III. LA CRISE ÉCONOMIQUE DE LA FIN DES ANNÉES 2000 MET EN LUMIÈRE LES INSUFFISANCES DES POLITIQUES DE L'EMPLOI TRADITIONNELLES

Outre l'examen des méthodes statistiques utilisées en France pour mesurer le chômage et de leur fiabilité, votre commission d'enquête a été chargée par le Sénat d'étudier les évolutions récentes des politiques de lutte contre le chômage en Europe . La crise économique de la fin des années 2000 a provoqué une forte hausse du chômage et a été suivie jusqu'à aujourd'hui d'une reprise lente de l'activité . Il est donc devenu nécessaire de repenser les outils de la politique de l'emploi , comme l'ont fait depuis quelques années plusieurs pays européens.

Après avoir fait le constat de la grande diversité des stratégies adoptées jusqu'à présent en Europe, votre commission d'enquête a mené un travail de comparaison des politiques mises en oeuvre par nos principaux partenaires, tout particulièrement l'Allemagne , le Royaume-Uni et l'Italie . Il s'agit, dans le premier cas, d'un pays ayant conduit de profondes réformes structurelles dès la première moitié des années 2000, dans le second d'un pays ayant amplifié, à la faveur de la crise, les réformes engagées antérieurement et, pour le troisième, d'un pays ayant réagi plus tardivement mais de manière extrêmement volontariste à la montée du chômage.

Votre commission d'enquête a cherché à identifier les mesures dont l'impact sur le chômage a été le plus important , tout comme leurs éventuelles conséquences sociales, et les initiatives prises pour les corriger. Elle s'est également intéressée à la méthode retenue dans chacun de ces pays pour réformer : rapidité du processus, modalités d'élaboration, ou encore association des partenaires sociaux. Elle s'est enfin interrogée sur l'étendue des convergences récentes qu'elle a relevées, via notamment « l'activation » des politiques de l'emploi, qui vise à renforcer leur efficacité et à responsabiliser leurs bénéficiaires.

A. LA CRISE A FRAGILISÉ TOUTES LES ÉCONOMIES EUROPÉENNES ET A AGGRAVÉ LES DÉSÉQUILIBRES DES MARCHÉS DU TRAVAIL

1. Une hausse générale du chômage en répercussion de la crise

La crise économique mondiale de la fin des années 2000, consécutive à la crise financière qui s'est déclenchée à partir de la fin de l'année 2007 aux Etats-Unis, a mis un terme à un cycle de développement de l'emploi et de recul du chômage à l'échelle de l'UE et dans la plupart de ses pays membres .

Le taux de chômage global de l'UE , qui avait atteint un pic de 9,6 % de la population active en février 2005 , était tombé à 6,7 % en juillet 2008 , soit une baisse de 30 % .

Dans le courant de l'année 2008, les principales économies européennes avaient connu le niveau de chômage le plus faible : 6,4 % en Allemagne en octobre, 4,9 % au Royaume-Uni en avril, 5,7 % en Italie en août ou encore 6,8 % en France en juillet.

A partir du deuxième trimestre de l'année 2008, le produit intérieur brut (PIB) de l'UE a diminué (-0,3 %) , ce qui a marqué le début d'une récession qui a duré plus d'un an et qui a trouvé son terme au troisième trimestre 2009, avec le retour d'une croissance faible ( +0,3 % ).

La baisse du PIB de l'UE s'est étendue sur cinq trimestres et a connu son pic au premier trimestre 2009 (- 2,6 % ). Elle a été nettement plus forte en Allemagne ( -4,5 % ) ou en Irlande ( -4,8 % ) sur cette même période.

L'Italie et l'Espagne , après avoir retrouvé une croissance faible à partir de 2010, ont à nouveau subi une récession entre 2011 et respectivement le deuxième trimestre 2013 et le troisième trimestre 2014 33 ( * ) .

Evolution du taux de croissance du PIB
dans les principales économies européennes entre 2005 et 2015

Source : Eurostat

En conséquence, une dégradation généralisée de l'emploi a été observée dans chacun des pays européens . D'intensité ou de durée variables, en fonction notamment des politiques de l'emploi conduites précédemment et des institutions du marché du travail, elle a touché tous les publics et a aggravé les difficultés d'insertion ou de retour dans l'emploi rencontrées par certaines catégories de la population.

Evolution du taux de chômage
dans les principales économies européennes entre 2005 et 2015

Source : Eurostat

En dix-huit mois , de juillet 2008 à février 2010, le taux de chômage dans l'UE est passé de 6,7 % à 10,2 % ( +52 % ), soit 8,2 millions de chômeurs supplémentaires . Après une légère décrue jusqu'en juin 2011 (9,3 %), une nouvelle phase de hausse a débuté pour atteindre un premier plafond en mars 2012 (10,7 %) puis un second en février 2013 (11,5 %).

Dans le même temps, certains Etats ont connu une dégradation plus brutale de la situation de l'emploi . En Irlande , le taux de chômage a été multiplié par 3,4 entre l'été 2007 et l'été 2012, passant de 4,5 % à 15,5 %. L'Espagne a quant à elle subi une augmentation du chômage de 159 % entre juillet 2007 (7,8 %) et mars 2010 pour atteindre un taux de 20,2 %.

La hausse du chômage en Italie a été plus modérée au stade préliminaire de la crise, entre août 2007 et l'été 2009. Elle s'est ensuite accélérée et d'avril 2011 à avril 2013, le taux de chômage est passé de 7,8 % à 12 % (+54 %), soit plus d'un million de chômeurs supplémentaires.

La crise a par ailleurs mis un coup d'arrêt à la dynamique de rattrapage économique dont bénéficiaient les Etats, essentiellement de l'est de l'Europe, qui avaient rejoint l'UE le 1 er mai 2004 et qui souffraient, au début des années 2000, d'un chômage de masse. La Pologne , dont le taux de chômage était de 19,3 % au moment de son entrée dans l'UE, avait vu celui-ci diminuer de 66 % en quatre ans, pour atteindre 6,6 % en août 2008. À partir de cette date, il a crû à nouveau, jusqu'à connaitre un pic à 10,7 % en avril 2013.

2. La crise met en évidence la capacité de résilience de certains marchés du travail

Tous les marchés du travail européens n'ont toutefois pas réagi de la même manière à la crise, son impact n'a pas été uniformément ressenti et la reprise de l'emploi a eu lieu de manière disparate, sans concomitance véritable entre les Etats membres de l'UE.

Malgré une récession très forte , qui atteint -4,5 % au premier trimestre 2009, le cas de l'Allemagne apporte cependant un éclairage différent aux conséquences de la crise . Alors qu'entre décembre 2002 et août 2008 le taux de chômage allemand a été constamment supérieur à la moyenne européenne, il lui est nettement inférieur depuis cette date.

La diminution du chômage en Allemagne , si elle avait débuté dès l'automne 2005, n'a été que temporairement enrayée par la crise . Après avoir baissé jusqu'en novembre 2008, pour s'établir à 7,1 %, le taux de chômage a ensuite augmenté de manière beaucoup plus faible que dans les principales économies européennes, pour atteindre 7,9 % en juillet 2009 (+11 %), avant de reprendre une décrue presque ininterrompue jusqu'à ce jour.

Cette situation particulière s'explique à la fois par les caractéristiques démographiques de la population active allemande , par le positionnement de l'économie du pays mais également par les réformes structurelles engagées au début des années 2000 (cf. infra ) et les mesures conjoncturelles adoptées pour répondre à la crise et développer la flexibilité interne dans les entreprises, ainsi que l'a souligné devant votre commission d'enquête Stephan Schmid, conseiller pour les affaires sociales de l'ambassade d'Allemagne à Paris 34 ( * ) .

Le cas du Royaume-Uni se distingue quant à lui de celui de la plupart des autres Etats membres de l'UE en ce qu'il s'agit d'un pays qui, avant la crise , bénéficiait d'une situation de l'emploi bien plus favorable que celles des autres principales économies européennes . Au déclenchement de celle-ci dans le pays, à la fin de l'année 2007, son taux de chômage était, à 5 %, inférieur de 28 % à la moyenne européenne (6,9 %). Une première phase d'augmentation du chômage l'a porté à 8 % en février 2010 ( +60 % ), soit près de 940.000 chômeurs supplémentaires .

Plus intense que celle connue à l'échelle de l'UE durant la même période ( +41 % ), cette hausse a été suivie de trois années de stabilité autour de ce seuil de 8 % avant qu'une diminution du taux de chômage ne s'amorce en août 2013 et qu'il retrouve le niveau qui était le sien avant la crise en octobre 2015 (5 %), soit 807.000 chômeurs de moins . Ce bon résultat s'explique, selon le Conseil d'orientation pour l'emploi 35 ( * ) , par la très grande flexibilité du marché du travail britannique, qui résulte des mesures structurelles adoptées au début des années 2000 et de celles engagées par le gouvernement Cameron depuis 2011 (cf. infra ).

3. Elle souligne les écarts de résultats pour le chômage de longue durée et le chômage des jeunes

Il convient également de souligner, au-delà des particularismes nationaux, que la crise a aggravé les difficultés rencontrées par certains publics déjà éloignés de l'emploi pour s'insérer ou se réinsérer sur le marché du travail. Conséquence directe de l'augmentation généralisée du chômage, le taux de chômage de longue durée , c'est-à-dire la part des personnes au chômage depuis plus d'un an dans la population active, a doublé entre 2008 (2,6 %) et 2013 (5,1 %).

Evolution du taux de chômage de longue durée
dans les principales économies européennes entre 2006 et 2015

Source : Eurostat

Sur cette période, il a été multiplié par cinq en Grèce (18,5 %) et 6,5 en Espagne (13 %). Il a doublé au Royaume-Uni , passant de 1,4 % à 2,7 %, tandis qu' en Italie sa progression s'est poursuivie jusqu'en 2014 (7,7 %), ce qui représente une hausse de 157 % par rapport à 2008 (3 %). Ici encore, seule l'Allemagne se distingue du reste des Etats européens : son taux de chômage de longue durée (2 % en 2015) est en baisse continue depuis son pic de 2005 .

Si elle ne prend pas les mêmes proportions dans tous les pays, cette persistance du chômage de longue durée est un obstacle à la reprise de l'emploi puisqu'elle contribue à diminuer l'employabilité des personnes qui en sont victimes.

Une autre population a été particulièrement touchée par la crise : les jeunes , qui à l'issue d'une formation professionnelle initiale ou d'études secondaires ou supérieures cherchent à obtenir un premier emploi. Comme l'a souligné lors de son audition par votre commission d'enquête Stéphane Carcillo, économiste principal à la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) 36 ( * ) , le taux de chômage des jeunes est « encore plus éloigné de ses niveaux d'avant la crise que le taux de chômage global ».

Evolution du taux de chômage des jeunes
dans les principales économies européennes entre 2006 et 2015


Source : Eurostat

Ainsi, à l'échelle de l'UE, le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans était en 2015 encore 28 % plus élevé que son niveau de 2007 .

La situation est encore plus préoccupante pour certains Etats dans lesquels l'emploi des jeunes était déjà dégradé avant la crise. En Espagne , leur taux de chômage est passé de 18,1 % en 2007 à 48,3 % en 2015 . En Italie , le taux de chômage des jeunes a été multiplié par 2,1 entre 2007 et 2014 pour atteindre 42,7 %, dans une proportion équivalente à celle du taux de chômage de l'ensemble de la population active.

Seuls deux Etats touchés par la crise avaient retrouvé , en 2015, un taux de chômage des jeunes équivalent à celui qu'ils connaissaient en 2008 : la Suède , à 20,4 %, et le Royaume-Uni , à 14,6 % .

Quant à l'Allemagne, elle est le seul pays de l'UE à bénéficier en 2015 d'un taux de chômage des jeunes (7,2 %) nettement inférieur à son niveau d'avant la crise (10,4 % en 2008).

Ces données illustrent les propos tenus devant votre commission d'enquête par Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du COE, selon laquelle « dans tous les contextes, la situation est bonne pour les jeunes [...] quand elle est bonne en général. Aucun pays n'est exemplaire en matière de chômage des jeunes avec un taux de chômage global catastrophique, ou inversement » 37 ( * ) .

Toutefois, la mesure du taux de chômage des jeunes ne se rapporte qu'aux actifs , c'est-à-dire à ceux d'entre eux qui sont en emploi ou à la recherche d'un emploi. Or la majorité des jeunes est en formation secondaire, supérieure ou professionnelle, et les pratiques et traditions de cumul emploi-études sont très hétérogènes en Europe.

Ainsi, le taux d'activité des 15-24 ans dans l'UE était de 41,5 % en 2015, variant de 26 % en Grèce à 66 % au Danemark. En conséquence, la mesure de l'éloignement des jeunes par rapport à l'emploi passe par l'examen de ceux d'entre eux qui ne sont ni en emploi, ni étudiants, ni en formation ( NEET : not in education, employment or training ). Développé par l'OCDE, cet indicateur permet de prendre en compte les jeunes inactifs , c'est-à-dire principalement les décrocheurs qui ont quitté le système scolaire sans qualification et ne sont pas suivis par le service public de l'emploi.

Evolution du taux de jeunes NEET
dans les principales économies européennes entre 2006 et 2015

Source : Eurostat

Comme l'a expliqué Stéphane Carcillo à votre commission d'enquête, la crise a été le déclencheur d'une augmentation durable du taux de NEET , qui ne s'est pas résorbée malgré la reprise de l'activité économique et de l'emploi. Au niveau de l'UE , elle s'élève à 13 % entre 2008 et 2015 : 14,8 % des jeunes européens de 15 à 29 ans entrent dans cette catégorie. Cette hausse a été bien plus marquée en Espagne (+27 %), Italie (+33 %) ou Grèce (+63 %), tandis qu'un recul significatif a débuté dans certains Etats comme l'Irlande (-24 % entre 2011 et 2015).

En revanche, le taux de NEET du Royaume-Uni est désormais (12,6 % en 2015) légèrement inférieur à son niveau de 2007 (12,9 %), après avoir atteint 15,4 % (+19 %) en 2011. E n Allemagne, le taux de NEET (8,5 % en 2015) est en baisse continue depuis 2009 (11,4 %), soit une diminution totale de 25 % .


* 33 Source : Eurostat.

* 34 Audition du 5 juillet 2016.

* 35 Conseil d'orientation pour l'emploi, « Les réformes du marché du travail en Europe », tome 2 : monographies, novembre 2015.

* 36 Audition du 9 juin 2016.

* 37 Audition du 7 juillet 2016.

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