ANNEXES
ANNEXE 1 : EXAMEN DU RAPPORT D'ÉTAPE EN
DÉLÉGATION
Revitalisation des centres-villes et des
centres-bourgs : présentation, devant la délégation
aux entreprises et la délégation aux collectivités
territoriales, du rapport d'étape de MM. Martial Bourquin
et
Rémy Pointereau, le 20 juillet 2017
M. Jean-Marie Bockel, président . - Nos deux délégations ont montré à de nombreuses reprises leur capacité de travail en commun. L'idée de nous pencher sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs a été lancée dès le début de la mandature par le premier vice-président de la délégation aux collectivités locales, Rémy Pointereau, qui s'est attelé à la question de la simplification des normes, en particulier en matière d'urbanisme et de construction. Le groupe de travail qu'il présidait a eu pour rapporteurs MM. François Calvet et Marc Daunis. Le partenariat avec la délégation aux entreprises nous a donné une vision plus large, et nos deux délégations ont de concert effectué un travail de fond très sérieux.
Mme Élisabeth Lamure, présidente . - En février dernier, M. Bockel a proposé à la délégation aux entreprises d'être associée au travail sur la revitalisation des centres-bourgs, question qui effectivement concerne directement les entreprises. Nous avons désigné M. Martial Bourquin pour constituer un binôme - transpartisan, je le souligne - avec M. Rémy Pointereau. Ils ont procédé à des auditions pour évaluer le champ de l'étude à mener.
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - La dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs apparaît désormais comme une question politique de première importance. Longtemps peu visible, ou ramenée à des évolutions purement locales, elle a parfois même été niée, voyez l'étude d'impact de la loi Artisanat, commerce et TPE (ACTPE) du 18 juin 2014. Mais, elle est dorénavant perceptible dans la quasi-totalité des villes et bourgs de France.
Un sondage présenté lors des douzièmes assises des centres-villes à Orléans, les 29 et 30 juin dernier, a montré que seuls 32% des Français jugent leurs coeurs de ville dynamiques ; neuf interrogés sur dix ont le sentiment que la modernisation du centre-ville devrait constituer un objectif important pour les maires. Le sentiment de déclin est particulièrement vif dans les agglomérations de moins de 50 000 habitants ; seuls 23% des interrogés y jugent le centre-ville plutôt en développement.
Lors de leurs travaux sur la simplification du droit de l'urbanisme en 2016, nos collègues Marc Daunis et François Calvet, rapporteurs du groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider, avaient été confrontés à plusieurs reprises à la question de l'avenir des centres-villes et centres-bourgs. Ils avaient recommandé « d'évaluer grâce à un travail transversal la situation des centres-villes et les solutions à mettre en oeuvre », notamment en matière de simplification des normes.
Nos deux présidents, Jean-Marie Bockel et Élisabeth Lamure, ont jugé à raison nécessaire de se saisir de ce sujet, qui touche non seulement à l'économie, à l'emploi, au bien-être de nos concitoyens, à l'avenir des collectivités territoriales mais aussi à l'équilibre des territoires et à l'identité de notre pays.
Ils ont souhaité que les deux délégations mènent un travail commun ; que le champ de cette étude soit clairement défini afin de vérifier si elle pouvait être réalisée dans le cadre de la simplification normative ou si elle impliquait un regard plus large. Ils ont également demandé que nous distinguions deux phases bien distinctes : une étude de « faisabilité » de mai à juillet 2017, puis, après le renouvellement sénatorial, le lancement éventuel de travaux de plus grande ampleur.
Nous avons construit notre étude de faisabilité à partir de l'exploitation des données et rapports déjà publiés, et en auditionnant les auteurs du rapport produit par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et l'Inspection générale des finances (IGF) sur la revitalisation commerciale des centres-villes, ainsi que des responsables du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) en charge du programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs.
Nous avons ainsi identifié les problématiques pertinentes pour la seconde phase, distingué ce qui relève de la simplification normative de ce qui entre dans des préconisations plus larges ; nous avons établi une liste de pistes de réformes à explorer et proposé une méthode de travail pour aboutir à des propositions ambitieuses. L'ensemble fait l'objet d'une note d'orientation que nous nous proposons de publier.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les chiffres collectés par l'organisme Procos, qui fédère le commerce spécialisé, par l'Institut pour la Ville et le Commerce, par l'Insee ou encore par les auteurs du rapport CGEDD-IGF révèlent une situation et une évolution préoccupantes. La vacance moyenne sur le territoire national est importante, avec des taux parfois très élevés dans des villes petites ou moyennes. La vacance commerciale, c'est-à-dire le taux de cellules commerciales vides à un moment donné rapporté au nombre total des cellules commerciales sur une aire donnée, atteint selon Procos en moyenne 9,5% du parc des locaux commerciaux en 2015 - mais 11,1% dans les coeurs d'agglomérations de moins de 50 000 habitants. Ces moyennes cachent des disparités régionales extrêmement fortes, avec des situations particulièrement difficiles dans le nord de la France, autour d'une diagonale Meuse-Landes et dans des régions marquées par le déclin économique ou une régression démographique. Et si certaines villes parviennent à maintenir des taux inférieurs à 5%, d'autres dépassent 10, 15, voire 20% de vacance commerciale, ce qui conduit Procos à les classer parmi les centres-villes relégués voire déclassés.
On observe une aggravation nette et continue du phénomène depuis 2010. Procos estime que la vacance commerciale est passée de 7,2% en 2012 à 9,5% en 2015, avec une réduction sensible du nombre de villes en situation favorable (moins de 5% de vacance) : 87 en 2001 à 15 en 2015 ; et une très forte augmentation du nombre de villes en situation très défavorable (plus de 10% de vacance) : 23 en 2001, une centaine en 2015. Ce sont les centres-villes de petites et moyennes villes qui souffrent le plus. Et ces différentes études minorent probablement la réalité de la vacance commerciale car elles ne portent que sur des villes d'une certaine taille. Il en résulte une incertitude sur la vacance commerciale dans les petites villes et les centres-bourgs. Le ministère de l'Économie et des Finances n'a pas été en mesure de communiquer des statistiques pertinentes pour les villes et bourgs de moins de 10 000 habitants.
La vacance commerciale n'est cependant pas la seule dimension à traiter. La fragilisation des centres-villes est en effet le produit d'un cocktail dont les principaux ingrédients sont la dégradation du bâti, intérieur et extérieur, les difficultés d'accès et de stationnement, la baisse de la population du centre et sa paupérisation, la fuite des équipements attractifs et des services du quotidien, la concurrence des grandes surfaces en périphérie...
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Quelles ont été les réactions face à cette situation ? Relevons d'abord que le sujet a émergé tardivement. S'il est régulièrement abordé depuis les années 1990, il fut d'abord évoqué de façon ponctuelle, soit au travers du cas particulier d'une ville isolée confrontée à un dépérissement de son centre-ville, soit en lien avec une problématique spécifique, l'ouverture des commerces le dimanche ou l'installation d'agences bancaires à la place de certains commerces. Une prise de conscience plus générale se fait néanmoins jour. Si l'Institut pour la Ville et le Commerce la fait débuter en 2016, avec la mission confiée par la ministre du Logement au CGEDD et à l'IGF, on doit noter que, dès 2009, Élisabeth Lamure s'inquiétait de l'impact de la loi de modernisation de l'économie sur les centres-villes. Du côté des institutions, le sujet est régulièrement évoqué à l'occasion des nombreuses modifications de la législation sur l'urbanisme commercial. Mais les principales initiatives sont apparues après l'adoption de la loi de modernisation de l'économie (LME) en 2008. Outre le rapport déjà cité de Mme Lamure en 2009, on doit relever le rapport du député Jean-Paul Charié, remis au Premier ministre la même année, la loi Grenelle 2 de 2010, qui systématise l'intégration d'un volet « commerces » dans les Scot et rend obligatoire la réalisation d'un document d'aménagement commercial (DAC), ou encore la proposition de loi Ollier-Piron relative à l'urbanisme commercial. Ce texte ambitieux, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale puis au Sénat, n'a pas résisté au changement de majorité en 2012.
Le sujet a néanmoins été repris par le nouveau Gouvernement sous une nouvelle forme. Si la loi Alur aborde la question de l'urbanisme commercial, c'est surtout le cas de la loi ACTPE de 2014. Ce dernier texte opère la fusion des procédures de permis de construire et d'autorisation d'exploitation commerciale, le permis de construire ne pouvant être délivré que si la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), ou la Commission nationale (Cnac) ont émis un avis favorable. Il modifie par ailleurs la composition des CDAC et de la Cnac ainsi que l'étendue de la compétence de cette dernière. Surtout, la loi met en place de manière expérimentale, spécifiquement pour les centres-villes, un « contrat de revitalisation artisanale commerciale » (Crac) dans des zones marquées par une disparition progressive des activités commerciales. Le Crac permet notamment de déléguer le droit de préemption des fonds de commerce à d'autres opérateurs publics (société d'économie mixte, intercommunalité...) et allonge le délai dont dispose la commune pour trouver un repreneur.
La problématique spécifique des centres-villes et centres-bourgs n'était pas abordée dans le projet de loi initial lui-même. Le Crac n'y figurait pas. Il a été introduit par un amendement gouvernemental en séance publique à la demande de plusieurs députés, dont le rapporteur du texte. De manière encore plus surprenante, l'étude d'impact ne mentionnait nullement les difficultés de nombreuses villes en matière commerciale. Elle indiquait que, « après plusieurs années de désertification, les centres-villes retrouvent sous l'impulsion des enseignes un nouvel élan ». Les administrations centrales, en particulier celle de Bercy, ont bien du mal à appréhender la réalité de nos villes et bourgs !
La question des centres-villes réapparaît six mois plus tard, lorsque le Gouvernement lance, au début de l'été 2014, un programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs, soutenu par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), qui a retenu 54 lauréats pour une durée de 6 ans.
Quelques mois plus tard, en 2015, la loi NOTRe télescope la question du commerce en transférant aux communautés de communes et d'agglomération, d'une part, la « politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaire » et, d'autre part, la compétence de « création, aménagement, entretien et gestion de zones d'activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique ».
Le Comité interministériel aux ruralités de Vesoul, le 15 septembre 2015, semble montrer une nouvelle sensibilité de l'État à la question. Il comporte un chapitre intitulé « Renforcer les bourgs-centres et les villes moyennes qui animent la ruralité », rappelle l'existence du programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs ainsi que le rôle des volets territoriaux des contrats de plan État région, et le Gouvernement annonce la mobilisation de 300 millions d'euros du Fonds de soutien à l'investissement local (Fsil) pour accompagner le développement des bourgs-centres et villes de moins de 50 000 habitants. Enfin, en février 2016, la ministre du Logement et la secrétaire d'État au Commerce ont demandé à l'IGF et au CGEDD le rapport que nous avons précédemment mentionné, qui a été publié à l'été 2016.
À la suite de ce rapport, des Assises pour la revitalisation économique et commerciale des centres-villes, fin février 2017, ont débouché sur plusieurs annonces : mise en ligne d'un portail internet « coeur de ville » piloté par la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'Économie ; orientation prioritaire en 2017 de l'appel à projets du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) sur « les centralités commerciales dégradées des villes connaissant un fort taux de vacance » ; fléchage d'un million d'euros pour « les opérations collectives de revitalisation commerciale qui font appel à une ingénierie de projets porteurs de partenariats innovants entre acteurs publics et privés, et mettant en oeuvre une démarche structurée de développement du management de centre-ville » ; instruction aux préfets pour les inviter à davantage de vigilance sur le fonctionnement des CDAC et leur rappeler les enjeux liés à l'équilibre du commerce.
Le Sénat, de son côté, s'est préoccupé à plusieurs reprises de la situation des centres-villes et centres-bourgs, notamment au travers de questions écrites ou orales ou de rapports. Toutefois, ses travaux n'étaient généralement pas centrés sur le sujet, ils intervenaient dans le cadre de thèmes plus larges.
Sans souci d'exhaustivité, citons les rapports de Renée Nicoux et Gérard Bailly sur l'avenir des campagnes, en janvier 2013, de François Calvet et Marc Daunis sur la simplification du droit de l'urbanisme et de la construction, ou de Bernard Delcros sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, en septembre 2016. Tout récemment, le rapport d'Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » comporte une 21 e recommandation visant à « conforter l'attractivité des centres-bourgs par un programme ambitieux de rénovation de l'habitat et des commerces, et le maintien ou l'installation d'équipements essentiels pour l'activité locale ».
Du côté des organisations d'élus, l'Association des Petites Villes de France (APVF), l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF), Villes de France, présidée par Caroline Cayeux, et l'Assemblée des Communautés de France (AdCF) ont avancé des propositions en matière de revitalisation des coeurs de villes.
Le 15 mars 2016, Villes de France a ainsi publié le manifeste « Pour faire vivre le coeur des villes ». L'APVF suit la question depuis plusieurs années et a par exemple publié, à l'occasion de la dernière élection présidentielle, un « Manifeste des petites villes de France », dont une partie s'intitule « La revitalisation des centres-bourgs, une politique globale ». Sa proposition n° 13 porte d'ailleurs sur « la création de zones franches commerciales dans des périmètres restreints au coeur de petites villes en difficulté ».
Quant à l'AMRF, son « Pacte national pour les territoires », présenté en 2012, comporte des propositions relatives au commerce en zone rurale, appelant à l'évaluation des dispositifs de soutien au commerce en milieu rural (Fisac, Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce), et à la modification des dispositions de la loi LME relevant le seuil d'autorisation, pour les projets d'implantation, de 300 à 1 000 mètres carrés.
S'agissant de l'AMF, son président a signé en septembre 2015 avec le président de CCI France une convention de partenariat pour renforcer la coopération et le rapprochement des Chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des communes de France. Cette convention contient notamment des stipulations dans les domaines de l'animation du territoire, de la sécurisation des commerces et de l'accompagnement des entreprises. Les fédérations de commerçants fonctionnent souvent difficilement, faute d'une bonne entente entre leurs membres. Le rôle des CCI est donc déterminant, et elles doivent travailler encore plus en profondeur.
L'AdCF a mené de nombreuses réflexions sur le rapport entre commerces et territoires. Elle a notamment organisé un colloque sur ce thème, en septembre 2016, avec l'Institut pour la ville et le commerce. On notera le rôle spécifique joué par l'association Centre-Ville en Mouvement, créée en 2005 par des élus locaux, des parlementaires, des fonctionnaires, des chambres consulaires, des chercheurs, qui vise à soutenir ses membres dans leurs projets d'innovation et de redynamisation des centres-villes. Centre-Ville en Mouvement organise chaque année les Assises nationales du centre-ville, dont il a déjà été question.
De nombreux travaux ont déjà été publiés. Notre idée est d'en faire une synthèse afin d'en extraire les meilleures propositions.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quels constats objectifs peut-on faire aujourd'hui ? Premier constat : la dégradation de la situation des centres. Le processus de dévitalisation se généralise, en dépit du dynamisme des élus. Depuis plusieurs années, Procos et l'Institut pour la ville et le commerce avançaient des chiffres inquiétants, mais il manquait une objectivation du phénomène par la sphère publique. C'est chose faite : une bonne partie du rapport CGEDD-IGF porte en effet sur l'appréhension statistique de la dévitalisation des commerces de centre-ville.
Le rapport conclut non seulement à une augmentation de la vacance commerciale moyenne mais surtout à l'existence, de 2001 à 2015, d'un phénomène global d'accroissement de la vacance commerciale.
Deuxième constat : les déterminants de la situation commerciale des centres-villes et centres-bourgs sont identifiés. Les experts sont unanimes, la situation des centres-villes est liée à une combinaison de facteurs. Les auteurs du rapport CGEDD-IGF mentionnent trois axes. Premier axe : l'existence d'un marché de consommation est liée à la richesse des habitants, résidents ou personnes employées sur place, et corrélée au taux de chômage, aux revenus des populations, au taux de vacance des logements et à l'évolution démographique de la population. Deuxième axe : la commercialité dépend des équipements culturels, des écoles, de l'offre de soins, des professions libérales, qui font l'attrait d'un centre de ville.
Troisième axe : l'action des commerçants eux-mêmes. L'animation commerciale du centre, l'organisation collective des commerçants indépendants, la situation des baux commerciaux sont importantes, mais aussi, bien sûr, la présence ou non d'une offre commerciale forte en périphérie...
Les villes-centres de taille moyenne connaissent une croissance démographique bien inférieure à celle des grandes villes ou à leurs propres périphéries : 4,3 % en moyenne entre 7,5 % entre 2007 et 2012 ; elles ont aussi un niveau de vie plus faible, un taux de chômage plus élevé et plus de logements vacants.
En 2015, l'Insee avait déjà alerté sur la prégnance de la pauvreté dans les centres-villes. Les taux de pauvreté sont les plus élevés dans les centres des grandes villes, où ils atteignent 19,5 % en moyenne. Viennent ensuite les communes isolées, avec 16,9 %, et seulement après les banlieues, avec 13,9 %. Dans les « couronnes urbaines », ce taux n'est que de 10 %. Ces chiffres vont à l'encontre des idées reçues, qui tiennent insuffisamment compte de l'effet pavillonnaire. On note par ailleurs qu'entre 2007 et 2011, le revenu fiscal médian par unité de consommation a augmenté plus rapidement dans les couronnes périurbaines (3,8 % de hausse) que dans les banlieues (2,2 %) et dans les villes-centres (1,8 %).
Une politique de revitalisation des centres-villes passe donc aussi par un renouveau du bâti pour augmenter la population vivant au centre et à l'hypercentre et accroître son niveau de vie moyen.
La fuite des équipements et services hors du centre-ville détourne les consommateurs. C'est particulièrement vrai pour l'offre de soins, médecins et pharmaciens, mais aussi notable pour les professions libérales (notaires, avocats, etc.) ou les services publics. Or on constate globalement une raréfaction de ces services en centre-ville. Le niveau des loyers commerciaux et l'accessibilité du centre-ville, ainsi que la présence de places de stationnement en nombre suffisant, sont aussi des éléments à prendre en compte.
Enfin, l'offre commerciale est un critère essentiel. La fragilisation et la raréfaction des commerces de centre-ville enclenchent un cercle vicieux. L'implantation de certains commerces brise les parcours de chalandise ; il en va ainsi d'agences bancaires ou immobilières, de salons de coiffure ou de magasins d'optique installés en trop grand nombre, qui provoquent la chute du chiffre d'affaires des voisins et les incitent à quitter les lieux. Dans la commune belge de Verviers, jumelée avec la mienne, le centre-ville s'est très rapidement dévitalisé à la suite de l'installation de commerces nuisibles.
La construction en périphérie de grandes surfaces et de galeries marchandes peut aussi, bien sûr, déstabiliser un centre-ville. Entre 1994 et 2009, la superficie consacrée au commerce, avec la progression de la grande distribution, a crû de 60 %. Dans le même temps, la dépense de consommation finale des ménages augmentait en volume de 38 % seulement.
Toutefois, l'implantation d'une grande surface n'est pas toujours un handicap pour le centre-ville : elle peut jouer un rôle de locomotive pour le commerce d'hypercentre, mais ce n'est pas toujours le cas.
Troisième constat : il n'y a pas de fatalité. Les nouveaux modes de vie et de consommation, l'intégration des galeries marchandes à notre modèle culturel, le rôle de la voiture, les besoins de consommation à bas prix - je pense en particulier à des magasins low cost tels Action ou GiFi -, le désintérêt de nombre de nos concitoyens pour leurs centres-villes, le développement du e-commerce, le faible prix du foncier en périphérie : tout cela fait craindre à certains que le combat soit par trop inégal. Nous ne considérons pas qu'il faille baisser les bras. Certains exemples français montrent qu'il est possible de dynamiser un centre-ville. À conditions égales ou similaires, certains centres-villes s'en sortent mieux que d'autres. Le palmarès Procos des centres-villes commerçants montre que certaines villes parviennent à préserver leur dynamisme dans un environnement pourtant difficile. Les Français sont en outre très attachés aux centres-villes. Le baromètre annuel du centre-ville et des commerces, établi depuis 2016 par l'institut CSA à l'occasion des Assises du centre-ville, l'indique clairement. Contrairement aux idées reçues, ce sont les jeunes qui sont les plus attachés aux centres-villes. Un bémol toutefois : cela n'empêche pas de faire ses achats ailleurs... Cette forme de schizophrénie est assez fréquente !
Le baromètre identifie plusieurs leviers d'attractivité : la facilité d'accès, la présence de nombreux lieux de convivialité, l'animation, une offre commerciale permettant de consommer plus local et plus responsable. À l'inverse, un stationnement cher et rare, un choix de commerces limité et un accès difficile constituent de sérieux handicaps.
Les exemples étrangers montrent qu'une politique de préservation des commerces de centre-ville est possible. La législation allemande sur l'urbanisme impose notamment que les grandes surfaces soient implantées exclusivement dans les zones spéciales situées au sein ou en lisière d'un centre commercial déjà existant, intégrées aux réseaux de transports publics ou situées au sein d'un nouvel espace à vocation mixte prévu pour l'approvisionnement de nouveaux habitats. En outre, l'autorisation d'implantation dans une telle zone est conditionnée aux conclusions positives d'une étude d'impact. Elle prend en compte les risques que l'implantation fait courir aux espaces commerciaux existants sur son périmètre, en particulier s'agissant du commerce de proximité, mais aussi l'impact sur la saturation du réseau de voirie ou des espaces de stationnement existants et les effets sur l'environnement, l'objectif étant la préservation des espaces ruraux.
Quant au Royaume-Uni, il procède par un sequential test garantissant l'implantation de l'unité commerciale au meilleur endroit possible, étant entendu que les centres-villes bénéficient d'une priorité. Ainsi, l'installation sera d'abord envisagée en centre-ville, et c'est seulement si les espaces disponibles dans ce cadre ne conviennent pas qu'une implantation en périphérie pourra être envisagée. Dans ce cas, le sequential test est complété par un impact test dont l'objet est d'évaluer les impacts négatifs potentiels du projet sur les équilibres locaux à 5 ou 10 ans.
D'autres pays sont en revanche moins vertueux, comme l'Italie, où la situation est encore pire qu'en France.
En la matière, dans leur rapport, et encore plus nettement lors de leur audition au Sénat, les membres de la mission CGEDD-IGF ont souligné la spécificité de la traduction en France de la directive dite « services » via la loi LME, qui surtranspose la directive européenne.
La LME limite considérablement le champ de la régulation des implantations commerciales publiques en relevant les seuils de saisine des Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) de 300 à 1 000 mètres carrés et en supprimant de la liste des critères à prendre en compte l'impact économique du projet d'implantation.
Les projets d'une superficie inférieure à 1 000 mètres carrés ont ainsi largement « disparu » des statistiques disponibles - ce qui a pu donner, à tort, l'impression d'une accalmie dans l'emballement des surfaces commerciales. Par ailleurs, des témoignages nombreux font état de la multiplication des agrandissements de grandes surfaces d'une taille juste inférieure à la limite des 1 000 mètres carrés.
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Que proposons-nous pour la suite ? Comme on le voit, un travail d'ampleur sur les centres-villes et centres-bourgs exige une vision transversale abordant de nombreux sujets. Aujourd'hui, un consensus se dégage sur la nécessité d'envisager l'avenir des centres-villes et centres-bourgs de manière globale.
Nous proposons donc de travailler d'abord sur la question de l'urbanisme général, laquelle recouvre notamment les sujets de la rénovation du bâti en centre-ville et de l'accessibilité, y compris numérique, pour les personnes en situation de handicap et, plus largement, pour les consommateurs en général (circulation, transports, stationnement, etc.), mais aussi le problème de l'équilibre entre la protection et la revitalisation dans les centres-villes et centres-bourgs à fort patrimoine protégé.
Notre idée de créer l'équivalent de l'Anru pour le milieu rural a été reprise lundi par le Président de la République lors de la première Conférence des territoires, ce dont nous nous réjouissons.
Il faudra en outre se pencher sur le volet commercial de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs : politique du commerce, municipale ou intercommunale, regroupements de commerçants, rôle des managers de centres-villes et des chambres consulaires, statut des commerçants indépendants, etc. Il faudra bien sûr, dans ce cadre, aborder la question controversée mais essentielle des implantations de grandes surfaces sous leurs différentes formes : super et hypermarchés, galeries marchandes, centres commerciaux et, désormais, « atolls » de très grande dimension. Sont en jeu, plus largement, la législation sur l'aménagement commercial et les stratégies à mettre en oeuvre aux différents échelons de décision pertinents. Le rôle et le fonctionnement des Commissions départementales et nationale d'aménagement commercial devront être évalués.
À mon avis, dans certains départements, on ne pourra échapper, tôt ou tard, à un moratoire des implantations commerciales. Se pose aussi le problème de l'installation de petits commerces - boulanger, boucher, pharmacien, etc. - sur les axes routiers fréquentés à l'entrée des bourgs, avec parkings aménagés pour les clients : c'est une tendance négative.
Enfin, les outils spécifiques dont disposent les collectivités et les intercommunalités devront être examinés : usage du Scot, du PLU et du PLUi et intégration de la dimension commerciale dans ces documents - droit de préemption commercial, contrats de revitalisation artisanale et commerciale, réglementation de l'affichage publicitaire extérieur, exceptions au repos dominical, compétences respectives des communes et des intercommunalités en matière de commerce, articulation avec le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, etc.
La revitalisation comporte une dimension foncière : l'analyse de l'utilisation et des disponibilités du foncier suppose des capacités d'observation permettant d'apprécier les caractéristiques foncières d'un territoire, mais aussi, au-delà, des outils de mobilisation du foncier (établissements publics fonciers, sociétés d'économie mixte, sociétés publiques locales, établissements publics d'aménagement, etc.).
Par ailleurs, la réappropriation et le remembrement des friches d'activités peuvent éviter la surconsommation de terres agricoles et réduire la croissance des superficies commerciales en périphérie. Il n'est pas rare de voir de nouvelles surfaces commerciales construites sur des terres agricoles alors qu'il existe à proximité des friches.
Enfin, des dispositifs de minoration du coût du foncier seront nécessaires pour obtenir des opérations équilibrées et concurrentielles par rapport à la périphérie, via notamment l'action du Fonds de minoration foncière.
Le volet financier est bien sûr essentiel. En premier lieu, une pression fiscale forte constitue l'un des déterminants identifiés en matière de vacance commerciale. Le sujet est ample et touche non seulement à la fiscalité foncière, mais aussi à la fiscalité spécifique applicable aux entreprises, en particulier la foisonnante fiscalité liée aux activités commerciales : taxe sur les friches commerciales, taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom), contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), taxe sur la publicité extérieure, etc. Il recouvre aussi les politiques territorialisées à impact fiscal qui peuvent favoriser des implantations ou les décourager : exonérations liées aux zones de revitalisation rurale (ZRR), impact des zones franches urbaines (ZFU).
En second lieu, tous les financements mobilisables au profit de projets de revitalisation doivent être examinés : la question du fonctionnement du Fisac, mais aussi celle du volume des crédits afférents devraient être abordées, ainsi que celle du nouvel engagement de la Caisse des dépôts, au travers par exemple des conventions « centres-villes de demain ». L'utilisation des moyens du Fonds de soutien à l'investissement local (FSIL), des fonds liés au programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs ou des volets territoriaux des contrats de plan État-régions pourrait être analysée. Les financements innovants, type financement participatif, méritent d'être examinés.
À l'évidence, cet ensemble de problématiques inclut mais dépasse, de loin, la simple simplification normative. C'est une politique publique volontariste destinée à redynamiser les centres-villes et centres-bourgs qu'il s'agit d'imaginer.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nous avons d'ores et déjà identifié un certain nombre de pistes à expertiser dans le cadre de la seconde phase. Bien évidemment, cette liste n'est pas exhaustive et sera complétée à mesure de l'avancement des travaux.
Dans le domaine de l'urbanisme général, quelles dispositions du droit de l'urbanisme faut-il simplifier pour faciliter les implantations en centre-ville ? Comment donner des moyens efficaces aux élus locaux pour empêcher l'implantation du « mauvais commerce » ?
Dans le domaine de l'urbanisme commercial, faut-il modifier le positionnement ou la composition des Commissions locales d'aménagement commercial ? Faut-il abaisser les seuils d'autorisation d'implantation commerciale ? Face à l'urgence de la situation dans de nombreuses collectivités, faut-il envisager un moratoire national sur les implantations commerciales en périphérie, des moratoires locaux, ou encore déterminer des seuils d'alerte puis de blocage en cas d'implantations trop nombreuses sur des aires géographiques données ?
Dans le domaine de l'organisation commerciale, comment favoriser l'organisation locale des commerçants indépendants ? En particulier, faut-il améliorer le positionnement des managers de centre-ville ? Quelle place donner aux chambres consulaires en matière de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ?
Dans le domaine des financements et de la fiscalité, faut-il renforcer le Fisac et selon quelles modalités ? Faut-il imaginer des compensations, financières ou autres, au profit des centres-villes en cas d'implantation commerciale en périphérie ? Faut-il réviser la fiscalité applicable aux activités commerciales ? Comment faire en sorte que les zones de type ZRR et ZFE participent de la redynamisation des centres-villes ?
Compte tenu de leur transversalité, les questions abordées justifient la constitution, à partir du renouvellement sénatorial d'octobre 2017, d'un groupe de travail transpartisan commun aux commissions permanentes concernées et aux deux délégations, analogue à celui qui a travaillé en 2016 sur la simplification du droit de l'urbanisme.
Ce groupe de travail devrait disposer de moyens administratifs renforcés. Je rappelle que pour réaliser son rapport, l'Inspection générale des finances et le CGEDD ont mobilisé cinq fonctionnaires, soutenus par deux assistants de mission et deux superviseurs ; cette équipe a disposé de six mois pour réaliser son travail.
Outre le travail classique d'auditions, qui devrait en particulier permettre un dialogue avec les représentants des collectivités, les grandes enseignes commerciales et les représentants des commerçants, ce groupe de travail se pencherait in concreto sur le cas de plusieurs collectivités, mais aussi sur des exemples étrangers pertinents, comme ceux de l'Allemagne ou des Pays-Bas.
Il pourrait aussi organiser une consultation nationale des élus locaux, en partenariat avec leurs associations nationales, pour mieux connaître les situations locales et recueillir les remarques et propositions desdits élus. Le cas échéant, à l'instar du groupe de travail sur la simplification du droit de l'urbanisme, qui avait fait appel à un cabinet d'avocats pour l'établissement d'une étude d'impact de ses propositions, il pourrait s'adjoindre les services d'un cabinet spécialisé en matière de commerce.
Enfin, l'engagement du président du Sénat et des présidents des commissions concernées serait un atout incontestable pour la réussite de ce groupe, et démontrerait l'existence d'une dynamique sénatoriale forte au service des centres-villes et centres-bourgs.
Le produit de cette seconde phase serait un rapport, mais comporterait aussi une proposition de loi et une proposition de résolution pour les mesures de nature réglementaire. Ce travail pourrait être une contribution concrète du Sénat aux travaux de la Conférence nationale des territoires.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Je salue la qualité et l'exhaustivité de votre travail. Votre diagnostic me semble très pertinent. Les mêmes questions se posaient déjà voilà trente ans, quand j'étais ministre du commerce. Elles concernent aujourd'hui tous les territoires, sans exception. Si le phénomène est multifactoriel, n'oublions pas que sa cause majeure réside, historiquement, dans notre choix de laisser se développer de grandes surfaces commerciales en périphérie des villes. D'autres pays ont suivi des chemins différents.
Il me semble qu'il est aujourd'hui indispensable de hiérarchiser les réponses que l'on peut apporter à ce problème. Ne nous faisons pas d'illusion : la solution ne viendra pas d'une énième proposition de loi, même si un toilettage de la législation peut s'avérer nécessaire sur certains points.
Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Les pistes que vous esquissez sont très intéressantes. La prochaine Conférence territoriale pourrait utilement servir de tremplin à vos propositions, par exemple à travers un atelier.
M. René Vandierendonck . - J'approuve vos propositions et votre méthode. Le président Macron a commis une erreur en ne plaçant pas ce thème au coeur de la première Conférence des territoires. On parle de simplification administrative : je suis pour ma part favorable à la suppression des Scot. Les PLUi permettent-ils vraiment de réguler le développement commercial ? Ne serait-ce pas plutôt aux départements d'accompagner les intercommunalités pour les aider à fixer les règles du jeu ?
Nos concitoyens n'hésitent pas à faire deux heures de voiture pour rejoindre des grands centres commerciaux, comme celui de Noyelles-Godault, l'un des plus grands de France, qui a vu de surcroît une enseigne Ikea s'établir à proximité.
Les commerces de centre-ville subissent également la concurrence directe des magasins à bas coûts comme Aldi ou Lidl, souvent implantés au coeur même des villes. Des expériences intéressantes d'aide au commerce de centre-ville sont menées dans différentes communes. C'est le cas notamment au Puy-en-Velay qui, avec le soutien financier de la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez, propose des aides à l'installation, à la rénovation ou à l'achat d'équipements professionnels, ou encore une plate-forme d'échanges et d'informations destinée aux artisans et commerçants. Il faut aussi aider les commerçants à s'adapter aux nouvelles demandes des consommateurs en imaginant de nouvelles formules de transport, de livraison à domicile ou de vente directe.
Je suggère enfin que l'on rapatrie tout l'argent des fonds nationaux ou européens vers les territoires. La gestion du Fisac est honteuse : les paiements interviennent à n+3 ! C'est au niveau des départements que doit s'exercer la solidarité territoriale !
M. Antoine Lefèvre . - On ne manque pas d'études sur les mutations contemporaines des différentes formes de commerce.
Vous avez raison, Monsieur Bourquin, de souligner l'ambiguïté de nos concitoyens : ils estiment que les centres-villes manquent d'animation le dimanche, mais ils vont faire leurs courses en périphérie le samedi ! Il est nécessaire, aussi, de faire preuve de pédagogie.
Les bisbilles entre associations de commerçants sont aussi une réalité. Je suis bien placé pour la savoir dans ma commune, qui comprend une ville haute et une ville basse !
Mais quels leviers actionner pour lutter contre la désertification et la paupérisation des centres-villes ? Le dispositif Malraux était intéressant, mais il attire de moins en moins d'investisseurs, rebutés notamment par la multiplication des redressements fiscaux. Les Chambres de commerce et d'industrie accomplissaient un travail remarquable, mais elles n'ont plus les moyens d'agir...
Nous devons assouplir le cadre législatif, investir et attirer dans les centres-villes des populations à plus fort pouvoir d'achat. Certaines communes, y compris des villes importantes comme Béziers, ont connu un déclassement complet de leurs centres-villes ces dernières années.
M. Philippe Dallier . - Je ne suis pas élu d'une zone rurale, mais je retrouve dans vos propos de nombreuses problématiques communes avec la Seine-Saint-Denis. Si les surfaces commerciales vides ne sont pas encore très nombreuses dans ce département, la paupérisation des commerces est patente.
Le droit de préemption du maire est une bonne chose, mais encore faut-il avoir les moyens financiers de ses ambitions !
Nous devrons peut-être nous interroger sur la sacro-sainte liberté du commerce et de l'industrie. Il faudrait, par exemple, que l'on puisse s'opposer à l'installation de multiples commerces d'un même type dans la même rue.
Sans tomber dans l'arbitraire ou le fait du prince, il serait utile de renforcer les pouvoirs du maire, qui me semblent trop faibles.
Mme Françoise Gatel . - Nous devons développer une approche systématique et privilégier la mixité des usages du centre-ville.
Les installations commerciales en périphérie de ville, sur lesquelles nous avons tendance à nous focaliser, ne sont pas le seul problème. Le déport des commerces sur les axes routiers fréquentés à l'entrée des bourgs, évoqué par Rémy Pointereau, est un phénomène particulièrement pervers. Au-delà, l'essor très rapide du e-commerce représente vraisemblablement la principale menace. La grande distribution développe elle-même très rapidement ces techniques commerciales répondant aux attentes de nos concitoyens, qu'il s'agisse du drive ou des courses en ligne. En effet, celui qui déclare son amour pour sa boulangerie de quartier préfère bien souvent faire ses courses ailleurs que dans les commerces de proximité ! Il ne faut pas hésiter à lancer des campagnes de communication, comme cela avait été fait sur le thème « Nos achats sont nos emplois ».
Les élus peuvent faciliter l'accès aux centres-villes, concourir à la création d'équipements structurants, mais leur rôle est nécessairement limité. Ils ne peuvent pas se substituer aux clients !
En matière d'urbanisme, il est nécessaire de raisonner au niveau d'un territoire, et non d'une commune. Il me semble toutefois que la Commission nationale d'aménagement territoriale ne joue pas son rôle.
Nous nous battons pour que les grandes surfaces alimentaires n'ouvrent pas le dimanche matin. Nous avons manifesté devant les grandes enseignes afin que le préfet prenne un arrêté d'interdiction. Cela a été fait, mais l'une d'entre elles est encore ouverte, et la Dirrecte ne fait rien !
Mme Annick Billon . - Merci de ce travail. Les PLU et les Scot sont élaborés par les élus, ne l'oublions pas. Lorsqu'ils consacrent 140 hectares à l'activité économique et commerciale, se demandent-ils si cela ne va pas entraîner des déports d'activité ? J'ai des exemples...
Les PLU ne pourront pas tout résoudre ; les Scot restent un moyen d'agir contre l'urbanisation à outrance et, dans le code de l'urbanisme, des outils peuvent être remis en oeuvre. Les Allemands ou d'autres de nos voisins y parviennent, pourquoi pas nous ? Il faut aussi chercher des solutions du côté de la fiscalité et d'une taxe sur les friches commerciales. Chez moi, en Vendée, dans notre communauté de communes d'Olonne, un pôle attractif a été créé en périphérie nord. Le résultat, c'est que le pôle commercial sud meurt, tous les commerces rallient l'autre pôle. Les friches commerciales se multiplient. Une taxe est cependant difficile à mettre en place, surtout lorsque l'on connaît les propriétaires depuis longtemps...
La CDAC n'intervient plus pour les surfaces de moins de 1 000 mètres carrés : or les Leader Price ou les Lidl occupent des surfaces inférieures à ce seuil et fleurissent partout.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Il y a autant de situations que de villes. Dans les centres-bourgs des zones très rurales, la difficulté essentielle c'est la paupérisation, et les loyers sont prohibitifs pour des locaux où les propriétaires ne font pas de travaux. Ces derniers n'habitent pas sur place, le plus souvent, et les retrouver prend du temps !
Le retour au commerce de proximité, c'est aussi la mise en valeur de centres-villes de caractère. Les commerçants n'y sont pas hostiles ; ils ont aussi la volonté de s'adapter aux nouvelles habitudes de consommation, avec le e-commerce et le portage à domicile. Il est indispensable que les chambres de commerce les accompagnent dans cette modernisation et cette professionnalisation. Or nous manquons de moyens financiers - l'évolution des crédits du Fisac en témoigne - pour mener des actions de fond... et pour mener des actions auprès des propriétaires afin d'accélérer la remise en état des locaux.
M. François Bonhomme . - Il y a à l'évidence un mouvement puissant, et quand dans les rues principales des petites villes il ne reste que quelques magasins, c'est le début de la fin, on le sait bien. J'apprécie les propos de Mme Gatel sur l'approche globale, car tout ce qui sera fait par les élus pour valoriser le centre-ville sera utile : si une place centrale est agréable, s'il y a un café, les gens y passent plus de temps et consomment. Certaines villes tirent leur épingle du jeu, en créant parfois un office de commerce qui concentre les moyens sur des actions ciblées. C'est une idée à reprendre, car le maire est le mieux placé pour agir.
M. Jean-Marc Gabouty . - Le développement commercial a été facile pour les opérateurs locaux, chambres de commerce, communes. Mais ce fut un leurre : ils attendaient un développement, il y a eu simple déplacement d'activité. Sans création de valeur ajoutée, sans emplois supplémentaires, sans hausse par conséquent du pouvoir d'achat, quel dynamisme économique pouvait-on espérer ? Chez moi, à la fin des années 1990, nous avons créé une zone d'activité dans un cadre intercommunal... mais nous en avons exclu toute activité commerciale grand public ! Beaucoup de responsables locaux ont eu l'illusion qu'ils y gagneraient de belles recettes, en taxe professionnelle, en taxe foncière. Ce fut une erreur.
Je veux aussi souligner que le temps pour lancer une galerie commerciale, environ trois ans, correspond mieux à la durée d'un mandat municipal que la restructuration et la redynamisation d'un centre-bourg, projet de longue haleine, qui n'a de résultats tangibles qu'après quinze ou vingt ans.
Il faut sensibiliser les élus locaux et tous les décideurs locaux. Pour ma part, je cherche un cordonnier pour exercer en centre-ville, je ne le trouve pas ! Il me semble que c'est un commerce moteur pour un centre-ville, hélas nous ne sommes pas aidés par la chambre des métiers.
M. Georges Labazée . - Je soulignerai quant à moi un problème lié à la composition des commissions d'aménagement commercial, localement ou nationalement. L'exécutif, le maire donc, est en minorité et les décisions peuvent être contraires à celles qu'il souhaite.
Voici une proposition iconoclaste : autour de Pau, sur la côte basque, des stations-essence sont revendues à prix d'or par Total ou Esso, à des boulangers, par exemple. Il faut alors aller très loin pour trouver de l'essence. Pourquoi ne pas créer une taxe sur les grands groupes pétroliers qui ferment ces postes à essence ?
M. Jean-Marie Bockel, président . - Notre objectif initial, s'agissant de la revitalisation des bourgs-centres, était de créer un groupe de travail comme nous l'avons fait sur l'urbanisme. Que les commissions permanentes nous fassent savoir si elles souhaitent s'associer à ce projet comme elles l'ont fait naguère - la formule a bien fonctionné.
Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Avec le renouvellement et la mise en place des nouvelles commissions, nous ne serons pas opérationnels avant la mi-octobre. Le délai sera-t-il suffisant pour rendre notre copie à la prochaine Conférence territoriale ?
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Il me semble, quoi qu'il en soit, qu'un groupe transpartisan est essentiel pour donner du poids à nos conclusions : c'est le Sénat tout entier, représentant des élus, qui s'exprimera sur la dévitalisation des coeurs de ville.
Le Sénat doit impérativement prendre en considération cet enjeu de revitalisation. Oui, il sera sans doute nécessaire de fermer le robinet du développement des grandes surfaces, peut-être en imposant un moratoire sur les nouvelles implantations. Il faut donner davantage de pouvoirs aux maires, en particulier un droit de préemption renforcé sur les baux commerciaux. Ils sont certes confrontés à un cruel manque de moyens, mais si rien n'est fait, la situation se dégradera encore, dramatiquement. Chaque maire devrait avoir un adjoint au commerce chargé de coordonner les actions à mener en matière d'urbanisme, de services et d'environnement. Mais nous pouvons, nous aussi, les aider en leur fournissant des idées, des facilités et des pouvoirs renforcés. C'est une juste cause !
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Nous devrons effectivement être prêts pour la prochaine Conférence des territoires. Rappelons-le, le Sénat est l'assemblée des territoires, et il est constructif depuis l'origine !
Des initiatives innovantes se développent, notamment dans le Massif Central, où plusieurs plates-formes locales de e-commerce ont vu le jour. Elles permettent à des commerçants, artisans et producteurs locaux de promouvoir et vendre en ligne leurs produits, qui peuvent ensuite être retirés dans des points relais ou livrés à domicile.
Faut-il ensuite, comme le suggère Philippe Dallier, restreindre la liberté du commerce et mieux contrôler les nouvelles installations ? Il faut sans doute mieux réguler, car nos rues ne peuvent pas être envahies de fast food et de marchands de chaussures. Mais attention aussi à ne pas aller à l'encontre de notre objectif de simplification des normes.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Une bonne régulation ne s'accompagne pas nécessairement d'un excès de normes. L'Allemagne, qui n'est pas un modèle pour tout, a réussi en la matière à fixer des règles du jeu pertinentes, mais néanmoins simples.