N° 253

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 janvier 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la rencontre avec les institutions européennes (déplacement à Bruxelles des 15 et 16 janvier 2018),

Par MM. Jean BIZET, Philippe BONNECARRÈRE, André GATTOLIN, Mmes Gisèle JOURDA, Fabienne KELLER et M. Pierre MÉDEVIELLE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, M. Claude Haut, Mmes Christine Herzog, Sophie Joissains, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

Les 15 et 16 janvier 2018, une délégation du Bureau de la commission des affaires européennes du Sénat s'est rendue à Bruxelles.

Outre le président de la commission M. Jean Bizet, cette délégation était composée de MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, et de Mme Fabienne Keller, vice-présidents, ainsi que de Mme Gisèle Jourda et de M. Pierre Médevielle, secrétaires de la commission. Cette mission s'inscrivait dans le cadre des relations continues que la commission des affaires européennes du Sénat entretient avec les institutions européennes. L'objet de ce nouveau déplacement était double.

D'une part, il s'agissait pour la délégation de faire un large tour d'horizon lui permettant d'apprécier, de Bruxelles, la situation de l'Union européenne au tout début de 2018, dernière année utile avant les élections au Parlement européen de juin 2019. Cette perspective générale a été abordée en particulier avec M. Jeppe Tranholm-Mikkelsen, secrétaire général du Conseil, ainsi qu'avec M. Karel Lannoo, directeur général du think-tank CEPS 1 ( * ) , et avec M. Philippe Léglise-Costa, nouvel ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne. L'appréciation du contexte et de l'atmosphère qui règne actuellement au sein des institutions européennes a été enrichie par des échanges plus informels avec plusieurs de nos compatriotes exerçant les plus hautes fonctions dans l'administration communautaire.

D'autre part, la délégation a aussi souhaité assurer, à Bruxelles, le suivi d'un certain nombre de grands dossiers sur lesquels le Sénat a pris position et au sujet desquels il entretient déjà un dialogue régulier avec les autorités européennes. Tel fut notamment le cas de la politique agricole commune (PAC) lors de l'entretien avec M. Phil Hogan, commissaire chargé de l'agriculture et du développement rural, ainsi que du plan d'investissement pour l'Europe (dit plan Juncker) abordé avec M. Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne, en charge de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité. Enfin, compte tenu d'une actualité particulièrement riche en matière d'accords commerciaux internationaux, la délégation a pu avoir un échange approfondi avec Mme Cecilia Malmström, commissaire au commerce.

Le présent rapport reviendra successivement sur ces deux aspects de la mission.

I. UN REGAIN D'OPTIMISME MAIS DES DÉFIS MAJEURS À RELEVER

Le regain de confiance des décideurs européens est sensible et s'accompagne d'une façon générale d'une évolution favorable de la place de la France (A). La vigilance est toutefois de mise au vu des échéances cruciales et des défis qui attendent l'Europe dans les mois qui viennent (B).

A. UN REGAIN D'OPTIMISME APRÈS LES CRISES

1. Un changement d'atmosphère très perceptible

Le sentiment dominant, voire unanime, au coeur des institutions communautaires est aujourd'hui celui d'un regain d'optimisme qui contraste avec la décennie écoulée et même avec la situation qui prévalait il y a encore un an.

À l'échelle de la décennie , le retour d'une certaine croissance économique et d'un rétablissement global des comptes publics en Europe semble indiquer que l'Union a pour l'essentiel tourné la page de la crise financière de 2008. À ceci s'ajoute le satisfecit d'être parvenu à surmonter une accumulation sans précédent d'autres crises : crises des dettes souveraines, de la zone euro et de la Grèce, conflit ukrainien, crise migratoire et première phase de négociations sur le Brexit.

Non seulement l'Union aurait apporté la preuve de sa capacité à affronter les épreuves au-delà que ce que nombre d'Européens auraient pu imaginer mais, en outre, les difficultés rencontrées auraient modifié le regard des citoyens qui attendraient désormais plus d'Europe .

Cette demande serait notamment perceptible dans des domaines traditionnellement régaliens, liés à l'immigration, à la sécurité intérieure et à la défense. Ces deux derniers points ne seraient pas sans lien, outre les crises déjà évoquées, avec la vague d'attentats qui a touché le Continent en 2015-2016 et avec la nouvelle donne américaine suite à l'élection de Donald Trump à la Présidence des États-Unis.

Par rapport à il y a tout juste un an, le contraste dans l'atmosphère bruxelloise est lui aussi saisissant. En janvier 2017, quelques mois après le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et quelques semaines après l'élection présidentielle américaine, nombre de dirigeants et d'observateurs s'inquiétaient de voir l'onde de choc populiste se propager sur le Continent en atteignant même deux pays fondateurs soumis à des élections majeures : les Pays-Bas puis la France, avec des risques évidents pour la poursuite de la construction européenne. Non seulement tel ne fut pas le cas, mais force est de constater que, telles qu'elles ont été ressenties par nos interlocuteurs bruxellois, les élections françaises du printemps 2017 ont clairement contribué au regain de confiance observé. Au-delà, la période actuelle peut même s'analyser comme particulièrement favorable pour notre pays au sein des 28.

2. Une fenêtre d'opportunité pour la France

La place de la France semble aujourd'hui confortée par un certain nombre d'éléments d'ordre à la fois conjoncturel et plus structurel.

La conjoncture actuelle est marquée :

- d'une part, le retour en France d'un discours très pro-européen au plus haut niveau. Certains de nos interlocuteurs ont même été frappés par la formulation de propositions articulant d'emblée des actions au niveau national et au niveau européen ;

- d'autre part, le grand intérêt manifesté par la Commission européenne aux initiatives et aux propositions françaises s'explique sans doute en partie par la volonté d'éviter que cette dernière année pleine de la législature ne se traduise pas par une forme d'assoupissement de la dynamique européenne.

Il est d'ailleurs possible de noter la similitude de tonalité entre deux discours prononcés à quelques jours d'intervalle : le discours de la Sorbonne du Président Macron 2 ( * ) , d'une part et celui sur l'état de l'Union prononcé par Jean-Claude Juncker 3 ( * ) , d'autre part, le caractère particulièrement volontariste de ce dernier ayant pu surprendre.

- enfin, un autre élément conjoncturel favorise un leadership français en Europe. Il s'agit de la situation politique en Allemagne. En effet, alors que la campagne électorale occupait déjà largement les responsables politiques allemands à partir de l'été 2017, le pays ne devrait probablement pas disposer d'un nouveau gouvernement avant le mois d'avril prochain.

D'un point de vue plus structurel, la position française au sein de l'Union pourrait aussi être servie par la nouvelle donne globale avec laquelle l'Europe doit désormais composer. Les évolutions géopolitiques et économiques autour de l'Union européenne privent nombre de nos partenaires de leurs repères traditionnels, alors qu'elles accréditent au contraire la vision française globalement encore inspirée par le général de Gaulle.

Ainsi, les fortes incertitudes sur l'engagement américain en faveur de la sécurité européenne suscitées par l'élection de Donald Trump nourrissent de très grandes inquiétudes chez les États membres (à l'est du Continent) considérant l'appartenance à l'Union européenne et à l'Otan comme des éléments indissociables. La tradition française de recherche d'une autonomie stratégique vis-à-vis du partenaire américain ainsi que ses capacités militaires propres, notamment nucléaires 4 ( * ) , confèrent à notre pays un rôle plus que jamais central dans la construction de l'Europe de la défense.

De même, là où la conception française de l'Union serait plutôt confortée par la perspective d'une Europe sans le Royaume-Uni, le Brexit constitue pour nombre de nos partenaires un véritable changement de paradigme qui affecte leur capacité à penser l'Europe de demain. Ceci vaut aussi bien pour des États (notamment scandinaves) qui avaient rejoint l'Europe parce que le Royaume-Uni y était entré, mais aussi pour l'Allemagne qui, dès 1954, s'était fortement engagée pour une adhésion britannique. Cette dernière était en effet traditionnellement considérée outre-Rhin comme substantielle au projet européen. Le trouble est encore plus grand chez les États membres d'Europe centrale et orientale qui voyaient le Royaume-Uni comme la garantie, pour l'Union du maintien d'un lien fort avec les États-Unis.

Enfin, il semblerait que, dans le domaine économique, en particulier s'agissant du commerce international, le paradigme d'un libre-échange inconditionnel cède le pas au profit d'une conception plus soucieuse d'équilibre et de la défense de nos intérêts stratégiques.

Pour l'ensemble de ces raisons, notre pays apparaît donc, en ce début 2018, comme l'un des éléments et comme l'un des bénéficiaires potentiels du nouveau contexte européen . Les échanges que nous avons eus à Bruxelles nous ont toutefois rappelé que pour profiter pleinement de ce capital, notre pays devrait être désormais en capacité de fédérer autour de propositions réalistes, en particulier au Conseil européen où une solution n'est acceptée que si elle recueille un large consensus.

Pour ce faire, une coopération étroite avec l'Allemagne continuera de demeurer indispensable. À propos du couple franco-allemand, un certain nombre de nos interlocuteurs ont tenu toutefois à nous rappeler que celui-ci ne devait pas non plus devenir trop exclusif, au point de nous priver d'une relation directe avec des « petits pays ». Enfin et en tout état de cause, il est très probable que les dirigeants allemands continuent à juger la crédibilité du partenaire français à l'aune de sa capacité à tenir ses engagements notamment budgétaires et mener à bien des réformes structurelles.

Ce point de situation a priori très positif, ne doit cependant pas masquer ni l'enjeu ni les risques de l'année qui s'engage.


* 1 Centre européen d'études politiques.

* 2 Discours en faveur d'un « Initiative pour l'Europe » prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017.

* 3 Prononcé devant le Parlement européen à Strasbourg le 19 septembre 2017

* 4 Qui plus est au moment où le Royaume-Uni s'apprête à quitter l'Union.

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