C. LA RENTE ÉNERGÉTIQUE, OBSTACLE À L'OUVERTURE DE L'ÉCONOMIE ALGÉRIENNE ?
Les hydrocarbures représentaient 27 % du PIB, 96 % des exportations, 49 % des recettes publiques mais seulement 2 % des emplois. Les revenus tirés de l'énergie financent largement les dépenses publiques, importantes dans une économie en large partie administrée et subventionnée. Celles-ci, en augmentation constante depuis 5 ans, ne sont toutefois couvertes qu'à condition que le prix du pétrole dépasse 100 dollars, comme en témoigne la loi de finances pour 2014. Or, cette condition n'est plus remplie depuis la mi-2014. Le Fonds de régulation des recettes, créé en 2010 et abondé par les excédents de la fiscalité pétrolière, devait permettre de compenser cette baisse des revenus pour l'État (estimée entre 30 et 40 %) jusqu'en 2016 mais pas au-delà.
Les sommes investies par la Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures (Sonatrach) dans la modernisation de ses infrastructures - 100 milliards de dollars - témoignent de cette priorité accordée à la production d'énergie, au risque de créer les conditions d'une surproduction. La Commission européenne a noté en 2014 un manque d'investissement en matière de capital humain (éducation, formation, emploi et santé) et l'absence de création d'emplois, notamment en direction des femmes et des jeunes (26,7 % des moins de 25 ans sont au chômage, 10,5 % de la population active étant sans emploi en 2016). Ce parti-pris pour l'énergie a conduit l'Algérie à ne pas développer suffisamment son potentiel industriel ainsi que le secteur des services, la rendant de facto beaucoup plus vulnérable à une baisse des droits de douane en faveur de ses principaux partenaires. Il fait également reposer la stabilité financière du pays sur le prix de l'énergie.
La chute des prix mondiaux du pétrole depuis la mi-2014 a contribué à une détérioration des équilibres macro-économiques. La baisse du prix moyen du pétrole, qui est passé de 100 dollars le baril en 2014 à 48 dollars le baril aujourd'hui, n'a été qu'imparfaitement appréhendée par les autorités algériennes. Le déficit du compte courant a, ainsi, plus que triplé depuis 2014 : 16,9 % du PIB en 2016. Les réserves internationales demeurent élevées, à 22 mois d'importations, mais elles s'amenuisent rapidement (114 milliards de dollars en décembre 2016 contre 194 milliards trois ans plus tôt). Selon le Fonds monétaire international, elles pourraient descendre à 19,5 mois en 2017 puis 16,7 mois en 2018.
Le budget 2016 a mis l'accent sur l'assainissement des finances publiques. Il tablait sur une baisse des dépenses de 9 % (principalement les investissements) et une augmentation des recettes fiscales de 4 % via une hausse des prix de l'essence de 36 %, une augmentation des taxes sur l'électricité et l'essence, ainsi que sur les immatriculations de véhicules. Cet effort est poursuivi dans la loi de finances pour 2017, qui prévoit une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (17 à 19 % et 7 à 9 % pour le taux réduit), la création d'une nouvelle taxe d'efficacité énergétique, et la majoration de la taxe sur les produits pétroliers et la taxe intérieure sur les produits de consommation. Le déficit budgétaire pourrait, dans ces conditions, continuer sa décrue et atteindre 3 % du PIB en 2017 (14 % en 2016). Par ailleurs, si l'État algérien a pu effacer sa dette extérieure, un recours à l'endettement est observable ces dernières années, celle-ci atteignant 18,3 % du PIB en 2017.
Selon la Banque mondiale, la croissance en Algérie devrait néanmoins continuer à ralentir en 2017 pour atteindre 2,9 % en raison d'un recul des dépenses en travaux publics et des retards dans les réformes du régime fiscal et des subventions. Le Fonds monétaire international a, quant à lui, prévu en juin dernier une perspective beaucoup plus faible : 1,3 % cette année puis 0,7 % en 2018. Le taux de croissance pour 2016 s'est établi à 3,6 %. S'appuyant sur une trajectoire de remontée des prix du baril (50 dollars cette année, 55 en 2018 et 60 en 2019), les autorités algériennes tablent plutôt sur un rebond : 3,6 % en 2017 puis 3,2 % en 2018 et 4,9 % en 2019. L'inflation a atteint 6,4 % en 2016, en raison notamment de l'effet de répercussion d'une dépréciation en valeur nominale du dinar de 20 % qui visait à corriger le déséquilibre extérieur. Elle atteignait 7,7 % en glissement annuel en février 2017.
Le fléchissement des prix du pétrole représente une occasion de procéder à une réorientation structurelle de l'économie, allant de la prédominance du pétrole et du secteur public vers une croissance plus diversifiée qui fait une plus grande place au secteur privé. Les autorités algériennes ont d'ailleurs annoncé en juillet 2016 la mise en place d'un nouveau modèle algérien de croissance économique. Il devrait passer par une réforme du cadre institutionnel, de la fiscalité et de la dépense publique. Un plan stratégique de modernisation des finances publiques a ainsi été adopté en mars 2016. Il prévoit la modernisation de l'administration fiscale, la réforme des services douaniers, l'amélioration de la formulation budgétaire et son développement sur une base pluriannuelle.
Ce changement peine toutefois à s'incarner , des interrogations subsistant sur la détermination à opérer cette mue indispensable. La baisse des ressources publiques, indispensable pour conduire cette vaste réforme, contribue également à obérer le rythme des réformes à mener. Les deux plans quinquennaux (2004-2009 et 2009-2014) ont par ailleurs montré que les intentions affichées n'étaient pas toujours concrétisées. L'absence de véritable politique touristique dans un pays pourtant riche de sites classés au patrimoine mondial de l'humanité (7 sites, dont la Casbah d'Alger ou Tipasa) constitue un exemple de cet écart entre les ambitions et la réalité. Il convient de relever qu'un million et demi d'Algériens passent leurs vacances en Tunisie, où leur pouvoir d'achat est pourtant moins élevé.
La baisse des prix du pétrole a néanmoins conduit l'Algérie à réviser sa position attentiste à l'égard de l'Union européenne. Les autorités reconnaissent aujourd'hui que dix ans ont été perdus dans la relation euro-algérienne compte tenu de la nécessité pour le pays de se reconstruire après la guerre civile. Elles souhaitent cependant que le traitement accordé à l'Algérie reconnaisse ses spécificités et valorise ses atouts avant d'envisager la mise en oeuvre d'une relation commerciale totalement équilibrée.