B. STRASBOURG, CAPITALE D'UNE NOUVELLE GRANDE RÉGION FRONTALIÈRE
La délégation a aussi poursuivi en 2016 les travaux qu'elle avait engagés l'an dernier à Strasbourg, avec le Conseil régional, sur les questions touchant à la coopération transfrontalière. Cette partie de la mission a pris toutefois une dimension nouvelle puisque la capitale historique de l'Alsace est désormais le chef-lieu de la nouvelle grande Région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine, frontalière de l'Allemagne, du Luxembourg, de la Belgique et aussi de la Suisse, pays membre de l'espace économique européen.
1. Le contexte de la mission de notre commission en 2016
Le 18 mai 2015, à l'invitation du Conseil régional d'Alsace, la délégation de la commission des affaires européennes du Sénat avait mené une séance de travail sur les questions transfrontalières qui avait porté :
- d'une part, sur la présentation des grands enjeux des relations transfrontalières et de ses institutions locales, la Conférence du Rhin supérieur (crée en 1975) 9 ( * ) et le Conseil rhénan 10 ( * ) ;
- d'autre part, sur la façon dont l'Europe est vécue au quotidien par nos concitoyens dans le cadre transfrontalier, grâce aux témoignages particulièrement éclairants d'élus de la région et de structures associatives chargées d'informer et d'accompagner particuliers et entreprises dans leurs démarches 11 ( * ) .
À cette occasion, nous avions été frappés par la persistance de multiples obstacles auxquels se heurtent les citoyens européens au sein de l'Europe, y compris dans une région où les échanges sont anciens et fréquents. Aussi notre rapport de juin 2015 concluait-il à l'intérêt « en s'appuyant sur l'exemple de l'Alsace et sur l'expertise des acteurs locaux, de procéder au recensement de ces situations de manière à remédier aux difficultés rencontrées ».
Tel est l'engagement que nous avions pris vis-à-vis de nos interlocuteurs et que nous avons tenu à honorer cette année en organisant une réunion allant plus avant dans l'analyse des principales difficultés vécues par nos concitoyens aux quatre frontières de la nouvelle Région.
2. Le déroulement de la réunion
a) Les acteurs présents
Outre le Conseil régional, la réunion nous a donné l'occasion de dialoguer avec :
- le Centre européen des consommateurs de Kehl , chargé de conseiller les consommateurs sur les transactions transfrontalières des consommateurs français et allemands avec l'ensemble des commerçants de l'Union européenne et de faciliter le règlement amiable des litiges. La structure installée à Kehl est la seule des trente centres existant en Europe à être binationale ;
- le Centre de ressources et de documentation CRD Eures Lorraine, qui mène désormais à l'échelle de la Région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine des actions destinées à faciliter la mobilité professionnelle. Il informe notamment les particuliers et les entreprises sur les conditions de vie et de travail dans les régions frontalières en matière de contrat de travail, licenciement, imposition, assurance-chômage, assurance-maladie, maternité, etc ;
- l'Euro institut de Kehl, organisme franco-allemand de conseil et de formation pour les acteurs de la coopération transfrontalière, constitué aujourd'hui sous la forme d'un groupement européen de coopération transfrontalière ;
- l'InfoBest de Strasbourg-Kehl , qui est l'un des quatre centres installés le long de la frontière franco-allemande, jouant un rôle d'intermédiaire entre les usagers des deux rives du Rhin et leurs administrations nationales. À titre d'illustration, cette structure investit, depuis quelques années, dans l'accompagnement des travailleurs transfrontaliers retraités confrontés à un changement de la loi allemande aboutissant à une fiscalisation rétroactive dans ce pays, des pensions versées aux travailleurs transfrontaliers ;
- la maison du Luxembourg , structure d'information des habitants et des entreprises de Thionville (où l'association est implantée) et de sa région sur les conditions de vie, de travail et d'investissements au Grand-Duché de Luxembourg.
b) Les problématiques abordées
L'essentiel des questions abordées ont porté sur le domaine social au sens large.
Le Centre européen des consommateurs (CEC) a ainsi soulevé la question des difficultés d'accès à certains équipements médicaux allemands, en particulier les IRM . Alors que les délais d'attente outre-Rhin sont extrêmement courts, les patients français sont soumis à un régime d'autorisation préalable pour y accéder. S'il semble que cette question doive, sur le fond, être resituée dans le contexte plus large des accords de coopération sanitaire entre la France et l'Allemagne (les flux de patients existant dans les deux sens), nous avons toutefois été sensibles au fait que les patients et les associations ne parviennent pas à obtenir de réponse claire des administrations françaises quant au sens et à la portée de ce régime d'autorisation. À l'écoute d'autres intervenants, une telle opacité semble se retrouver au niveau des conditions de remboursement des soins transfrontaliers 12 ( * ) .
La maison du Luxembourg a mis en lumière des difficultés tenant à l'accès des travailleurs transfrontaliers à certains droits sociaux luxembourgeois . Si la situation s'est récemment améliorée pour les crèches, les difficultés demeurent pour le bénéfice de certaines allocations.
D'une façon plus générale, l'ensemble des intervenants dont l'Infobest et le CRD Eures Lorraine ont évoqué des problèmes de coordination en matière de protection sociale 13 ( * ) et de fiscalité en cas de pluriactivités . Ils ont souligné l'insécurité juridique dans laquelle les transfrontaliers et leurs employeurs sont placés, ainsi que le manque d'information, voire de connaissance, des situations par les caisses de sécurité sociale et les administrations locales. Ces difficultés semblent concerner l'ensemble des pays frontaliers de la région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine.
La délégation a aussi été frappée de constater la persistance de difficultés dans la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles non seulement pour les professions dites réglementées au sein de l'Union européenne, mais aussi pour certaines professions techniques (telles que soudeur ou puisatier).
Le régime de droit commun Sur le fondement de la directive 2005/36CE, il existe un système de reconnaissance mutuelle . En vertu de ce principe, l'État d'accueil ne peut refuser au demandeur l'accès à l'activité concernée sous réserve de conditions tenant : - à la durée de la formation. Par exemple, si la formation reçue était d'une durée inférieure à au moins 1 an par rapport à celle dispensée dans le pays d'accueil, ce dernier peut exiger une expérience professionnelle d'une certaine durée ; - au contenu de la formation. Si la formation est très différente de celle proposée dans l'Etat d'accueil, ce dernier peut imposer un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude. Ces dispositions sont fortement inspirées de la jurisprudence de la Cour de Justice (CJCE Vlassoupoloulo 7 mai 1991) qui oblige les États à mettre en place un système de comparaison entre les qualifications obtenues par les candidats et les qualifications requises, la comparaison ne pouvant en principe porter que sur la durée et le contenu de la formation. Pour les professions réglementées Pour ces professions dont l'accès est subordonné à la possession de qualifications professionnelles déterminées définies au niveau national, la directive 2005/36/CE modifiée par la directive 2013/55 détermine la façon dont l'État membre d'accueil reconnaît les qualifications professionnelles obtenues dans l'État membre d'origine. L'Etat d'accueil dispose de davantage de marge d'appréciation que dans le droit commun (où s'applique le principe de la reconnaissance mutuelle) Une « reconnaissance automatique » existe toutefois pour les professions dont les conditions minimales de formation sont harmonisées au niveau européen : médecin, infirmier responsable de soins généraux, dentiste, vétérinaire, sage-femme, pharmacien et architecte . Pour en bénéficier, les professionnels concernés doivent en faire la demande auprès de l'autorité compétente chargée de la profession dans le pays d'accueil et apporter la preuve de leurs qualifications. |
À l'écoute des acteurs de terrain, nous estimons que la situation est d'autant moins satisfaisante que l'une des promesses du marché intérieur demeure précisément l'accès à davantage d'opportunités d'emplois, et que le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, fait de l'achèvement de ce marché intérieur l'une de ses priorités.
Enfin, au-delà de l'exposé des difficultés rencontrées par les transfrontaliers, la réunion a aussi permis d'attirer l'attention de la délégation sur certaines « bonnes pratiques » des pays voisins, telles que le dispositif mis en place en Allemagne pour prévenir des défauts d'assurance automobiles.
c) Les enseignements pour la délégation et leurs suites
La délégation retient que les causes des difficultés rencontrées sont multiples puisqu'elles peuvent provenir :
- du manque d'informations et de sensibilisation aux questions transfrontalières des intervenants sur le terrain : des services fiscaux aux agents des caisses locales de sécurité sociale, y compris dans les régions pourtant les plus concernées ;
- des différences entre les États membres dans la façon de transposer une même directive européenne sans anticipation des difficultés qui peuvent en résulter pour les activités transfrontalières ;
- de l'insuffisance en France de la capacité d'impulsion et de coordination interministérielle 14 ( * ) .
Aussi, conformément à ce qui avait été annoncé en 2015, nous avons décidé d'engager un travail avec le Gouvernement afin d'apporter des solutions aux difficultés identifiées .
Le soir même de la réunion, le président Jean Bizet a ainsi présenté l'état des différentes questions à M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes.
Nous comptons effectivement sur le secrétaire d'État pour mobiliser les différents départements ministériels de façon à ce que, parallèlement au travail qui peut être réalisé par notre commission, des avancées significatives soient obtenues d'ici notre prochaine réunion de suivi sur le terrain.
*
* 9 Réunissant depuis sa création des représentants des gouvernements français, allemand et suisse.
* 10 Institué plus récemment par les élus de ces trois pays.
* 11 En l'occurrence, l'Euro institut de Kehl, l'InfoBest de Strasbourg-Kehl et le Centre européen des consommateurs.
* 12 La délégation a pris bonne note qu'à la demande du ministère fédéral de la santé allemand, l'Euro-institut organise le 6 octobre prochain une réunion sur ce dernier sujet associant des représentants des administrations sanitaires françaises et suisses.
* 13 En particulier l'accès à certaines prestations liées au handicap et à la dépendance.
* 14 Malgré l'existence d'un ambassadeur chargé des questions transfrontalières.