B. DES PURGES MASSIVES SUITE AU COUP D'ÉTAT MANQUÉ DU 15 JUILLET 2016
Selon le rapport sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie publié par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe 2 ( * ) le 5 avril 2017, on recense suite à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 :
- 154 000 personnes révoquées de la fonction publique ;
- 44 000 personnes placées en détention provisoire dont 2 400 juges, 7 000 militaires et plus de 9 000 policiers ;
- 177 organes de presse fermés, 150 journalistes placés en détention provisoire et 2 550 journalistes qui ont perdu leur emploi ;
- 1 800 associations et fondations dissoutes ;
- 2 100 écoles, foyers d'étudiants et universités fermés ;
- 3 994 membres du système judiciaire suspendus.
Ces mesures ont été prises dans le cadre de l'État d'urgence. Les articles 119 à 121 de la Constitution turque disposent, que suite à une catastrophe naturelle ou en cas de trouble à l'ordre public menaçant gravement les institutions, le Conseil des ministres, réuni sous la présidence du Président de la République, peut proclamer l'État d'urgence et édicter des décrets-lois dans les matières qui rendent nécessaires l'État d'urgence. C'est donc le Gouvernement qui définit les dispositions qu'il entend mettre en oeuvre dans le cadre de l'État d'urgence par le biais de ces décrets-lois, qui sont pris sous le contrôle du Parlement. Ainsi, le régime de l'État d'urgence a permis de porter la durée de la garde à vue à 30 jours, de démettre des fonctionnaires, enseignants et magistrats notamment, et de fermer plusieurs établissements privés d'enseignement, associations ou organes de presse. Aucune possibilité de recours n'est prévue pour les citoyens mis en cause.
Rappelons qu'en France, les dispositions qui peuvent être mises en oeuvre dans le cadre de l'État d'urgence sont expressément déterminées par la loi du 3 avril 1955, modifiée par la loi du 24 juillet 2016. Il s'agit essentiellement d'assignations à résidence, de perquisitions administratives dans les domiciles privés de jour et de nuit, d'interdiction de manifestations et réunions ou encore de fermeture des lieux de culte. Ces mesures sont susceptibles d'un recours devant le tribunal administratif qui en apprécie les motifs et la proportionnalité.
En Turquie, des dispositions à caractère économique ont également été prises par décret-loi pour renforcer l'emprise des amis de l'AKP sur l'économie nationale.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a dénoncé le manque de proportionnalité de ces mesures. La Commission de Venise a présenté le 9 décembre 2016 son avis sur les décrets-lois pris en Turquie dans le cadre de l'état d'urgence. Dans cet avis, elle a reconnu que les dangers que représentait le coup d'État manqué du 15 juillet 2016 nécessitaient certainement le recours à l'état d'urgence. Mais les mesures prises sont allées au-delà de ce qu'autorisent la Constitution turque et les engagements internationaux de la Turquie. Elle a critiqué l'allongement à trente jours de la durée légale de garde à vue sans contrôle judiciaire, l'absence de véritable contrôle du Parlement et de la Cour constitutionnelle sur les décrets-lois, et surtout la révocation collective de nombreux fonctionnaires sans référence à des preuves vérifiables de leur culpabilité et sans recours possible.
Suite à cela, le Gouvernement turc a publié plusieurs décrets-lois le 23 janvier 2017 destinés à répondre aux critiques de la Commission de Venise. La durée de la garde à vue a été réduite à 7 jours renouvelables et la présence d'un avocat a été autorisée dès le début de celle-ci, alors qu'elle était interdite durant les cinq premiers jours auparavant. En outre, une commission chargée de recevoir les recours contre les mesures individuelles prises dans le cadre de l'état d'urgence a été créée. Toutefois, les associations de défense des droits de l'Homme estiment que celle-ci ne dispose pas des moyens nécessaires pour traiter dans un délai raisonnable les recours. De plus, cette commission apparaît comme un moyen d'éviter que les recours turcs n'aboutissent devant la CEDH dans un délai raisonnable.
Ces évolutions ont été perçues par les défenseurs des droits de l'Homme en Turquie comme une manoeuvre pour montrer la prétendue bonne volonté des autorités turques à respecter les droits fondamentaux.
* 2 Rapport n° 14282