III. QUEL AVENIR POUR LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DU RENSEIGNEMENT ?
Après dix années d'activité, une réflexion mérite d'être engagée sur l'efficacité du modèle de contrôle de la politique publique du renseignement mis en place en France. Ce travail apparaît d'autant plus utile que le renforcement des services de renseignement au cours des dernières années, dans un contexte de menace terroriste forte, rend plus que nécessaire l'existence d'un contrôle efficient de leur activité.
Malgré les craintes qui avaient entouré la création de la délégation en 2007, force est de constater que son rôle et son utilité sont aujourd'hui largement reconnus, en premier lieu au sein des services de renseignement. La délégation conduit en effet ses travaux en bénéficiant de la coopération de l'ensemble des administrations soumises à son contrôle, qu'il s'agisse des services, mais également de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) ou encore de la CNCTR. La qualité des échanges peut d'ailleurs se mesurer au taux élevé de reprises des recommandations formulées par la DPR dans ses rapports ( cf. annexe).
Ce contexte de travail favorable ne doit toutefois pas se faire au détriment d'un contrôle objectif, plein et entier de l'activité des services, la délégation se devant d'être attentive à ne pas devenir un relai des attentes des services.
Aussi paraît-il utile de s'assurer qu'elle dispose de tous les moyens nécessaires à l'exercice d'un contrôle indépendant. Or, malgré l'élargissement de ses prérogatives en 2013, des marges de progression existent. La comparaison avec les modèles étrangers permet, à cet égard, d'identifier quelques axes possibles de réforme.
Le contrôle parlementaire du renseignement en Europe et aux Etats-Unis La question du contrôle et de l'évaluation parlementaire de la politique publique du renseignement est une préoccupation commune à l'ensemble des démocraties. La comparaison établie se fonde sur l'analyse des modèles mis en oeuvre au sein de quatre pays européens (l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni) et aux États-Unis. 1. Un contrôle confié à des entités restreintes et pluralistes Si les pays étudiés se sont tous dotés, à des dates plus ou moins récentes, d'organes parlementaires dédiés au contrôle des services de renseignement, leur format varie d'un pays à l'autre. Aux Pays-Bas et en Allemagne, le pouvoir de contrôle parlementaire du renseignement n'est confié qu'à une seule chambre : la Tweede Kamer (chambre des représentants) dans le premier cas, le Bundestag dans le second cas. Dans les autres pays, le contrôle relève des deux chambres et est confié, comme en France, à une entité bicamérale (Italie, Royaume Uni). Les États Unis présentent quant à eux un système spécifique, la Chambre des représentants et le Sénat étant chacun doté d'une commission de contrôle des services de renseignement. Dans l'ensemble des pays étudiés, à l'exception des États-Unis, les entités de contrôle sont de taille relativement restreinte : 5 membres aux Pays-Bas, 9 membres au Royaume-Uni et en Allemagne, 10 membres en Italie. Il est intéressant de noter, à cet égard, que les Pays-Bas ont procédé en 2016, à la suite d'un scandale provoqué par la divulgation de documents confidentiels, à une réduction du nombre des membres de la commission des services de renseignement. Aux États-Unis, les commissions de contrôle du renseignement sont plus élargies. Ainsi, la commission restreinte pour le renseignement du Sénat est composée de 15 membres. Par ailleurs, dans tous les cas, la composition des entités est soumise à une obligation de pluralisme, même si la représentation de l'ensemble des formations politiques n'est pas exigée. En Italie, la loi exige que le comité parlementaire pour la sécurité de la République soit présidé par un parlementaire inscrit dans un groupe d'opposition. Enfin, selon les pays, les membres sont soit nommés (nomination par le Président du Sénat en Italie, par le Premier ministre au Royaume-Uni), soit désignés de droit (aux Pays-Bas, sont membres de droit de la commission de contrôle des services de renseignement les présidents des cinq principaux groupes politiques), soit élus (en Allemagne, le Bundestag élit, en début de législature, les membres du comité de contrôle parlementaire des services de renseignement). 2. Des prérogatives plus ou moins étendues selon les pays Le périmètre du contrôle ainsi que le champ des prérogatives confiées par la loi aux entités de contrôle parlementaire des services de renseignement sont, selon les pays, plus ou moins larges. S'agissant tout d'abord du périmètre du contrôle, les organes de contrôle parlementaire sont, dans l'ensemble des pays, habilités à être informés de la situation de la sécurité intérieure comme extérieure du pays ainsi que de l'activité générale des services de renseignement. Dans certains cas, les organes de contrôle disposent également d'un pouvoir de connaître des faits individuels et des opérations spécifiques mises en oeuvre par les services. Ainsi, en Allemagne, la loi oblige le Gouvernement fédéral à tenir le comité de contrôle parlementaire des services de renseignement informé des faits individuels qui sont l'objet de débats politiques ou de rapports publics, ainsi que, sur requête du comité lui-même, de toute autre affaire. En Italie, le périmètre de contrôle du comité parlementaire pour la sécurité de la République s'étend également aux opérations menées par les services. Ainsi, la loi prévoit une information du comité par le Président du Conseil sur toute opération secrète impliquant la mise en oeuvre d'actions qualifiables de délits mais autorisées spécialement conformément à la loi. Au Royaume-Uni, le contrôle de la commission du renseignement et de la sécurité du Parlement (ISC) a été étendu, depuis 2013, au contrôle des opérations des services de renseignement. La commission est ainsi autorisée à se pencher sur des questions opérationnelles spécifiques, lorsque le Premier ministre lui en fait la demande, dans tous les cas où cela n'interfère pas avec une opération de renseignement ou de sécurité en cours ou si son examen est limité à l'étude de documents qui lui sont transmis par les services de renseignement ou par les autorités ministérielles. Enfin, aux États-Unis, le contrôle exercé par les commissions du Congrès américain demeure le plus étendu. Les commissions parlementaires ont en effet la charge de contrôler et de mener une étude continue de l'ensemble des activités et des programmes des services de renseignement. Elles ont pour mission de veiller à ce que les agences et départements compétents procurent le renseignement adéquat pour que les pouvoirs exécutif et législatif prennent les bonnes décisions pour préserver la sécurité et les intérêts vitaux de la Nation. Les systèmes diffèrent également s'agissant de l'étendue des prérogatives confiées aux organes de contrôle parlementaire pour l'exercice de leurs missions. Dans l'ensemble des pays étudiés, les organes de contrôle obtiennent, dans la limite du périmètre de leur contrôle et de leur droit à en connaître, la transmission de documents relevant du secret de la défense nationale. La transmission de certaines informations ou documents peut, dans certains cas, être limitée, lorsqu'elle est jugée contraire à l'intérêt national (Pays-Bas) ou lorsqu'elle peut porter préjudice à la sûreté de l'État (Italie). En outre, les organes parlementaires étudiés bénéficient tous de la possibilité d'entendre les ministres, les responsables ainsi que les agents des services de renseignement. Certains pays ont prévu un droit d'information plus étendu. Ainsi, en Allemagne, le comité peut décider, à la majorité des deux tiers de ses membres et à la suite d'une audition du Gouvernement fédéral, de mandater des experts indépendants pour conduire une enquête sur un fait individuel. En Italie, le droit d'information du comité est également très étendu : celui-ci peut obtenir, par dérogation au code de procédure pénale, copie des actes et documents relatifs à des procédures et des enquêtes judiciaires en cours. Le comité peut également, à la majorité de deux tiers, solliciter une enquête interne sur la conformité des actions d'un agent aux dispositions légales et constitutionnelles. Dans ces deux pays, les organes parlementaires de contrôle du renseignement bénéficient enfin d'un pouvoir d'enquête sur place, dans les locaux des services de renseignement. Aux États-Unis, les commissions de contrôle des services de renseignement bénéficient, là encore, d'importantes prérogatives. Elles disposent de larges pouvoirs d'investigation : elles peuvent mener des enquêtes sur tout sujet relevant de leur compétence, convoquer des témoins et exiger la production de documents et de correspondance, prendre des dépositions et enregistrer des témoignages sous serment sur tout sujet relevant du renseignement, dans le cadre d'une procédure quasi-juridictionnelle. Elles sont également autorisées, pour la conduite de leurs missions, à faire appel à des consultants ou à des experts indépendants. Enfin, elles disposent d'importants pouvoirs en matière budgétaire, étant responsables, chaque année, d'élaborer le texte de la loi ouvrant en allouant les crédits aux agences de renseignement. |
A. LE FORMAT ET LE FONCTIONNEMENT DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT
Resté inchangé depuis 2007, le format de la délégation parlementaire au renseignement repose sur des principes que l'on retrouve dans la plupart des dispositifs de contrôle mis en place au sein de parlements étrangers.
Ainsi, dans la plupart des pays ayant instauré un contrôle parlementaire du renseignement, les organes de contrôle sont, comme dans le cas de la délégation parlementaire au renseignement, de taille relativement restreinte : 5 membres aux Pays-Bas, 9 membres au Royaume-Uni et en Allemagne, 10 membres en Italie. Il est intéressant de noter, à cet égard, que les Pays-Bas ont procédé en 2016, à la suite d'un scandale provoqué par la divulgation de documents confidentiels, à une réduction du nombre des membres de la commission des services de renseignement.
Par ailleurs, la composition des entités est généralement soumise, comme en France, à une obligation de pluralisme , même si la représentation de l'ensemble des formations politiques n'est pas exigée.
Ces principes ne paraissent pas devoir être remis en cause. Ils constituent en effet à la fois une garantie d'objectivité du contrôle démocratique exercé et un gage d'efficacité et de discrétion.
En revanche, la délégation a estimé qu'il était utile d'engager une réflexion sur le fonctionnement interne de la délégation , qui soulève actuellement des difficultés, à deux niveaux. D'une part, le changement de président chaque année nuit à la continuité des travaux. D'autre part, le fait que les travaux de la délégation soient systématiquement conduits par le président de la délégation, qui est obligatoirement un président de commission permanente, contraint les travaux de la délégation.
Afin de répondre à ces difficultés, la délégation estime qu'il pourrait être intéressant de prévoir la nomination d'un rapporteur , qui aurait pour mission, aux côtés du président, d'organiser les travaux de la délégation et de préparer les rapports d'activité annuels.
Le projet de loi initial présenté par le Gouvernement en 2007 en vue de la création de la délégation parlementaire au renseignement prévoyait la nomination d'un rapporteur, sans plus de précision. La disposition avait toutefois été supprimée par le Sénat, qui avait préféré laisser la délégation libre d'organiser ses travaux. Dans la pratique, la délégation n'a jamais désigné de rapporteur, la rédaction du rapport d'activité annuel ayant systématiquement été confiée au président de la délégation.
La désignation d'un rapporteur devrait permettre de décharger les présidents, qui pourraient leur confier l'organisation d'une partie des travaux et des auditions au titre de la délégation.
S'agissant de la périodicité de leur nomination, plusieurs pistes de réforme ont été étudiées par la délégation.
Une première solution consisterait à nommer le rapporteur pour une période de deux ans. Une telle solution permettrait à la fois de décharger les présidents successifs et d'assurer la continuité des travaux de la délégation, malgré le changement annuel de présidence. Dans cette hypothèse, le rapporteur serait, alternativement, un député ou un sénateur.
Afin de préserver l'équilibre entre les deux assemblées parlementaires, la durée de la présidence de la commission de vérification des fonds spéciaux, actuellement d'une durée d'un an, pourrait également être portée à deux ans, comme le recommande d'ailleurs son rapport de 2017. Ainsi serait introduit un roulement entre le Sénat et l'Assemblée nationale tous les deux ans, chacune des deux assemblées assurant, à tour de rôle, la présidence de la CVFS ou le poste de rapporteur de la délégation.
Une seconde option consisterait à porter la durée du mandat du président de la délégation à deux ans et à nommer un rapporteur pour la même durée. Il pourrait être prévu que le président et le rapporteur appartiennent chacun à une assemblée, afin d'assurer un équilibre. Par symétrie, la durée de la présidence de la CVFS pourrait, dans cette hypothèse, également être portée à deux ans.
Contrairement à la première option, cette solution aurait le bénéfice de permettre le développement d'une relation étroite de travail entre le président et le rapporteur, en évitant au rapporteur de changer chaque année de président. Elle ne permettrait toutefois pas à chaque membre de droit de la délégation d'assurer la présidence au cours de son mandat.
Recommandation n° 8 : Prévoir la nomination d'un rapporteur au sein de la délégation parlementaire au renseignement pour assurer la continuité de ses travaux et alléger la charge du Président. |