CONCLUSION

Les propositions du présent rapport devront être remises en débat au fur et à mesure des nouvelles découvertes scientifiques , de leurs transferts et de leurs usages. Vos rapporteurs tiennent à ce que le point d'équilibre qu'ils ont cherché à atteindre dans le présent rapport puisse évoluer, en fonction des évolutions du contexte résultant du jeu de ces variables.

Vos rapporteurs appellent à la poursuite des travaux de l'OPECST sur les enjeux de l'intelligence artificielle en 2017 et 2018 . Ce suivi pourra prendre la forme d'une veille générale des rapporteurs, d'une incitation à la reprise de leurs propositions par le Gouvernement, ainsi que d'un approfondissement de leur travail, le cas échéant en ciblant leurs investigations plus particulièrement sur certaines dimensions ou sur certains secteurs. Le suivi par l'OPECST d'un sujet aussi important et mouvant apparaît indispensable.

Ils proposent, en outre, la poursuite du plan national pour l'intelligence artificielle annoncé en janvier 2017, puis précisé de manière plus détaillée à la fin du mois de mars 2017.

Ils forment le voeu que ce plan connaisse de francs succès, de manière moins contrastée que le « Plan Calcul » lancé en 1966 ou que le plan « Informatique pour tous » lancé en 1985. Au cours de leurs investigations sur l'intelligence artificielle, vos rapporteurs ont eu à l'esprit le rapport sur l'informatisation de la société publié en 1978 : il préconisait de manière audacieuse d'associer les télécommunications et l'informatique grâce à la connexion de terminaux informatiques permettant la visualisation et l'échange, à travers les réseaux de télécommunication, de données stockées dans des ordinateurs. Ce rapport, remis au Président de la République Valéry Giscard d'Estaing en décembre 1977 par Simon Nora et Alain Minc, a inventé le concept de télématique et proposait le lancement du réseau Minitel, exactement quinze ans après qu'un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) eut rédigé les premiers textes décrivant les interactions sociales rendues possibles par l'intermédiaire d'un réseau d'ordinateurs 261 ( * ) . La popularisation d'Internet dans les années 1990 a éclipsé la télématique mais les inspirations des deux projets étaient proches. La stratégie nationale pour l'intelligence artificielle ne devra pas se tromper de cible mais bien définir des objectifs réalistes garantissant des résultats effectifs .

Ni quête vaine ni projet de remplacement de l'homme par la machine, l' intelligence artificielle représente une chance à saisir pour nos sociétés et nos économies . La France doit relever ce défi .

Les progrès en intelligence artificielle sont d'abord et avant tout bénéfiques . Ils comportent aussi des risques , qu'il serait malhonnête de nier. Mais ces risques peuvent et doivent être identifiés, anticipés et maîtrisés .

L'avènement d'une superintelligence ne fait pas partie de ces risques à court et moyen termes. À long terme , la réalité de cette menace n'est pas certaine . Quant à son imminence à court ou moyen terme , prophétisée par plusieurs figures médiatiques, elle relève du pur fantasme aux yeux de vos rapporteurs. Le présent rapport se veut une première contribution à un travail indispensable d'identification, d'anticipation et de maîtrise des risques réels. Ce travail de démystification et d'objectivation doit être collectif, interdisciplinaire et international .

Afin de prévenir de futures désillusions, il est nécessaire d'assurer un suivi continu de ces technologies et de leurs usages , en sachant que les cycles d'espoirs et de déceptions qui jalonnent l'histoire de l'intelligence artificielle invitent à ne pas avoir d'attentes irréalistes à l'égard de ces technologies dans un avenir proche.

Les propositions du présent rapport veulent aller dans ce sens.

Nous nous prononçons, en fin de compte, pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée : maîtrisée, parce que ces technologies devront être les plus sûres, les plus transparentes et les plus justes possibles ; utile parce qu'elles doivent, dans le respect des valeurs humanistes, profiter à tous au terme d'un large débat public ; démystifiée, enfin, parce que les difficultés d'acceptabilité sociale de l'intelligence artificielle résultent largement de visions catastrophistes sans fondement.

Plutôt qu'une hypothétique confrontation dans le futur entre les hommes et les machines, qui relève de la science-fiction dystopique, nous croyons au bel avenir de la complémentarité homme-machine. La conviction de vos rapporteurs est que nous allons bien plus vers une intelligence humaine augmentée que vers une intelligence artificielle concurrençant l'homme.


* 261 En juillet 1962, Joseph Carl Robnett Licklider entamait en effet cette réflexion en vue de faciliter les communications entre chercheurs de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) du ministère américain de la Défense. Quelques mois plus tard, en octobre 1962, il devint le premier chef du programme de recherche en informatique de la DARPA. La rigueur scientifique exige de se référer également aux travaux de Leonard Kleinrock, lui aussi chercheur au MIT, et qui publia en 1961 le premier texte théorique sur la « commutation de paquets ».

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