B. UN DISPOSITIF LOUABLE DANS SON PRINCIPE MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE A ÉTÉ FORTEMENT SOUMISE À LA CRITIQUE
Votre rapporteur spécial avait fortement insisté, dans son rapport sur l'Office français de l'immigration et de l'intégration de 2012, sur les différentes carences de la formation linguistique et civique résultant du contrat d'accueil et d'intégration.
1. Une absence de lien entre le respect du contrat et le renouvellement du titre de séjour
En premier lieu, le contrat d'accueil et d'intégration souffrait d'une ambiguïté : malgré sa qualification de « contrat » et les dispositions qui prévoyaient que sa mauvaise application pouvait justifier un refus de renouvellement du titre de séjour, aucune conséquence n'était attachée au non-respect du contrat. En effet, l'administration n'était pas tenue de renouveler un titre au seul motif que l'étranger avait bien respecté le contrat, et, par ailleurs, l'administration ne justifiait jamais un refus de titre de séjour en raison du non-respect du contrat.
La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité avait renforcé le lien entre le respect du contrat et le renouvellement du titre de séjour en prévoyant qu'il était tenu compte, lors de l'examen de la demande, non seulement du « non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l'étranger, des stipulations du contrat d'accueil et d'intégration s'agissant des valeurs fondamentales de la République », mais aussi « de l'assiduité de l'étranger et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, à la session d'information sur la vie en France » 5 ( * ) . Cette évolution avait permis d'importants progrès, l'Office français de l'immigration et de l'intégration ayant incité les organismes de formation à accroître les contrôles d'assiduité à la suite de cette modification législative, seules les heures de formation réellement effectuées étant prises en compte. Le taux de réussite au test DILF A1.1 est, quant à lui, passé de 55 % en 2007 à 64,8 % en 2012 6 ( * ) .
Toutefois, seuls « l'assiduité » et le « sérieux » de l'étranger étaient appréciés - par surcroît de façon non systématique - lors du renouvellement du titre de séjour ou de la délivrance d'une carte de résident longue durée. En somme, le contrat d'accueil et d'intégration prévoyait des prestations dont le suivi était formellement obligatoire. L'étranger ne disposait toutefois d'aucune incitation réelle à s'impliquer dans sa mise en oeuvre.
2. Une formation linguistique insuffisamment ambitieuse
Votre rapporteur spécial avait pu constater en 2011, lors de ses auditions et de ses visites sur place, une prise de conscience par l'ensemble des acteurs du caractère insuffisant du niveau de langue requis (A1.1), qui s'apparentait davantage à un « kit de survie » qu'à un gage d'intégration ou de connaissance de la langue française .
Le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL)
Utilisateur expérimenté |
C2.1-C2.2 |
Peut comprendre sans effort pratiquement tout ce qu'il/elle lit ou entend. Peut restituer faits et arguments de diverses sources écrites et orales en les résumant de façon cohérente et nuancée. |
C1.1-C1.2 |
Peut comprendre une grande gamme de textes longs et exigeants, ainsi que saisir des significations implicites. Peut s'exprimer spontanément et couramment sans trop devoir chercher ses mots. |
|
Utilisateur intermédiaire |
B2.1-B2.2 |
Peut comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, y compris une discussion technique dans sa spécialité. |
B1.1-B1.2 |
Peut comprendre les points essentiels quand un langage clair et standard est utilisé et s'il s'agit de choses familières dans le travail, à l'école, dans les loisirs etc. |
|
Utilisateur élémentaire |
A2.1-A2.2 |
Peut comprendre des phrases isolées et des expressions fréquemment utilisées en relation avec des domaines immédiats de priorité. |
A1.1-A1.2 |
Peut comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi que des énoncés très simples qui visent à satisfaire des besoins concrets. |
Source : cadre européen commun de référence pour les langues
En 2013, dans leur rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration sont allées dans le même sens, relevant que ce niveau était jugé insuffisant par tous leurs interlocuteurs pour pouvoir permettre une intégration réussie et une vie autonome dans la société française 7 ( * ) .
3. Une formation civique trop dense et académique, inadaptée aux besoins des étrangers primo-arrivants
La formation civique souffrait également de nombreuses lacunes qui interdisaient de remplir convenablement la mission de diffusion de la culture et des valeurs françaises.
Lors d'un déplacement en 2012, votre rapporteur spécial avait constaté que les conditions matérielles dans lesquelles cette formation se déroulait étaient inadaptées. L'auditoire, constitué de vingt à trente personnes, recevait la formation, qui s'apparentait à un cours magistral, sans prendre de note, ce à quoi l'absence de matériel à disposition, du reste, ne les incitait pas . Les questions étaient rares, et aucune place n'était laissée à l'interactivité ou à la mise en pratique . De plus, aucun contrôle de l'assimilation des connaissances, sous forme de test final, n'était assuré.
Au total, il constatait que « l'absence de contrôle et de sanction, la passivité du public, la durée réduite, de six heures seulement, ainsi que l'organisation en début de parcours à un public partiellement non francophone, limitent fortement la fonction intégratrice de cette formation » 8 ( * ) .
Sur le fond, cette formation ne permettait pas de transmettre efficacement les messages fondamentaux sur les valeurs républicaines, en raison d'un contenu bien trop dense, qui ne privilégiait pas les messages essentiels (la laïcité et l'égalité femmes-hommes). Elle visait davantage à diffuser un grand nombre d'informations, en particulier historiques et institutionnelles, au moyen d'un support PowerPoint particulièrement long (80 diapositives), seul outil pédagogique dont disposaient les formateurs, identique quel que soit le pays d'origine, le niveau scolaire, l'âge ou le vécu des auditeurs 9 ( * ) .
Enfin, le choix d'assurer la formation en français et le recours à un interprète posait problème : la délivrance d'informations dans une langue mal maîtrisée par le migrant et le « filtre » que constitue la traduction en réduisaient inévitablement la portée.
4. Un pré-contrat d'accueil et d'intégration à l'utilité contestée
Le pré-contrat d'accueil et d'intégration à l'étranger posait diverses questions. La première était celle de sa sanction . En effet, la délivrance du visa n'était pas conditionnée par la réussite du test de français. En pratique, une première évaluation du niveau de langue des étrangers primo-arrivants était réalisée. S'ils réussissaient cette évaluation, ils obtenaient le visa ; en cas d'échec, il leur était dispensé une nouvelle formation de 40 heures. S'ils étaient assidus, et quel que soit leur résultat au test final, ils obtenaient finalement le visa.
D'autre part, les prestations du pré-contrat d'accueil et d'intégration n'étaient pas articulées avec le dispositif d'accueil en France : qu'il ait ou non participé au pré-contrat d'accueil et d'intégration ne changeait rien aux obligations de formation de l'étranger.
Le pré-contrat d'accueil et d'intégration n'était pas mis en oeuvre partout, ce qui était source d'inégalités. Par ailleurs, ni le contenu des formations ni le niveau des tests n'étaient alignés sur celles et ceux réalisés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration à l'arrivée en France. Le niveau en français des personnes ayant été dispensées de la formation, par un test réalisé à l'étranger, de l'obligation de suivre une formation linguistique était ainsi très hétérogène et, souvent, insuffisant par rapport au niveau requis lorsque les évaluations étaient effectuées en France.
Au total, l'IGA et l'IGAS ont donc proposé, dans leur rapport, la suppression de ce dispositif, « au vu de l'insuffisance de ses prestations et de leur mauvaise articulation avec les prestations d'accueil délivrées dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration ». Cette suppression devait permettre de « dégager 3,3 millions d'euros d'économies, qui pourraient être redéployés vers la formation linguistique » 10 ( * ) .
Dans son avis du 20 septembre 2007, la Commission nationale consultative des droits de l'homme était allée dans le même sens en relevant que « si l'apprentissage du français dès le pays d'origine peut apparaître de prime abord comme une mesure favorisant l'intégration des familles, ce dispositif semble toutefois faire double emploi avec l'obligation qui sera imposée aux bénéficiaires du regroupement familial de conclure un contrat d'accueil et d'intégration une fois sur le territoire français, contrat qui prévoit lui aussi une formation linguistique et civique. De plus, il s'avère peu réaliste dans les faits et aurait au contraire pour conséquence d'exclure un nombre important de migrants ».
5. Une formation considérée comme coûteuse au regard de ses résultats
En outre, les formations proposées paraissaient trop coûteuses au regard de leurs résultats, comme le soulignait la Commission nationale consultative des droits de l'homme dans son avis du 21 mai 2015 sur la réforme du droit des étrangers : « en bref, l'articulation voulue entre le respect du contrat d'accueil et d'intégration et le droit au séjour ne fonctionne pas. Ce constat est d'autant plus navrant que la mise en oeuvre du dispositif est extrêmement coûteuse : les diverses formations dispensées au titre de l'intégration ont engendré en 2013 une dépense de plus de 50 millions d'euros ».
Nombre de contrats d'accueil et d'intégration signés et coût annuel
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif au droit des étrangers
* 5 Article L. 311-9 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 6 Rapport d'information du Sénat n° 47 (2012-2013) de M. Roger Karoutchi.
* 7 Inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013.
* 8 Rapport d'information n° 47 (2012-2013) de M. Roger Karoutchi.
* 9 Inspection générale de l'administration, inspection générale des affaires sociales, Rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013.
* 10 Ibid.