II. LES DOUBLONS
Un document préparatoire à une conférence organisée en mars 2016 par le Conseil d'État sur le thème « l'administration territoriale : État central, pouvoirs locaux » estimait que l'État « reste l'ultime garant de l'intérêt général et de la cohésion sociale pour nos concitoyens dans un monde en manque de repères » . Votre délégation adhère à cette conception indiscutable du rôle de l'État, tout en s'interrogeant sur l'interventionnisme débridé qui résulte de son articulation malaisée avec les principes de la décentralisation. Les repères demandés sont souvent brouillés, du moins aux yeux des élus locaux qui ont déploré, tout au long des travaux de vos rapporteurs, les doublons et les empiètements, et qui souhaitent une clarification. Au vu du surcroît de complexité et de la déperdition d'énergie que la situation engendre, votre délégation ne peut que relayer cette exigence essentielle.
A. UN ÉTAT DÉCONCENTRÉ ARC-BOUTÉ SUR SA MISSION
L'objet des remarques qui suivent n'est pas, bien évidemment, de proposer des critères de répartition des compétences ou des rôles entre l'État et les collectivités : presque toutes les lois de décentralisation et de réforme territoriale s'y sont employées, directement ou non, depuis 1982 . Votre délégation souhaite, dans le cadre étroit du présent rapport, simplement rendre compte des témoignages reçus par ses rapporteurs sur l'incompréhension que suscite dans les territoires la contradiction entre l'affaiblissement progressif des services déconcentrés et la propension intacte de l'État à toucher à tout.
Il faut observer, à titre liminaire, que le diagnostic d'interventionnisme n'est pas contredit par le fait que la réduction du format des services déconcentrés à la suite de la RéATE a pu provoquer une contraction du champ de leur activité effective. Lors de son audition par vos rapporteurs, Werner Gagneron, coordinateur d'un rapport d'audit des DDI publié en mai 2014, a estimé que la création des DDI avait amené ces directions à se recentrer fortement sur leur coeur de métier. Ainsi, « pour ce qui est de la jeunesse et des sports, le contrôle des établissements recevant des mineurs relève de l'État. De façon parallèle, il peut y avoir des actions conjointes avec des collectivités territoriales comme, par exemple, le développement du sport ou d'une politique de la jeunesse. Les missions de contrôle, étant régaliennes, sont prioritaires et ont eu tendance à évincer les secondes avec, comme conséquence, un retrait de l'État de ces dernières par comparaison avec ce qui se passait avant la création des DDI . » Le rapport de synthèse note cependant que la majorité des DDI auditées parviennent globalement à exercer leurs missions, tout en admettant que « certaines politiques semblent plus touchées que d'autres, par exemple le contrôle de la qualité des aliments », et en évoquant des formes variées de repli : l'abandon de missions considérées comme non prioritaires après le départ de l'agent qui en était chargé, l'allègement de missions comme les contrôles sanitaires dans les établissements de remise directe ou les participations aux commissions d'appel d'offres, le non développement de missions telles que la mission d'inspection et de contrôle sur les partenaires de l'administration auxquels est déléguée la mise en oeuvre de certaines politiques.
Pour autant, notait Werner Gagneron au cours de son audition par vos rapporteurs, « quand bien même le centre de gravité d'une politique peut ne plus être l'État, on voit souvent des ministères demander aux services territoriaux (aux DDI en l'espèce) de coordonner et d'impulser des politiques dans ces domaines. Par exemple, les DDCSPP et les DDCS ont été chargées de coordonner, de porter les plans pauvreté. De même, l'État n'a plus de responsabilité en matière de soutien à la parentalité dans la mesure où les derniers crédits ont été basculés vers les CAF. Ce sont les conseils départementaux, avec les politiques de l'enfance et de la famille, qui sont en charge de ces missions. Il n'en demeure pas moins qu'on a demandé aux DDCSPP et aux DDCS de concevoir un compte parentalité dans chaque département. Ce ne sont pas des doublons à proprement parler mais cela illustre un problème. La charge demandée aux DDI est aussi forte qu'avant, quand bien même il y a eu transfert d'une politique. De même, créer et élaborer un plan est un travail de cadre, ce qui suppose un repyramidage des services, qui n'est pas toujours fait. Il est également possible que la fonction ait disparu. Certains départements ont un service action sociale qui reste dans les DCSPP et qui est tenu par un cadre A sans expérience, sortant de l'école, ce qui peut engendrer un certain nombre de difficultés. C'est également perçu par les collectivités territoriales comme une forme de doublon. » Ainsi, la tendance au repli n'exclut en aucune manière un interventionnisme qui reste inscrit dans la culture de l'administration déconcentrée, si l'on se réfère au discours tenu à vos rapporteurs par l'ensemble de ses représentants.
Ainsi, Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, président de l'association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, a-t-il estimé lors de son audition par vos rapporteurs : « Il y a le sujet des compétences et des missions, qui est le sujet essentiel. Le discours, les textes, l'ambiance des instructions, c'est : concentrons-nous sur les missions régaliennes de l'État. Je n'ai jamais bien su ce que c'était. Si c'est tamponner les titres, plus personne ne tamponne, c'est les mairies qui prennent la demande et on regroupe cela dans le PPNG. Le coeur de métier de l'État, c'est de vivre mieux ensemble. La santé, il faudrait que l'État reprenne la main. C'est aussi l'éducation nationale, la justice, l'emploi, le chômage, la justice, l'environnement. À la fin rien ne saute. [...] Quand une entreprise va mal, elle vient voir l'État, quand elle a décidé de s'implanter il faut le faire ensemble. Je suis pour que l'on ne fasse aucun doublon, aucune chose inutile, mais décider à l'avance ce qui sera le régalien et ce qui ne le sera pas, ce n'est pas possible. » Lors de leur déplacement à Limoges, au cours d'une réunion avec les services préfectoraux organisée par Raphael Le Méhauté, préfet de la Haute-Vienne, plusieurs participants ont confirmé à vos rapporteurs que l'État, tout en ayant délégué des compétences aux collectivités, reste compétent sur l'ensemble, l'un des avantages de cette potentielle omniprésence étant son impartialité et sa qualité de garant d'une politique sans clientélisme.
Au demeurant, les services déconcentrés ne parviennent guère à identifier de doublons : ils identifient plutôt des outils communs, à l'image du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) adopté par le conseil régional et approuvé par le préfet de région.
Les collectivités ont une analyse différente.