Annexes
AU-DELÀ DES MERS. PAROLE DE FEMME
(Document communiqué par Gisèle
Bourquin,
présidente de
Femmes au-delà des
Mers
,
en vue de la publication des actes du colloque)
De la Polynésie à Miquelon, des Antilles à Mayotte, des Terres australes à Wallis et Futuna, les françaises d'outre-mer détiennent une grande diversité de richesses culturelles, des connaissances particulières, des talents indéniables... Et pourtant on les connaît peu. Elles pourraient partager, entre elles, idées et savoirs, mais elles ne se connaissent pas. L'association Femmes au-delà des Mers braque le projecteur sur ces femmes, stimule l'échange des savoirs, revivifie les racines. La greffe va-t-elle prendre ? Leur exemple sera-t-il suivi par toutes les femmes de ces terres lointaines ?
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Malgré des progrès indéniables, la femme d'outre-mer peine à s'imposer. Le phénomène n'est pas réservé à ces régions. Il y est simplement beaucoup plus important. On peut considérer qu'il y a plusieurs façons de rétablir l'égalité entre hommes et femmes : la coercition par des lois sur la parité, ou bien l'incitation au dépassement de soi par l'exemple. La première solution implique une volonté du Gouvernement de s'attaquer frontalement à une société encore phallocrate. La seconde implique une libération de la femme par elle-même. Deux approches qui loin d'être antinomiques peuvent et doivent se compléter.
C'est la seconde approche qu'a choisie, semble-t-il, Femme au-delà des Mers , une association créée à Paris par Gisèle Bourquin. Cette dernière, après avoir occupé une chaire d'enseignante à l'université de Kisangani (Congo), enseigné le français en Iran, organisé des Salons du livre de l'Outre-mer et bien d'autres choses, a décidé qu'il était temps de mettre le projecteur sur des femmes remarquables de la France d'outre-mer. Elle a donc donné à son association pour objectif de faire connaitre celles qui ont un parcours original ou remarquable, de stimuler les échanges de savoirs, de constituer un fonds documentaire à partir d'archives, de documents et d'objets ayant appartenu aux anciens pour retracer leur histoire et ce qui a construit leur identité, car « Celui qui oublie ses racines n'atteint jamais sa destination » dit un proverbe philippin.
Véhiculer une image positive
Et l'idée a pris. De prestigieux parrains et marraines ont rejoint l'association : Yves Chémla, professeur à Paris V, chercheur en littérature francophone, Aimé Charles-Nicolas, psychiatre et professeur de médecine, Michel Chatot, responsable du réseau des directions régionales à la Caisse des dépôts et consignations Titouan Lamazou, navigateur, écrivain et artiste peintre, Marie-Claude Tjibaou, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental régional de la Nouvelle-Calédonie, présidente du conseil d'administration de l'Agence de développement de la culture Kanak (ADCK), Annie Heminway, professeur à l'Université de New York (NYU), Monique Raikovic, écrivain et médecin en retraite.....
Ni fermée, ni sectaire, l'association a suscité tout naturellement l'adhésion de personnes originaires des DOM-TOM. Mais elle a attiré également des métropolitains, hommes et femmes, ce qui est la preuve d'une grande curiosité à l'égard de ces contrées lointaines. Il ne fait pas de doute qu'en métropole, on a souvent, de ces terres d'outre-Mer, une image à connotation touristique. Leurs richesses culturelles, intellectuelles et sociales sont assez peu appréhendées. Comment expliquer que des femmes talentueuses ou ayant un parcours original restent souvent dans l'ombre ? Les causes en sont multiples, la première est qu'en dehors de Mme Taubira, on ne leur tend guère le micro. D'autre part, en matière de communication institutionnelle vers l'hexagone, seul le tourisme fait florès, tandis qu'épisodiquement, la presse se fait plutôt l'écho des dévastations de cyclones, du chômage et d'autres cataclysmes qui eux, véhiculent des images plutôt négatives. Et pourtant... La deuxième raison réside dans l'éloignement. Beaucoup de ces femmes ont quitté leur lieu de naissance, pour développer leurs talents là où elles pourraient exercer leur métier avec plus d'efficacité ou tout simplement là où les aléas de la vie les ont entraînées. Prenons quelques exemples dans les « portraits » que présente le site de Femmes au-delà des Mers . Jenny Alpha a fait sa carrière en métropole, Marylin Sophocle aux États-Unis, Maxette Olsson habite la Suède, Murielle Wiltord Latamie oeuvre pour le tourisme martiniquais à New York... Femmes au-delà des Mers va les chercher, là où elles se trouvent, car cette transplantation démontre à l'évidence, leur capacité d'intégration, d'adaptation, leur capacité à proposer et imposer leur différence en même temps que leur projet. Une affirmation de soi qui devrait faire école. C'est pourquoi cette galerie de portraits, est un « projet » fort de l'association. Largement commencé et jamais terminé il s'allonge au fil des découvertes de « nouveaux talents », de nouvelles réussites. « L'idée qui préside à la réalisation de cette galerie de portraits, explique Gisèle Bourquin, est de constituer une mosaïque de talents et d'itinéraires singuliers, de mettre en lumière des femmes au parcours exceptionnel. Ces femmes doivent être en vie, originaires d'une région de l'outre-mer français ou avoir un lien avec l'outre-mer. Mais elles peuvent résider aux quatre coins de la planète. Tous les profils nous intéressent, toutes les générations, toutes les disciplines, tous les pays. Nous recherchons des talents insolites, des itinéraires singuliers ou des parcours hors pair à travers le monde ».
Mobiliser les femmes
On pourrait citer, parmi ces femmes étonnantes la Martiniquaise Marie-Claude Valide qui a fait vaciller le monopole d'Air France, en créant la première compagnie low cost , la Validair, qui proposait des billets Antilles/métropole à des prix jamais vus. Et même si les entraves se sont multipliées, même si le pot de terre a explosé contre le pot de fer, on ne peut manquer de reconnaître l'extraordinaire aventure de cette femme et regretter qu'elle ait manqué de soutiens et d'une notoriété qui l'eussent protégée. Mais quelles étaient les causes sous-jacentes de cet échec ? Était-ce parce que c'était une femme ? Parce qu'elle osait lever la tête ? Parce qu'elle touchait à un monopole ? Sans doute tout cela à la fois. Dommage, car Marie Claude-Valide a apporté à une autre île des Caraïbes, anglaise cette fois-ci, sa passion d'entreprendre. Un formidable exemple à suivre.
On serait tenté de dire qu'il ne faut pas qu'un tel gâchis se reproduise. Il ne faut pas que de tels talents soient assassinés. Il ne faut pas désespérer les femmes, faire avorter leurs ingéniosité. C'est un problème éthique, mais c'est aussi un problème économique. Et là aussi Femme au-delà des Mers a un rôle à jouer. Vitrine des femmes qui gagnent, quel que soit le domaine ou l'importance économique de leur action, Femme au-delà des Mers est aussi un ferment de l'entrepreneuriat par la confiance qu'elle redonne aux femmes. « Ce n'est pas tant la profession qui importe mais plutôt le fait que ce soit des femmes qui apportent quelque chose à la société, qui rayonnent, qui ont un savoir à faire connaître et à transmettre », précise Gisèle Bourquin ». Le coup de projecteur que donne l'association a pour but non seulement de faire de ces femmes des exemples, mais de mobiliser celles qui pourraient sortir de l'ombre et les encourager à mettre en oeuvre leurs projets.
Échanger les savoirs de toute nature
Femme au-delà des Mers mise sur un autre pôle, celui de l'échange de savoirs. « Mettre en avant les savoirs des femmes d'outre-mer, qui, de par la variété de leurs univers (Amérique, Océanie, Terres australes, Europe...) représentent le « Tout Monde » c'est participer de ce mouvement. Mais c'est aussi mettre en valeur la spécificité de leur culture métisse et enrichir le débat d'idées par un éclairage nouveau, que ce soit en matière de science de la nature, de structure familiale, de traditions... » Évoquant le haka polynésien lors des célébrations du 14 juillet 2015 place de la Concorde, Gisèle Bourquin a ainsi rappelé que la France est une France plurielle : « L'outre-mer, de la Polynésie à St-Pierre-et-Miquelon, est un véritable laboratoire. Nous avons beaucoup à apprendre, notamment en matière d'habitat, de comportement, de gestion des risques naturels. On peut donner l'exemple des pratiques traditionnelles de soins où le savoir se transmet de génération en génération. Cette connaissance de la nature, que l'on retrouve chez les amérindiens mais également chez les kanaks sont des savoirs anciens qui régulièrement sont récupérés et adaptés par la médecine dite moderne ».
Et pour cet échange de savoirs, Gisèle Bourquin n'hésite pas à mobiliser les médias : conférences, articles dans la presse. Elle participe aux manifestations sur les grandes figures de la Martinique, féminines, bien sûr, mais également masculines comme Aimé Césaire, sur lequel elle a rédigé une thèse, sur Gontran Damas qu'elle a connu, ou encore Gaston Monnerville.
Des racines et des êtres
« Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut... », avait dit un jour Frédéric Mistral et dans un projet comme celui de Femme au-delà des Mers qui mise sur la richesse culturelle des terres d'au-delà des mers, il est fondamental de conserver, de diffuser ce qui peut en témoigner. Qui sait quels trésors trainent dans les greniers de ceux qui ont fait leur vie en métropole ou ailleurs et dont les descendants n'ont pas le même attachement à ces choses ? « Il fallait éviter à tout prix que les richesses des aînés soient perdues, commente Gisèle Bourquin , c'est ce qui nous a conduit au projet Patrimoine Unique et Privé. Il s'agit de rassembler des archives privées rares (photos, manuscrits, oeuvres d'art, audio, numériques). Chaque propriétaire participe de la mémoire collective de sa famille, de sa culture et de la conservation d'un certain patrimoine, jusqu'ici non protégé. Le moindre objet peut faire sens. En effet, si isolé, il semble appartenir à la mémoire individuelle, associé à d'autres, il participe à l'élaboration d'une « Histoire commune ». Tâche titanesque qui nécessitera des soutiens importants... Mais que serait l'image de la France sans le Louvre ?