II. LES DÉBATS AVEC LES DÉCIDEURS EUROPÉENS
Notre délégation a aussi profité de la session du Parlement européen de Strasbourg pour continuer les travaux menés au Sénat sur plusieurs grands dossiers européens.
La session plénière de Strasbourg constitue une occasion unique de voir réunis au sein même du Parlement l'ensemble d'eurodéputés et des membres de la Commission européenne 15 ( * ) . Notre délégation a saisi cette occasion pour y organiser des échanges avec les décideurs.
Afin de procéder à de véritables échanges avec les parties prenantes du processus décisionnel européen, nous avons tenu à associer, autant que possible dans une même réunion, les députés européens les plus actifs sur un sujet et le commissaire européen qui en a la charge.
Trois tables rondes ont ainsi été organisées qui ont porté sur la convergence économique, l'union de l'énergie et le numérique ; ces deux derniers sujets constituant les priorités du travail de notre commission des affaires européennes
A. LA CONVERGENCE ÉCONOMIQUE EN EUROPE
La table-ronde sur la convergence économique a réuni, outre le ministre et les délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat, le commissaire Valdis Dombroskis 16 ( * ) , vice-président de la Commission européenne, et les députés européens Pervenche Bérès 17 ( * ) , Reimer Böge 18 ( * ) , Sylvie Goulard 19 ( * ) , Françoise Grossetête 20 ( * ) et Alain Lamassoure 21 ( * ) . Elle a porté sur quatre thèmes principaux : le cadre général de la convergence économique, la gouvernance de la zone euro, le budget de l'Union européenne et l'investissement.
1. Le cadre général de la convergence économique
Le vice-président Dombrovskis a rappelé que, conformément aux préconisations de l'examen annuel de croissance de la Commission pour 2016, la convergence économique au sein de l'Union reposait sur trois piliers : l'investissement, les réformes structurelles et la gestion responsable des finances publiques.
L'examen annuel de croissance
européenne
L'examen annuel de croissance adopté par la Commission au mois de novembre lance le cycle annuel de gouvernance économique, définit les priorités économiques générales de l'Union européenne et fournit aux États membres des orientations politiques pour l'année suivante. Il convient de noter qu'afin de mieux intégrer les aspects nationaux et spécifiques à la zone euro en matière de gouvernance économique de l'UE, l'examen annuel de la croissance 2016 s'est accompagné d'une série de recommandations pour la zone euro. Il s'agit d'un changement important par rapport aux cycles précédents du semestre, durant lesquels les recommandations relatives à la zone euro étaient proposées vers la fin du semestre européen, en même temps que les recommandations par pays (soit fin juin ou début juillet 22 ( * ) ). |
Le vice-président Dombrovskis a fait valoir que le policy-mix actuel permettait de soutenir la reprise de la croissance de l'Union 23 ( * ) , tout en reconnaissant que la question se posait de la transmission des effets de la politique monétaire de la BCE à l'économie réelle. A côté de ce diagnostic global assez encourageant, M. Jean Bizet a rappelé que l'existence d'une politique monétaire unique se conjuguait encore avec de graves insuffisances dans la coordination des politiques économiques et budgétaires nationales, venant elles-mêmes s'ajouter à de fortes disparités fiscales et sociales. Mme Danielle Auroi a, pour sa part, estimé nécessaire de renforcer la dimension sociale de l'Europe face à la montée de la pauvreté.
2. La gouvernance de la zone euro
Le Commissaire a rappelé le calendrier des travaux actuels sur la réforme de l'Union économique et monétaire 24 ( * ) :
- une première phase portant sur la simplification de la procédure du semestre européen, la plus grande prise compte des indicateurs sociaux, l'achèvement de l'union bancaire et la représentation extérieure de la zone euro (qui sera prochainement l'objet d'un rapport présenté au Conseil européen) ;
- une seconde phase relative, d'une part, au renforcement de l'UEM (question capacité budgétaire de la zone euro et création d'un Trésor européen) et, d'autre part, aux relations entre la zone euro et les autres Etats membres. Ces points feront l'objet d'un livre blanc prévu pour le printemps 2017.
Mme Sylvie Goulard a estimé qu'il y avait urgence à présenter un plan de réformes structuré pour l'avenir de l'UE et de la zone euro sans attendre le printemps 2017 et la publication de ce livre blanc.
À propos de la capacité budgétaire de la zone euro, nous avons pu entendre M. Reimer Böge, co-auteur avec Mme Pervenche Bérès d'un projet de rapport du Parlement européen sur le sujet 25 ( * ) . Tout en précisant que les groupes politiques étaient à ce jour divisés sur les contours de cette capacité budgétaire 26 ( * ) , il a souligné la nécessité prioritaire de réintégrer le mécanisme européen de stabilité (MES) dans le cadre juridique de l'Union.
Le mécanisme européen de stabilité (MES) est un dispositif européen de gestion des crises financières de la zone euro qui remplace depuis 2012 le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) qui avaient été mis en place en réponse à la crise des dettes souveraines publiques dans la zone euro. Il ne concerne que les États membres de la zone euro (comme c'était le cas du FESF mais non du MESF, ouvert à tous les États membres). Institué par un traité intergouvernemental (le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance-TSCG) distinct des traités européens, le MES est une institution financière internationale ayant la capacité de lever des fonds sur les marchés financiers jusqu'à 700 milliards d'euros, afin d'aider sous conditions des États en difficulté ou de participer au sauvetage de banques privées pour limiter les taux d'intérêts des pays en difficulté. Dans leur projet de rapport du 5 mai 2016, Mme Pervenche Bérès et M. Reimer Böge proposent que la réintégration du MES dans le cadre juridique européen s'accompagne de sa transformation en un Fonds monétaire européen (FME) géré par les institutions communautaires et susceptible de contribuer à la capacité budgétaire de la zone euro. |
M. Harlem Désir, comme M. Valdis Dombrovsis, se sont montrés prudents sur le choix des modalités par lesquelles cette réintégration du MES devrait s'opérer. Sans attendre cette évolution, le ministre a évoqué la possibilité pour le MES d'être utilisé pour soutenir l'investissement. Le commissaire a rappelé qu'il s'agissait d'un instrument destiné à stabiliser les États membres de la zone euro en cas de crise.
Enfin, l'impact de la question britannique sur la zone euro a été abordé . Mme Françoise Grossetête a estimé que s'il restait dans l'Union, le Royaume-Uni souhaiterait sans doute renégocier sa position par rapport à la zone euro. Mme Sylvie Goulard, pour sa part, a estimé qu'il y avait une contradiction entre, d'une part, l'arrangement trouvé au Conseil européen le 19 février dernier selon lequel « il est admis que les Etats membres qui ne participent pas à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire n'entraveront pas ce processus, mais le faciliteront, tandis que ce processus, respectera à l'inverse, les droits et compétences des Etats membres participants » 27 ( * ) et, d'autre part, le fait que toute révision de traités, par exemple à propos de l'UEM, exigeait le principe de l'unanimité des États de l'Union, c'est-à-dire y compris de celui qui, tel le Royaume-Uni, exclurait toute perspective d'appartenance à la zone euro.
3. Le budget de l'Union européenne
Dans sa présentation, le Commissaire a indiqué :
- d'une part, qu'à l'occasion de la revue à mi-parcours ( mid term review ) du budget de l'Union européenne, il convenait d'utiliser au maximum les ressources disponibles ;
- qu'au-delà, pour le cadre financier pluriannuel postérieur à 2020, se poseraient les questions du renforcement des ressources propres et du montant des instruments de convergence. Sur ce point, il a considéré que l'Union ne pourrait faire l'impasse sur la question d'un budget plus ambitieux alors que les plafonds actuels (1,04 %du revenu national brut de l'Union) sont inférieurs à ce que prévoit l'accord portant sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 (1,23 % RNB).
M. Alain Lamassoure a tenu à rappeler quelle était la position du Parlement sur cette révision à mi-parcours. Il a précisé qu'il s'agissait bien d'une véritable « révision » (et non d'une simple « revue ») résultant de l'accord interinstitutionnel sur le CFP 2014-2020, tout comme la tenue d'un débat sur les ressources propres prévu dans le cadre des travaux du Groupe à haut niveau Monti 28 ( * ) .
Le groupe à haut niveau sur les ressources propres de l'Union européennes a été initié en février 2014. Il est présidé par l'ancien Président du Conseil italien et commissaire européen Mario Monti et composé d'une dizaine de membres désignés par les trois institutions (Parlement européen, Conseil, Commission) : • Pour le Parlement européen : - M. Ivailo Kalfin, deputé, Premier ministre de Bulgarie, ministre du travail et des affaires sociales, - M. Alain Lamassoure (EPP), -M. Guy Verhofstadt (ALDE), • Pour le Conseil : - M. Daniel Dãianu, membre du Bureau de la Banque nationale de Roumanie, - M. Clemens Fuest, économiste, - Mme Ingrida Ðimonytë, députée, présidente de la Banque de Lituanie, • Pour la Commission : - Mme Kristalina Georgieva, vice-présidente de la Commission, en charge du budget et des ressources humaines, - M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, - M. Frans Timmermans, Premier vice-président de la Commission, commissaire européen chargé de l'amélioration de la législation, des Relations interinstitutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux. |
Il a précisé que ce groupe 29 ( * ) présentera à l'automne des propositions sur le financement du budget européen ainsi que sur le financement des coopérations renforcées dans le cadre de la zone euro. Il a indiqué qu'un débat interparlementaire serait organisé début septembre sur ce sujet et qu'un questionnaire serait envoyé aux parlementaires nationaux en amont de ce débat 30 ( * ) .
Se prononçant sur le budget de l'Union, M. Reimer Böge s'est déclaré en faveur d'une révision des montants inscrits aux rubriques 3 31 ( * ) et 4 32 ( * ) afin de répondre à la crise des migrants.
4. Les investissements
Abordée sous plusieurs aspects au cours du débat à propos de la politique de la BCE, des critères de convergence ou de l'évolution du MES, la question des investissements a aussi été plus spécifiquement développée par le commissaire sous l'angle du plan Juncker. Annonçant le rapport qui sera fait au Conseil européen des 28 et 29 juin, il a estimé qu'après un an, ce plan produisait des premiers résultats positifs avec plus de 100 milliards d'investissement réalisés.
* 15 Ce qui n'est pas le cas à Bruxelles.
* 16 Commissaire chargé de l'Euro et du dialogue social.
* 17 Groupe de l'alliance progressiste des socialistes et démocrates, France.
* 18 Groupe de parti populaire européen, Allemagne.
* 19 Groupe de l'alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, France.
* 20 Groupe de parti populaire européen, France.
* 21 Groupe de parti populaire européen, France.
* 22 Cette année, elles seront examinées au Conseil européen des 28 et 29 juin.
* 23 Sous l'effet combiné d'une politique budgétaire consolidée légèrement expansionniste et d'une politique monétaire accommodante.
* 24 Calendrier conforme au rapport dit des cinq présidents : le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avec le président du sommet de la zone euro, Donald Tusk, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, et le président du Parlement européen, Martin Schulz. Rapport « Vers une meilleure gouvernance économique dans la zone euro : préparation des prochaines étapes » du 25 juin 2015.
* 25 Projet de rapport sur la capacité budgétaire de la zone : eurphttp://www.europarl.europa.eu
* 26 Le rapport devrait être examiné en session plénière en octobre prochain.
* 27 8 EUCO 1/ 16, Annexe I Section A Gouvernance économique, § 2.
* 28 Le groupe à haut niveau sur les ressources propres de l'Union européennes, présidé par l'ancien Président du Conseil italien et commissaire européen Mario Monti, devrait rendre ses conclusions au cours du dernier trimestre 2016.
Il convient de préciser que les parlements nationaux seront associés formellement à cette réflexion lors de la conférence interinstitutionnelle avec les parlements nationaux « sur le financement futur de l'Union européenne » qui se tiendra à Bruxelles les 7 et 8 septembre 2016.
* 29 Dont M. Lamassoure est membre.
* 30 Il s'agira d'une réunion avec les représentants des parlements nationaux dénommée « conférence interinstitutionnelle sur le financement futur de l'Union européenne » et organisée à Bruxelles les 7 et 8 septembre prochains.
* 31 Citoyenneté, liberté, sécurité et justice.
* 32 L'UE en tant que partenaire mondial.