est aujourd'hui sur votre expérience que nous voulons vous interroger, et sur les pistes qui, selon vous, devraient être davantage explorées à l'avenir pour retrouver un véritable essor industriel.

Voici mes interrogations. En France, aujourd'hui, peut-on être compétitif dans un secteur où l'innovation technologique n'est pas nécessairement le levier fondamental de la croissance, et où domine une logique de « bas coûts » ? Dans l'affirmative, cette compétitivité peut-elle dépasser la compétitivité « de niche », c'est-à-dire s'exercer au-delà d'une gamme de produits très restreinte destiné à un public en nombre très limité ?

Au cours de votre processus de création d'entreprise, puis de développement industriel, quelles sont les difficultés majeures que vous avez rencontrées ? Comment les avez-vous résolues ? Comment éviter que d'autres PME y soient confrontées ?

Dans l'environnement juridique, ou en termes de formation, quelle besoin d'évolution ressentez-vous ?

Une partie de votre production est assurée dans un village de la Dordogne. À l'heure de la mondialisation, et alors que nombre d'experts poussent à un regroupement des sites d'entreprises sur des points localisés du territoire, comment de petites entités de fabrication disséminées sur le territoire peuvent-elles rester compétitives ?

En termes de projection à l'international, avez-vous fait appel à des dispositifs d'aides publics ou parapublics particuliers ? Ces dispositifs, d'une manière générale, vous semblent-ils pertinents ?

M. Bertrand Escoffier, directeur général du Slip français . - Je suis ravi que vous ayez pensé à nous dans le cadre de vos travaux. Notre éclairage portera sur le secteur du textile, qui a beaucoup souffert depuis les années 1990.

La marque a été créée en 2011, par Guillaume Gibault, que j'ai rejoint deux ans plus tard en tant que directeur général. L'entreprise a fait en 2017 un peu plus de 13 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous employons directement une soixantaine de personnes, dont une quarantaine a été recrutée les deux dernières années. Par ailleurs, nous avons calculé que nous avons soutenu ou créé 200 emplois chez nos partenaires. Nous en sommes fiers.

Nous avons des ambitions, pour grandir et continuer à fabriquer en France. Nous fabriquons exclusivement en France, y compris le packaging et le moindre détail de nos produits. C'est un parti pris dès le début. Nous avons souhaité nous appuyer sur le savoir-faire français dans le textile, un secteur qui était assez poussiéreux en France, en particulier pour les sous-vêtements.

Nous sommes une marque digitale : l'une de nos innovations a été d'utiliser, dès le départ, Internet comme notre principal canal de vente et d'échange avec nos clients. Il nous a permis de développer un modèle économique rentable, malgré nos marges qui sont inférieures à celles d'une entreprise qui produit à l'autre bout du monde.

Ce n'est pas un modèle franco-français, il existe aussi, dans les pays anglo-saxons, des marques digitales verticalement intégrées, qui contrôlent leur image, leur distribution et leur production.

Pour répondre à vos questions, aujourd'hui, la question de l'innovation technologique n'a pas été abordée dans le secteur du textile. Nous avons une cinquantaine de partenaires industriels en France. Il s'agit de petites PME de 30 à 100 personnes dotées d'un appareillage âgé de 50 à 100 ans. Les personnes qui utilisent ces machines ont trente à quarante ans d'expérience. Il n'y a pas d'améliorations technologiques, alors que, dans le secteur automobile, on a beaucoup investi et automatisé la production, pour la maintenir en France. Cela n'a pas été le cas pour le textile, et il s'agit d'un enjeu de développement.

Sur les 100 millions de sous-vêtements achetés en France chaque année pour les hommes, moins de 5 millions y sont produits : nous voulons faire grossir cette part. Il ne s'agit pas d'être particulièrement patriote, mais de croire en un autre modèle de fabrication et de consommation, qui s'appuie sur un circuit court. Si tout le monde n'est pas prêt à dépenser trente euros aujourd'hui pour un sous-vêtement, 60 % des gens sont prêts à payer plus cher - certes 10 % de plus, et non trois fois le prix d'un produit de grande distribution - pour acheter un produit fabriqué en France.

Le sens de l'achat et l'origine de la production sont de réels sujets, dans la mesure où l'industrie textile est la deuxième plus polluante après l'industrie pétrochimique. Des scandales ont été mis au jour dans la presse à ce sujet.

Nous avons commencé à nous intéresser à l'innovation technologique dans le processus de fabrication, même si nous ne sommes pas en première ligne car nous ne possédons pas d'atelier en propre. Nous y travaillons avec nos partenaires, par exemple dans le cadre du R3iLab. Des start-up commencent également à y travailler.

Arriver à baisser le coût de fabrication d'un produit est un enjeu important, car notre industrie manufacturière produit à un coût trois fois plus élevé qu'en Afrique du Nord, et cinq à six fois plus élevé qu'en Asie. Il existe aujourd'hui des pistes pour fabriquer les produits à un coût près de deux fois moins important.

Le secteur textile représentait 400 000 emplois dans les années 1990, et 60 000 aujourd'hui. Il n'existe plus véritablement de filière de formation. Il n'y a plus de techniciens pour entretenir les machines, et les mécaniciens ont déjà un certain âge. Les entreprises recrutent des titulaires d'un CAP menuiserie, ou d'une formation qui n'a rien à voir, et doivent ensuite les former pendant 12 à 18 mois pour les rendre productifs. Cette question devient un réel enjeu pour nous, car nos besoins doublent, alors qu'il n'est pas facile de doubler la capacité d'entreprises de 30 à 100 salariés. Ces ateliers procèdent à de grandes vagues de recrutement, mais il faut encore prévoir 12 à 18 mois de formation.

Nous avons aussi des motifs de satisfaction et d'optimisme. La France est reconnue pour sa mode et sa créativité, et nous pouvons nous appuyer sur le savoir-faire français dans le modélisme et le stylisme. Cela ouvre des portes à l'international. La « marque France » est la sixième marque nationale.

Nous n'avons pas vraiment rencontré de difficultés dans le processus de création de l'entreprise. Le coût du travail peut être un frein, mais il est le même pour tous. Il existe des financements, publics ou privés, ce qui est un véritable atout. Nous avons toujours été aidés et soutenus dans ce domaine, même s'il y a toujours des sujets de trésorerie lorsque l'on est une entreprise en très forte croissance.

Sur le plan de l'environnement juridique, il existe des lourdeurs au démarrage, car les mêmes normes s'appliquent à toutes les entreprises, qu'elles emploient 10 ou 500 salariés. Cela oblige à avoir recours à des avocats spécialisés en droit social et en droit des affaires, ce qui représente un coût important.

Vous évoquiez la Dordogne. La production s'effectue effectivement dans plusieurs villages, où sont implantés nos partenaires, souvent dans d'anciens bassins miniers. Ce n'est pas un frein ou une organisation incompatible avec la mondialisation. La proximité de la fabrication permet une certaine agilité, car elle permet d'être livré en quelques jours, de relancer une production très rapidement, etc.

Il n'existe pas vraiment de regroupement dans le secteur textile. Les ateliers emploient en moyenne une centaine de personnes, et le plus gros d'entre eux en emploie 200. Nous ne faisons pas de production de masse, mais jouons sur la personnalisation du produit, et sur l'adaptation de la production en fonction des besoins. Nous ne sommes pas dans une logique de diminution des prix et de soldes, qui est l'un des torts du secteur du textile aujourd'hui : 80 % des volumes y sont vendus à 40 % ou 50 % de réduction, et une grande partie des surproductions sont brûlées, y compris dans le secteur du luxe. Ce n'est pas notre modèle : nous essayons d'acheter au plus juste les quantités dont nous avons besoin. Ainsi, nous avons un modèle plus responsable, plus éthique et plus vertueux, auquel les consommateurs commencent à adhérer.

M. Alain Chatillon , président . - Quels sont vos moyens de distribution ?

M. Bertand Escoffier . - Notre site Internet, qui est le seul à vendre nos produits, représente 70 % des ventes. Nous avons également sept boutiques et devrions en ouvrir cinq autres dans les prochains mois.

Le produit se prête très bien à la vente par Internet : il est léger, et il n'est pas nécessaire de l'essayer une fois que l'on connaît sa taille. Nous élargissons la gamme vers le prêt-à-porter. Nous avons peu recours aux revendeurs, en raison de nos faibles marges.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Vous êtes emblématique d'une niche qui peut encore se développer dans nos territoires. Vous me faites penser aux chaussettes Broussaud, dans le Limousin, qui ont peut-être moins pris le tournant d'Internet, ou aux sous-vêtements Allande, fabriqués en Haute-Vienne, avec un mode de diffusion encore différent.

Vous avez évoqué vos points forts : votre agilité, le savoir-faire de vos personnels et leur fidélité à votre maison. Qu'attendez-vous d'un État stratège ? Du législateur ? Je pense aux enjeux spécifiques rencontrés par les TPE sur les territoires.

Vos produits sont certes un peu cher, mais possèdent de nombreux atouts : la qualité, la modernité et le confort.

Mme Fabienne Keller . - Nous avons parlé de la Haute-Vienne, visitons maintenant l'Alsace ! Nous avons la chance d'avoir à Mulhouse un musée du textile, qui valorise l'histoire de cette industrie ; nous avons les nappes Beauvillé, qui équipent la présidence de la République, les chaussettes Labonal... L'Alsace héberge aussi l'entreprise Schlumberger, qui produit des machines textiles vendues dans le monde entier. Dans l'est, et particulièrement dans la vallée vosgienne, l'industrie textile est donc très présente.

Votre profession est-elle organisée ? Existe-t-il de l'entraide ou, au contraire, chacun reste-t-il trop dans sa niche pour qu'une véritable synergie puisse être créée ?

Mme Pérol-Dumont a cité vos qualités : agilité, audace. J'y ajouterai le marketing : vous avez su trouver un slogan accrocheur, on retrouve le drapeau français sur tous vos produits... c'est formidable ! Selon vous, à quoi tient votre réussite ? Comment peut-on faciliter votre développement ?

Mme Michèle Vullien . - Je m'interroge sur la création de votre entreprise. Vous avez dit vous être appuyés sur d'autres entreprises pour vous développer : tout cela n'est pas apparu ex nihilo .

M. Bertrand Escoffier . - Tout à fait.

Mme Michèle Vullien . - Le textile a beaucoup souffert en France ; il faut aujourd'hui assurer la transmission du savoir-faire, des techniques. Or, d'après vos explications, vous vous appuyez sur des territoires dispersés, dépourvus de grosses industries, et où vous avez détecté des savoir-faire. Comment faites-vous pour assurer un même niveau de qualité à tous vos produits alors même qu'ils sont réalisés sur différents sites ? Comment les nouvelles générations sont-elles formées ?

Votre force vient beaucoup de votre marketing, et notamment votre slogan : « Si vous voulez changer le monde, commencez par changer de slip ! » ; tout de suite, cela accroche ! Ce qui est innovant, dans votre fonctionnement, c'est le mode de vente et le plan marketing ; la fabrication, elle, reste très traditionnelle. Votre expérience prouve qu'il est possible de s'appuyer sur de petites unités et du matériel qui n'est pas forcément neuf. Lors d'autres auditions, on nous a dit : « Les machines sont trop vieilles, elles ont 40 ans ». Pourtant, je crois que ces « vieilles bécanes » fonctionnent encore très bien - pourvu que l'on sache en assurer la maintenance. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez trouvé vos partenaires aux quatre coins de la France ? Comment pourrait-on pérenniser cette démarche ?

M. Bertrand Escoffier . - Tous nos partenaires industriels sont très spécialisés : nous avons des ateliers dédiés aux sous-vêtements, d'autres dans lesquels sont uniquement produites des chaussettes - c'est le cas pour notre partenariat avec l'entreprise Broussaud. Nos maillots de bain sont exclusivement confectionnés en Bretagne, entre Rennes et Saint-Malo, car c'est un des rares ateliers que nous avons pu identifier en France et qui soit capable de nous offrir la qualité que nous recherchons. Nos ateliers sont donc presque tous « mono-produit ». Certes, les machines sont vieilles, mais je vous confirme qu'elles fonctionnent encore très bien !

Mme Michèle Vullien . - Peut-être parce qu'on y trouve moins d'informatique que dans des machines plus récentes ?

M. Bertrand Escoffier . - Effectivement ! Et on les aime, ces vieilles machines. Le problème est que le process reste très manuel : 75 % du prix de revient d'un produit correspond en réalité à la main d'oeuvre. Cela est considérable, d'autant que ce sont des tâches simples et très répétitives, sur lesquelles il faudrait certainement aller vers plus de robotisation. Cette robotisation n'est pas nécessairement synonyme de perte d'emploi : en optimisant le prix de fabrication, elle permettrait de rapatrier en France des volumes de production actuellement délocalisés. Par ailleurs, il est très difficile, aujourd'hui, de recruter : les filières sont certes un peu éteintes, mais surtout, les jeunes n'envisagent plus de travailler sur une machine toute leur carrière. Robotiser la production, c'est donc également attirer des profils de techniciens, une main d'oeuvre qualifiée. Je suis convaincu que le renouveau de l'industrie textile passe par la technologie, la modernisation et l'innovation.

Aujourd'hui, les choses fonctionnent bien avec les anciennes machines. Mais, alors même que nous sommes un donneur d'ordre de taille moyenne, nous allons bientôt rencontrer des problèmes de capacité. Nous avons désormais identifié la majorité des acteurs de la fabrication textile. Comme nous n'avons pas nos propres ateliers - pas encore du moins, car ce sera peut-être le sens de l'histoire -, nous travaillons avec ces acteurs - nous représentons pour certains 20 % à 30 % de leur chiffre d'affaires. Ces ateliers et unités de production sont d'accord pour dire qu'il faut déverrouiller la productivité. Là est l'enjeu et, pour le relever, il faudra intégrer plus de technologie.

Mme Fabienne Keller . - Sous-traitez-vous la fabrication de tous les produits ?

M. Bertrand Escoffier . - Pour le moment, oui.

Mme Sophie Primas . - Mais la tentation est là d'avoir vos propres ateliers...

M. Bertrand Escoffier . - Bien sûr, disposer de nos propres unités de production est tentant. Mais c'est un autre métier, et jusqu'ici nous n'étions pas assez nombreux pour nous permettre cette diversification - nous étions 20 il y a deux ans, nous sommes aujourd'hui près de 60. Ce serait la suite logique de l'histoire, et nous y réfléchissons. Certaines des personnes avec lesquelles nous travaillons vieillissent, et ont cette envie de transmettre leur savoir-faire. Pour l'instant, nous ne sommes pas prêts à franchir le pas, ni d'un point de vue financier, ni d'un point de vue organisationnel.

M. Alain Chatillon . - Pourquoi avoir choisi de distribuer vos produits uniquement par Internet ?

M. Bertrand Escoffier . - Principalement pour réduire le nombre d'intermédiaires, et donc le coût du produit. Internet permet aussi de toucher un maximum de personnes avec une mise de départ relativement faible - notamment grâce aux réseaux sociaux, qui offraient, jusqu'à récemment, une vitrine gratuite pour les produits. Internet est aujourd'hui le premier canal de communication.

Nous avons eu la chance de lancer la marque fin 2011, au moment où le « made in France » est devenu l'un des axes majeurs de la campagne présidentielle. À l'époque, nous n'avions pas offert de slips aux candidats, mais nous avions détourné les affiches officielles de campagne : cela a été notre premier coup de communication impertinent. Cela a très bien fonctionné !

Au final, ce qui n'était au départ qu'un slogan de campagne a fini par s'installer durablement dans le débat : il existe aujourd'hui des Assises annuelles du « Produire en France » - nous y sommes d'ailleurs invités -, qui permettent de fédérer les acteurs. L'entraide existe déjà, nous parlons d'ailleurs bien de « partenaires ». Nous travaillons beaucoup avec Saint-James, Aigle...

Je pense que renforcer la labellisation et le contrôle des marques offrirait un véritable soutien à ce tissu industriel, car le consommateur ne s'y retrouve plus. Il existe le label « Origine France Garantie », qui assure que plus de la moitié de la valeur ajoutée du produit est réalisée en France ; le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », qui promeut les savoir-faire industriels spécifiques. Le Slip Français est labellisé « Origine France Garantie », comme la plupart des entreprises avec lesquelles nous travaillons. Le flou autour du « made in France » gagnerait à être éclairci.

Mme Fabienne Keller . - Combien d'étapes conduites nationalement permettent d'écrire « Fabriqué en France » sur une étiquette ?

M. Bertrand Escoffier . - Je crois que cela est possible dès lors que la dernière étape de fabrication a lieu en France.

L'un de nos choix stratégiques initiaux a été une fabrication 100 % française, que nous avons renforcée en utilisant le « bleu-blanc-rouge » et la cocarde. De fait, nous avons choisi de nous mettre en marge des tendances dès le début : on ne court donc pas après les labellisations. Cependant, c'est un sujet sur lequel il faudra avancer.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Certains sont dubitatifs devant cette campagne de promotion de la marque française, arguant que c'est une niche. Pensez-vous que les choses sont en train d'évoluer ?

Vous dites que votre force réside dans votre campagne marketing. Ne croyez-vous pas que le fait que vos produits soient 100 % français joue également un rôle important dans votre succès ?

Tout à l'heure, vous avez évoqué le domaine automobile. Aujourd'hui, certaines voitures sont presque 100 % françaises, et cela est un atout fort des campagnes de marketing. Pensez-vous que la France fait ce qu'il faut dans le domaine de la communication ? Pourrait-on faire plus ou mieux ?

M. Bertrand Escoffier . - C'est une question difficile. Pour notre part, nous le faisons naturellement, sans chercher à en faire uniquement un objet de marketing.

À sa création, le Slip Français était totalement inconnu. Notre chance, c'est que la campagne présidentielle de 2012 ait fait une large place au sujet du « Fabriqué en France » : cela a été un élément déclencheur. Depuis, les choses sont un peu retombées, mais nous avons continué sur notre ligne, car une fabrication française est signe de savoir-faire, de qualité. Au départ, nous avons ciblé une clientèle plutôt aisée, mais nous nous rendons compte qu'aujourd'hui, nous touchons une large tranche d'âge et que nos clients sont répartis partout en France. Ces personnes sont prêtes à acheter un seul produit dans l'année, pourvu que celui-ci soit de qualité - c'est un fait, nos produits sont qualitativement meilleurs que d'autres, ils tiennent plus longtemps dans la durée.

Je pense que la France soutient un certain nombre d'initiatives : il y a des financements, des aides ; le savoir-faire et la qualité de la fabrication française sont reconnus, y compris à l'étranger. Ce sont en tout cas les valeurs que nous défendons.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Comment organisez-vous la vente par Internet ? Vous vous servez également de campagnes impertinentes : qui produit vos slogans ?

M. Bertrand Escoffier . - Le marketing est géré en interne depuis le début. Nous savons communiquer avec très peu de moyens et quelques bonnes idées : il s'agit de l'un de nos savoir-faire !

Nous faisons sourire les gens en réagissant sur l'actualité : cela crée du lien, tant avec les clients qu'avec le tissu industriel. Nous sommes très transparents dans notre communication, notamment sur la fabrication du produit et sur son coût de revient. Nous n'avons pas de secrets, et cela plaît au consommateur. Nous sommes donc portés par une tendance de fond.

Mme Sophie Primas . - Félicitations ! Il est très plaisant de voir des entreprises réussir. Vous vous appuyez sur un savoir-faire, mais également sur votre fougue, votre impertinence, et un grain de folie. Nous avons besoin d'entrepreneurs avec ce petit grain de génie. Bravo, on est très fiers !

Vous avez indiqué que peu de fournisseurs étaient capables de produire avec le niveau de qualité que vous attendez. Vous vous appuyez donc sur quelques entreprises, qui ont un matériel industriel performant mais vieillissant, et sur quelques personnes qui ont, à titre individuel, le défaut de vieillir elles aussi : la problématique de la transmission des entreprises est donc essentielle. Nous avons bien entendu que vous n'étiez pas prêts à prendre le relais sur la production, sauf peut-être si vous y étiez obligés : comment peut-on vous aider à vous engager dans cette voie ? Que faudrait-il pour que vous vous jetiez à l'eau ?

Peut-on mutualiser certaines tâches en s'appuyant sur les réseaux d'industries du textile ? Quel mode de financement vous semble nécessaire ? Doit-on trouver de nouvelles formes de sociétés ?

Je suis très inquiète de voir tous ces outils industriels disparaître parce qu'ils n'ont plus la cote. La jeunesse a peur d'une vie d'asservissement derrière une machine, pourtant, il y a un savoir-faire incroyable. Si on le perd, on vous perd également : et nous n'en avons aucune envie !

M. Bertrand Escoffier . - Ce n'est pas tant la qualité - c'est bien l'une des forces de la fabrication française aujourd'hui - que la capacité à produire qui va rapidement poser problème.

Les entreprises avec lesquelles nous travaillons comptent en moyenne une centaine d'employés. Nous allons rapidement être limités sur les volumes produits.

Mme Fabienne Keller . - Lorsque vous contractez avec une entreprise, quel volume vous engagez-vous à lui commander ?

M. Bertrand Escoffier . - En 2017, nous avons créé 400 000 pièces. Nous nous engageons dans un partenariat à long terme avec chacun de nos sous-traitants, et nous leur donnons une visibilité de 8 à 12 mois.

Nous sommes dans une période d'hypercroissance - nous doublons notre volume de production tous les ans -, cela rend parfois compliqué les prédictions de volume à moyen terme. Nous sommes dans une position un peu particulière : nous allons très vite, et c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas encore prêts à mettre un pied dans le domaine industriel. Peut-être d'ici deux ans serons-nous prêts à franchir le pas.

Nous n'avons pas encore déterminé ce qui nous permettrait de nous engager dans cette voie dans les meilleures conditions. Concernant le financement, Bpifrance est un formidable outil et nous l'avons beaucoup utilisé - pour obtenir des garanties de prêt, pour ouvrir des boutiques... Il nous a permis de financer notre croissance. Je suis persuadé que si nous arrivons à déverrouiller la production, nous parviendrons à trouver des financements, notamment européens. Mais cela prendra du temps, et nous ne sommes pas assez nombreux pour l'instant pour pouvoir monter les dossiers.

Des initiatives voient le jour, et nous commençons tout juste à nous inscrire dans cette dynamique, car certaines des entreprises avec lesquelles nous travaillons peinent à trouver des repreneurs. Cette année, un de nos sous-traitants a mis la clé sous la porte, nous avons dû réaffecter les volumes. Nous avons conscience de ce problème lié aux capacités de production, et les idées viendront !

Je ne suis pas inquiet sur la reprise des entreprises, car il y a un regain d'intérêt des jeunes pour l'industrie. Parmi les repreneurs, nous trouvons de plus en plus de jeunes trentenaires : Seven Fashion est née sur les cendres de Lejaby grâce à Agathe, qui n'a pas 30 ans ; notre fabricant de maillots de bain a pris la suite de l'entreprise familiale, il vient de souffler ses 30 bougies. Nous les mettons en relation avec les start-up que nous avons identifiées pour automatiser certaines étapes de fabrication. Ça bouillonne, nous avons des raisons d'être optimistes !

Mme Fabienne Keller . - Comment êtes-vous organisés ? Existe-t-il des organisations par filière ou par pôle de compétitivité ?

M. Bertrand Escoffier . - Tout à fait ! Nous sommes membres de la fédération de la maille et de la lingerie, qui subventionne notre présence sur certains salons, et nous possédons le label « Origine France Garantie », qui est notamment à l'origine du salon du Made in France, le MIF.

M. Cédric Perrin . - Vous avez dit que l'un de vos sous-traitants avait « mis la clé sous la porte ». À quel point vos sous-traitants sont-ils dépendants des commandes que vous leur passez ? Travaillent-ils uniquement pour vous ?

M. Bertrand Escoffier . - C'est très variable. Nous pesons 20 % à 30 % du chiffre d'affaires de certaines entreprises. C'est la limite à partir de laquelle nous cherchons d'autres relais. Certaines entreprises cherchent à s'accroître, mais ce n'est pas le cas pour toutes. D'un côté, nous avons des personnes en fin de carrière qui n'ont pas envie de relancer un cycle de croissance, d'autant qu'ils ont connu près de vingt ans de crises de restructuration. On ne peut pas leur en vouloir ! De l'autre côté, des jeunes motivés, qui ont envie de reprendre des ateliers et de s'appuyer sur les capacités dormantes. Ce sont deux dynamiques différentes. Pour quelques grandes maisons, il faudra trouver un repreneur avec les reins solides.

M. Fabien Gay . - Je m'associe aux félicitations de mes collègues. Bravo ! Nous devons valoriser des réussites comme la vôtre.

Je m'interrogeais sur votre engagement dans la voie de la production. Certes, ce n'est pas le même métier, mais je crois que ce sera le sens de l'histoire. D'ailleurs, vous l'avez dit : s'il n'y a plus d'entreprises, vous devrez vous y mettre si vous ne voulez pas vous délocaliser !

Par ailleurs, vous avez dit que vous n'avez pas eu de problèmes de financement : cela m'interpelle ! C'est un discours que l'on a rarement l'occasion d'entendre de la part des TPE/PME. Pouvez-vous nous indiquer plus précisément comment vous avez obtenu vos financements ?

En tant que législateur, je suis également intéressé par les « lourdeurs juridiques » que vous avez évoquées.

M. Bertrand Escoffier . - Je rebondis tout d'abord sur la question des besoins. J'ai reçu ce matin même une proposition de l'entreprise d'innovation textile TopTex Cube, sur la création, à l'horizon 2019, d'une chaîne de fabrication de sous-vêtements robotisée. Le budget d'investissement se monte à 600 000 euros. Nous réfléchissons sérieusement à investir : nous sommes plus que simplement « chatouillés » par l'idée ! Les choses deviennent concrètes.

Concernant le financement, je ne dirais pas que les choses sont faciles ; en revanche, aujourd'hui, il existe des financements pour les TPE innovantes qui génèrent de la croissance. S'il est essentiellement privé, grâce à des fonds d'investissement, il existe également du financement public : Bpifrance est un comptoir unique incroyable. Ce qui est important, c'est de limiter le nombre d'interlocuteurs.

Quant aux lourdeurs, je peux citer un exemple : nous avons reçu une subvention de la région Ile-de-France, le décaissement se fait sur facture. Très franchement, aujourd'hui, je m'y perds encore sur les critères d'éligibilité des factures... Il m'arrive d'envoyer des factures sans savoir si elles rentrent ou non dans le cadre de la subvention ! Heureusement, nous ne sommes plus à l'euro près en fin de mois, donc ce n'est pas un réel problème. Mais il y a trois ans, cela aurait été beaucoup plus compliqué à gérer...

M. Martial Bourquin , rapporteur . - On nous disait : « Le textile, c'est terminé. » Vous nous prouvez le contraire.

Vous vous êtes volontairement éloigné des produits à bas-coûts. Vous allez même plus loin, en assurant la qualité de votre produit tout en annonçant aussi votre marge : c'est une stratégie étonnante ! Et elle est soutenue par une campagne marketing forte. Vous faites les prix, vous limitez les intermédiaires : il semblerait que ce soient les ingrédients de la réussite !

M. Cédric Perrin . - Votre succès vient probablement de votre politique de prix, présentée comme un gage de qualité. Pourtant, vous avez annoncé que vous alliez améliorer le processus industriel, ce qui va diminuer le coût de fabrication. Si votre objectif est de baisser les prix, je pense que c'est une grave erreur ! Allez-vous réellement baisser les prix, ou envisagez-vous d'augmenter votre marge ? Le prix n'est-il pas un gage de qualité ?

M. Bertrand Escoffier . -  Oui et non ! Ce qui est rare est cher, l'inverse n'est pas nécessairement vrai... Aujourd'hui, 75 % du prix de fabrication de nos produits correspond à la main d'oeuvre. Le processus de fabrication d'un caleçon n'a pas été revu depuis 60 ans : c'est à cela que nous allons réfléchir.

M. Cédric Perrin . - Mais si le coût du caleçon passe de 35€ à 20€, ne pensez-vous pas que les consommateurs vont associer cette baisse à une diminution de la qualité ?

M. Bertrand Escoffier . - Nous l'expliquerons ! C'est du marketing, à nous de savoir raconter les choses... Les marges que nous dégageons actuellement nous permettent d'être tout juste rentables. Si on maintient ce niveau de marge et que l'on parvient à diminuer le coût de fabrication, le prix final du produit baissera.

Peut-être créerons-nous une autre gamme ? Rien n'est arrêté, mais nous sommes conscients du besoin de toucher une population plus large.

M. Cédric Perrin . - J'aime vous comparer au Coq Sportif, car à mes yeux, c'est également une belle réussite.

Dans leur boutique du boulevard Saint-Germain à Paris, ils présentent à la fois le produit « standard » et celui fabriqué en France, dont le prix est 20 % à 30 % supérieur. C'est au client de faire son choix. Est-ce quelque chose que vous envisagez de mettre en oeuvre ?

M. Bertrand Escoffier . - On ne différenciera pas le produit sur l'origine. Sans être moins abouti ou moins qualitatif, ce sera tout simplement un produit différent. Nous y réfléchissons.

Nous savons que tout le monde ne peut pas se payer un caleçon à 35 €. Nous sommes sur une niche qui n'a pas encore atteint sa capacité maximale, d'autant que nous avons d'autres produits que les sous-vêtements. Mais l'enjeu, c'est de changer le monde ! Et pour changer le monde, il faut commencer par toucher tout le monde.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Vous déclinez le drapeau français sur tous vos produits. À quel moment avez-vous fait ce choix ? Pourquoi ? Pensez-vous que le besoin d'identité actuel vous a porté ? Ne croyez-vous pas qu'il serait risqué pour votre marque d'abandonner la cocarde ?

M. Bertrand Escoffier . - Notre première série, en 2011, était déjà siglée « bleu-blanc-rouge ». Ce que nous n'avions pas prévu, et qui a sans conteste porté notre développement, c'est que le « fabriqué en France » s'inviterait dans le débat lors de la campagne présidentielle de 2012. C'est un heureux hasard ; cela a été notre chance.

À l'époque, lorsque les journalistes qui souhaitaient entendre l'industrie textile française s'adressaient à nous en disant : « On n'a pensé qu'à vous ». La marque s'est donc rapidement retrouvée dans les médias, mais ce n'était pas prévu. C'est un petit « miracle ».

Notre identité est la même depuis nos débuts : nous sommes fiers de la cocarde, elle cible nos produits, et nous la garderons.

M. Alain Chatillon , président. - Merci d'être venu.

E. AUDITION DE M. HENRI POUPART-LAFARGE, PRÉSIDENT-DIRECTEUR-GÉNÉRAL D'ALSTOM (15 février 2018)

M. Alain Chatillon , président . - Monsieur le président-directeur-général, nous sommes heureux de vous accueillir. Nous sommes inquiets de l'avenir du groupe français que vous présidez. Nous avons effectué plusieurs visites de vos sites et nous souhaitons obtenir des précisions sur la situation dans laquelle il se trouve, votre volonté de faire en sorte, avec l'appui du Gouvernement, de défendre sa pérennité et le maintien de ses emplois, dès lors que le marché français du ferroviaire est fort et que des commandes sont encore à venir.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous étions à Munich il y a deux jours, où nous avons rencontré un membre de la direction de Siemens, avec lequel nous avons eu un débat franc et ouvert sur les conditions de la fusion entre Siemens et Alstom.

Il nous a apporté certaines réponses ; d'autres, en raison de la loi européenne antitrust, seront abordées publiquement par la suite.

Nous avons également visité les sites de Belfort et d'Ornans, dont la qualité nous a vivement impressionnés. Nous y avons rencontré les syndicats, que nous avons trouvés préoccupés par l'avenir de l'entreprise et, surtout, par l'accord avec Siemens.

Nous pensons, comme vous, que l'effet de taille est crucial dans le contexte de la concurrence mondiale et de l'émergence de géants, et qu'il est donc nécessaire d'opérer des rapprochements afin d'entrer dans cette nouvelle ère de la mondialisation dans les meilleures dispositions.

La question qui se pose est la suivante : ne peut-on pas parvenir à la taille critique sans payer le prix de la perte de contrôle d'un fleuron industriel comme Alstom ? Nous craignons que cela soit en train de se passer avec l'absorption d'Alstom par Siemens. Pourquoi avoir choisi Siemens, que l'on nous a décrit comme un « ennemi irréductible » d'Alstom sur les marchés, plutôt qu'un autre groupe, comme Bombardier, par exemple ?

Comment a été négocié ce rapprochement ? De quelles informations disposait l'État, qui était un acteur important grâce au prêt des actions possédées par Bouygues, et comment est-il intervenu ? Nous avons entendu dire que ce rapprochement aurait été impossible si l'État était resté au capital, en raison de l'opposition de Siemens. Confirmez-vous cela ? Comment peut-on expliquer que les modalités d'évaluation des actifs des entités permettent à Siemens de ne pas débourser d'argent dans l'opération ?

Quels sont les résultats attendus de cette fusion, qui ressemble à une absorption, dès lors que l'actionnaire allemand détiendra plus de 50 % des actions de l'ensemble ? Siemens nous a confirmé que vous resteriez à la tête du groupe et que celui-ci serait coté à Paris. Toutefois, dans un groupe, ce qui fait la différence, c'est le conseil d'administration !

Vous aviez indiqué antérieurement que l'opération créerait des synergies à hauteur de 470 millions d'euros. Comment ce chiffre a-t-il été calculé et dans quels domaines se trouvent ces synergies ?

À Ornans, nous avons appris que trois sites du nouveau groupe fabriquaient des moteurs, un en Allemagne et deux en France. Comment éviter les doublons, voire les « triplons », qui pourraient menacer certains sites ?

Vous expliquez que l'opération générerait de forts taux de valeur ajoutée, en particulier dans la signalisation. Ne craignez-vous pas que, dans ces domaines, la redondance l'emporte sur la complémentarité ?

Vous avez apporté des garanties pour quatre ans en matière d'emploi et de maintien de l'activité en France, mais leur consistance suscite des craintes compte tenu du tableau de commande d'Alstom et au vu du sous-investissement décrit par les syndicats dans les sites de Belfort et Ornans, au regard de sites similaires en Allemagne.

En France, les syndicats s'opposent unanimement à cette opération. Ce n'est pas le cas en Allemagne, où IG Metall a signé un accord avec Siemens. Doit-on y voir un indice que le nouveau groupe favorisera l'Allemagne plutôt que la France ? En France, avec ses douze sites, Alstom est un facteur d'équilibre dans des bassins d'emplois qui souffriraient en cas de fermeture.

M. Henri Poupart-Lafargue, président-directeur général d'Alstom . -Je vous avais rencontré dans un format différent le 11 octobre dernier.

Deux axes principaux permettent d'expliquer les raisons pour lesquelles nous avons mené cette fusion. Le premier a trait à la croissance très importante des marchés de notre secteur à travers le monde, dont Alstom a bénéficié. Son chiffre d'affaires est ainsi passé de 5 milliards à 8 milliards d'euros dans les cinq dernières années, avec des succès obtenus en Australie, en Amérique latine ou en Afrique. Cela a d'abord bénéficié aux sites français.

Cette croissance s'accompagne d'une demande de plus en plus forte de production locale et d'accompagnement local en ingénierie et en gestion de projets de la part des États et des régions. En Australie, ce sont même les États fédérés qui le demandent.

Nous devons donc atteindre une taille critique permettant une telle couverture mondiale grâce à un réseau de sites à travers le monde. C'est une course de vitesse dans laquelle nous sommes bien partis, comme Siemens ou le groupe chinois CRRC depuis 2014. Cette course désignera les deux ou trois grands acteurs globaux, qui seront Siemens-Alstom, CRRC et Bombardier ou Hitachi. Les autres resteront des acteurs régionaux. Ainsi, certains groupes japonais quittent aujourd'hui les États-Unis, alors qu'Hitachi a choisi d'être un acteur global. C'est ce groupe, par exemple, qui produit la signalisation des TGV en France.

Dans cette course à la globalisation, Siemens apporte cet effet de taille tout en étant complémentaire de nos implantations. Il est plus fort que nous en Chine, en Turquie, mais moins que nous en Inde, par exemple. Nous ne sommes en concurrence directe que sur 10 à 15 % des appels d'offres, soit moins qu'avec Bombardier.

Le deuxième axe est lié à l'avenir des transports. Nous sommes à la veille d'une révolution dans la mobilité. Les besoins non couverts sont énormes alors que, dans les grandes villes matures, les vitesses moyennes baissent. Nos déplacements continuent à émettre de plus en plus de CO 2 et, en ce qui concerne le diesel, des particules. Dans dix ans, le diesel nous posera peut-être le même problème que l'amiante aujourd'hui !

Personne ne peut prévoir la solution qui émergera. Dans le domaine de l'énergie, celle-ci a été globalement trouvée, les black-out sont rares et le renouvelable permet de résoudre de nombreux problèmes. Dans le domaine du transport, nous ne savons pas encore.

Nous savons seulement que la solution sera électrique, pour des raisons environnementales, soit de bout en bout, soit avec une solution intermédiaire, comme l'hydrogène. Nous travaillons d'ailleurs sur l'autoroute électrique. La solution sera également partagée, parce que c'est le seul moyen d'optimiser des infrastructures extrêmement chères et sous-utilisées.

Comment gérer ces nouvelles mobilités ? Grâce à quelle technologie numérique ? Avec quels types de véhicules ? Les axes principaux resteront ferroviaires, parce que c'est le mode le plus efficace en matière de capacités, d'énergie et d'emplacement au sol. Pour le reste, on ne sait pas.

Siemens nous est apparu comme le meilleur partenaire parce qu'il dispose d'une technologie numérique très importante. Bombardier est, par exemple, beaucoup moins avancé dans ce domaine. Selon nos analyses internes, Siemens nous est toujours apparu comme la meilleure option, à condition que cette alliance comprenne la partie numérique. Or il s'agit de la pépite du groupe, qui n'était pas sur la table dans le passé.

Vous nous dites « ennemis irréductibles », mais tout dépend du contexte. Dans le football, quand vous jouez pour l'OM, votre ennemi juré est le PSG, jusqu'à ce que vous soyez transféré et deveniez Parisien...

Nous sommes parfois en compétition, mais nous travaillons également ensemble, en coopération, et cela se passe bien. Nous travaillons d'ailleurs souvent avec Bombardier, et nos activités sont d'ailleurs beaucoup plus redondantes qu'avec Siemens. La solution que nous avons choisie était donc de loin la meilleure.

S'agissant du rôle de l'État et des actions de Bouygues, il est vrai que la transaction que nous proposons est unique et peut être vue sous différents angles.

D'une part, Siemens Mobility est racheté par Alstom. Les employés allemands de Siemens sont d'ailleurs également inquiets, parce que le siège social de la nouvelle entité est à Paris, que j'en serai le dirigeant et que les décisions opérationnelles seront prises à Paris. Siemens Mobility est en train d'être séparé du reste du groupe Siemens, physiquement, informatiquement et légalement. Il se passerait exactement la même chose si Siemens Mobility était vendu à un groupe qui ne garderait aucune attache avec le groupe Siemens.

D'autre part, à l'inverse, le groupe Siemens sera l'actionnaire de contrôle d'Alstom, via le conseil d'administration. Celui-ci, toutefois, ne prend pas de décisions opérationnelles, mais seulement de grandes décisions stratégiques. Si un arbitrage était nécessaire entre le site d'Ornans, par exemple, et un site allemand, la responsabilité en reviendrait à la direction du groupe, qui est en charge de la convergence des produits.

Reste, néanmoins, la question du contrôle. Cet équilibre est-il, en soi, une mauvaise chose ? Siemens est un grand groupe européen, qui s'inscrit dans la durée, avec une tradition industrielle et technologique très forte. Selon moi l'avoir comme actionnaire n'est pas une mauvaise idée.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Ne pensez-vous pas que l'on aurait pu parvenir à un équilibre parfait ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Les données de départ ne le permettaient pas. Aurait-il été préférable de trouver un équilibre actionnarial différent et de placer le siège social à Munich ? Même en me plaçant dans un point de vue franco-français, je n'en suis pas certain.

Il y a une vingtaine d'années, quand j'ai commencé chez GEC Alsthom, c'était un groupe franco-anglais. GEC et Alcatel ont vendu leur participation et la localisation du siège a joué un rôle très important pour faire d'Alstom un groupe français dans l'imaginaire collectif.

Nous sommes deux entités de même taille. Nous sommes cotés en bourse, Siemens Mobility est détenu à 100 % par Siemens. Siemens apporte son activité dans le panier, qui est un peu plus rentable que la nôtre, et en mélangeant nos deux activités, il se retrouve naturellement avec 50 % des parts. De même, Bouygues, qui possédait 30 % d'Alstom, obtiendra naturellement 14 % du nouveau groupe.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Le dirigeant de Siemens que nous avons rencontré nous a dit qu'il lui semblait normal de retrouver au conseil d'administration le même équilibre qu'entre les deux chiffres d'affaires des entités : 8 milliards d'euros pour Siemens Mobility, 7 milliards d'euros pour Alstom.

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est un sujet plus symbolique qu'autre chose. En effet, Siemens est légèrement plus profitable, et obtient donc la majorité au conseil d'administration. Un équilibre parfait, avec chacun 50 %, n'était pas possible. Siemens contrôle l'assemblée générale de l'entreprise, et donc son conseil d'administration. Sauf à trouver un acheteur pour 50 % de l'ensemble, il était impossible de trouver un autre schéma. Nous faisions ainsi, ou nous ne faisions rien.

Pour l'État, il aurait été inutile de posséder 5 % ou 10 %. Nous sommes très proches de l'État, comme acheteur et comme régulateur. Tant que des acteurs privés n'achèteront pas de métro, nous serons par définition proches des acheteurs publics ! Selon les termes de la transaction, il a toujours été clair que l'État n'interviendrait pas.

On peut jouer avec les hypothèses et se demander si Siemens aurait accepté que l'État impose d'avoir 5 % de l'ensemble. Dès le départ, la proposition de Siemens n'intégrait pas la participation de l'État, et celui-ci ne semblait pas considérer que c'était un point essentiel. L'équilibre de la gouvernance prévoit que l'opérationnel s'opère à Saint-Ouen, et que le contrôle soit Allemand.

M. Alain Chatillon , président . - Quelle est la structure du groupe Siemens, juridiquement ? Est-ce une fondation ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est une structure légale allemande parfaitement classique, cotée à la bourse allemande. Ils mettront en place des holdings entre le groupe Siemens et les 50 % qu'ils posséderont dans Alstom SA, comme ils le font pour une entreprise d'énergie éolienne en Espagne. Gérer des participations dans des groupes autonomes n'est pas pour lui une activité nouvelle.

M. Alain Chatillon , président . - Ma question concernait en réalité l'aspect fiscal. Les fondations bénéficient d'importants avantages fiscaux.

Sait-on ce que veut faire Bouygues aujourd'hui ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Bouygues s'est engagé à rester jusqu'à l'assemblée générale d'Alstom qui entérinera l'opération. Cela ne signifie pas pour autant que ses actions seront en vente le lendemain.

M. Alain Chatillon , président . - La date d'option de rachat des actions Bouygues par l'État a-t-elle bien été dépassée ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Tout à fait, elle était fixée en octobre dernier.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Soyons clairs, nous voyons positivement cet accord, mais nous nous interrogeons sur les conditions dans lesquelles il est intervenu. Nous sommes habitués au groupe Airbus, dans lequel les États sont présents sans que cela pose problème. Siemens est un vrai groupe industriel.

Nous sommes inquiets quand nous voyons ce qui se passe aujourd'hui dans la branche énergie d'Alstom, avec les dernières déclarations du nouveau PDG de General Electric. À Munich, nous avons vu combien les Länder sont liés à leur économie. Le PIB de la Bavière est plus important que celui des Pays-Bas, cela représente une puissance considérable. Nous ne nous demandons donc pas pourquoi vous avez choisi Siemens, mais pourquoi vous n'avez pas réalisé une sorte d'EADS du ferroviaire.

M. Henri Poupart-Lafargue. - Ce sont deux situations très différentes, dans la mesure où Siemens Mobility n'était pas un groupe indépendant. Il y a deux types de fusions. Quand deux groupes indépendants se marient, il s'ouvre un débat de personnes pour savoir qui sera le patron et où sera le centre de gravité. Dans notre cas, Siemens Mobility est une division du groupe Siemens, qui l'apporte à Alstom. Nous ne disposons pas d'un actionnaire français du même ordre et la situation est asymétrique, avec, d'un côté, une division d'un grand groupe et de l'autre, le groupe Alstom dans son entier. Le choix de faire autrement ne s'est donc pas présenté, et il n'existe pas de schéma alternatif qui le permette, car le seul actionnaire est Siemens !

Siemens a accepté un équilibre original, avec un actionnaire de contrôle, et le management opérationnel confié au groupe qui était déjà en place. Il n'a pas imposé l'entrée d'un certain nombre de ses hommes dans le comité exécutif, le siège social se trouve à Saint-Ouen, le groupe est coté à Paris. La seule question de personne qui s'est posée, c'est la mienne !

EADS est un très bon exemple, mais la question des nationalités se pose constamment et partout. J'espère que nous connaîtrons plus de sérénité, parce que chez nous, c'est clair : l'opérationnel est entièrement géré par la direction.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - L'État vous a-t-il suivi durant ces négociations ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Oui, depuis le premier jour du Gouvernement.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Selon l'accord, déséquilibré, entre Siemens et Alstom, c'est le conseil d'administration qui tranchera en cas de problème sur le capital.

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est une question d'actionnariat. Aujourd'hui, Alstom est sous le contrôle de Bouygues, qui dispose de 30 % des actions. Si Bouygues voulait me renvoyer, il le pourrait, puisque le rôle principal d'un conseil d'administration, c'est le choix du dirigeant. Or personne n'a posé ce genre de questions pour Bouygues. Devrions-nous considérer que Siemens est un mauvais actionnaire ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Non, nous souhaitons seulement qu'il soit à égalité.

M. Henri Poupart-Lafargue. - À égalité avec qui ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Avec vous !

M. Henri Poupart-Lafargue. - Mais je suis manager, je ne suis pas actionnaire ! Il me semble qu'il y a un débat sous-jacent ici. Si, à la place de Siemens, il s'agissait de Schneider, vous ne poseriez pas cette question. Siemens est un groupe allemand. Cela le conduira-t-il à prendre des décisions biaisées sur l'outil industriel ? Je ne le pense pas, parce que les gens sont plus rationnels qu'on ne le pense. L'outil industriel est tiré par les compétences, la qualité des personnes et le marché local. Nous avons racheté Fiat Ferroviaria, et le site italien s'en porte bien. Il en va de même en Espagne.

Je ne pense pas une seconde que les décisions de Siemens seront guidées par le fait qu'il est allemand plutôt que français. À l'inverse, il me semble courageux qu'il abandonne les décisions quotidiennes, par exemple sur l'attribution des marchés aux usines, à la direction opérationnelle du groupe à Paris.

Vous voyez la situation en termes de « partie allemande » et de « partie française », mais si Siemens garde le contrôle, il a confié à la « partie française » la gestion quotidienne. C'est courageux ! D'ailleurs, l'inquiétude est plus importante dans les sites allemands de Siemens que dans les sites français d'Alstom.

Mme Fabienne Keller . - J'ai trois questions. La première : comment se porte Alstom France, en termes de carnet de commandes ? Nous sommes deux ans avant la fusion, il faut que l'entreprise se porte bien d'ici là. Vous connaissez mon attachement en particulier au site de Reichshoffen, qui produit maintenant des trains régionaux. C'est un bout d'industrie comme nous n'en avons plus tellement en France. Ce site a en outre une grande importance pour l'emploi, pour le lycée professionnel, etc.

Pouvez-vous nous parler de l'ambiance qui règne dans vos relations avec Siemens, de manière plus qualitative ? Ressentez-vous de la confiance ?

Enfin, nous sommes tous en contact avec les syndicats qui sont très inquiets parce qu'ils disposent de très peu d'informations. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Fabien Gay . - Nous avions déjà échangé, mais le débat d'aujourd'hui est différent. Vous nous aviez alors parlé de mariage entre égaux, et vous n'employez pas ces termes aujourd'hui. Martial Bourquin a parlé d'une « absorption », vous aviez réfuté le terme précédemment, mais vous ne l'avez pas fait aujourd'hui. Discutons-en ! Je vois une évolution dans votre discours, alors que certains journaux parlent même d'une donation d'Alstom à Siemens.

J'étais à Munich, nous avons beaucoup échangé et rencontré de nombreux acteurs. Nous ne sommes pas opposés aux coopérations entre les entreprises, alors que vous connaissez ma sensibilité communiste. Nous nous demandions s'il n'aurait pas été mieux de fonder un EADS du ferroviaire, vous y avez répondu. On aurait pu envisager également de fonder un groupement d'intérêt économique, un GIE, dans lequel chaque groupe garderait ses entités. Qu'en pensez-vous ?

La direction de Siemens nous dit que la fusion vous permettra d'être plus forts pour affronter la concurrence mondiale, en particulier CRRC. Ce raisonnement est pourtant contesté par certains économistes, qui relèvent qu'en fusionnant deux entreprises moyennes, on ne fait pas forcément un ogre, mais on laisse plus de place sur le marché.

Nous avons besoin de comprendre le vrai projet industriel qui est derrière cette fusion. Quels choix seront faits ? Privilégiera-t-on le TGV ou l'ICE ? Ces synergies, évaluées entre 380 à 470 millions d'euros, comprennent-elles des suppressions de postes ou de sites ? Les Bavarois nous l'ont dit : si trois sites font la même chose ; il faudra en privilégier un.

Enfin, la relation entre les syndicats français et la direction n'est pas comparable à la cogestion à l'allemande. Si IG Metall a signé, c'est qu'il a obtenu des garanties sur l'emploi. C'est cela qui nous alerte.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Nous avons entendu vos arguments, mais aussi ceux des représentants syndicaux, dont le discours unanime, de la CGT à la CGC, en passant par FO et la CFDT, indique à quel point ils sont inquiets. Comment entendez-vous prendre en compte leurs inquiétudes légitimes et y répondre ?

Mme Michèle Vullien . - Je suis attaché à Villeurbanne et à son site, qui fonctionne plutôt bien. Alstom est un beau fleuron, je suis membre d'un syndicat de transports publics et nous travaillons beaucoup avec vous. Les collectivités territoriales sont les donneurs d'ordres de ces marchés, nous sommes donc bien ensemble.

Vous parvenez à une taille importante, mais est-ce que Bombardier n'est pas en train de mijoter quelque chose avec CRRC ?

Mme Viviane Artigalas . - Je voudrais souligner l'importance de l'industrie dans les Hautes-Pyrénées. Pourtant, nous perdons régulièrement des emplois industriels. Ainsi, Vallourec a vendu certaines de ses activités à un groupe américain, mais le site de Tarbes n'a pas été repris, ce qui a suscité une grande émotion. Il est d'autant plus important qu'Alstom maintienne ses activités d'ingénierie et de production à Tarbes, qui pourraient même se développer.

Vous êtes en charge de la gestion opérationnelle, et donc de la stratégie industrielle. Celle-ci permettra-t-elle de maintenir à long terme, et pas seulement sur quatre ans, les sites et les emplois en France ?

M. Frédéric Marchand . - Comparaison n'est pas raison, mais une autre fusion récente vient à l'esprit, dont on parle moins, alors qu'elle engage autant de capitaux : Essilor et Luxottica. J'étais à Petite-Forêt quand vous êtes venu avec M. Bruno Le Maire annoncer la fusion, et nous avons bien senti la volonté des collaborateurs du groupe d'aller plus loin. M. Le Maire avait pris l'engagement de mettre en place un comité conjoint, où il siégerait avec son homologue allemand, afin de s'assurer que les clauses sociales contenues dans l'accord de fusion seraient respectées. Je ne doute pas que cela sera le cas, mais je souhaite savoir où en est ce processus. L'objectif est de répondre aux inquiétudes relayées par les syndicats concernant le niveau de commandes et l'emploi.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous sommes allés voir deux sites, nous en visiterons d'autres.

M. Henri Poupart-Lafargue. - Vous y serez bienvenus. Par coïncidence, il y en a un par région.

Revenons sur Alstom en France. La collaboration à l'intérieur des filières et avec les pouvoirs publics, notamment locaux, est très importante pour notre industrie. Il me semble que nous entretenons d'excellentes relations avec les différents acteurs locaux. Cette collaboration touche l'innovation et les centres de compétence - à Tarbes, pour la traction, à Villeurbanne, pour l'électronique - et l'articulation de la commande publique.

Nous avons aujourd'hui quelques difficultés de charge, qui alimentent l'anxiété. Celles-ci ne sont pas liées aux faits que le marché français ne serait pas bon, ou que nous échouerions à l'export, mais au fait que Bombardier est en situation de surcharge et de sous-capacité, depuis que 80 % des trains régionaux lui ont été commandés plutôt qu'à Alstom. On voit bien que l'impact de la commande publique, qui découle ici de décisions prises il y a une dizaine d'années, est très important.

Où en sommes-nous ? Les sites de Belfort et de La Rochelle se consacrent au TGV et sont dépendants du projet de TGV du futur, dont nous discutons de manière très adulte avec la SNCF. Nous nous sommes mis d'accord sur les objectifs, les coûts, l'innovation et sur le train lui-même. La commande dépendra de la visibilité qu'aura la SNCF sur le schéma global, nous attendons d'ailleurs le rapport de M. Spinetta à ce sujet d'un instant à l'autre. Je suis plutôt confiant. Ces sites auront peut-être des creux, mais si nous disposons d'une certaine visibilité à long terme, la situation deviendra plus favorable.

Les sites dits « composants » comme Villeurbanne, Tarbes, ou Saint-Ouen, résonnent des succès d'Alstom dans le monde ; les sites dits « intégrateurs » comme Reichshoffen, Belfort, Valenciennes ou La Rochelle vivent plutôt au rythme du marché français et de l'export sur financement français. Le site de Valenciennes est faible aujourd'hui, mais sera très fort demain, après la jointure entre le RER A et le RER E. Il est aujourd'hui très orienté vers l'ingénierie et moins vers la fabrication, mais celle-ci va considérablement monter en puissance.

À Reichshoffen, la situation est compliquée en raison de la question des commandes de trains régionaux. Nous nous battons à l'export : en Algérie, et nous venons de gagner à Dakar. Nous devons également réfléchir à la manière d'équilibrer les différents sites, afin que ceux qui connaissent une surcharge puissent transférer la charge vers d'autres.

Reichshoffen, lui, est spécialisé dans les trains régionaux mais nous pourrions aussi y faire des trains urbains. La grande spécialisation de Reichshoffen, c'est le calcul de caisses et la simulation du comportement en fonctionnement des trains. Si l'avenir du site n'est aucunement en cause, il nous faut pérenniser sa charge, ce qui se fait plus automatiquement à Valenciennes, Belfort ou La Rochelle. Notre avenir en France, sur le long terme, dépend très fortement de la collaboration avec la filière et avec les pouvoirs publics - que nous ne considérons pas simplement comme des donneurs d'ordre, mais aussi comme des partenaires à part entière.

La fusion avec Siemens est à hauts risques. Ma première crainte est celle d'une désorganisation de l'entreprise. Je m'efforcerai donc avant tout de bien faire fonctionner ensemble les deux entités pour s'assurer que nos clients ne pâtissent pas de la fusion. Les syndicats ont parlé de tensions entre Roland Busch et moi-même. Ce dernier est pourtant une personne agréable et directe, et nous n'avons aucun différend sur la vision ni sur l'objectif. Certes, l'équilibre n'est pas facile à trouver en termes de gouvernance, mais la frustration des syndicats est assez paradoxale. En France, ils sont unanimes à dénoncer un manque d'information de la part de Siemens. Ce manque s'explique d'abord par la loi européenne en matière de concurrence, qui est pour tous une frustration quotidienne : nous ne pouvons pas avoir beaucoup de contacts avec Siemens France, et l'alchimie humaine a donc plus de mal à prendre. Nous ne pouvons pas non plus nous échanger des informations confidentielles car, jusqu'au dernier jour, nous sommes concurrents. Les représentants de Siemens qui ont rencontré nos syndicats français ne viennent pas de Siemens mobilité. Aussi ont-ils botté en touche face aux questions des syndicats. D'où une certaine incompréhension. Actionnaire, Roland Busch ne pouvait leur apporter les assurances qu'ils réclamaient sur la stratégie industrielle. La presse a donc eu tendance à présenter Alstom comme le camp des gentils et Siemens comme celui des moins gentils. En fait, nous avons un rôle plus facile, puisque c'est nous qui allons être aux commandes ! Futur patron de l'ensemble, je peux, à défaut d'indications précises sur tel ou tel site, parler du processus, de la culture qu'on va insuffler... Je m'étonne comme vous que les syndicats français soient moins positifs aujourd'hui qu'au début.

Les GIE sont très complexes à gérer ; mieux vaut une unité actionnariale claire. Airbus a d'ailleurs été fusionné - et reste très compliqué à gérer. Nous souhaitons développer le dialogue social et le dialogue industriel. La limite est fixée par les normes européennes. Le processus syndical se termine officiellement aujourd'hui. L'opinion exprimée sera négative mais je ne considère pas que c'est la fin de l'histoire : cette opération prendra plus d'un an et j'espère qu'au fur et à mesure, nous serons capables d'apporter les réponses réclamées. C'est à la direction d'Alstom de le faire : Roland Busch n'est pas en charge de la mobilité.

Le partenariat entre Bombardier et CRRC pose des questions stratégiques, c'est vrai. Les économistes se demandent s'il faut conclure l'opération avant ou après. Peut-être que Bombardier discute avec CCRC : je n'en sais rien. Nous avons aussi exploré cette option. Comme nous sommes partis avec Siemens, Bombardier se retrouve seul sur le dancing floor ... Bien sûr, un rapprochement entre Siemens et Alstom est moins complexe qu'avec Hitachi ou CRRC.

Le fait d'être proche du site de Crespin est un point positif. Mais si nous nous étions mariés avec Bombardier, la probabilité que l'Union européenne nous demande de vendre un des sites français était très forte car nous aurions acquis une sorte de monopole en France. Du coup, l'alliance avec Bombardier aurait été plus complexe à gérer pour notre outil industriel.

Le fait que nous ne puissions pas exporter des trains en Chine est un point très négatif. De même, il n'est possible ni pour Alstom ni pour Siemens d'exporter de la signalisation au Japon. Le marché japonais est fermé, le marché chinois est fermé...

M. Alain Chatillon , président . - Et l'Europe est très ouverte !

M. Henri Poupart-Lafarge . - Il y a des asymétries, mais je suis pour l'ouverture.

Mme Fabienne Keller . - Et les fournisseurs européens ?

M. Henri Poupart-Lafarge . - Il existe un Buy European Act , qui permettrait aux donneurs d'ordre d'imposer un minimum de 50 % de production dans l'Union européenne. Mais il n'est jamais utilisé. L'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) est devenue de plus en plus restrictive et favorise désormais les exportations à partir du Japon. Les instruments de financement sont indispensables ; en France, ils fonctionnent. Cela fait partie de l'écosystème de la filière ferroviaire. Nous avons besoin de références en France, car la France est le lieu où nous lançons nos nouveaux produits. Si la RATP n'achète pas Aptis, celui-ci aura beaucoup de mal à survivre. La filière ferroviaire est une filière industrielle qui comporte des prolongements jusqu'aux opérateurs, jusqu'aux pouvoirs publics.

M. Alain Chatillon , président . - Merci.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous avons peu abordé la sous-traitance. Quel sera l'impact de la fusion sur celle-ci en France ?

M. Henri Poupart-Lafarge . - Nous vous transmettrons des documents qui montrent comment nous accompagnons les sous-traitants français chez nous et à l'étranger.

M. Alain Chatillon , président . - Nous vous souhaitons d'être nommé président à vie pour que vous puissiez tenir tous les engagements que vous avez pris !

F. AUDITION DE M. PHILIPPE VARIN, PRÉSIDENT DE FRANCE INDUSTRIE, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'INDUSTRIE (15 février 2018)

M. Alain Chatillon , président . - Monsieur le Président, notre mission d'information a grand plaisir à vous accueillir aujourd'hui. Le rapport sur la restructuration industrielle, que nous avions commis, il y a quelques années, va être réactualisé, même si un certain nombre de nos propositions d'alors n'ont pas été mises en oeuvre. Je ne rappellerai pas votre expérience industrielle et le groupe que vous présidez désormais. Je laisse la parole à notre rapporteur, Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Monsieur le Président, je vous souhaite la bienvenue et je salue votre vision panoramique de notre industrie. La première demande porte sur votre perception des forces et faiblesses de notre industrie. Quel regard portez-vous globalement sur la politique industrielle menée en France depuis quinze ans, dans ce contexte compétitif renforcé ? Deuxième question : quel doit être, selon vous, le rôle de l'État, et plus largement des pouvoirs publics, comme les collectivités territoriales, dans la stratégie industrielle du pays ? Nous revenons de Munich où le responsable du patronat allemand nous a présenté la répartition des rôles entre l'État fédéral, responsable du cadre réglementaire général, et le Land auquel incombe l'ensemble des questions essentielles à la gestion quotidienne de l'industrie. N'oublions pas que l'État n'a pas hésité à entrer, à un moment difficile pour l'entreprise, dans le capital de PSA et que le Président Obama a décidé, avec sa majorité parlementaire d'alors, de nationaliser temporairement General Motors. L'État-stratège n'a pas non plus hésité à entrer au capital de sociétés privées en difficulté ou à l'inverse à céder ses participations pour favoriser la restructuration d'entreprises, comme chez Areva. Ma troisième question portera sur la taille qui vous semble pertinente pour une entreprise. Comment préserver le caractère français de notre industrie ; je pense notamment à l'actuelle fusion entre Alstom et Siemens pour contrer la concurrence chinoise ? Enfin, quatrième question : l'industrie en France comprend certes des grands groupes, mais aussi de nombreuses PME et ETI - du reste pas assez nombreuses par rapport à l'Allemagne et l'Italie. Comment favoriser leur essor et les aider à passer le virage du numérique et de l'ouverture à l'export ?

M. Philippe Varin, président de France Industrie . - C'est un honneur d'apporter ma contribution au travail de réflexion que vous avez engagé. En 2015, une étude du Cercle de l'industrie avait mis en évidence la nécessité de renforcer les relations entre le Parlement et le monde industriel. Depuis trois ans, les rencontres Parlement-industrie ont contribué à ce rapprochement qui pourrait encore bénéficier de la formalisation des relations entre le Cercle de l'industrie et les groupes d'études industrie du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Il n'y a pas d'économie forte sans industrie puissante. La situation de la France est anormale à cet égard ; la part de l'industrie passant de 16,5 % à 12,5 % du produit intérieur brut, alors qu'elle s'est stabilisée à 23 % en Allemagne et que la part de l'industrie britannique dans le PIB est même devenue supérieure à la nôtre. Le quart de nos emplois industriels a été perdu depuis quinze ans. Ce décrochage s'explique avant tout par la réduction progressive de nos marges. Il y a vingt ans, l'Allemagne vendait ses produits avec une prime pour l'image et la qualité par rapport aux produits français qu'un moindre coût du travail nous permettait alors de compenser. L'instauration de l'euro, les différentes politiques publiques ainsi que les négociations avec les entreprises ont induit le dérapage des coûts de production, et notamment des salaires par rapport à l'Allemagne. Certes, le pacte de compétitivité et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ont permis de retrouver le même coût salarial qu'Outre-Rhin, mais notre niveau de compétitivité-coût actuel n'est pas pour autant acceptable. Si nos coûts se sont resserrés, nos marges connaissent toutefois un écart de trois à quatre points d'écart par rapport à l'Allemagne. La permanence d'un tel handicap conduit les grandes industries à rechercher des implantations à l'étranger, générant ainsi la cessation d'activités de certaines PME et ETI.

Néanmoins, le déclin de l'industrie est en voie d'être enrayé. La distinction entre l'industrie et les services n'est désormais plus pertinente, l'industrie incorporant de plus en plus ses services pour répondre aux attentes de ses clients. D'ailleurs, les GAFA sont-ils exclusivement des entreprises de services, avec leurs entrepôts logistiques notamment ? Le vrai clivage me semble davantage se situer entre les emplois considérés comme sédentaires et ceux exposés à la concurrence internationale. Or, les mesures prises depuis une quinzaine d'années, comme le CICE, se sont focalisées sur la préservation de l'emploi à court terme et les bas salaires, c'est-à-dire sur les emplois sédentaires, au détriment des autres, plus exposés.

L'industrie est essentielle à la croissance : elle est à l'origine de 75 % des exportations, et explique ainsi le déficit de 63 milliards d'euros de notre commerce extérieur en 2017. Représentant 80 % de la recherche-développement, l'industrie est un vecteur de croissance et une véritable arme anti-chômage dans les territoires. En effet, chaque poste qu'elle crée génère, à son tour, trois à quatre nouveaux emplois. La reprise que nous observons aujourd'hui est effective, avec, l'année passée, une croissance des taux d'investissement et de croissance industrielle de l'ordre de 4 %, et un taux d'utilisation de nos capacités atteignant 86 %. Encore faut-il relativiser ce dernier, obtenu sur une base réduite. Cette situation est due aux premiers effets du pacte et du CICE, ainsi que de la conjoncture, avec les taux d'intérêt à 0 %, le coût du baril à 50 dollars et la faiblesse de l'euro. Cette situation a évolué depuis lors, avec l'inversion de la parité euro-dollar et la remontée du cours du baril et des taux d'intérêt. Le renforcement de cette tendance au redressement industriel implique désormais de nouvelles mesures.

Quelles sont les priorités pour que l'industrie soit gagnante ? La compétitivité-coût, la montée en gamme et enfin l'Europe industrielle concourent au redressement industriel. En outre, la mobilisation coordonnée de tous les acteurs est essentielle ; ce qui n'est pas chose aisée, compte tenu de notre mentalité de « village gaulois ». Cette priorité a motivé la création même de France industrie.

La compétitivité-coût constitue le premier levier du développement d'industrie et ce, avant la montée en gamme, puisqu'elle est la condition nécessaire à l'investissement et permet d'enclencher un cercle vertueux. Le poids des prélèvements obligatoires en France s'élève à 44,5 % contre une moyenne de 40 % en Europe. Cette importance s'avère, pour les industriels, un fardeau pesant notamment sur la fiscalité de production, soit un handicap de 70 milliards d'euros par rapport à la fiscalité Outre-Rhin. À cet indicateur s'ajoute le plafond d'allégement des charges sur les salaires lequel, avec comme cible 2,5 SMIC, n'a pas été aussi élevé que celui proposé, en son temps, par le Rapport Gallois ; France industrie préconisant, pour sa part, un seuil de 3,5 SMIC pour restaurer la compétitivité des entreprises françaises.

La montée en gamme constitue le second levier de la réindustrialisation et se décline en deux grands axes : d'une part, l'innovation, bénéficiaire du crédit impôt-recherche dont nous appelons à la sanctuarisation. Cependant, dans les filières françaises, les projets de recherche-développement, qui sont autant de projets de rupture, sont actuellement peu nombreux, alors que la conjonction des investissements privés et du soutien des pouvoirs publics ont permis, aux États-Unis, l'aboutissement de projets de rupture comme SpaceX ou Tesla. Il faudrait ainsi mettre en oeuvre dans chaque filière des projets de rupture fédérant les grandes entreprises, les PME et les ETI, à l'instar du véhicule 2 litres ou autonome dans l'industrie automobile. L'État doit ainsi subventionner en amont ces projets d'innovation de rupture, ce que ne permettent pas les actuels plans dont les avances remboursables ne sont pas adaptées. La montée en gamme implique à la fois l'innovation et l'industrie du futur. Certains exemples sont encourageants : aujourd'hui, la numérisation d'une usine, qui concourt à la flexibilité de sa production et à la baisse de ses coûts, permet d'éviter sa délocalisation, voire favorise sa réimplantation dans nos territoires. La robotisation n'est nullement un facteur aggravant du chômage, comme en témoigne le nombre de robots bien supérieur en Allemagne. Dès lors, la numérisation permet non seulement de réduire les coûts de production, mais aussi d'ajouter de nouveaux services destinés aux clients ! Le calcul de la rentabilité sur les capitaux engagés pour la numérisation d'une usine fournit manifestement un plaidoyer en faveur de sa relocalisation en France. De nombreuses PME et ETI, comme Rossignol, le Slip français ou encore Yamaha ou les lunettes Atol, fournissent autant d'exemples de notre capacité de réindustrialisation. France industrie entend bien être volontariste au sein de la French Fab !

Le troisième point concerne l'Europe industrielle. Atteindre 20 % de la part de l'industrie dans le PIB est un objectif ambitieux, dont la réalisation exige certaines consolidations ; ce dont doit d'ailleurs avoir conscience la direction de la concurrence de la Commission européenne. Certes, il y a la fusion Alstom-Siemens ou encore Lafarge-Holcim, mais les entreprises françaises peuvent être également à l'origine des fusions, comme lors du rachat d'Opel par PSA, d'Airgas par Air Liquide ou encore de General Electric Waters par Suez. L'équation doit donc être considérée globalement. Si le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le protectionnisme, il faudrait néanmoins que l'Europe se dote d'un mode de protection, aussi vigilant et fonctionnel que le comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) américain qui préserve les industries stratégiques. En Europe, certains secteurs, comme l'énergie et le numérique, présentent de réelles opportunités de convergence.

Enfin, je reviendrai sur le fonctionnement collectif pour promouvoir un fonctionnement plus efficace de nos filières ; cette démarche motivant la création de France industrie, issue du regroupement du Cercle de l'industrie et des fédérations industrielles. Certes, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) constitue d'une structuration à forte valeur ajoutée, dont pourraient s'inspirer les filières automobile, maritime, nucléaire, ou encore alimentaire, durant l'année 2018, pour assurer leur réelle articulation avec l'État au sein du conseil national de l'industrie. Une filière ne fonctionne efficacement qu'à la condition de disposer d'une gouvernance adaptée, de projets communs de recherche-développement et de plateformes numériques, à l'instar de Boostaerospace dans l'aéronautique. Dans le contexte législatif actuel, une filière performante doit être impliquée dans l'apprentissage et les compétences, afin de répondre au plus près des besoins des entreprises. Elle doit enfin accompagner ces dernières à l'international, comme le fait aujourd'hui le GIFAS. C'est là un enjeu pour l'année 2018 afin d'améliorer l'environnement nécessaire au développement de l'industrie et de ses filières.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Ramener les coûts en dessous de ceux de l'Allemagne n'est en effet qu'une étape vers la reconquête industrielle. Une politique de reconquête industrielle passe par la montée en gamme et l'amélioration du fonctionnement des filières. Or, si les grands donneurs d'ordre avec les équipementiers de rang 1 ont modernisé leur outil de production, tel n'est pas le cas des autres équipementiers, de rangs 2 à 4, qui sont appelés à disparaître, dans le contexte de global sourcing que nous connaissons. Comment plaidez-vous, au sein du Conseil national de l'industrie, pour éviter cette fracture entre ceux qui jouent la carte de l'industrie du futur et les autres qui tendent à décrocher ? Quelle politique d'accompagnement pourrait-elle être mise en oeuvre pour y parvenir ? Le système de clusters - comme en Bavière qui en compte dix-sept - constitue certes une première solution. La question du financement se pose néanmoins et votre collègue, M. Louis Schweitzer, a évoqué l'ouverture du capital comme solution pour favoriser la croissance des PME. Que pensez-vous d'une telle préconisation et quels financements publics, comme des aides à l'innovation, vous paraissent-elles idoines pour assurer la cohésion des filières ?

M. Alain Chatillon , président . - La France compte quatre fois moins d'ETI que l'Allemagne. Comment accompagner l'évolution des PME en ETI en soutenant à la fois leurs investissements et leur fonctionnement ? Certaines entreprises, qui démarrent des produits à start-up solides, peuvent connaître des problèmes de fonds de roulement sanctionnés par la dégradation de leur note attribuée par la Banque de France, si elles ne disposent pas de trois années d'arriérés de bilan. Comment inciter les banques françaises à soutenir réellement ces entreprises innovantes, à l'instar de ce qui se passe Outre-Rhin ?

M. Philippe Varin . - Seul un banquier peut répondre à votre dernière question ! Nous n'avons pas assez d'ETI. Certaines initiatives ont été prises par Bpifrance ou l'Alliance pour l'industrie du futur pour accélérer cette tendance. Il faudrait aller encore plus vite pour réduire l'écart entre le nombre des PME et celui des entreprises exportatrices. Pour ce faire, les filières doivent jouer un rôle, à l'instar des actions du GIFAS pour soutenir le développement des ETI, même en région. Augmenter cette accélération implique le soutien de l'État. L'approche de la BPI me paraît pertinente : former les équipes de management des PME à l'anglais, aux opportunités à l'export, au numérique, afin de partager un degré de compétence pour aborder la question de la croissance de manière agressive et proactive. Cette dimension managériale est essentielle et nos ingénieurs ne vont pas assez dans les ETI ou les PME. C'est là un défi à la fois industriel et pédagogique. La question du financement de ce dispositif se pose clairement et implique la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés.

Ces opérations, comme les clusters auxquels je crois fortement, présentent une forte dimension territoriale ; l'implication des régions étant essentielle à la multiplication de ces écosystèmes locaux. Pour France industrie, les visions industrielles des filières devraient être en cohérence avec les régions avec lesquelles ces dernières ont des liens privilégiés, via notamment les pôles de compétitivité. Avec les présidents de filière, il conviendrait d'identifier leurs priorités régionales et infrarégionales, avant de les partager avec les présidents de région. Ceux-ci pourraient alors bénéficier d'une claire perspective industrielle pour forger leurs décisions.

M. Alain Chatillon , président . - La réforme de notre formation professionnelle, qui représente un coût de 35 milliards d'euros contre 23 en Allemagne, vous paraît-elle de bon augure ? Comment voyez-vous ce rapprochement entre le monde de l'industrie et l'enseignement ? Les entreprises pourraient ainsi assumer pour partie la formation ; ce que les syndicats de branche semblent, du reste, accepter. Les pôles de compétitivité, qui permettent la « clusterisation » des PME et des TPE sur des projets innovants, pourraient être des acteurs à part entière de la formation. Cette démarche vous semble-t-elle bénéfique alors que plusieurs dizaines de milliers d'emplois industriels restent vacants, faute de trouver les compétences idoines ?

M. Philippe Varin . - La France connaît actuellement un taux d'activité de 86 % avec un chômage très élevé, malgré une récente amélioration. Durant les quinze dernières années, notre industrie a disparu, entraînant la perte des compétences qui y étaient associées. En outre, la France compte près de 1,5 million de personnes, jeunes pour la plupart, qui n'ont ni emploi ni formation. La non-utilisation de cette force de travail représente également un véritable gâchis de compétences. La relocalisation et la réindustrialisation doivent aller de pair avec une réflexion sur l'adéquation de nos compétences et la réinsertion des personnes en dehors des circuits économiques. Avoir aujourd'hui 400 000 apprentis est certes insuffisant, mais il faut y ajouter les 700 000 élèves, dont 50 000 sous le régime de l'apprentissage, des lycées professionnels. Le succès, en termes d'emplois, de l'apprentissage est bien supérieur à celui de l'enseignement professionnel. C'est pourquoi France industrie adhère sans réserve aux dispositions prises par l'exécutif sur l'apprentissage. Encore faut-il assurer la bonne articulation avec la formation professionnelle ! Si la moitié des lycées professionnels était sous le régime de l'apprentissage, le nombre d'apprentis doublerait. Un rapprochement doit ainsi être conduit entre ces deux filières. Sans présager de ses modalités, cette démarche semble incontournable pour augmenter significativement le nombre d'apprentis dans notre pays.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Comment s'articulent ces avances remboursables, qui financent l'industrie, avec le Programme des investissements d'avenir ? Le Sénat a adopté un amendement à la quasi-unanimité proposant, pour l'industrie du futur, la prolongation du suramortissement de ces avances afin de remédier à la différence de traitement dont les entrepreneurs de l'industrie du futur sont victimes. En outre, nos interlocuteurs allemands considèrent que les ingénieurs français sont trop généralistes et pas assez formés en situation de travail ; ce à quoi l'apprentissage permettrait d'échapper.

Mme Michèle Vullien . - Les entreprises, qui ont à leur tête des financiers et non des ingénieurs, tendent à ne privilégier que leurs bilans comptables, au détriment de leurs employés et de leurs compétences. J'ai présidé un technopôle de 50 000 salariés dans ma circonscription et j'ai constaté, avec effarement, l'engouement de mes interlocuteurs pour le secteur tertiaire. Pour les parents, orienter les enfants vers la formation professionnelle est souvent ressenti comme une situation d'échec. Comment réhabiliter l'industrie et ses cols bleus dans notre pays ?

Mme Sophie Primas . - Comment mesurez-vous l'exposition de notre industrie à une hausse des taux d'intérêt et des coûts de l'énergie ? Ses effets sur notre compétitivité peuvent-ils nuire à notre innovation de rupture ? En outre, l'innovation de rupture requiert des investissements dans la durée, sans que le chiffre d'affaires ne puisse décoller. Or, Bpifrance, qui exige deux exercices positifs sur trois, ne soutient pas, le cas échéant, cette démarche innovante. Comment Bpifrance pourrait-elle ainsi revoir ses critères de risque ?

M. Philippe Varin . - Investir dans un projet d'innovation de rupture n'est possible que si l'échec n'est pas fatal. Mutualiser les moyens permet alors de réduire les risques. En termes de financement, si le financement en amont est requis, le nouveau fonds d'innovation de dix milliards d'euros, qui devrait soutenir de tels projets à hauteur de 300 millions d'euros par an, représente un bon signal. La vitalité des start-up en France est remarquable. Si les familles et les proches sont bien souvent à l'origine de la chaîne de financement, passée la première levée de fonds, il est difficile d'obtenir d'en obtenir de nouveaux. La règle des trois ans, observée par la BPI, vaut également pour les PME qui sont accélérées. Ce critère me semble pouvoir être reconsidéré si un management, au-delà des comptes disponibles, possède de réelles compétences et est bien formé pour innover. Je ne saurais cependant répondre à la place de la BPI.

L'impact des variations du taux de change dépend de l'endettement des entreprises et de leur dépendance à l'énergie. Globalement, il devrait peser sur la croissance. La remontée probable des taux devra ainsi être compensée par des mesures structurelles.

Nous avons une mission en cours sur le financement de l'innovation. La CGI a privilégié l'apport en fonds propre pour le financement en amont de l'innovation, ce qui n'est guère aisé pour les PME. Je plaide plutôt en faveur d'un mix d'avances remboursable pour la partie recherche et industrialisation. Sur la partie amont, l'entrée en fonds propres peut être une solution, en complément des subventions. Je suis favorable à l'initiative sénatoriale d'autoriser le suramortissement des avances qui sera bénéfique aux grands groupes ainsi qu'aux PME.

La France dispose d'ingénieurs reconnus qui participent, avec le crédit impôt recherche, à l'émergence de la recherche-développement. Le nombre de jeunes ingénieurs, qui rejoignent les start-up , est remarquable. L'apprentissage fonctionne bien pour les métiers de l'artisanat ainsi que pour les formations supérieures, y compris celles d'ingénieurs. L'alternance pour les ingénieurs n'est donc pas, à mes yeux, un sujet majeur. Les Allemands ont une approche différente, en raison de l'importance, dans leur système éducatif, de l'alternance. Notre problème est plutôt de multiplier le nombre d'apprentis et d'en favoriser, via la promotion interne en entreprise, les profils.

M. Alain Chatillon , président . - Dans ma ville de Revel se trouve un lycée classé « métiers d'art et d'ameublement » qui accueille 320 élèves qui sortent diplômés d'un Bac + 2. Parmi ceux-ci, seuls deux par an rejoignent les 70 entreprises artisanales qui y sont implantées ! Pour la majorité de ces étudiants, entrer dans l'artisanat est considéré comme une forme de déchéance. Or, l'artisanat est un domaine très fort et très puissant ; 50 % du chiffre d'affaires des entreprises de Revel sont réalisés à l'international. Cette mauvaise perception de l'artisanat est également partagée par les parents qui ne comprennent pas l'attrait des métiers d'art, qui emploie pourtant 2,5 millions de personnes, soit autant que le tourisme !

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Le Factory Lab à Saclay, que nous venons de visiter, illustre votre vision des ingénieurs qui travaillent déjà à l'industrie du futur. Les start-up , qui emploient déjà 50 salariés, pourraient grandir à la condition de surmonter des seuils culturels et financiers. Comment le site de Saclay est-il perçu par les différentes filières dans leur perspective de mise en place de plateformes ?

M. Jean-François Longeot . - Cette loi sur l'apprentissage doit contribuer à changer les mentalités. Depuis de nombreuses années, l'apprentissage est considéré comme la punition de ne pas réussir à l'école. À Ornans, nous avions une école d'apprentissage qui a été fermée en 2007, faute d'élèves. Cette fermeture et, plus largement, la dévalorisation de l'apprentissage ont induit la perte d'un savoir-faire nécessaire à notre production nationale. Redorons donc le blason de l'apprentissage, quelles qu'en soient les filières !

Mme Sophie Primas . - Ma circonscription accueille un grand nombre d'industries. Je suis frappée par la méconnaissance des écoliers du monde industriel et de la palette de ses métiers. Les portes de l'Éducation nationale demeurent cependant fermées au monde professionnel et ne permettent pas l'identification aux différents métiers de l'industrie qui sont de plus en plus virtuels.

M. Philippe Varin . - La loi sur l'apprentissage doit réduire la distance entre l'entreprise et le lycée professionnel par des mesures à la fois techniques et symboliques. Il faut former les professeurs et les responsables de l'orientation à la réalité de l'industrie ; ces deux parties doivent ainsi travailler ensemble. Cette démarche implique la revalorisation des conditions de vie des apprentis et l'élaboration d'une carte des métiers de l'industrie et des compétences nécessaires. Cet outil, que nous partagerons avec l'Éducation nationale, fournira un précieux outil d'orientation. Les branches sont également plus impliquées dans l'apprentissage que les filières ; ce qui est un gage de souplesse. Enfin, le lien entre les grandes entreprises et les start-up a considérablement évolué depuis ces dernières années. Si une start-up apporte des innovations indiscutables, elle ne suscite plus la méfiance des grands groupes comme par le passé. C'est pourquoi, je serais surpris si une start-up innovante, implantée à Saclay, ne trouvait pas preneur !

M. Alain Chatillon , président . - Nous avons été ravis de vous accueillir. Sachez que les éléments que vous venez de nous transmettre nourriront notre réflexion.

G. AUDITION DE M. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES (8 mars 2018)

M. Alain Chatillon , président. - Nous avions produit un rapport sur l'industrie française en 2011, mais beaucoup de ses préconisations sont restées lettre morte alors que certains problèmes n'ont pas été réglés.

Aujourd'hui, ce ne sont pas les chiffres de l'économie qui nous inquiètent, car ils semblent bien s'orienter, mais l'état du tissu industriel. Trois cinquièmes des emplois industriels ont disparu durant les 35 dernières années, et les réformes mises en oeuvre depuis quelques années - regroupement des régions, suppression d'un certain nombre d'aides - nous inquiètent. Nous souhaitions attirer votre attention sur ces questions. Entre-temps, le Premier ministre a annoncé des mesures en faveur de l'industrie dont vous nous direz sans doute quelques mots.

Nous souhaitons une orientation des aides vers l'accompagnement des entreprises qui doivent engager des mutations : la robotisation, la digitalisation et l'importance d'internet. En ce qui concerne Alstom, notre inquiétude découle des décisions prises et des risques qu'elles comportent sur l'emploi. Il en va de même pour Airbus. Le rôle de l'État est d'accompagner les entreprises, mais aussi de garantir l'équilibre dans les territoires entre le pouvoir des régions, celui que s'arrogent les métropoles et les territoires ruraux.

M. Martial Bourquin , rapporteur. - Monsieur le ministre, comme l'a indiqué notre président Alain Chatillon, notre mission porte sur deux objets distincts : un cas très concret, Alstom, et une dimension plus prospective.

J'aimerais d'abord vous interroger sur le dossier Alstom. Nous sommes nombreux à penser que la taille est cruciale pour nos industries dans la concurrence européenne et mondiale, et cela explique, pour l'essentiel, le rapprochement avec un autre acteur du marché mondial. Toutefois, l'accession à une taille critique ne peut se faire à n'importe quel prix, et notamment pas au prix de la prise de contrôle de certains fleurons industriels par des groupes ou des capitaux étrangers. C'est ce qui, malheureusement, est en train de se passer avec Alstom.

Dans ce rapprochement, quelle a été la position de l'État français, qui bénéficiait d'un prêt d'actions de la part de Bouygues lui permettant d'exercer les prérogatives de premier actionnaire d'Alstom ? Comment l'État est-il intervenu, comme actionnaire ou comme puissance régalienne, dans ce dossier et quelles considérations l'ont poussé à accepter le principe d'un nouveau groupe à dominante étrangère ?

Monsieur le ministre, pourrions-nous disposer de l'accord conclu ? Les syndicats ne l'ont pas, la représentation nationale non plus, mais certains l'ont. Cela nous pose problème. Nous savons garder des secrets ! Nous voudrions avoir cet accord, pour rassurer, mais aussi parce que tout n'est pas terminé : l'Europe doit se prononcer, le décret Montebourg va être révisé, nous pourrions donc encore avancer des propositions pour préserver les intérêts français.

Douze sites de production français sont concernés, dans des métropoles, mais aussi dans de petits territoires ruraux. Nous craignons que les décisions futures ne soient guère favorables aux intérêts français. Pouvez-vous nous rassurer ?

Les modalités juridiques et capitalistiques du rapprochement entre Alstom et Siemens garantissent-elles la préservation des intérêts français sur le long terme ? Nous vous avons entendu déclarer que l'État actionnaire n'avait aucun intérêt à détenir seulement un strapontin dans le capital. Pourtant, pouvoir de contrôle et propriété du capital ne sont pas strictement corrélés ; on peut être influent sans être majoritaire en parts ou en droits de vote.

Dès lors, les accords conclus avec Siemens n'auraient-ils pas pu prévoir, sous la forme de droits de gouvernance spécifiques, des droits de veto permettant à notre pays d'avoir voix au chapitre sur les décisions stratégiques de la future entité Alstom-Siemens, par exemple les décisions de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actifs ou encore celles qui prévoiraient le transfert du siège social et des centres de décision ?

Comment les effets du rapprochement avec Siemens ont-ils été pris en considération, à la fois pour les sites Alstom et pour leurs sous-traitants ? En plus des douze sites industriels en cause, il y a des centaines de sous-traitants.

On se souvient des conditions posées lors de la cession de la branche énergie d'Alstom à General Electric, elles étaient limitées et n'ont parfois pas été remplies. Où en est-on de l'amende à payer pour chaque emploi non créé ?

La presse s'est récemment fait l'écho du développement de la sous-traitance industrielle italienne dans la coentreprise GE Hydro de Grenoble, avec le transfert, semble-t-il nuitamment et sans les autorisations nécessaires, de certains éléments produits vers des sites transalpins du groupe. Cette situation montre qu'au terme des quatre ans de garantie du maintien des sites et de l'emploi qui figure dans l'accord avec Siemens, rien n'assure qu'il n'y aura pas un démantèlement des sites de production en France.

Par ailleurs, les organisations syndicales, au niveau national, se sont prononcées contre l'opération, tandis qu'au niveau européen, leur position a été de s'abstenir ou de voter contre. Cette position est-elle de nature à infléchir la teneur de l'accord négocié entre Alstom et Siemens et l'État peut-il, le cas échéant, y contribuer ?

Il semble que des négociations ont eu lieu entre l'État allemand, Siemens et IG Metall, avec la participation des Länder. Pourquoi de telles négociations n'ont-elles pas eu lieu entre les acteurs français et l'État ? Avez-vous l'intention de rencontrer les syndicats ?

L'achèvement de cette opération est soumis à sa validation par la Commission européenne, dans son rôle de gardienne d'une « concurrence libre et non faussée ». N'y a-t-il pas un certain paradoxe à vouloir créer des champions européens - c'est l'objectif affirmé de l'opération Siemens-Alstom - tout en étant soumis à des règles de concurrence européenne très strictes dont on peut craindre qu'elles conduisent à des cessions de sites industriels qui peuvent limiter la capacité d'action de champions européens ? Le droit actuel de la concurrence au niveau européen n'est-il pas, dans une certaine mesure, un obstacle à une politique industrielle européenne offensive ? Le Gouvernement français entend-il agir auprès des institutions sur ce point ?

Sur le volet plus général de la stratégie industrielle, plus nous avançons dans nos travaux, et plus nous doutons de l'existence même d'une politique industrielle effective en France. On ne peut se contenter de traiter des seuls aspects macroéconomiques, car la politique industrielle implique, avant toute chose, une vision microéconomique. Cette vision semble aujourd'hui devenue sinon défaillante, du moins sans portée concrète. Nous vous appelons à réagir !

Durant nos visites, dans des pôles de compétitivité comme dans des entreprises de dimension nationale, des dirigeants nous ont signalé des défaillances et nous ont fait part de leur besoin d'un signal clair et lisible en matière de politique industrielle. Notre mission revient ainsi d'un déplacement à Toulouse, où nous avons constaté l'inquiétude qui règne quant à l'avenir français d'Airbus. Les intérêts allemands y semblent de plus en plus favorisés, l'État allemand a même engagé une stratégie publique pour favoriser l'essor de son industrie aéronautique et aérospatiale pour maîtriser l'ensemble de la chaîne de fabrication. Les équilibres à l'oeuvre aujourd'hui chez Airbus risquent d'en faire les frais. J'en veux pour preuve que les sites français d'Airbus ne seraient, semble-t-il, pas privilégiés pour l'établissement des chaînes de fabrication ou de montage des futures gammes d'avions.

Je souhaite que vous évoquiez spécifiquement la question des outils défensifs visant à assurer un contrôle sur les investissements étrangers directs et des moyens de verrouiller la position de certains actionnaires au sein d'entreprises stratégiques. Les outils dont dispose la France dans ce domaine sont clairement en retrait par rapport à ceux qui sont en vigueur non seulement à l'extérieur de l'Union européenne - je pense aux États-Unis - mais également à l'intérieur. L'Allemagne renforce ainsi son arsenal pour faire face à des prises de contrôle étrangères, notamment après le rachat de l'entreprise Kuka par des investisseurs chinois. Des annonces ont été faites récemment dans ce domaine par le Premier ministre ; pourriez-vous préciser vos intentions ?

La participation de l'État au capital d'entreprises industrielles peut être un moyen d'exercer un pouvoir d'orientation sur les décisions stratégiques des entreprises, mais la stratégie adoptée par l'État actionnaire le permet-elle vraiment ? Comment faire des participations de l'État un bras armé pour l'essor de notre industrie ?

On dit souvent, et je sais que c'est également votre position, qu'il y a un problème de croissance des entreprises industrielles en France, avec trop de PME et pas assez d'ETI. Il ressort de nos auditions que des financements sont disponibles, mais que l'un des obstacles à la croissance est la réticence des PME ou ETI, notamment familiales, à ouvrir leur capital, sans perdre pour autant le contrôle de leur société. Le Gouvernement envisage-t-il d'intervenir pour favoriser cette ouverture ?

Le Conseil national de l'industrie s'est réuni récemment et a décidé d'un certain nombre d'actions. La première d'entre elles est la réduction du nombre de filières. Qu'attendez-vous de cette modification et quel doivent être, selon vous, le rôle et l'apport d'une filière ? En quoi les nouveaux contrats de filières se distingueront-ils des engagements pris par le passé au sein des filières ?

Enfin, nous savons que le Gouvernement travaille sur la formation professionnelle. Il est nécessaire de renouveler l'attractivité des métiers de l'industrie, dont beaucoup d'emplois, qualifiés ou non, ne sont pas pourvus. Quelles orientations nouvelles le Gouvernement entend-il donner à la formation aux métiers de l'industrie ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances . - Il était plus que temps que je vienne expliquer devant vous la stratégie industrielle du Gouvernement et du Président de la République. Elle existe, elle est volontariste, nouvelle et nous assumons des choix de rupture qui ont été retardés trop longtemps, conduisant notre industrie à perdre des emplois et des compétences : ce sont les rapprochements avec des groupes européens, la cession d'actifs ou l'investissement dans l'innovation de rupture.

Nous n'entendons pas piloter ou nationaliser l'industrie française, car cela conduirait à son effondrement. Celle-ci a besoin d'investissements, d'innovation, de compétences, de formation, de compétitivité, de réduction des coûts et de rassemblement pour être puissante.

Notre stratégie industrielle commence à donner des résultats, en particulier en matière d'emploi industriel, ce qui indique que nous allons dans la bonne direction. Je crois à l'avenir industriel de la France, comme j'ai affirmé ici même croire à l'avenir agricole de la France. Il s'agit d'un atout stratégique majeur de notre pays et mon action consiste à la défendre et à la développer.

Pour cela, nous devons inventer une voie nouvelle, qui passe par un certain nombre de choix. Le premier a été fait il y a plusieurs années. Des dispositifs visent ainsi à réduire les coûts et à améliorer la compétitivité de l'industrie et de l'économie en général ; ils seront maintenus et renforcés. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) deviendra ainsi un allègement de charges pérenne et définitif ; le crédit d'impôt recherche sera maintenu afin de préserver la capacité d'innovation de notre industrie.

Nous allons plus loin, en adoptant des mesures fiscales décisives. Nous allégeons ainsi la fiscalité sur le capital, dont l'industrie est très consommatrice. Certains poussent de hauts cris, en nous accusant de favoriser le capital par rapport au travail, mais l'un ne va pas sans l'autre et nous soutenons l'industrie en allégeant l'impôt sur le capital. Nous baissons également l'impôt sur les sociétés, car c'est indispensable au développement de notre industrie. Passer le taux d'imposition de 33 % à 25 % d'ici à 2022 nous garantit ainsi la compétitivité fiscale face à nos voisins.

L'obstacle principal à la croissance de notre industrie réside dans la difficulté à faire monter en gamme l'outil productif. Nous entendons favoriser ce que l'on appelle la compétitivité hors coûts. Cela consiste à rendre nos produits attractifs et performants, grâce à la technologie embarquée, le design, les marques, le savoir-faire. Nous faisons cela en viticulture, dans le secteur automobile, dans le décolletage, la chimie, le médicament, le luxe, etc. Nous avons une industrie exceptionnelle, ne lui mettons pas de bâtons dans les roues !

La loi à venir sur la croissance et la transformation des entreprises contiendra des mesures visant à aider les entreprises à grandir et à monter en gamme. Nous allons simplifier et alléger les seuils, faciliter la transmission d'entreprises pour favoriser le capitalisme familial et améliorer le financement grâce à l'assurance-vie et à l'épargne-retraite.

Il est de bon ton de dire que nous sommes les champions de l'innovation, mais nous pouvons faire mieux. Le crédit impôt recherche (CIR) est un socle qui n'est plus suffisant, il nous fait lever les blocages réglementaires et législatifs identifiés par la mission confiée à MM. Distinguin, Dubertret, Lewiner et Stéphan.

Notre faiblesse réside dans l'innovation de rupture. Nous allons donc mettre cette question sur le devant de la scène. Les transformations technologiques vont vite, nous devons donc financer ces innovations, y compris avec des moyens publics, ou nous perdrons la bataille et nous quitterons la course mondiale.

Il y a quelques années, j'avais pris connaissance d'une note affirmant que le lanceur renouvelable n'était qu'une lubie de milliardaire. Aujourd'hui, cette lubie marche, avec l'aide des installations de la NASA et le soutien des pouvoirs publics américains qui acceptent de payer plus cher les lancements institutionnels. Ce lanceur est devenu un concurrent redoutable d'Ariane 6.

Nous voulons faire la même chose pour l'intelligence artificielle, pour le stockage des énergies renouvelables, pour le véhicule autonome. Nous voulons nous donner les moyens d'investir dans des technologies dont nous ne savons pas si elles marcheront. Certaines d'entre elles, au moins, se développeront et garantiront que la France et l'Europe resteront dans la course.

Notre fonds pour l'innovation de rupture est doté de 10 milliards d'euros financés par des cessions de participations de l'État, qui généreront un rendement de 250 à 300 millions d'euros par an. C'est un point de départ. J'espère que demain ce fonds deviendra franco-allemand, puis, après demain, qu'il sera européen et doté de 2 milliards d'euros, soit l'équivalent de la Darpa américaine.

L'enjeu est historique. Nous devons consacrer des moyens financiers pour alimenter ce fonds, sinon nous affaiblirons notre industrie, mais surtout nous perdrons notre souveraineté technologique. Sans ces actions, nous nous servirons de voitures et d'avions qui seront guidés par des technologies étrangères.

Nous n'avons pas vocation à bâtir des champs éoliens off-shore dont nous construirions les mâts et les pâles, mais dont le système de stockage serait chinois ou américain. Ce sujet me tient très à coeur et je souhaite que la mobilisation soit nationale.

Pour réussir la montée en gamme, la formation est stratégique. À ce titre, les annonces de Muriel Pénicaud sont décisives pour l'avenir de l'industrie. Les ingénieurs, les chaudronniers, les soudeurs, les peintres, les mécaniciens ne sont aujourd'hui pas disponibles en nombre suffisant. Dans la mécanique agricole, par exemple, de nombreux emplois restent à pourvoir, par manque de formation.

Il faut opérer une révolution culturelle pour changer le regard que les générations nouvelles portent sur l'industrie. L'industrie, c'est du savoir-faire, des technologies, de la robotique, de la digitalisation, etc. Nous devons l'expliquer afin que le secteur redevienne attractif.

Baisser les coûts, améliorer la qualité, le troisième volet de notre stratégie est la restructuration des filières. Devant le dernier Conseil national de l'industrie, j'ai annoncé la constitution de dix comités stratégiques de filières. Il s'agit, pour les industriels, de mieux identifier les projets structurants, de mieux organiser les projets de recherche et développement, de mieux partager les données, de mieux répondre aux besoins de formation des filières.

Ayons la vision de l'industrie de demain, qui est autant un service qu'une production manufacturière. La vieille distinction entre industrie et services est stupide et dépassée. Quand Michelin vend un pneu, il vend également un service. S'il ne recueille pas les données générées par l'usage de ses produits, il ne fait pas son travail. Cette entreprise a parfaitement compris que cette frontière avait été abolie. L'organisation des filières doit donc permettre de lier production manufacturière et services.

Début avril, je rencontrerai la filière automobile. Les résultats de nos grands groupes sont exceptionnels, ils offrent la preuve que nous pouvons y arriver, que tout est possible pour l'industrie française ! Peugeot et Renault, dont on doutait de l'avenir, sont ultra-performants, et obtiennent d'excellents résultats.

Je n'oublie pas le diesel, qui est un sujet de préoccupation majeure. Nous avons constaté l'effondrement des ventes, il faut accompagner les sous-traitants, qui fabriquent des injecteurs ou d'autres éléments de moteurs, et travailler sur des solutions de remplacement et d'accompagnement. Nous ne laisserons tomber personne, et nous accompagnerons au mieux les filières les plus fragiles.

Cette restructuration des filières se fera sous une marque : la « French Fab » à l'insigne bleu comme celui de la « French Tech » est rouge. Avec le blanc, nous rassemblerons ce secteur derrière une seule bannière nationale, en proscrivant les querelles de clocher.

Pour que cette stratégie porte ses fruits, nous devons l'intégrer dans une dimension européenne. Ceux qui font une croix sur cette dimension font une croix sur notre industrie. Nous ne nous développerons que si nous exportons, dans le cadre d'un libre-échange réciproque. Le protectionnisme ne nous mènera nulle part et les guerres commerciales ne feront que des perdants. Elles empêcheront la compétition et l'émulation qui l'accompagne. Le libre-échange, ce n'est pas ouvrir grand les portes et fenêtres, mais mettre en place des règles de réciprocité : si un marché est ouvert en France, alors il doit être ouvert à l'étranger pour les Français.

Les règles environnementales que nous demandons à nos producteurs industriels d'appliquer doivent être exigées de ceux dont nous importons les produits, sauf à instaurer des règles tarifaires en compensation de ces règles environnementales : le libre-échange auquel je crois doit être fondé sur une stricte réciprocité, ce qui suppose évidemment que l'Europe soit capable de défendre plus efficacement ses intérêts. Nous travaillons à cet effet à un projet de directive, afin de mieux contrôler les investissements étrangers réalisés en Europe. Martial Bourquin y a fait allusion : l'affaire de la société allemande Kuka aurait dû marquer le réveil de l'Europe en matière de défense de ses intérêts industriels. Pour mémoire, Kuka, leader mondial de la robotique, a été racheté par un investisseur chinois avec le soutien d'aides d'État, pourtant interdites en Allemagne comme en Europe. Souhaitons que le projet de directive que je mentionnais précédemment inclue la possibilité de refuser de tels investissements au nom de la réciprocité des règles applicables !

Au niveau national, le Premier ministre l'a annoncé et je vous le confirme : dans le cadre du projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, sera renforcé le régime de contrôle des investissements étrangers en France. Nous élargirons en particulier le champ de ce contrôle à de nouveaux domaines comme l'espace, le stockage de données, l'intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Dans les entreprises stratégiques pour la France, des actions pourront être menées par l'État pour protéger les intérêts nationaux. Seront également améliorés la stabilité du capital des entreprises cotées, notamment en développant l'actionnariat salarié, et le fonctionnement opérationnel du dispositif de veille et de détection des menaces contre nos entreprises stratégiques au niveau du ministre de l'économie et des finances comme de la Présidence de la République, avec la tenue régulière d'un conseil de défense et de sécurité nationale sur les questions économiques. Enfin, nous renforcerons les dispositifs d'injonction et de sanction pour répondre plus efficacement aux défauts de demande d'autorisation et au non-respect des conditions fixées lors de la délivrance d'une autorisation.

Certains s'inquiètent du renforcement de cet arsenal, notamment les acteurs de la French Tech. Qu'ils n'aient crainte ! Nous n'érigeons pas de barrières mais améliorons nos capacités de contrôle. Plus un pays est ouvert, plus il doit être en mesure de se défendre : parce que la France est attractive pour les investisseurs, elle doit protéger ses entreprises stratégiques. Il n'existe pas d'opposition mais une complémentarité entre l'ouverture aux investisseurs étrangers et la protection effective de nos intérêts stratégiques.

Au niveau européen, il me semble indispensable de favoriser l'émergence de champions industriels. L'idée est souvent évoquée mais toujours en imaginant qu'il s'agit d'entreprises françaises, qui se seraient développées à l'échelle européenne. En réalité, un champion industriel européen rassemble les meilleures compétences de chaque pays, à l'instar des rapprochements entre STX et Fincantieri ou entre Siemens et Alstom.

Vos interrogations sur la fusion entre Siemens et Alstom sont parfaitement légitimes et je m'attacherai à y répondre précisément. Soyons clairs : la trajectoire financière d'Alstom demeure insatisfaisante en raison d'une trop faible rentabilité. Certes, des progrès ont été réalisés, mais la situation reste trop fragile pour envisager avec sérénité l'avenir de l'entreprise à dix ans, quinze ans ou vingt ans. Il aurait été irresponsable de la part de l'État de laisser Alstom seul et immobile, à l'heure où tous les acteurs mondiaux du ferroviaire se regroupent et se transforment à une vitesse spectaculaire. À titre d'illustration, la marge opérationnelle d'Alstom est en retrait de plusieurs points par rapport à celle de Siemens, mais aussi de Construcciones y auxiliar de ferrocariles (CAF), le constructeur ferroviaire espagnol, et de CRRC, le principal acteur chinois. Même si Alstom a réussi à augmenter son chiffre d'affaires de 40 % en cinq ans, effort pour lequel doivent être salués salariés, ouvriers et direction de l'entreprise, pour atteindre 7 milliards d'euros en 2017, il convient de rappeler que celui de CRRC s'établit à 28 milliards d'euros, dont 7 milliards d'euros à l'exportation. Telle est la réalité de la concurrence !

Il était en conséquence indispensable de consolider Alstom pour améliorer ses performances, renforcer ses sites de production et protéger ses salariés. Quelles étaient les options du Gouvernement ? D'aucuns auraient imaginé un mariage avec Thalès, mais Thalès, par ailleurs performant dans la signalisation mais moins dans le ferroviaire, ne le souhaitait pas. Quant à Bombardier, l'implantation de ses sites aurait généré des doublons et, partant, de nécessaires fermetures. Bombardier et Siemens étant en discussion sur un éventuel rapprochement, nous courrions le risque qu'un tel accord aboutisse. Alors Alstom, quatrième acteur mondial, aurait été distancé par un nouveau géant face auquel il n'aurait guère fait le poids. Il nous fallait donc décider, sereinement et avec une vision stratégique, de la création d'un champion franco-allemand du ferroviaire. L'accord entre Alstom et Siemens est entouré de garanties en termes d'emplois, de préservation des sites et de direction de l'entreprise. Cet accord sera disponible, pour les parlementaires qui souhaitent le consulter, au ministère de l'économie et des finances, afin de garantir le secret des affaires.

Le fait que l'État n'ait pas usé de son option d'achat sur les titres prêtés par Bouygues a également été critiqué par certains. Ce point mérite quelques explications techniques. L'État disposait d'une option d'achat à 35 euros pour 20 % du capital jusqu'au 6 octobre 2017. Avant l'annonce de l'opération de rapprochement, le 20 septembre 2017, le cours de l'action Alstom n'avait jamais dépassé 32 euros. En exerçant l'option d'achat à ce prix, l'État aurait perdu trois euros par action, soit environ 150 millions d'euros. Or, je ne crois pas que dilapider l'argent du contribuable fasse partie des attributions du ministre des finances... Après l'annonce du rapprochement, l'action a atteint 35,8 euros. Si l'État français avait alors exercé son option d'achat, il aurait fait échouer l'opération, entraînant un effondrement du cours de l'action Alstom. Cela aurait été irresponsable industriellement, puisque nous condamnions le rapprochement entre Siemens et Alstom, et stupide financièrement puisque nous aurions finalement perdu beaucoup d'argent car l'État se serait alors retrouvé avec 20 % du capital acquis à plus de 35 euros, pour un cours qui serait sans doute tombé sous le seuil de 30 euros. Au 7 mars, le prix de l'action s'établit d'ailleurs à 33 euros. Il me semble donc que ces critiques, provenant parfois de bords politiques dont nous aurions imaginé une réaction différente, font la part belle aux spéculateurs. Je suis, pour par part, comptable de l'argent des Français et responsable d'une stratégie industrielle ; je ne me livre pas aux opérations de spéculation auxquelles certains voudraient m'inviter.

Je crois, en conclusion, à l'avenir de l'industrie française et suis convaincu que nous avons de magnifiques perspectives ! Notre industrie repose d'abord sur des compétences et sur l'innovation, raison pour laquelle nous engageons des actions ambitieuses en matière de formation et l'apprentissage. L'innovation de rupture est absolument décisive, mais je ne crois nullement à cette idée un peu saugrenue selon laquelle existerait une industrie de demain en opposition totale à celle d'hier. L'industrie de demain est tout simplement l'industrie d'hier, qui se transforme radicalement, sans qu'il soit nécessaire, bien au contraire, de se débarrasser des outils industriels, des sites et des compétences. Prenez des exemples concrets ! Dans la vallée de l'Arve, les usines de décolletage ont plus d'un siècle d'existence ; pourtant, elles sont à la pointe des technologies : elles intègrent la numérisation et la robotisation et ont développé l'intelligence artificielle au niveau le plus pointu. Le décolletage n'a pas été abandonné au profit d'une autre industrie : il a été radicalement modernisé pour le rendre extraordinairement performant. Regardez la Cosmetic Valley ! Ses industries ont des décennies, voire des siècles, d'existence, mais savent se transformer. L'automobile est une tradition de plus d'un siècle en France ; la modernisation de son outil industriel a permis de conserver un savoir-faire absolument exceptionnel. Ces mutations n'interdisent nullement le développement parallèle de nouvelles industries de pointe, à l'instar de la finance ou de la recherche en matière technologique. C'est en pensant large, en pensant grand et en pensant neuf que l'on construira l'avenir de notre industrie !

M. Alain Chatillon , président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet exposé, qui apporte un certain nombre de réponses aux questions que nous posons. N'oublions pas toutefois l'industrie agro-alimentaire, qui permet la valorisation des produits de nos territoires. Les pôles de compétitivité, notamment dans ce secteur d'activité, sont dans l'expectative car s'achève, le 15 avril, la période de six années au cours de laquelle ils ont perçu chaque année 100 millions d'euros par pôle. J'ai créé, il y a plus de dix ans, le premier pôle de compétitivité agroalimentaire à vocation mondiale, qui compte 470 entreprises et 80 pôles de recherche sur les régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie.

Mme Viviane Artigalas . - En octobre 2016, le gouvernement de l'époque avait annoncé plusieurs actions, dont la commande de quinze rames de TGV, pour éviter une brutale restructuration du site d'Alstom à Belfort. Vous aviez alors abondamment critiqué ces mesures, les qualifiant notamment de « solution irresponsable » lors d'une interview sur France 24 et Radio France internationale (RFI) le 4 octobre 2016. Je vous cite : « je considère que, depuis le début, l'État actionnaire aurait dû libérer les capacités de production industrielle d'Alstom, alléger les charges qui pèsent sur l'industrie, simplifier davantage les règles du droit du travail, simplifier les normes pour permettre à Alstom de se développer et de maintenir son site à Belfort ». Vous ajoutiez : « l'État n'a pas joué son rôle d'État actionnaire ; cela nous a amené à cette situation. J'aimerais que demain l'État actionnaire soit un tout petit peu plus prévoyant pour ne pas nous sortir des solutions irresponsables ». Il ne faut pas, je crois, confondre une politique qui libère les capacités de production avec le rôle d'un État actionnaire, même minoritaire, garant de la stabilité des entreprises sur notre territoire. Quelle est, monsieur le ministre, votre conception de l'État actionnaire ? Maintenant que vous êtes ministre de l'économie et des finances, quel devrait être, selon vous, la stratégie de l'État dans les entreprises dont il est actionnaire ?

Mme Valérie Létard . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps d'une présentation développée et extrêmement intéressante. On ne peut que partager l'ambition et le souffle que vous souhaitez donner à l'industrie du futur sur le territoire national ! Il est évident qu'il faut que chacun soit au rendez-vous pour accompagner la transition économique des territoires, être dans la course qui nous est imposée par la nouvelle donne économique et la nécessité de repenser notre industrie. L'État stratège doit travailler avec d'autres niveaux institutionnels que sont les régions et les intercommunalités, qui disposent de compétences en matière de développement économique. Comment engager les territoires, opérateurs économiques de proximité, dans cette perspective ? Les métropoles doivent être nos fers de lance, visibles à l'échelle du monde. Mais les territoires infrarégionaux et extra-métropolitains ont aussi de réelles potentialités. Les collectivités territoriales, qui investissement dans l'aménagement économique du territoire, ont besoin d'être mieux informées. Dans ma région, les cas d'Alstom et de Vallourec sont emblématiques. Sans connaître les perspectives de ces industries, comment investir dans des aménagements et accompagner les investissements ? Élus locaux, État stratège et industriels doivent travailler en confiance, en transparence et en vérité !

M. Fabien Gay . - Je vous interpelle régulièrement, monsieur le ministre, sur des questions industrielles. Je suis, pour ma part, disponible pour approfondir nos échanges. Vous avez une vision stratégique industrielle, je le reconnais, même si je ne la partage pas. Dans le cadre de cette mission d'information sur Alstom, nous avons rencontré de nombreux interlocuteurs, aussi bien au siège social de Siemens à Munich qu'au sein d'Alstom, en particulier M. Poupart-Lafarge. Chacun a évoqué le montage financier de l'opération en des termes divers : mariage entre égaux, fusion-absorption, voire donation. Quel rôle y a joué l'État ? La direction de Siemens nous a indiqué que le gouvernement allemand avait donné son accord au rapprochement. Je salue la mise à disposition de l'accord pour les parlementaires mais sa lecture ne nous renseignera pas sur la stratégie industrielle. Va-t-on privilégier le TGV ou l'ICE ? Au bout de quatre ans, que deviendront les emplois et les sites industriels en doublon sur le territoire ? Lesquels seront privilégiés ? Il y a notamment une question autour la signalisation, qui va être basée à Berlin. J'ai désormais saisi, même si je ne l'approuve pas, le montage financier de l'opération, mais j'aimerais mieux comprendre la stratégie industrielle.

M. Daniel Laurent . - Notre société est en totale et rapide mutation ; nous devons donc être extrêmement réactifs en matière de stratégie industrielle, que vous avez résumée par le triptyque « innovation, stabilité, compétitivité ». Je suis issu d'un milieu rural, que vous connaissez bien pour avoir longtemps été ministre de l'agriculture. Le président Chatillon évoquait à l'instant les pôles de compétitivité. Ils jouent, dans nos milieux ruraux, un rôle déterminant, bien que nous ayons laissé les métropoles aspirer l'industrialisation. Il convient de prendre conscience que ces territoires, qui bénéficieront prochainement du très haut débit, pourront accueillir les entreprises et loger leurs salariés dans de bien meilleures conditions que bien des villes. La stratégie industrielle nationale devra en tenir compte !

Mme Michèle Vullien . - La France n'est, au niveau mondial, que le quatorzième pays en matière d'investissements étrangers. Quelle stratégie faut-il mettre en oeuvre pour améliorer ce résultat ? Comment attirer les investissements étrangers sans se faire phagocyter ? Je pense par exemple aux Chinois, qui achètent des vignes... Je rentre d'un déplacement en Afrique avec le Président Larcher. Les Chinois y sont extrêmement présents. Comment éviter une telle dérive en France ?

M. Claude Kern . - Votre discours sur l'innovation m'a beaucoup plu ! Pour la première fois, j'entends un ministre de l'économie et des finances affirmer qu'il ne faut pas distinguer l'industrie des services. Je me souviens d'un de vos prédécesseurs, qui disait justement l'inverse : qu'en France nous n'avions plus besoin d'industrie et qu'il fallait développer les services. Je m'étais opposé à cette vision ! Nous avons déjà en France des usines 4.0, mais pas les formations que leur fonctionnement nécessite. Il faut agir rapidement dans ce domaine, compte tenu des lourdeurs de l'Éducation nationale pour mettre en oeuvre les réformes votées. Nous ne disposons pas de cinq ans pour réagir sur l'apprentissage, la formation, l'emploi et le développement de la culture de l'entreprenariat ! L'industrie se développe sans nous attendre... Le projet de loi relatif à la formation sera à cet égard décisif.

M. Martial Bourquin , rapporteur. - Merci, monsieur le ministre, de mettre enfin à notre disposition l'accord entre Alstom et Siemens. Il aurait été plus simple de commencer ainsi ! Vous devriez, je pense, rencontrer les syndicats, qui le demandent avec beaucoup d'empressement. Nous partageons votre volonté de créer un champion européen, mais nous nous interrogeons sur les conditions de cette opération. Ce matin, lors d'une audition, l'expression « prise de contrôle » a été utilisée pour la qualifier. Nous regarderons attentivement les garanties offertes par l'accord, notamment sur les fermetures de sites. Si votre conception de l'industrie est intéressante, elle pose des questions concrètes : par exemple, le fait pour l'Allemagne de pouvoir produire entièrement un aéronef modifie en profondeur les conditions de production aéronautique en France, notamment dans le cadre du groupe Airbus. Les territoires ont également besoin de réponses sur l'avenir des pôles de compétitivité. Permettez-moi enfin de vous contredire : si la suppression des impôts de production permet de développer la production, tel n'est pas le cas de la fiscalité du capital, dont la suppression ferait les beaux jours des Panama papers .

M. Bruno Le Maire, ministre . - Je maintiens qu'il est indispensable de baisser la fiscalité sur le capital pour encourager l'investissement dans les entreprises hautement capitalistiques. Quant aux impôts de production, je reste convaincu qu'ils sont trop lourds et pénalisent la compétitivité de notre industrie. Aussi avons-nous lancé, pour la première fois, un examen de tous les impôts de production qui pèsent sur les entreprises.

Je suis attaché aux pôles de compétitivité, que j'ai créés avec Dominique de Villepin. Il faut les renforcer, les rassembler et faire en sorte qu'ils soient aussi opérationnels et efficaces que possible.

Sur Alstom : les parlementaires qui le souhaitent pourront consulter l'accord au ministère de l'économie. Nous tiendrons une première réunion du comité de haut niveau de suivi des accords Siemens-Alstom le 22 mars. Je la présiderai moi-même, comme je m'y étais engagé : je tiens toujours mes engagements. Ce sera l'occasion de rencontrer à nouveau la direction, Henri Poupart-Lafarge et Joe Kaeser, ainsi que les syndicats. Je crois à cet accord entre Siemens et Alstom et je veillerai personnellement au respect des engagements pris sur l'activité, sur l'absence de départs contraints, sur le niveau d'emploi global et sur le niveau d'investissement en recherche et développement en France. Il n'y a pas de risque de doublon, car les technologies sont différentes : le placement des moteurs sur les rames n'est pas le même, notamment. De plus, contrairement à Bombardier, Siemens n'a pas un seul site de production en France dans le secteur du ferroviaire.

Ne nous voilons pas la face : les décisions prises par l'administration américaine sur les tarifs de l'acier et d'aluminium auront un impact direct sur nos activités en France et en Europe. L'augmentation de 25 % du tarif de l'acier et de 10 % de celui de l'aluminium va conduire à des surcapacités qui afflueront vers l'Europe, où elles feront baisser les cours, ce qui aura un impact sur notre outil de production. J'ai donc décidé de réunir tous les acteurs du secteur sidérurgique en France : Arcelor, Vallourec, Ugitech... J'examinerai directement avec eux dès la semaine prochaine les conséquences sur nos sites de production d'acier et d'aluminium des décisions prises par administration américaine. Cela nous permettra aussi d'engager une discussion avec la Commission européenne, chiffres à l'appui, sur les mesures de réponses nécessaires. Le Président la République effectuera un déplacement à Washington les 23 et 24 avril prochains : inutile de vous dire que ce sujet risque d'être à l'ordre du jour des discussions.

Nous devons redéfinir la place de l'État dans l'économie. Le rôle de l'État actionnaire, c'est d'abord celui des services publics. Je crois profondément au service public. La SNCF, par exemple, est un magnifique service public. Quand on croit au service public, on prend les décisions nécessaires pour le transformer et lui permettre de réussir l'ouverture à la concurrence et surtout pour qu'il rende un meilleur service aux clients - car les usagers de la SNCF sont des clients, qui ont le droit à un service de qualité. Cela vaut aussi pour EDF, qui est en train de transformer ses activités en développant massivement les énergies renouvelables.

En deuxième lieu, l'État actionnaire doit être présent dans des secteurs stratégiques, où notre souveraineté est en jeu ; je pense par exemple au secteur de l'énergie nucléaire. Chacun peut comprendre que dans ces secteurs stratégiques, l'État a une place à occuper.

Enfin, le rôle de l'État actionnaire, c'est aussi de garder une capacité d'intervention lorsque des déséquilibres sont manifestes et qu'il faut réagir face à des décisions du secteur privé qui seraient injustes ou iniques.

En revanche, ce n'est pas le rôle de l'État que de recueillir régulièrement des dividendes au lieu d'investir dans l'avenir des Français. Nous demanderons prochainement les autorisations législatives nécessaires pour céder un certain nombre d'actifs de l'État. Ces cessions, nous les ferons, avec le Premier ministre et avec le Président de la République, au moment que nous jugerons pertinent, et à notre rythme. Nous les ferons en fonction de la qualité des projets industriels qui nous seront proposés, en veillant aux intérêts patrimoniaux de l'État et avec pour objectif principal le financement de l'innovation de rupture, c'est-à-dire la préparation de l'avenir des Français.

Si on veut résister à la Chine, il faut être capable de dire non à certains investissements et oui à d'autres. Nous travaillons, avec Jean-Yves Le Drian, à la demande du Président de la République, à l'élaboration d'une vraie doctrine, fondée sur un principe de stricte réciprocité.

Quant à l'usine 4.0, elle reste avant tout une usine. Tous ceux qui rêvaient d'une industrie sans usines ont vendu du vent aux Français : l'industrie, ce sont des usines, et il y a de la beauté, de la grandeur, du savoir-faire et de la technologie dans les usines.

L'usine de L'Oréal, par exemple, est robotisée, exceptionnellement moderne, elle intègre toutes les hautes technologies : elle traite en direct les données de vente à Shanghai ou en Corée, notamment, pour y adapter son rythme de production. Il n'empêche qu'au-delà de cette technologie, qui abolit la frontière entre industrie et services, il y a aussi des femmes et des hommes qui testent la qualité des produits, qui effectuent la maintenance des robots, et qui jugent au nez de la qualité des parfums qui sont vendus. Bref, l'humain garde toute sa place dans une usine.

M. Alain Chatillon , président. - Merci.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

I. AUDITIONS EN FORMATION PLÉNIÈRE

Mercredi 13 décembre 2017 :

- Audition commune avec les organisations syndicales représentées au comité central d'entreprise (CCE) du groupe Alstom : MM. Gilles Buller , Laurent Desgeorge et Patrick de Cara , au titre de la CFDT ; MM. Claude Mandart , Benoît Bourlier et Jean-Louis Profizi , au titre de la CFE-CGC ; MM. Charles Menet et Philippe Pillot , au titre de Force ouvrière (FO) ; MM. Boris Amoroz et Daniel Dreger , au titre de la CGT.

Jeudi 18 janvier 2018 :

- M. Pierre-Noël Giraud , professeur d'économie à l'école des Mines Paris-Tech et à l'université Paris-Dauphine.

Jeudi 1 er février 2018 :

- M. Louis Schweitzer , ancien Commissaire général à l'investissement, Président d'honneur de Renault et Président d'Initiative France ;

- M. Bertrand Escoffier , directeur général du Slip français.

Jeudi 15 février 2018 :

- M. Henri Poupart-Lafarge , président-directeur-général d'Alstom ;

- M. Philippe Varin , président de France Industrie, vice-président du Conseil national de l'industrie.

Jeudi 8 mars 2018 :

- M. Bruno Le Maire , ministre de l'économie et des finances.

II. AUDITIONS DU PRÉSIDENT ET DU RAPPORTEUR

Mardi 23 janvier 2018 :

- Fédération des industries ferroviaires (FIF) : M. Jean-Pierre Audoux , délégué général ;

- Fer de France : M. François Meyer , délégué général ;

- Groupe Safran : M. Michel Dechelotte , directeur des affaires institutionnelles.

Mercredi 24 janvier 2018 :

- Alliance Industrie du Futur : M. Tahar Melliti , directeur général.

Mardi 30 janvier 2018 :

- La Fabrique de l'industrie : MM. Vincent Charlet , délégué général, et Thierry Weil , conseiller ;

- Haut-commissariat à la transformation des compétences (HCTC) : Mme Estelle Sauvat , haut-commissaire, et M. Guillaume Houzel , directeur de programme ;

- Direction générale des entreprises (DGE) : MM. Julien Tognola , chef du service de l'industrie, et Franck Tarrier , sous-directeur des matériels de transports, de la mécanique et de l'énergie.

Mardi 6 février 2018 :

- Association nationale des industries alimentaires (ANIA) : M. Vincent Degouy , directeur des affaires publiques ;

- Agence des participations de l'État (APE) : MM. Martin Vial , commissaire aux participations de l'État, directeur général, Jack Azoulay , directeur de participations Industrie, et Marc de Lepineau , secrétaire général.

Mercredi 7 février 2018 :

- Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) : MM. Louis Margueritte , secrétaire général, et Gauthier Lherbier , rapporteur.

Mercredi 21 février 2018 :

- Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) : M. Hugues de Balathier , chef de service, adjoint à la déléguée générale, et Mme Kathleen Agbo , cheffe de mission ;

- M. Jean-Baptiste Carpentier , ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques.

Jeudi 8 mars 2018 :

- CCI France : MM. Dominique Brunin , délégué général CCI Internationale, Philippe Clerc , conseiller expert en intelligence économique internationale, et Pierre Dupuy , chargé de mission à la direction des relations institutionnelles ;

- Direction générale du Trésor : Mme Valérie Liang-Champrenault , cheffe de bureau « Investissements et règles dans le commerce international » ;

- Délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises : MM. Jean-Pierre Floris , délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, et Marc Glita , adjoint.

Mardi 13 mars 2018 :

- Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : M. Michel Guilbaud , directeur général, Mme Agnès Lepinay , directrice économique et finances, et M. Jules Guillaud , chargé de mission à la direction des affaires publiques ;

- Association française des entreprises privées (AFEP) : M. François Soulmagnon , directeur général ;

- Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) : Mmes Joëlle Prévot-Madère , présidente de la section industrie, Jennifer Bastard , juriste, et Sabrina Benmouhoub , chargée de mission affaires publiques et organisation ;

- Régions de France : M. David Valence , vice-président en charge des mobilités de la Région Grand Est, et Mme Marie-Reine du Bourg , conseillère aux relations parlementaires ;

- Croissance Plus : MM. Jean-Baptiste Danet , président, et Laurent Vronski , directeur général d'Ervor, et Mme Julie Torossian , directrice des affaires publiques ;

- General Electric : Mme Corinne de Bilbao , présidente de GE France, et MM. Jérôme Pécresse , président-directeur général de GE Renewable Energy, et Hugh Bailey , directeur des affaires publiques ;

Mercredi 21 mars 2018 :

- Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers : Mme Laure Bédier , directrice, et M. Benoît Dingremont , sous-directeur en charge de la commande publique ;

- Institut de l'entreprise : MM. Antoine Frérot , président, et Paul Allibert , directeur général.

Mardi 10 avril 2018 :

- Syndicat des Machines et Technologies de Production (SYMOP) : MM. Olivier Dario , délégué général, Jean-Camille Uring , vice-président de la Fédération des industries mécaniques, Philippe Contet , directeur général de la Fédération des industries mécaniques, et Mme Caroline Demoyer , responsable des relations institutionnelles ;

- Banque de France : M. Jacques Fournier , directeur général des statistiques ;

- M. Pierre Veltz , économiste, ancien président de ParisTech, ancien délégué ministériel pour la mise en oeuvre du cluster de Saclay.

Mercredi 18 avril 2018 :

- Business France : MM. Frédéric Rossi , directeur général délégué, et Antoine Gambard , directeur adjoint des investissements ;

- Confédération générale du travail (CGT) : MM. Stéphane Flageau , membre du bureau fédéral de la fédération CGT de la métallurgie, Boris Amaros , délégué syndical central Alstom, Daniel Dreger , secrétaire adjoint du comité européen, et Mme Marie-Claire Cailletaud , membre de la direction confédérale de la CGT ;

- Confédération française démocratique du travail (CFDT) : MM. Augustin Bourguignat , secrétaire confédéral en charge de la politique industrielle, Laurent Desgeorge , secrétaire inter CFDT Alstom, et Alain Larose , secrétaire national la fédération générale de la métallurgie et des mines ;

- Force ouvrière (FO) : MM. Éric Keller , secrétaire fédéral FO métaux, et Philippe Fraisse , secrétaire fédéral FO métallurgie.

Jeudi 19 avril 2018 :

- Secrétariat général pour l'investissement : MM. Thierry Francq , secrétaire général adjoint, et Jean-Luc Moullet , directeur du programme industrie.

Mardi 15 mai 2018 :

- Boston consulting : Mme Agnès Audier , directeur associé, et M. Moundir Rachidi , directeur associé.

Mercredi 16 mai 2018 :

- Airbus group : MM. Jean Perrot , directeur des affaires institutionnelles R&T, Inaki Garcia-Brotons , directeur des sites Airbus Defence & Space, et Philippe Coq , secrétaire permanent des affaires publiques, et Mme Annick Perrimond-Dubreuil , directeur des relations avec le Parlement ;

- Fédération française de l'assurance (FFA) : MM. Philippe Poiget , délégué général, et Jean-Paul Laborde , directeur des affaires parlementaires, et Mmes Christine Tarral , directrice adjointe des affaires financières, Sylvie Gautherin , directrice adjointe vie et capitalisation, et Annabelle Jacquemin-Guillaume , conseillère parlementaire ;

- ARaymond France SAS : M. Frédéric Perrot , président.

Mardi 22 mai 2018 :

- Association nationale des sociétés par actions (ANSA) : Mmes Muriel de Szilbereky , déléguée générale, et Isabelle Tremeau , secrétaire générale ;

- Groupe Avril : MM. Michel Boucly , directeur général délégué, et Stéphane Yrles , directeur des affaires publiques.

III. CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Energy Pool.

LISTE DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION D'INFORMATION

I. BELFORT ET ORNANS (8 FÉVRIER 2018)

Délégation

M. Jacques Bigot, vice-président, SOCR, Bas-Rhin

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Jean-Pierre Corbisez, RDSE, Pas-de-Calais

M. René Danesi, LR, Haut-Rhin

M. Jean-François Longeot, UC, Doubs

Programme

Site Alstom de Belfort

10h20 : Accueil sur le site de Belfort et entretien avec la direction d'Alstom

M. Jean-Baptiste Eymeoud, directeur d'Alstom France

M. Alain Courau, directeur du site de Belfort

Mme  Sylvie Rigaud, directrice des ressources humaines

M. Thomas Lebrun, directeur des achats

M. Damien Cabarrus, responsable des affaires publiques France

11h00 : Visite des ateliers du site

- Mécano-soudure TGV

- Ligne SBB et TGV

- Sortie aux Essais

- Services

11h40 : Entretien avec les représentants des organisations syndicales

MM. David Kaiser et Jean-Luc Briswalter, CGT

MM. Philipe Pierson et Nicolas Elizeon, CFE-CGC

MM. Olivier Kohler et Thierry Muller, CFDT

Site Alstom d'Ornans

14h30 : Accueil sur le site d'Ornans

14h45 : Entretien avec les représentants des organisations syndicales

MM. Pascal Lebreton et Gérard Thomas, CFE-CGC

MM. Patrick de Cara et Gilles Buller, CFDT

M. Philippe Pillot, FO

15h30 : Entretien avec la direction d'Alstom

M. Jean-Baptiste Eymeoud, directeur d'Alstom France

M. Romuald Gicquel, directeur du site d'Ornans

M. Damien Cabarrus, responsable des affaires publiques France

16h15 : Visite des ateliers du site

16h40 : Point presse

II. MUNICH (12 ET 13 FÉVRIER 2018)

Délégation

M. Claude Kern, vice-président, UC, Bas-Rhin

M. Fabien Gay, vice-président, CRCE, Seine-Saint-Denis

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

Programme

• Lundi 12 février 2018

10h10 : Accueil à l'aéroport de Munich par MM. Pierre Robion, consul général adjoint, et Thomas Jeannin, conseiller du service économique régional de l'ambassade de France

12h00 : Déjeuner de travail

M. Pierre Lanapats, consul général

Mme Sylvaine Bruneau, présidente des conseillers du commerce extérieur en Bavière

M. Simon Ulmer, représentant de la société Atos

M. Pierre Robion, consul général adjoint

M. Thomas Jeannin, conseiller du service économique régional

14h00 : Bayerisches Staatsministerium für Wirtschaft und Medien, Energie und Technologie (ministère de l'économie du Land de Bavière)

Entretien avec le Dr. Wittmann, Chef du département Internationalisation/Industrie

15h30 : IHK München und Oberbayern (chambre de commerce et d'industrie de Munich)

Entretien avec M. Thando Sililo, conseiller scientifique auprès du directeur général

Mme Petra Henke, référente Europe

M. Urs Weber, référent Industrie et innovation

• Mardi 13 février 2018

9h00 : Vereinigung der Bayerischen Wirtschaft (VBW), association patronale de Bavière

Entretien avec M. Bertram Brossardt, Hauptgeschäftsführer (directeur général)

10 h 00 : Siemens Group

Entretien avec le Dr. Roland Busch, Chief technical officer et membre du conseil d'administration de Siemens

III. PLATEAU DE SACLAY (14 FÉVRIER 2018)

Délégation

Mme Viviane Artigalas, SOCR, Hautes-Pyrénées

M. Jacques Bigot, vice-président, SOCR, Bas-Rhin

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Gilbert Devinaz, SOCR, Rhône

M. Daniel Laurent, LR, Charente-Maritime

Programme

14 h 30 :  Accueil sur le site de Digiteo Moulon (Gif-sur-Yvette)

Présentation du Factory Lab

M. Frédéric Amblard, directeur du Factory Lab

M. Phlippe Watteau, directeur du List (CEA Tech)

15 h 30 :  Visite du site

Présentation des réalisations du Factory Lab

IV. TOULOUSE (5 MARS 2018)

Délégation

M. Alain Chatillon, président, LR, Haute-Garonne

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Daniel Laurent, LR, Charente-Maritime

M. Franck Montaugé, SOCR, Gers (SOCR)

Programme

10h15 : Accueil à la préfecture de Toulouse par de M. Laurent Carrié, SGAR Occitanie

10h30 : Réunion de présentation du pôle de compétitivité Agri-Sud-Ouest Innovation (AgriSOI)

M. Daniel Segonds, président

M. Pierre Couderc, vice-président

M. Vincent Costes, directeur général

M. Laurent Augier, directeur scientifique

M. Robert Castagnac, commissaire au redressement productif

Mme Nadine Loirette-Baldit, chef du service stratégies de filière, emploi et entreprises, correspondante AgriSOI à la DRAAF

12h30 : Déjeuner à la préfecture de région, à l'initiative de M. Pascal Mailhos, préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne

M. Laurent Carrié, SGAR de la région Occitanie

M. Christophe Lerouge, directeur de la DIRECCTE Occitanie
M. Robert Castagnac, commissaire au redressement productif

M. Simon Leguil, chargé de mission développement économique, industrie, innovation et compétitivité

Mme Nadia Pellefigue, vice-présidente du Conseil régional, en charge du développement économique

M. Stéphane Molinier, directeur général délégué du Conseil régional, en charge de développement économique

14h15 : Réunion avec la DIRECCTE sur la stratégie régionale

M. Christophe Lerouge, DIRECCTE Occitanie

M. Simon Leguil, chargé de mission développement économique, industrie, innovation et compétitivité

15h00 : Départ pour le site d'Airbus - Saint-Martin

15h15 : Présentation d'Aerospace Valley

M. Yann Barbaux, président

16h00 : Présentation de la stratégie d'Airbus

M. Bruno Darboux, vice-président

17h10 : Visite de la ligne d'assemblage de l'A350

M. Jean-Paul Miquel, responsable de la Final assembly line (FAL) A350

V. VILLEBON-SUR-YVETTE (6 MARS 2018)

Délégation

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Claude Kern, vice-président, UC, Bas-Rhin

M. Gilbert Devinaz, SOCR, Rhône

Mme Valérie Létard, UC, Nord

Programme

14h00 : accueil à l'Innovation center for operations (ICO) du Boston Consulting Group (BCG)

Mme Agnès Audier, directrice associée

M. Régis Pageon, directeur de l'ICO

14h30-16h00 : visite du site

VI. BRUXELLES (19 MARS 2018)

Délégation

M. Claude Kern, vice-président, UC, Bas-Rhin

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Jean-François Longeot, UC, Doubs

Programme

10h45 : Entretien avec M. Jacques Sapir, économiste du think tank Bruegel

11h30 : Commission européenne

Entretien avec Mme Astrid Cousin et M. Claes Bengtsson, conseillers de la Commissaire Margrethe Vestager, chargée de la concurrence

12h30 : Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

Déjeuner de travail avec M. François Riegert, ministre-conseiller, chef du service économique, Mme Anne Blondy-Touret, ministre-conseiller pour les affaires financières, chef du service des affaires économiques et monétaires, et M. Emmanuel Mounier, conseiller (compétitivité industrielle, PME, industrie, innovation, tourisme)

14h45 : Commission européenne

Entretien avec Mmes Isabelle Magne et Nele Eichorn conseillers de la Commissaire Cecilia Malmström, chargée du commerce extérieur, et M. Xavier Coget, conseiller du Commissaire Jyrki Katainen, chargé de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité

15h30 : Commission européenne

Rencontre avec M. Tomasz Husak, chef de cabinet de la Commissaire Elisabeta Bienkowska, en charge de l'industrie, en présence de Mme Lautso-Mousnier, conseillère du Commissaire Jyrki Katainen chargé de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité

VII. AYTRÉ (17 AVRIL 2018)

Délégation

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

M. Fabien Gay, vice-président, CRCE, Seine-Saint-Denis

M. Daniel Laurent, LR, Charente-Maritime

Programme

10h45 : Présentation du site et activité avec la direction du site

M. François Papin, directeur du site

M. Damien Cabarrus, directeur des relations publiques France

Mme Corinne Imbert, sénateur de la Charente-Maritime

Mme Sylvie Marcilly, vice-présidente du Conseil départemental

M. Jean-François Fountaine, maire et président de la communauté d'agglomération de La Rochelle

11h45 : Entretien avec les représentants syndicaux

13h00 : Déjeuner de travail avec la direction du site

14h00 : Visite du site

15h30 : Point presse

VIII. BELFORT (1ER JUIN 2018)

Délégation

M. Martial Bourquin, rapporteur, SOCR, Doubs

Programme

10h15 : Accueil à la CCI du Territoire de Belfort

10h30 : Rencontre avec M. Christian Noacco, directeur de GE Energy Products France

11h30 : Réunion avec des représentants des entreprises

M. Louis Deroin, président de la CPME de Belfort

M. Alain Seid, président de la CCI Territoire de Belfort

M. Dominique Balduini, président de Vallée de l'Énergie

13h30 : Rencontre avec les syndicats de General Electric turbines à gaz

CFE CGC :

M. Philippe Petitcollin
M. Steffen Harremoes
Mme Hélène Gonon

CGT :
M. Cyril Caritey
M. Karim Matoug

SUD :

Mme Danielle Martin
M. Alexis Sesmat
M. Francis Fontana

15h00 : Conférence de presse


* 1 Voir le rapport d'information « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand», n° 449 (2017-2018), 18 avril 2018 (https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-449-notice.html).

* 2 En application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat.

* 3 Auditions au Sénat par le président et le rapporteur, auxquelles étaient conviés les membres de la mission ; entretiens avec une délégation représentative des différents groupes politiques du Sénat à l'occasion des déplacements.

* 4 Voir infra, en annexe, la liste des auditions et des déplacements de la mission.

* 5 Mission alors présidée par votre rapporteur, Martial Bourquin, et dont le rapporteur était Alain Chatillon. Voir le rapport d'information « Réindustrialisons nos territoires », n° 403 (2010-2011), 5 avril 2011 (https://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-403-1-notice.html).

* 6 On peut citer notamment : la fusion du cimentier Lafarge avec la société Holcim en 2015 et l'implantation du nouveau groupe en Suisse ; le rachat d'Alcatel-Lucent par Nokia en 2016 et sa radiation de la cote à la Bourse de Paris ; la prise de contrôle de Technip en 2016 par des capitaux américains, dont le siège est désormais à Londres ; et la création effective dans les prochains mois du groupe Siemens-Alstom, contrôlé par l'actionnaire Siemens.

* 7 Voir le rapport n° 449 (2017-2018), p. 17-18.

* 8 Selon l'Insee, « relèvent de l'industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production [...] pour produire des biens matériels destinés au marché ». Les biens sont des « objets physiques pour lesquels il existe une demande, sur lesquels des droits de propriété peuvent être établis ».

* 9 Cette progression est davantage imputable aux exportations hors zone euro (+41 %) qu'aux exportations vers la zone euro (+8 %).

* 10 Voir infra, p. II.A.1.e) 90 .

* 11 Natixis, Flash Économie n° 1298, 3 novembre 2017.

* 12 « Pas d'industrie, pas d'avenir », Les notes du conseil d'analyse économique, n° 13, juin 2014.

* 13 Audition devant votre mission le 18 janvier 2018.

* 14 Voir infra, pp. 134 et 140 .

* 15 Quatrième secteur allemand à l'export en valeur et quatrième secteur également en termes de dépenses en recherche et développement.

* 16 Stratégie aéronautique du Gouvernement fédéral (Luftfahrtstrategie der Bundesregierung), mars 2014.

* 17 Voir infra, en annexe I (p. 237 ), les principales dispositions du « Livre blanc sur la stratégie industrielle ».

* 18 Si le Japon reste très compétitif dans le secteur automobile ou des machineries, la montée en puissance de la Chine, de Taiwan et de la Corée du Sud, a considérablement réduit sa compétitivité dans les secteurs des semi-conducteurs et des écrans de télévision. À titre d'exemple, entre 2014 et 2016, la part de la production japonaise d'équipement audiovisuel dans le monde est passée de 33% à 28%, celle des équipements de communication de 7% à 5% et celle des ordinateurs ou terminaux informatiques de 14% à 13%.

* 19 Pour une présentation détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 20 Pour une présentation plus détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 21 Pour une présentation plus détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 22 Etude 2014 : Industrie 4.0 : The new industrial revolution: How Europe will succeed.

* 23 « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), p. 82.

* 24 Règlement (UE) 2017/2321 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 modifiant le règlement (UE) 2016/1036 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne et le règlement (UE) 2016/1037 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 25 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès des produits et services des pays tiers au marché intérieur des marchés publics de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des produits et services originaires de l'Union aux marchés publics des pays tiers (COM (2012) 124 final) du 21 mars 2012.

* 26 Proposition modifiée COM(2016) 034 final.

* 27 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne, COM (2017) 487 final.

* 28 Audition du 15 février 2018.

* 29 En matière de transformation numérique, les mesures destinées à renforcer la cybersécurité de l'industrie européenne ; la proposition de règlement sur la libre circulation des données à caractère non personnel pour créer un véritable espace européen commun des données ; la liste révisée des matières premières critiques ; en matière d'identification des investissements directs étrangers, la proposition de règlement sur le filtrage des investissements étrangers directs dans l'Union européenne et la création d'un groupe de coordination sur les investissements directs étrangers entrants.

* 30 Notamment, des mesures sur l'économie circulaire ; de nouvelles propositions relatives à une mobilité propre, compétitive et connectée ; des initiatives en vue de moderniser le cadre régissant la propriété intellectuelle ; une initiative visant à améliorer le fonctionnement des marchés publics dans l'Union européenne pour favoriser la participation des entreprises européennes ; une stratégie sur la finance durable afin de mieux orienter les flux de capitaux privés vers des investissements plus durables.

* 31 Notamment, la « Stratégie pour un marché unique numérique », les mesures pour l'amélioration des compétences en Europe, le « Socle européen des droits sociaux », l'initiative « Une énergie propre pour tous les européens », lancée en novembre 2016 ; les mesures destinées à donner une nouvelle impulsion à l'économie des services, proposées en janvier 2016.

* 32 « Où va la normalisation ? En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général », rapport d'information n° 627 (2016-2017) d'Élisabeth Lamure au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 12 juillet 2017.

* 33 « Donner un sens à l'intelligence artificielle », rapport au Premier ministre, remis le 8 mars 2018, pp. 9-10.

* 34 Rapport d'information n° 464 (2016-2017) de Claude de Ganay, député et Dominique Gillot, sénatrice, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 15 mars 2017.

* 35 Dans son rapport à la commission des finances du Sénat présenté le 18 avril 2018 sur le soutien aux énergies renouvelables.

* 36 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et 32 % de cette consommation en 2030, contre un peu plus de 16 % aujourd'hui.

* 37 CGEDD et CGE, « Conséquences industrielles et sociales du déclin des motorisations diesel », mars 2018.

* 38 « Développement des véhicules autonomes : Orientations stratégiques pour l'action publique », 14 mai 2018.

* 39 Vincent Charlet, Stefan Dehnert et Thierry Germain (sous la direction de), L'industrie du futur : progrès technique, progrès social ?, Note de la Fabrique, 2017.

* 40 Elle dépend également des comportements de marge des entreprises et du taux de change de l'euro.

* 41 Selon l'Insee, « les impôts sur la production et les importations sont des versements obligatoires sans contrepartie, en espèces ou en nature, prélevés par les administrations publiques ou par les institutions de l'Union européenne (UE) et qui frappent la production et l'importation de biens et de services, l'emploi de main-d'oeuvre et la propriété ou l'utilisation de terrains, bâtiments et autres actifs utilisés à des fins de production. Ces impôts sont dus quel que soit le montant des bénéfices obtenus ». Ces impôts sont classés dans la catégorie D29 de la comptabilité nationale.

* 42 Sur un barème d'imposition déjà plus réduit qu'en France.

* 43 Ce système, qui interdit les distributions de dividendes, permet de faciliter les successions tout en réinvestissant les profits. Il existe près de 400 fondations de ce type en Allemagne. Sont ainsi détenus par des fondations les groupes Henkel, ThyssenKrupp, Trumpf ou Carl Zeiss.

* 44 Avant la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), le pacte Dutreil prévoyait également une exonération d'ISF à concurrence des trois quarts de leur valeur, là encore sous condition de conservation de deux ans.

* 45 Par exemple, en cas de donation-partage avec rapport des donations antérieures lorsqu'elle porte sur les titres d'une société interposée.

* 46 Le montant du crédit d'impôt recherche demeure difficile à anticiper : la dépense fiscale dépend de la dynamique de la créance, mais aussi de l'impôt sur les sociétés et des demandes de remboursement immédiat des entreprises, dont les règles ont varié depuis 2008, notamment durant le plan de relance, puis avec la généralisation aux PME (au sens communautaire) de la possibilité d'un remboursement immédiat.

* 47 Rapport du 27 juin 2014 concernant l'évaluation des politiques d'innovation en France.

* 48 En outre, la loi de finances rectificative (LFR) pour 2016 avait prévu que la déduction s'appliquerait également aux biens ayant fait l'objet, avant le 15 avril 2017, d'une commande assortie du versement d'acomptes d'un montant au moins égal à 10 % du montant total de la commande et dont l'acquisition intervient dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la date de la commande, afin de tenir compte des délais de fabrication de certains biens complexes.

* 49 Rapport n° 403 (2010-2011), p. 153.

* 50 Oxfam France, CAC 40, des profits sans partage, mai 2018.

* 51 Le forfait social est une contribution affectée à la Sécurité sociale qui s'applique aux rémunérations extra-salariales non soumises à cotisations sociales, dont font partie l'intéressement et la participation.

* 52 La participation étant obligatoire pour les entreprises comptant plus de 49 salariés, prévoir une exonération de forfait social pour la participation des entreprises comprises entre 50 et 250 salariés auraient représenté un pur effet d'aubaine. Ne sont pas non plus concernés les plans d'épargne entreprise (PEE, PERCO et PEI).

* 53 Environ un tiers des entreprises de 100 à 249 salariés ont accordé de l'intéressement à leurs salariés en 2015.

* 54 Voir infra, p. 197 .

* 55 On peut citer à cet égard les propos par Bertrand Escoffier, directeur général du Slip français, lors de son audition par votre mission d'information, le 1 er février 2018 : « Nous n'avons pas vraiment rencontré de difficultés dans le processus de création de l'entreprise. (...). Il existe des financements, publics ou privés, ce qui est un véritable atout. Nous avons toujours été aidés et soutenus dans ce domaine, même s'il y a toujours des sujets de trésorerie lorsque l'on est une entreprise en très forte croissance. »

* 56 Aides financières apportées à un projet qui doivent être remboursée en cas de succès, avec paiement d'intérêts définis en fonction du type de projet.

* 57 Par exemple, la PFA pour l'industrie automobile, ou le GIFAS pour l'aéronautique et l'espace.

* 58 11 200 infrastructures installées en mars 2018 et 9 300 en cours d'installation.

* 59 Voir infra, p. 194.

* 60 Cette mission a été confiée à MM. Jacques Lexiner, directeur scientifique honoraire de l'ESPCI de Paris, Ronan Stephan, directeur scientifique de Plastic Omnium, Stéphane Distinguin, président de l'agence d'innovation Fabernovel et Julien Dubertret, inspecteur général des finances.

* 61 Bpifrance a été désigné comme opérateur par le Commissariat général à l'investissement pour mettre en place au titre du 1er PIA, notamment le prêt vert ainsi que, pour le 2nd PIA, le prêt numérique, le PIPC, le prêt robotique. Bpifrance gère également pour le compte du PIA des dispositifs de fonds propres pour les entreprises innovantes, ainsi que des dispositifs de financement de l'innovation (Programmes structurants pour la compétitivité, Concours mondial de l'innovation, Projets industriels d'avenir, Filières industrielles stratégiques, Fonds pour la société numérique (subventions et avances remboursables) et partenariats régionaux d'innovation).

* 62 Rapport de Alice Zagury et Jean-Noël Barrot de décembre 2017.

* 63 Ces crédits sont destinés à faciliter le financement des PME/TPE, en particulier pour les projets les plus difficiles à financer tels que le financement des actifs immatériels ou les phases de développement. En moyenne sur les dernières années, Bpifrance a accordé environ 5,0 Md€ de garanties par an sur les fonds nationaux (Etat) et grâce aux Régions et au PIA, ce montant a même été porté à 5,5 Md€. Outre les dotations budgétaires annuelles, l'activité de garantie est également adossée sir les excédents constatés sur d'anciennes dotations, qui font l'objet de redéploiements. En 2016, l'activité de garantie de Bpifrance Financement a ainsi bénéficié de 166 M€ de dotations nettes (toutes ressources confondues, y compris redéploiements) et dégagé une perte de 104 M€.

* 64 Selon le rapport financier 2017 de Bpifrance, au 31 décembre 2016, la répartition selon l'origine des ressources du financement à moyen et long terme des concours à la clientèle est la suivante : 66%, de ressources recrutées sur le marché financier, 16%, d'emprunts contractuels auprès d'institutions financières disposant de ressources provenant des dépôts LDD, 7%, de ressources publiques provenant essentiellement du Programme « Investissements d'Avenir », par l'intermédiaire de l'EPIC Bpifrance, 11 %, de refinancement à moyen terme auprès de la BCE.

* 65 Courant, par opposition aux financements ciblés qui reposent sur les crédits du PIA.

* 66 Selon Nicolas Dufourcq, « l'insuffisance du programme 134 pose problème aujourd'hui et je ne suis pas en mesure de vous répondre sur notre capacité pour 2019. Bpifrance finance, sur ses fonds propres, les crédits sans garantie, mais pas la garantie des banques françaises. »

* 67 Prêt croissance, Prêt robotique, Prêt vert, Prêt export, etc.

* 68 Source : Bpifrance, Insee

* 69 Chiffres de 2014.

* 70 Audition du 7 février 2018 par la commission des affaires économiques du Sénat.

* 71 Boston consulting Group, Industry 4.0 : The Future of Productivity and Growth in Manufacturing Industries, avril 2015

* 72 EY, Croire en l'Industrie du futur et au futur de l'industrie, 2017

* 73 Où le contenu innovant de l'offre renforce le pouvoir de fixation des prix dont disposent les firmes.

* 74 « Réindustrialisons nos territoires » rapport n° 403, (2010-2011), avril 2011.

* 75 Voir supra, p. 63 .

* 76 Pour mémoire, selon les estimations de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, l'État dépense déjà 8,5 Md€ pour financer l'innovation, dont 2,2 Md€ hors dépenses fiscales (cf. Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, Quinze ans de politiques d'innovation en France, janvier 2016).

* 77 Voir supra, p. 115

* 78 Voir infra, p. 216 .

* 79 Ce tissu industriel « moyen » représente un total de 1,1 million de salariés (soit 40% de l'emploi industriel), une valeur ajoutée annuelle de 80 Md€ (soit 30% de la valeur ajoutée industrielle totale), un chiffre d'affaires à l'export de plus de 70 Md€ (un cinquième des exportations industrielles) et un investissement corporel de 11 Md€ (un cinquième également de l'investissement industriel).

* 80 Voir supra, p. 90 .

* 81 Voir supra, p. 23 .

* 82 La note de présentation par le Gouvernement des résultats du commerce extérieur de la France pour 2017 souligne toutefois que les comparaisons entre pays, notamment européens, restent fragiles en raison de méthodologies de décompte non harmonisées. Il existe en particulier un seuil de déclaration pour les échanges intra-européens, différent selon les Etats, ce qui est susceptible d'augmenter le nombre de petits opérateurs recensés dans les Etats ayant fixé un seuil bas (comme l'Italie, où il est à 0). D'autres données que celles des Douanes (données fiscales, enquêtes auprès des entreprises) aboutissent à un nombre d'exportateurs et à une comparaison intra-européenne très différents. L'INSEE, à partir de données de la Direction générale des finances publiques couvrant les exportateurs de services et pas seulement les biens, dénombre environ 360 000 entreprises réalisant un chiffre d'affaires à l'exportation. Une harmonisation des statistiques européennes paraît nécessaire pour y voir plus clair.

* 83 Le renouvellement reste relativement important : 23 % des exportateurs en 2017 n'exportaient pas en 2016 et 23 % des exportateurs de 2016 n'exportent plus en 2017 (Direction générale des douanes et droits indirects - Département des statistiques et des études économiques).

* 84 Résultats 2017 du commerce extérieur, 7 février 2018.

* 85 Pour une analyse fine de la concentration de l'appareil exportateur français en fonction des secteurs d'activité : « Un appareil exportateur de plus en plus concentré malgré des disparités sectorielles », Direction générale des Douanes et droits indirects, mai 2015, Direction générale des Douanes et droits indirects.

* 86 Audition du 1 er février 2018 : « L'absence de coopération entre acteurs est une faiblesse majeure de la France, qui, malgré de très bonnes entreprises, de très bons managers, une très bonne recherche, une très bonne capacité d'innovation fait figure, en ce domaine, de très mauvais élève. Ainsi, alors que nous sommes le pays d'Europe où l'on crée le plus d'entreprises, notre rang, en ce qui concerne les entreprises exportatrices, est désolant. Elles sont quelque 100 000 en France, contre 300 000 à 400 000 en Allemagne, mais surtout 200 000 en Italie (...). Comment expliquer cette situation ? Je crois qu'elle tient à un défaut de coopération. (...) En Allemagne, au Japon, en Italie, il existe en premier lieu des coopérations au sein de filières parfaitement structurées, ce qui n'est pas le cas en France. Pour reprendre l'exemple de l'automobile, en France, on trouve d'un côté le Comité des constructeurs français d'automobiles et, pour les équipementiers, la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), quand en Allemagne, il existe une structure unique, dont le rôle, la puissance et l'efficacité sont sans commune mesure. (...). J'ai également évoqué l'Italie : les entreprises d'un même secteur, concurrentes entre elles sur le marché domestique, sont solidaires entre elles dès qu'elles sont à l'extérieur. Une telle entente n'existe pas en France . »

* 87 Ubifrance est un établissement public industriel et commercial créé par l'article 50 de la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003 : il est issu de la fusion du Centre français du commerce extérieur (CFCE), qui mettait à disposition des entreprises, en particulier des PME, l'information nécessaire pour leur développement international, et d'UBIFrance, alors association dédiée à la promotion des entreprises françaises.

* 88 Coût du dispositif CAI Business France limité aux seuls coûts de personnel et de fonctionnement du dispositif en France.

* 89 Une mission que Coface assumait pour le compte de l'État depuis sa création en 1946

* 90 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 7 février 2018.

* 91 Une cinquième procédure, la garantie du risque économique, est aujourd'hui en extinction.

* 92 La question des moyens financiers publics mis à la disposition de l'accompagnement vers l'export ne semble pas prioritaire. Certes, le service public de l'export est mis sous tension en raison de la baisse des financements, comme en témoigne l'évolution du budget export de Business France (qui a perdu 15% de ses dotations budgétaires entre 2012 et 2017). Mais si on additionne les ressources consacrées à l'accompagnement à l'export de Business France (de l'ordre de 85 M€), des régions (75 M€) et les CCI (65 M€).

* 93 En 2008, la convention pentapartite entre la DG Trésor, Ubifrance, le réseau des CCI en France, celui des CCI à l'étranger et le comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF). En juillet 2011, la charte nationale de l'exportation, qui élargit la contractualisation à trois nouveaux signataires (l'Assemblée des régions de France, COFACE et Oséo). Partenariat stratégique pour le développement des PME à l'international conclu le 11 mars 2015 entre Business France, CCI France et CCI France international. Accord-cadre avec l'ARF, signé le 25 juin 2015 et reconduit avec la nouvelle gouvernance de Régions de France en septembre 2016.

* 94 Audition devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, 17 janvier 2018.

* 95 Idem.

* 96 Pour le détail, voir infra, p. 170 .

* 97 Discours d'Édouard Philippe au conseil national de l'industrie du 20 novembre 2017.

* 98 « À quoi servent les filières industrielles ? », le point de vue de Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, président de la Fabrique de l'industrie, Problèmes économiques, novembre 2013.

* 99 Audition du 7 février 2018.

* 100 Source : rapport annuel du Conseil national de l'industrie pour l'année 2016.

* 101 « À quoi servent les filières ? », Thibaut Bidet-Mayer, Louisa Toubal, la Fabrique de l'industrie, 2013.

* 102 « Réindustrialisons nos territoires », rapport n° 403 fait par Alain Chatillon au nom de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires (Sénat, 2010-2011).

* 103 Dossier de présentation de la réunion du comité exécutif du conseil national de l'industrie du 26 février 2018.

* 104 « Industrie : un moteur de croissance et d'avenir », rapport présenté par Marie-Claire Cailletaud au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 27 mars 2018.

* 105 « Quelle politique pour les pôles de compétitivité ? », rapport présenté par Frédéric Grivot au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 25 octobre 2017.

* 106 « Des pôles de compétitivité performants et structurants pour les territoires », Commissariat général à l'égalité des territoires, En bref n° 36, mars 2017.

* 107 Source : « Quelle politique pour les pôles de compétitivité ? », rapport présenté par Frédéric Grivot au nom de la section des activités économiques du Conseil économique, social et environnemental, 25 octobre 2017.

* 108 « Évaluation de la politique des pôles de compétitivité : la fin d'une malédiction ? », Haithem Ben Hassine, Claude Mathieu, Document de travail n°2017-03, février 2017, France Stratégie.

* 109 Avis sur la politique des pôles de compétitivité de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, 2 février 2017.

* 110 Source : avis sur la politique des pôles de compétitivité de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, 2 février 2017.

* 111 Sauf pour 2005, où la source est l'étude d'Erdyn, BearingPoint et Technopolis : Étude portant sur l'évaluation des pôles de compétitivité, rapport pour la DATAR et la DGCIS, juin 2012.

* 112 Source : Rapport précité du Conseil économique, social et environnemental sur les pôles de compétitivité.

* 113 « Des pôles de compétitivité performants et structurants pour les territoires », Commissariat général à l'égalité des territoires, mars 2017.

* 114 Idem.

* 115 Par la Cour des comptes, dans son référé du 4 juillet 2016 ; le Commissariat général à l'égalité des territoires, dans son rapport de mars 2017 ; le Conseil économique, social et environnemental, dans son avis du 25 octobre 2017 ; la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation, dans son avis du 2 février 2017 ; et France Stratégie, dans son document de travail « Évaluation de la politique des pôles de compétitivité : la fin d'une malédiction ? », établi par Haithem Ben Hassine et Claude Mathieu.

* 116 Voir supra, p. 102 .

* 117 Voir les articles L. 225-35 et suivants du code de commerce.

* 118 Voir le premier volet du rapport de la mission : « Siemens-Alstom : pour un géant européen du ferroviaire véritablement franco-allemand », p. 34.

* 119 « Siemens-Alstom : pour un géant européen du ferroviaire véritablement franco-allemand », pp. 21-23.

* 120 Pour l'exercice de ses missions, l'APE dispose au 1 er janvier 2018 d'une équipe de 52 personnes, essentiellement fonctionnaires. Elle compte 27 cadres dirigeants et chargés de participations, traditionnellement issus de corps d'ingénieurs (46 %), mais également, dans un souci de diversification des profils, d'autres corps (25 % d'administrateurs civils, 18 % de fonctionnaires issus d'autres corps - INSEE, Banque de France, IGF, Cour des Comptes) ainsi que 11 % de diplômés de grandes écoles de commerce. Les pôles d'expertise (financier, juridique, audit et comptabilité), les fonctions supports ainsi que les secrétariats emploient 25 personnes. Le taux de féminisation est de 46 %. L'âge moyen des équipes de l'APE est de 41 ans. Sur les 27 cadres dirigeants et chargés de participations, 52 % ont une expérience de l'entreprise et exercent en moyenne une activité professionnelle depuis environ 9 ans.

* 121 Voir la note « L'impossible État actionnaire ? », Institut Montaigne, janvier 2017.

* 122 Information en commission restreinte, à huis-clos, ou condition d'engagement à respecter le caractère confidentiel des données transmises.

* 123 Voir supra, p. 104 .

* 124 Rapport « Siemens-Alstom : Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », n° 449 (2017-2018), p. 39.

* 125 En vertu de l'article 31-1 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, elle ne peut être prévue que « si la protection des intérêts essentiels du pays en matière d'ordre public, de santé publique, de sécurité publique ou de défense nationale exige qu'une action ordinaire de l'État soit transformée en une action spécifique ».

* 126 L'action spécifique n'est pas condamnée en soi, mais dans la mesure où elle peut constituer une entrave à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement, elle doit être justifiée par un motif légitime, par exemple la protection de la sécurité juridique, contrôlé par la Cour et soumis au principe de proportionnalité (voir notamment, CJCE, 11 nov. 2010, C-171/08 Commission c/ Portugal ; 10 nov. 2011, Commission c/ Portugal ; C-212/09).

* 127 Rapport « Siemens-Alstom : Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », n° 449 (2017-2018), pp. 15-19.

* 128 Rapport n° 449 (2017-2018), pp. 41-43 et 59-60.

* 129 Voir supra, p. 96.

* 130 Voir supra, p. 106 .

* 131 Voir supra, p. 59 .

* 132 Voir infra, en annexe II, le détail de la réglementation chinoise.

* 133 Voir infra, en annexe II, le détail de ces réglementations.

* 134 Voir infra, en annexe II.

* 135 Voir infra, en annexe II, le détail de la législation allemande.

* 136 Voir infra, en annexe II.

* 137 Par recours au principe de l'investisseur ultime, qui vise à remonter à l'origine ultime de l'opération d'investissement en France en corrigeant les effets d'optimisation fiscale recherchés par le truchement de pays tiers.

* 138 JO Débats Sénat, 14 octobre 2004, amendement n° 91, après l'article 21.

* 139 « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », p. 36.

* 140 Article R. 153-8 du code monétaire et financier.

* 141 Au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense.

* 142 Notamment, il résulte des auditions que la mise en place d'un « proxy agreement », qui conduit à transférer à un tiers agréé par l'autorité administrative certains droits de vote, est possible.

* 143 Par exemple, imposer le respect de conditions de maintenance ou d'intervention sur des sites ou équipements afin de garantir la sécurité d'approvisionnement, en matière d'électricité par exemple.

* 144 Audition du 15 février 2018.

* 145 Audition du 1 er février 2018.

* 146 Toutefois, pour Alstom, cette intervention n'était que supplétive, dans l'hypothèse où l'entreprise n'aurait pas exécuté pleinement certaines obligations de « self reporting » auprès des autorités américaines.

* 147 Voir « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), pp. 52-54 et 58-66.

* 148 Voir supra, p. 94 .

* 149 Karine Berger, L'extraterritorialité de la législation américaine , Rapport d'information n° 4082 enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2016 en conclusion des travaux d'une mission d'information présidée par Pierre Lellouche.

* 150 Voir « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), pp. 31-32.

* 151 « (...) avec mes homologues allemand et britannique, nous travaillons actuellement à une initiative européenne visant à demander à la Commission européenne de prendre rapidement les trois décisions suivantes : renforcer le règlement de 1996, afin d'inclure l'Iran dans ce cadre qui protège les intérêts économiques européens ; doter l'Europe d'une institution financière indépendante lui permettant de faire librement du commerce où elle le veut, quand elle le veut, sans dépendre des institutions financières américaines ; enfin, mettre en place une institution comparable à celle qui existe aux États-Unis, pour faire respecter les règles européennes sur toute la planète. »

* 152 Marchés publics (y compris les marchés de partenariat), à l'exclusion des concessions.

* 153 « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME », Rapport d'information n° 82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin, au nom de la mission d'information sur la commande publique, déposé le 14 octobre 2015, p. 178.

* 154 CJCE, 20 septembre 1988, Gebroeders Beentjes BV, aff. C-31/87, point 30.

* 155 Cf. le rapport d'information de notre collègue Élisabeth Lamure, « Où va la normalisation ? En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général », n° 627 (2016-2017), au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 19 juillet 2017.

* 156 Cette exigence serait discriminatoire, à raison de la nationalité (voir CJCE, 10 février 1982, Transporoute c/Ministère des travaux publics du Luxembourg , aff. C-76/81, point 15).

* 157 Réponse ministérielle n°16835, JO Sénat 14 avril 2011, p. 942.

* 158 « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME », Rapport d'information n° 82 (2015-2016) de M. Martial Bourquin, au nom de la mission d'information sur la commande publique, 14 octobre 2015, p. 105.

* 159 Recommandation (UE) 2017/1805 de la Commission du 3 octobre 2017 sur la professionnalisation de la passation des marchés publics - Concevoir une architecture pour la professionnalisation de la passation des marchés publics.

* 160 Le décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité précise les conditions d'application de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics pour ce qui concerne les marchés de défense.

* 161 Acheteurs agissant dans le domaine des réseaux.

* 162 Voir supra, p. 58.

* 163 Et notamment pour ceux-ci, en réservant une part minimale de leur montant à des PME.

* 164 Article 4 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

* 165 Article 6 du décret n° 2016-360.

* 166 Article 58 du décret n° 2016-360.

* 167 Article 62 du décret n° 2016-360.

* 168 Introduit dans le droit français par le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics puis intégré dans les décrets n° 2016-360 relatif aux marchés publics et n° 2016-361 relatif aux marchés de défense ou de sécurité.

* 169 Rapport n° 82 (2015-2016), p. 86.

* 170 Par exemple, en région Centre-Val de Loire, 28 projets de plus de 3 M€, représentant au total plus de 201 M€ d'investissement, ont bénéficié en 2016 de ce dispositif.

* 171 Avis n° 141 (2016-2017), fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 novembre 2016.

* 172 Voir supra, p. 144 .

* 173 Rapport d'information n° 403 (2010-2011), p. 178.

* 174 ADCF, Quelles ambitions pour nos territoires, février 2018.

* 175 L'intervention publique régionale est majorée de 20 % en 2018 et de 10 % en 2019. Elle prend la forme d'une subvention, en cohérence avec le Contrat Croissance, et s'adresse à des projets d'un montant minimal de 40 000 € HT (ou 60 000 € HT concernant le contrat AgroViti stratégique).

* 176 Informations fournies par les services économiques de la direction générale du Trésor dans les États concernés.

* 177 Informations fournies par les services économiques de la direction générale du Trésor dans les Etats concernés.

* 178 Le 12 juillet 2017, les autorités allemandes ont décidé d'élargir le champ du contrôle des investissements étrangers dans le domaine de la défense, autrefois limité aux matériels de guerre stricto sensu , aux « technologies clés en matière de défense », notamment les dispositifs de commande de tir, les simulateurs, les dispositifs de reconnaissance militaire et les systèmes de contrôle à distance. L'objectif est de garantir que les entreprises qui disposent de ces connaissances clefs pour la défense allemande ne soient pas acquises par des investisseurs étrangers sans l'accord préalable du gouvernement fédéral.

* 179 Décret-loi n. 21 du 15 mars 2012, décrets d'application n. 85 du 25 mars 2014 - communication, énergie et transports - et n.108 du 6 juin 2014 - défense et sécurité nationale.

* 180 Informations fournies par les services économiques de la direction générale du Trésor dans les États concernés.

* 181 Acquisition indirecte : lorsqu'une société canadienne est acquise par suite de la prise de contrôle d'une personne morale constituée ailleurs qu'au Canada.

* 182 Pour les banques dont les fonds propres sont égaux ou supérieurs à 12 MdCAD, un investisseur ne peut détenir plus de 20 % des actions avec droit de vote ou plus de 30 % des actions sans droit de vote. Pour les compagnies d'assurance dont les fonds propres sont égaux ou supérieurs à 2 MdCAD, la participation est limitée à 35 % des actions avec droit de vote.

* 183 Fondé sur la section 721 du Defence Production Act de 1950 , tel qu'amendé par le Foreign Investment and National Security Act de 2007, le CIFIUS est composé de 9 membres avec droit de vote (le Trésor, les ministères de la Justice, de la Sécurité intérieure, du Commerce, de la Défense, des Affaires Étrangères, du Commerce, de l'Énergie, et le Bureau de la politique scientifique et technologique) et de 5 membres « observateurs » : le Budget, le Conseil des conseillers économiques, le Conseil de la sécurité nationale, le Conseil économique national, et le Conseil de la sécurité intérieure. Les Départements du renseignement national et du travail sont également membres de droit ( ex-officio ) mais sans droit de vote.

* 184 Foreign Investment Risk Review modernization Act (FIRRMA) déposé par les membres du Congrès : Sénateurs Cornyn, Feinstein et Burr. En parallèle, les sénateurs Grasley et Brown ont déposé le United States Foreign Investment Review Act (FIRA), dont l'objet est d'instaurer un mécanisme d'évaluation de l'investissement séparé du contrôle exercé par le CFIUS.

* 185 Il s'agit des investissements non passifs dans des critical technology companies ou des critical infrastructure companies ; de l'apport par une critical technology company américaine à une personne étrangère, d'éléments de propriété intellectuelle ou assimilés par une joint-venture ou autre arrangement ; de l'achat d'immobilier situé près d'infrastructures militaires ou gouvernementales sensibles, toute transaction conçue pour échapper au contrôle du CFIUS.

* 186 E. Cohen, Quatre regards pour une nouvelle politique industrielle , Le Monde, 25 janvier 2018.

* 187 Rapport, page 192.

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