II. DES OUVERTURES INDISPENSABLES POUR REMETTRE D'ÉQUERRE LA BUDGÉTISATION INITIALE DE 2017
Comme cela a été indiqué précédemment, d'après la loi organique, un décret d'avance ne peut être pris qu'en cas d'urgence.
La commission des finances du Sénat estime, à l'instar de la Cour des comptes, que cette notion recouvre en principe non seulement la nécessité d'ouvrir les crédits, mais aussi l'imprévisibilité des besoins pour le Gouvernement qui prend le décret . Elle ne saurait reposer sur le seul caractère indispensable des ouvertures au regard des besoins constatés, dans la mesure où une telle appréciation légitimerait le recours au décret d'avance en cas de budgétisation insincère.
Ce décret d'avance, comme la plupart de ceux qui ont été pris ces dernières années, vise à financer des dépenses qui ne sont devenues urgentes qu'en raison de sous-budgétisations . Il est donc difficile d'affirmer que les dépenses sont imprévisibles.
Cependant, le Gouvernement ne peut pas être tenu responsable des biais de construction du projet de loi de finances présenté en octobre 2016.
Au surplus, les dépenses que le décret d'avance vise à financer sont nécessaires : la recapitalisation d'Areva, tout comme la poursuite des opérations extérieures de l'armée ou le financement de places en hébergement d'urgence, doivent être effectués avant la fin de l'année. Ainsi, les dépenses sont toutes « urgentes » au sens où des crédits supplémentaires seront nécessaires avant le dépôt et l'examen du projet de loi de finances rectificative de fin de gestion .
A. LE CRITÈRE FIXÉ PAR LA LOI ORGANIQUE : UN USAGE DU DÉCRET D'AVANCE RESTREINT AUX DÉPENSES URGENTES
L'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que les décrets d'avance sont pris « en cas d'urgence ».
A l'instar de la Cour des comptes 2 ( * ) , il est possible de considérer que le critère d'urgence répond aux deux conditions que sont la nécessité , constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l' imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face.
Ces deux composantes ne sont pas précisées explicitement dans la loi organique relative aux lois de finances, mais elles se déduisent du caractère dérogatoire du décret d'avance qui est censé constituer une exception à la règle de l'ouverture de crédits par loi de finances et non par voie réglementaire .
Le caractère dérogatoire du décret d'avance implique donc que les dépenses qu'il finance n'auraient pas pu être intégrées à une loi de finances . Si les besoins étaient connus depuis plusieurs mois, ils auraient pu et dû donner lieu à une modification du budget voté par le Parlement par voie législative.
Le Conseil d'État, dans sa décision du 16 décembre 2016, a apporté plusieurs précisions sur les critères de régularité d'un décret d'avance et en particulier sur la définition de l'urgence .
Deux requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-732 du 2 juin 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance. Ils arguaient d'une part de l'irrégularité qui aurait entaché les consultations des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat 3 ( * ) au regard des modifications apportées au projet qui leur avait été notifié, d'autre part du fait que le décret ne répondait pas à la condition d'urgence posée par les dispositions de l'article 13 de la loi organique de la loi de finances dans la mesure où les ouvertures de crédits au titre de la mission « Travail et emploi » visaient à mettre en oeuvre des annonces faites par le Président de la République plus de quatre mois avant la date de publication du décret, qui auraient donc pu donner lieu à une inscription dans un projet de loi de finances rectificative.
Le Conseil d'État a rejeté le premier moyen en considérant que le décret, quoique modifié, ne soulevait pas de question dont les commissions des finances n'avaient pas déjà eu à connaître « compte tenu tant de la portée et de la nature des modifications apportées au projet de décret soumis aux commissions, l'équilibre budgétaire de la de la loi de finances restant inchangé , que de la circonstance que ces modifications portaient sur des points soulevés dans les avis des deux commissions des finances ».
Concernant le respect de la condition d'urgence, le Conseil d'État a également rejeté la requête en estimant que la condition d'urgence est « objective » et remplie dès lors qu'« à la date de publication du décret portant ouverture de crédits à titre d'avances, les crédits disponibles ne permettent pas de faire face à des dépenses indispensables ».
La définition de l'urgence esquissée par le juge administratif, qui repose sur la notion de dépense « indispensable », appelle deux séries de remarques.
D'une part, la nature « indispensable » d'une dépense peut relever d'un choix politique . Par exemple, dans le cas du présent décret d'avance, la nature « indispensable » de l'achat d'un immeuble par l'Insee n'apparaît pas évidente et découle exclusivement d'une décision gouvernementale en ce sens.
Une interprétation très extensive de la notion de dépense « indispensable » pourrait donc conduire à ce que la condition d'urgence soit remplie dès lors le Gouvernement a pris, après la promulgation de la loi de finances initiale, une décision modifiant sensiblement le niveau ou la répartition des besoins budgétaires. Cette lecture serait problématique en ce qu'elle pourrait conduire à ce qu'un décret d'avance soit régulier dès lors que le Gouvernement aurait décidé de réaliser des dépenses nouvelles (ou plus importantes que prévues) d'une part et qu'il préfèrerait ne pas recourir à une loi de finances rectificative d'autre part. En d'autres termes, une interprétation extensive de la notion de « dépense indispensable » pourrait induire qu' un décret d'avance serait justifié dès lors que le Gouvernement en aurait besoin - et que les plafonds fixés par la loi organique seraient respectés , vidant de son sens - et de toute portée pratique - la condition d'urgence.
Or le décret d'avance, qui constitue une exception au principe constitutionnel de l'autorisation parlementaire en matière budgétaire - comme le précise explicitement l'article 35 de la loi organique précitée - ne doit pas devenir un outil « de droit commun ».
D'autre part, concernant le présent décret d'avance, il faut noter que, même si l'on suivait la lecture selon laquelle une dépense est « indispensable » dès lors que le Gouvernement en a décidé ainsi, certaines des ouvertures prévues par le présent décret d'avance ne sont pas urgentes stricto sensu : concernant par exemple l'hébergement d'urgence ou le service civique, le décret a été pris avant la constatation effective des besoins budgétaires et ces dépenses auraient pu être financées pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois sur les crédits encore disponibles.
En l'espèce, la prise du décret d'avance est justifiée par l'absence prévisible de projet de loi de finances rectificative avant la fin de la gestion , qui découle d'une décision du Gouvernement et non d'une impossibilité technique : un projet de loi de finances rectificative peut tout à fait être préparé, déposé, examiné, adopté et promulgué en l'espace de quelques semaines, comme les lois de finances rectificatives de fin de gestion l'illustrent.
Au total, la décision du 16 décembre 2016 du Conseil d'État a permis de préciser la définition de l'urgence et de la faire évoluer en introduisant la notion de « dépense indispensable », dont l'interprétation plus ou moins extensive pourrait conduire à élargir ou restreindre les cas dans lesquels le Gouvernement est fondé à recourir à un décret d'avance pour ouvrir des crédits en cours d'année.
* 2 Cour des comptes, « Rapport sur les crédits du budget de l'État ouverts par décret d'avance », décembre 2016.
* 3 Le projet de décret d'avance notifié aux commissions des finances des deux assemblées avait été modifié avant publication : les ouvertures et les annulations avaient été réduites de 134 millions d'euros à la suite de la contestation de la pertinence des annulations prévues par le projet initial sur les opérateurs de recherche du programme 172 de la mission « Recherche » pour un montant de 134 millions d'euros.