ANNEXE 6 : COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. JEAN-VINCENT PLACÉ

Le 26 mai 2016, le groupe de travail a entendu Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la Réforme de l'État et de la Simplification, au cours de la réunion plénière de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je me réjouis d'accueillir M. Jean-Vincent Placé parmi nous. Nous sommes plusieurs à l'avoir rencontré il y a quelque temps pour évoquer les normes. Nous avons également eu des échanges intéressants avec les secrétaires d'État MM. André Vallini et Thierry Mandon.

Le président Gérard Larcher avait confié à M. Pointereau un travail sur la question. Des propositions ont été formulées. Depuis quelques mois, un groupe de travail réunit des membres de toutes les commissions permanentes ; il est chargé d'étudier la simplification des normes d'urbanisme, en lien avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) présidé par M. Alain Lambert. La participation de toutes les commissions permanentes évite les conflits de compétence et garantit que nous avançons tous de concert. La méthode est trouvée ; ce travail débouchera sans doute sur un texte, mais nous n'en sommes pas encore là.

M. Rémy Pointereau, président du groupe de travail « Simplification législative du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols » . - Le président Larcher a effectivement souhaité s'emparer de la question. Nous avons envoyé un questionnaire aux maires l'an dernier : ils ont à 65% cité comme difficulté la multiplication des normes - de construction, d'urbanisme,... Nous avons créé en janvier dernier un groupe de travail trans-partisan, il établira d'ici la fin juin une proposition de loi qui sera présentée à la mi-octobre au Sénat. Plus de 20 tables rondes ont été organisées, 80 personnalités auditionnées. Simplifier, ce n'est pas si simple ! Dans ce mikado des normes, toucher à l'une, c'est risquer d'embrouiller tout l'ensemble. Je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur la résolution votée par le Sénat en janvier dernier, portant sur la réglementation des normes d'urbanisme. Qu'en pensez-vous ? La saisine directe et individuelle du CNEN par les collectivités a certes amélioré la situation. Mais notre proposition de loi a-t-elle prospéré ?

Le président de la République avait annoncé, le 29 mars 2013, un choc de simplification en matière d'urbanisme et de construction : où en est-on ?

Pour tuer dans l'oeuf les normes, il faut travailler sur le flux mais aussi sur le stock. Le Sénat a voté une proposition de loi constitutionnelle imposant la suppression d'une norme à chaque fois que l'on en crée une, freinant la sur-transposition. Le principe de prescripteur-payeur pourrait également être mis en oeuvre...

Nous avons reçu 11 000 réponses à notre questionnaire. Au prochain Congrès des maires, le président Gérard Larcher fera le point sur la question. Les attentes sont grandes, dans l'ordre des préoccupations des élus, la complexité administrative arrive souvent avant les ressources financières.

M. François Calvet, rapporteur du groupe de travail « Simplification législative du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols ». - Toutes les personnes auditionnées nous l'ont dit : « Arrêtez de créer des normes ! ». Mais une simplification peut provoquer des déséquilibres, il faut y travailler de façon consensuelle. Où en est la mise en oeuvre des 18 mesures de simplification annoncées à Vesoul en septembre 2015, à l'issue du comité interministériel ? Combien ont déjà été adoptées ? Quand les autres le seront-elles ? Qu'apportent à la simplification les projets d'ordonnances élaborés en application des articles d'habilitation - articles 103 et 106 - de la loi du 6 août 2015 ?

M. Marc Daunis, rapporteur du groupe de travail « Simplification législative du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols » . - Nous sommes toujours prêts, la main sur le coeur, à simplifier. Mais, par un mécanisme tout schizophrénique, nous votons l'instant d'après l'instauration de nouvelles normes ! Le Gouvernement est-il disposé à instaurer un vrai partenariat avec le CNEN et le Sénat, afin de promouvoir la culture de l'évaluation, calmer la logorrhée législative et maîtriser la machine infernale ?

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification . - Je suis toujours heureux de revenir dans la maison Sénat. Associer toutes les commissions, tous les groupes politiques à ce travail, je crois que c'est la bonne méthode. Le chantier de simplification des normes pour les collectivités locales est une priorité du Gouvernement. Elle a été la mienne dès que j'ai pris mes fonctions le 12 février dernier. Le but est de dégager des marges de manoeuvre en supprimant des contraintes inutiles ; et d'éviter de bloquer les projets. Il faut agir sur le flux mais bien sûr aussi sur le stock. La circulaire du Premier ministre de 2014 prononçait un moratoire, avec l'objectif de parvenir à un coût net inférieur à zéro : à Pâques, nous en étions à - 60 millions d'euros... Le CNEN joue là un grand rôle. Dans la réforme de l'État que je conduis, faire prévaloir ce principe est également un aspect important. Le stock des normes qui s'imposent aux collectivités est considérable : 400 000 ! Nous sommes tous schizophrènes, membres de l'exécutif comme parlementaires via les amendements. Nous avons tous à faire notre autocritique.

Identifier ce que nous pouvons supprimer : le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) est mandaté pour le faire, en lien avec le CNEN ; huit groupes de travail ont été créés, qui comprennent aussi des représentants des associations d'élus et la DGCL. Tous les domaines sont couverts : bâtiments, urbanisme, budget et comptabilité... Des ateliers décentralisés ont été mis en place. J'étais hier avec votre collègue Cabanel et je suis à la disposition de chacun d'entre vous, quelles que soient les sensibilités. Nous avons également conclu un partenariat avec l'association des administrateurs territoriaux de France, directement concernés. C'est un travail de longue haleine, un travail que je souhaite routinier - au sens de régulier - car c'est ainsi que nous parviendrons à des résultats.

Les 18 mesures de Vesoul seront en application avant l'été, à l'exception d'une seule, qui le sera à l'automne. Parmi elles, il y a l'allègement des procédures pour les travaux de faible montant dans les petits établissements recevant du public (ERP) - tous les élus locaux signalent le caractère insoutenable des investissements pour des ERP comme les gîtes ruraux ; la réduction du nombre et de la périodicité des vérifications techniques dans ces établissements. Pour les PLU, les articles regroupés par thématiques seront plus lisibles. L'accompagnement des élus en matière de réglementations sportives se fera plus près du terrain. L'obligation de vidange des piscines sera réduite de deux à une par an pour les piscines de plus de 240 m². Le décret du 18 avril 2016 redéfinit les exigences de sécurité pour les cages de buts de football, de handball, de basket. Jadis, un accident mortel dû à la chute d'un panneau de basket et des accidents lors d'activités sportives dans les torrents avaient conduit à accroître la responsabilité pénale de tous les intervenants, publics ou privés. Il en est résulté une poussée de normes, souvent pour de bonnes raisons.

Tout récemment à Privas, en Ardèche, j'ai annoncé 16 nouvelles mesures de simplification. Quelques exemples très divers : le principe « Dites-le nous une fois » pour alléger la paperasserie, avec des marchés publics simplifiés, et France Connect comme portail unique des actes administratifs ; pour les SDIS, une gamme élargie de véhicules d'intervention, la collaboration entre les pharmacies à usage intérieur (PUI). La formation des sapeurs-pompiers est renforcée. Les contrôles médicaux lors des recrutements de fonctionnaires territoriaux sont allégés. Est supprimée l'obligation de transposer le certificat de décès à la mairie du domicile du défunt.

Plusieurs dizaines de mesures sont en cours d'instruction, qui feront l'objet d'une nouvelle vague de décisions à l'automne, selon le processus routinier d'annonces semestrielles de mesures qui concernent les collectivités mais aussi les usagers ou les entreprises.

Votre travail, mené dans la concorde républicaine, démontre une volonté partagée. Votre résolution du 13 janvier, invitant le Gouvernement à adopter des mesures de simplification des normes, reprenait certaines des mesures annoncées à Vesoul, ce qui prouve notre convergence de vues. Un certain nombre sont déjà en application, l'arrêté concernant les ERP a été pris, le niveau d'exigences des commissions de sécurité revu, le nombre des actes dispensés du contrôle de légalité accru...

Une mesure en cours de finalisation satisfera votre collègue Jean-Claude Boulard : elle concerne les normes antisismiques.

Mme Françoise Gatel . - Ah oui !

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État . - Il me faisait remarquer que sa ville du Mans n'avait jamais connu de séisme.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Ce n'est pas comme chez moi : nous avons connu un tremblement de terre en 1356.

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État . - Je veux citer également la charte nationale d'harmonisation des niveaux d'exigences pour les architectes des bâtiments de France (ABF). Autres mesures annoncées à Privas : la simplification du régime aux abords des monuments historiques, la télédéclaration (mesure 8), la communication dématérialisée des documents des enquêtes publiques (mesure 9), la dématérialisation de neuf formalités administratives d'ici la fin de l'année, passeport, carte d'identité, carte grise... Le SGMAP étudie les propositions de votre résolution qui n'ont pas encore été retenues, afin de les inclure dans la prochaine vague de simplification. Si certaines figurent dans votre future proposition de loi, le Gouvernement les soutiendra.

Une (supprimée) pour une (créée) : c'est ce que nous visons, mais ce n'est pas aisé, notamment en matière budgétaire. Pas de sur-transposition, telle est la consigne donnée aux administrations, et telle est la recommandation faite au législateur. Avec une mention spéciale pour les procédures concernant les régions ultrapériphériques, car notre manie de la sur-transposition a atteint là les limites de l'absurde.

Le principe prescripteur-payeur, en revanche, est bien difficile à mettre en oeuvre : le législateur qui vote la création d'une norme paiera-t-il le coût de son respect par les collectivités ?

Nous étudions toutes les propositions de simplification : n'hésitez pas à me les transmettre, je suis à la disposition de chacun pour régler les aberrations ponctuelles qui me seraient signalées.

Reste un vrai problème, touchant à la parole de l'État. Les régions fusionnées en font l'expérience : la DG-Fip dit A, la Dreal dit B, le préfet n'est pas au courant... Cette instabilité de la parole de l'État est préjudiciable à l'action sur le terrain et aux décisions, je l'ai vécu lorsque j'étais en charge des transports à la région Île-de-France.

Mme Patricia Schillinger . - Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les SDIS ? Quand aurons-nous les informations concrètes ?

M. François Grosdidier . - Je me soucie de deux principes : l'adaptabilité aux situations locales, la proportionnalité. On le voit en matière d'accessibilité, les investissements nécessaires sont parfois considérables par rapport au bénéfice réel. Vaut-il mieux aménager un logement pour une personne handicapée ou faire des travaux sur la voirie jusque dans les endroits où cette personne n'ira jamais ? Faut-il construire un ascenseur dans un établissement scolaire si les enfants peuvent faire toute leur scolarité au rez-de-chaussée ?

M. Georges Labazée . - Comment le Parlement peut-il contrôler que les ordonnances prises en vertu d'une habilitation article 38 ne contiennent pas une trop forte dose de normes nouvelles ?

Mme Françoise Gatel . - Comment contenir les exigences des fédérations sportives qui imposent aux collectivités des travaux très coûteux ? Comment garantir la stabilité des règles de sécurité ? Un ERP est construit selon les normes en vigueur. Trois ans après, une commission de sécurité demande une nouvelle adaptation : nouvelles dépenses. Et ainsi de suite, sans fin.

Un mot enfin sur les normes sismiques : elles amplifient ce qu'exige le simple principe de précaution. Il est temps de revenir à la raison.

M. Rémy Pointereau, président du groupe de travail . - Lorsque j'ai mentionné le principe prescripteur-payeur, je songeais aux fédérations sportives, qui accordent le label départemental à un équipement s'il répond à telles caractéristiques, le label régional s'il répond à telles autres. La maison de la culture de Bourges, l'une des premières créées en France - inaugurée par André Malraux - avait besoin d'une restructuration. Le ministère de la Culture a conditionné l'octroi du label national à un agrandissement de ses locaux. Nous avons pensé surélever le bâtiment, or il est situé à côté de la cathédrale, et l'ABF a refusé tout net. Nous avons envisagé de creuser le sous-sol : impossible, car Bourges est sur le site de l'antique Avaricum, trop riche sur le plan archéologique. Il ne nous reste plus qu'à construire ailleurs. Mais que faire du bâtiment actuel ? Tout cela représente bien des dépenses...

M. Jean-Marie Bockel, président . - Sujet délicat ! Les ABF ont un rôle souvent précieux, ne l'oublions pas... surtout si l'on peut dialoguer avec eux et parvenir à une solution soutenable. Ma ville comptait trois casernes, dont la plus belle - « un palais Pitti ! » s'exclamait l'architecte - menaçait de s'effondrer. Nous avons ensemble décidé d'en détruire une pour consacrer plus de moyens à la restauration de l'autre. C'était un bon compromis, mais la période actuelle se prête-t-elle encore à ce type de négociation ?

M. François Calvet, rapporteur . - Les réponses à notre questionnaire ont fait une large place aux ABF, à leurs décisions imprévisibles, variables, pointillistes, etc.

M. Marc Daunis, rapporteur . - Notre travail concerne en particulier le contentieux, avec le souci de neutraliser les procédures dilatoires ; le toilettage des procédures, car dans les opérations d'urbanisme, exiger d'abord un dossier de création, puis un dossier de réalisation, est bien lourd, et l'étude d'impact gagnerait à être faite au stade du dossier de réalisation ; les discussions entre les porteurs de projets, les collectivités et l'État, avec si possible un référent juridique unique, une remontée d'information par la commission de conciliation et un bilan annuel des mesures de simplification par les préfets, pour nourrir un rapport annuel national. Il serait bon aussi de favoriser un urbanisme de projets, avec une adaptation du droit du sol ou de la construction en fonction des projets...

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État . - Les ordonnances et les décrets sont, comme les mesures d'origine législative, passés en revue par la DGCL, le SGMAP, le CNEN. Certaines adaptations sont possibles au titre du principe de proportionnalité : les normes incendie sont fonction de la taille des immeubles. Vous suggérez un aménagement de logements pour les personnes handicapées en contrepartie de moindres travaux d'accessibilité dans certaines autres zones. Les propositions en ce sens ont toujours été fraîchement accueillies par les associations concernées !

Je vous adresserai par écrit le détail des mesures relatives aux SDIS. Quant aux fédérations sportives, elles dépendent d'associations internationales - les fédérations internationales - et nous n'avons pas de prise sur leurs exigences. Il reste possible d'utiliser intelligemment la règle selon laquelle le silence de l'administration vaut accord.

Je suis un écologiste pragmatique, soucieux d'adapter les normes sismiques au risque réel de chaque zone. Une mesure est en cours d'évaluation, elle devrait faire partie du paquet de l'automne.

La loi patrimoine a amélioré les règles concernant les abords de monuments historiques. Vous proposez non de supprimer l'avis de l'ABF mais, en quelque sorte, de renverser la charge de la justification. C'est un bon compromis, me semble-t-il. Si la disposition figurait dans votre proposition de loi, le Gouvernement y serait favorable.

Grâce au numérique, le dialogue avec l'administration peut être rendu plus fluide. De même, le nombre des rescrits augmente, c'est une bonne chose.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous vous remercions.

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