E. UNE HAUSSE DE LA FISCALITÉ INDIRECTE QUI PÈSE SUR TOUS LES MÉNAGES, ET NOTAMMENT SUR LES PLUS MODESTES
Ainsi que cela a été relevé précédemment, il existe une impossibilité méthodologique d'identifier la part des taxes indirectes payées par les ménages et celle pesant sur les entreprises . De telles impositions - comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou la contribution au service public de l'électricité (CSPE) - sont supportées, dans les faits, par ces deux catégories de contribuables (voir supra ) sans que les données issues de la comptabilité nationale ne permettent de distinguer celles acquittées respectivement par les ménages et les entreprises.
1. Des hausses de la fiscalité indirecte supportées par les ménages qui ont freiné la croissance économique...
Pour autant, ceci ne doit pas conduire à renoncer à mesurer les incidences des hausses de la fiscalité indirecte sur les ménages ; à cet égard, il est regrettable que l'étude commandée par le Gouvernement à la direction générale du Trésor sur le « Bilan redistributif 2012-2017 » figurant dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017 ne comprenne pas un exercice de cette nature. Il apparaît, en effet, que les augmentations de taxes indirectes portant sur les ménages durant l'actuelle législature ont significativement pesé sur la croissance économique . Selon les estimations de l'Insee 37 ( * ) , les hausses d'impositions indirectes ont eu un impact de - 0,2 point en 2014 et 2015 ; cet impact serait de - 0,1 point en 2016 - venant même « annuler » l'effet attendu des baisses d'impôt sur le revenu au cours de cette même année.
Tableau n° 12 : Impact sur la croissance des mesures portant sur la fiscalité des ménages
(en points de pourcentage)
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 (p) |
|
Fiscalité indirecte |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
- 0,2 |
- 0,2 |
- 0,1 |
Fiscalité directe |
0,0 |
- 0,4 |
- 0,7 |
- 0,4 |
- 0,1 |
0,1 |
Total |
0,1 |
- 0,4 |
- 0,7 |
- 0,6 |
- 0,3 |
- 0,1 |
(p) : prévisions
Source : Insee (juin 2016)
L'ampleur des incidences sur la croissance des hausses de la fiscalité indirecte supportée par les ménages, décidées par l'actuel gouvernement, peut surprendre, dès lors que la majorité gouvernementale avait, dès son entrée en fonction, souhaité annuler « la hausse de la TVA programmée par le précédent gouvernement, qui aurait pesé sur le pouvoir d'achat, et notamment sur celui des plus modestes, [...] préservant ainsi la consommation et la croissance » 38 ( * ) . Toutefois, l'Exécutif semble avoir modifié sa position sur ce point, le Président de la République ayant reconnu, en juillet 2015, qu'il aurait dû « gard[er] l'augmentation de TVA » 39 ( * ) décidée à la fin du précédent quinquennat afin de compenser des baisses de charges sociales, elles aussi abrogées en 2012.
Malgré tout, il convient de relever que l'« originalité » de la démarche du Gouvernement réside dans le fait que les hausses de fiscalité indirecte sont intervenues à la suite d'une augmentation très substantielle des impositions directes payées par les ménages . Il ne s'agissait donc pas de réorienter le système fiscal français en accroissant la part relative des taxes sur la consommation - comme avait proposé de le faire la précédente majorité par l'instauration d'une « TVA sociale » en 2012 - qui, selon les services de la Commission européenne, sont « faibles par rapport au reste de l'[Union européenne] » 40 ( * ) , mais bel et bien d'ajouter des hausses de taxes indirectes aux augmentations de la fiscalité directe acquittée par les ménages .
2. ...et pesé davantage sur les ménages les plus modestes
En effet, les mesures nouvelles adoptées en matière de fiscalité indirecte ont été nombreuses au cours du quinquennat . À titre d'exemple, les lois financières pour 2013 prévoyaient déjà une hausse des droits sur la bière , à l'origine d'une augmentation des prélèvements de 0,5 milliard d'euros en 2013. Surtout, la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012 a procédé à une réforme des taux de la TVA - le taux « normal », notamment, passant de 19,6 % à 20 % à compter du 1 er janvier 2014 - afin de financer, en partie, la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Cette mesure a été à l'origine d'une augmentation pérenne du produit de la TVA de 5,4 milliards d'euros.
À cela est venue s'ajouter la réforme de la fiscalité écologique , reposant notamment sur la création de la contribution climat énergie (CCE), ou « taxe carbone », qui a consisté à accroître les tarifs des taxes intérieures de consommation sur les énergies fossiles - TICPE, TICGN et TICC. Cette réforme a conduit à une hausse des prélèvements obligatoires de 0,4 milliard d'euros en 2014, de 1,8 milliard d'euros en 2015 et de 1,6 milliard d'euros en 2016. Par ailleurs, les tarifs de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ont crû continûment au cours du quinquennat , la hausse cumulée du rendement de cet impôt s'élevant à près de 4,5 milliards d'euros. Le dynamisme de la CSPE s'est même accru à la suite de la réforme intervenue dans le cadre de de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 41 ( * ) , cette dernière étant associée à un surcroît de recettes estimé à plus d'un milliard d'euros en 2016.
À défaut de pouvoir être exhaustif, il convient néanmoins d'indiquer que différentes mesures ayant eu une incidence sur le montant des taxes indirectes sont intervenues au cours de la présente législature, comme une réforme de la fiscalité des tabacs, ou encore les hausses régulières de cotisations sociales sur les boissons alcoolisées.
Quoi qu'il en soit, comme cela a été relevé, les données de la comptabilité nationale ne permettent pas de distinguer la part des impositions indirectes acquittée par les ménages de celle payée par les entreprises. Aussi est-il difficile de mesurer l'impact des hausses de la fiscalité indirecte survenues au cours du quinquennat sur les ménages .
Pour autant, il est possible d'appréhender cet impact en examinant, sur la base des résultats de l'enquête « Budget de famille » menée en 2011 par l'Insee, l'évolution du poids des principaux prélèvements indirects au sein du budget des ménages lors des dernières années (voir encadré méthodologique ci-après).
En raison de l'existence d'un grand nombre de taxes indirectes, seules les principales d'entre elles ayant connu une évolution significative au cours du quinquennat ont été considérées , soit la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les droits de consommation sur les tabacs, les droits et cotisations sur les alcools, vins et bières, ainsi que la contribution au service public de l'électricité (CSPE).
En outre, en dépit de leur poids et du fait qu'elles aient été accrues durant les dernières années dans le cadre de la réforme de la fiscalité énergétique (voir supra ), il n'a pas été tenu compte des taxes indirectes portant spécifiquement sur les carburants et le gaz ; en effet, dès lors que les simulations sont réalisées à partir de montants de consommation collectés par l'Insee en 2011, il n'est pas possible de tenir compte de la forte baisse des prix du pétrole et du gaz observée lors de la période récente, qui est venue réduire les assiettes de ces taxes spécifiques. Aussi les faire figurer dans les simulations proposées aurait conduit à surestimer artificiellement le montant des principales taxes indirectes supportées par les ménages.
La mesure de l'évolution du poids des principaux
prélèvements indirects
Afin d'appréhender l'évolution des principaux prélèvements indirects au sein du budget des ménages, il est possible de s'appuyer sur l'enquête « Budget de famille » menée par l'Insee en 2011, qui permet de connaître le poids des grands postes de consommation des ménages suivant leurs caractéristiques et, notamment, leur niveau de vie. Tout d'abord, pour chaque poste de consommation, ont été identifiées les taxes indirectes principales s'y appliquant . Ensuite, les différents postes de consommation ont été retraités afin d'obtenir des montants hors taxes - ceux figurant dans les enquêtes « Budget de famille » intégrant les impositions indirectes. Enfin, à partir de ces « bases » a été calculé, pour 2011 et 2015, le montant des principales taxes indirectes acquittées - soit la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la contribution au service public de l'électricité (CSPE), les droits sur les tabacs, ainsi que les taxes et cotisations touchant les alcools, vins et bières. Afin de renforcer la comparabilité des données, ces dernières ne sont pas corrigées des effets de l'inflation et les résultats sont exprimés en euros 2011. Si la détermination des taux applicables en 2011 et 2015 était aisée pour une imposition comme la TVA, il en allait différemment pour ce qui est des droits de consommation sur les tabacs et des droits et taxes sur les alcools, ou encore de la CSPE, qui sont déterminés en tout ou partie sur la base des quantités consommées. Pour cette raison, ces dernières impositions ont dû être « transformées » en taxes ad valorem , c'est-à-dire assises sur la valeur des biens consommés. S'agissant des alcools, vins, bières et des tabacs, cette opération a reposé sur la confrontation, au titre des années 2011 et 2015, du produit des taxes considérées à la valeur totale des ventes des produits concernés. En ce qui concerne la CSPE, un taux théorique d'imposition évoluant avec les dépenses hors taxes d'électricité a été déterminé à partir des données relatives aux prix de l'électricité publiées par Eurostat. |
Les tableaux ci-après font apparaître les résultats des simulations réalisées, qui permettent d'appréhender l'évolution entre 2011 et 2015 du poids des principales impositions indirectes supportées par les ménages en fonction des déciles de niveau de vie .
Sur la base de ces résultats, un premier constat doit être formulé. Il apparaît, en effet, que la fiscalité indirecte pèse, de manière globale, davantage sur les ménages modestes que sur les ménages aisés . Ce constat, cohérent avec les études économiques disponibles, qui montrent que la fiscalité indirecte est dégressive, est visible à travers le taux d'effort, mesuré, ici, en rapportant le montant des taxes indirectes acquittées aux dépenses annuelles totales des catégories de ménages considérées, qui permettent d'approcher leur « pouvoir d'achat ». Comme le montre le tableau ci-après, à partir du deuxième décile de niveau de vie, le taux d'effort décroît de manière quasi linéaire avec la progression du niveau de vie. Concrètement, cela signifie qu'hormis pour le premier décile, les taxes indirectes pèsent relativement plus sur les ménages modestes que sur les ménages aisés . Par suite, les augmentations de fiscalité indirecte intervenues au cours du quinquennat ont, d'un point de vue relatif, davantage affecté les ménages modestes.
Tableau n°
13
: Montants des
principaux prélèvements indirects acquittés par les
ménages
en 2011 et 2015 (hors fiscalité des énergies
fossiles)
(en euros 2011)
Ensemble |
D1 |
D2 |
D3 |
D4 |
D5 |
D6 |
D7 |
D8 |
D9 |
D10 |
|
Année 2011 |
|||||||||||
TVA |
2 884,80 |
1 559,3 |
1 769,2 |
1 930,3 |
2 243,2 |
2 457,7 |
2 799,2 |
3 065,7 |
3 526,1 |
4 025,0 |
5 475,4 |
Taxes sur les alcools |
38,7 |
19,8 |
25,6 |
34 |
34,1 |
37,9 |
44,6 |
43,6 |
42,7 |
51,6 |
53,4 |
Taxes sur les tabacs |
157,2 |
155,2 |
157,9 |
152,9 |
178,3 |
178,7 |
149,5 |
147,9 |
144,8 |
164,9 |
140,2 |
CSPE |
51,8 |
40,1 |
48,5 |
41,4 |
52,9 |
55,6 |
58,4 |
62,9 |
60,9 |
63,6 |
71 |
Total |
3 132,50 |
1 774,4 |
2 001,2 |
2 158,6 |
2 508,5 |
2 729,9 |
3 051,7 |
3 320,1 |
3 774,5 |
4 305,1 |
5 740,0 |
Taux d'effort* |
8,9 |
8,0 |
9,8 |
9,5 |
9,5 |
9,5 |
9,2 |
9,0 |
9,0 |
9,1 |
7,9 |
Année 2015 |
|||||||||||
TVA |
2 987,5 |
1 622,4 |
1 830,8 |
1 996,1 |
2 321,2 |
2 541,3 |
2 896,5 |
3 178,1 |
3 655,5 |
4 165,9 |
5 669,6 |
Taxes sur les alcools |
49,5 |
26,4 |
32,7 |
43,4 |
44,9 |
48,7 |
57,5 |
54,3 |
55 |
65 |
67,4 |
Taxes sur les tabacs |
156,6 |
154,7 |
157,4 |
152,4 |
177,8 |
178,1 |
149 |
147,4 |
144,4 |
164,3 |
139,8 |
CSPE |
122,8 |
95,2 |
115 |
98,1 |
125,3 |
131,9 |
138,4 |
149,2 |
144,3 |
150,9 |
168,4 |
Total |
3 316,4 |
1 898,7 |
2 135,9 |
2 290 |
2 669,2 |
2 900 |
3 241,4 |
3 529 |
3 999,2 |
4 546,1 |
6 045,2 |
Taux d'effort* |
9,4 |
8,6 |
10,5 |
10,1 |
10,1 |
10,1 |
9,8 |
9,5 |
9,5 |
9,6 |
8,3 |
* Le taux d'effort est défini comme le rapport entre le montant des taxes indirectes acquittées et les dépenses annuelles totales des ménages - intégrant non seulement les dépenses de consommation, mais aussi les impôts directs payés, les remboursements de prêts, les dépenses de travaux immobiliers, etc.
Source : commission des finances du Sénat
Un tel constat est d'autant plus préoccupant que la hausse de la fiscalité indirecte supportée par les ménages depuis le début du quinquennat a été substantielle . Ainsi que le fait apparaître le tableau ci-après, le montant des principaux prélèvements indirects acquittés par les ménages a progressé de 184 euros en moyenne entre 2011 et 2015, soit de près de 6 %. En somme, la perte de pouvoir d'achat intervenue entre 2011 et 2015 s'élève à 124 euros pour les ménages du premier décile de niveau de vie et de 305 euros pour ceux du dernier décile .
Aussi les montants en jeu sont-ils loin d'être négligeables. À titre de comparaison, le gain moyen résultant de l'allègement pérenne d'impôt sur le revenu intervenu en 2015 approchait 333 euros pour les ménages du cinquième décile de niveau de vie ; par conséquent, plus de la moitié de la baisse d'impôt sur le revenu de 2015 a été « absorbée » par la hausse des taxes indirectes observée entre 2011 et 2015 , de 170 euros pour les ménages considérés.
Tableau n°
14
:
Évolution du montant des principaux prélèvements indirects
acquittés par les ménages
entre 2011 et 2015 (hors
fiscalité des énergies fossiles)
(en euros 2011)
Ensemble |
D1 |
D2 |
D3 |
D4 |
D5 |
D6 |
D7 |
D8 |
D9 |
D10 |
|
Variation 2015/2011 |
183,9 |
124,3 |
134,7 |
131,4 |
160,7 |
170,1 |
189,7 |
208,9 |
224,7 |
241,0 |
305,2 |
+ 5,9 % |
+ 7,0 % |
+ 6,7 % |
+ 6,1 % |
+ 6,4 % |
+ 6,2 % |
+ 6,2 |
+ 6,3 % |
+ 6,0 % |
+ 5,6 % |
+ 5,3 % |
Source : commission des finances du Sénat
Dans ces conditions, l'amélioration du niveau de vie des ménages les plus modestes découlant des mesures fiscalo-sociales tout au long du quinquennat , qui a été mise en évidence dans l'étude de la direction générale du Trésor intitulée « Bilan redistributif 2012-2017 » figurant dans rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, se doit d'être relativisée . L'augmentation des impositions indirectes au cours de la période 2012-2015 a affecté le niveau de vie des ménages, en particulier des plus modestes en raison du caractère dégressif de la fiscalité indirecte. Or, ce phénomène devrait s'intensifier en raison de l'accroissement de certaines taxes indirectes en 2016 et 2017 , dont la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et la fiscalité écologique. Ceci concourt pleinement à ce que les ménages continuent de ressentir les effets du « choc » fiscal qui a ouvert la présente législature.
* 37 Selon l'annexe méthodologique publiée par l'Insee, « les mesures de fiscalité indirecte [portant sur les ménages] sont appréhendées comme l'écart entre l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) et celui mesuré à fiscalité constante par Eurostat » (Insee, op. cit. , juin 2012, p. 34).
* 38 Voir exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012, p. 11.
* 39 Françoise Fressoz, op. cit. , p. 55.
* 40 Services de la Commission européenne, Rapport 2016 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques , Bruxelles, Commission européenne, 2016, p. 94.
* 41 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.