II. LES AXES ORIGINAUX DE L'AIDE À LA COLOMBIE
Vos rapporteurs spéciaux se sont rendus à Bogotá et Medellín du 27 au 31 mars dernier, pour y étudier l'aide de la France en Amérique latine et spécifiquement les actions qui sont menées en Colombie.
Ce pays souffre encore aujourd'hui d'une image dégradée, qui mériterait d'être restaurée . L'année France-Colombie est d'ailleurs l'occasion de mieux connaître ce pays. D'un point de vue économique et financier, la Colombie est aujourd'hui la troisième économie d'Amérique latine et un des seuls pays de la zone à ne pas avoir fait défaut sur sa dette dans les années 90 et 2000. Durement touché par la crise des matières premières - le peso colombien s'est déprécié de plus d'un tiers et l'État a perdu 20 % de ses recettes fiscales -, la Colombie a néanmoins réussi à limiter son déficit public à 3 % et à contenir sa dette publique à 50 % du PIB environ.
Vos rapporteurs spéciaux ont été sensibles au dynamisme et à l'optimisme de ce pays, à la qualité de son administration, à la place importante que les femmes y occupent, et à la richesse de son patrimoine culturel et naturel.
Deux points ont particulièrement retenu leur attention : le développement inégalé de l'activité non-souveraine de l'AFD et la similitude des problématiques urbaines entre les pays du Nord et du Sud.
A. UN DÉVELOPPEMENT INÉGALÉ DE L'ACTIVITÉ NON-SOUVERAINE
1. L'activité non-souveraine de l'AFD en Colombie
a) Les raisons de cette activité non-souveraine
La Colombie est l'État où l'AFD accorde le plus de prêts non-souverains : cet encours représente ainsi la moitié de son encours total dans le pays, soit près d'un milliard d'euros. Cette pratique est d'autant plus importante à souligner que l'agence est le seul bailleur international à accorder des prêts non-souverains (à part la CAF).
Pour l'AFD, les prêts non-souverains sont un moyen de surmonter les limites que lui imposent le respect des ratios prudentiels . En effet, comme vos rapporteurs spéciaux ont eu l'occasion de le présenter à de nombreuses reprises, l'AFD est un établissement financier soumis aux règles prudentielles de droit commun, parmi lesquelles le « ratio grand risque », qui lui impose que l'encours total auprès d'une seule contrepartie ne dépasse pas 25 % de ses fonds propres. Cette limite correspondait en 2016 à 1,4 milliard d'euros environ, soit un montant inférieur à l'encours total de l'AFD en Colombie. En d'autres termes, si elle ne prêtait qu'à l'État colombien, l'AFD n'aurait pas pu atteindre son encours actuel en Colombie. Les prêts non-souverains ont donc permis de développer l'activité de l'AFD dans ce pays. On peut d'ailleurs noter que le ratio grand risque a déjà été atteint à Medellín 5 ( * ) .
Le développement des activités non-souveraines implique néanmoins pour l'agence d'étudier les risques propres à chaque contrepartie . Elle a ainsi étudié les opportunités de prêts auprès de l'ensemble des grandes villes, des départements, des entreprises publiques et des banques locales. En définitive, seules les trois villes les plus importantes du pays - Bogotá, Medellín et Cali -, quelques départements, banques de développement et grandes entreprises ont été retenus.
Enfin, les prêts non-souverains sont plus difficilement compétitifs , car l'AFD doit intégrer un niveau de risque plus élevé, ce qui conduit à un taux de 6,5 % environ, contre à peine plus de la moitié pour ses prêts à l'État colombien.
Du point de vue des entités colombiennes non-souveraines, le recours aux prêts de l'AFD est très apprécié. Il est un moyen de s'autonomiser par rapport à l'État , notamment pour les collectivités territoriales dont les finances sont très encadrées. Il leur permet également de se donner une projection internationale et d'accéder directement à l'expertise française .
b) Le portefeuille non-souverain de l'AFD en Colombie
Le portefeuille non-souverain de l'AFD comporte notamment des prêts auprès :
- de banques de développement local :
o Findeter , banque du développement urbain (croissance verte et solidaire, climat, transport collectif, etc.) (191 millions de dollars) ;
o Finagro , banque du développement rural (agenda post conflit, croissance verte et solidaire, climat, etc.) ;
o Icetex , institution financière d'accès aux études supérieures des populations défavorisées (agenda post conflit, croissance solidaire, etc.) ;
- de villes ou de départements :
o Bogotá, avec un projet de métro notamment ;
o Cali, avec notamment un projet de tramway ;
o Medellín (250 millions de dollars pour une ligne de tramway et deux lignes de métro câble) ;
o département d'Antioquia (région de Medellín) (70 millions de dollars) ;
- d'entreprises locales de services publics :
o Empresas publicas de Medellín (EPM), société d'aménagement de Medellín, pour un programme d'investissement dans le secteur énergétique (338 millions de dollars) ;
o Empresa de Acueducto, Alcantarillado y Aseo de Bogotá (EAAB), entreprise d'eau et d'assainissement de Bogota, pour des projets de gestion de l'eau et d'épuration ;
o Empresa de Energía de Bogotá ( EEB), entreprise d'électricité de Bogota, pour des projets d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique ;
o Empresas Municipales de Cali, entreprise d'eau, d'assainissement et d'électricité de Cali .
2. Exemples de coopération non-souveraine en Colombie
a) La coopération avec Empresas Publicas de Medellín
Empresas Publicas de Medellín (EPM), est l'entreprise publique de Medellín (détenue à 100 % par la ville) qui gère les grands services publics de réseau . Elle intervient ainsi dans les secteurs de l'énergie (76 % du chiffre d'affaires du groupe), de l'eau et de l'assainissement (9 %) et des télécommunications (15 %). À l'origine limitée à Medellín et son aire urbaine, EPM s'est développée au niveau national puis international (Panama, Guatemala, Salvador, Espagne, États-Unis). Ces activité correspondent par ailleurs à des secteurs où l'expertise française est reconnue.
Le groupe bénéficie d'une excellente notation financière, puisqu'il est noté un grade au-dessus de l'État colombien. EPM se distingue par ses pratiques en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Elle a ainsi remporté de nombreux prix en cette matière et jouit à ce titre d'une reconnaissance nationale et internationale.
EPM porte de nombreux projets sur les énergies renouvelables, auxquels l'AFD participe . La convention de prêt de 275 millions d'euros signée en 2012 a ainsi financé des projets dans la génération d'énergie renouvelable, la transmission et la distribution d'électricité ainsi que la transmission et la distribution de gaz. L'AFD a ainsi participé au financement de la construction du barrage Porce III (660 MW de puissance), qui s'est accompagné d'un important travail de gestion environnementale et sociale : dialogue avec les populations, études d'impact pour préserver ou restaurer les écosystèmes, etc. Ce prêt s'est accompagné de coopérations techniques portant par exemple sur la gestion des bassins versants (coopération avec l'Office national des forêts français), sur la gouvernance des entreprises publiques locales (échanges de bonnes pratiques avec la fédération des entreprises publiques locales) ou sur les réseaux électriques intelligents ou la gestion des déchets. L'AFD pourrait accorder un nouveau prêt à EPM, mais en est pour l'instant empêchée par le ratio grand risque, déjà atteint à Medellín (cf. supra ).
Au-delà des réunions techniques portant sur la situation financière et les projets d'investissements d'EPM, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater son activité sociale en visitant « l'unité de vie articulée » de La Armonia , mise en place dans un quartier défavorisé lorsque celui-ci a été raccordé aux différents réseaux. Ces « unités de vie » consistent à aménager, lors de l'installation des infrastructures d'EPM - en l'occurrence un réservoir d'eau -, des zones et bâtiments consacrés à la vie locale : activités culturelles, sportives, sociales et éducatives, comme la mise à disposition de salles informatiques, des crèches, de bibliothèques, etc.
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Visite de l'unité de vie articulée « La Armonia », installée dans un quartier défavorisé de Medellín à la suite de son raccordement aux différents réseaux. |
b) La coopération avec Findeter
Financiera de desarrollo territorial (Findeter) est une banque publique de développement territorial, destinée à financer des projets d'infrastructures, de développement social et de soutien au secteur productif. Elle joue un rôle important dans les plans de développement de la Colombie, qui entendent renforcer le rôle des collectivités territoriales. Elle a également développé une activité d'assistance technique au secteur public.
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L'AFD lui a octroyé, en 2012, une première ligne de crédit de 191 millions de dollars pour le financement du développement territorial et urbain des collectivités locales. À la suite de la signature des accords de paix en Colombie fin de 2016 (cf. supra ), ses opérations devraient se développer, notamment pour renforcer la présence de l'État et développer ces territoires. |
Entretien avec Luis Fernando Arboleda, président de Findeter |
Dans ce cadre, l'AFD devrait octroyer une nouvelle ligne de crédit à Findeter , d'un montant total de 150 millions de dollars, pour financer des projets dans les services urbains de base (santé, éducation, accès à l'eau, assainissement, etc.) dans les municipalités identifiées comme prioritaires dans le cadre du post-conflit.
* 5 Les règles prudentielles internes à l'AFD prévoient que son encours auprès d'une contrepartie non-souveraine ne peut dépasser 10 % de ses fonds propres.