B. LA PÉTITION AUX ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES : UNE PRATIQUE ANCIENNE D'INTERPELLATION À REVITALISER
Les pétitions forment des demandes, suggestions ou plaintes, adressées par une ou plusieurs personnes à une autorité constituée. Procédé traditionnel d'interpellation des dirigeants prenant ses racines dans les doléances de l'Ancien régime 133 ( * ) , le droit de pétition auprès de chaque assemblée parlementaire est, dans sa forme actuelle, un héritage de la Révolution française. L'article 32 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 24 juin 1793 proclamait ainsi que « le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l'autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité. »
Un tel droit est largement reconnu au niveau des autres pays européens : en 2001, une étude du Parlement européen relevait qu'au sein des 15 États de l'Union européenne, 13 reconnaissaient juridiquement ce droit. Parmi tous ces États membres, seuls deux, dont la France, ne consacraient pas ce droit au niveau constitutionnel.
Logiquement, le droit de pétition est également prévu au niveau du Parlement européen lui-même. Reconnu en 1992 par le Traité instituant la Communauté européenne, il est désormais garanti par l'article 44 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : « Tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de pétition devant le Parlement européen ». Ses modalités sont précisées aux articles 20 et 227 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans sa rédaction résultant du traité de Lisbonne du 1 er décembre 2009. Selon les termes de la Cour de justice de l'Union européenne, « le droit de pétition constitue un instrument de participation des citoyens à la vie démocratique de l'Union. Il s'agit de l'une des voies du dialogue direct entre les citoyens de l'Union et leurs représentants » 134 ( * ) .
En France, le droit de pétition a été plus récemment étendu auprès d'autres instances que le Parlement .
Comme cela a été indiqué supra , il s'exerce ainsi au niveau local auprès des collectivités territoriales depuis 2003. L'article 72-1 de la Constitution permet, dans les conditions fixées par la loi, aux électeurs de chaque collectivité territoriale de « demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence ».
À la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 69 de la Constitution permet ainsi au Conseil économique, social et environnemental d'être saisi d'une pétition à caractère économique, social et environnemental et pour laquelle il fait connaître les réponses qu'il propose au Gouvernement et au Parlement. Ce mécanisme est donc complémentaire de ceux institués auprès des assemblées politiques.
Malgré son enracinement profond et sa consécration récente au niveau constitutionnel, le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires ou locales reste pourtant en proie à une désaffection des citoyens et des représentants . La mission d'information s'en est tenue au droit de pétition au niveau du Parlement. En effet, celui exercé au niveau local fait l'objet d'un encadrement constitutionnel qu'il paraît plus difficile à faire évoluer. De surcroît, la possibilité de créer, à côté du dispositif constitutionnel, des formes complémentaires de droit de pétition plus souples ou plus approfondis, comme celui mis en place par la ville de Grenoble qui le combine avec le recours possible au référendum, reste débattue en jurisprudence 135 ( * ) .
1. Une pratique ancienne et simple à exercer auprès du Parlement
Au niveau national, le droit de pétition est défini par l'article 4 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui n'évoque cet instrument d'interpellation que pour interdire leur dépôt « à la barre des deux assemblées parlementaires » et ériger en infraction pénale la commission de ces faits ou leur provocation. La reprise en 1958 de ces dispositions héritées de la Restauration traduit un souvenir vif des débordements révolutionnaires et de la persistance d'une méfiance à l'égard des intrusions directes et parfois violentes des citoyens dans la conduite des affaires.
En revanche, le législateur n'a pas limité la faculté de déposer une pétition aux seuls citoyens mais l'a ouvert à toute personne . Cette constante depuis la Révolution française démontre que, dès l'origine, cet instrument est conçu comme un « véritable correctif au système représentatif » 136 ( * ) .
Pour connaître les conditions de présentation des pétitions auprès des assemblées parlementaires, il est renvoyé au règlement de chaque assemblée qui comporte des dispositions similaires. Les assemblées parlementaires françaises subordonnent la recevabilité des pétitions à des règles minimales .
En premier lieu, les pétitions doivent être « écrites », cette condition pouvant, en pratique, être satisfaite par un envoi électronique.
Sont enregistrées sur un rôle général les pétitions adressées au président de l'assemblée concernée et reçues par lui sous forme écrite, dès lors que l'identification du ou des pétitionnaires est rendue possible par sa signature et que sa « demeure » est mentionnée. Elles peuvent également être déposées par un parlementaire, même si, à la différence du Royaume-Uni par exemple, cette condition n'est pas une formalité obligatoire pour le dépôt.
En second lieu, sur le modèle de la plupart des autres démocraties européennes, ce droit n'est pas réservé aux nationaux, à la différence du droit de pétition locale fermé aux personnes qui ne disposent pas de la qualité d'électeur dans le ressort de la collectivité territoriale concernée. En outre, il peut être exercé de manière collective, l'exigence de l'exercice strictement individuel du droit de pétition ayant été abandonné au cours de l'évolution des textes.
En France, l'interpellation des parlementaires est donc une procédure ancienne qui ne met en jeu ni filtre parlementaire préalable, ni formalisme excessif .
Les deux assemblées françaises ont choisi de renvoyer les pétitions à une commission permanente non spécialisée. Si la majorité des parlements des États européens et le Parlement européen confient le traitement des pétitions enregistrées à une commission spécialisée - généralement dénommée « commission des pétitions » -, les deux assemblées françaises ont institué une procédure qui conduit à les renvoyer toutes, en leur sein, à la commission des lois pour décider des suites à donner 137 ( * ) , à savoir :
- le classement pur et simple de la pétition ;
- le renvoi à une autre commission permanente, à un ministre ou au Médiateur de la République (depuis le Défenseur des droits) ;
- l'examen de la pétition par l'assemblée concernée en séance publique.
Quelle que soit la décision de la commission, un député ou un sénateur peut demander son examen en séance publique. Au Sénat, à défaut de décision expresse de la commission des lois, la pétition est frappée de caducité à l'ouverture de la session ordinaire suivant celle au cours de laquelle elle est reçue.
Dans le cadre de cette procédure, l'information du pétitionnaire ou du premier d'entre eux se borne à celle de l'enregistrement de la pétition et de la décision éventuellement prise par la commission des lois, mais non de la caducité.
2. Un dispositif à réhabiliter pour nouer un dialogue entre citoyens et représentants
a) Une lente désuétude de la procédure relative au droit de pétition
Le cadre législatif et règlementaire pour l'exercice du droit de pétition auprès des assemblées parlementaires est inchangé depuis 1958 et reprend des règles héritées des Républiques précédentes. Cette pérennité des textes est autant la cause que l'illustration d'une désuétude progressive, mais réelle de cette procédure parlementaire.
Les personnes souhaitant interpeller les parlementaires se sont reportées sur des formes de communication plus directes et plus médiatiques . Il est tout aussi aisé et possible à moindre coût de faire parvenir un message électronique commun à l'ensemble des sénateurs plutôt qu'une pétition au président d'une assemblée, d'autant plus que les assemblées parlementaires ne disposent pas de fonctionnalité permettant d'adresser depuis leur site internet des pétitions.
À titre d'illustration, du 1 er octobre 2007 au 1 er avril 2017, 49 pétitions ont été enregistrées au Sénat. Pour sa part, l'Assemblée nationale n'a reçu au cours de la XIII ème législature (2007-2012) que 34 pétitions. Par comparaison, le nombre de pétitions adressées à la Chambre des députés de 1815 à 1830 était de 1336 par an 138 ( * ) , ce nombre restant stable - autour de 1370 - jusqu'en 1835.
À ce relatif désintérêt des citoyens pour cette procédure fait directement écho sa marginalisation dans les enceintes parlementaires : les pétitions ne sont examinées qu'une à deux fois par an par la commission des lois, les décisions étant actées sans débat au vu des sujets traités. Au Sénat, 9 des 49 pétitions sont même devenues caduques, faute d'examen par la commission des lois.
À l'Assemblée nationale, la totalité des pétitions reçues sous la XIII ème législature ont été classées sans suite. S'agissant du Sénat, si cette décision correspond à 15 des pétitions, la majorité d'entre elles (24) a été pour l'essentiel renvoyées aux autres commissions permanentes, particulièrement celle des affaires sociales. Cependant, il n'est généralement donné aucune suite à ces pétitions renvoyées en commission, en particulier lorsque la réforme contestée ou soutenue par les signataires a été ou vient d'être adoptée par le Parlement ou le Gouvernement, rendant inutile de se saisir de la pétition introduite.
La liste des pétitions adressées au Sénat 139 ( * ) ces dernières années laisse entrevoir une variété importante des sujets abordés - débat législatif en cours, opposition à une réforme conduite, traitement d'une question locale, appel à une modification du droit, etc. - et du nombre de pétitionnaires, qui demeure compris entre 1 et 13 385. Il est d'ailleurs éclairant de constater que parmi celles-ci, 20 pétitions comptaient moins de 10 signataires et que celle ayant réuni le plus de pétitionnaires traduisait l'opposition à la fermeture d'un service au sein d'un établissement hospitalier, décision ne relevant pas de la compétence du Parlement.
b) Vers une réappropriation mutuelle de la procédure relative au droit de pétition
Citoyens et parlementaires ont délaissé progressivement la procédure du droit de pétition, qui ne paraît plus répondre à leurs attentes réciproques. Pour les citoyens, elle apparaît complexe avec une faible assurance d'obtenir une réponse à la question soulevée. Pour les parlementaires, elle présente, en l'état, peu d'intérêt, particulièrement lorsqu'elle traite d'un sujet qui ne relève pas de leur champ de compétence. En tout état de cause, elle constitue généralement un doublon avec les travaux parlementaires en cours pour lesquels les députés et sénateurs sont interpellés directement par la voie d'autres procédés (courriers, courriels, réunions publiques, rencontre avec les citoyens, auditions, etc.).
Même si elle a peu d'écho devant le Parlement, cette forme d'interpellation n'a toutefois pas perdu de son intérêt dans son principe. M. Loïc Blondiaux, professeur de science politique, le résumait : « Le droit de pétition retrouve de l'actualité, notamment sur certaines plate-formes qui facilitent leur mise en oeuvre » 140 ( * ) . Ainsi, elle continue de s'exercer de manière informelle, particulièrement auprès de plate-formes en ligne spécialisées permettant à toute personne de déposer une pétition ou de signer celles qui sont déposées (Mesopinions, Change , Pétition publique, Avaaz, Pétition24, etc.). En 2016, certaines pétitions ont connu un retentissement médiatique lors de l'examen de textes nationaux ou européens, comme celle engagée contre l'adoption de la loi « Travail », qui a recueilli plus d'un million de signatures ou celle en défaveur de la directive européenne relative au secret des affaires regroupant plus de 450 000 signatures.
La mission d'information souhaite donc revivifier le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires , considérant qu'il s'agit d'un instrument utile pour renouer le dialogue entre représentants et citoyens, ce qui supposerait d'actualiser ses modalités d'exercice et de lui conférer ainsi une visibilité plus importante. Dans le respect de l'autonomie de fonctionnement propre à chaque assemblée parlementaire, la mission d'information s'est bornée à formuler des propositions à destination du Sénat.
Dans cet esprit, il s'agit de conforter l'assemblée dans son rôle d'enceinte naturelle dans laquelle doivent se tenir les débats qui agitent la société et s'exprimer la diversité des opinions . Cette actualisation suppose la définition d'un nouvel équilibre : l'attention plus grande portée aux pétitions qui sont adressées aux parlementaires suppose que leur nombre soit limité et leur objet circonscrit. Toutefois, la mission d'information a souhaité maintenir, sans restriction, la faculté ouverte à toute personne résidant en France d'exercer ce droit.
La mission d'information souhaite que le Parlement soit en mesure d' apporter une réponse satisfaisante aux questions qui lui étaient soumises par voie de pétition , ce qui n'est pas nécessairement le cas aujourd'hui. Il paraît ainsi nécessaire d'exclure les réclamations individuelles ou locales. Cette exclusion apparaît d'autant plus logique depuis la consécration, à l'article 71-1 de la Constitution, du Défenseur des droits dont la saisine est ouverte aux personnes s'estimant lésées par le fonctionnement d'un service public ou d'une administration.
La mission d'information s'est également interrogée sur l'intérêt d'ouvrir un droit de pétition à des sujets qui font déjà l'objet d'un débat législatif, dès lors que la procédure parlementaire, a fortiori à la suite des préconisations formulées par la mission d'information, permet l'expression des points de vue issus de la société civile en amont et tout au long de l'examen parlementaire par d'autres voies (auditions, contributions écrites, courriers adressés aux parlementaires, etc.).
C'est pourquoi la mission d'information propose que ce droit de pétition soit réservé à des questions d'intérêt général qui relèvent de la compétence du Parlement, en raison de ses prérogatives législatives ou de contrôle, sans que ce dernier soit appelé à devenir une « juridiction d'appel » des réformes conduites . Cette réserve suppose de conditionner la recevabilité de la pétition adressée au fait qu'elle ne vise pas à examiner une question tranchée par la voie législative dans la période récente.
Enfin, la recevabilité de la pétition devrait être conditionnée à un nombre de signataires jugé suffisamment significatif pour que l'initiative soit considérée comme représentative d'un courant de pensée au sein de la société civile.
La réappropriation par les citoyens de cet instrument d'interpellation serait d'autant plus aisée que la pétition pourrait être déposée de manière dématérialisée au Sénat. À titre d'exemple, les pétitions adressées par voie électronique au Parlement européen représentaient, en 2014 et 2015, respectivement près de 70 % et 80 % de celles reçues par cette institution.
L'instauration de règles plus strictes de recevabilité trouverait sa contrepartie dans la suppression de la règle de la caducité et l' obligation pour l'assemblée saisie d'apporter, dans un délai raisonnable, une réponse à la pétition reçue. La mission d'information estime que la procédure devrait reposer sur un contrôle de recevabilité qui pourrait être exercé par le président de l'assemblée saisie, qui transmettrait les pétitions recevables aux commissions permanentes compétentes, à charge pour elles d'examiner la pétition et d'informer les pétitionnaires des suites données.
Au-delà de cette obligation de donner suite à une pétition qui est adressée à une commission permanente , il ne semble pas utile de définir a priori les types de réponses que la commission pourrait apporter à une pétition. L'intérêt de la procédure réside plutôt dans la variété, voire la combinaison des réponses qu'une commission permanente peut, compte tenu de ses prérogatives actuelles, apporter à une interpellation des citoyens sur un sujet relevant de sa compétence : organiser l'audition d'un ministre ou d'experts, solliciter un débat en séance publique, décider de la création d'une mission d'information ou de l'engagement d'un contrôle, désigner un ou plusieurs rapporteurs pour une communication en commission, susciter une initiative législative, etc.
Proposition n° 3 : Revitaliser le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires, en garantissant un droit de suite pour les initiatives suffisamment représentatives confié aux commissions permanentes compétentes. |
* 133 Un arrêt du Parlement de Paris du 19 décembre 1788 rappelait « le droit légitime qu'ont les différents corps et communautés, ainsi que chaque citoyen ou particulier, de faire parvenir au Roi leurs demandes par la voie de requêtes et des supplications ».
* 134 Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre, 9 décembre 2014, Peter Schönberger c/Parlement européen , affaire C-261/13 P).
* 135 Si certaines juridictions ont admis qu'une collectivité territoriale puisse établir un droit de pétition plus large que celui prévu par la loi, notamment s'agissant des personnes habilitées à la soutenir, dès lors que cette forme d'interpellation est dépourvue de portée juridique et qu'elle se rattache simplement à la faculté d'envoyer une pétition à une autorité administrative (Tribunal administratif de Paris, 11 février 2011, Préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris c/Ville de Paris ou c/Département de Paris, n° 1014363/7-1 et n° 1014364/7-1), d'autres juridictions ont jugé illégales de telles délibérations au motif que ce droit de pétition excédait les limites fixées par l'article 72-1 de la Constitution (Cour administrative d'appel de Lyon, 24 avril 2012, n° 12LY00203, Préfet de la région Rhône Alpes - Cour administrative d'appel de Versailles, 6 novembre 2014, n°13VE03124, Département de l'Essonne ).
* 136 Selon Mme Perrine Preuvot, ce rôle était d'autant plus crucial à une époque où le suffrage n'était pas universel ( Le droit de pétition : mutations d'un instrument démocratique , jurisdoctoria, n° 4, 2010).
* 137 À la différence de son homologue du Sénat, la commission des lois de l'Assemblée nationale désigne, pour la législature, un rapporteur en son sein pour examiner les pétitions.
* 138 Ce nombre est cité par M. Patrice Mbongo, dans son ouvrage sur Les pétitions populaires à la chambre des députés sous la monarchie de juillet (1830-1835), en 1997.
* 139 Cf. annexe II.
* 140 Audition du 1 er février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170130/mi_democratie.html .