B. L'AVENIR DE LA PAC : UNE GRANDE POLITIQUE QUI DOIT RESTER UNE PRIORITÉ
Les réflexions sur de nouveaux équilibres pour le secteur agricole sont menées à la fois, d'une façon très générale au niveau européen (a) et sur un aspect plus spécifique en France (b).
1. La communication de la Commission européenne sur une évolution de la PAC
L'évolution de la politique agricole commune (PAC) est indissociable de l'adoption du cadre financier pluriannuel pour 2020-2026 31 ( * ) . Sans attendre des occasions en ce domaine, la réflexion a déjà commencé, prenant la forme d'une communication de la Commission européenne sur l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture, présentée le 29 novembre dernier. Elle fait suite :
- à la consultation sur la modernisation et la simplification de la PAC menée par la Commission européenne au premier semestre 2017, allant dans le sens d'une simplification de la PAC,
- des finances de l'Union européenne qui envisage plusieurs scenarii de baisse sensible du budget agricole.
Dans sa communication, la Commission propose de conserver une PAC à deux piliers, au sein de laquelle l'aide au revenu relèverait toujours du premier pilier, tandis que le second recouvrerait les mesures en faveur de l'investissement, de la gestion des risques ou encore de la consolidation du tissu socio-économique des zones rurales.
Elle ne propose pas non plus de bouleversement dans l'organisation des marchés agricoles et dans les mécanismes d'intervention. Rappelant que la PAC doit rester orientée vers le marché, la Commission esquisse simplement un renforcement du rôle des organisations de producteurs. En outre, elle envisage aussi de poursuivre la mise en oeuvre d'instruments de gestion des risques, notamment l'instrument de stabilisation des revenus (ISR) avec un seuil de déclenchement de 20 %.
La principale innovation proposée consiste à simplifier drastiquement la PAC en retenant, pour le verdissement et la conditionnalité environnementale, une approche fondée sur les résultats plutôt que sur les moyens.
La Commission envisage ainsi que les États membres s'engagent sur un plan stratégique de mise en oeuvre de la PAC, couvrant les deux piliers 32 ( * ) qui respecterait un cadre commun défini au niveau européen . L'éco-conditionnalité, le verdissement des aides directes et le dispositif des mesures agroenvironnementales seraient dès lors remplacés par des mesures définies par les États membres et les aides distribuées seraient conditionnées à l'engagement des agriculteurs dans des pratiques vertueuses, définies et contrôlées au sein de chaque État membre. Concrètement, la Commission propose de supprimer l'approche uniforme en matière d'application de la PAC et d'aller vers davantage de subsidiarité.
Une autre nouveauté consiste à aller vers le plafonnement obligatoire des paiements directs en tenant compte de la main-d'oeuvre et de généraliser les paiements dégressifs voire d'instituer des paiements redistributifs afin de favoriser les petites et moyennes exploitations.
La Commission européenne propose aussi de mieux articuler la PAC et les autres politiques de l'Union européenne, en particulier de recherche et d'innovation.
Tels sont les éléments dont nous disposons à ce stade, les propositions législatives de la Commission ne devant être connues qu'au deuxième semestre 2018. Pour continuer à nourrir sa réflexion, le commissaire a demandé eux États membres de lui adresser leur réflexion
2. Une réflexion spécifique au niveau national sur la chaîne de valeur : les États généraux de l'alimentation
À côté de la participation des institutions françaises à la réflexion sur l'évolution générale de la PAC, un autre élément du contexte actuel mérite d'être rappelé dans la mesure où il a été évoqué par le commissaire à plusieurs reprises.
Il s'agit des « États généraux de l'alimentation », instance ad hoc de concertation mise en place en juillet dernier et qui réunit les représentants des producteurs, des distributeurs, des transformateurs, des consommateurs et de l'ensemble des parties prenantes, sous l'égide des pouvoirs publics.
L'objectif recherché consiste à accroître la rémunération des différents acteurs de la filière, à commencer par celle des agriculteurs, tout en améliorant la sécurité alimentaire, tant sur le plan sanitaire qu'environnemental.
Les États généraux de l'alimentation travaillent sur deux chantiers : le premier est consacré à la création et à la répartition de la valeur et le second à la promotion d'une alimentation « saine, sûre, durable et accessible à tous ». Ces chantiers sont déclinés en quatorze ateliers thématiques 33 ( * ) .
La première phase des États généraux de l'alimentation qui s'est achevée en octobre 2017 a été dominée par les discussions sur l'exigence de prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Si dans l'ensemble, les parties ont pourtant joué le jeu d'un dialogue constructif, une voix discordante s'est faite entendre, celle de M. Michel-Édouard Leclerc, qui a accusé les autres participants de préparer une hausse des coûts de l'alimentation en France, à la faveur d'une éventuelle réforme du seuil de revente à perte 34 ( * ) .
Les orientations retenues, le 11 octobre 2017, par le Président de la République visent à promouvoir rapidement des solutions concrètes pour mieux rémunérer les agriculteurs, tant ces derniers apparaissent pénalisés par des rapports de force déséquilibrés face aux industriels et à la grande distribution.
Les chantiers législatifs et réglementaires annoncés
Le Gouvernement devrait ainsi prendre des initiatives législatives et réglementaires au premier semestre 2018 afin :
- de faire en sorte que les contrats soient proposés par les agriculteurs et non plus par les acheteurs ;
- d'inverser la construction du prix de vente afin qu'il parte des coûts de production ;
- d'inciter au regroupement de producteurs par la mise sous condition de certaines aides ;
- de renforcer le rôle du médiateur des relations commerciales agricoles ainsi que les moyens de l'Observatoire des prix et des marges et de la direction générale de la concurrence ;
- de demander davantage de transparence aux coopératives quant à la redistribution de leurs marges auprès de leurs adhérents.
Dans l'immédiat et au préalable, le chef de l'État a demandé à chacune des filières agricoles d'élaborer un plan de restructuration sur cinq ans, pour lutter contre les tendances déflationnistes à l'oeuvre. Il s'agit aussi, par là même, de favoriser la montée en gamme de notre agriculture autour des labels, des signes de qualité et du bio.
3. Sur l'évolution de la PAC en préparation
Le commissaire chargé de l'agriculture et du développement durable, Phil Hogan, a insisté sur le rôle majeur de la France, qui demeure à ses yeux le pays agricole de référence.
S'agissant des perspectives de réforme de la PAC , il nous a donc indiqué à quel point les positions et l'action de la France étaient essentielles pour lui et il s'est félicité du soutien français aux objectifs de simplification et de renforcement de la subsidiarité proposés par sa communication du 29 novembre.
En revanche, il a regretté que certaines révélations aient pu laisser planer un doute sur l'acceptation possible par l'exécutif français d'un cofinancement des paiements directs agricoles et ce, d'autant qu'une telle information a immédiatement été reprise par les services de la Commission européenne chargée du budget. Lui-même étant fermement opposé à toute renationalisation de la PAC, nous devrons veiller à une expression extrêmement claire de notre soutien dans la bataille budgétaire qui s'ouvre.
En manière de concurrence aussi , le commissaire nous a dit regarder vers la France. Il attend avec un certain intérêt les résultats de nos États généraux de l'alimentation, en espérant qu'ils puissent inspirer des mesures au niveau européen, dans le prolongement de ce qui a déjà été obtenu en octobre dernier à propos de l'accord sur le règlement dit omnibus 35 ( * ) .
Nous connaissons en effet le très fort engagement du commissaire sur ces sujets, tel qu'il l'a démontré au sein de la Task force sur la concurrence en matière agricole. Il a néanmoins été important pour notre délégation de lui rappeler qu'à nos yeux, la clé d'une évolution vers un meilleur partage de la valeur se trouvait moins à Paris qu'à Bruxelles, puisqu'elle passe prioritairement par une évolution des règles européennes de la concurrence 36 ( * ) .
Nous retiendrons aussi de cet entretien que Phil Hogan n'a pas hésité à nous faire part de ses regrets et de ses inquiétudes.
L'un de ses regrets porte sur ce qu'il considère comme notre défaillance collective à équiper les territoires ruraux de réseaux numériques à haut débit, pourtant indispensables à la compétitivité de l'agriculture du XXI ème siècle (en particulier à l'agriculture de précision, économe des ressources naturelles).
Quant à ses inquiétudes actuelles, elles portent sur la négociation de certains accords internationaux. Les pertes pour l'agriculture seraient compensées par des gains bien plus importants 37 ( * ) pour l'industrie, dont le niveau reste toutefois à démontrer. Le commissaire a estimé que la fenêtre d'opportunité pour la signature d'un accord avec le Mercosur n'irait pas au-delà du mois de mars, compte tenu des élections brésiliennes en avril.
Enfin, face à la perte de compétitivité de l'agriculture française en Europe, le commissaire ne nous a hélas pas prodigué de conseils 38 ( * ) , estimant qu'il revenait d'abord aux responsables de l'agriculture française d'aller au bout de l'exercice de consultation et de réflexion demandé à chaque État membre. Il s'est en revanche déclaré disponible pour nous rencontrer, dans quelques mois, pour débattre des propositions qui seront contenues la contribution du Sénat.
* 31 Cf I.B.2
* 32 La programmation ne concernerait donc pas seulement le deuxième pilier, comme c'est le cas aujourd'hui.
* 33 Complétés par une consultation publique sur Internet destinée aux citoyens.
* 34 Selon lui, une telle opération pourrait coûter 1,4 milliard d'euros de pouvoir d'achat par an aux ménages.
* 35 Tout en rappelant la force, au sein de toutes les institutions européennes, des résistances à l'idée même que l'agriculture puisse faire exception à certaines règles de la concurrence.
* 36 Notons que parmi les objectifs affichés par le Président la République à l'occasion des États généraux figure d'ailleurs celui de « faire bouger les lignes » dans ce domaine, au niveau européen, pour ce qui concerne le secteur agricole.
* 37 Surtout lorsque le rapport entre ces pertes et ces gains est affiché comme étant de 1 à 4 pour l'accord avec le Mercosur et même de 1 à 8 pour le CETA avec le Canada.
* 38 Il s'est contenté d'évoquer le caractère préjudiciable de certains déséquilibres, par exemple dans les rapports entre producteurs et transformateurs dans le secteur porcin.